LETTRE Du Sieur Louis De Gand Seigneur De Brachey & De Romecour A SON ALTESSE.
JE suis forcé pour beaucoup de raisons Divines & Humaines, de rendre en despit de l'envie, ce public & solennel tesmoignage a la verité, de ce que V. A. S. a faict monstre & preuve d'une grandeur de courage pas moindre que Royalle, en m'honorant de son Heroique liberalité, a raison de quelques productions de mon esprit sur L'Olive, que ie fis dernierement paroistre au jour soubs le nom de V. A. S.
[Page] Or a n'en mentir pas elles avoient estè plus que suffisament recompensées, tant par le bon, gratieux, & favorable accueil, qu'elles avoient trouvé d'abord aupres de V.A. que par la haute, authentique, & honorable approbation, que V.A. m'en avoit donnée maintes fois, non seulement immediatement par soy mesme en presence de plusieurs personnes de qualitè; mais aussy mediatement par Monseigneur le President Laurence, & par Monsieur Thurloe Secretaire des estats de V.A.S.
Ce grand honneur diie, m'estoit une glorieuse, & suffisante recompense, & un bouclier a l'espreuve contre les dards les plus acerez des envieux, des ignorants, & des langues malignes de mes ennemis, ie voulois dire de ceux de V. A. qui sans doute eussent triomphè de moy, de ma reputation, & peut estre de ma vie, S'ils eussent creu que V.A.S. n'eut pas faict estat de mon travail.
D'ou vient que pour avoir consacrée mon Olive a V.A. ie ne me suis en aucune façon acquittè des obligations que ie luy avois, mais en ay contractées deux toutes nouvelles, qui sont comme un surcroy aux Precedentes. La premiere est L'honneur & les offres advantageus que V.A.S. ma faicts en suitte dudict oeuvre. La seconde est la generositè de V. A. en recompensant si liberalement les efforts de celuy, qui neaumoins estoient deus a V. A. pour plusieurs tres justes, & tres puissantes raisons.
Et pour ne parler pas de mon inclination naturelle, qui m'a tousiours portè a aimer & honorer [Page] V.A. de puis que i'ay eu le bon heur de sa cougnoissance. I'advoueray franchement & ingenuement a V.A. qu'ayant icy vescu long temps fort paisiblement & fort honorablement soubs la Protection & sauvegarde de V. A. & y ayant apperceues les merveilles prodigieuses que Dieu avoit faictes par V. A. en trois divers Royaumes, en si peu de temps, avec une pougnée d'hommes non aguerris, contre des ennemis innombrables, tres forts, tres puissants, & pieça duits pour la plus part a ce mestier, dont le propre est de faire des veufves, & des orphelins: I'ay creu dije qu'ayant quelque cougnoissance des bonnes lettres, i'estois obligé de faire dire a ma plume ce que i'avois remarquè d'extraordinaire es hauts faicts d'armes, & rares exploits de V. A.
Dabondant i'eusse estè le plus ingrat de tous les hommes, & tenu pour un de ceux, qui habitent l'endroit de la terre le plus esloigné de cet astre qui faict les jours, si apres que V. A. S. par mes poursuittes & instances, contre toutes sortes d'oppositions, a recougnu un Prince pour Souverain, lors qu'il estoit quasi abandonnè de tout le monde, & m'a ordonné en qualitè de son Plenipotentier des honeurs & des respects esgauls a ceux, qu'on ne rend qu'aux plus signalez ministres des plus grands Monarques de l'univers. J'eusse estè diie, apres tant & de si extraordinaires faveurs indigne de vivre parmy les hommes, si ie n'eusse taschè selon mon pouvoir de me revancher des obligations, que i'ay [Page] toutes prises sur moy, par la mort du Prince, dont ie representois icy la personne.
Je passe le reste soubs silence, de peur d'estre ennuyeux a V. A. S. eu egard aux affaires de consequence, qui l'environnent continuellement & sans relasche de toutes parts. Et Partant pour mettre fin a la presente, ie prendray la hardiesse de baiser la main liberale de V.A. veu qu'au dire des Anciens, il n'y a rien en ce bas monde, en quoy un Monarque puisse resembler de plus pres a Dieu, que la liberalitè. C'est ce qu'advoue pour l'egard de V.A.S. en son endroit celuy, qui est avec autant de veritè que de sincerité,