DIALOGVE ENTRE VN PERE, ET SON FILS.

M.DC.LVIII.

A LONDRES, Par Daniel du Chemin, demeurant dans York Street, proche du Covent Gardin. 1688.

AV LECTEVR.

LEcteur quiconque tu sois, qui par rencontre ou par curiosité porteras la veuë sur ce Dialogue, entre vn Pere & son Enfant, Ie te prie de considerer, que tout ainsi qu'vne terre rude & mal façonnée ne peut produire que peu ou point de fruit, vn homme quin'a pas esté formé par l'estude, ny poly par la conuersation des hommes doctes, ne peut estre capable que de fort peu de chose, & encore ce peu à quoy il s'applique porte les marques de sa foiblesse: Et cette consideration te fera sans doute juger que la lecture de cet ouurage, ne peut pas te don­ner aucune satisfaction, & par ma­niere de dire ne te peut apprendre qu'à begayer: Neantmoins si ta cu­riosité [Page] l'emporte, & que tu vueilles sçauoir quel a esté nostre entretien, tu trouueras que nous auons parlé de choses hautes & saintes; sçauoir de la Connoissance de Dieu, & de nous mesmes, de la grace qu'il nous a faite en donnant son Fils, son bien-aimé, & des moyens dont il s'est seruy pour nous attirer à sa Communion, & à la participation de ses graces: Et com­me la Parole de Dieu a esté nostre guide, nous nous sommes entretenus de son excellence; A pres nous auons parlé de l'Eglise Reformée, & de ses Sacremens. De l'Eglise Romaine, & & du danger qu'il y a de demeurer en sa Communion; Et je m'asseure que tu ne seras pas marry d'auoir surmonté les difficultez que ton esprit t'auoit suggeré. Au commencement tu trou­ueras sans doute des rudesses en no­stre langage; Mais je te prie d'imiter la debonnaireté de Moyse qui rece­uoit le poil de chevre de la main des [Page] pauures pour seruir à la construction de l'ancien Tabernacle; Aussi bien que les belles estoffes, & les riches presens des oppulens; Que si tu es si dégouté que tu ne trouues chose au­cune, qui puisse te contenter, je ne m'en estonneray pas; puis que mon propre fils s'en est si fort dégouté, que m'éprisant mes instructions, il m'a abandonné, s'estant precipité dans l'abysme des erreurs de l'Eglise Ro­maine, & c'estoit ce que je voulois éuiter, apres il s'est jette sur moy, & pendant cinq ans, il m'a grandement troublé: Mais ayant reconu que selon le monde mesme il ne luy estoit pas fort auantageux de persecuter son pere & sa mere comme il a fait, il s'est reconcilié auec moy, & nous auons passé quelques années sans trouble & sans procez: Mais pourtant je n'ay jamais pû le disposer de se reconcilier auec Dieu, & de reuenir en sa ber­gerie: Ce qui m'a fait croire, que mon [Page] Dialogue ne pouuant à present luy estre agreable ny profitable: Et à cau­se de cela j'auois resolu de le garder pour ses soeurs. Que si contre mon attente il est exposé en veuë, j'ay creu, Lecteur judicieux, qu'il estoit conue­nable de te donner cet auertissement, afin que tu le mettes en telle conside­ration que tu jugeras estre à propos.

MES FILLES,

Ʋous sçauez auec quel soin je me suis étudié d'éleuer vostre frere en la connoissance de Dieu, & de soy­mesme; vous auez veu pendant quelques années, que je passois auec luy les matinées, partie des apres disnées, & les soirées entieres: Mon but estoit de former son esprit, afin qu'il fust plus capable, lors qu'il commenceroit de voir le monde, de fuïr les débauches, & de resister aux atteintes qu'on pourroit luy donner pour la Religion. A cet effet, & pour d'autant plus engrauer en son esprit les choses que je luy auois en­seignées de viue voix, je les auois [Page] redigées par escrit en forme de Dia­logue; & pour l'obliger de le lire, je luy auois dedié par vne Epistre par­ticuliere, par laquelle je l'exhor­tois auec toutes les tendresses qu'vn pere peur auoir pour vn fils bien­aimé d'en faire son profit: Mais il est arriué que ce miserable vio­lant les Loix diuines & humaines s'est reuolté contre Dieu, a foulé aux pieds les instructions que je luy auois données, s'est rendu vn per­secuteur violant, a incité les puis­sances superieures contre nous, & a fait tous ses efforts pour vous en­traisner en vne mesme ruïne. Mais Dieu qui est le Protecteur des af­fligez, vous a soûtenu par sa Puis­sance diuine, vous a donné vne ferme foy, par laquelle vous auez repoussé les traits enflammez de cet [Page] esprit malin, & en suitte vous a donné des maris fidelles & Chre­stiens qui sont & seront vos appuys & conducteurs, dequoy je luy rends graces tres-humbles, & le supplie de tout mon coeur, qu'il luy plaise vous confirmer de plus en plus, & vous faire la grace de perseuerer constamment auec Messieurs vos maris en la profession de sa veri­té, & d'y éleuer auec soin & di­ligence vos enfans, prians conti­nuellement pour eux, et les forti­fians par bons exemples. Et d'au­tant que ce Dialogue contient plu­sieurs instructions qui pourront vous seruir à cela; j'ay crû que puis que vostre frere s'est rendu indigne de le posseder, je deuois vous le dé­dier, et vous en faire vn present: Ie vous le donne donc, & vous sup­plie [Page] de le lire soigneusement, de le garder, & qui plus est de le laisser à vos enfans. Si mon pere m'eust laissé quelque chose de semblable, je l'eusse chery & conserué: Mais comme il est decedé en la fleur de son aage, que j'estois vn jeune en­fant, & que d'ailleurs j'ay passé par diuerses mains, j'ay esté pri­ué de ce bien: Car je ne doute nul­lement que m'aymant, comme il m'aymoit, il n'ait laissé par escrit les preceptes qui m'estoient necessai­res, pour m'apprendre à bien viure. I'ay pourtant conserué les instru­ctions qu'il m'auoit données de viue voix sur le sujet de la Religion, & par la grace de Dieu j'en ay toû­jours fait profession ouuerte, non-obstant les troubles & empesche­mens qui m'ont esté donnez par les [Page] ennemis de mon salut; Et finalement je vous ay mis en main ce precieux tresor & bon depost: De vostre part vous l'auez receu agreablement, & vous en faites profession ouuerte, dequoy je rends graces à Dieu. Jl y auoit apparence de croire que vo­stre frere en vseroit de mesme, par­ce que j'auois pris grand soin de l'instruire: Neantmoins ce misera­ble renonçant aux auantages que cette profession luy eust apportez, s'il eust perseueré, s'est reuolté con­tre Dieu: Et combien qu'il sçeust que l'Eglise en laquelle il auoit esté nourry & éleué est la seule Arche dans laquelle il pouuoit estre con­serué & garenty du deluge de l'ire de Dieu, il s'est precipité, & à pre­sent il court apres les inuentions hu­maines, apres les Dieux de paste, [Page] de bois & de pierre, que la super­stition a establis; Et pour faire croi­re qu'il est bon Catholique Romain, il fait la guerre à Iesus Christ, à sa doctrine, & à ses membres; ju­gez ce qu'il doit attendre, & quel­le sera sa fin s'il persiste. On me dit que je dois esperer que Dieu le ramenera, & suspendre mon juge­ment, je respons que je ne souhait­te rien tant: Mais lors que je con­sidere qu'il s'est precipité de gayeté de coeur sans sujet & sans raison, qu'il foule aux pieds les mouuemens du Saint Esprit, & la bonne se­mence qu'il auoit receuë, que plus il va, plus opiniastre il deuient: Ie ne puis que je ne dise auec le Prophete au Pseaume 139. Eternel, n'auroy-je pas en haine ceux qui te haïssent, & ne serois-je pas despité [Page] contre ceux qui s'éleuent contre toy? La parenté charnelle est de peu d'im­portance, si le lien de l'esprit ne s'y trouue; je ne laisse pas pourtant de prier Dieu qu'il luy fasse misericor­de, qu'il le déliure de l'esprit d'er­reur & de mensonge qui le posse­de, & qu'il le rameine en sa Ber­gerie, mais c'est chose plus à desi­rer qu'à esperer. Quant à vous, mes Filles, qui aymez Dieu, & qui perseuerez auec moy en la pro­fession de sa verité; Ie vous prie au nom de Dieu de reconnoistre que ce n'est pas vn effet de vos forces naturelles, mais vn effet de sa gra­ce. Prenez garde à l'exemple de vostre frere, & considerez que c'est vne leçon que Dieu a escrite pour vous en grosse lettre sur le dos de vostre prochain. Ne vous fiez donc [Page] pas en vos propres forces; mais de­mandez à Dieu pour vous & pour les vostres le don de perseuerance, & la grace de viure sobrement, justement & religieusement: Sou­uenez-vous que la Religion ne con­siste pas seulement en paroles, ny en vne profession exterieure; mais en la profession d'vne vraye foy ou­urante par repentance et par cha­rité; Car si vous viuez selon la chair, dit l' Apostre Saint Paul, Rom. 8. vers. 13. vous mourrez: mais si par l'Esprit vous mortifiez les faits du corps, vous viurez. Ie prie Dieu qu'il luy plaise vous con­duire par sa Parole, & par son Saint Esprit, vous, Messieurs vos marys, & vos enfans, qu'il vous fasse la grace de viure longuement ensemble, en sa crainte, & en son [Page] amour; Et lors que vous aurez paracheué vostre course, qu'il re­çoiue vos ames en son repos, en attendant qu'il vienne juger les vi­uans & les morts, & qu'il vous introduise en corps & en ame en son Paradis; C'est, mes Filles, le sou­hait & le desir de

Vostre Pere & meilleur Amy, BARON.

DIALOGVE ENTRE VN PERE, & son Fils.

ARGVMENT.

Premiere demande faite à l'Enfant sur la connoissance de soy-mesme, la suite fera voir que le Pere prend occasion des réponses de l'Enfant, de parler de la connoissance de Dieu, Pere, Fils & S. Esprit; De traitter les poincts principaux de la Religion; De parler de la diuinité des saintes Escritures; De l'excellence de l'Eglise Reformee & de ses Sacremens; De la laideur de l'Eglise Romaine, & du danger qu'il y a d'estre en sa Communion.

LE PERE.

MON Fils. Comme Dieu s'est seruy de moy pour vous met­tre au monde, I'ay crû que je deuois [Page 2] aussi vous apprendre, pourquoy est­ce qu'il vous y a mis; Et pour par­uenir à mon but, j'ay tasché de vous amener à la connoissance de Dieu & de vous mesme, & à vous apprendre selon ma portée, ce que Dieu est en soy, ce qu'il vous est, ce qu'il a fait pour vous, & ce qu'il veut que vous fassiez pour luy estre agreable, parce qu'en la connoissance de ces choses, & en l'obseruation de ses comman­demens consiste le bon-heur & la fe­licité de l'homme. Ie desire donc en­tendre, si vous auez bien compris les instructions que je vous ay données sur ce sujet, ou pour vous y confir­mer, ou pour vous redresser s'il y a lieu. Commençons donc par la con­noissance de vous mesme, & dites moy ce que vous croyez de vous.

L'Enfant demande à Dieu son assistance, & 'en suitte reconnoit sa pauureté naturelle par la transgression d' Adam paruenuë sur tous les hommes.

LE FILS.
[Page 3]

Mon Pere il seroit difficile & pres­que impossible de parler comme il faut de la connoissance de nous mes­mes, si nous n'auions appris à con­noistre Dieu: Mais comme vous m'auez instruit en l'vn & en l'autre de ces deux points, je tascheray de vous satisfaire. A cét effet je prie Dieu qu'il me donne les lumieres necessaires, & la langue des bien appris, afin que je ne die chose aucune, qui ne soit con­uenable à sa gloire, & propre à nostre edification.

Ie suis donc vn pauure petit garçon issu de la race corrompuë d'Adam par la generation naturelle, dénué de toute justice; Et comme Dauid par­lant de soy, disoit au Pseau. 51. vers. 7. Qu'il auoit esté formé en iniquité & échauffé en peché, je le dis aussi de moy: De sorte que comme le peché est entré au monde par la transgres­sion [Page 4] d'Adam, & par le peché la mort, je suis naturellement sous maledi­ction, & en la mort: car la mort est paruenuë sur tous hommes, d'autant que tous ont peché en Adam. Rom. 5. vers. 12.

Le P.

Comment cela est-il arriué, veu que Moyse nous apprend que Dieu crea Adam à son image & sem­blance, qu'il le benit, & que Dieu vit que tout ce qu'il auoit fait, estoit tres-bon, Genes. 1. vers. 27. & 31.

Le F.

Le mesme Prophete nous ap­prend aussi au chapitre suiuant du mesme liure, que Dieu ayant creé l'homme de la poudre de la terre, le fit en ame viuante, qu'il planta vn jar­din en Heden, qu'il y mit Adam pour le cultiuer, & qu'il luy permit de manger du fruit de tous les arbres du jardin, sauf & excepté de l'arbre de Science de bien & de mal, duquel il luy parla en cette sorte au vers. 17. quant à l'arbre de Science de bien & [Page 5] de mal, tu n'en mengeras point: car dés le jour que tu en mengeras, tu mourras de mort; Comme s'il luy eust dit, dés le moment que tu te détour­neras de mon obeïssance, & que tu transgresseras mon commandement tu tomberas en mon indignation, & de ma colere en la mort eternelle. Et au chap. 3. il nous apprend, qu'Adam adherant à sa femme qui auoit esté seduite par le Diable sous la forme du Serpent, transgressa le comman­dement de Dieu, mangea du fruit defendu, croyant par ce moyen par­uenir à vne plus haute connoissance, & se rendre égal à Dieu, que par sa transgression il attira sur soy & sur sa posterité, la mort corporelle & eter­nelle, & toutes les autres miseres & calamitez, qui trauaillent l'homme pendant le cours de sa vie, & que Dieu le chassa du Paradis terrestre, & mit des Anges sur le passage auec vne lame d'espée, se tournant çà & là [Page 6] pour luy en empescher l'entrée: de sorte qu'au lieu de la communica­tion familiere qu'il auoit auec Dieu: Au lieu de la lumiere de l'entende­ment dont Dieu l'auoit honoré, & de la pureté en laquelle il auoit esté creé, il s'éloigna de Dieu, & le Diable prompt & subtil s'empara de luy, se logea dans son coeur, luy creua l'oeil de l'entendement, l'enueloppa des tenebres d'erreur & d'ignorance, le lia des liens du peché, infecta de ce poison mortel toutes les parties de son corps & de son ame; En telle sor­te que le coeur de l'homme a esté du depuis vn repaire de Demons, & sa malice est si grande que toute l'ima­gination des pensées de son coeur n'est autre chose que mal en tout temps. Genes. 6. vers. 5. Et partant je conclus comme en ma réponse pre­cedente, que l'homme estant tel il est naturellement sous malediction, & en la mort; puis que la mort a reigné [Page 7] depuis Adam; mesmes sur les petits enfans; combien qu'ils n'ayent pe­ché à la façon de la transgression d'Adam; parce qu'ils estoient en Adam, & que le peché d'Adam leur est imputé, comme s'ils l'auoient commis, Rom. 5. vers. 12. & 14.

Le P.

Certes il y a dequoy s'eston­ner de ce que nostre premier pere, ri­che & heureux qu'il estoit, en ce qu'il possedoit celuy qui possede tout, s'est laissé seduire sous vne ap­parence vaine & trompeuse; Et d'au­tant plus qu'il n'ignoroit pas l'arrest de mort que Dieu auoit prononcé contre luy en cas de rebellion.

Le F.

C'est vne marque infaillible du renuersement de son esprit, car s'il eust connû l'estat heureux auquel il estoit, la felicité qu'il possedoit, & le malheur auquel il se precipitoit, il n'eust eu garde d'écouter ses enne­mis, ny de se reuolter contre son Createur: Mais si nous entrons en [Page 8] nous mesmes, nous trouuerons qu'il y a plus de sujet de s'estonner de no­stre conduite: Car combien que nous soyons enuelopez sous vne mesme ruïne, & que d'ailleurs nous enten­dions la Loy, qui foudroye vne se­conde condamnation à l'encontre de nous, nous ne laissons pas d'aller à trauers champs, comme si nous estions forcenez, de nous liguer auec le Diable pour faire la guerre à Dieu: Et ainsi deuons nous reconnoistre, & auouër que les enfans ont comblé la mesure de leurs peres, que nous som­mes plus méchans qu'eux, & en plus mauuais estat; puis que outre la trans­gression d'Adam, de laquelle nous sommes coupables dés le ventre de nos meres, Esaye 48. vers. 8. nous som­mes encore sous la malediction de la Loy par nostre propre desobeïssance & par nos rebellions.

Le P.

Nous sommes donc en vn mauuais estat: Mais nostre mal est-il [Page 9] sans remede?

Le F.

Ouy, du costé des hommes; car puis que nous sommes tous sous malediction, & en la mort, il n'y a en nous ny vie, ny mouuement pour les choses spirituelles; & par consequent incapables de nous redresser: Mais Dieu qui est pitoyable, & misericor­dieux, tardif à colere, abondant en gratuiré, consola nostre premier pe­re, & sa posterité par la promesse de la semence de la femme, qui deuoit briser la teste du Serpent, contenuë au chapitre 3. de la Genese vers. 15. & nous deliurer de la tyrannie du Dia­ble, du peché, & de la mort, comme il l'a du depuis accomply.

Le Pere prend occasion de la réponse de l'En­fant pour l'amener à la seconde partie du 1er point, qui regarde la cōnoissance de Dieu.

Le P.

Cette doctrine concernant la redemption des hommes merite d'e­stre traittée plus au long, puis qu'il y [Page 10] va de la gloire de Dieu, & de nostre salut, & c'est ce que nous ferons cy­apres, moyennant son assistance: Mais à present suiuons le but que nous nous sommes proposez. Et puis que vous auez parlé de l'estat de l'homme apres la creation, & de sa cheute, venons à la seconde partie de nostre premier poinct, qui est de la connoissance de Dieu. Et dites moy ce que vous croyez de Dieu?

De la connoissance de Dieu.

Le F.

IE crois auec tous les Chre­stiens, que Dieu est vne es­sence eternelle, spitituelle, inuisible & incomprehensible distinguée en trois personnes, Pere, Fils & S. Esprit: Le Pere source de la Diuinité, Crea­teur & Conseruateur de toutes cho­ses, visibles & inuisibles; Le Fils, sa Parole, sa Sagesse eternelle par le­quel & pour lequel toutes choses ont esté creées; Le S. Esprit procedant [Page 11] eternellement du Pere & du Fils, par lequel toutes choses sont conseruées: Mais ces trois ne sont qu'vn seul & mesme Dieu, tout-Puissant, tout-Sage, tout-Iuste, tout-Misericor­dieux, la Verité & la Sainteté mesme, 1. Jean chap. 5. Vers. 7.

Objection du Pere sur le sujet de la connoissance de Dieu.

Le P.

Si Dieu est vne Essence eter­nelle, spirituelle, inuisible & incom­prehensible, comme il n'en faut nul­lement douter; Comment le pouuez vous connoistre, veu que vous estes finy, & que les Cieux des Cieux ne peuuent le comprendre, ou contenir, 2. Croniq. chap. 2. vers. 6. &. 6. vers. 18.

L' Enfant répond que Dieu se fait connoistre par ses oeuures.

Le F.

Ie n'entens pas que nous puis­sions comprendre ou enueloper sous nos sens la Majesté infinie de Dieu, il faudroit estre hors du sens pour auoir [Page 12] vne telle pensée. Mais je veux dire que Dieu estant comme il est tout-Puissant & tout Sage, se manifeste, se donne à connoistré aux hommes par ses oeuures; Car les choses inuisibles d'iceluy, à sçauoir sa Puissance eter­nelle, & sa Diuinité se voyent comme à l'oeil par la creation du monde, estant considerées en ses ouurages. Rom. 1. vers. 20.

Autre objection sur la connoissance de Dieu par ses oeuures.

Le P.

Il semble pourtant que les oeuures de la creation, quoy que grandes & admirables, ne peuuent pas donner aux-hommes vne vraye connoissance de Dieu, telle que nous la deuons auoir pour l'aymer, l'hono­rer & seruir. Et de fait l'Apostre S. Paul nous apprend au mesme chapi­tre que vous venez d'alleguer aux quatre versets suiuans, que combien que les hommes ayent connu Dieu par ses oeuures, ils ne l'ont pas glorifié [Page 13] comme Dieu, & ne luy ont pas ren­du l'honneur, le seruice & l'obeïs­sance qui luy est deuë; ains sont de­uenus vains en leurs discours, & leurs coeurs destituez d'intelligence ont esté remplis de tenebres: se disans estre sages sont deuenus fols, ont changé la gloire de Dieu incorrupti­ble à la ressemblance & image de l'homme corruptible, & des oyseaux, des bestes à quatre pieds, & des repti­les; A raison dequoy aussi Dieu les a liurez aux conuoitises de leurs coeurs: Il faut donc qu'il y ait quelque autre reuelation plus efficacieuse.

Le F.

I'auouë que nous ne pouuons paruenir à la droite connoissance de de Dieu par les oeuures de la creation seulement: A cause de l'ignorance en laquelle nous sommes tombez par la reuolte de nostre premier Père. C'est pourquoy Dieu aussi s'est mani­festé aux Peres qui ont vescu sous la Loy de nature par diuerses reuela­tions, [Page 14] & apparitions; Et du depuis il a ajousté sa Parole, par laquelle il nous fait connoistre, non seulement ce qu'il est en soy; mais aussi ce qu'il nous est, ce qu'il a fait pour nous, & ce qu'il veut que nous fassions pour luy estre agreables. Or cette Parole nous est absolument necessaire pour nous amener à la droite connoissance de Dieu. Et de fait le Prophete Roy l'a bien jugé ainsi; Car apres nous auoir proposé le liure de la nature au Pseaume dix-neuf, & particuliere­ment les Cieux qui racontent la gloi­re de Dieu, l'ordre continuel des jours & des nuits qui preschent sa Majesté, nous amene à la Parole de Dieu qu'il compare à vne lumiere, à vn guide: Et de vray la Parole de Dieu est vne lumiere qui nous conduit en nostre pelerinage terrien. Ta Parole dit le Prophete au Pseau. 119. vers. 5. sert de lampe à mon pié, & de lumie­re pour mon sentier. Esclairez donc [Page 15] par la Parole de Dieu, & conduits par le S. Esprit, qui est le guide appro­priant les choses spirituelles à ceux qui sont spirituels, comme l'Apostre S. Paul nous l'apprend en sa premiere aux Corinth. chap. 2. vers. 13. les oeu­ures de la creation nous seruent pour nous amener à la connoissance de cét excellent ouurier, & nous font voir comme à l'oeil sa Puissance eter­nelle, sa Diuinité, sa Sagesse admira­ble, & sa Bonté infinie.

Le P.

Puis que les oeuures de la crea­tion ne sont pas suffisantes pour nous amener à la droite connoissance de Dieu, & que sa Parole nous est neces­saire; Voyons ce qu'elle nous ensei­gne de Dieu?

De la connoissance de Dieu par les liures de Moyse.

Le F.

HElas! Comment pourray­je satisfaire à vostre de­mande, & parler conuenablement de [Page 16] cette Majesté infinie, moy qui suis vn pauure ignorant: Neantmoins puis que nous auons sa Parole qui nous guide, je tascheray de vous satisfaire: pour cét effet je suiuray ce flambeau pas à pas; Et je prie Dieu encor en cét endroit qu'il luy plaise me conduire en cette narration par son S. Esprit. Moyse ce grand & excellent Prophe­te, qui nous a descrit la naissance du monde, l'origine du Ciel & de la Terre, de la Mer & de toutes les cho­ses qui y sont, nous parle aussi du Createur d'iceux, il le nomme Eter­nel Dieu, Genes. 2. vers. 4.5. & sui­uans. Et Dieu mesme parlant à Moy­se, qui luy auoit demandé son nom, luy dit au 3. de l'Exode vers. 14. Ie suis celuy qui Suis, & tu diras aux enfans d'Israël, celuy qui s'appelle je Suis, m'a enuoyé vers vous. Et au verset suiuant il expose luy mesme son nom en cette sorte, tu diras ainsi aux en­fans d'Israël, l'Eternel, le Dieu de vos [Page 17] Peres, le Dieu d'Abraham, le Dieu d'Isaac & le Dieu de Iacob m'a en­uoyé vers vous; C'est icy mon nom eternellement: Et Moyse parlant à luy en son Cantique, qui est le Pseau­me 90. luy disoit, deuant que les montagnes fussent nées, & que tu eusses formé la terre habitable, tu es le Dieu fort, mesme d'eternité jus­ques en eternité: Et au premier cha­pitre de la Genese il nous apprend, mais confusement, qu'en cette es­sence eternelle il y a trois personnes, Sçauoir le Pere, la Parole & le saint Esprit: Car au premier verset il dit, Que Dieu crea au commencement le Ciel & la Terre; Au second, que la terre estoit sans forme & vuide, que les tenebres estoient sur le dessus de l'abysme, & que l'Esprit de Dieu se mouuoit au dessus des eaux, Et au troisiéme que Dieu dit, que la lumie­re fust; & ainsi aux versets suiuans jus­qu'au vingt-sixiéme, distinguant par [Page 18] cét ordre les trois personnes de la sainte Trinité, & nous representant le Pere auteur & Createur de toutes choses, le Fils qui est la Parole, la Sa­gesse eternelle de Dieu, par lequel toutes choses ont esté creées; & le saint Esprit qui se mouuoit sur les eaux, comme pour les eschauf­fer & faire esclorre cette masse con­fuse, afin d'en tirer ces belles & ex­cellentes creatures que nous voyons de nos yeux, & touchons de nos mains.

Apres auoir parlé de la creation du Ciel & de la Terre, & de toutes les choses qui y sont; Moyse vient à la creation de l'homme, laquelle il dé­crit d'vne façon bien difference; Car lors qu'il parle de la creation des au­tres choses il dit, que Dieu dit que telle chose soit, & elle fut; Mais lors qu'il vient à la creation de l'homme; Il introduit Dieu comme faisant vne maniere de consultation auec les au­tres [Page 19] personnes de la sainte Trinité, pour nous apprendre que l'homme est la plus excellente creature qui ait esté faite & creée, l'abregé & le ra­courcy de l'vniuers; faisons l'homme, dit Dieu au vingt-sixiéme verset du mesme chapitre, à nostre Image, se­lon nostre ressemblance, & qu'il ait seigneurie sur les poissons de la mer, & sur les oyseaux des Cieux, & sur le bestail, & sur toute la terre, & sur tout reptile se mouuant sur la terre. Et aux versets suiuans il ajouste, que Dieu crea l'homme à son image, qu'il le crea à l'image de Dieu, masse & femelle, qu'il les benit & leur donna seigneurie sur toutes choses, comme il auoit proposé au verset precedent.

Au chapitre second le Prophete nous apprend que Dieu planta vn jar­din en Heden, qu'il y fit germer tout arbre desirable à voir & bon à man­ger, & particulierement l'arbre de Vie, figure de nostre Seigneur Iesus [Page 20] Christ, pour renouueller l'homme en sa caducité; Et l'arbre de Science de bien & de mal, figure de la Loy, qu'il y colloqua l'homme pour le cultiuer & pour le garder, qu'il luy permit de manger du fruit de tous les arbres du jardin, fors & excepté de l'arbre de Science de bien & de mal; duquel il luy defendit l'vsage sur peine de mort, comme j'ay dit cy deuant: & au chapitre trois, il recite la cheute pitoyable d'Adam à la persuasion de sa femme, qui auoit esté seduite par le Diable sous la forme du Serpent: & le jugement épouuentable que Dieu prononça contre tous ces criminels auec cette reseruation en faueur de l'homme, qu'il le releueroit de sa cheute, & qu'il le retireroit de sa ruïne par le moyen d'vn Liberateur: Car c'est ce qui a esté toûjours enten­du par la promesse de la semence de la femme contenuë au chap. 3. de la Ge­nese vers. 15. De sorte que des Liures [Page 21] de Moyse, nous pouuons recueillir que Dieu est vne essence Eternelle; Spirituelle, Inuisible & Incompre­hensible, toute-Puissante, toute-Sainte, toute-Sage, toute-Iuste, & toute-Bonne, qu'en cette Essence il y a trois persōnes, Pere, Fils & S. Esprit, qui ne sont qu'vn seul & mesme Dieu, comme j'ay dit cy-deuant, lequel s'est manifesté & s'est fait connoistre aux hommes, tant par la creation du monde en general qu'il a tiré du neant luy donnant vn estre ferme & durable, que par la creation d'vn nō ­bre innombrable de diuerses creatu­res, ausquelles il a donné des proprie­tez & des vertus si excellentes qu'il est impossible de le comprendre, en­core moins de le reciter, les conser­uant par la mesme puissance & sages­se auec laquelle il les a creées, & en­core par la punition seuere qu'il fait des meschans, & par la bonté & be­nignité dont il vse continuellement [Page 22] & visiblement enuers ceux qui luy sont fideles & obeïssans, suiuant la promesse qu'il leur en a faite en di­uers endroits de sa Parole, & particu­lierement au chap. 34 de l' Exode vers. 6. & 7. qui portent en termes exprez, qu'il est Pitoyable, Misericordieux, tardif à colere, abondant en gratuïté & verité, gardant gratuïté en mille generations, ostant l'iniquité, le for­fait & le peché.

Autre object on du Pere sur le sujet de la con­noissance de Dieu par les Liures de Moyse.

Le P.

Ce que vous venez de dire est veritable, & doit estre tenu pour constant; Mais si nous n'auions d'au­tres lumieres que celles que les liures de Moyse nous apportent, la connois­sance que nous aurions de Dieu par ses escrits, nous donneroit plus de trouble que de consolation. Car si d'vne part ils nous apprennent que Dieu est pitoyable, & misericordieux: En mesme temps, au mesme chapitre [Page 23] & aux mesmes versets que vous venez d'alleguer; Il ajoûte, que Dieu ne tient nullement le coulpable pour innocent, & qu'il punit seuerement les transgresseurs de ses Loix, d'où s'ensuit que Dieu estant, comme il est, tout Puissant & tout-Iuste, & nous pecheurs; Il faut necessairement que sa Iustice soit satisfaite, & que la mort des pecheurs entreuienne: Car la justice de Dieu est vne volonté constante & eternelle de recompen­ser les bons & punir les méchans qui luy est si naturelle, qu'elle est ce qu'il est, laquelle il ne peut par consequent relascher, non plus que cesser d'estre ce qu'il est.

Par cette response & par la suiuante, l'Enfant fait voir que la doctrine Euangelique nous a apporté vne plus grande lumiere; en ce qu'elle nous apprend ce que Dieu a fait pour nous, & ce qu'il nous est à present.

Le F.

Les liures de Moyse ne nous apprennent pas seulement, que Dieu [Page 24] est tout-Puissant & tout Iuste; Mais aussi qu'il est Pitoyable & Misericor­dieux, qu'il oste le forfait & l'iniquité, comme je viens de dire: Mais la do­ctrine Euangelique nous a apporté vne plus grande lumiere: Car elle nous fait voir, que la justice de Dieu a esté pleinement satisfaite, que Dieu a puny l'homme, qu'il a exigé de luy vne satisfaction entiere, & neant­moins qu'il a exercé sa misericorde enuers les pauures pecheurs.

Le P.

Comment cela peut-il auoir esté fait, veu que punir & pardonner sont choses contraires?

Le F.

Dieu a trouué en soy mesme par sa Sagesse infinie le moyen d'ac­corder ces contraires: Et de fait il les a accordez par des moyens admira­bles & incomprehensibles à nos sens: Mais il nous les a reuelez par la do­ctrine Euangelique. Car l'Euangile nous apprend que Dieu nous a tirez des abysmes d'ombre de mort par [Page 25] l'homme qu'il auoit ordonné aupa­uant les siecles; Sçauoir par Iesus Christ, lequel estant venu en chair au temps determiné par le Pere; s'est mis en nostre place, s'est chargé de nos pechez, s'est exposé volontaire­ment pour nous, s'est offert soy mes­me en sacrifice viuant sur la Croix pour faire l'expiation de nos pe­chez: Et Dieu le considerant comme nostre pleige & garand, l'a froissé, l'a mis en langueur, a déployé sur luy le coup effroyable de son ire, qui de­uoit tomber sur nous: Et à nous, il nous impute son obeïssance, le meri­te de son sacrifice; & pour l'amour de luy nous a pardonné nos pechez: Et c'est en cette maniere qu'il a accordé ces contraires, punissant les pecheurs en la personne de celuy qui s'est fait homme pour sauuer les hommes, toutesfois sans participer à leur cor­ruption; & nous imputant à nous le merite de son sacrifice par lequel il [Page 26] nous a acquis vne redemption eter­nelle; Et voila la lumiere que vous demandez & la satisfaction pour nos pechez.

Le P.

Comment se peut-il faire que nos pechez qui sont grands & en grand nombre ayent esté expiez par vn seul sacrifice, & la Iustice de Dieu satisfaite, veu que pour produire vn tel effet, Dieu en auoit ordonné plu­sieurs sous l'Ancien Testament, & commandé de le reïterer, Exod. 29. vers. 39. & 41.

De nostre grande Sacrificature, & de l'excellence de son sacrifice.

Le F.

CEla est tellement veritable que nous n'en deuons nul­lement douter, si nous ne voulons encourir le courroux de Dieu, & tomber derecher en son indignation. Et je m'en vais vous deduire le com­ment. Le grand Sacrificateur dont je vous parle est d'vne autre nature que [Page 27] ceux de l'ancienne Loy; d'autant qu'Aaron & ses successeurs estoient pris d'entre les hommes pour seruir au Tabernacle mondain; & leur re­presenter par leurs sacrifices charnels le sacrifice spirituel de nostre grand Sacrificateur: Et comme ils estoient pecheurs & mortels, ils estoient obli­gez d'offrir, premierement pour eux, & apres pour le peuple, & de reïterer leurs sacrifices; par ce qu'ils ne pou­uoient purifier la conscience de ceux pour lesquels ils estoient offerts: Car il est impossible que le sang des tau­reaux & des boucs oste les pechez. Mais cettuy-cy est le Saint des Saint, le Fils eternel de Dieu, seconde per­sonne de la sainte Trinité, nostre Sei­gneur Iesus Christ, le grand Sacrifi­cateur de la Nouuelle Alliance, qui est venu pour accomplir toutes les choses qui auoient esté predites de luy, & qui de fait les a accomplies par le sacrifice de soy mesme: Car [Page 28] apres auoir esté oinct du S. Esprit, qui luy fut enuoyé du Ciel en forme visi­ble d'vne Colombe, comme S. Mat­thieu nous l'apprend au chapitre se­cond de son Euangile vers. 16. il se pre­senta pour nous chargé de nos pe­chez, s'offrit en sacrifice viuant, & par le merité de son sacrifice, qui est d'vn prix & d'vne valeur infinie, à cau­se de l'excellence de sa personne, il a expié nos pechés, a fait propitiation pour les pecheurs suiuant la Prophe­tie de Daniel contenuë au chap. 3. de ses Reuelations vers. 24. a détruit le peché en sa chair, & a mis fin à tout ce qui estoit figuré par le Tabernacle ancien, à tous les lauemens externes, & à tous les Sacrifices, a amené la Iu­stice des siecles, nous a reconciliez auec Dieu, & nous a deliuré de la ty­rannie de tous nos ennemis: En telle sorte que nous n'auons plus besoin de Sacrificateur, ny de sacrifice, d'au­tant que par le merite du sien il nous [Page 29] a consacrez pour toûjours. Hebr. 10. vers. 14. & par sa Iustice nous fait sub­sister deuant la face de son Pere: Et de fait S. Paul parlant de ces choses en sa 2. aux Cor. chap. 5. vers. 21. dit, que Dieu a fait celuy qui n'a point connû peché, estre peché pour nous, afin que nous fussions Iustice de Dieu en luy, passage admirable & tres-ex­cellent, puis qu'il comprend tout le Mystere de nostre Redemption.

Le P.

Ie ne doute nullement de cet­te verité: Mais comme dans le chapi­tre de l'Exode que vous venez d'alle­guer, il n'est fait aucune mention de nostre Seigneur Iesus Christ, ny de son sacrifice, il faut de toute necessité qu'il y ait quelques passages qui nous apprennent deux choses. L'vne que Dieu l'a appellé à la Sacrificature, & qu'il a approuué son Ministere; Et l'autre que de sa part il a accepté vo­lontairement la charge de Sacrifica­teur, & que par son sacrifice il a satis­fait [Page 30] la justice de Dieu, & nous a re­conciliez auec luy: Car sans cela on pourroit impugner cette doctrine, & la mettre en doute: Et d'autant plus qu'Aaron & ses successeurs qui exer­çoiēt vne Sacrificature moins impor­tante, furent establis par le comman­dement de Dieu, Exode 28. obtinrent témoignage que leur Ministere luy estoit agreable; En ce que Dieu fit descendte le feu du Ciel sur leurs Sa­crifices pour les consumer, manife­stant sa gloire au peuple en leur pre­sence. Leuitiq. 9.

L'Enfant satisfait, montre premierement, com­ment & par qui Iesus Christ a estè appellé & estably Sacrificateur. Secondement qu'il a accepté volontairement la charge, qu'il s'en est dignement acquitté, & que par le sacri­ce de son corps, il a fait l'expiation de nos pechez.

Le F.

Si nostre Seigneur Iesus Christ n'est point nommé dans les liures de Moyse, il y est si bien designé, & son sacrifice aussi, qu'il est facile à le dis­cerner: [Page 31] quoy qu'il en soit il appert par plusieurs témoignages, que nostre Souuerain Sacrificateur ne s'est point ingeré. Celuy qui luy auoit dit au Pseau. 2. vers. 7. C'est toy qui es mon Fils je t'ay aujourd'huy engendré, l'a appellé à la Sacrificature, lors qu'il luy a dit au Pseau. 110. Le Seigneur a juré & ne s'en repentira point, Tu es Sacrificateur eternellement à la façon de Melchisedec; Et ainsi vous voyez que c'est le Pere qui l'a appellé & estably, pour exercer la Sacrifica­ture, non à la façon d'Aaron, parce que Aaron & ses successeurs estoient pris d'entre les fils de Leuy, & par consequent pecheurs & mortels obli­gez d'offrir premierement pour eux, & apres pour le peuple, comme je viens de dire: Mais à la façon de Mel­chisedec, la plus illustre figure de Iesus Christ qui ait esté mise en auant sous le premier Testament represen­té d'vne façon admirable & extraor­dinaire [Page 32] en qualité de Roy, & de Sa­crificateur, non seulement comme vn Roy ordinaire, mais extraordinai­re; Sçauoir, Roy de Iustice & Roy de paix, Grand Sacrificateur, sans pere, sans mere, sans genealogie, sans commencement de vie & sans fin de jours, & comme enuoyé de Dieu pour estre figure, & pour re­presenter l'Eternité, la Sainteté de nostre grand Sacrificateur, Iuste, Saint, Innocent, sans macule, separé des pecheurs, & qui par consequent n'auoit nul besoin d'offrir pour soy; ains seulement pour nous, pour faire nostre paix, & nous reünir auec Dieu; ce qui se rapporte fort bien à la Pro­phetie de Daniel contenuë au 26. vers. du chap. 9. cy-deuant allegué, que le Christ seroit retranché, non pour soy, donc pour nous qui croyons en luy. De sa part il a accepté & ac­comply la charge de Sacrificateur; Et de fait lors que le S. Esprit l'introduit [Page 33] venant au monde, il le fait parler en cette sorte à son Pere au Pseau. 40. rapporté & interpreté par S. Paul au chap. 10. de l'Epistre aux Hebreux vers. 5.6.7. & 8. Tu n'as point voulu sacrifice, ny offrande, ny holocauste pour le peché, & n'y as point pris plai­sir; Mais tu m'as approprié vn corps, Me voicy, je viens pour faire, ô Dieu, ta volonté. Or la volonté de Dieu estoit de sauuer les hommes pecheurs par vn homme sans peché: pour cét effet il falloit former cét homme d'v­ne façon extraordinaire. Car comme tous les descendans d'Adam par la voye ordinaire sont soüillez, à cau­se de la corruption generale qui a infecté toute la nature, ils ne pou­uoient estre employez à ce grand Oeuure: C'est pourquoy aussi Dieu à fait & formé cét Homme de la sub­stance d'vne Vierge par l'operation du S. Esprit suiuant la Parole adressée par le ministere de l'Ange à la Vierge [Page 34] Marie au chapistre premier de l'E­uangile selon S. Luc Vers. 35. Le saint Esprit, dit l'Ange à la sainte Vierge, suruiendra en toy, & la vertu du Sou­uerain t'enombrera, dont cela aussi qui naistra de toi, saint, sera appellé le Fils de Dieu. Le saint Esprit est donc interuenu; Mais d'vne façō spirituelle conuenable à sa nature Diuine, & a formé ce corps de la substance de la sainte Vierge, apres l'auoir purifiée & santifiée, Et dans ce corps Dieu a logé vne ame toute sainte qu'il a en­richie de tous les dons spirituels: De sorte que cét Homme celeste a esté fait le Temple de la Diuinité; Car le Fils eternel de Dieu, la Sagesse eter­nelle du Pere l'a vny à sa nature Diui­ne, sans aucune confusion de sub­stances; En telle sorte que Dieu est demeuré Dieu, & l'homme est de­meuré homme: Mais par cette vnion Dieu s'est fait homme, & l'homme est deuenu Dieu: Et de fait l'Apostre [Page 35] S. Paul au chap. premier de l'Epistre aux Colos. Vers. 19 dit, Que le bon plaisir du Pere a esté que toute pleni­tude habitast en luy, plenitude d'hu­manité, plenitude de Diuinité; com­me il s'en explique au chap. second de la mesme Epistre vers. 9. quand il dit, que toute plenitude de Duini té a habité en luy corporellement. Or cet homme saint a esté offert a Dieu par le S. Esprit, comme vne victime tres-sainte, & lui mesme s'est presenté volontairemēt pour nous, & en nostre nō cōme nostre frere aisné, pour faire l'expiation de nos pechez par le sacri­fice de son Corps, qu'il a offert à Dieu son Pere sur la Croix; Acause dequoy aussi il a esté dit au chap. 9 de l'Epistre aux Hebre. v. 14. Qu'il s'est offert soy mesme sans aucune tache par l'Esprit eternel. Et Dieu le considerant, non comme son Fils, saint & bien aymé, mais comme nostre pleige & garand, chargé de nos pechez, l'a froissé, l'a [Page 36] mis en langueur suiuant la Prophetie d'Esaye contenuë au 53 de ses Reuela­tions vers. 10 afin qu'apres auoir mis son ame en oblation pour le peché, il se vist vne grande posterité, vn grand nombre de r'achettez, cette belle as­semblée d'Esseus dont l'Eglise est composée, Et en ce combat penible & langoureux, la Diuinité n'a jamais abandonné l'humanité; Mais la toû­jours soûtenuë comme il l'auoit pro­mis au Pseau 110. vers. 5. Le Seigneur est à ta dextre il froissera tes ennemis au jour de sa colere; Et de fait il a rom­pu les liens de la mort, s'est redressé soy mesme, a surmonté & deffait le Diable, le peché & la mort, les a me­nez en triomphe, & c'est en cette ma­niere & par le sacrifice de son corps, qui est d'vn prix & d'vne valeur infinie comme j'ay dit qu'il a fait l'expiation de nos pechez, qu'il a pleinement satisfait la Iustice de Dieu, qu'il nous a deliurez tant de la malediction de [Page 37] la Loy, d'autāt qu'il l'a portée sur soy, suiuant le passage du 3. des Galates vers. 13. que de la tyrannie du Diable, du peché & de la mort, nous a ac quis vne Redemption eternelle, & nous a reconciliez auec Dieu; Car le bon plaisir du Pere á esté de reconcilier par luy toutes choses à soy, ayant fait la paix par le sang de la Croix d'iceluy Coloss. 1. vers. 19. & 20. Et Dieu a eu son obeïssāce & son sacrifice si agrea­bles, qu'il l'a souuerainement exalté, l'a couronné de gloire & d'honneur, l'a éleué sur son trône, l'a fait seoir à sa dextre és lieux Celestes pardessus toute Principauté & puissance, vertu & seigneurie, & pardessus tout nom qui se nomme, non seulement en ce siecle, mais aussi en celuy qui est à venir, a assujetty toutes choses sous ses pieds, luy a donné toute puissance au Ciel & en Terre, & l'a constitué ou donné pour estre Chef de l'Eglise Ephez. 1 vers. 20.21. & 22: Et pour l'a­mour [Page 38] de luy nous a pardonné nos transgressions, & nous communique ses graces, comme j'ay dit cy-deuant, & ainsi voyons-nous que le Pere a ordonné & estably son Fils bien-aimé auec serment pour estre le Sacrifica­teur de la nouuelle alliance, & que le Fils aimant & aimé, est interuenu volontairement entre Dieu & nous, qu'il s'est aneanty, qu'il a respādu son sang sur la Croix pour nous, qu'il nous a reconciliez à Dieu son Pere par le sang de la Croix, & nous a ouuert le Paradis: De sorte qu'au lieu que l'en­trée des lieux saints estoit interdite au peuple qui viuoit sous la Loy, & s'ils auoient veu quelque representation extraordinaire de la Majesté de Dieu ils en estoient effrayez & disoient, comme Manoach au 13. des Iuges vers. 22. Nous mourrons, car nous auons veu Dieu: Nous au contrai­re allons auec asseurance au trône de sa grace, afin de trouuer grace, [Page 39] obtenir misericorde, & pour estre aidez en temps opportun. Heb 4. v 16.

Le P.

Moyse n'auoit garde de nous parler de ces choses; parce qu'elles estoiēt couuertes & enuelopées sous les ombres & figures de la Loy: Mais quand nostre Seigneur est venu en chair, il les nous a reuelées & mani­festées par ses Predications, par ses Souffrances, par sa Resurrection, par son Ascension au Ciel, & par le mi­nistere de ses seruiteurs, ausquels il a pour cét effet donné l'esprit de Sa­pience & de reuelation: Et ainsi estant éclairé par ce mesme Esprit, j'auouë que Iesus Christ est nostre grand Sacrificateur, qu'il a esté legi­timement estably, qu'il s'est offert volontairement pour nous, que par son Sacrifice il a satisfait la Iustice de son Pere, & que par sa Resurrection suiuie de son Ascension au Ciel, il nous a asseurez de l'amour de son Pere, & nous a mis en main comme [Page 40] vne quittance generale de toutes nos dettes: De sorte que nous pouuons dire auec S. Paul, que comme la mort est paruenuë sur tous les hommes par la transgression d'Adam, semblable­ment aussi par l'obeïssance tres-par­faite de nostre Seigneur Iesus Christ, tous hommes sont viuifiez, 1. Corint. chap. 15. vers. 21. & 22.

Distinction faite par l'Enfant sur l'applica­tion du merite de la Mort & Passion de nostre Seigneur Iesus Christ.

Le F.

Il est vray que comme la Mort est par vn homme, aussi la Resurre­ction est par vn homme: Et que tout ainsi que tous hommes meurent en Adam, semblablement tous hom­mes sont viuifiez en Iesus Christ. Mais j'estime qu'il y a quelque distin­ction à faire sur cette totalité; veu qu'il est euident que tous hommes ne sont pas sauuez, & qu'il y en a vn nombre infiny qui demeurent dans l'infidelité, lesquels par consequent [Page 41] n'ont point de part au merite de la Mort & Passion de nostre Seigneur, & ont leur portion auec les Diables. Cette totalité donc doit estre enten­duë & rapportée à la totalité des Eleus, qui ont esté, qui sont & qui seront appellez de tout pays & de toute langue à la connoissance de nostre Seigneur Iesus Christ, qui luy obeïssent, & qui l'embrassent pour leur Sauueur: Car c'est de ceux là que l'Apostre parle en l'E­pistre aux Ephesiens chap. 2. vers. 5. & 6. quand il dit, que Dieu les a viui­fiez ensemble auec Christ, qu'il les a ressuscitez ensemble, & les a fait seoir ensemble és lieux celestes en Iesus Christ, & pour lesquels nostre Sei­gneur a fait cette belle & excellente priere enregistrée au 17. de S. Iean, en laquelle il proteste à son Pere, qu'il ne le prie point pour le monde, c'est à dire pour les infidelles, dont je viens de parler, pour les hommes du mon­de [Page 42] qui ne croyent point en luy: Mais pour ceux qu'il luy a donnez, ils estoient tiens luy dit-il au vers. 6. & tu me les a donnez, & aux versets 7. & 8. il leur rend ce tesmoignagne qu'ils l'ont connu, & qu'ils ont crû en luy, ils ont connu que tout ce que tu m'as donné est de toy, car je leur ay don­né les paroles que tu m'as données, & ils les ont receuës, & ont vrayement connu que je suis yssu de toy, & ont cru que tu m'as enuoyé, & au vers. 9. Il ajouste, je prie pour eux, je ne prie point pour le monde, lequel par consequent est exclus & priué de la vie qu'il nous a meritée.

Le P.

Ie l'entens ainsi. Passons ou­tre, & entretenons nous sur le sujet de la nouuelle Alliance dont vous auez parlé en vostre response prece­dente: Car sans doute, le sujet est ri­che & fructueux. Est ce l'Alliance que Dieu fit auec Noé apres le Delu­ge; car elle peut estre dite nouuelle [Page 43] ayant égard à celle qu'il auoit faite auec Adam dans le Paradis Terrestre, ou bien est-ce celle qu'il fit auec les Israëlites apres qu'il les eut tirez de la captiuité d'Egypte, qui peut encor estre dite nouuelle au prix de celle qu'il auoit faite auec Noé.

Le F.

Non, mon pere, ce n'est ny l'vne ny l'autre, c'est vne Alliance beaucoup plus excellente, d'autant qu'elle est purement spirituelle & nous communique les biens spiri­tuels: Au lieu que les precedentes ne regardoient que les choses tempo­relles; c'est pourquoy aussi elles n'e­stoient fondées que sur le sang des boeufs & des boucs: Mais celle-cy est fōdée sur le sang de l'Agneau de Dieu.

Le P.

Qu'elle-est donc cette Allian­ce, & quels sont les biens qu'elle nous promet?

Traitté de la nouuelle Alliance.

Le F.

L'Alliance dont je parle, est l'Alliance de Grace, que le [Page 44] S. Esprit auoit predite par la bouche des Saints Prophetes, & les biens qu'elle nous promet, sont des biens spirituels; Voicy comment les Pro­phetes en ont parlé. Les jours vien­nent, disoit Ieremie au nom de l'E­ternel, que je traitteray vne Alliance nouuelle auec la maison d'Israël, & auec la maison de Iuda, non pas selon l'Alliance que je traittay auec leurs peres au jour que je les pris par la main pour les faire sortir hors d'Egy­pte, laquelle ils ont enfrainte: Mais c'est icy l'Alliance que je traitteray auec la maison d'Israël; Apres ces jours-là, c'est à dire apres la manife­station du Messie je mettray ma Loy au dedans d'eux, & l'escriray en leur coeur, & ils me seront peuple, & je leur seray Dieu, vn chacun n'ensei­gnera plus son prochain, ny vn cha­cun son frere, disant, connoissez l'E­ternel: car ils me connoistront tous depuis le plus petit jusques au plus [Page 45] grand, d'autant que je pardonneray leurs pechez, & n'auray plus souue­nance de leurs iniquitez, Ieremie 31. vers. 31.32.33. & 34. & encore je sau­ueray mon troupeau, tellement qu'il ne sera plus en proye; je susciteray sur mes brebis vn Pasteur qui les pai­stra, assauoir mon seruiteur Dauid, il les paistra, & luy mesme sera leur Pa­steur; Mais moy l'Eternel je seray leur Dieu, & mon seruiteur Dauid sera Prince entre icelles, & traitteray auec elles vne Alliance de paix, mes­mes je les combleray de benedictiōs. Ezechiel 34. vers. 22.23.24.25. & 26. Et au chap. 36. Dieu s'adresse luy mes­me à ses brebis, & leur fait vne des­cription sommaire des biens qui sui­uront sa benediction, & qu'il vouloit leur communiquer en consequence de cete Alliance de paix. Ie vous reti­reray d'entre les nations, & vous r'as­sembleray de tout païs, leur dit-il aux versets 24.25.26. & 27. & respandray [Page 46] sur vous des eaux nettes & vous serez nettoyez. Ie vous netto yeray de tou­tes vos soüillures, & de tous vos dieux de fiente, & vous donneray vn coeur nouueau, & mettray dedans vous vn esprit nouueau, & j'osteray le coeur de pierre hors de vostre chair & vous donneray vn coeur de chair, & mettray mon esprit au dedans de vous, & feray que vous cheminerez en mes statuts, & que vous garderez mes Ordonnances, & les ferez: Voila, mon Pere, l'Alliance dont je parle, & les biens qui nous ont esté promis par icelle.

Le P.

Certes vous auez raison de di­re, que cette Alliance est plus noble, & plus excellente que les preceden­tes, puis que par icelle nous obte­nons les biens qui peuuent nous ren­dre eternellement heureux. Mais pourquoy dites-vous qu'elle est fon­dée sur le sang de nostre Seigneur Iesus Christ, & qu'il en est le Sacrifi­cateur? [Page 47] veu que les Prophetes qui l'ont predite, ne le proposent pas pour Pasteur & pour Prince, & ne font aucune mention de Sacrifice, ny de Sacrificateur.

Le F.

Combien que Ieremie ny Eze­chiel ne fassent aucune mention de sacrifice ny de Sacrificateur, si est-ce que l'vn & l'autre doiuent estre sous­entendus: d'autant qu'il s'agit du pardon des pechez, & qu'il ne se fait point de remission des pechez sans effusion de sang Hebreux 9. v. 22. Car comme Dieu est juste & saint, il ne pouuoit pardonner les pechez que sa Iustice n'eust esté premierement sa­tisfaite par les raisons que j'ay dedui­tes cy-deuant. Il falloit donc vne sa­tisfaction precedente, & par conse­quent vne victime. Vn Sacrificateur, Vn Moyenneur entre Dieu & les hommes pour reconcilier deux par­ties si contraires & eloignées d'vne distāce infinie par le peché de l'hom­me. [Page 48] Et d'autant que les hommes ny les Anges ne pouuoient combler cet abysme, à cause que tous hommes sont naturellement corrompus, & par consequent ennemis de Dieu, & que les Anges quelques puissans qu'ils soient ne pouuoient produire vne sa­tisfaction infinie, d'autant qu'ils ont esté créez aussi bien que nous: Iesus Christ le bien aimé du Pere, par lequel & pour lequel sōt toutes choses, & sur lequel s'est reposé l'esprit de l'Eternel, l'esprit de Sapience & d'intelligence, l'esprit de cōseil & de force, l'esprit de Science & de la crainte de Dieu, com­me Esaye nous l'apprend au chap. 11. de sa Prophetie, est interuenu pour nous. Et cela d'autant qu'il auoit esté ordonné du Pere pour estre le Media­teur de la nouuelle Alliance, le Sacri­ficateur des biens à venir Hebreux 9. vers. 11. & 15. Ce diuin Sacrificateur donc voyant que son ouurage auoit esté ruïné par l'artifice du Diable; & [Page 49] que tous lës hommes auoient esté precipitez dans vne ruïne etetnelle. Et d'ailleurs sçachant que la volonté de son Pere estoit de les restablir, est venu au monde pour accomplir cette volonté. I'ay pris plaisir, disoit il à son Pere, à faire ta volonté Pseaume 40. vers. 9. Et d'autant qu'il falloit mourir suiuant l'arrest irreuocable prononcé dans le Paradis Terrestre; Il s'adresse derechef à son Pere, Tu n'as point voulu sacrifice, ny offrande pour le peché, luy dit-il, mais tu m'as appro­prié vn corps: Me voicy, je viens, afin de faire, ô Dieu, ta volonté, Hebr. 10. vers. 5. & 8. Il a donc pris & vny nostre nature humaine à sa nature diuine, comme j'ay dit cy-deuant, afin de pouuoir mourir, s'est chargé de nos pechez sans en estre entaché, d'au­tant qu'il est le Saint des Saints, la Sainteté tres-sainte: & finalement s'est offert soy-mesme à Dieu pour nous sur la Croix en sacrifice viuant, [Page 50] Et par le merite de son sacrifice déja ordonné deuant la fondation du monde. 1. Epistre de S. Pierre chap. 1. vers. 19. & 20. a fait nostre paix, nous a lauez & nettoyez en son sang de tou­tes nos soüillures par l'operation du S. Esprit, figuré & representé par ces eaux nettes, dont Ezechiel a parlé, nous a rendus agreables à Dieu, & nous a merité les biens spirituels qui nous ont esté promis par cette diuine Alliance, & ainsi pouuons nous dire auec verité, qu'il en est le Mediateur, la Victime, & le Sacrificateur.

Le P.

Il est vray; Mais nous pouuons ajoûter qu'il en est aussi le Messager & le garand; le Messager, parce que c'est luy qui a parlé par la bouche des saints Prophetes qui nous l'ont de­noncé, & qui nous a annoncé la paix. L'esprit du Seigneur est sur moy, di­soit-il, au chap. 4. de S. Luc versets 18. & 19. d'autant qu'il m'a oint, il m'a enuoyé pour euangelizer, aux pau­ures, [Page 51] pour guerir ceux qui ont le coeur froissé, pour publier deliurance aux captifs, & aux aueugles le recouure­ment de la veuë: pour enuoyer à de­liure ceux qui sont foulez & publier l'an agreable du Seigneur; nous ap­prenant par ces paroles Euangeliques que c'est luy qui est le Roy de paix, qui est venu pour faire la paix entre Dieu & nous, & qui l'a faite en effet par le sacrifice de son corps qu'il luy a offert sur la Croix. Et le garand, pre­mierement parce que Dieu l'auoit ordonné de tout temps pour propi­tiation par la foy au sang d'iceluy, Rom. 3. vers. 24: Et secondement, parce qu'il nous a luy-mesme promis de nous donner la vie eternelle, qui est le but & la fin de cette Alliance là; Car la promesse du Pere, dit S. lean au chap. second de sa premiere vers. 15. est la vie eternelle; Et nostre Seigneur Iesus Christ nous asseure au chap. 6. de l'Euangile selon S. Iean [Page 52] vers. 40. que la volonté de son Pere est, que quiconque croit en luy ait la vie eternelle; Et partant ajoûte-t-il, sur la fin du mesme verset, le ressusci­teray-je au dernier jour. Or comme il est source de Vie & de Lumiere, le Tout-puissant & le Veritable, il ac­complira ce qu'il nous a promis, & dés-à present il nous forme & façon­ne à cette fin par la Predication de l'Euangile, par ses Sacremens qui sont comme les seaux & les arres de sa promesse, & par son S. Esprit, qu'il met au dedans de nous, afin qu'il esloigne du nostre, les doutes que l'ennemy de nostre salut tasche d'y fourrer, qu'il nous affermisse en l'a­mour de Dieu, & en l'asseurance que nous auons qu'il accomplira ce qu il nous a promis; Et ainsi pouuons-nous dire qu'il est luy-mesme le Fonde­ment, le Moyenneur, la Victime, le Sacrificateur, le Messager, & le Ga­rand de cette diuine Alliance; Et par­tant [Page 53] éjoüïssons nous en luy, & chan­tons luy cantiques de loüanges & d'a­ctions de graces. A toy donc qui nous as aymez, qui nous as lauez & rachetez par ton sang, & nous as fait Roys & Sacrificateurs à Dieu ton Pere; A toy, dis-je, qui as esté mort, & qui es viuant aux siecles des siecles soit honneur & gloire à perpetuïté.

Or mon fils il me refte vne difficul­té, sur laquelle je desire estre éclaircy. Sçauoir; Pourquoy est-ce que cette Alliance est dite nouuelle; Veu qu'el­le fut contractée dans le Paradis Ter­restre dés le moment qu'Adam eut peché, renouuellée auec Abraham quatre cens trente ans auparauant celle de Moyse, comme l'Apostre S. Paul nous l'apprend au chap. 3. de son Epistre aux Gal. vers. 17. Et que d'ail­leurs elle a produit son effet & sa ver­tu enuers les Peres qui l'ont embras­sée, qui ont regardé au sang de l'A­gneau occis dés la fondation du mon­de, [Page 54] Apoc. 13. vers. 6. Et de fait le S. Esprit leur rend ce tesmoignage au chap. 11. de l'Epistre aux Hebreux, Que par foy ils ont obtenu tesmoi­gnage d'auoir esté agreables à Dieu, & que combien qu'ils n'ayent veu l'entier accomplissement des pro­messes, ils les ont veuës de loin, creuës & saluées, & sont trespassez en la foy auec vn plain contentement d'esprit de l'asseurance de leur salut.

Le F.

Ie serois bien en peine de vous satisfaire; car je vois que le Prophete Ieremie la nomme nouuelle, & apres luy S. Paul, Vous estes venus, dit l'A­postre au 24. vers. du 12. chap. de l'E­pistre aux Hebreux, à Iesus Media­teur de la nouuelle Alliance, & au sang de l'aspersion prononçant cho­ses meilleures que celuy d'Abel, & au 20. vers. du chapitre 13. de la mesme Espistre, il la nomme eternelle; ce qui semble estre bien contraire: Veu qu'en l'Eternité il n'y peut auoir de [Page 55] nouueauté: Neantmoins comme c'est le S. Esprit qui a parlé par la bou­che de ces saints hommes, il faut te­nir l'vn & l'autre pour constant, & concilier à mon opinion ces passages en cette sorte: Que Dieu ayant de­terminé de toute eternité d'enuoyer son Fïls Iesus Christ, l'Agneau sans tâche & sans macule, pour estre pro­pitiation pour les Eleus: à cet esgard elle peut estre dite eternelle, & par consequent plus ancienne que celle de Moyse: Mais elle peut aussi estre dite nouuelle, ayant égard à la mani­festation de nostre Seigneur Iesus Christ en chair: Et de fait l'Apostre S. Pierre apres auoir dit aux versets 19. & 20. du chapitre 1. de sa premiere, que Iesus Christ est l'Agneau sans tâche & sans macule déja ordonné deuant la fondation du mōde, ajoûte sur la fin du 20. verset, mais manifesté és derniers temps pour vous: Car en effect elle n'a pas esté pleinement [Page 56] manifestée, qu'apres la venuë de no­stre Seigneur Iesus Christ, & lors qu'il l'a luy-mesme publiée par ses Predica­tions & par le ministere de ses saints Apostres apres son Ascension au Ciel: & ainsi j'estime qu'il n'y a point de danger de dire, que cette Alliance est eternelle & nouuelle: Eternelle ayant égard au decret de Dieu & aux auan­tages qu'elle a apporté aux anciens Peres, & nouuelle ayant égard à la publication d'icelle par nostre Sei­gneur Iesus Christ & fes Apostres.

Le P.

Ie le crois ainsi; toutesfois s'il est autrement, Dieu vueille nous le reueler par fon saint Esprit, nous don­ner la vraye intelligence de sa sainte Parole, & nous rendre accomplis en toute bonne oeuure, faisant en nous ce qui luy est agreable par Iesus Christ, Hebr. 13. ves. 21. Or mon fils puis qu'il a pleu à Dieu de traitter vne Alliance si auantageufe auec nous sans exiger autre chose de nous que [Page 57] l'obeïssance: obeyssons à sa sainte Pa­role, retenons ferme sa discipline, perseuerons constamment en la pro­fession de sa verité, tenons nous fer­mes à Iesus Christ, puis qu'il est no­stre tout, & prenez garde à ne vous pas éloigner, ou détourner de luy sous quelque pretexte que ce foit: car si apres auoir receu cette grace, vous veniez à vous laisser seduire, & à vous soustraire de luy, il n'y a point d'autre sacrifice pour le peché, mais vne at­tente terrible du jugement de Dieu & vne ferueur de feu qui doit deuo­rer ses aduersaires, Heb. chap. 10. vers. 26. & 27. Dieu par sa sainte grace qui a commencé cette bonne oeuure en nous, vueille la paracheuer, nous donner le don de perseuerance, nous affermir & nous deliurer du malin, j'espere qu'il le fera, car il est fidele, Thessal. 3. vers. 3.

Au surplus vous auez mis en auant en parlant de la creation, vne propo­sition [Page 58] à laquelle il est necessaire d'ap­porter quelque esclaircissement; car vous auez dit que nostre Seigneur Iesus Christ est la Parole eternelle de Dieu, par laquelle toutes choses ont esté creées; Et toutesfois Moyse qui nous a décrit la creation du mon­de ne s'en explique pas de la sorte, il dit seulement aux deux premiers ver­sets du premier chapitre de la Gene­se, que Dieu crea au commencement les Cieux & la Terre, que la terre estoit sans forme & vuide, que les te­nebres estoient sur le dessus de l'abys­me, & que le S. Esprit se mouuoit sur le dessus des eaux: Mais de la Pa­role eternelle de Dieu il n'en est fait aucune mention. Ie vois bien que Ieremie au 12. vers. du 10. chapitre de ses Reuelations dit, que Dieu a fait la terre par sa vertu, qu'il a agencé le monde par sa Sagesse, & qu'il a esten­du les Cieux par son intelligence; mais il ne parle point de Iesus Christ, [Page 59] Dites moy donc comment est-ce que vous l'entendez, & appuyez vostre dire de quelque passage de la Parole de Dieu?

Le F.

La Sagesse de Dieu dont Iere­mie parle, est la souueraine Sapience que Salomon introduit au huictiéme des Prouerbes, s'écriant qu'elle a esté engendrée deuant que les monta­gnes fussent assises, qu'elle estoit auec Dieu lors qu'il agençoit les Cieux, qu'il affermissoit les nuës, & qu'il mettoit son Ordonnance touchant la Mer, à ce que fes eaux n'outre passas­sent les bornes d'icelle, c'est Iesus Christ, la Parole, la Sapience eternel­le de Dieu, par lequel & pour lequel toutes chose ont esté creées; Et de fait S. Iean confirme cette verité; car au premier chapitre de son Euangile verset 1. 2. & 3. Il parle en cette sorte, Au commencement estoit la Parole, & la Parole estoit auec Dieu, & cette Parole estoit Dieu: toutes choses [Page 60] ont esté faites par icelle, & sans icelle rien de ce qui a esté fait, n'a esté fait: au verset 14. il ajoûte, que cette Parole a esté faite chair, & qu'elle a habité en­tre nous; Au 17. il nōme cette mesme Parole Iesus Christ, & au 34. il dit, que Iesus Christ est Fils de Dieu. A pres luy S. Paul au premier des Hebr. vers. 2. dit, que Dieu a parlé à nous en ce dernier temps par son Fils, que c'est par luy qu'il a fait les siecles: Au 3. verset, que c'est le Fils qui soûtient toutes choses; & au 10. verset il rap­porte à Iesus Christ ce qui est dit au Pseau 102. verset 26. Toy Seigneur as fondé la Terre, & les Cieux sont les oeuures de tes mains. Et voila com­ment la Parole par laquelle toutes choses ont esté faites, est Iesus Christ, le Fils eternel de Dieu, seconde per­sonne de la sainte Trinité, qui a pris nostre nature dans le ventre de la Vierge Marie par l'operation du S. Esprit, afin d'accomplir les promes­ses [Page 61] faites aux Peres, & à leur poste­rité.

Le P.

Apres ces tesmoignages il ne faut nullement douter que Iesus Christ ne soit la Parole, la Sapience eternelle de Dieu, par lequel & pour lequel toutes choses ont esté faites. Me pourriez vous montrer, commēt, en quel lieu, & en quel temps cette Parole a esté faite chair?

Du temps, du lieu, & de la maniere de la naissance de nostre Seigneur Iesus Christ.

Le F.

LA Parole eternelle de Dieu fut faite chair au temps du Roy Herode sous l'Empire d'Augu­ste: car ce fut sous le regne d'Hero­de que fut accomply la Prophetie du Patriarche Iacob contenuë au chap. 49. de la Genese vers. 10. Ce Saint per­sonnage declarant à ses enfans ce qui leur deuoit arriuer apres sa mort, predit aussi le temps de la venuë de [Page 62] nostre Seigneur Iesus Christ en chair. Le Sceptre, leur dit-il, ne se de partira point de Iuda, ne le Legislateur d'en­tre ses pieds jusqu'à ce que Silo vien­ne: Or par ce mot de Silo il enten­doit le Messie, qui est le Christ; car Silo & Messie sont vne mesme chose. Silo, à ce que j'ay appris, est vn mot Hebreu qui signifie pacifique, & Mes­sie en est vn autre, qui veut dire Oint; & sont tous deux fort propres pour signifier la personne de nostre Me­diateur. Iesus Christ donc nasquit sui­uant les Euangelistes, au temps du Roy Herode, que les Romains auoiēt estably, apres auoir subjugué la ludée à l'exclusion d'Hircanus qui estoit prisonnier entre les Parthes: Ie dis à l'exclusion d'Hircanus; parce qu'e­stant, comme il estoit, successeur des Maccabées, & par consequent de la Tribu de Iuda, il estoit legitime suc­cesseur de la Royauté. Herode au contraire estoit Iduméen; c'est pour­quoy [Page 63] aussi apprehendant d'estre de­possedé par Hircanus apres son retour de sa prison prit sa fille à femme; & par ce moyen appaisa Hircanus; Mais luy ne pouuant s'asseurer fit tuër son beau-pere, & en suitte fit mourir sa femme & les enfans issus de leur ma­riage. Ce qui donna sujet à Auguste de dire, qu'il aymeroit mieux estre le pourceau d'Herode que son fils: Fi­nalement il fit massacrer les septante Senateurs, qui composoient le Senat, ou Sanedrin, par l'auis desquels les affaires du Royaume estoient con­duites: de sorte qu'il disposa du Senat & de la Sacrificature à son plaisir, y establissant des Proselites estrangers; & ainsi fut le Sceptre transporté hors de la famille de Iuda, le Legislateur fut osté d'entre ses pieds, & la Prophetie de Iacob fut accomplie; puis que Iesus Christ nasquit au temps du Roy Herode suiuant les Euangelistes.

Quant au lieu de sa naissance, Mi­chée [Page 64] auoit predit au deuxiéme verset du sixiéme chapitre de sa Prophetie, qu'il naistroit en Bethleem; Et toy Bethléem, petite entre les milliers de Iuda, de toy me sortira le conducteur ou dominateur de mon peuple; & nul ne reuoque en doute que Iesus Christ ne soit né en Bethléem.

Pour ce qui est de la maniere, elle se rapporte precisement à ce qui en auoit esté escrit par les Prophetes: car Ieremie en auoit parlé en cette sorte au chap. 33. de sa Prophetie vers. 14. & 15. Voicy les jours viennent, dit le Prophete au nom de l'Eternel, que je mettray en effect la bonne Parole que j'ay prononcée: Or cette bonne Pa­role estoit la promesse de la semence de la femme faite à nostre premier Pere, qui deuoit briser la teste du ser­pent, & en laquelle seroient benites toutes les familles de la terre, renou­uellée à Abraham au chap. 22. de la Genese vers. 18. & ratifiée à Isaac chap. [Page 65] 26. vers. 4. Apres le mesme Prophete continuë son discours: En ce jour là, dit-il, je feray germer à Dauid la se­mence promise, le germe de Iustice qui exercera jugemēt & Iustice. Esaye au chap. 4. de sa Prophetie vers. 2. dit que ce germe de Iustice est le germe de l'Eternel, & au 14. verset du chap. 7. il parle plus expressement, Voicy, vne Vierge sera enceinte, & elle en­fantera vn fils, & on appellera son nom Emanuel, Dieu auec nous: Ce qui ne peut estre rapporté qu'à la Vierge Marie, qui estoit de la poste­rité de Dauid, de la semence d Abra­ham, & à Iesus Christ conceu du S. Esprit; & partant Dieu & homme: A raison dequoy aussi le mesme Pro­phete parlant de ses deux natures au cinquiéme verset du neuuiéme chap. dit, l'Enfant nous est né, le Fils nous a esté donné, l'empire a esté posé sur son espaule, & on appellera son nom, l'Admirable, le Conseiller, le Dieu [Page 66] fort & puissant, le Pere d'Eternité, le Prince de Paix; ce qui ne peut non plus conuenir à aucun autre qu'à nostre Iesus Christ vray Dieu & vray homme, venu au temps & en la ma­niere prescripte & designée par les Prophetes.

Le P.

Il est vray que ces Propheties ne peuuent estre rapportées qu'à Ie­sus Christ, & à la Vierge Marie; Et ainsi je tiens pour constant que Iesus Christ est la semence promise, le ger­me de l'Eternel, vray Dieu & vray homme, le Prince de Paix, le Pere d'eternité, le Dieu fort & puissant; dont Esaye auoit parlé. A present je voudrois entendre; Comment est-ce qu'il a brisé la teste du serpent, & de quel serpēt, si c'est de celuy là mesme qui seduisit Eve ou de quelque autre.

Le F.

Pour satisfaire à vostre deman­de, Ie suis obligé de vous dire encore en cet endroit, que ce fut le Diable qui seduisit Eve sous la forme du ser­pent; [Page 67] à raison dequoy aussi il est ap­pellé le grand dragon, le serpent an­cien au chap. 12. de l'Apoc. vers. 9. Et de fait lors que le Souuerain Iuge pro. nonça contre ces criminels, Il distin­gua le Diable d'auec le serpent: car au 14. vers. du 3 chap de la Genese, Il ordonna vne peine corporelle au Ser­pent; Tu seras maudit, luy dit-il, sur toutes les bestes des champs; Tu che­mineras sur ton ventre & mangeras la poudre tous les jours de ta vie; Et c'est ce que nous voyons; car il va sur son ventre & nous le considerons auec horreur comme l'instrument de no­stre ruïne. Mais à l'égard du Diable, il luy parla en cette sorte au verset sui­uant; Ie mettray inimitié entre toy & la femme, qui est l'Eglise, de laquel­le Eve estoit figure, entre ta semen­ce & la semence de la femme, c'est à sçauoir entre les meschans qui sont proprement la semence du Diable. Matth. 13. vers. 38. & 39. & Iesus [Page 68] Christ qui est la semence de la femme & ses rachetez. Icelle semence te bri­sera la teste & tu luy briseras le talon; De sorte que voila vne guerre decla­rée entre le Diable & les meschans d'vne part, Iesus Christ & son Eglise de l'autre, qui a continué depuis & continuera jusqu'à ce que celuy qui l'a declarée, la fasse cesser & sonne luy mesme la retraitte; car le Dia­ble & les meschans ont toûjours fait & feront la guerre à Iesus Christ & à ses Saints: Mais Iesus Christ les a brisez, vaincus & défaits, les a preci­pitez du Ciel en terre en attendant qu'il vienne les enfermer dans le puits de l'abysme suiuant sa promesse con­tenuë au chap. 20. de l'Apoc. vers. 10. & cependant il soûtient son Eglise par sa main puissante, l'asseure de la victoire en attendant qu'il l'a retire du combat, & qu'il l'intro duise en son Paradis pour la faire jouïr d'vn re­pos eternel; Et partant égayons nous [Page 69] & attendons en patience nostre deli­urance qui est certaine & asseurée.

Le P.

Comment est-ce que nostre Seigneur Iesus Christ a pû vaincre ses ennemis: Veu que les Euangelistes ne nous apprennent pas qu'il ait eu des armées, comme Iosué liberateur de l'ancien peuple; Et au contraire lors que S. Pierre voulut se seruir de l'espée, pour le defendre, il luy commanda de la remettre en son lieu auec menace. Matth. 26. vers. 51. & 52.

Le F.

Comme les ennemis du peu­ple des luifs estoient charnels, Il fal­loit que leurs liberateurs fussent char­nels, leurs armes & leurs combats correspondans à leur nature, & à la nature de leurs ennemis: Mais les en­nemis de nostre Seigneur Iesus Christ & les nostres, estans comme ils sont spirituels, il a fallu que nostre libera­teur fust Dieu & homme, ses armes donc & ses combats ont esté corres­pondans à sa nature, & à la nature de [Page 70] ses ennemis; sa Sainteté tres-parfaite, sa Parole puissante, ses Miracles di­uins & extraordinaires, ses Souffran­ces, sa Mort, sa Resurrection & son Ascension au Ciel, sont les armes par lesquelles il les a vaincus, surmontez & menez en triomphe.

Le P.

C'est vne chose difficile à com­prendre, que les ennemis de nostre Seigneur Iesus Christ ayent eu le pou­uoir de le faire cloüer sur vne Croix, de le faire mourir d'vne Mort maudite & ignominieuse, & que de cet anean­tissement il ait pû se redresser, les vaincre & les emmener en triomphe: Deduisez donc ces choses par ordre, afin qu'elles soient bien entenduës & bien comprises: Car elles sont grande­ment importantes.

De l'aneantissement de nostre Seigneur Iesus Christ, de sa Victoire, & de son Triomphe.

Le F.

I'Auouë que ces choses sont [Page 71] tres-importantes & difficiles à com­prendre au sens de la chair: Et toutes­fois ceux qui sont éclairez d'enhaut les comprennent facilement & les croyent fermement: Et d'autant plus que pour affermir nostre foy, le S. Esprit les auoit predites long-temps auparauant qu'elles soient arriuées; Car le Prophete Esaye parlant de l'a­neantissement de nostre Seigneur Iesus Christ au chap. 53. de ses Reue­lations, auoit dit qu'il est le mesprisé, le debouté d'entre les hommes, hom­me plein de douleurs, & sçachant ce que c'est que langueur, qu'il a esté mené à la tuërie comme vn agneau: Mais apres il ajouste, qu'il a esté en­leué de la force de l'angoisse, & de la condamnation; Finalement il s'écrie, Hé qui racontera sa durée? Car sa vie est enleuée de la terre, pour nous ap­prendre que Iesus Christ apres auoir souffert par les mains des iniques de­uoit ressusciter, estre enleué en gloi­re [Page 72] pour y viure & regner eternelle­ment. Et de fait le Prophete Roy par­lant de sa victoire & de son triomphe au Psea. 68. vers. 19. dit, tu es monté en haut, & as mené captiue grāde multi­tude de captifs, & as donné dons aux hommes. Or les Euangelistes & les Apostres nous apprennent que tou­tes ces choses ont esté accomplies en Iesus Christ, & par Iesus Christ; Saint Paul particulierement & fort expres­sement quand il dit au chapitre 2. de l'Epistre aux Philip. vers. 6. & sui­uans, que Iesus Christ estant en for­me de Dieu, égal à Dieu s'est anean­ty soy mesme, ayant pris forme de seruiteur fait à la semblance des hom­mes, s'est abaissé soy mesme, & a esté obeïssant jusqu'à la mort de la Croix, pour laquelle cause ajoûte l'Apostre, Dieu l'a souuerainement éleué & luy a donné vn nom, afin qu'au nom de Iesus tout genoüil se ploye, & que toute langue cōfesse que Iesus Christ [Page 73] est le Seigneur, à la gloire de Dieu son Pere: Au moyen dequoy nous ne deuons pas douter de sa Resurrection glorieuse, que Dieu ne l'ait couron­né de gloire & d'honneur, & qu'il ne l'ait constitué par dessus toute Princi­pauté & Puissance, pour estre adoré des Anges & des hommes, à la honte & confusion de ses ennemis. Mais parce qu'il falloit commencer ce grand oeuure par son aneantissement, comme il nous l'a appris luy-mesme au 24. de S. Luc vers. 16. quand il a dit, qu'il falloit que le Christ souf­frist ces choses, & que par ses souf­frances il entrast en sa gloire; il s'est aneanty en telle sorte, qu'il a voulu naistre dans vne estable, & estre cou­ché dans vne creche, pour nous fai­re connoistre qu'il estoit le mesprisé, le debouté d'entre les hommes, ce­luy dont le Prophete auoit parlé, & c'est là le premier acte de son anean­tissement: Mais en cet estat abject [Page 74] & contemptible, il a mis la terreur, l'effroy & l'espouuantement dans l'ef­prit d'vn Tyran qui vouloit le faire perir, pour nous apprendre qu'il est aussi le Dieu fort & puissant; Et c'est à mon opinion, le premier effet de sa force contre ses ennemis. Apres s'e­stant retiré pour vn temps en Egypte, afin d'accomplir la Prophetie d'Osée, comme S. Matth. nous l'apprend au chap. 2. de son Euangile vers. 15. à son retour. Il s'est assujetty volontaire­ment à vne vocation basse & penible jusqu'à l'âge de trente ans, pour nous apprendre qu'il se rendoit pauure afin de nous enrichir, qu'il s'abaissoit pour nous éleuer. Pendant cet inter­ualle, il a esté dans vne Meditation continuelle des souffrances qu'il de­uoit accomplir en Ierusalem, com­me le S. Esprit nous l'apprend au Pse. 88. car aux vers. 5. & 16. Il introduit nostre Seigneur parlant à son Pere en cette sorte; On m'a mis au rang de [Page 75] ceux qui descendent dans la fosse, Ie suis deuenu comme l'homme qui n'a point de vigueur, le suis affligé, & comme rendant l'esprit: dés ma jeu­nesse j'ay souffert tes effrois & ne sçais où j'en suis, qui ne fut pas vn petit combat dans son esprit: car de voir vne mort cruelle & ineuitable deuāt ses yeux, vne mort maudite & igno­minieuse, & demeurer ferme & con­stant, n'est pas vne petite espreuue: Neantmoins ayant surmonté tous les obstacles, que la fragilité humaine luy pouuoit suggerer, il se disposa d'aller en Ierusalem, afin d'accomplir l'oeuure de nostre redemption pour laquelle il auoit esté appellé. Dés qu'il se presente, & que par ses Predi­cations & par son exemple il con­damne le vice, reprend les vicieux & appelle les hommes à la repentance & à la reformation, le voila enuiron­né d'ennemis, assailly de tous costez: le Diable l'attaque en sa solitude au [Page 76] desert, déploye ses forces & toutes ses ruses, afin de le porter à la deffian­ce, à l'idolatrie, ou au desespoir: mais le Seigneur demeura ferme & luy re­sista en telle sorte qu'il demeura vi­ctorieux, & par sa Parole puissante & efficacieuse le contraignit de s'enfuïr & se departir de luy: Mais quelque temps apres cet esprit malin s'estant deguisé & faisant semblant de se vou­loir insinuer par la confession de son nom, afin de rendre sa doctrine sus­pecte; Nostre Seigneur reconnoissant sa malice, rejetta son tesmoignage, luy imposa silence, & le chassa des corps dont il s'estoit emparé. Luc 4. vers. 34.35. & 40. Les Pharisiens & Saduceens de leur part l'attaquerent plusieurs & diuerses fois s'efforçans de le surprendre, & de l'enlacer en paroles: Mais nostre Seigneur qui est la Sapience & la Sagesse eternelle du Pere les rendit confus & leur ferma la bouche; en telle sorte qu'ils n'oserent [Page 77] plus l'attaquer. Matth. 22. vers. 46. finalement le Diable faisant ses der­niers efforts corrompit Iudas, luy mit au coeur de le trahir, incita les luifs de le mettre à mort: Et dautant qu'il estoit venu pour abolir le peché en sa chair pour faire nostre paix, & nous reconcilier auec son Pere par le sacri­fice de son corps, & que pour ce teffet il falloit que la condamnation à mort prononcée contre nous fust execu­tée contre luy, comme j'ay dit cy-deuant, il abandonna son corps à ses ennemis, & comme vn agneau souffrit & endura patiemment tous les outrages qu'ils luy voulurent faire: combien qu'il fust en son pou­uoir de les renuerser par vne seule pa­role, comme il le leur auoit donné à connoistre peu de temps auparauant, Iean. 18. vers. 6. bref il a esté affligé dés sa jeunesse; En telle sorte que le saint Esprit l'a comparé à vne person­ne qui rend l'esprit, qui ne sçait plus [Page 78] où il en est à cause de son angoisse, Pseaume 88. D'ailleurs le Prophete Esaye auoit dit au 3. verset du chapi­tre 53. cy-deuant allegué, qu'il estoit plein de douleurs, & sçachāt que c'est que de langueur. Ces meschans donc apres l'auoir foüetté & tourmenté en diuerses sortes le cloüerent sur la Croix, & le reduisirent en l'estat & en la condition des morts; & c'est là le plus grand combat qu'il ait soû­tenu: car il falloit vaincre en mou­rant, & surmonter par son obeïssan­ce, non seulement le diable, le peché & la mort; mais Dieu mesme qui exi­geoit de luy vn payement exact de toutes nos debtes: & certes il a bien fallu que la meslée ait esté rude & violente, puis que la terre en a trem­blé, que les pierres se sont fonduës, que le Soleil en a esté comme effrayé, & qu'il a caché sa face pour ne pas voir ce triste spectacle, le Saint, le Iuste, le Roy de gloire, son Createur [Page 79] attaché sur vne Croix, & mis au rang des mal-faiteurs, que le voile du Tem­ple s'est fendu depuis le haut jusqu'au bas, que les sepulchres se sont ou­uerts, que nostre Sanson mesme a sué sang & eau, qu'il a esté si fort angois­sé, qu'il a auoüé que son ame estoit saisie de tristesse iusqu'à la mort; qu'il a fallu qu'vn Ange soit descendu du Ciel pour le fortifier, comme S. Luc nous l'apprend au chap. 22. de son Euangile vers. 43 & que finallement il a fait cette plainte lamentable à son Pere, mon Dieu, mon Dieu, pour­quoy m'as-tu abandonné? & cela d'autant que sa Diuinité se tenoit comme suspenduë sans luy commu­niquer ses consolations: Mais apres que ses ennemis eurent exercé toute leur rage contre luy, croyant l'auoir vaincu & alteré pour toûjours, & que par son obeïssance, & par le sacrifice de son corps, il eût pleinement satis­fait la justice de son Pere; apres, dis-je, [Page 80] auoir effacé nos pechez par son sang & accomply tout ce qui auoit esté fi­guré par le bouc Hazaël, par le ser­pent d'airain éleué au desert Nomb. 21. Et par toutes les autres figures de l'ancien Testament; Nostre Sanson re­prit ses forces, fit vn si grand effort qu'il n'en fut jamais de semblable au Ciel ny en terre: Car il rompit les liens de la mort; comme cela auoit esté predit au Pseau. 107. vers. 16. se redressa soy-mesme par sa puissance Diuine, reprit vne vie nouuelle tout à fait spirituelle; & par consequent plus noble & plus excellente que cel­le qu'il auoit abandonnée à ses enne­mis, enleua non les portes d'vne ville comme Sanson; mais toute la puis­sance des enfers, nous deliura de la main tyrannique de tous nos enne­mis, & apres les auoir dépoüillez de leur puissance les mena en triomphe, fut couronné de gloire & d'honneur, receut ce pouuoir de son Pere de nous [Page 81] mettre en pleine liberté, & de nous faire participants de tous les fruits de sa victoire; de sorte que nos ennemis n'ont plus de domination sur nous, & encore moins sur luy: d'autant qu'il a esté pleinement declaré Fils de Dieu en puissance par sa Resurre­ction d'entre les morts, Rom. 1. vers. 4. Et pour nous asseurer de sa victoire & de nostre deliurance spirituelle, il conuersa apres sa Resurrection qua­rante jours auec ses Disciples, par­lant des choses qui appartiennent au Royaume de Dieu. Actes 1. vers. 3. leur apprenant qu'il alloit au Ciel, non seulement pour soy, mais aussi pour eux & pour nous; & nous asseu­rant de son retour pour nous y intro­duire en corps & en ame. Iean 14. vers. 2. & 3. Et peu de jours apres son As­sension au Ciel, sçauoir le jour de la Pentecoste, il leur enuoya son S. Esprit, comme nous le voyons au deuxiéme chapitre des Actes, accom­plissant [Page 82] par cette effusion de sa grace cet ancien Oracle contenu au Pse. 68. rapporté par S. Paul au chap. 4. des Ephes. vers. 8. estant monté en haut il a mené captiue grande multitude de captifs & a donné dons aux hom­mes, verifiant la victoire pleine & en­tiere qu'il auoit obtenuë sur tous ses ennemis spirituels & corporels à la gloire du Pere, & pour la consolation de ses rachetez.

Le P.

Ie suis satisfait mon fils de vo­stre response, & rens graces à Dieu de tout mon coeur pour toutes les grandes merueilles qu'il a faites & accomplies par sa grande puissance & sagesse incomprehensible, & pour nostre salut, à la honte & confusion de ses ennemis & des nostres. Or apres ce petit témoignage de nostre reconnoissance, disons vn mot de cette figure ancienne; je veux dire du serpent d'airain; car pour ce qui est du bouc Hazael, c'est vne chose [Page 83] connuë & entenduë d'vn chacun, qu'il estoit figure de nostre Seigneur Iesus Christ; que tout ainsi que ce bouc emportoit les pechez de l'as­semblée au desert, où il estoit assom­mé ou deuoré par les bestes farou­ches, nostre Seigneur Iesus Christ s'est chargé de nos pechez, les a em­portez sur la Croix, comme S. Pierre nous l'apprend au chap. 2. de sa pre­miere vers. 24. à la quelle il a esté at­taché & percé par des hommes plus cruels que des bestes farouches, les a lauez & effacez en son sang; En telle sorte qu'ils ne seront plus trou­uez. Il semble donc que la figure du serpent d'airain fut instituée, non seulement pour l'effect qu'elle pro­duisit en ce temps là, mais pour quel­que autre sujet.

L'Enfant montre que le serpent d'airain estoit vne figure bien expresse de nostre Seigneur Ie­sus Christ, parle de sa vertu, & fait voir le rapport de la figure auec la verité.

Le F.

S'il vous plaist de la bien con­siderer, [Page 84] vous trouuerez qu'elle fut instituée par vne sagesse admirable, non seulement pour guerir les Israëli­res qui auoient esté mordus au desert par les serpens bruslans; Mais aussi pour nous amener à la connoissance de nous mesmes, & de nostre diuin Sauueur representé par cette figure; comme il nous l'a appris au 3. de S. Iean vers. 14. & 15. Tout ainsi, disoit il à Nicodeme, que le serpent d'airain fut éleué au desert, il faut que le Fils de l'homme soit éleué, afin que qui­conque croit en luy ne perisse point, mais ait vie eternelle. Comme ainsi soit donc que nous fussions naturel­lement meschans, ingrats, rebelles & desobeïssans, le peché qui est vn ve­nin mortel, vne peste tres-violente, dōt le Diable auoit infecté nos ames, nous eust fait mourir d'vne mort cruelle & eternelle. Mais Dieu qui est pitoyable & bon, esmeu de com­passion enuers sa pauure creature [Page 85] consola nostre premier pere & sa posterité, par la promesse de la se­mence de la femme qui deuoit bri­ser la teste du serpent & les guerir de ce venin mortel. Et d'autant que cette promesse estoit obscure, suffi­sante neantmoins à ceux qui la rece­uoient auec foy, Dieu ajoûtoit de temps en temps quelque type ou fi­gure pour esclaircir cette verité. Pour exemple celle du serpent d'airain, afin qu'en le regardant ceux qui estoient mordus des serpens bruslans fussent gueris: ce qui sembloit estre du tout impossible à la raison humai­ne; Neantmoins ceux qui ajoustoient foy à la promesse de Dieu qui éle­uoient leurs coeurs au Ciel & les yeux vers cette figure estoient gueris de ce venin mortel. A plus forte raison donc serons nous gueris & sauuez, si connoissans nostre maladie mortelle nous auons recours auec confiance à Iesus Christ éleué sur la Croix, chargé [Page 86] de nos pechez, portāt nos langueurs, affligé pour nous, & souffrant pour nous. Esaye 53. O mon Seigneur & mon Dieu qui as tant souffert pour nous, regarde nous du palais de ta gloire; car nous mettons toute nostre esperance en toy, comme en nostre seul & parfait Sauueur.

Le Pere confirme le dire de l'Esant, apres il luy demande si Iesus Christ est venu volontaire­ment, s'il a esté reconnu, & s'il s'est trouué quelqu'vn qui luy ait rendu tesmoignage.

Le P.

Il est vray que le serpent d'ai­rain estoit vne figure bien expresse de nostre Seigneur Iesus Christ & de nostre guerison spirituelle. Et je ne fais nulle doute & tiens cette verité pour constante, que si nous connois­sons nostre misere, si nous sommes déplaisans d'auoir offensé Dieu, si nous éleuons nostre coeur & nos yeux à Iesus Christ, mort pour nos pechez, ressuscité pour nostre justi­fication, intercedant pour nous, si [Page 87] nous mettons toute nostre esperance en luy comme en nostre seul & par­fait Sauueur, il nous donnera la vie eternelle suiuant sa promesse conte­nuë au dernier verset du chap. 3. de l'Euangile selon S. Iean: Et au con­traire si nous luy desobeïssons, nous ne verrons point la vie, & l'yre de Dieu demeurera sur nous, comme il l'a prononcé luy mesme sur la fin du mesme verset. Dieu par sa sainte gra­ce vueille nous déliurer de toute in­credulité & nous donner vne vraye foy, ouurante par repentance & par charité; afin que nous puissions par­uenir à la vie eternelle. Or mon fils il me semble que pour nous confir­mer d'autant plus en la foy, & en l'a­mour que nous portons à nostre Sei­gneur, il est necessaire de sçauoir s'il est venu volontairement, s'il a esté connu en son aneantissement, & s'il s'est trouué quelqu'vn qui luy ait rendu tesmoignage.

L'enfant montre que Iesus Christ est venu vo­lontairement, Qu'il a esté connû, que le l'ere, les Anges, les hommes, & les elemens luy ont rendu tesmoignage.

Le F.

Quant au premier poinct j'ay déja montré par deux passages, que Iesus Christ est venu volontairement, l'vn du Pseaume 40. par lequel le Pro­phete introduit Iesus Christ venant au monde & parlant à son Pere en cette sorte. Tu n'as point voulu d'ho­locauste, ny d'oblation pour le pe­ché, adonc j'ay dit, Me voicy venu, il est escrit de moy au rolle du liure; Mon Dieu j'ay pris plaisir à faire ta volonté; Et l'autre du chapitre se­cond de l'Epistre aux Philippiens où l'Apostre dit, qu'il s'est aneanty soy­mesme ayant pris forme de seruiteur fait à la semblance des hommes, qu'il s'est abaissé soy-mesme, & a esté obeïssant jusqu'à la mort, voire la mort de la Croix: d'où s'ensuit que nous ne pouuons reuoquer en doute, [Page 89] que Iesus Christ ne soit venu volon­tairement, & qu'il a pris plaisir de faire la volonté de son Pere, & de fait il l'a si bien accomplie, qu'il a preferé le salut de ses eleus à sa propre vie, & pour l'amour de nous a mesprisé la honte & l'ignominie, s'est exposé aux miseres de cette vie, aux injures, aux outrages, à la persecution des mes­chants; Et finalement à la mort mau­dite & ignominieuse de la Croix. Et lors que S. Pierre voulut le détourner, ne sçachant ce qu'il faisoit, il le re­poussa rudement l'appellant Satan, Matth. 16. vers. 22.23. parce qu'en effet c'estoit vn conseil de la chair: que si pendant ses angoisses il a prié son Pere de transporter cette coupe arriere de luy, il s'est resigné à sa vo­lonté: toutesfois que ma volonté ne soit point faite mais la tienne. Luc 22. vers. 42.

Pour ce qui est de l'autre point, plusieurs tesmoins me fournissent la [Page 90] response: les Anges luy rendirent tesmoignage apres sa naissance. Les Sages venus d'Orient pour l'adorer, Simeon & Anne la Prophetesse luy rendirent aussi tesmoignage lors qu'il fut porté au Temple pour estre circō ­cis. Mais S. Iean Baptiste son Ambas­sadeur plus expressement vn peu au­parauant son Baptesme: Voicy, dit-il, au chap. 1. de l'Euangile selon S. Iean vers. 29. montrant Iesus Christ au doigt, l'Agneau de Dieu qui oste les pechez du monde, rapportant à Iesus Christ l'Agneau qui fut immolé en Egypte par le commandement de Dieu; afin que par le sang d'iceluy les premiers nés des Israëlites fussent ga­rentis & deliurez de la main de l'An­ge qui destruisoit les premiers nés d'Egypte; Et nous apprenant par ces paroles Euangeliques, que Iesus Christ est le vray Agneau de Dieu qui oste les pechez du monde, par le sang duquel nous sommes deliurez [Page 91] de la main tyrannique du Pharao spi­rituel, qui est le Diable: le Pere luy rendit aussi tesmoignage du Palais de sa gloire lors qu'il fut baptisé, en­uoyant son saint Esprit qui reposa sur luy en forme visible d'vne Colombe, & encore lors de la Transfiguration. D'abondant la Mer, le Vent, & la Terre luy ont rendu tesmoignage; le Vent & la Mer en ce qu'ils luy ont obey lors qu'il leur a commandé de se tenir coys; & la Terre en ce qu'elle luy a rendu ses morts; Et en vn mot toutes les oeuures diuines & miracu­leuses qu'il a faites ont tesmoigné de luy; Et s'il vous plaist me le permet­tre, Ie vous deduiray par ordre les choses principales qu'il a faites & ac­complies à la gloire de Dieu, & pour nostre salut.

Le P.

Nous ne sçaurions mieux em­ployer le temps: mais deuant que passer outre, il m'a semblé que je de­uois vous auertir, que si en lisant ce [Page 92] Dialogue cette pensée vous vient en l'esprit, que nous n'auons pas suiuy l'ordre des choses; En ce que nous auons parlé de la mort de nostre Sei­gneur deuant que de parler de sa naissance, vous fassiez reflexion sur les doctrines, que nous auons trait­tées qui nous ont obligé d'en vser de la sorte: afin de montrer que par sa mort nous auons esté rachetez de la ruyne en laquelle nous sommes tom­bez par la transgression d'Adam; mais à present que les mesmes doctrines nous ramenent à son berceau, nous deuons suiure l'histoire de sa Conce­ption, de sa Naissance, de sa Mort, de sa Resurrection, & de son Ascension à la dextre de son Pere, comme elle nous est descrite par les saints Euan­gelistes, du moins les choses plus im­portantes, qui peuuent nous con­duire à nostre but. Commencez donc, mon fils, & voyons la naissance du monde nouueau & du grand Roy [Page 93] qui l'a renouuellé.

L'Enfant commence par quelques obseruations qui doiuent estre remarquées, auparauant entrer en la narration de l'histoire de la nais­sance de nostre Seigneur Iesus Christ.

Le F.

Tout ainsi que Moyse nous a descrit l'histoire de la naissance du monde & de l'homme ancien, les saints Euangelistes nous ont aussi dé­crit l'histoire de la naissance de Iesus Christ qui est le nouuel homme, & du nouueau monde qui est l'Eglise Chrestienne, prefigurée par Eve no­stre premiere mere; & nous font voir que comme celle-là fut tirée du costé d'Adam, celle-cy aussia esté tirée du costé de nostre Seigneur Iesus Christ son espoux & son Sauueur. Et comme il est important de bien connoistre celuy que nous deuons receuoir pour chef & Sauueur, ces hommes saints nous ont appris par la description qu'ils ont faite de la generation char­nelle & spirituelle de nostre Seigneur [Page 94] Iesus Christ, qu'il est vray Dieu & vray homme; homme pour mourir, & Dieu pour vaincre la mort & tous ses autres ennemis. Et d'autant que S. Luc a esté le plus exact, si je ne m'a­buse, à nous deduire l'histoire de sa Conception, de sa Naissance, de sa Vie, de sa Mort, de sa Resurrection & de son Ascension à la dextre de son Pere, je le prendray pour guide en la narration que je m'en vais faire; aux paroles duquel je m'attacheray, & lors que le tesmoignage des autres Euangelistes ou des Prophetes me sera necessaire, je les appelleray à mon secours.

Histoire de la Conception, Naissance, Vie, Mort, & Resurrection de nostre Seigneur Iesus Christ.

SAint Luc commence son Euan­gile par vne description de la Conception & de la Naissance mira­culeuse de S. Iean Baptiste predite [Page 95] par Malachie chap. 4. la Prophetie duquel est rapportée par S. Luc au 7. verset du premier chapitre de son Euangile, où il est dit que S. Iean Ba­ptiste ira deuant Iesus Christ en l'es­prit & vertu d'Elie, afin qu'il luy pre­pare vn peuple bien ordōné; & apres auoir ainsi parlé de l'Ambassadeur, il commence l'histoire du grand Roy en cette sorte.

Or au sixiéme mois dit l'Euangeli­ste au mesme chapitre, l'Ange Ga­briel fut enuoyé de Dieu en vne ville de Galilée, nommé Nazareth, vers vne Vierge nommée Marie, fiancée à vn homme qui estoit de la maison de Dauid, qui auoit nom Ioseph, à la­quelle apres l'auoir saluée, il annonça la Conception de nostre Seigneur Iesus Christ en cette sorte. Voicy, dit l'Ange à la Vierge aux 31. 32. & 33. ver­sets du chapitre premier de son Euan­gile, Tu conceuras en ton ventre & enfanteras vn Fils & appelleras son [Page 96] nom, Iesus, car il sauuera son peuple de ses pechez, ajoûte S. Matthieu au chap. 1. de son Euangile vers. 21. ice­luy sera grand & sera appellé Fils du Souuerain, & le Seigneur luy donne­ra le throsne de Dauid son Pere, il re­gnera sur la maison de Iacob eternel­lement, & n'y aura nulle fin en son regne; Et sur la difficulté que la Vier­ge Marie luy proposa, à cause qu'elle ne connoissoit, ou ne connoistroit point d'homme, l'Ange luy apprit vn Mystere auparauant inconnu. Le S. Esprit, luy dit-il au vers. 35. suruiendra en toy & la vertu du Souuerain t'en­ombrera; dont cela aussi qui naistra de toy Saint, sera appellé le Fils de Dieu: le tout afin que fust accomply ce dont auoit esté parlé par Esaye le Prophete; Voicy, vne Vierge sera en­ceinte & enfantera vn fils & appelle­ront son nom Emanuel, qui vaut au­tant à dire, que Dieu auec nous; Matth. 1. vers. 21.22. & 23. ô Diuin [Page 97] Sauueur appren nous à comprendre & à receuoir auec obeïssance de foy cette diuine merueille, ce grand se­cret de pieté, Dieu manifesté en chair, justifié en esprit, veu des An­ges, presché aux Gentils, creu au monde & enleué en gloire; puis que suiuant ta Parole, c'est le moyen d'e­stre bien-heureux: Car j'estime que ce qui fut dit par la mere de S. Iean Baptiste à la Vierge Marie, peut estre rapporté & adapté à tous les croyans; Bien-heureux sont ceux qui ont creu, car les promesses qui leur ont esté faites auront leur accomplissement, Luc 1. vers. 25.

Saint Luc continuant le fil de son histoire parle de la naissance de Iesus Christ en Bethléem suiuant la Pro­phetie de Michée: Et au septiéme verset du second chapitre de son Euangile il dit, que la Vierge Marie enfanta son Fils premier né, qu'elle l'emmaillota & le coucha dans vne [Page 98] creche à cause qu'il n'y auoit point de place pour eux en l'hostellerie; pour nous apprendre qu'il estoit le mesprisé entre les hommes. Mais pour releuer nostre esperance & éclairer nostre foy, il ajoûte aux ver­sets 10.11. & 12. que l'Ange de Dieu annonça sa naissance aux Bergers: Aujourd'huy, leur dit l'Ange, vous est né le Sauueur qui est Christ le Sei­gneur, & pour enseigne vous le trou­uerez dans vne creche enueloppé de bandelettes; Et au 13. verset qu'auec l'Ange il y eut vne multitude d'ar­mées celestes chantans & loüans Dieu; Au verset 14. il recite le Canti­que des Anges que je veux chanter aussi en cet endroit pour tesmoigner ma Communion aux eux. Gloire soit à Dieu és lieux tres-hauts, en terre paix enuers les hommes bonne vo­lonté, ou aux hommes de bonne vo­lonté ou de bon plaisir; Au 21. il dit que les huit jours pour circoncir l'en­fant [Page 99] estant accomplis, il fut nommé Iesus, comme l'Ange en auoit parlé auparauant sa conception; Au 22. & aux suiuans jusqu'au 25. il fait men­tion du voyage de la Vierge Marie en Ierusalem, pour le presenter à Dieu suiuant ce qui auoit esté escrit en la Loy, que tout masle ouurant la ma­trice seroit appellé faint au Seigneur, & pour offrir l'oblation sçauoir vne paire de tourterelles ou deux pigeon­neaux: Aux 28.29.30.31. & 32. il reci­re la reception que Simeon poussé & éclairé par le S. Esprit luy fit dans le Temple & le tesmoignage qu'il luy rendit, lequel composa cet excellent Cantique que l'Eglise chante sou­uent, & que je veux reciter en cet endroit, pour tesmoigner ma joye & faire voir ma Communion auec les fi­deles qui ont creu & croyent en Iesus Christ. Seigneur laisse maintenant aller ton seruiteur en paix, puis que mes yeux ont veu ton Salut, Salut [Page 100] que tu as preparé pour estre mis de­uant tous peuples, pour estre lumiere des Gentils, & la Gloire d'Israël. Saint Matthieu ajoûté au chap. 2. de son Euangile qu'il vint des Sages d'O­rient pour luy faire hommage, gui­dez & conduits par vne estoile que la Sagesse de Dieu auoit formée pour cet effet, & qu'apres l'auoir adoré ils luy presenterent des dons, sçauoir de l'Or, de l'Encens & de la Myrrhe, comme si la prouidence de Dieu les eust conduits pour apporter à Ioseph dequoy se subuenir pendant le voya­ge qu'il estoit obligé de faire en Egy­pte; afin que la Prophetie d'Osée fut accomplie chap. 11. vers. 1. Et au chap. 3. Saint Luc parle du Baptesme de Ie­sus Christ, & aux versets 21. & 22. il dit, qu'ayant esté baptizé & priant, le Ciel s'ouurit, & que le S. Esprit des­cendit sur luy en forme d'vne Colom­be, & qu'il y eut vne voix du Ciel, disant, Tu es mon Fils bien aymé, j'ay [Page 101] pris en toy mon bon plaisir: Ce qui fait voir fort clairement, que ce Fils né de Marie conceu du S. Esprit, dont la naissance auoit esté annoncée par les Anges, sur lequel l'Esprit estoit descendu, & auquel Simeon & Anne auoient rendu tesmoignage, est cet enfant admirable dont auoit esté par­lé par Esaye chap. 9. vers. 5. & encore ce rejetton qui deuoit sortir du tronc d'Esaye sur lequel l'Esprit de l'Eter­ternel deuoit reposer. Esaye 11. vers. 1. & 2. Et de fait S. Luc nous apprend que nostre Seigneur Iesus Christ en la premiere Predication qu'il fit en la ville de Nazareth s'appliqua la Pro­phetie d'Esaye contenuë au chap. 61. de ses Reuelations, l'Esprit du Sei­gneur est sur moy, d'autant qu'il m'a oinct, il m'a enuoyé pour euangeliser aux pauures, pour guerir ceux qui ont le coeur froissé, pour publier de­liurance aux captifs & aux aueugles le recouurement de la veuë, pour deli­urer [Page 102] ceux qui sont foulez, & publier l'an agreable du Seigneur, & qu'il dit à ses auditeurs: Aujourd'huy cette Escriture est accomplie vous l'oyans. Luc 4. vers. 18.19. & 21. Et lors que S. Iean Baptiste luy enuoya demander de la prison où il estoit detenu par Herode, s'il estoit celuy qui deuoit venir, ou s'il falloit en attendre vn autre, Il dit à ses Disciples, Allez & rapportez à Iean les choses que vous voyez & oyez. Les aueugles recou­urent la veuë, les boiteux cheminent, les lepreux sont nettoyez, les sourds oyent, les morts sont ressuscitez, l'E­uangile est annoncée aux pauures, & bien-heureux est celuy qui ne sera point scandalizé en moy. Matth. 11. vers. 2.3.4.5. & 6. Il ne leur dit pas absolument, comme à la Samaritaine qu'il estoit celuy qui deuoit venir; Mais il le leur donna à entendre par les miracles qu'il fit en leur presence. Pour moy je ne doute nullement que [Page 103] S. Iean ne fut à mesme temps persua­dé & resolu qu'il n'en falloit point at­tendre d'autre; & lors que je consi­dere que nostre Seigneur Iesus Christ a non seulement fait ces merueilles, mais qu'il a donné pouuoir à ses Dis­ciples de faire pareilles & semblables choses, qu'il a commandé aux vents, à la mer, aux poissons, à l'enfer & à la mort, & que toutes choses luy ont obeï: je crois de coeur & confesse de bouche auec tous les fideles, qu'il est la semence promise qui a brisé la teste du serpent en laquelle sont benites toutes les families de la terre, le germe de l'Eternel, le Dieu fort & puissant, le Pere d'eternité, le Prince de Paix, dont Esaye auoit parlé au chap. 9. de sa Prophetie vers. 5. Bref cet enfant admirable qui est la perfection du Ciel & de la Terre, duquel le Pere nous a dit, Cettuy-cy est mon Fils bien aymé auquel j'ay pris mon bon plaisir, Escoutez-le. Matt. 17. vers. 5.

Au surplus les Euangelistes con­uiennent de sa vie sainte, religieuse & innocente, & par le recit qu'ils ont fait des choses qu'il a faites & accom­plies de sa doctrine, de ses miracles, & de ses deliurances qu'il a données à tous ceux qui ont eu recours à sa bon­té; ils nous font connoistre sa Puis­sance diuine, sa Sagesse eternelle, sa debonnaireté & l'amour ardente qu'il nous porte; C'est pourquoy il me semble qu'il n'est pas necessaire de les reciter en cet endroit puis que chacun les peut voir dans les liures des saints Euangelistes. Ie viendray donc à ses souffrances, & montreray comment il s'est disposé à la mort, apres je parleray des choses qui luy sont arriuées pendant ses angoisses, & de ce qu'il a fait apres sa resurre­ction jusqu'au jour qu'il est monté en haut pour prendre sa place dans le Ciel au trône de sa gloire

Le Pere acquiesce à la proposition de l'Enfant, & pour l'instruire sur toutes les circonstances de la mort de nostre Seigneur, luy demande si ce n'est pas chose mal conuenable à la Iustice du Pere d'auoir liuré à la mort son Fils bien­aimé, Saint, Innocent & Iuste, pour des mi­serables pecheurs.

Le P.

Vous faites bien d'abreger en cet endroit l'histoire de la vie de nostre Seigneur Iesus Christ, puis que les saints Euangelistes l'ont recueil­lie & descrite auec tant de soin & de lumiere qu'il est impossible de plus. Ainsi en ont vsé ceux qui ont compo­sé le Symbole des Apostres; Car de la naissance de nostre Seigneur Iesus Christ ils sont venus à ses souffrances. Venons donc à sa mort, puis que nous y trouuons nostre vie: mais au­parauant vuidons quelques difficul­tez qui se presentent sur ce qu'au­cuns mettent en auant qu'il semble que c'est chose mal-seante & mal con­uenable à la justice du Pere, d'auoir liuré à la mort son Fils bien-aymé, [Page 106] Saint, Innocent & Iuste pour des mi­serables pecheurs; veu qu'entre les hommes il n'y a point de Iuge si in­juste, qui à son escient voulust faire souffrir à vn innocent la peine de mort qu'vn ou plusieurs meschans auroient meritée, qu'en dites vous?

L'Enfant respond qu'il n'y a rien de mal conue­nable en cette dispensation, & que par ce transport, Dieu a fait connoistre sa puissance diuine, sa Sagesse eternelle, & l'amour qu'il nous porte.

Le F.

Bien loin certes d'y auoir quelque chose de mal conuenable au transport que nostre bon Seigneur a fait de la peine que nous auions meritée à cause de nos pechez sur la personne de son Fils; qu'au contraire par cette dispensation il nous a mani­festé & fait connoistre sa Puissance, sa Sagesse, sa Iustice, sa Misericorde & l'amour qu'il nous porte: car il falloit de toute necessité, ou que les hom­mes demeurassent en la mort eternel­le [Page 107] ou que le Fils de Dieu l'a souffrit pour eux; Veu qu'il n'y auoit point d'autre moyen au Ciel ny en la Terre pour les deliurer. Le Pere donc par sa Sagesse admirable a transporté la pei­ne que nous auions meritée par nos rebellions, sur son bien aymé, & à nous, il nous impute son Obeïssance, le Merite de sa Mort & Passion. Le Fils de sa part s'est chargé de nos pe­chez, s'est offert volontairement à la mort pour nous, & par sa mort nous a déliurez de la mort; Et comme il est le Prince de Vie, il a rompu les liens de la mort, a repris sa Vie, nous a res­suscitez auec luy, & par sa puissance diuine nous renouuelle & sanctifie; & de meschans que nous estions, il nous rend justes & saints: De sorte que si dans vne ville il se trouuoit quelqu'vn qui eust le pouuoir de por­ter la peine d'autruy, de surmonter la mort, de se ressusciter soy-mesme, de changer & renouueller les autres [Page 108] & de méchans les rendre bons, justes & equitables; ce seroit vn acte de ju­stice de transporter la peine que les meschans auroient meritée sur celuy qui seroit doüé d'vne telle vertu; par­ce qu'il en reuiendroit vn grand bien au public & au particulier.

Le Pere fait vne autre demande à l'Enfant, sur ce qu'aucuns se disans Chrestiens mettent en auant, que Iesus Christ pouuoit nous rache­ter & satisfaire la Iustice de Dieu par vne seule gouttede son sang.

Le P.

Ce que vous dites est veritable, & j'auouë que nous auons grand sujet d'admirer & d'adorer la Puissance, la Sagesse & la Bonté de Dieu pour la grace qu'il nous a faite de transporter la peine que nous auions meritée, sur son bien-aymé; puis que par sa mort il a pû nous deliurer de la mort, & nous meriter la vie, & apres se ressus­sciter soy mesme, nous ressusciter auec luy, & de meschans que nous estions nous rendre saints, innocens [Page 109] & justes. A Dieu donc Pere, Fils & S. Esprit, soit honneur & gloire és sie­cles des siecles. Mais il y en a encore d'autres, autant ou plus extrauagants que ces premiers, lesquels faisant semblant d'exalter le merite de la Mort & Passion de nostre Seigneur Ie­sus Christ, soustiennent que par vne seule goutte de son sang, il pouuoit nous racheter & nous tirer de la ruïne en laquelle nous estions; Ce que je ne sçaurois croire, parce que si cela estoit, il sembleroit que Dieu seroit injuste d'auoir liuré son Fils à la mort cruelle, maudite & ignominieuse de la Croix; si sa justice eust pû estre sa­tisfaite par le sang qui sortit de son corps, lors qu'il fut circoncis, ou par les grumeaux de sang qui decoule­rent de son corps à terre, pendant qu'il estoit en Agonie au mont des Oliuiers. Luc 22. vers. 44.

L'Enfant refute cette proposition, & montre par diuers passages, qu'il estoit absolument neces­saire [Page 108] [...] [Page 109] [...] [Page 110] que Iesus Christ fust rompu sur la Croix, & son sang respandu.

Le F.

Comme nous deuons tenir pour bien fait tout ce que Dieu fait, Il me suffiroit d'employer & d'oppo­ser à ceux qui mettent en auant cette proposition, la reponse que nostre Seigneur Iesus Christ fit aux Sadu­céens qui vouloiēt mettre en doute la Doctrine de la Resurrection Matt. 22. Vous errez ne sçachās pas les Escritu­res, ny le droit de Dieu: neantmoins pour nostre satisfaction, & à leur con­uiction je prendray les choses à leur source. Les saintes Escritures nous apprennent, & j'en ay déja parlé cy-deuant, que Dieu donna sa Loy à nostre premier Pere dans le Paradis Terrestre, & qu'il luy deffendit de manger du fruict de l'Arbre de scien­ce de bien & de mal sur peine de mort; Car des le jour que tu en man­geras, luy dit-il au 17. vers. du 2. chap. de la Genese tu mourras de mort, Et [Page 111] que du depuis ayant donné sa Loy au peuple d'Israël par le ministere de Moyse, Il prononça vn second ar­rest de condamnation à mort contre les transgresseurs: Maudit est, dit-il, au 26. vers. du 27. chap du Deutero­nome, quiconque n'est permanent en toutes les choses qui sont escrites au liure de la Loy pour les faire. Com­me ainsi soit donc que nous soyons tous enfans d'Adam & transgresseurs dés le ventre, nous sommes naturelle­ment sous malediction & en la mort, tant à cause de la transgression de nostre premier Pere, qui nous est imputée, que pour les nostres pro­pres: Il falloit donc que cét arrest fust executé, & que nous demeuras­siōs en la mort, ou que quelqu'vn qui eust le pouuoir de la surmonter, l'a souffrist pour nous. Or comme nostre Seigneur Iesus Christ seul auoit pou­uoir de laisser sa vie, & de l'a repren­dre, comme il nous l'apprend luy [Page 112] mesme au 10. de S. Iean vers. 18. Il a fallu qu'il ait porté nostre maledi­ction, & qu'il ait souffert la mort que nous auions metitée, non seulement vne mort cōmune & ordinaire, mais vne mort maudite & ignominieuse. Et dautant qu'il n'y auoit point de mort maudite que celle de la Croix, Iesus Christ a voulu estre cloüé sur la Croix, & mourir sur la Croix pour porter nostre malediction. Car mau­dit est quiconque pend au bois: Galat. 3. vers. 13. Il a fallu, dis-je, qu'il ait esté rompu, & qu'il soit mort sur la Croix pour nous tirer de la mort, & nous meriter la Vie; & c'est ce que le S. Esprit auoit predit par le Prophete Esaye au 53. de ses Reuelations: Car au 5. vers. le Prophete dit, que le Christ sera navré pour nos forfaits & froissé pour nos iniquitez, & que par sa meurtrissure nous auons guerison: Et au 7. verset il ajoûte, qu'il a esté mené à la tuërie comme vn agneau, & au [Page 113] vers. 8. qu'il a esté retranché de la terre des viuās, & que la playe luy est auenuë pour les forfaits du peuple. Considerez donc, je vous prie la for­ce de ces paroles Prophetiques, qu'il a esté navré pour nos forfaits & frois­sé pour nos iniquitez, que par sa meurtrissure nous auons guerison, qu'il a esté mené à la tuërie comme vn agneau, qu'il a esté retranché de la terre des viuans, & que la playe luy est auenuë pour nos forfaits, & con­cluons auec le Prophete qu'il n'y auoit point de guerison pour nous, si Iesus Christ n'eust fait autre chose, que respandre quelques gouttes de son sang; & qu'il falloit qu'il fut rom­pu sur la Croix, que son sang fut en­tierement espandu, & que par ses souffrances il entrast en sa gloire. Ceux-là donc qui veulent que par vne seule goute de son sang, il ait accomply ce grand Mystere, sont dépourueus de sens & tardifs de [Page 114] coeur à croire aux choses qui ont esté predites. De ma part je rejette cette proposition comme extrauagante & contraire aux escrits des Prophetes, & à la Sagesse eternelle de Dieu qui a tout bien fait.

Le Pere acquiesce, semond l'Enfant de reprendre son discours, sur le sujet de la Mort & Passion de nostre Seigneur Iesus Christ.

Le P.

I'acquiesce tres-volontiers au dire du Prophete, & crois de coeur & confesse de bouche, qu'il falloit que Iesus Christ souffrist la mort pour nous, & non seulement vne mort commune & ordinaire, mais vne mort maudite; puis qu'il auoit pris sur soy nostre malediction: Et sans doute ceux qui sont tant soit peu ver­sez à la lecture de l'Ancien Testa­ment seront de nostre opinion: parce qu'ils sçauent que les victimes qui estoient offertes pour l'expiation des pechez estoient égorgées & leur sang épandu. Or comme ces sacrifices se [Page 115] rapportoient à Iesus Christ, & que la verité doit respondre aux figures, il a fallu que Iesus Christ ait esté rompu sur la Croix, & son sang répandu pour l'expiation de nos pechez, & sans cela il n'y eust point eu de redemption pour nous: & partant je rejette con­jointement auec tous les fidelles cet­te proposition bourruë, qu'vne seule goutte du sang de Iesus Christ suffi­soit pour nous racheter, comme con­traire à la justice de Dieu; & à sa Sa­gesse eternelle. Et comme il ne me reste aucune difficulté à proposer sur le sujet de cette mort, reprenons nostre discours, & voyons comme il s'y est disposé.

L'Ensant montre comment Iesus Christ s'èst disposé à la mort, fait voir que les Prophe­ties ont esté accomplies en luy: & de fait qu'elles luy ont esté rapporteés & adaptées parles Apostres & Euangelistes.

Le F.

Apres que nostre Seigneur Iesus Christ eut accomply sa charge [Page 116] de Prophete, & que par ses Predica­tions il eust declaré & enseigné aux hommes toute la volōté de son Pere, il se disposa pour aller en Ierusalem à la feste de Pasque afin d'accomplir sa charge de Sacrificateur & faire le sa­crifice tant desiré. Et comme il estoit pressé & enserré jusqu'à ce que ce grand oeuure eust esté parfait & ac­comply, Luc 12. vers. 40. il s'y en alla. Et d'autant, dit le mesme Euangeli­ste au chap. 22. vers. 2. & suiuans, que les principaux Sacrificateurs & les Scribes ne sçauoient comment ils pourroient le mettre à mort, parce qu'ils craignoient le peuple, Satan entra en Iudas, & Iudas les alla trou­uer, pour deliberer auec eux com­ment il le leur liureroit, lesquels en furent joyeux, & conuinrent auec luy de luy bailler argent; Moyen­nant quoy ce malheureux parricide cherchoit le temps propre pour le li­urer suiuant ce qui auoit esté predit [Page 117] au Pse. 41. vers. 10. & par Iesus Christ mesme au 13. chap. de S. Iean vers. 18. celuy qui mange le pain auec moy, a leué son talon contre moy. Apres donc que Iudas eust fait ce perni­cieux complot, & qu'il eust receu trente pieces d'argent il le liura à ses ennemis, qui le condamnerent à mort, ce que Iudas ayant appris, il fut saisi d'horreur & rongé par le ver qui ne meurt point, rapporta les trente pieces d'argent, les jetta dans le Temple, s'en alla & s'estrangla. Matt. 27.

Mais les Sacrificateurs faisans les scrupuleux, comme c'est la coustume des hypocrites, ne voulurent pas les mettre dans le tresor; par ce disoient-ils que c'estoit prix de sang; ains ils les employerent en l'achet du champ d'vn potier pour la sepulture des estrangers: Et par ce moyen dit S. Matth. au chap. 27. de son Euangile, la Prophetie de Zacharie fut accom­plie, [Page 118] ils ont pris trente pieces d'ar­gent de celuy qu'ils ont apprecié, & les ont baillées pour acheter le champ d'vn potier. Saint Luc au chap. 23. de son Euangile vers. 9. & 10. dit que nostre Seigneur Iesus Christ estant accusé deuant Herode auec grande vehemence par les principaux Sacrificateurs & les Scribes; & d'ail­leurs interrogé par diuers propos, ne voulut pas répondre; pour nous ap­prendre qu'il n'estoit pas là pour se justifier, mais pour souffrir suiuant ce qui auoit esté predit par Esaye cha. 53. vers. 7. Il est affligé, & n'a point ouuert sa bouche & a esté mené à la tuerie comme vn Agneau. Saint Mat. au 35. vers. du mesme chap. 27. dit, qu'apres qu'ils l'eurent crucifié, ils parta­gerent ses vestemens, & jetterent le sort sur son saye, afin que fust accom­ply ce qui auoit esté predit par le Pro­phete Roy au Pseaume 22. vers. 19. Saint Marc ajoûte au chap. 15. de son [Page 119] Euangile vers. 27. & 28. qu'il fut cru­cifié entre deux brigands, Et que la Prophetie d'Esaye fut accomplie & il a esté mis au rang des malfaiteurs, & encore au 36. vers. du mesme chap. que les gendarmes luy donnerent du vin-aigre, suiuant ce qui auoit esté predit au Pseau. 69. vers. 22. Saint Iean au chap. 19. de son Euangile vers. 34. dit, que l'vn des gendarmes luy per­ça le costé auec vne lance, & qu'il en sortit du sang & de l'eau; & aux ver­sets 36. & 37. Il ajoûte, que ces cho­ses sont auenuës, afin que ce qui auoit esté écrit de luy par le Prophe­te Zacharie chap. 12. vers. 10. fust ac­comply, ils verront celuy qu'ils ont percé; Et encore au vers. 38. & sui­uans, que Ioseph d'Arimathée & Ni­codeme embaumerent son corps, apres que Ioseph d'Arimathée l'eut demandé à Pilate, & qu'ils le mirent en vn sepulcre neuf, Suiuant ce qui auoit esté predit par Esaye chap. 53. [Page 120] vers. 9. & on auoit ordonné son sepul­cre auec les meschās, mais il a esté mis auec le riche en sa mort, car il n'a­uoit point cōmis d'outrage; pour noꝰ apprendre que Iesus Christ est non seulement la fin & l'accomplissement des figures anciennes; mais aussi des Propheties, suiuant ce qui auoit esté predit par Daniel chap. 9. vers. 24. il y a septante semaines determinées sur ton peuple & sur ta sainte ville, disoit l'Ange à Daniel, pour mettre fin à la desloyauté, consumer ou de­struire le peché, & faire propitiation pour l'iniquité, & amener la Iustice des siecles, & pour clorre la vision & la Prophetie & oindre le Saint des Saints.

Les Euangelistes conuiennent aussi de sa Resurrection. Saint Luc au der­nier chapitre de son Euangile vers. 46. dit, qu'il falloit que le Christ souffrist, & qu'il ressuscitast des morts au troi­siéme jour, & qu'on preschast en son [Page 121] nom repentance & remission des pechez par toutes nations: Et S. Paul en sa premiere aux Cor. cha. 15. vers. 4. qu'il est ressuscité selon les Escritures, c'est à dire au troisiéme jour; & c'est en ce point là que la figure de Ionas fut accomplie: Car tout ainsi que Ionas fut trois jours dans le ventre de la baleine, Iesus Christ fut trois jours dans le sepulcre, & au troisiéme jour il ressuscita, comme il l'auoit predit au 12. de S. Matth. vers. 4. Saint Marc ajoûte qu'il donna mandement à ses Disciples de prescher l'Euāgile, Allez vous en par tout le monde, preschez l'Euangile à toute creature auec cet­te promesse, qui aura crû & aura esté baptizé sera sauué chap. 16. vers. 15. & 16. Et derechef S. Luc au dernier chap. vers. 50. & 51. qu'il mena ses Disciples en Bethanie, & qu'en priant & les benissant il fut éleué au Ciel; & com­me ils auoient les yeux fichez vers le Ciel, ajouste le mesme auteur au pre­mier [Page 122] chapitre des Actes vers. 10. & 11. deux hommes vestus de blanc se pre­senterent deuant eux qui leur dirent hōmes Galiléens, comme s'ils eussent dit hōmes grossiers, pourquoy vous arrestez-vous regardans vers le Ciel. Ce Iesus qui a esté éleué d'auec vous au Ciel, viendra ainsi que vous l'auez contemplé en allant. O nostre diuin Sauueur qui es maintenant en ta gloi­re, communique nous ta diuine lu­miere, dissipe les tenebres d'erreur & d'ignorance, dont nos entendemens sont enueloppez; appren nous à comprendre le Mystere de ton incar­nation, de tes souffrances, de ta Re­surrectiō, & de ton eleuation, embra­se nos coeurs d'vn saint amour, & d'v­ne sainte reconnoissance; fay nous la grace de marcher en ta presence en foy, en charité auec humilité.

Le Pere confirme l' Enfant, l'asseure de la grace de Dieu pourueu qu'il perseuere; Et en suite luy demande pourquoy il ajoûte le mot de Christ à celuy de Iesus, veu que les Euan­gelistes [Page 123] ne nous apprennent pas que l' Ange luy ait ordonné d'autre nom que celuy de Iesus.

Le P.

Ainsi soit-il, mon fils, il le fe­ra sans doute pourueu que vous per­seueriez en la foy & en charité auec humilité: car il est trop bon pour y manquer. Ce n'est pas en vain qu'il nous appelle à soy. Matt. 11. vers. 18. Il est monté au Ciel non seulement pour soy, mais aussi pour nous, com­me nous auons dit cy-deuant, & nous le verrons descendre comme il est monté pour nous receuoir à soy, & nous introduire en la place qu'il nous y a preparée, cependant il nous conduit par sa Parole & par son S. Esprit. Or voudrois-je entendre de vous; Pourquoy est-ce que vous ajoû­tez le nom de Christ à celuy de Iesus, lors que vous parlez de nostre Sei­gneur; veu que les Euangelistes ne nous apprennent pas, que l'Ange luy ait ordonné ce nom là, ains seule­ment celuy de Iesus, qui signifie Sau­ueur.

L'Enfant respond que le mesme Ange l'auoit aussi nommé Christ long-temps auparauant, à cause de ses charges de Prophete, de Roy, & de Sacrificateur, & montre la significa­tion du mot de Christ.

Le F.

Le nom de Christ ne vient pas de mon inuention ny de l'inuention d'aucun homme; le mesme Ange qui luy a ordonné le nom de Iesus, luy auoit donné le nom de Christ long temps auparauant, Daniel chap. 9. vers. 25. & 26. Et cela auec grande raison, parce que comme Christ veut dire Oinct, ce nom de Christ de­signe ses charges de Roy, de Prophete & de Sacrificateur. Et tout ainsi que les Roys, les Prophetes & les Sacrifi­cateurs estoiēt Oincts, ces trois char­ges estans, cōme elles sont en nostre Seigneur, il a deu estre Oinct, non pas d'vne huile materielle, comme eux, mais du saint Esprit, comme cela auoit esté predit par le Prophete Esaye chap. 61. verset premier, l'Esprit du Seigneur eternel est sur moy pour­tant [Page 125] m'a oinct l'Eternel pour euan­geliser aux debonnaires: & de fait lors qu'il fut baptisé, le saint Esprit descendit sur luy en forme visible d'vne Colombe & en mesme temps il commença d'exercer sa charge de Prophete, en telle sorte qu'il nous a enseigné toute la volonté de son Pe­re: & quand je dirois qu'il l'a exercée dés le commencement du monde, je ne croirois pas faillir: puis que saint Pierre nous apprend en sa seconde chap. premier vers. 21. que c'est luy qui a inspiré les saints hommes qui ont parlé, & qui a de tout temps instruit & enseigné ses seruiteurs en diuerses manieres.

Pour ce qui est de la Sacrificature, il est Sacrificateur eternel à la façon de Melchisedec, comme je l'ay montré cy deuant, & partant a-t-il exercé cette charge, non seulement lors qu'il s'est offert sur la Croix, mais auparauant que le monde fust; aussi [Page 126] est-il l'Agneau sans macule, immolé ou occis deuant la fondation du monde, Apoc. 13. vers. 6. Car Dieu estoit en Christ reconciliant le mon­de à soy, en ne leur imputant point leurs pechez, 2. Corint. chap. 5. vers. 19. & à present il intercede pour ceux qu'il a rachetez par le merite de son Sacrifice toûjours frais & viuant, leur obtient la remission, ou le pardon de leurs pechez, ensemble les dons & les graces du S. Esprit, accomplissant par ce moyen le second acte de son Sacerdoce, qui est d'interceder pour les pecheurs, & leur rendre Dieu propice & fauorable.

Quant à sa Royauté il l'a toûjours exercée & l'exercera jusqu'à ce qu'il ait surmonté tous ses ennemis & les nostres; car alors il la remettra à Dieu son Pere. Tant y a qu'il est le chef des armées de l'Eternel, Iosué 5. vers. 14. le Roy dont le S. Esprit a parlé par la bouche de Dauid au [Page 127] Pseau. 24. vers. 7.8.9. & 10. Bref c'est l'Eternel des armées, c'est le Roy de gloire.

Le Pere acquiesce, & en suitte demande à l'Enfant, si la venué de nostre Seigneur peut & doit estre attributée à la preuision de quel­ques oeuures faites ou à faire.

Le P.

I'auouë que c'est auec grande raison & tres sagement que le nom de Christ a esté conjoint à celuy de Iesus; puis que nostre Seigneur est ce grand Prophete dont Moyse auoit parlé au 18. du Deuteronome vers. 18. le grand Roy & le grand Sacrificateur de l'Eglise, dont Dauid a parlé au Pseau. 2. & 24. que vous venez d'alle­guer, & encore au 110. Reste mainte­nant de sçauoir si sa venuë en chair peut & doit estre attribuée en tout, ou en partie à quelques bonnes oeu­ures, que nous eussions faites, ou que nous deussions faire, par la pre­uision, desquelles Dieu a este com­me obligé d'enuoyer son Fils pour [Page 128] nous, & le Fils de venir pour accōplir la volonté du Pere; car plusieurs sont dans ce sentiment, qu'en croyez­vous?

L'Enfant fait voir que l'homme estoit entiere­ment dénué de toute justice, & que la venuë de nostre Seigneur Iesus Christ doit estre at­tribuée à la seule grace du Pere, & à la charitè du Fils.

Le F.

I'estime qu'il est facile de vui­der la difficulté, & de faire voir que ceux qui sont dans ce sentimēt s'éloi­gnent grandement de la verité. Nous auons montré que l'homme s'estant reuolté contre Dieu, le Diable s'est emparé de luy, s'est logé dans son coeur, en telle sorte que dés sa nais­sance il est dans la corruption, escla­ue des enfers, ennemy de Dieu en son entendement & en mauuaises oeu­ures, & par consequent en la mort eternelle. Examinons sa conduite, & voyons s'il s'est humilié, s'il s'est mis en deuoir de reparer sa faute pour rentrer en la bonne grace de son [Page 125] Createur. Apres donc qu'Adam se fut reuolté contre Dieu, Dieu vint à luy pour l'amener à la reconnoissance de sa faute: Mais au lieu de s'humilier deuant sa Majesté, de luy demander pardon, & la grace de mieux viure à l'auenir, bouffy d'arrogance, il s'ef­força de luy persuader qu'il estoit au­teur de sa rebellion. La femme, luy dit il, que tu m'as donnée en est cau­se, comme s'il eust dit, si tu ne m'eus­se donné la femme ce malheur ne me fust pas arriué; & ainsi c'est toy qui es l'autheur de ma ruïne; crime hor­rible & detestable, & toutesfois commun à tous les descendans d'A­dam: C'est pourquoy aussi l'Escriture sainte dit, que le coeur de l'homme est desesperement malin. Or comme vn arbre pourry ne peut produire bon fruict, ny vne source gastée & corrompuë pousser vne eau claire & nette; Adam n'a peu engendrer qu'vn homme semblable à luy, c'est à sça­uoir [Page 126] Caïn, lequel tua son frere Abel, & ses descendans qui attirerent le de­luge vniuersel par leurs meschans actes, & ceux que Dieu garentit des eaux du deluge par le moyen de l'Ar­che ne furent gueres meilleurs. Noé s'enyura, Caïn son fils se moqua de luy & descouurit sa vergongne, & à cause de cela fut maudit par son pere, les descendans de Sem & de Iaphet s'abandonnerent à toute sorte de dis­solutions & d'idolatries. Et combien que Dieu eust tiré Abraham, qui estoit de la race de Sem, de cette cor­ruption generale, & qu'il eust traitté alliāce auec luy & auec sa posterité; si est ce qu'elle s'est portée à toute sorte de dissolutions & d'idolatries. Et fi­nalement à vne rage si desesperée, qu'elle a condamné & crucifié le Fils de Dieu, & l'a mis au rang des iniques; combien qu'il soit le Saint des Saints, la Sainteté tres-sainte, & qu'il fust venu pour les sauuer. Et nous qui [Page 127] sommes des descendans de Iaphet, & qui auons esté attirez auec douceur aux Tabernacles de Sem, suiuant la Prophetie de Noé, Genes. 9. vers. 27. luy rendons nous la reconnoissance, l'honneur & l'obeïssance que nous luy deuons. Pour moy je sçais bien que je suis tout a fait esloigné de cet­te pureté; Carle peché est enraciné en moy, & j'interpelle la conscien­ce de tout homme raisonnable, afin qu'il me die s'il a fuy le mal defen­du, & pourchassé le bien com­mandé de tout son pouuoir, s'il n'a jamais eu aucune mauuaise pensée, s'il a aymé Dieu de tout son coeur, & son prochain comme soy mesme; qui sont les deux poincts, esquels se reduisent la Loy & les Prophetes. Mais je n'estime pas qu'il y ait hom­me si déreglé, qui vueille estre si in­juste de s'attribuer vne telle justice qui n'appartient qu'à Iesus Christ seul: Veu que ses pensées, ses paroles [Page 126] [...] [Page 127] [...] [Page 126] [...] [Page 127] [...] [Page 128] & ses actions luy rendent vn tesmoi­gnage contraire: Et les plus saints hommes qui nous ont precedé, ont reconnu ingenuément leur misere par le ressentiment de leurs pechez auec cris & larmes. Si donc il ne se trouue aucun homme, qui fasse bien, non pas vn seul, comme le S. Esprit nous l'apprend au Pseaume 14. il faut conclure & tenir pour constant que tous hommes sont naturellemēt sous malediction & en la mort; Car mau­dit est quiconque n'est permanent en toutes les choses qui sont escrites au liure de la Loy pour les faire. Gal. chap. 3. vers. 10.

L'homme estant donc tel; Com­ment peut-il auoir obligé Dieu à vser de gratuité enuers luy? Certes la se­conde faute d'Adam estoit aussi gran­de que la premiere, il n'auoit pas crû à la Parole de Dieu, qui luy auoit def­fendu de manger du fruict de l'arbre de Science de bien & de mal, & qui [Page 129] luy auoit dit dés le jour que tu en mangeras, tu mourras de mort: Au contraire auoit donné lieu à la men­terie & à la seduction du Diable son ennemy: Et lors que Dieu vient à luy pour luy faire reconnoistre sa faute, Il s'en prend à luy, l'accuse d'estre au­teur de son peché. Et comme nous sommes tous enfans d'Adam, nous suiuons les traces de nostre pere, nous imitons sa rebellion, les vns d'vne fa­çon & les autres d'vne autre; & en quelque maniere que ce soit, nous sommes tous naturellement sous ma­lediction & en la mort; & par conse­quent la proye des Demons, esclaues de l'enfer: Et neantmoins, ô homme miserable, tu oseras te persuader que tu merite quelque chose enuers Dieu, & que la preuision de tes pre­tenduës bonnes oeuures a obligé le Pere d'enuoyer son Fils, & le Fils de venir & de souffrir pour toy. Escoute la Parole de Dieu qui t'apprend d'v­ne [Page 130] part que nous estions insensez, re­belles, abusez, seruans à diuerses conuoitises & voluptez, viuans en malice & enuie, dignes d'estre haïs & haïssans l'vn l'autre, Tite 3. vers. 3. Et de l'autre, que Dieu a tant aymé le monde qu'il a donné son Fils, afin que quiconque croit en luy ne pe­risse point, mais qu'il ait vie eternel­le, Iean 3. vers. 16. & reconnois que c'est l'amour du Pere & la charité du Fils qui sont la seule cause de ton sa­lut, & non tes oeuures. Car c'est Dieu qui nous a aymez; non point, dit S. Iean en sa premiere chap. 4. vers. 9. & 10. que nous l'eussions aymé; mais il nous a aymez & a enuoyé son Fils pour estre propitiation pour nos pe­chez: Et ainsi voyons nous, que si nous aymons Dieu, c'est parce qu'il nous a premierement aymez, comme le mesme Apostre nous l'apprend au 14. vers. du mesme chap. 4. Et de vray comment l'eussions nous aymé, nous [Page 131] qui estiōs insensez & rebelles seruans à diuerses conuoitises & voluptez? vi­uans en malice & enuie, dignes d'e­stre haïs & haïssans l'vn l'autre, com­me S. Paul nous l'a appris au chap. 3. de son Epistre à Tite. Mais quand la benignité & l'amour de Dieu nostre Sauueur est clairement apparuë, ajoû­te le mesme Apostre aux versets 4.5. 6. & 7. il nous a sauuez non point par oeuures de Iustice que nous eussions faites; mais selon sa misericorde, par le lauement de la regeneration & par le renouuellement du S. Esprit, lequel il a espandu abondamment en nous par Iesus Christ nostre Sauueur, afin qu'estans justifiez par la grace d'ice­luy, nous soyons heritiers selon l'es­perance de la vie eternelle.

Quant à moy je me tiens ferme sur cette verité qu'il n'y a rien à l'homme qui puisse se rendre recommandable enuers Dieu: que Dieu estant com­me il est pitoyable & misericordieux, [Page 132] nous a regardé en ses compassions eternelles, a donné son Fils afin qu'il nous retirast de la misere en laquelle nous estions, que le Fils charitable & bon a voulu s'abaisser & descendre du Ciel en terre pour prendre nostre nature, & en cette nature porter nos langueurs, souffrir la peine que nous auions meritée, mourir d'vne mort maudite & ignominieuse, & cela pour nous deliurer de la mort eternelle, & nous meriter la vie; & ainsi il n'y a rien du nostre, le tout est de Dieu, qui nous auoit predestinez pour nous adopter à soy par Iesus Christ, Ephes. 1. vers. 5. & qui en l'accōplissement des temps nous a engendrez de son pro­pre vouloir par la Parole de verité. Jaq. 1. vers. 18. & par la vertu effica­cieuse du S. Esprit, lequel il a espandu abondamment en nous suiuant le passage du 3. chap. de l'Epistre à Tite que je viens d'alleguer.

Le Pere confirme la response, demande à l'En­fant [Page 133] qu'est-ce qu'il croit du saint Esprit?

Le P.

Ceux donques qui se persuadēt que par leurs pretenduës bonnes oeu­ures ils ont pû meriter l'enuoy de no­stre Seigneur, se deçoiuēt eux mémes, & Sacrileges qu'ils sont s'efforcent de rauir à Dieu la gloire qui luy est deuë pour la grace qu'il leur a faite. Prenez donc garde mon fils, à ne vous pas laisser seduire par quelque homme que ce soit, & demeurez ferme en cette doctrine, que nostre salut vient de Dieu, nullement de nous, ny par le merite d'aucune creature, comme vous venez de le montrer: & c'est cela mesme que S. Paul nous apprend encores au chap. 2. de son Epistre aux Ephes. quand il dit aux versets 4. 5. & 6. que Dieu qui est riche en miseri­corde par sa grande charité de la­quelle il nous a aymé du temps mes­me que nous estions morts en nos fautes, obseruez ces paroles Euange­liques, Au temps mesmes que nous [Page 134] estions morts en nos fautes, nous a viuifiez ensemble auec Christ par la grace duquel nous sommez sauuez, qu'il nous a ressuscitez, & nous a fait seoir ensemble auec luy és lieux ce­lestes: Et aux versets 8. & 9. que nous sommes sauuez par grace par la foy, & cela non point de nous, c'est le don de Dieu, non point par oeuures afin que nul ne se glorifie: c'est donc l'a­mour du Pere, & la charité du Fils, qui sont cause de nostre salut, & non au­cun merite qui fust en nous: Et de vray qu'est-ce que nos entendemens enuelopez de tenebres, corrompus & alienez de Dieu eussent pû pro­duire? Certes nous estions rebelles, insensez, & l'incensé dit en son coeur qu'il n'y a point de Dieu, Pseau. 14. Bien loin donc de luy rendre ce qui luy est deu, & de l'obliger à nous fai­re du bien; puis que nous abusons malicieusement du peu de raison qui nous est restée apres nostre cheute, [Page 135] & que nous l'employons à luy faire la guerre, & combatre, en tant qu'en nous est, sa Prouidence. Et partant reconnoissons nostre misere, rendons graces à Dieu, de ce qu'au temps que nous estions ses ennemis morts en nos fautes & pechez, il nous a vi­uifiez & nous a amenez à la connois­sance de son Fils Iesus Christ; & prions-le qu'il nous donne l'esprit de Sapience & de reuelation, qu'il illu­mine nos entendemens afin que nous cōnoissions l'excellence de cet­te grace, & la grandeur de sa puissan. ce enuers nous qui croyons, Ephes. 1. vers. 17.18. & 19. Or mon fils puis que le S. Apostre nous a conduits, com­me par la main, à cette personne di­uine, entretenons nous sur le sujet d'icelle, car jusqu'à present nous n'en auons parle que comme par occa­sion, & faites moy entendre ce que vous croyez du S. Esprit.

Du S. Esprit, & de ses operations.

Le F.

IE crois que le S. Esprit est la puissance & efficace de Dieu procedant de toute eternité du Pere & du Fils, & par consequent la troisié­me personne de la sainte Trinité, qui est comparée par les Prophetes, & par Iesus Christ mesme au ch. 7. de l'Euan­gile selon S. Iean vers. 38. à des fleuues d'eau viue; parce que cōme l'eau est le principe de la generatiō naturelle, le S. Esprit est le principe de la gene­ration spirituelle, c'est à dire de la re­generation. Ce n'est pas qu'il ne con­tribuë, & qu'il ne communique la vertu productiue à la terre; car sans luy elle fust demeurée sterile & in­frustueuse, & c'est ce que Moyse nous apprend au chap. 1. de la Genes. car apres auoir dit que Dieu crea les Cieux & la Terre, que la terre estoit sans forme & vuide, & que les tene­bres estoient sur le dessus des eaux, il [Page 137] ajoûte sur la fin du 2. vers. que l'Esprit de Dieu se mouuoit sur les eaux, com­me pour les eschauffer, & faire esclor­re cette matiere confuse, & sans for­me, & en tirer tant de belles, & ex­cellentes creatures que nous voyons & touchons. Mais comme la produ­ctiō des vertus spirituelles est plus no­ble, la Parole Dieu le designe le plus souuent par ses fonctions spirituelles. Et de fait Esaye le nomme au chap. 11. de ses Reuelations vers. 2. Esprit de sapience & d'intelligence, Esprit de conseil & de force, Esprit de science & de crainte de Dieu; Et S. Paul au chap. 8. de l'Epistre aux Rom. vers. 2. le nomme Esprit de vie; pour nous apprendre que comme il est le prin­cipe de vie & d'immortalité, il forme en nous vn estre nouueau, vne vie spirituelle par la foy au sang de la Croix de nostre Seigneur Iesus Christ, & qu'il nous enrichit des vertus spiri­tuelles. Bref c'est l'Esprit dont le Pro­phete [Page 138] Ezechiel auoit parlé au chap. 36. de ses Reuelatious vers. 24. & 27. par la vertu duquel Dieu a tiré nos Peres & nous d'entre les nations, du plus profond abysme de l'idolatie, de la Babylon des erreurs & des vices, pour en composer l'Eglise Chrestien­ne, la Ierusalem celeste: C'est ce di­uin conducteur dont nostre Seigneur Iesus Christ parle au chap. 16. de l'E­uangile selon S. Iean vers. 13. quand il dit parlant à ses Disciples; Mais quand cettuy-là sera venu, sçauoir l'Esprit de verité, il vous conduira en toute verité. Et de fait l'Apostre S. Paul nous apprend en la seconde aux Thessal. chap. 3. vers. 5. que c'est luy qui adresse, qui conduit nos coeurs à l'amour de Dieu, & à l'attente de Christ.

Le P.

Il est vray que le saint Esprit est la troisiéme personne de la sainte Trinité, qui procede du Pere & du Fils: C'est pourquoy aussi la Parole [Page 139] de Dieu le nomme par excellence le saint Esprit, l'Esprit de Dieu, l'Esprit de Christ, & luy attribuë la condui­te de l'Eglise en general, & de cha­que fidelle en particulier, la produ­ction de toutes les vertus chrestien­nes. Quand le Consolateur sera venu, disoit nostre Souuerain Docteur à ses Disciples aux chap. 15. & 16. de l'Euan­gile selon saint Iean vers. 26. & 13. sça­uoir l'esprit de Verité qui procede de mon Pere, lequel ie vous enuoyeray de par mon Pere, il vous conduira en toute verité; car il ne parlera point de par soy-mesme; mais il dira tout ce qu'il aura oüy, & vous annoncera les choses à venir; Et apres luy S. Paul en son Epistre aux Rom. chap. 8. par­lant aux fidelles, leur dit au verset 8. que ceux qui sont en la chair ne peu­uent plaire à Dieu, & apres il ajoûte aux vers. 9. 11. & 14. or n'estes-vous point en la chair, mais en l'esprit, voi­re si l'Esprit de Dieu habite en vous; [Page 140] mais si quelqu'vn n'a point l Esprit de Christ, cettuy-là n'est point à luy: mais si l'Esprit de celuy qui a res­suscité Iesus des morts habite en vous; celuy qui a ressuscité Christ des morts viuifiera vos corps mortels, à cause de son Esprit habitāt en vous; car tous ceux qui sont conduits par l'Esprit de Dieu sont enfans de Dieu: Et ainsi voyons-nous premierement que le saint Esprit est vne personne diuine qui procede du Pere & du Fils de toute eternité, & c'est cela mesme à mon opinion que S. Iean nous veut insinuër par ce fleuue mysterieux dont il parle au 22. de l'Apoc. vers. 1. procedant du Trône de Dieu & de l'Agneau. Secondement, que com­me il est l'Esprit de Dieu, l'Esprit de Christ, le Pere & le Fils l'enuoyent, le mettent en nos coeurs, le Pere im­mediatement de par soy-mesme sui­uant la Prophetie d'Ezechiel chap. 36. vers. 26. & 27. & le Fils de par son [Page 141] Pere suiuant le passage du 15. de saint Iean cy-dessus rapporté, faisant de­couler sur nous cette onction spiri­tuelle; tout ainsi que l'onction qui estoit mise sur la teste d'Aaron de­couloit, non seulement sur sa barbe & sur ses vestemens, mais aussi sur les autres parties de son corps. Tierce­ment, que cette onction estant com­me elle est l'Esprit de verité, nous conduit en toute verité suiuant cet autre passage du 16. du mesme Euan­gile aussi rapporté; car il engraue l'E­uangile en nos coeurs, forme la foy en nous, empesche par consequent que l'ennemy de nostre salut ne le rauisse, & nous conduit aux voyes de Dieu: Mais il me semble que j'en­tens les Iuifs impugner l'explication que vous faites de la Prophetie d'E­zechiel à l'auentage de l'Eglise Chre­stienne, d'autant diront-ils que le Prophete parloit aux enfans d'Israël, qui estoient captifs en Babilone, & [Page 142] non à des peuples étrangers, & éloi­gnez de la connoissance de Dieu.

L'Enfant soûtient son application, fait voir par l'accomplissement des Propheties qu'el­le doit subsister.

Le F.

Pour juger de mon applica­tion, il faut examiner la Prophetie d'Ezechiel, la joindre auec celle de Ieremie, d'autant qu'ils ont tous deux prophetisé sur vn mesme sujet auec tant de conformité, & vn tel rapport, qu'il semble qu'ils eussent conferé ensemble auparauant rediger leurs Propheties par escrit. Et toutesfois Ezechiel estoit en Babylone, où il auoit esté transporté par Nebucad­netzar, & Ieremie auoit esté laissé en Iudée, Ezechiel donc prophe­tisoit en Babylone en cette sorte. Comme le Pasteur, disoit-il, au nom de l'Eternel se trouuant parmy son troupeau recherche ses brebis espar­ses; ainsi rechercheray-je mes bre­bis, & les déliureray de tous les lieux [Page 143] ausquels elles auront esté dispersées, & les retireray d'entre les peuples, & les r'assembleray hors du pays, & les r'ameneray en leur terre, chap. 34. vers. 12. & 13. Et peu apres, je sauue­ray mon troupeau, tellement qu'il ne sera plus en proye, & discerneray entre brebis & brebis. Ie susciteray sur icelles vn Pasteur qui les paistra à sçauoir mon seruiteur Dauid, il les paistra, & luy-mesme sera leur Pa­steur: Mais moy l'Eternel seray leur Dieu, & mon seruiteur Dauid sera Prince entre icelles, & traitteray auec elles vne alliance de paix. Et au chap. 36. il s'adresse à ses brebis, & leur fait entendre les auantages que cette alliance de paix leur apporte­roit, qui sont en substance, qu'il les retirera du Paganisme, qu'il leur pardonnera leurs rebellions, & qu'il leur donnera son S. Esprit pour les conduire en ses voyes. Ie mettray mon Esprit au dedans de vous, leur [Page 144] dit-il au vers. 27. & feray que vous cheminerez en mes statuts, & que vous garderez mes Ordonnances, & les ferez. Et Ieremie prophetisant en Iudée, disoit aussi au nom de l'Eter­nel au chap. 30. de ses Reuelations vers. 8. & 9. Ie briseray le joug de des­sus ton col & rompray tes liens; telle­ment que les estrangers ne t'asserui­ront plus, ains ils seruiront à l'Eter­nel leur Dieu, & à Dauid leur Roy que je leur susciteray: Et au chap. 31. vers. 8. Voicy je m'en vais les faire venir du païs d'Aquilon, & les rassembleray du fin fond de la terre; Et entre iceux seront l'aueugle & le boiteux, la fem­me enceinte & celle qui enfante, grāde congregation retournera icy & je metttay ma Loy au dedans d'eux, & l'escriray en leur coeur, & leur seray Dieu, Et ils me seront peuple vers. 33. Or est-il facile de juger que ces Pro­pheties auoient vn double sens; my­stique, & litteral: Le sens litteral re­gardoit [Page 145] la deliurance temporelle des Iuifs de la captiuité de Babylone, & leur retour en Iudée pour y rebastir la ville de Ierusalem & le Temple, sui­uant la Prophetie de Daniel conte­nuë au chap. 9. vers. 25. qu'on s'en retourne, & qu'on rebastisse Ierusa­lem: Et de fait ils furent renuoyez en Iudée par le Roy Cyrus, & ils rebasti­rent la ville & le Temple. Quant au sens mystique, il ne leur conuient nullement: mais il conuiēt fort bien à ces pauures aueugles & boiteux dōt mention est faite au 8. vers. du chap. 31. de Ieremie, que Dieu a fait venir d'Aquilon, qu'il a rassemblez d'O­rient, & d'Occident par la Predica­tion de l'Euangile; sur lesquels il a estably pour Pasteur & pour Roy son Dauid spirituel qui les conduit & amene en son Royaume celeste par sa Parole & par son S. Esprit; suiuant sa promesse contenuë au chap. 10. de l'Euangile selon S. Iean vers. 16. I'ay [Page 146] encore d'autres brebis, disoit-il aux luifs, qui ne sont point de cette berge­rie, il me les faut aussi amener, & elles orront ma voix, & il y aura vn seul troupeau & vn seul berger; Et c'est cela mesme, si je ne m'abuse, qu'il noꝰ a voulu insinuer par la Parabole con­tenuë au chap. 14. de S. Luc, en la­quelle il nous propose vn Pere de fa­mille, que S. Matthieu qualifie Roy au chap. 22. de son Euangile verset premier, qui fit vn grand souper & y conuia beaucoup de gens, lesquels ayans esté appellez, pour l'heure s'ex­cuserent sur diuers pretextes: de sor­te que le Pere de famille justement irrité à cause de ce mespris, protesta que nul de ces conuiez ne gousteroit de son souper, & commanda à ses seruiteurs d'aller par les places & par les ruës de la ville, & d'amener les pauures, impotens, aueugles & boi­teux, afin d'occuper les places qui auoient esté destinées pour les con­uiez. [Page 147] Car par cette Parabole, il nous descouure le secret admirable de la vocation des Gentils, & la rejection des Iuifs: par les premiers conuiez, il nous represente les Iuifs; & par ces pauures aueugles & boiteux, les Gen­tils. En faueur desquels il auoit dit au 4. chap. du mesme Euangile versets 18. & 19. que Dieu l'a Oinct & en­uoyé pour euangelizer aux pauures pour guerir ceux qui ont le coeur froissé, pour publier deliurance aux captifs, & aux aueugles le recouure­ment de la veuë; de sorte que ces Pa­roles Euangliques nous apprennent, que de cette grande congregation de pauures, d'aueugles, & de boiteux, que Dieu a retirez de la Babylone, des erreurs & des vices, il en a com­posé l'Eglise Chrestienne, la Ierusa­lem d'enhaut, qu'il a fondée, non sur la montagne de Sion, comme le Da­uid charnel; Mais sur son Fils bien-aimé, qui est le rocher des siecles, son [Page 148] Dauid spirituel, qui les conduit & gouuerne, comme je viens de dire, par le sceptre de sa Parole & par son S. Esprit. Eux de leur part s'éjouïssent en luy, l'aiment, l'honorent, & le ser­uent fort agreablement, comme leur Roy & Sauueur; taschans de faire les choses qu'il leur commande, d'éuiter celles qu'il leur deffend, & mettent toute leur esperance en luy, comme en celuy duquel depend tout leur sa­lut. C'est pourquoy aussi ils sont nommez esseus & fideles, Apoc. 17. vers. 14. Les Iuifs au contraire l'ont renié, persecuté & tourmenté pen­dant qu'il conuersoit entr'eux, & qu'il les poursuiuoit par ses bien­faits, & finalement l'ont crucifié en­tre deux brigands. Or comme ces choses sont connuës d'vn chacun, il n'est pas necessaire d'y insister d'a­uantage; mais conclurre que mon application est bonne, & qu'elle doit subsister; puis que les Iuifs sont con­duits, [Page 149] non par l'esprit de Dieu, dont Ezechiel a parlé, mais par vn esprit meurtrier, par vn esprit d'erreur & de mensonge, par vn esprit d'estourdis­sement, qui les pousse d'abysme en abysme, & qui finalement les preci­pitera dans l'estang ardent de souffre & de feu s'ils ne se conuertissent.

Le Pere acquiesce à la conclusion de l'Enfant, déplore la condition des Iuifs, & la sienne pro­pre par la consideration de sa misere naturelle.

Le P.

Vous eussiez peu joindre la Prophetie d'Osée qui a aussi predit la vocation des Gentils: Car au chap. 2. vers. 23. le Prophete parle ainsi, j'ap­pelleray mon peuple, celuy qui n'e­stoit point mon peuple, & la bien-aymée celle qui n'estoit point ay­mée, & auiendra qu'en lieu qu'il leur a esté dit, Vous n'estes point mon peuple, ils seront appellez les enfans du Dieu viuant; Tant y a que les Pro­pheties d'Ezechiel, & de Ieremie re­gardoient à la lettre les Iuifs, qui [Page 150] estoient captifs en Babylone, comme l'euenement nous l'a appris: Car ils fu­rent renuoyez en Iudée par le Roy Cyrus: pour rebastir Ierusalem & le Temple, Esdras 1. & suiuans. Mais le S. Esprit qui parloit par la bouche des saints Prophetes, regardoit bien plus loin: Car sous cette Prophetie de la deliurance temporelle des Iuifs, de l'Israël charnel, il predisoit la voca­tion des Gentils, de l'Israël spirituel designé par cette multitude d'hom­mes & de femmes, d'aueugles & de boiteux mentionnez en la Prophetie de Ieremie, auec lesquels Dieu vou­loit traitter l'alliance de Grace, dont nous auons parlé; & les honorer des dons & graces de son S. Esprit, sui­uant la Prophetie d'Ezechiel conte­nuë au chapitre 36. vers. 26. & 27. Et ainsi j'acquiesce à vostre conclu­sion. Mais lors que je considere l'e­stat miserable de cete malheureuse nation, & que je fais reflexion sur nos [Page 151] rebellions, je fremis d'horreur, & tremble d'apprehension: & d'autant plus que je sçais que naturellement nous n'estions pas meilleurs qu'eux; & au contraire que nous estions sans Dieu au monde, & qu'ils estoient le peuple chery & aymé de Dieu, à cause de l'Alliance que Dieu auoit traittée auec leurs Peres.

L'Enfant propose la nouuelle Alliance, & les promesses de Dieu pour la commune consola­tion, & continuë de traicter la rejection des Iuifs, & la vocation des Gentils.

Le F.

Nous aurions grand sujet d'ap­prehender, si nous n'estions asseurez que nous sommes sous vne meilleure alliance: Car il est vray que nous estions estrangers des alliances; dé­nuez de toute Iustice, & par conse­quent sous malediction & en la mort: mais il est vray aussi que celuy qui destourne de Iacob les infidelitez, est venu à nous, s'est fait connoistre à nous: & au lieu que nous estions [Page 152] errans, destituez de tout secours, il nous a dit, Me voicy, nous a tendu la main, nous a donné vn Roy & Sau­ueur, sçauoir Iesus Christ, qui nous a deliurez par son Sacrifice, de la capti­uité en laquelle nous estions detenus, qui nous conduit & gouuerne par sa Parole, & par son S. Esprit qui nous donne les dispositions necessaires pour le suiure agreablement, & qui nous fait viure en asseurance sous sa protection. Mais les Iuifs incredules & rebelles, enflez d'orgueil & de pre­somption, non contens de l'auoir fait mourir meschamment sur la Croix entre deux brigāds le presecutent en­core en son honneur & en sa doctri­ne; s'efforcent de ternir sa gloire tant celebrée au Ciel & en terre; C'est pourquoy aussi Dieu executant ce qui auoit esté predit par le Prophete Exechiel au chap. 34. versets 20. & 22. a distingué & mis à part ces brebis grasses, fieres & outrageuses, les a [Page 153] rejettées comme indignes de ses bien-faits, a substitué en leur place les langoureuses, nous pauures er­rans, aueugles & boiteux, & nous a donné pour Pasteur son seruiteur Da­uid, qui nous conduit & gouuerne par sa Parole, & par son saint Esprit; comme je viens de dire: Et partant éjouïssons nous & chantons luy can­tiques de loüanges & d'actions de graces. A toy donc Pere, Fils & S. Esprit, soit honneur & gloire és sie­cles des siecles. Amen.

Le P.

Certes l'Apostre S. Paul auoit grand sujet de s'écrier traittant cette merueille, de la rejection des Iuifs, & de la vocation des Gentils au chap. 11. de l'Epistre aux Romains. O profon­deur des richesses, & de la Sapience & de la connoissance de Dieu, disoit­il, que ses Iugemens sont incompre­hensibles, & ses voyes impossibles à trouuer? Nous deuons donc adorer ce mystere & prier Dieu qu'il nous [Page 154] fasse la grace d'admirer sa benignité, & sa seuerité; Sa seuerité sur ceux qui sont tresbuchez, & sa benignité en­uers nous. O nostre bon Seigneur donne nous de demeurer fermes en la foy, de nous humilier en to presen­ce, de prendre garde à nous: afin qu'il ne nous auienne comme à ces pauures insensez. Mais ont-ils esté re­tranchez pour toûjours?

Le F.

Saint Paul me fournit la res­ponse au chap. 11. de l'Epistre aux Rom. vers. 11. quand il dit, qu'il est auenu endurcissement en Israël, en partie jusqu'à ce que la plenitude des Gentils soit entrée; & aux vers. 30.31. & 32. il s'adresse aux Gentils, & leur parle en cette sorte. Comme vous auez esté rebelles à Dieu, & mainte­nant vous auez obtenu misericorde par la rebellion des Iuifs: Semblable­ment aussi les Iuifs ont esté rebelles, afin qu'eux aussi obtiennēt misericor­de: Car Dieu a enclos tout sous rebel­lion, [Page 155] afin qu'il fist misericorde à tous; Et aux versets 28. & 29. il leur auoit dit que les Iuifs sont ennemis quant à l'Euangile; mais qu'ils sont bien ai­mez quant à l'Election à cause des Peres; Et que les dons & la vocation de Dieu sont sans repentance. Ie con­clus donc auec S. Paul au vers. 26. du mesme chapitre, que tout Israël sera sauué: Car il est écrit, que celuy qui fait deliurance, viendra de Sion, & détournera de Iacob ces infidelitez; De sorte que s'ils ne perseuerent en leur infidelité, Ils seront entez dere­chef, Rom. 11. vers. 23. Mais il est prealable que cette grande moisson de la vocation des Gentils predite par Esaye au chap 49. vers. 6. soit accom­plie, & que la plenitude des Gentils soit entrée; Car c'est peu de chose, disoit le Prophete parlant à Iesus Christ au nom de l'Eternel; que tu me sois seruiteur pour restablir les tri­buts de Iacob, & pour restaurer les [Page 156] desolations d'Israël; Et partant je t'ay donné pour lumiere aux nations, afin que tu me sois en salut jusqu au bout de la terre.

Le P.

Voyons à present, comment, & en quel temps les promesses con­cernans l'enuoy du S. Esprit, & la vo­cation des Gentils ont este accom­plies.

De l'accomplissement de la promesse de l'enuoy du saint Esprit.

L'Enfant répond que les promesses de l'enuoy du S. Esprit, & de la vocation des Gentils ont estè accomplies apres l'Ascension de nostre Seigneur Iesus Christ au Ciel, en rapporte quelques exemples.

Le F.

LA promesse de l'enuoy du saint Esprit fut accom­plie peu de jours apres l'Ascension de nostre Seigneur Iesus Christ au Ciel, sçauoir le jour de la Pentecoste; car ce fut ce jour là qu'il enuoya son S. Esprit à ses Apostres; & en suitte à ceux qui furent conuertis par leur [Page 157] predication: mais de vous dire com­ment ce grand oeuure s'accomplit, il m'est entierement impossible: dau­tant qu'il ne nous a pas esté reuelé. Nous voyons bien au chap. 3. de saint Matthieu vers. 16. que lors que nostre Seigneur Iesus Christ fut baptizé, les Cieux luy furent ouuerts; que le saint Esprit descendit sur luy, comme vne Colombe: & au deuxiéme des Actes vers. 1.2.3. & 4. que le jour de la Pentecoste il se fit vn son du Ciel, comme d'vn vent qui souffle en vehe­mence, lequel remplit la maison, en laquelle les Apostres estoient assem­blez, qu'il leur apparut des lāgues de­parties comme de feu qui se poserent sur vn chacun d'eux, & qu'ils furent tous remplis du Saint Esprit: Mais pour ce qui est des autres fidelles, nous n'en auons ny exemple, ny en­seignement que je sçache; car les Pro­phetes, les Euangelistes & les Apo­stres ne nous disent autre chose sur ce [Page 158] sujet; si ce n'est que Dieu donnera, qu'il mettra son Esprit au dedans de nous, qu'il enuoya, qu'il donna son saint Esprit aux premiers Disciples, & qu'il le donnera à ceux qui croiront en luy, & qui feront profession de sa verité, & qu'il a espandu son saint Esprit en nous: Et S. Iean nous ap­prend au chap. 3. de son Euangile, que Iesus Christ voulant instruire Nico­deme sur le sujet de la regenera­tion, luy proposa vne renaissance, c'est à dire vne naissance spirituel­le: sinon que quelqu'vn soit né dere­chef, luy disoit-il, il ne peut voir le Royaume de Dieu. Et voyant que Nicodeme ne pouuoit comprendre ce mystere & qu'il desiroit vne plus ample instruction, comme ses respon­ses le font connoistre, il luy proposa l'exemple du vent, sa vertu & sa ma­niere d'agir. Le vent, luy dit-il, souf­fle où il veut, tu ois le son d'iceluy: Mais tu ne sçais d'où il vient, ne où il [Page 159] va; ainsi en prend-il de tout homme qui est né de l'Esprit, comme s'il luy eust dit, la renaissance que je te pro­pose est vne naissance spirituelle, vn estre nouueau que Dieu donne à ses Esleus par sa Puissance diuine, & par l'enuoi de son S. Esprit en leurs coeurs. Et tout ainsi que tu ne peux voir le mouuement de l'air, ny comprendre l'agitation du vent, sa force & sa ver­tu, que par ses effets; Aussi ne peux tu comprendre la maniere de l'enuoy du S. Esprit au coeur des fidelles, sa force & sa vertu que par les effets qu'il y produit; parce que comme il est Esprit, ses mouuemens & ses ope­rations sont spirituelles, & imperce­ptibles; Et neantmoins si certains & efficacieux qu'il change & renouuel­le ceux, ausquels il a esté donné: Et au lieu de la nature corrompuë & vi­cieuse qu'ils ont portée dés le ventre de leurs meres, il leur donne vn estre nouueau & spirituel: En telle sorte [Page 160] que d'hommes terrestres & charnels, il les change en hommes celestes, & par maniere de dire les transplante de la terre dans le Ciel; car il illumine leurs entendemens, les remplit de la connoissance de Dieu, purifie leurs coeurs, forme la foy en eux, change leur volonté, leur donne de bonnes & saintes affections, lesquelles ils manifestent par leurs paroles, par leurs actions, & par vne sainte con­uersation: Et ainsi pouuons-nous conclurre que combien que nous ne voyions & ne puissions aperceuoir ny cōprendre la façō ou maniere de l'en­uoy du S. Esprit au coeur des fideles, la chose est pourtāt certaine & verita­ble, j'en rapporteray quelques exem­ples, celuy des Apostres, dont j'ay parlé au commencement de cette ré­ponse, doit à mon opinion tenir le premier rang: Mais parce que de cet exemple on pourroit former vne ob­jection & dire, que les autres fideles [Page 161] n'auoient & n'ont point eu de part en la promesse, puis que le S. Esprit ne fut enuoyé qu'aux Apostres, il est neces­saire d'obseruer, que les Apostre mes­mes, ou S. Pierre parlant pour tous, a destruit cette objection: Car au pre­mier Sermon qu'il fit (apres auoir re­ceu le S. Esprit) à ceux qui estoient accourus au bruit de ce miracle, il leur fit entendre que Dieu auoit ac­comply en leur presence la Prophetie de Ioël par l'enuoy du S. Esprit, les exhorta de s'amender, de se faire ba­ptizer au nom de Iesus Christ, & les asseura qu'ils en ressentiroient les ef­fects, & qu'ils receuroient aussi le S. Esprit; Car à vous, & à vos enfans, leur dit-il, est faite la promesse, & à tous ceux qui sont loin, autant que le Seigneur nostre Dieu en appellera, Actes 2. vers. 39. De sorte que par ces paroles Euangeliques, il nous asseure que la promesse de l'enuoy du S. Es­prit n'auoit pas esté faite seulement à [Page 162] luy, & à ses compagnons; Mais à tous ceux que Dieu appelleroit à sa con­noissance par leur ministere d'entre les luifs & d'entre les Gentils. Et de fait ceux qui d'entre les Samaritains crurent à la parole de Philippes, & furent baptisez, receurent le S. Esprit à la priere de Pierre, & de Iean, Actes 8. vers. 17. Corneille de mesme, en­semble ses parens & amis, combien qu'ils fussent Gentils, Actes 10. vers. 44. Les douze Disciples que S. Paul trouua en Epheze, receurent aussi le S. Esprit, apres auoir esté baptisez, Actes 19. vers. 6. Et S. Paul par l'E­pistre qu'il a escrite aux Galates con­firme la doctrime des autres Apostres par l'enseignement general, qu'il donne à tous les fideles, qui est, que Dieu a enuoyé son Fils, afin qu'il ra­chetast ceux qui sont sous la Loy, & que nous receussions tous l'adoption des enfans, qui est le S. Esprit, com­me il l'explique au 8. des Romains [Page 163] vers. 15. Et pourtant que vous estes enfans, Dieu a enuoye l'Esprit de son Fils en vos coeurs, criant abba Pere, Gal. 4. vers. 4.5. & 6. Vous voyez donc mon pere, que cette promesse commune à tous les fideles, Iuifs & Gentils a esté & sera parfaitement ac­complie, & la conuersion de tant de peuples éloignez de la connoissance de Dieu est l'ouurage du S. Esprit. Car les hommes & les Anges auroient beau prescher, tout cela nous seroit inutil si le S. Esprit n'interuenoit, s'il ne débouchoit les oreilles de nos en­tendemēs, s'il n'amollissoit nos coeurs, qui sont plus durs que pierre, s'il n'y engrauoit l'Euangile, & s'il ne nous amenoit luy mesme à Iesus Christ.

De la vocation des Gentils.

QVant à la Prophetie de la voca­tion des Gentils, elle a esté aussi accomplie; car apres que nostre Sei­gneur Iesus Christ eût accomply le [Page 164] mystere de nostre redemption, il don­na mandement à ses Apostres de pres­cher l'Euangile, & d'endoctriner tou­tes nations; Allez-vous en par tout le monde, leur dit il, & preschez l'Euan­gile à toute creature, & auiendra que qui aura cru & aura esté baptisé sera sauué, Marc 16. vers. 15. & 16. Et apres qu'il eut pris sa place dans le Ciel, il donna mandement à S. Pierre d'aller vers Corneille Payen, pour le conuer­tir à la foy, luy & les siens, qui furent comme les premices de cette grande moisson, Actes 10. Apres il choisit S. Paul pour porter son nom entre les Gentils, ouurir leurs yeux afin qu'ils fussent conuertis des tenebres à la lu­miere de la puissance de Satan à Dieu; & pour receuoir remission des pe­chez; & part entre ceux qui sont san­ctifiez par la foy en Iesus Christ; com­me l' Apostre nous l'apprend luy mes­me au 26. des Actes. Or ce saint hom­me ne fut pas desobeïssant à la voca­tion [Page 165] celeste, comme Ionas; mais il executa si soigneusement, & auec tant d'ardeur sa commission; nonob­stant les troubles & empeschemens qui luy furent donnez, qu'vn nom­bre infiny de Gentils fut conuerty au Seigneur, & de cela ses Epistres en tesmoignent, l'experience des siecles passez, & du present nous l'apprend; D'ailleurs les Apostre qui estoient en Ierusalem s'acquitterent si bien du commandement qui leur auoit esté fait au 19. verset du dernier chapitre de S. Matthieu, que d'entre les Iuifs mesmes qui auoient crucifié nostre Seigneur Iesus Christ, trois mille fu­rent conuertis à luy à la premiere Predication de S. Pierre, Actes 2. vers. 41. cinq mille peu de jours apres; Actes 4. vers. 4. Outre cela le Seigneur gai­gnoit de jour en jour à l'Eglise gens pour estre sauuez, Actes 2. vers. 47. Et de plus en plus s'augmentoit la mul­titude de ceux qui croyoient au Sei­gneur, [Page 166] Actes 5. vers. 14. De sorte que vous voyez ce peuple creé de nou­ueau, illuminé, renouuellé & con­duit par la Predication de l'Euangile & par la vertu secrette du S. Esprit, venir de toutes parts comme de gran­des vollées d'oyseaux, pour adorer nostre Roy Dauid; nostre Crucifie; pendant que les Iuifs le persecutent de tout leur pouuoir en sa doctrine & en ses membres. C'est donc auec ce peuple nouueau, que Dieu a fait l'al­liance nouuelle dont nous auōs parlé, & c'est pour ce peuple là que son Fils bien-aymé s'est donné en sacrifice vi­uant qu'il a respandu son sang sur la Croix, comme il l'a dit luy-mesme au 26. de S. Matthieu vers. 28. Cecy est mon sang, le sang de la nouuelle al­liance qui est respandu pour plusieurs en remission des pechez: A raison dequoy aussi nous nous estudions de luy estre agreables, comme j'ay dit cy-deuant, & taschons de cheminer de­uant [Page 167] sa face en foy, en charité auec humilité suiuant le commandement de S. Paul contenu au chap. 5. de sa 2. aux Corinth. vers. 17. & suiuans: Si quelqu'vn est en Christ, dit l'Apostre, qu'il soit nouuelle creature, les choses vieilles sont passées, voicy toutes choses sont faites nouuelles: Or le tout est de par Dieu qui nous a re­conciliez à soy par Iesus Christ; Car Dieu estoit en Christ reconciliant le monde à soy en ne leur imputant point leurs forfaits, & a mis en nous la parole de reconciliation: Nous sommes donc Ambassadeurs pour Christ, comme si Dieu exhortoit par nous, voire nous supplions pour Christ, que vous soyez reconciliez à Dieu: Car il fait celuy qui n'a point connû peché, estre peché pour nous, afin que nous fussions faits justice de Dieu en luy, c'est à dire afin que nous fussions rendus justes & agreables à Dieu par la seule justice de Iesus [Page 168] Christ. Au moyen de quoy la pro­messe de la vocation des Gentils, l'e­stablissement de l'Eglise Chrestien­ne a esté, est & sera pleinement ac­complie.

Le Pere conclut qu'il ne faut pas s'informer cu­rieusement de la maniere de l'enuoy du S. Esprit, mais tenir cette verite pour constante: Apres il demande comment les Peres sont par­uenus à la connoissance de Dieu, veu que le S. Esprit n'a esté enuoyé qu' apres l' Ascension de nostre Seigneur Iesus Christ au Ciel.

Le P.

Puis que Dieu ne nous a pas reuelé la maniere de l'enuoy du S. Esprit, il faut croire que ce n'est pas chose qui nous soit necessaire, & ainsi il ne faut pas s'en informer, mais tenir pour constant, que Dieu a accomply & accomplira cy apres par sa puissan­ce diuine & d'vne façon imperce­ptible sa promesse de l'enuoy du S. Esprit; Et de vray cette grande mois­son, la conuersion de tant de peuples, que le Prince de la puissance de l'air, tenoit liez & enchaisnez est l'ouurage [Page 169] du S. Esprit. Admirons donc la puis­sance infinie de Dieu qui se manife­ste au mouuement de l'air, en l'agita­tion des vents, mais principalement au changement & renouuellement qu'il fait en nous par son S. Esprit; Combien que sa maniere d'agir en l'vn & en l'autre nous soit inconnuë, & que nous n'en puissions voir que les effets, remercions-le pour la gra­ce qu'il nous a faite, de nous reueler le secret de sa volonté par sa Parole, & par son S. Esprit; Car sans cette re­uelation nous n'eussions jamais dit, vien Seigneur Iesus, vien; Au con­traire nous eussions crié comme les Iuifs rebelles & meurtriers, oste, oste, crucifie-le. A Dieu donc Pere, Fils & S. Esprit soit honneur & gloire au sic­cle des siecles. Or, mon fils, puis que nul ne peut paruenir à la droite con­noissance de Dieu, ny par le liure de la nature, ny par la lecture de sa Paro­le, ny par les instructions de ses Mini­stres [Page 170] & Ambassadeurs sans l'interuen­tion du S. Esprit; Comment est-ce que les saints hommes qui ont vescu deuant & sous la Loy sont paruenus à cette connoissance; veu que le saint Esprit n'a esté donné qu'apres la Re­surrection de nostre Seigneur, & apres son Ascension au Ciel, comme saint Iean nous l'apprend au chap. 7. de son Euangile: Car apres auoir in­troduit nostre Seigneur parlant aux Iuifs en cette sorte au vers. 38. Qui croit en moy il decoulera des fleuues d'eau viuante de son ventre, il ajoûte au verset suiuant: Or disoit-il cela de l'Esprit que deuoient receuoir ceux qui croyroient en luy, car le S. Esprit n'estoit point encore donné, parce que Iesus n'estoit point encore glo­rifié.

L'Enfant répond que les Peres auoient receu quelques rayons de cette lumiere, par les­quels ils ont penetré au trauers des siecles, ont veu & discerné Iesus Christ sous les om­bres & figures de la Loy; Mais que la ple­nitude [Page 171] n'a esté donnée que sous l'Euangile.

Le F.

Combien que la promesse de l'enuoy du saint Esprit, n'ait esté ac­complie qu'apres l'Ascension de no­stre Seigneur Iesus Christ au Ciel, Dieu ne s'est pas laissé sans témoigna­ge aux siecles precedens: Car il s'est manifesté aux Peres qui ont vescu sous la Loy de nature, leur ayant com­muniqué quelques rayons de sa diui­ne lumiere, par lesquels ils ont re­connû la misere en laquelle ils estoiēt tombez par la transgression d'Adam, ont embrassé la promesse de Dieu, ont eu recours à sa bonté, se sont ef­forcez de cheminer deuant sa face en sainteté & justice: En telle sorte qu'Abel qui a le premier senty la mort, que le peché a introduit au monde, & qui a le premier represen­té le sacrifice de nostre Seigneur Iesus Christ, Enoc, Noé & plusieurs au­tres, ont obtenu témoignage d'auoir esté agreables à Dieu par foy. Par foy, [Page 172] dit l'Apostre saint Paul au chap. 11. de l'Epistre aux Hebreux, Abel offrit à Dieu plus excellent sacrifice que Caïn, par foy Enoc fut transporté de la terre au Ciel afin qu'il ne vist point la mort; par foy Noé ayant esté diui­nement auerty des choses qui ne se voyoient encore, craignit & bastit l'Arche: par laquelle il condamna le monde, fut garenty luy & sa famille de la ruïne generale que les eaux du Deluge y firent, & fut fait l'heritier de la justice qui est par la foy. Or comme la foy est vne vertu que le saint Esprit forme en nos coeurs, il faut conclurre necessairement qu'A­bel, Enoc, Noé & les autres Patriar­ches, qui ont vescu sous la Loy de nature, auoient receu des rayons de lumiere, par lesquels ils ont veu celuy qui est inuisible aux yeux du corps, ont crû à ses promesses, ont embrassé le Liberateur promis, ont regardé au sang de l'Agneau déja [Page 173] occis deuant la fondation du monde par lequel ils ont esté sauuez.

Obseruations.

Le P.

ABel, Enoc, Noé & les autres Patriarches qui ont vescu sous laLoy de nature auoiēt sans doute receu quelques rayons de lumiere qui les ont esclairez & con­duits: en telle sorte qu'il ont obtenu tesmoignage d'auoir esté agreables à Dieu. Mais nous ne pouuons pas dire le mesme des autres hommes qui ont vescu de leur temps: puis que Dieu enuoya les eaux du Deluge sur eux pour les effacer de dessus la terre: Continuez vostre discours.

Le F.

Quant aux Peres qui ont vescu depuis le Deluge, ils ont à mon opi­nion receu vne plus grande lumiere que les precedens, comme Abraham, Moyse & plusieurs autres. Et de fait outre le tesmoignage excellent que la Parole de Dieu rend à la foy d'A­braham, [Page 174] nous voyons que Moyse mesme qui auoit veu celuy qui est inuisible aux yeux du corps, pendant qu'il estoit en la Cour de Pharao sui­uant le tesmoignage de S. Paul, Heb. 11. vers. 24.25. & 26. & qui auoit preferé l'opprobre de Christ à la gran­deur & aux richesses d'Egypte, parce que Dieu luy auoit fait gouster les ri­chesses inestimables qu'il donne à ceux qui l'honorent & seruent, receut vne plus grande lumiere apres qu'il eut quitté l'Egypte, & pendant qu'il estoit berger au Païs de Madian: pre­mierement lors que Dieu se mani­festa à luy, du buisson en Oreb, & se fit connoistre à luy par son nom d'E­ternel; Secondement lors qu'il luy bailla à faire les oeuures admirables qu'il fit en Egypte, pour la deliuran­ce de son peuple, pour le retirer de captiuité; & pour le conduire au desert; Tiercement lors qu'il fut auec Dieu en la montagne de Sinaï, & qu'il [Page 175] receut les diuines Paroles & ses Or­donnances pour regler le seruice Re­ligieux, qu'il vouloit luy estre rendu en ce temps là; Et encore lors que Dieu communiquoit familierement auec luy, & parloit à luy face à face, comme vn amy parle auec son amy; Et de vray comment eust-il pû ordon­ner tant de ceremonies, establir tant d'ordres en l'Eglise, construire le Tabernacle auec ses dependances? s'il n'en eust veu le modele, le patron intellectuel en la montagne. D'au­tre part aussi les Sacrificateurs, ny les Leuites n'eussent jamais pû compren­dre; & encore moins enseigner au peuple l'vsage & la fin des ceremo­nies legales, esquelles ils s'occupoiēt, s'ils n'eussent receu quelque rayon de cette lumiere spirituelle, par les­quels ils penetroient au trauers de ces ombres, & regardoient au Sacri­fice tres-parfait qui leur estoit repre­senté par leurs Sacrifices reïterez & imparfaits.

Autre Obseruation.

Le P.

CEux-cy aussi auoient re­ceu quelque rayon de lu­miere, qui les esclairoit parmy les ombres & figures de la Loy sous la­quelle ils viuoient: Mais ce n'estoit pas l'esprit de Christ, c'estoit vn es­prit de seruitude; comme S. Paul nous l'apprend au chap. 8. de l'Epistre aux Romains vers. 15. quand il dit aux fi­deles d'entre les Iuifs, qui auoient embrassé la profession de l'Euangile, pour leur faire voir la difference qu'il y auoit entre leur condition presente & celle en laquelle ils estoient aupa­rauant; Vous n'auez pas receu vn es­prit de seruitude, pour estre derechef en crainte; Mais vous auez receu l'Es­prit d'adoption, par lequel nous crions abba Pere. Or l'Apostre nom­me ainsi l'esprit de la Loy; parce que comme la Loy estoit foible, elle ne pouuoit conferer à ceux qui viuoient [Page 177] sous sa pedagogie la grace d'accom­plir ses preceptes? & ainsi elle les te­noit en crainte sous la rigueur de ses menaces; Au lieu que l'Esprit de Christ asseure les fideles, & les fait crier abba Pere. Continuez.

Le F.

Pour ce qui est des Prophetes que Dieu enuoyoit extraordinaire­ment afin de reformer l'Eglise, & les conducteurs d'icelle, & corriger les abus & les vices que le Diable & les faux Docteurs y auoient introduits; Ie ne fais pas difficulté de dire qu'ils auoient aussi receu de grandes lumie­res: puis que S. Pierre nous apprend en sa premiere chap. 1. vers. 11. qu'ils estoient conduits par l'Esprit Prophe­tique de Christ qui estoit en eux: Et de vray, comment eussent-ils peu predire les choses à venir, & en par­ler auec autant de certitude que si elles leur eussent esté presentes, sans la lumiere du S. Esprit? Et comment eussent-ils peu parler de l'excellence [Page 178] de la personne du Seigneur, du temps de sa venuë en chair, de sa conception miraculeuse de la substance d'vne Vierge par l'operation du S. Esprit, de ses Souffrances, de sa Mort, de sa Sepulture auec le riche, de sa Resur­rection, de son Ascension au Ciel, & des gloires qui deuoient s'en ensui­ure, si celuy qui est l'autheur de tou­tes ces merueilles ne les leur eust re­uelées, & si Iesus Christ luy-mesme ne leur eust fait voir sa gloire: Car j'estime que ce qu'il dit du Prophete Esaye au chap. 12. de l'Euangile selon saint Iean vers. 41. qu'il auoit veu sa gloire quand il parla de ces choses, peut estre rapporté & adapté aux autres Prophetes qui ont parlé de luy. Et de fait nostre Seigneur Iesus Christ tesmoigne luy mesme au chap. 8. du mesme Euangile vers. 56. qu'A­braham auoit veu sa journée, qu'il auoit tressailly de joye, & s'en estoit éjouy: tant y a que quelques-vns d'en­tr'eux, [Page 179] & particulierement Dauid & Esaye l'ont si bien veu & connu, qu'ils nous en ont laissé vn pourtrait au vif, & l'ont si bien representé qu il n'est pas difficile de le reconnoistre lors que nous le voyons naissant, viuant, mourant, ressuscitant & triomphant de ses ennemis & des nostres.

Neantmoins la lumiere qui a éclai­ré ces Saints personnages a esté en quelque sorte semblable à celle d'vne chandelle qui nous éclaire en vn lieu obscur: Mais celle qui a éclairé les Apostres, & Euangelistes a esté belle, claire & éclatante, comme le Soleil en plein midy: parce que Iesus Christ luy-mesme le Soleil de Iustice s'est manifesté à eux, leur a fait con­noistre l'excellence de sa personne, & leur a appris & fait voir, qu'il estoit la fin & l'accomplissement des Pro­pheties, & de toutes les figures an­tiennes, leur a reuelé les secrets de son Royaume & leur a donné fon S. [Page 180] Esprit, qui les a toûjours accompa­gnez & conduits pendant le cours de leur vie: Eux de leur part nous les ont enseignez de viue voix & par écrit. Ce qui estoit dés le commencement, ont ils dit, ce que nous auons ouy, ce que nous auons veu de nos propres yeux, ce que nos propres mains ont touché de la Parole de vie, nous le vous an­nonçons; sçauoir, que Dieu est sour­ce de vie & de lumiere, qu'en luy n'y a tenebres quelconques, que si nous cheminons en sa lumiere, nous auons communion auec luy, & le sang de son Fils Iesus Christ nous purifie de tout peché, 1. Iean chap. 1. que Iesus Christ est aussi vray Dieu & la vie eternelle, chap. 5. vers. 20. Et encore que Dieu est charité, & qu'il a ma­nifesté sa charité enuers nous, en ce qu'il a enuoyé son Fils vnique au monde afin que nous viuions par luy, chap. 4. vers. 8. & 9. que le Fils de Dieu est venu asin qu'il defit les oeu­ures [Page 181] du Diable, & pour oster nos pechez, qu'à cet effect il a mis sa vie pour nous, chap. 3. vers. 5.8. &. 16. Et S. Paul ajouste en sa 2. à Tim. chap. 1. vers. 10. qu'il a mis en lumiere la vie & l'immortalité par l'Euangile. Et de­rechef S. Iean en la mesme Epistre chap. 2. vers. 1. & 2. que Iesus Christ est nostre Aduocat, la propitiation pour nos pechez, lequel par conse­quent plaide nostre cause, & de mau­uaise qu'elle estoit, l'a renduë bonne, ce qui luy est bien facile, quis qu'il a payé pour nous: Et pour confir­mer cette verité, l'Apostre ajoûte au chap. 5. vers. 11. & 12. que Dieu nous a donné la vie eternelle, que cette vie est en son Fils, que celuy qui a le Fils de Dieu a la vie, qui n'a point le Fils, n'a point la vie. Et pour d'au­tant plus éclairer nostre esprit, & nous faire connoistre, si nous sommes en la vie, & si nous auons le Fils, il nous donne des marques par lesquelles [Page 182] nous pouuons le juger, sçauoir la confiance, l'obeïssance, la charité & l'inuocation: Car aux quatre derniers versets du Chapitre 3. de la mesme Epistre, il parle en cette sorte. Bien aymez si nostre coeur ne nous con­damne point nous auons asseurance enuers Dieu, & quoy que nous de­mandions nous le receuons de luy: car nous gardons ses Commande­mens, & faisons les choses qui luy sont agreables; Et c'est icy son com­mandement que nous croyons en Ie­sus Christ, & que nous nous aymions l'vn l'autre, comme il nous en a don­né le commandement, & celuy qui garde ses commandemens demeure en Dieu, & Dieu en luy: Et par cecy connoissons nous que Dieu demeure en nous, à sçauoir par l'esprit qu'il nous a donné; De sorte que si nous croyons en Iesus Christ, si nous luy obeïssons, si nous aymons nos pro­chains, si nous l'inuoquons en nos [Page 183] necessitez nous pouuons cheminer en asseurance: Car celuy qui fait la vo­lonté de Dieu, dit le mesme Apostre au chap. 2. de la mesme Epistre vers. 17. demeure eternellement: Et Iesus Christ mesme du Palais de sa gloire engraue & seelle cette doctrine en nos coeurs par son saint Esprit; Car c'est le saint Esprit qui rend témoi­gnage auec nostre esprit que nous sommes enfans de Dieu, & qui nous fait crier abba Pere, Rom. 8. vers. 15. & 16.

Vous voyez donc, mon pere, que ces Saints personnages qui ont vescu sous la Loy de nature, & sous la Loy de Moyse, auoient receu des rayons de cette lumiere celeste, dont nous parlons; les vns plus, les autres moins, suiuant la dispensation & sage con­duite de celuy qui gouuerne toutes choses à son plaisir; par lesquels ils ont veu, mais de loin l'accomplisse­ment des promesses de Dieu, & [Page 184] que par sa grace nous sommes plus auancez en la connoissance des my­steres de nostre salut; puis que nous voyons des yeux de la foy, Iesus Christ mort pour nos pechez, ressu­scité pour nostre justification, inter­cedant pour nous, nous tendant les bras du Palais de sa gloire, & que par le merite de son Sacrifice nous allons auec asseurance au trône de Grace.

Le P.

Loüé soit Dieu qui nous a fait naistre sous la lumiere de l'Euangile. Me direz-vous, pourquoy est ce que Dieu a vsé de cette dispensation en­uers son Eglise, qu'il l'a conduite au commencement par des figures & re­presentations obscures, qui cou­uroient le mystere de son salut; & nous, il nous conduit par Vrim & Tummim, lumieres & veritez.

L'Enfant répond que c'est à cause de son bas aage d'autant qu'elle n'estoit pas capable d'vn raisonnement solide: Mais lors qu'elle est venuē à vn aage parfait, il luy a reuelé le [Page 185] secret de l'Euangile, & luy a donné son S. Esprit.

Le F.

Ie crois que c'est à cause de ses diuers âges; car l'Eglise (comme vn chacun de nous) a eu son enfance & son âge parfait: pendant son enfance Dieu a vsé enuers elle, à peu prés d'v­ne pareille & semblable conduite, dont les hommes vsent enuers leurs enfans: Car tout ainsi que pendant leur enfance, les peres & les meres les nourrissent de lait, & begayent auec eux, à cause que leur foiblesse les rend incapables de viande fer­me, & d'vn raisonnement solide: pen­dant l'enfance de l'Eglise, Dieu a comme beguayé auec elle, luy a don­né du lait à boire, l'a conduite par des choses temporelles & charnelles qui luy representoient, à la verité les biens celestes. Pour exemple la Ca­naan terrestre luy representoit le Pa­radis; l'Agneau Paschal & tous les autres sacrifices luy representoient [Page 186] Iesus Christ, l'Agneau sans tâche & sans macule déja ordonné deuant la fondation du monde, les lauemens exterieurs, l'onction des Sacrifica­teurs, le feu du Ciel, & le sel de l'Al­liance, luy representoient les dons & les graces du S. Esprit. Mais lors qu'el­le est paruenuë à vn âge parfait, Dieu a fait leuer sur elle le Soleil de justice qui a dissipé ces nuages, a mis en eui­dence l'Euangile, qui auoit esté ca­ché sous ces ombres & figures, a fait le grand & parfait sacrifice de son Corps sur la Croix, par la vertu & me­rite duquel, il a racheté son Eglise de la mort eternelle, & luy a acquis & merité le Paradis, comme j'ay dit cy-deuant; luy a enseigné cette belle & excellente leçon, que Dieu est Esprit, & qu'il faut que ceux qui l'adorent, l'adorent en esprit & verité; & que par consequent elle luy doit presen­ter des coeurs contrits & humiliez, des sacrifices de loüanges & d'actions de [Page 187] graces, & apres son Ascension au Ciel, il luy a donné son saint Esprit pour la sanctifier, & pour la conduire aux voyes de Dieu.

Le P.

Cette dispensation du Pere des esprits est admirable, & nous auons grand sujet de luy rendre graces de ses dons inenarrables, & de le prier qu'il nous donne son saint Esprit, afin qu'il nous cōduise en toute bōne oeu­ure, & c'est ce à quoy je vous exhorte.

Le F.

Ie le feray, mon pere, & dés maintenant je prie Dieu qu'il luy plai­se me donner son saint Esprit suiuant sa promesse. Et toy diuin Consolateur vien demeurer auec moy, embrase mon coeur du feu de ton amour, & y engraue les promesses de grace.

Le Pere demande quelles sont ces promesses.

Le P.

AInsi soit-il, mon fils; Et comme c'est vne chose que je souhaitte auec passion. Ie joints [Page 188] mes prieres aux vostres, à ce qu'il plai­se à Dieu vous exaucer. Mais quelles sont ces promesses de grace?

Le F.

Les premiers Docteurs de l'E­glise Chrestienne, les ont reduites aux trois poincts contenus au symbo­le des Apostres, dont le premier est la remission ou le pardon des pechez, le deuxiéme la resurrection de la chair, & le troisiéme, la vie eternelle.

Le P.

Pourriez-vous establir ces pro­messes par la Parole de Dieu, & me montrer en quel endroit elles son contenuës.

Le F.

Facilement: Mais deuant que parler des promesses, il faut voir & connoistre l'estat de ceux ausquels elles ont esté faites, & foüiller enco­re vne fois le cloaque de nos ordures. Adam, auons nous dit, s'estoit preci­pité par sa reuolte contre Dieu, dans les abysmes d'ombre de mort: Et dautant qu'il estoit la source du gen­re humain, il auoit attiré sa posterité [Page 189] quant & soy: de sorte que nous estiōs tous damnez, & les Diables eussent esté les bourreaux, qui nous eussent tourmentez eternellement. Mais comme Dieu n'auoit pas creé l'hom­me pour estre la proye des Demons, estant esmû de compassion, il vint à Adam pour le consoler en son mal­heur, & luy promit à luy & à sa poste­rité de les retirer de cette ruïne par le moyen d'vn Liberateur, qui est Christ: Car c'est ce qui estoit enten­du par la promesse de la semence de la femme. Or comme cette promesse est la base & le fondement de nostre salut, celles qui nous ont esté faites du depuis, aboutissent toutes à celles-là comme les lignes à leur centre; car autant qu'il y a de promesses de Dieu, dit S. Paul au chap. 1. de la 2. aux Cor. vers. 20. Elles sont ouy en Iesus Christ, & sont Amen en luy. Considerons à present les promesses chacunes en particulier.

[Page 190]

Saint Marc nous apprend au chap. 16. de son Euangile vers. 15. que Iesus Christ deuant que monter au Ciel, commanda à ses Disciples d'aller par tout le monde prescher l'Euangi­le à toute creature, c'est à dire d'an­noncer à tous ceux qui auec vne vraye repentance embrasseroient le merite de son sacrifice, le pardon de leurs pechez, & leur reconciliation auec Dieu; Et de fait S. Luc s'en ex­plique de la sorte, quand il dit au cha. 24. de son Euangile vers. 47. qu'il falloit qu'on preschast en son nom repentance & remission des pechez par toutes nations; Les Apostres de leur part ont soigneusement executé le commandement de leur maistre, nonobstant les empeschemens qui leur ont esté donnez. Et lors que les Sacrificateurs & le conseil des Iuifs leur firent defenses de publier cette doctrine, ils respondirent hautement, que Dieu auoit éleué Iesus Christ par [Page 191] sa dextre, pour Prince & Sauueur, & pour donner repentance & remission des pechez à Israël, Actes 5. vers. 30. & 32. Et S. Paul escriuant aux Ephe­siens & en leurs personnes à tous fi­delles, nous asseure, que Dieu nous auoit predestinez pour nous adopter à soy par Iesus Christ, en qui nous auons redemption par son sang, sça­uoir remission des pechez suiuant les richesses de sa grace, Eph. 1. v. 5. & 7.

Quant à la resurrection de la chair, le mesme Apostre en sa 1. aux Cor. chap. 15. vers. 42. en parle en cette sor­te que nos corps sont semez en cor­ruption, & qu'ils ressusciteront en in­corruption, qu'ils sont semez en des­honneur, & qu'ils ressusciteront en gloire: Et aux v. 52. & 53. que la trom­pette sonnera, & que les morts ressu­sciteront incorruptibles, & qu'il faut que ce mortel reueste l'immortalité.

Pour ce qui est de la vie eternelle, il s'ensuit de toute necessité, que les [Page 192] promesses du pardon des pechez, & de la resurrection de la chair, ne nous ont pas esté faites en vain, & qu'elles seront suiuies de la vie eternelle. Car a qu'elle fin le pardon des pechez, & la resurrection de la chair, s'il n'y auoit vne meilleure vie? elles seroient inutiles, Iesus Christ seroit mort en vain, & Dieu seroit le Dieu des morts & non des viuans. Arriere de mon esprit, pensées infernales, Dieu a tant aymé le monde qu'il a donné son Fils afin que quiconque croit en luy, ne perisse point, mais ait vie eternelle, Iean 3. vers. 16. le Fils est venu, qui nous a asseurez de l'amour du Pere: Apres luy ses Apostres nous ont de­claré que la promesse du Pere est la vie eternelle, 1. Jean chap. 2. vers. 25. Saint Paul de mesme, Rom. 6. vers. 22. estans affranchis du peché & faits serfs à Dieu, vous auez vostre fruit en sanctification, & pour fin vie eter­nelle, & au verset suiuant, il ajoûte [Page 193] que le gage du peché c'est la mort, & que le don de Dieu c'est la vie eter­nelle par Iesus Christ. Iesus Christ mesme parlant à son Pere au 17. de S. Iean vers. 2. luy dit, qu'il luy a donné puissance sur toute chair, afin qu'il donne la vie eternelle à tous ceux qu'il luy a donnez, & aux vers. 12. & 23. il ajoûte, & moy aussi je leur ay donné la gloire que tu m'as donnée, afin qu'ils soient vn, comme nous sommes vn, Ie suis en eux, & toy en moy, afin qu'ils soient consommez en vn. Pere ajoûte-il au vers. 24. mon desir est touchant ceux que tu m'as donnez, que là où je suis, ils soient aussi auec moy, afin qu'ils contem­plent ma gloire, c'est à dire afin qu'ils regnent auec moy, comme S. Paul l'explique au chap. 5. de son Epistre aux Rom. Si par l'offense d'vn seul dit l'Apostre, la mort a regné, par vn seul beaucoup plustost ceux qui reçoi­uent l'abondance de grace & le don [Page 194] de Iustice, regneront en vie par vn seul assauoir par Iesus Christ, Rom. 5. vers. 17. Voila donc les promesses, le but & la fin d'icelles, qui est la reü­nion de l'homme auec Dieu par Iesus Christ.

Le P.

Auez-vous part à ces pro­messes?

Le F.

Ouy par la grace de Dieu.

Le P.

Comment?

Le F.

Par la foy; car je crois aux pro­messes de Dieu, j'embrasse Iesus Christ, en qui elles ont leur accom­plissement, je mets toute mon espe­rance en luy, comme en mon seul & parfait Sauueur; & par cet acte de la foy, je suis vny auec luy comme, il nous l'apprend luy mesme au 17. de S. Iean, car apres auoir dit à son Pere au vers. 8. Ie leur ay donné les paroles que tu m'as données, parlant de ses Disciples, & ils les ont receuës, & ont vrayement connu que je suis yssu de toy, & ont crû que tu m'as enuoyé, [Page 195] Il ajoûte au vers. 11. Pere saint garde les en ton nom, afin qu'ils soient vn ainsi que nous. Et d'autant qu'on eust pû dire, que l'vnion dont il parle en ce verset, ne regarde que l'vnion des fideles entr'eux: pour faire cesser la difficulté, & montrer qu'il parle aussi de l'vnion des fideles auec luy, il ajoûte aux versets 20. & 21. Or ne prie-je point seulement pour eux; mais aussi pour ceux qui croiront en moy par leur parole, afin que tous soient vn, ainsi que toy Pere es en moy, & moy en toy, afin qu'eux aussi soient vn en nous; Et aux versets 22. & 23. & moy aussi je leur ay donné la gloire que tu m'as donnée, afin qu'ils soient vn, comme nous sommes vn. Ie suis en eux & toy en moy, afin qu'ils soient consommez en vn; Et au der­nier verset, & je leur ay fait connoi­stre ton nom, & le leur feray connoi­stre, afin que l'amour duquel tu m'as aymé soit en eux, & moy en eux. Vous [Page 196] voyez donc, mon pere, que par la foy nous sommes vnis auec Iesus Christ, & que par cette vnion nous sommes faits enfans de Dieu. Vous estes tous enfans de Dieu par la foy en Iesus Christ, disoit l'Apostre S. Paul aux Galates chap. 3. vers. 26. & en leurs personnes à tous les fidelles, & comme enfans nous participons aux biens de nostre Pere celeste. Car puis qu'il est le Saint, le Veritable, le Tout puissant, il accomplira ses promesses & nous rendra jouyssans des choses promises; Et d'autant plus que nous auons son Bien aymé pour Interces­seur. Pere, disoit-il au 24. vers. de la mesme priere; Mon desir est touchant ceux lesquels tu m'as donnez, que là où je suis, ils soient aussi auec moy, afin qu'ils contemplent ma gloire, laquelle tu m'as donnée; d'autant que tu m'as aymé deuant la fondation du monde.

Le Pere demande à l'Enfant vne definition de la Foy.

Le P.

PVis que par la foy nous som­mes vnis auec Iesus Christ & faits enfans de Dieu; il est important de sçauoir, si la foy est vne vertu na­turelle, ou si elle nous est donnée; par qui, & comment?

L'Enfant montre que la Foy est vn don de Dieu, & conclut que le Iuste vit de Foy.

Le F.

La foy justifiante, dont nous parlons, est vne vertu Chrestienne & Euangelique, qui n'est point de tous ny en tous, comme l'Apostre S. Paul nous l'apprend en la 2. aux Thess. cha. 3. vers. 2. Mais Dieu la donne à ses esseus: car c'est Dieu qui nous a donné à connoistre le secret de sa volonté. Ephes. 1. vers. 9. Et au chap. 2. vers. 8. Le saint Apostre dit, vous estes sau­uez de grace par la foy, & cela non point de vous, c'est le don de Dieu. Vous voyez donc, mon Pere, que la [Page 198] foy est vn don de Dieu, & non vn ef­fet de nos forces naturelles, & Dieu forme cette vertu Euangelique en nos coeurs par la Predication de l'E­uangile, & par l'operation du S. Es­prit: Et c'est ce que S. Iacques nous apprend au chap. 1. de son Epistre Ca­tholique vers. 18. quand il dit, que Dieu nous a engendrez de son propre vouloir par la Parole de sa verité: Car à mesure qu'il nous fait annoncer l'E­uangile par ses seruiteurs, il l'engra­ue en nos coeurs par l'operation du S. Esprit, qui nous adresse à l'amour de Dieu, & à l'attente de Christ. 2. Thess. chap. 3. vers. 5. qui forme en nous vne persuasion certaine & asseurée des promesses de nostre Salut qui nous y sont faites en Iesus Christ & par Iesus Christ. Et comme nous sçauons que celuy qui promet est Tout-puissant, & la verité mesme qui ne manque ja­mais d'accomplir fes promesses, nous les acceptons auec asseurance, & c'est [Page 199] cette persuasion & certitude que nous nommons foy par laquelle nous voyons & jouyssons en esperance des choses promises qui nous estoient au­parauant inconnuës: Car la foy est vne subsistance des choses qu'on es­pere & demonstrance des choses qu'on ne voint point, Hebr. 11. vers. 1. Et ainsi pouuons-nous dire auec ve­rité, que la foy est vn don de Dieu, qu'elle est comme l'oeil de nostre ame, auec lequel nous voyons Iesus Christ souffrant, mourant, ressusci­tant & intercedant pour nous; les pieds auec lesquels nous allons à luy; la main auec laquelle nous l'embras­sons; la bouche auec laquelle nous le mangeons; bref le canal par lequel Iesus Christ fait decouler sur nous la vie & l'immortalité. A raison dequoy aussi, il est dit fort à propos, que le Iuste vit de foy. Habac. 2. vers. 4. & que quiconque inuoquera le nom du Seigneur sera sauué, Rom. 10. vers. [Page 200] 13. Or apres ces témoignages de l'Es­prit de Dieu qui a parlé par la bouche de ses seruiteurs, nous pouuons & deuons conclurre, que la foy est vn don de Dieu, & non vn effet de nos forces naturelles.

Le Pere confirme le dire de l'Enfant, & pour l'instruire d'autant plus, luy fait vne nouuel­le proposition sur le sujet de la foy.

Le P.

I'adhere à vostre conclusion; & tiens pour constant que la foy est vn don de Dieu. Et pour d'autant plus confirmer cette verité, je rap­porteray vn passage excellēt du chap. 1. de l'Epistre aux Philip. vers. 29. qu'il nous a esté gratuitement donné pour Christ: non seulement de croire en luy, mais aussi de souffrir pour luy. Obseruez ces paroles Euangeliques, qu'il nous a esté gratuitement donné pour Christ, de croire en luy, dau­tant qu'elles nous apprennent que de nous mesmes, nous ne sommes pas suffisans de croire en Iesus Christ. Où [Page 201] en serions-nous donc si Dieu ne nous auoit donné ce don precieux? nous serions du rang des incredules & des reprouuez. Mais loüé soit Dieu qui nous a fait cette grace, de se faire connoistre à nous, de nous attirer à son seruice par vne sainte vocation, lors que nous estions esloignez de luy d'vne distance infinie; Car c'est luy qui produit en nous le vouloir & le parfaire selon son bon plaisir. Phi­lip. 2. vers. 13. Si donc nous croyons en l'Euangile; si nous embrassons Ie­sus Christ pour nostre seul Sauueur; si nous mettons toute nostre esperan­ce en luy, concluons que ce n'est nullement l'oeuure des hommes, mais l'oeuure de Dieu; Et de fait nostre souuerain Docteur nous l'a appris en termes precis & formels: Car apres que S. Pierre eust fait cette belle & excellente confession enregistrée au 16. de S. Matt. vers. 16. Tu és le Christ le Fils de Dieu, il luy dit au verset [Page 202] suiuant, Tu es bien-heureux Simon fils de Iona: Car la chair & le sang ne te l'a pas reuelé, mais mon Pere qui est és Cieux. Or mon fils puis que par la grace de Dieu, nous auons receu le don precieux de la foy, témoignons luy en nostre reconnoissance par vn seruice religieux & respectueux, je dis par vn seruice religieux & respe­ctueux; parce qu'il semble que vous vueilliez reduire tout le seruice de Dieu à la seule inuocation, sous pre­texte du passage du 2. chap. de l'Epi­stre aux Rom. que vous venez d'alle­guer, qui semble s'accorder à cela.

Le F.

Ie suis bien esloigné de cette pensée, & je sçais fort bien par la gra­ce de Dieu, que ce n'estoit nullement l'intention du S. Apostre, comme il l'a fait connoistre par toutes ses Epi­stres. Mais sous le mot d'inuocation dont il a vsé en ce passage, il com­prend tout le seruice de Dieu; parce qu'il sçauoit bien qu'il nous est im­possible [Page 203] de l'inuoquer si nous ne le connoissons, si nous ne croyons en luy, & si nous n'auons esperance en luy. Et de fait il prioit & demandoit à Dieu pour les Collossiens, qu'ils fus­sent remplis de la connoissance de sa volonté en toute sapience & intelli­gence spirituelle; afin qu'ils chemi­nassent dignement, comme il est seant selon le Seigneur, en luy plai­sant entierement, fructifians en tou­te bonne oeuure, estans fortifiez en toute force felon la volonté de sa gloire, en toute souffrance & esprit patient auec joye; rendans graces au Pere qui nous a rendus capables de participer à l'heritage des Saints en la lumiere, lequel nous a deliurez de la puissance des tenebres, & nous a transportez au Royaume de son Fils bien aymé, en qui nous auons deli­urance par son sang, à sçauoir la re­mission des pechez, Colloss. 1. vers. 9.10.11.12.13. & 14. Et ainsi vous voyez [Page 204] par ce passage, que l'Apostre con­joint la connoissance auec la confian­ce, la confiance auec l'obeïssance, l'obeïssance auec l'inuocation, & l'inuocation auec la reconnoissance, qui composent ensemble le seruice de Dieu. Ie veux donc suiure vostre exhortation, imiter les Collossiens, & rendre à Dieu l'honneur, le seruice & l'obeïssance que je luy dois; Et je le supplie de tout mon coeur qu'il me fasse croistre en connoissance, & en tous les dons spirituels designez en la priere de son Apostre, & au sur­plus j'exhorte tous les fidelles de che­miner dignement, comme il est seant selon le Seigneur, en luy plaisant en­tierement fructifians en toute bonne oeuure.

Objection sur le sujet de la response de l'Enfant.

Le P.

IL semble que sous l'autorité de saint Paul vous vouliez [Page 205] destruire cette verité que vous auez cy-deuant establie, que le S. Esprit est l'auteur de toute bonne oeuure? & attribuer cette vertu aux forces natu­relles de l'homme: Car si nous pou­uons cheminer dignement, comme il est seant selon le Seigneur, & fru­ctifier en toute bonne oeuure, com­me vous venez de dire, voila les for­ces naturelles de l'homme establies, & en ce cas l'interuention du S. Esprit n'est nullement necessaire: D'autre part aussi si le S. Esprit est l'auteur des bonnes oeuures, comme il l'est sans difficulté, il semble que cette produ­ction ne puisse ny ne doiue estre attri­buée à da foy: Esclaircissez moy sur cette difficulté.

L'Enfant répond à l'Objection, & montre qu'il n'a rien dit, qui ne soit conforme à la Parole de Dieu, par la quelle il confirme les doctrines qu'il a mises en auant sur le sujet des opera­tions, du S. Esprit, & des productions de la foy.

Le F.

Mon intention n'est pas d'at­tribuer [Page 206] aucune vertu pour les choses spirituelles aux forces naturelles de l'homme, ny mesmes de confondre les operations du S. Esprit, auec les productions de la foy. Ie tascheray donc de rendre les choses que j'ay dites plus intelligibles. Et pour cet effect je parleray en premier lieu des operations du S. Esprit, apres des pro­ductions de la foy; Et finalement des forces naturelles de l'homme.

Nostre Seigneur Iesus Christ vou­lant consoler ses Disciples affligez à cause de son prochain depart de ce monde, leur promit de leur enuoyer le S. Esprit, qu'il nomme Consola­teur, Esprit de verité; Ie prieray le Pere, leur disoit-il au chap. 14. de l'Euangile selon S. Iean vers. 16. & 17. Et il vous donnera vn autre Consola­teur, pour demeurer auec vous eter­nellement, à sçauoir l'Esprit de veri­té; apres luy S. Paul le nomme Esprit d'adoption, Esprit de vie, Esprit de [Page 207] Priere, Rom. 8. vers. 2.13. & 25. Et au chap. 1. de l'Epistre aux Ephes. vers. 17 & 18. il le nomme Esprit de lumiere, de sapience & de reuelation, & encor Esprit de sanctification, Rom. 1. vers. 4. Et en la 2. aux Cor. chap. 4. vers. 13. il le nomme Esprit de foy. Or puis que suiuant la doctrine de S. Paul conte­nuë au chap. 3. de l'Epistre à Tite ve. 5. & 6. Dieu a respandu abondamment en nous l'Esprit de vie, l'Esprit d'ado­ption, l'Esprit de sanctification, l'Es­prit de priere, l'Esprit de lumiere, de sapience & de reuelation; l'Esprit de foy; ce n'est pas pour y demeuter oy­seux: ains plustost pour y agir: Et de fait comme il est le principe de vie & de regeneration, il nous viuifie, il nous renouuelle, il nous conduit & adresse aux voyes de Dieu: Comme Esprit d'adoptiō il nous asseure de l'a­mour que Dieu nous a portée en Ie­sus Christ, & qu'il nous a adoptez pour ses enfans. Vous n'auez pas receu, dit [Page 208] l'Apostre vn Esprit de seruitude pour estre derechef en crainte; ains vous auez receu l'Esprit d'adoption, par lequel nous crions Abba Pere; Et c'est ce mesme Esprit qui rend tes­moignage auec nostre esprit que nous sommes enfans de Dieu, Rom. 8. vers. 15. & 16. Et parce que vous estes enfans: Dieu a enuoyé l'Esprit de son Fils en vos coeurs criant Abba Pere, Gal. 4. vers. 6. Comme Esprit sancti­fiant il nous laue de nos pechez au sang de Iesus Christ, & nous sanctifie; Et de fait le mesme Apostre en sa 1. aux Cor. chap. 6. vers. 10. & 11. disoit aux Corinthiens & en leurs person­nes à tous fideles; Ne vous abusez point, ny les paillards, ny les adulte­res, ny les idolatres, ny les effeminez, ny ceux qui habitent auec les masles, ny les larrons, ny les auaricieux, ny les yurongnes, ny les medisans, ny les rauisseurs n'heriterontpoint le Roy­aume de Dieu; Et en mesme temps il [Page 209] ajoûte, & tels estoient aucuns d'en­tre vous; Mais vous en auez esté la­uez, vous en auez esté justifiez au nom du Seigneur Iesus, & par l'Esprit de nostre Dieu. Comme Esprit de priere il nous apprend à prier Dieu: Car nous ne sçauons ce que nous de­uons prier comme il appartient; Mais l'Esprit fait luy mesme requeste pour nous par souspirs qui ne se peuuent exprimer; Et celuy qui sonde les coeurs connoit qu'elle est l'affection de l'Esprit, car il fait requeste pour les Saints selon Dieu, Rom. 8. vers. 25. & 26. Comme Esprit de lumiere, de sapience & de reuelation; Il illumine nos entendemens, engraue la Parole de Dieu en nos coeurs, & nous reuele les secrets de l'Euangile: Et c'est ce que l'Apostre nous apprend en diuers endroits, & particulierement és deux passages suiuans. Ie ne cesse, disoit-il aux Ephesiens, de rendre grace pour vous, faisant mention de vous en mes [Page 210] prieres, afin que le Dieu de nostre Seigneur Iesus Christ, le Pere de gloi­re vous donne l'Esprit de sapience & de reuelation parla connoissance d'i­celuy, assauoir les yeux de vostre en­tendement illuminez, afin que vous sçachiez quelle est l'esperance de sa vocation, & quelles sont les richesses de la gloire de son heritage és Saints. Ephes. 1. vers 16.17. & 18. Et encore vous estes l'Epistre de Christ admini­strée par nous, & escrite non point d'ancre, mais de l'Esprit du Dieu vi­uant, non point en plaques de pierre, mais en plaques charnelles du coeur, 2. Cor. ch. 3. v. 3. Comme Esprit de foy, il forme la foy en nous; Car à l'vn, dit l'Apostre en sa premiere chap. 12. vers. 8. & 9. est donné par l'Esprit la Parole de sapience, à l'autre selon le mesme Esprit, la Parole de connoissance; & à l'autre foy en ce mesme Esprit. Vous voyez donc, mon pere, que c'est auec raison que j'ay attribué [Page 211] au S. Esprit la production de toutes les vertus Chrestiennes & spirituelles: puis que c'est luy qui nous viuifie, qui nous laue de nos pechez au sang de Iesus Christ, qui illumine nos enten­demens, qui purifie nos coeurs, qui y engraue l'Euangile, qui forme la foy en nous, qui la soustient en ses foi­blesses, qui fait requeste pour nous, qui nous conduit & nous fortifie en nostre vocation spirituelle. Ie re­quiers, disoit l'Apostre au chap. 3. de l'Epistre aux Ephesiens vers. 13. & sui­uans: que ne vous annonchalissiez point, pour laquelle cause je ploye les genoux deuant le Pere de nostre Sei­gneur Iesus Christ, afin que selon les richesses de sa gloire, il vous doint que vous soyez puissamment forti­fiez par son Esprit en l'homme inte­rieur, tellement que Christ habite en vos coeurs par foy. Ie reconnois donc, & auouë que le S. Esprit est le princi­pe de vie & d'immortalité, l'Autheur [Page 212] de toute bonne donation sans lequel le merite de la Mort & Passion de no­stre Seigneur Iesus Christ nous seroit inutile; Car nul ne peut dire Iesus estre le Christ que par le S. Esprit. 1. Cor. chap. 12 vers. 3. Et ainsi je n'ay garde d'attribuer ses operations à la foy, & encore moins aux forces natu­relles de l'homme. Mais je dis que la foy estant, comme elle est, l'ouurage du S. Esprit, elle ne demeure pas oy­seuse, & n'est point infructueuse; Car l'homme fidelle considerant la grace qui luy a esté faite, glorifie Dieu en son coeur de viue voix, & tasche de faire les choses qui luy sont agrea­bles, suiuant le commandement de S. Paul contenu au 8. verset du chap. 3. de l'Epistre à Tite, que ceux qui ont crû à Dieu, dit l'Apostre, ayent soin de s'appliquer principalement à bon­nes oeuures: Et combien que nous sçachions que c'est par la conduite du S. Esprit, & que c'est Dieu qui nous [Page 213] dōne le vouloir & le parfaire, nous ne laissons pas de dire que la foy produit les bonnes oeuures; comme en la na­ture nous disons, que la terre produit les choses necessaires pour la vie des hommes & des bestes. Mais tout ainsi que nous recōnoissons que la terre est d'elle mesme sterille & infructueuse, nous confessons aussi que la foy d'elle mesme ne peut produire aucun fruit, & que c'est le S. Esprit qui luy dōne la vertu productiue; & par cette distin­ction vous voyez que je n'attribuë nullement à la foy les operations ef­ficacieuses du S. Esprit, puis que je la considere comme l'instrument, dont le S. Esprit se sert pour la production des bonnes oeuures. Mais la foy estant comme elle est communicatiue, se fait connoistre par ses fruicts, qui sont les bonnes oeuures; comme S. Paul nous l'apprend en toutes ses Epistres, & particulierement au passage du 3. à Tite que je viens d'alleguer, & en [Page 214] l'Epistre à Philemon. Ie rends graces à Dieu, disoit-il à Philemon, faisant toûjours mention de toy en mes prie­res, entendant ta charité, & la foy que tu as enuers le Seigneur Iesus, & en­uers tous les Saints, afin que la com­munication de ta foy montre son ef­ficace en se faisant connoistre par tout le bien qui est en vous par Iesus Christ. De sorte que par ces deux pas­sages nous apprenons que la foy est la mere des bonnes oeuures, & que les bonnes oeuures sont comme des bon­nes filles qui nourrissent & entretien­nent leur mere: Et pour confirmer ces veritez je rapporteray quelques exemples. Dés que Zachée eût crû en Iesus Christ, il fit cōnoistre sa foy par ses oeuures; Voicy, dit-il, au Seigneur, je donne la moitié de mes biens aux pauures, & si j'ay circonuenu quel­qu'vn, j'en rends le quadruple, Luc 19. vers. 8. Lidie de mesme; Car dés qu'el­le eût crû à la Parole preschée par S. [Page 215] Paul & par Silas, elle leur dit, si vous m'auez trouuée estre fidelle au Sei­gneur, entrez en ma maison, & y de­meurez, & les contraignit. Le Geo­lier de Philippes tira les mesmes Apo­stres du cachot où ils auoient esté en­serrez apres auoit esté cruellement foüettez, laua leurs playes, leur cou­urit la table & s'éjouït pour la grace qui luy auoit esté faite, pour la foy qui luy auoit esté donnée & à toute sa famille. Actes 16. vers. 15.33. & 34. Et ainsi vous voyez que la foy produit les bonnes oeuures, & que les bonnes oeuures font connoistre la foy.

Finalement je n'ay point attribué aucune vertu pour les choses spiri­tuelles aux forces naturelles de l'hō ­me: Car je sçais par la grace de Dieu qu'il n'est pas au pouuoir de l'homme de redresser ses pas pour cheminer aux voyes de Dieu, & que nous ne sommes pas suffisans de penser quel­que chose de bon comme de nous [Page 216] mesmes, que nostre suffisance est de Dieu, 2. Cor. chap. 3. vers. 5. qui nous donne entendement, ajoûte l'Apo­stre en vn autre endroit pour connoi­stre le veritable, sçauoir Iesus Christ source de tout bien: Mais conside­rant en moy-mesme selon ma petite portée la grandeur, la puissance, la sagesse, la justice & la bonté de Dieu qui nous a donné estre, vie & mou­uement, & toutes les choses neces­saires pour la conseruation de nostre vie, qui nous déliure des dangers qui nous enuironnent, qui veut nous ren­dre eternellement heureux; que pour nous faire paruenir à la beatitude il a donné son Fils Iesus Christ, & que nous luy deuons loüange, honneur & seruice; I'ay crû qu'à l'exemple du Prophete Roy qui par ses Pseaumes exhorte souuent les choses sensibles & insensibles à glorifier Dieu, je pou­uois aussi exhorter mes prochains de faire le mesme & d'embrasser son sa­lut: [Page 217] Mais en ce faisant je n'ay point attribué ny n'entens attribuer aucu­ne vertu aux forces naturelles de l'hō ­me, puis qu'en mesme temps j'ay dit que l'homme ne peut rien de soy, qu'il n'est pas seulement capable d'v­ne bonne pensée, & qu'il faut que Dieu nous donne l'esprit de vie, l'es­prit de priere, l'esprit de foy, l'esprit de sanctification afin qu'il nous con­duise en ses voyes. C'est donc à vn chacun à faire son profit de mon ex­hortation, à demander à Dieu son S. Esprit, & l'ayant receu il connoistra la difference qu'il y a entre l'homme laissé en son naturel, & celuy qui est conduit par le S. Esprit, renoncera à ses pretenduës forces naturelles, donnera la gloire de son salut à Dieu, reconnoistra la conduite du S. Esprit, & distinguera les productions de la foy: Et voila, mon pere, comme il n'y a rien de contraire en mes respon­ses precedentes: Si je m'abuse je [Page 218] vous prie me redresser.

Le Pere reconnoit que les responses de l'Enfant sont conformes à la saine doctrine, & pour luy faire mieux conceuoir les choses qu'il a mises en auant, il les luy propose comme vn Tableau par le recit qu'il luy fait de l'histoire de sa vie, qui est vn vray pourtrait de l'homme en son naturel, & en l'estat de regeneration.

Le P.

Vos responses prises & enten­duës en cette sorte ne sont point con­traires, & se rapportent fort bien à la saine doctrine; Car il est certain que de nous mémes nous ne sommes nul­lemēt capables d'aucune bonne pen­sée: Au contraire nostre nature est tellement corrompuë, que nostre esprit ne nous en suggere que de mau­uaises: Nous auons vne resistance na­turelle au bien, & qui plus est, nous conuertissons en mal les graces de Dieu, nous nous roidissons contre ses remontrances, & mesprisons les in­structions qui nous sont faites de sa part: Bref nous foullons aux pieds les doctrines salutaires qui nous sont [Page 219] proposées pour nostre salut; Mais Dieu qui est pitoyable & bon, nous retire de cette corruption generale par la vertu secrette & incomprehen­sible du S. Esprit, qu'il met au dedans de nous, lequel, comme vous venez de dire, nous renouuelle, nous san­ctifie, nous laue de nos pechez au sang de Iesus Christ, débouche les oreilles de nos entendemens, purifie nos coeurs, y engraue l'Euangile, nous donne de bonnes & saintes pen­sées, met en nos bouches des canti­ques de loüanges & d'actions de gra­ces, & nous conduit aux voyes de Dieu: C'est pourquoy aussi nous re­connoissons que le S. Esprit est l'au­teur des bonnes oeuures, & que la foy est l'instrument par lequel il les pro­duit en nous & par nous. Or pour vous faire mieux comprendre ces choses, je veux vous les representer comme en vn tableau, auquel vous pourrez lire l'histoire de ma vie de­puis [Page 220] mon berceau, & connoistre ce que j'ay esté, la resistance que j'ay faite contre la vocation celeste, la grace qui m'a esté donnée, & com­ment est-ce que Dieu a agy enuers moy pour me tirer de la ruïne en la­quelle j'estois.

Tableau ou pourtrait du Pere fait de sa propre main.

IE vous ay dit plusieurs fois que je suis yssu d'vn pere & d'vne mere fidelles; & par consequēt né sous l'al­liance de grace; que mon pere s'estoit proposé de me former à la vertu, qu'à cet effet il me faisoit succer la pieté auec le lait, que jusqu'au jour de sa mort, il fit tout son possible pour en­grauer en mon coeur les semences de la pieté tant par les instructions qu'il me donnoit, que par ses actions ver­tueuses & religieuses: que lors que Dieu le retira de ce monde en la fleur de son aage il tesmoigna vn grand re­gret [Page 221] de ne pouuoir paracheuer l'oeu­ure qu'il s'estoit proposé, & qu'il pria Dieu de l'accomplir. De ma part, comme je n'estois nullement capable de connoistre son intention, ny de faire mon profit de ses bonnes & saintes instructions, parce que je n'e­stois aagé que de huict ou neuf ans, j'ay esté comme forcené apres les choses du monde; Car j'ay fait tout le contraire de ce qui m'auoit esté enseigné, j'ay esté blasphemateur, larron, bateur, beuueur; bref je me suis abandonné à toute sorte de disso­lutions: En sorte que je puis dire auec le Psalmiste, que toute maniete de ma­lice auoient auoient gagné sur moi. Ie me suis porté plusieurs fois pendant ma jeunesse au Temple de l'idole, j'ay soüillé & contaminé le Temple ma­teriel du S. Esprit, j'ay commis des crimes si enormes que je ne puis ny n'ose les declarer, & n'y a aucun en­droit où j'aye esté, que je n'y aye lais­sé [Page 222] des marques horribles de ma re­bellion, ennemy de Dieu en mon en­tendement & en mauuaises oeuures; & par consequent la proye des De­mons, l'esclaue des enfers; En cét estat estois-je capable de me redres­ser; pouuois-je me tirer de la gueule du loup infernal en laquelle je m'e­stois precipité, pouuois-je forcer le Prince de la puissance de l'air? helas que j'en estois esloigné, je n'en auois ny le pouuoir, ny la volonté: Mais quand le temps determiné est venu, Dieu qui est le Pere de misericorde, le Dieu de toute consolation, qui oste le forfait & qui pardonne le pe­ché, par sa grande charité de laquel­le il nous a aymez en son Fils Iesus Christ, au temps mesmes que nous estions ses ennemis, a versé en mon coeur vn rayon de sa diuine lumiere, vne estincelle de son amour; De sor­te que reconnoissant l'estat miserable auquel j'estois, & combien je m'estois [Page 223] esloigné des preceptes paternels que Dieu auoit conserué en mon coeur, j'ay souhaitté & desiré de les pouuoir ensuiure. Poussé donc par le S. Esprit je luy ay maintefois adressé ma com­plainte, comme Dauid au Pseau. 73.

Seigneur Dieu, ce disois-je en moy,
Voy par pitié que j'ay d'émoy
Par mes ennemis remplis dire,
Et du pas de mort me retire;
Afin qu'au milieu de l'enclos
De Sion j'annonce ton los
En demenant réjouyssance
D'estre recoux par ta puissance.

Ie n'ay pas receu & experimenté vne deliurance prompte & soudaine, commeje desirois; parce que l'oeuure de la regeneration ne s'accomplit que peu à peu: Neantmoins à mesure que j'auançois en aage, & en connoissan­ce par la lecture de la Parole de Dieu & des bons liures, & par l'ouye des Predications, le Docteur interieur qui auoit commencé cet oeuure, a en­graué [Page 224] l'Euangile en mon coeur, m'a fait connoistre Iesus Christ souffrant & mourant pour moy, éleué en gloi­re, me tendant les bras, m'a fait ouyr cette voix celeste, Soyez Saint car je suis Saint, & m'a fait prendre resolu­tion de luy obeïr. Mais helas! mes essais ont esté si foibles & si languis­sans, les efforts de mes ennemis, pour me retenir & precipiter dans l'estang ardent de souffre & de feu si puissans, que j'ay esté plusieurs fois surpris & enuelopé par les mesmes choses que je voulois éuiter. Où estoient donc mes forces naturelles? lors que je croyois estre fort je me suis trouué foible, ce qui m'a fait souhaitter plu­sieurs fois la dissolution du vieil hom­me. Et reuenant à conualescence d'v­ne grande maladie de laquelle Dieu m'auoit visité en l'année 1629. je regar­dois cette vie auec horreur, à cause du combat qui m'estoit derechef pre­paré, l'apprehension que j'auois d'y [Page 225] rentrer faisoit herisser mes cheueux I'ay esté au bord du sepulcre, disois­je en moy mesme, faut il que je re­tourne derechef en cette miserable vie pour y reprendre mon train ac­coustumé. Au moins si je pouuois y viure saintement & religieusement. Mais miserable que je suis j'ay esté le mesme, je me suis perdu, je me suis prostitué: En telle sorte que je ne pouuois attendre qu'vne fin malheu­reuse & espouuentable, si Dieu m'eust examiné selon la rigueur de sa Iustice. Mais, ô mon Seigneur & mon Dieu, tu as voulu que je fusse vn exemple de ta grace, tu as eu pitié de moy. Et comme tu auois mis le principe de vie en mon coeur, tu m'as deliuré & conserué par ta puissance diuine, & nonobstant mes rescidiues continuel­les tu m'as poursuiuy par tes bien­faits. De sorte que je puis dire auec le Psalmiste tous tes bien-faits sont sur moy: Que te rendray-je, mon Sei­gneur, [Page 226] moy qui suis incirconcis de coeur, & soüillé de levres, pardonne mes folies, pardonne mes rebellions, pardonne mes foiblesses, pardonne mes legeretez, laue moy tant & plus, donne moy coeur & langue pour te glorifier, & conduy moy en telle sor­te, que renonçant aux mondaines conuoitises je viue le temps qui me reste sobrement, justement & reli­gieusement, sobrement en moy­mesme: justement auec mon pro­chain: & religieusement enuers toy; en attendant que tu me deliure des miseres de cette vie, & que tu vien­nes pour nous introduire en corps & en ame en la place que tu nous as pre­parée au Palais de ta gloire. Vous voyez donc, mon fils, par ce Tableau racourcy, par ce portrait de moy­mesme, l'estat de l'homme en son na­turel, mort & puant dans le sepulcre du peché: d'autre part aussi vous le voyez renaissant, & sortant du tom­beau, [Page 227] non par sa propre force; mais par la vertu diuine de son Sauueur, & par l'operation du S. Esprit. Vous le voyez apres sa re naissance lié de ban­delettes, cōme le Lazare, ou à mieux dire enuelopé des haillons du peché, foible & chancelant, poursuiuy par le Prince de la puissance de l'air, mais soustenu par l'Esprit de Dieu, qui noꝰ fortifie en ce combat, & qui finale­ment nous rendra victorieux, & cou­ronnera nostre foy de gloire & d'im­mortalité. Difference merueilleuse entre ces deux hommes en vne mes­me personne. Nostre vieil homme se precipite à son escient en la mort eternelle. Le nouuel homme au con­traire, qui a esté creé selon Dieu par l'Esprit de grace combat pour obte­nir la vie; & lors qu'il a esté surpris par ses ennemis, & qu'il est tombé en quelque faute, comme cela n'est que trop commun, il s'attriste, il s'afflige & se déplaist en soy-mesme. Mais [Page 228] comme l'Esprit de vie agit en luy, Il s'asseure en la promesse que Dieu luy a faite de ne le point abandōner & de paracheuer l'oeuure qu'il a commen­cée en luy, il le releue par foy, s'éjoüït en l'esperāce de la grace de son Dieu, redouble ses forces, & s'adonne de tout son pouuoír à la priere, & aux exercices de pieté & de charité; Et par cét exercice penible & difficile, mais vtile & tres-agreable, il s'achemine & paruient au Royaume de son Sau­ueur; Le tout par la conduite du S. Esprit, & par la foy.

Le F.

Par cét exemple qui ne peut estre que tres vtille, je suis confirmé aux choses que j'ay dites. D'ailleurs je vois comme dans vn Tableau le por­trait de mon pere grand, qui a attiré par sa sainte vie, & par ses prieres la benediction de Dieu sur vous. I'y vois aussi le vostre, qui me represente vne condition merueilleusement agitée, ce qui me fait fremir & apprehender [Page 229] pour moy-mesme; Mais aussi j'y con­sidere la Puissance, la Sagesse & la Bonté de Dieu, qui s'est manifesté en vostre conduite par tant de merueil­les, que cela me fait esperer; que comme il s'est montré, Pere benin & misericordieux enuers vous, il en vse­ra de mesme en mon endroit.

De la response de l'Enfant, le Pere prend occa­sion de parler de l'esperance & de la charité.

Le P.

Ie l'en supplie de tout mon coeur, & qu'il luy plaise ratifier auec vous l'alliance qu'il auoit traitée auec mon pere, qu'il a renouuellé auec moy, & j'espere qu'il le fera. Or nous auons parlé plusieurs fois de l'espe­rance, comme d'vne vertu tres-excel­lente: Mais nous n'auons pas dit en­core d'où elle vient, si elle est vn don de Dieu, ou si elle vient de nous mes­mes.

Le F.

L'esperance est vne produ­ction de la foy; Et tout ainsi que par [Page 230] la foy nous embrassons les promesses de Dieu, par l'esperance nous en at­tendons l'accomplissement auec pa­tience; parce que nous sçauons que celuy qui a promis est fidele, verita­ble, & Tout-puissant: De sorte que l'esperance ne confond point; d'au­tant qu'elle est comme vne ancre seu­re, & ferme de l'ame penetrante jus­qu'au dedās du voile, jusques au Ciel, où Iesus Christ le rocher des siecles est entré comme auant-coureur pour nous. Heb. 6. vers. 19. & 20. par le merite duquel nous obtenons les choses qui nous ont esté promises.

Le P.

Et la charité est-elle encore vn don de Dieu?

Le F.

C'est aussi vne production de la foy: car la foy produit l'esperance & la charité.

Le P.

Quel est l'effect de la charité?

Le F.

D'aymer Dieu de tout nostre coeur, & nostre prochain comme nous mesmes. Mais il faut obseruer [Page 231] que ces deux chaisnes ont plusieurs chaisnons: Car tout ainsi que l'amour que Dieu nous a porté en Iesus Christ est vne source abondante & inépui­sable de toute sorte de biens spiri­tuels & temporels; l'amour que nous luy portons est la source de nostre re­connoissance, & du seruice religieux que nous luy rendons; Et encore des deuoirs respectueux que nous ren­dons à nos prochains de parole, & par effect pour leur consolation & in­struction; & pour la conseruation de leur vie, biens & honneur.

Le Pere amplifie la response de l'Enfant sur le sujet de la Charité: Et apres il entre dans vn autre Traitté qui regarde le seruice de Dieu.

Le P.

Il est vray que l'amour que Dieu nous porte en Iesus Christ, est la source de toutes ses benedictions spi­rituelles & temporelles, & par conse­quent de l'amour que nous portons à nos prochains; Et de fait S. Iean nous apprend au 4. chap. de sa 1re vers. 7. & [Page 232] 8. que charité est de Dieu, que qui­conque ayme est né de Dieu, & que si nous aymons nos prochains, Dieu demeure en nous, & sa charité est ac­complie en nous vers. 12. Et partant disons que la charité est comme vn arbre qui a deux branches, dont l'v­ne s'esleue vers le Ciel qui produit la reconnoissance & le seruice religieux que nous rendons à Dieu; Et que l'au­tre s'estend vers nostre prochain, & produit les assistances dont vous auez parlé, qui sont les bonnes oeuures.

Or par la grace de Dieu sōmes-nous paruenus au second poinct que nous nous sommes proposez des le cōmen­cemēt: qui regarde le seruice de Dieu. Car nous auons parlé de la cōnoissan­ce de Dieu & de nous mesmes, de la grace qu'il nous a faite en Iesus Christ & par I. Christ; Et encore des moyens dont il se sert pour nous la communi­quer, qui sont sa Parole & son S. Es­prit, par le ministere duquel il nous [Page 233] conduit en ses voyes. Reste mainte­nant à parler du seruice qui luy est deu: Car comme toutes choses se rap­portent à l'homme, il faut aussi que l'homme se rapporte à Dieu qui l'a creé pour sa gloire. Esaye 43. vers. 7. afin qu'il luy rende le seruice qu'il luy doit. Dites moy donc, en quoy con­siste ce seruice, & qu'est-ce que nous deuons faire pour nous en bien ac­quitter?

Du Seruice de Dieu.

L'Enfant respond que le seruice de Dieu est spirituel.

Le F.

LE seruice de Dieu est spi­rituel: car comme Dieu est Esprit, il faut que ceux qui l'ado­rent, l'adorent en Esprit & verité: Et c'est ce que nostre souuerain Do­cteur nous a appris au chap. 4. de l'E­uangile selon S. Iean vers. 24.

Le P.

Ie sçais bien que le vray serui­ce de Dieu est spirituel; Mais je vous [Page 234] demande en quoy il consiste?

Et en cet endroit il fait voir sommairement en quoy il consiste.

Le F.

A croire de coeur & confesser de bouche, que Dieu est seul vray Dieu, & celuy qu'il a enuoyé Iesus Christ, à l'aymer, honorer & seruir de tout nostre pouuoir, à faire les choses qu'il nous commande, & es­uiter soigneusement celles qu'il nous defend, à prendre vne entiere con­fiance en sa Parole, à l'inuoquer en nos necessitez, & en nos manque­mens, auoir recours à sa grace par le merite de nostre Seigneur Iesus Christ; Et finalement à reconnoistre ses bien-faits pour l'en remercier de tout nostre coeur. Bref à nous esgayer en son nom, en crainte auec trem­blement, & à baiser le Fils qu'il nous a enuoyé pour accomplir le mystere de nostre redemption, Pseaume 2.

Le P.

Qu'est-ce que vous entendez par ces mots de baiser le Flis?

L'Enfant respond que c'est luy faire hommage, l'adorer & seruir.

Le F.

Adorer & seruir: Et de fait l'A­postre S. Paul interpretant ce Pseau­me, ensemble le passage du 97. où il est dit, vous tous les Dieux proster­nez-vous deuant luy, le rapporte à nostre Seigneur Iesus Christ; car au 6. vers. du 5. chap. de l'Epistre aux Hebr. il parte en cette sorte, Et lors que Dieu introduit son Fils premier né au monde, it dit, & que tous les Anges de Dieu l'adorent: De sorte que vous voyez, que par le comman­dement de baiser le Fits l'adoration est entenduë, & le baiser d'vn infe­rieur à l'endroit d'vn superieur est aucunement vn signe d'hommage; comme cela se voit en l'histoire de l'exaltation de Ioseph contenuë au chap. 41 de la Genese où il est dit, & particulierement au vers. 41. que Pharao Roy d'Egypte voulant esta­blir Ioseph pour gouuerner les affai­res [Page 236] de son Royaume luy dit, Tu seras sur ma maison, & tout mon peuple te baisera la bouche; seulement seray­je plus grand que toy, quant au trône. Or est-il facile de juger, que Pharao vouloit que tous ses sujers reconneus­sent Ioseph pour Viceroy, qu'ils luy portassent honneur & respect, qu'ils eussent recours à luy aux affaires im­portantes, & qu'ils luy obeïssent en tout ce qu'il leur commanderoit; Et le Prophete Samuel voulant designer l'homniage qu'il auoit fait à Saul, apres qu'il l'eut Oinct pour Roy sur Israël, dit qu'il le baisa, 1. Sam. chap. 10. vers. 1. Lors donc que Dieu com­mande aux Roys & Gouuerneurs de la terre, de baiser le Fils, it faut enten­dre deux choses; L'vne qu'il leur com­mande de luy faire hommage de leurs Couronnes; Et l'autre que ce com­mandement regarde aussi leurs su­jets: Et de fait sur la fin du Pseaume il est dit en termes expres, que tous [Page 257] ceux qui se retirent vers le Fils sont bien heureux. Ceux donc qui desirent paruenir à ce bon-heur, doiuent ser­uir Dieu en crainte, s'égayer à cause du salut qu'il leur presente en son Fils, & luy faire hommage, tant à cause de son excellence, que pour les biens qu'il leur fait.

Le P.

Cet hommage est il sembla­ble à celuy que les grands Seigneurs rendent aux Roys de la terre.

Le F.

Il y a. quelque rapport: Mais ils sont dissemblables en ce poinct, que ceux-là sont terriens; & celuy dont nous parlous est spirituel; parce que le Roy dont le Prophete parle est vn Roy spirituel, que les Anges & les hommes doiuent adorer.

Forme de l'hommage quo les Grands Seigneurs rendent aux Roys de la terre.

TOut ainsi donc que les Grands Seigneurs se mettent à genoux [Page 236] [...] [Page 257] [...] [Page 258] deuant le Roy armez de leurs armes, ceints de leurs espées, & qu'en cet estat les mains jointes ils reconnois­sent qu'il est leur Souuerain Sei­gneur, qu'ils sont ses vassaux, que les Seigneuries qu'ils possedent dans son Royaume, dont ils baillent vn de­nombrement, releuent de sa Couron­ne; que pour raison d'icelles ils luy doiuent honneur & seruice, promet­tent & s'obligent de luy rendre, soit à la guerre ou autrement, le prient de les proteger contre leurs enne­mis; & s'il leur est arriué de se re­beller, reconnoissent leur faute, luy en demandent pardon, & promet­tent de luy estre fidelle à l'aduenir, nous deuons aussi nous prosterner deuant la Majesté de nostre Seigneur le coeur & les mains esleuez au Ciel, armez des armures du Chrestien, & principalement du bouclier de la foy & de l'espée de l'Esprit, qui est la Pa­role de Dieu, reconnoistre qu'il est [Page 259] nostre Souuerain Seigneur, & luy faire l'hommage cy-apres designé.

Hommage fait à Dieu par l'Enfant.

ET partant, ô nostre bon Sei­gneur, je reconnois & con­fesse auec humilité, prosterné de­uant ta sainte Majesté, que tu es le Dieu fort, le Pere d'eternité, le Roy des Roys nostre souuerain Seigneur, Tout-puissant & tout Sage, tout Iu­ste, & tout Misericordieux, qui regnes au Ciel & en terre auec vn pouuoir absolu, que tu m'as donné estre, vie & mouuement auec les choses neces­saires pour la conseruation de ma vie, que tu m'as deliuré d'vn nombre in­finy de dangers, dont j'ay esté enui­ronné, par la malice de mes ennemis & par ma propre folie, que non con­tent de m'auoir departy tant de gra­ces, tu m'en as fait encore de plus grandes: Car tu m'as deliuré de la mort eternelle, en laquelle je m'estois [Page 260] precipité. Pour cet effet tu t'esanean­ty, tu t'es reuestu de nostre nature; & en cet estat tu t'es assujetty aux mise­res de cette vie, à la contradiction des pecheurs, à la persecution des mes­chans, & finalement à la mort mau­dite & ignominieuse de la Croix; Et par tes souffrances tu nous as fait con­noistre l'amour que tu nous portes, qui est certes plus forte que la mort; tu t'es, dis-je, exposé à la mort pour nous; & par la mort tu nous as deli­urez de la mort eternelle, & nous as merité la vie, & du Palais de ta gloire tu nous conduis par ta Parole & par ton S. Esprit; Et nonobstant nos re­bellions tu verses sur nous tes biens spirituels & temporels en si grande abondance que le denombrement nous en est impossible. D'autre part je reconnois qu'au lieu d'estre fidelle & reconnoissant, de te loüer & glori­fier comme je le dois, & comme tu le merites, j'ay esté rebelle, ingrat & [Page 261] mesconnoissant, que par ma rebel­lion & ingratitude je me suis rendu indigne de tes graces: & qui plus est j'ay attiré ton courroux & tes juge­mens sur moy: De sorte que quand tu m'aurois abandonné à la dureté de mon coeur, à la violence de mes en­nemis, tu n'aurois fait que justement: Mais, ô nostre bon Seigneur, j'ay ap­pris en ton escole, que tu es debon­naire & humble de coeur; qu'au plus fort de tes angoisses, tu as prié pour ceux qui te crucifioient; que du Pa­lais de ta gloire tu nous appelles à toy: que tu reçois benignement ceux qui ont recours à ta bonté: c'est pour­quoy je viens à toy pour obtenir mi­sericorde & trouuer grace: Ne me rejette point; ains plustost pardonne mes folies, pardonne mes foiblesses, pardonne mes legeretez, guery mon ame, purifie mon coeur, embraze le d'vne sainte amour, & d'vne sainte reconnoissance; chasse de mon esprit [Page 262] toute mauuaise pensée, deliure moy de toute corruption de corps & d'es­prit, donne moy de bonnes & saintes pensées, sanctifie moy par ta Parole, & par ton S. Esprit: fay moy cette gra­ce que je chemines deuant toy, en charité, en humilité auec toute recon­noissance; que je te glorifies en la vie & en la mort: deliure-moy de mes ennemis visibles & inuisibles, soû­tiens moy pendant le cours de cette vie: Car si tu détourne ta face de moy, je suis perdu, mes ennemis m'enue­lopperont en mesme temps: Ie m'at­tens donc à toy, ô Eternel mon Sau­ueur, parce que tu es fidelle & verita­ble, & qu'il n'y a point d'autre Sau­ueur que toy: & partant je te celebre­ray en la vie & en la mort.

Le P.

Il est vray que cét hommage comprend en soy tout le seruice de Dieu: Mais j'estime qu'il est à propos d'y apporter quelque distinction, & de sçauoir en combien de parties il se peut diuiser.

L'Enfant diuise le seruice de Dieu en quatre parties, montre qu'il faut seruir Dieu en corps & en ame, & qu'il n'est pas seruy par le morne silence des hommes.

Le F.

Le seruice de Dieu se diuise en quatre parties, qui sont la confiance, l'obeïssance, l'inuocation, & la recon­noissance: Et l'hommage que je viens de faire à mon Seigneur & Roy, & que je pretens renouueller tous les jours de ma vie, est composé de ces quatre vertus Euangeliques. Tout homme donc qui desire paruenir à la beatitude & felicité eternelle en doit vser de mesme; s'occuper de tout son pouuoir à cét exercice religieux, & rejetter l'opinion fanatique de ceux, qui veulent faire passer pour seruice de Dieu vn morne silence desnué de la profession exterieure, sous pretexte de ce que Dieu est Esprit, & qu'il veut estre adoré en esprit: Car ce n'est pas assez de croire de coeur, il faut aussi confesser de bouche, & faire pro­fession [Page 264] ouuerte & constante de la do­ctrine Euangelique: Car de coeur on croit à justice, & de bouche on fait confession à salut. Quiconque me confessera deuant les hommes, dit nostre souuerain Seigneur au 10. de S. Matthieu vers. 32. je le confesseray deuant mon Pere: Et au contraire quiconque me reniera deuant les hommes, ou aura honte de moy & de mes paroles, ajouste S. Marc au chap. 8. de son Euangile vers. 38. je le renie­ray deuant mon Pere.

Le P.

Cela est vray, & ainsi il faut prier Dieu auteur de nostre salut, qu'il nous face la grace de le glorifier, & seruir en corps & en ame; de chanter ses loüanges, de raconter ses oeuures grandes & admirables. Mais disons vn mot de chacune des quatre parties du seruice de Dieu, & commencez par la confiance.

De la Confiance.

Le F.

La confiance est vne asseu­rance [Page 265] certaine & asseurée que nous auons, que Dieu estant, comme il est, Tout-puissant & tout bon, accompli­ra les promesses qu'il nous a faites en l'Euangile, qui sont en substāce, qu'il nous pardonnera nos pechez pour l'amour de son Fils Iesus Christ, qu'il nous conduira en cette vie par sa Pa­role, & par son S. Esprit, & lors qu'il nous en retirera il receura nos ames en son repos; qu'au dernier jour il re­leuera nos corps de la poudre, & nous introduira en corps & en ame en son Paradis.

De l'Obeïssance.

Apres la confiance suit l'obeïssan­ce; car il est bien raisonnable que puis que Dieu est nostre Dieu Createur & conseruateur de tous les hommes, & qui plus est nostre Pere, qui nous a adoptez à soy en Iesus Christ, selon le bon plaisir de sa volonté pour nous rendre eternellement heureux, au temps mesme que nous estions ses en­nemis [Page 266] en nos entendemens & en mauuaises oeuures. Ephes. 2. vers. 1.2.3.4.5. & 6. Colloss. 1. vers. 21. & 22; Nous luy rendions l'honneur & l'o­beïssance qui luy est deuë: Et d'au­tant plus que tout ce qu'il nous com­mande est juste & saint. Car apres nous auoir fait entendre au 20. d'Exo­de ce qu'il est en soy, ce qu'il a fait pour son Eglise, il nous commande ce qu'il veut que nous fassions pour luy estre agreables. Or par le premier commandement, il nous defend de reconnoistre aucun autre Dieu que luy, & cette defense contient vn com­mandement tacite de l'aymer de tout nostre coeur, de toute nostre ame, & de toute nostre pensée, comme nostre souuerain Docteur nous l'a appris au 22. de S. Matthieu vers. 37. Ce qui est bien juste; puis qu'en effect il n'y a point d'autre Dieu que luy, que c'est luy qui nous a donné l'estre, & le bien estre, & qui nous conserue par sa [Page 267] bonté. A luy donc Pere, Fils & S. Esprit soit rendu l'honneur, le seruice & l'obeïssance qui luy est deuë. Par le deuxiéme, il nous defend de ren­dre aucun seruice religieux aux crea­tures, à quelque image ou ressem­blance que ce soit; ce qui est encore bien juste; puis que c'est luy qui est nostre seul Dieu & Sauueur, qui punit les transgresseurs de ses loix, & qui fait misericorde. C'est donc à luy seul à qui tout seruice religieux doit estre rendu, & non aux creatures de quel­que nature & condition qu'elles soient. Par le troisiéme, il nous defend de ne point prēdre son Nom en vain, ains plustost de le venerer & respe­cter: Et certes il n'y a rien de plus juste; puis que c'est ce Nom qui a esté reclamé sur nous, & par lequel nous sommes sauuez. Par le quatriéme, il nous commande de sanctifier le jour du repos, c'est à dire de cesser le tra­uail de nos mains pour mediter ses [Page 268] oeuures & sa Parole, vaquer à son ser­uice, & nous preparer afin de parue­nir au repos eternel: Et certes il est bien juste, puis que Dieu a fait l'hom­me pour sa gloire; qu'il y ait vn jour destiné pour mediter ses graces, pour chanter ses loüanges & nous adonner aux actes de pieté & de saincteté. Or si nous l'aymons, comme nous y som­mes obligez, nous le reconnoistrons pour nostre seul Dieu, nous ne trans­porterons jamais l'honneur qui luy est deu aux creatures, nous sanctifie­rons son saint Nom, nous mediterons ses oeuures, non seulement celles de la creation & de la conseruation de toutes choses; mais principalement le grand oeuure de nostre redemption par Iesus Christ, & les graces qu'il nous a faites à chacun de nous en par­ticulier; nous tascherons de faire les choses qu'il nous commande, pour luy estre agreables, qui se reduisent à ces deux poincts, d'aymer Dieu de [Page 269] tout nostre coeur, & nostre prochain comme nous mesmes, Matthieu 22. vers. 27.28. & 29. Par le cinquiéme il nous commande d'honorer Pere & Mere & tous nos Superieurs, & leur rendre honneur & seruice, ce qui est encore bien juste, puis qu'ils nous ont mis au monde, qu'ils trauaillent pour nostre instruction & conserua­tion, & que d'ailleurs ce comman­dement contient vne promesse ex­cellente; Et finalement par les 7. 8. 9. & dixiéme commandements Dieu nous defend de ne point médire, ny méfaire à nos prochains, ne point conuoiter le bien d'autruy: Et au contraire de trauailler à la conserua­tion de la vie, de l'honneur, & du bien de nos prochains; Ce qui est en­core bien juste, puis que Dieu qui est nostre Pere spirituel nous le com­mande, que d'ailleurs nous sommes freres en Iesus Christ, membres de son corps mystique, que nous som­mes [Page 270] nourris d'vn mesme pain, qui est sa Parole, & que nous auons vne mes­me esperance.

De l'Inuocation.

L'inuocation vient apres, qui nous est expressement commandée en di­uers endroicts des saintes Escritures, & particulierement au Pseaume 50. vers. 15. Inuoque moy au jour de ta detresse, & je t'en tireray hors, & tu me glorifieras. Or l'inuocation n'est autre chose que la priere que nous faisons à Dieu, par laquelle nous luy representons nostre pauureté, soit du corps, soit de l'ame, & luy deman­dons secours & assistance. Ce n'est pas qu'il ne la connût auparauant, & qu'il n'eust la volonté de nous secou­rir: Mais comme il est nostre Dieu, il veut que nous luy rendions cette dé­ference raisonnable. Et si la priere est faite auec foy, elle produit des effets admirables; comme l'histoire Sainte nous l'apprend, & l'experience nous [Page 271] le fait connoistre: Car elle monte au Ciel, comme autrefois le parfum de l'encens, duquel les Iuifs ont escrit, qu'on le voyoit monter nonobstant l'agitation de l'air quelque violente qu'elle fust; Et de fait il semble que le Prophete Roy ait voulu dire la mes­me chose, quant au Pseau. 141. vers. 2. Il dit, que ma requeste soit adressée deuant toy comme le parfum. Cette messagere donc se presente deuant Dieu auec vne sainte hardiesse; & par maniere de dire luy arrache des mains les verges dont il nous menaçoit, ob­tient ce qu'elle demande, & Dieu ac­complissant sa promesse nous deliure de nos tribulations, & nous enuiron­ne de sa Prouidence, comme d'vne nuée, qui nous met à couuert & nous garentit de la violence de nos enne­mis, comme autrefois les Israëlites de la main des Egyptiens. Exode chap. 14. vers. 19. & 20.

De la Reconnoissance.

En dernier lieu, vient la reconnois­sance, qui est proprement l'action de graces que nous rendons à Dieu pour ses bien-faits spirituels & corporels, non seulement de bouche, mais prin­cipalement de coeur, & par toutes nos actions.

Le P.

Suffit-il de scauoir ces choses?

Le F.

Non: Mais il faut les mettre en pratique; car la Religion ne consiste pas en paroles seulement, qui ne sont proprement qu'vn son; Mais en foy & charité, en vertus Chrestiennes qui sont les fruits de la foy; Et c'est à mon opinion ce qui estoit designé par les clochettes & par les grenades qui estoient à l'entour de la robbe du Sou­uerain Sacrificateur.

Le P.

Enquoy consiste la pratique.

Le F.

A reconnoistre Dieu, seul vray Dieu, Createur & Conseruateur de toutes choses, auteur de nostre salut; à l'aymer, honorer & seruir, en nous [Page 273] conformant à sa volonté contenuë & declarée és saintes Escritures; les­quelles il faut pour cet effet lire & mediter soigneusement, nous trou­uer aux saintes assemblées, dans les­quelles elle est preschée & enseignée, & nous adonner aux actes de Pieté & de charité.

Le P.

Le faites vous ainsi?

Le F.

Ie fais bien quelques petits essais, mais si foiblement que quel­que action que j'entreprenne, je me trouue enlassé & diuerty par de mau­uaises pensées: De sorte que je suis obligé de m'escrier auec S. Paul; las! miserable que je suis, qui me deliure­ra du corps de cette mort. Rom. 7. vers. 24. Et ainsi mes prieres ont besoin d'autres prieres pour obtenir pardon de la faute que j'ay commise aux pre­mieres. I'ay donc recours à la grace & misericorde de Dieu par Iesus Christ: je le prie de supporter mes defauts, de me regarder en la face de son bien-aymé [Page 274] qui a accomply toute justice pour moy, me donner son S. Esprit, l'Esprit de priere & de sanctification.

Le P.

Croyez-vous que Dieu qui est vne Essence eternelle & qui habite vne lumiere inaccessible vueille vous exaucer, vous qui n'estes qu'vn petit garçon.

Le F.

Dieu n'a pas égard à l'apparen­ce des personnes, il exauce le petit aussi bien que le grand; pourueu que la priere soit faite auec foy. Et nostre Seigneur nous a fait connoistre l'esti­me qu'il fait des petits enfans yssus de peres & meres fideles comme moy: Car lors que les Apostres voulurent empescher ceux qui luy vouloient presenter des petits enfans afin qu'il les benit, Il leur dit; Laissez les petits enfans venir à moy, & ne les empes­chez point; car à tels est le Royaume de Dieu. Matth. 19. vers. 13. & 14. Fon­dé sur cette promesse, & sur le com­mandement cy deuant rapporté, je [Page 275] m'adresse à Dieu par Iesus Christ, & je ne fais point de doute qu'il ne m'exauce: Mais il y a plus, c'est que par sa grāde charité, il a preuenu mes prieres; car auparauant que je fusse, il m'auoit aimé & predestiné pour me rendre conforme à l'image de son Fils Iesus Christ, & au temps qu'il auoit determiné en son Conseil eternel, il m'a fait naistre en son Eglise; & lors que je suis venu au monde, il m'a re­ceu en sa protection, m'a donné le seau de son alliance, c'est à sçauoir le Baptesme, a reclamé son nom de Pere, Fils & S. Esprit sur moy, & les prieres que je fais par lesquelles je luy tesmoi­gne ma recónoissance, & luy demāde la continuation de sa grace, viennent de luy: Car nul ne peut appeller Dieu son Pere que par le S. Esprit. Rom. 8. vers. 15. & 16. Gal. 4. vers 6.

Le P.

Auez vous vne regle certaine de vos prieres, ou suiuez vous les pre­miers mouuemens de vostre esprit.

Le F.
[Page 276]

Ie regle mes prieres à la Parole de Dieu; Et comme il nous com­mande de l'inuoquer en nos necessi­tez, & qu'il nous promet de nous en ti­rer hors, je luy demande son S. Esprit; l'esprit de priere & de Sanctification, & les autres choses dont je puis auoir besoin; Et en tout je tasche de former mes prieres sur la regle tres-parfaite que nostre Seigneur Iesus Christ nous en a dōnée en l'Oraison Dominicale.

Le P.

Donnez moy vn abregé de vostre exercice religieux, afin que si ce Dialogue vient en quelque autre main, on voye comment nous nous sommes conduits; Et si nous auons bien fait qu'on nous imite, ou qu'on tasche de faire mieux.

Le F.

Vous sçauez, mon pere, que vous auez estably cet ordre dans vo­stre famille, que matin & soir vous me faites lire deux ou trois chapitres pen­dant que mes soeurs s'abillent, ou que ma mere les occupe à quelque ouura­ge, [Page 277] elles sont pourtant presentes & assistent à la lecture, parce que le mouuement des mains n'empesche pas la fonction des oreilles; Mais de­uant que commencer la lecture du matin je fais cette Priere.

NOus te rendons graces, ô Pere de Misericorde, Dieu de toute Consolation, de ce qu'il t'a pleu nous conseruer la nuict passée, & nous en­uoyer la lumiere du jour: Mais d'autant que cette lumiere corporelle nous seroit inutile, & qui plus est prejudiciable, sans la lumiere de l'entendement; parce qu'el­le nous tourneroit en cōdamnation; nous te supplions, ô toy nostre bon Seigneur qui es le Soleil de Justice, qui porte la santé en tes aisles, & qui illumine tout homme venant au monde, dissipe les te­nebres d'erreur & d'ignorance dont nos entendemens sont enuelopez, donne nous l'intelligence de ta sainte Parole, engraue là en nos coeurs, afin qu'elle produise des fruicts de sainteté, de Iustice & d'inno­cence [Page 278] qui te soient agreables. Apres je commence la lecture, nous chan­tons vn Pseaume, ou les trois derniers couplets du Pseaume 90. Et vous nous faites obseruer les doctrines plus con­siderables qui s'y rencontrent.

La lecture finie nous mettons les genoux en terre, nous éleuons nos coeurs & nos mains au Ciel; Et comme nous sommes trois, vous auez com­posé vne Priere, sans doute pous nous exercer tous trois: De sorte que l'vn commence par la Cōfession generale des pechez, à laquelle il ajoûte la Prie­re du matin ou du soir, l'autre conti­nuë par l'Oraison Dominicale, & par le Symbole des Apostres, & le troisié­me prononce cette Priere.

SEigneur, nous te rendons graces pour tous les biens que tu nous as faits, & particulierement de ce que tu nous as appellez à la connoissance de ton Fils Jesus Christ, par le merite duquel nous [Page 279] sommes rendus participans de tous tes biens, Grace sur graces, donne nous ton S. Esprit, afin qu'il nous enseigne à te connoistre & seruir, à rendre à nos Su­perieurs l'honneur & l'obeïssance que nous leur deuons, à nos prochains l'a­mour & la bien-vueillance que tu nous commande; nous t'en supplions pour l'amour de ton Fils Jesus Christ, & qu'il te plaise faire la mesme grace à tous les fideles, donner repos à ton Eglise, con­solation aux affligez, santé aux malades. Et si nous sçauons que quelqu'vn de nos parens ou amis soit malade, nous ajoûtons ces mots, & particulierement à vn tel; Auquel comme à nous, & à tous nos parens & amis, nous te sup­plions donner ta sainte benediction.

Apres cela je fais mon exemple, j'estudie, & aux difficultez que je ren­contre en mon exercice, j'éleue mon coeur vers celuy qui appelle aux fins & aux moyens; & le soir venu nous finissons la journée comme nous [Page 280] l'auons commencée par la lecture de la Parole de Dieu, par le chant d'vn Pseaume, & par la Priere.

Le P.

Selon mon opinion, cet exer­cice religieux est dans le bon ordre, j'en laisse le jugement à ceux qui sont plus sages que nous; mais il me sem­ble que vos Prieres sont conformes à la regle que nostre Seigneur nous en a donnée, & à l'ordre que nos Peres ont estably en l'Eglise; car l'action de grace que vous rendez à Dieu en vows leuant, & deuant tout oeuure, de ce qu'il vous a conserué la nuit, est vn effet de vostre reconnoissance, la de­mande que vous luy faites pour obte­nir son S. Esprit, qui est l'Esprit de Priere & de sanctification, fait voir que vous reconnoissez vostre pauure­té naturelle, que vous acquiescez à ce que S. Paul nous a laissé par écrit au chap. 8. de l'Epistre aux Rom. vers 25. que nous ne sçaurions prier Dieu comme il appartient sans l'assistance [Page 281] du S. Esprit, d'autant que c'est luy qui forme nos Prieres, ou qui prie luy mesme pour nous, & qui nous con­duit aux voyez de Dieu; Et en ce que vous reconnoissez que la lumiere ex­terieure vous seroit inutile, sans la lu­miere de l'entendemēt. Vous auoüez que vous estiez naturellement en te­nebres, que Dieu est lumiere, & sour­ce de lumiere, & que par sa lumiere nous voyons clair; Et lors que vous mettez vos genoux à terre, que vous éleuez vostre coeur & vos mains au Ciel: qu'en cet estat vous faires con­fession de vos pechez, que vous en demandez pardon à Dieu, & la grace de mieux viure à l'auenir, vous faites connoistre que vous renoncez à vous mesme, que vous mettez vostre fian­ce en Dieu, & que vous vous asseurez aux promesses que le Pere & le Fils vous ont faites: Le Pere au Pseaume 50. cy-deuant allegué, inuoque moy au jour de ta détresse & je t'en tireray [Page 282] hors; Et le Fils en S. Iean chap. 16. vers. 25. En verité, en verité je vous dis, que toutes les choses que vous de­manderez au Pere en mon Nom, il vous les donnera. Et an chap. 14. vers. 13. quoy que vous demandiez en mon Nom je le feray.

La Priere que vous faites pour la prosperité de l'Eglise en general, & pour la consolation des fidelles affli­gez, est vn effet de vostre zele à la gloire de Dieu, & de vostre charité enuers vostre prochain. Si donc vous continuez en cet exercice religieux; Et si vous taschez d'augmenter en connoissance & en foy suiuant le commandement de S. Pierre contenu au chap. 1er de sa seconde, ajoûtant vertu par dessus; Et auec vertu at­trempance; & auec attrempance pa­tience; & auec patience pieté: & auec pieté amour fraternel; & auec amour fraternel charité, Dieu rati­fiera son alliance auec vous, il vous [Page 283] sera Dieu, vous deliurera de vos tri­bulations, vous comblera de ses gra­ces; Et finalement vous introduira au Royaume de son Fils, pour vous faire regner eternellement auec luy. Ie le suplie de tout mō coeur que cela soit.

Le F.

Ie tascheray d'en vser ainsi, & j'espere que Dieu me fortifiera, qu'il exauce vos Prieres, & qu'il accom­plira ses promesses enuers moy.

Le P.

Ainsi soit-il, mon fils: Au sur­plus nous auons parlé plusieurs fois des bonnes oeuures: Mais comme il est important d'en sçauoir l'vsage, j'e­stime qu'il est necessaire de nous en­tretenir sur le sujet d'icelles; Et d'au­tant plus, que vous auez dit que nous sommes sauuez par foy sans oeuures: Si cela est-il semble que les bonnes oeuures sont inutiles; Et s'il est autre­mēt, & que les bonnes oeuures soient necessaires, il semble aussi que nous coôperons auec Dieu, & que nous contribuons à nostre salut. Conciliez [Page 284] ces choses, & esclaircissez moy fur cette difficulté.

Traitté des bonnes oeuures, & de l'v­tilité d'icelles; auquel est montré qu'elles n'ont point de merite.

Le F.

SAint Paul au 10. verset du chap. 2. de son Epistre aux Epheziens dit, Que nous sommes l'ouurage de Dieu estās créez en Iesus Christ à bonnes oeuures que Dieu a preparées afin que nous cheminions en icelles: & par ce passage comme par plusieurs autres, il nous apprend que l'vsage & la pratique des bonnes oeuures est necessaire au Chrestien: Mais afin qu'aucun ne presume de pouuoir contribuer à son salut par ce moyen, ny meriter quelque chose enuers Dieu par ses oeuures; Il dit ex­pressement aux deux versets prece­dens, que nous sommes sauuez par grace par la foy; & cela non point de nous, c'est le don de Dieu, non point [Page 285] par oeuures, afin que nul ne se glorifie. D'où s'ensuit, que combien que l'homme fidelle s'adonne à sainteté & à bonnes oeuures, comme il y est obligé, il ne peut coôperer auec Dieu, ny contribuer à son salut: puis que nous sommes sauuez par la grace de Dieu par foy, & non par oeuures.

Objection.

Le P.

Pourquoy donc l'Apostre S. Iacques dit-il au chap. 2. de son Epi­stre Catholique vers. 24. que l'hom­me est justifié par les oeuures, & non seulement par la foy: Car si cela est, la doctrine de S. Paul est aneantie.

Response.

Le F.

I'estime qu'il est facile de res­pondre à cette objection: pourueu que nous y apportions les distinctions conuenables: premierement il faut obseruer que c'est le S. Esprit, qui est l'autheur des Epistres de ces Saints hommes: Et ainsi qu'il n'y peut auoir aucune contradiction entr'eux; veu [Page 286] que le S. Esprit ne se contredit jamais: Et secondement que S. Iacques ne parle pas en ce verset 24. de la foy ju­stifiante, qui vnit l'homme auec Dieu: Mais d'vne vaine opinion de foy, de­stituée de charité & de bonnes oeu­ures, dont la pluspart des hommes se glorifient; combien qu'elle ne distin­gue pas l'homme d'auec les Diables: Et c'est de cette vaine apparence de foy, dont S. Iacques parle, & de la­quelle il dit que l'homme n'est pas justifié par cette foy: Et de fait aux vers. 14.15. & suiuans jusques au 20. iceluy compris, il montre que cette foy ne peut porter aucun auantage à celuy qui s'en glorifie; parce qu'elle est destituée de charité, qu'elle est morte en elle mesme, & qu'elle ne peut produire aucun fruit. Mais quād il parle de la vraye foy; de la foy justi­fiante, il en parle d'vne autre sorte, & plus auantageusement; Car au verset 23. il dit qu'Abraham le pere des [Page 287] croyans a esté justifié par cette foy: Abraham, dit-il, a crû à Dieu, & sa foy luy a esté alloüée à justice, & il a esté appellé amy de Dieu: il est vray qu'au vers. 21. Il auoit dit qu'Abraham a esté justifié par ses oeuures, quand il a of­fert son fils Isaac; mais au vers. suiuant il s'explique, & montre comment cela se doit entendre, sçauoir que la foy d'Abrahā agissoit auec les oeuures, & que par les oeuures sa foy a esté renduë accomplie: Comme s'il disoit qu'Abra­ham ayant premierement crû à Dieu, s'est addonné à sainteté, & à bonnes oeuures, & que par ses oeuure sil a ma­nifesté sa foy deuant les hommes, & à obtenu ce tesmoignage auantageux d'auoir esté fi delle & craignant Dieu; Et ce que S. Paul dit au chap. 4. de l'Epistre aux Romains vers. 2. se rap­porte à cela. Certes, dit l'Apostre, si Abraham a esté justifié par ses oeu­ures, Il a dequoy se vanter, mais non pas enuers Dieu. Et au 3. vers. il ajoû­te [Page 288] qu'Abraham a crû à Dieu, & que sa foy luy a esté alloüée à justice: De sorte que le S. Esprit pose pour fonde­ment de la justification, la foy & non les oeuures; Et apres il fait suiure les oeuures comme fruits de la foy, qui seruent, comme j'ay déja dit, à justi­fier les fidelles deuant les hommes, & non deuant Dieu; puis que Dieu nous sauue par sa grace par foy, & non par oeuures, suiuant le témoigna­ge de S. Paul du deuxieme des Ephe­siens cy-deuant rapportez.

Le P.

Puis que les oeuures n'ont point de merite, pourquoy nous sont­elles tant recommandées?

Le F.

Afin que Dieu soit glorifié par icelles & nostre prochain edifié: Car Iesus Christ nous commande de faire luire nostre lumiere deuant les hom­mes, afin que les hommes voyant nos bonnes oeuures glorifient Dieu, Mat. 5. vers. 16.

Le P.

N'ont-elles pas quelque autre vsage?

Le F.
[Page 289]

Elles seruent encore à affer­mir nostre vocation; comme l'A­postre saint Pierre nous l'apprend au chap. premier de sa seconde vers. 10.

Le P.

Les bonnes oeuures ne sont donc pas inutiles au Chrestien?

Le F.

Au contraire vtiles & neces­saires: & ainsi nous deuons cheminer en icelles, suiuant le passage de saint Paul du deuxiéme chapitre de son Epistre aux Epheziens cy-deuant rap­porté, d'autant qu'elles sont des preu­ues certaines & infaillibles de nostre élection, de nostre sanctification, & de nostre glorification future: mais pourtant j'en reuiens-là qu'elles n'o­perent pas nostre salut, & n'en sont nullement la cause, ains seulement les demonstrations. Ceux donc qui ont voulu chercher leur salut au pre­tendu merite des oeuures; comme le Pharisien, dont parle S. Luc au chap. 18. de son Euangile vers. 11. & 12. n'y ont pas trouué leur satisfaction: Il [Page 290] faut donc imiter le Peager tant mes­prisé par cet orgueilleux Pharisien, nous humilier comme luy & cher­cher nostre salut, non au pretendu merite de nos oeuures, mais en la gra­ce & misericorde de Dieu par Iesus Christ, & nous retournerons justifiez en nos maisons.

Le P.

Mais puis que suiuant le dire de S. Paul Gal. 3. vers. 5. Dieu produit en nous les vertus Chrestiennes par l'operation du S. Esprit: N'est-ce pas luy faire outrage que de n'attribuer aucun merite aux bonnes oeuures?

Le F.

Non; parce que nostre nature a esté tellement corrompuë & depra­uée par le peché, que les vertus Chrê­tiennes que Dieu produit en nous, se corrompent comme vn eau claire & nette qui viendroit d'vne source pu­re, & qui passeroit par vn canal cor­rompu; De sorte que nos meilleures actions sont tellement imparfaictes à cause du peché habitant en nous, que [Page 291] si Dieu les examinoit à la rigueur, au lieu de meriter quelque recompense, nous meriterions d'estre chastiez à cause de leur imperfection: Par exem­ple, nos prieres sont tellement di­straites & trauersées par vne infinité de mauuaises pensées, qu'elles ont be­soin d'autres prieres pour obtenir par­don de la faute que nous auons com­mise aux premieres, & ainsi iusqu'à l'infiny; & à mon esgard, si je veux m'adonner à quelque bonne oeuure, j'y trouue vne si grande resistance que je ne puis faire le bien qui m'est commandé: au contraire, je fais le mal qui m'est deffendu, & en cela semblable à nostre premier Pere: de sorte que je suis obligé de dire auec S. Paul Rom. 7. vers. 18. & suiuans, que je ne fais point le bien que je veux, que je fais le mal que je haïs, que j'ay vne Loy en mes membres qui bataille contre mon entendement, qui me rend captif à la Loy de peché, [Page 292] & de m'escrier auec luy: Las! misera­ble que je suis, qui me déliurera du corps de cette mort.

Le P.

Nos bonnes oeuures sont donc desagreables à Dieu: puis qu'elles por­tent les marques de nostre infirmité naturelle.

Le F.

Elles luy seroient sans doute desagreables s'il les consideroit auec leurs deffauts: Mais comme il nous commande de nous addonner à sain­teté, & à bonnes oeuures, de luy offrir sacrifices spirituels: non seulement il les a agreables en Iesus Christ, en sup­porte les deffauts, comme l'Apostre S. Pierre nous l'apprend en sa premie­re chap. 2. vers. 5. mais qui plus est, il les recompense en cette vie, & en la vie à venir; comme vn bon Pere qui recompense les petits essais de ses en­fans, quoy que foibles & imparfaits, afin de les encourager à mieux fai­re, Esaye 58. Matth. 25. vers. 35. & suiuans.

Le P.
[Page 293]

Toutes les oeuures que les hommes font meritent-elles le titre & la qualité de bonnes, & sont-elles indifferemment agreées & recom­pensées de Dieu?

Le F.

Non: mais celles que Dieu commande, & qui sont faites par l'homme qui a le coeur purifié par foy, qui aime Dieu, qui s'est proposé de luy plaire, & de faire les choses qui luy sont agreables; celles là seules sont & doiuent porter le titre & la qualité de bonnes oeuures: mais celles qui ne sont point commandées, & qui sont faites sans foy sont peché, Rom. 14. vers. 23.

Le P.

Dites-moy donc quelle est la regle des bonnes oeuures, afin que nous ne nous abusions en cette di­stinction.

Le F.

Les Commandemens de Dieu, Exode 20. diuisez en deux Tables, dont la premiere contient quatre par­ties qui reglent le seruice que nous [Page 294] deuons à Dieu de pensée, de parole, & par nos actions; Et la deuxiéme en contient six, qui reglent l'amour, le seruice & l'assistance que nous de­uons à nostre prochain de parole & de fait, comme j'ay dit cy-deuant.

Le P.

Puis que Dieu nous a donné sa Loy pour regler nos pensées, nos paroles & nos actions, & qu'il a pro­mis la vie eternelle à ceux qui l'accō ­pliront; Il s'ensuit que nous pouuons l'obtenir par l'obseruation de la Loy, c'est à dire, par le merite de nos oeu­ures.

Le F.

S'il se trouuoit quelqu'vn qui pust accomplir la Loy, & qui fust sans peché en son corps & en son ame, il pourroit obtenir ou paruenir à la vie par ses oeuures, suiuant la pro­messe de Dieu contenuë au 18. du Le­uitique vers. 5. en ces mots: Vous garderez mes Statuts & mes Ordon­nances, lesquelles si l'homme accom­plit il viura par icelles. Mais comme [Page 295] il n'y a jamais eu aucun homme qui l'ait accomplie que Iesus Christ, Dieu & homme, tous hommes sont natu­rellement sous malediction, & en la mort; Car il est escrit: Maudit est quiconque n'est permanent en tou­tes les choses qui sont escrites au liure de la Loy pour les faire. Galat. 3 vers. 10. Bien loin donc d'obtenir le salut par nos oeuures.

Objection du Pere sur le sujet de l'vsage de la Loy.

Le P.

Il semble que ce soit chose bien étrange que Dieu nous ait don­né vne Loy que nous ne sçaurions ac­complir: & neantmoins qu'il pro­nonce malediction contre les trans­gresseurs d'icelle.

L'Enfant respond à l'Objection, & montre l'vsage de la Loy.

Le F.

Si nous auions bien compris l'intention du Legislateur, & si nous sçauions le vray vsage de la Loy, nous ne trouuerions pas étrange qu'il l'ait [Page 296] donnée aux hommes, & qu'il fou­droye sa malediction contr' eux: com­bien qu'il sçache qu'il n'est pas en leur pouuoir de l'accomplir. Il est donc necessaire d'obseruer, premie­ment que lors que Dieu a donné sa Loy aux hommes, il ne les a pas con­sideré tels qu'ils sont à present, mais tels qu'ils estoient en Adam lors qu'il fut creé, sçauoir purs & nets de toute soüilleure, fidelles & obeïssans à ses Commandemens: Et en ce faisant, il ne leur fait aucun tort, d'autant qu'il exige de son debiteur ce qui luy est legitimement deub, sans s'informer s'il est deuenu insoluable; Seconde­ment, que le but du Legislateur n'a pas esté de sauuer les hommes par l'obseruation de la Loy, car il con­noissoit bien leur foiblesse, & sçauoit qu'il leur estoit entierement impossi­ble de l'accomplir: Et de fait, il nous l'a denoncé par le ministere de ses ser­uiteurs, qui nous ont appris que nulle [Page 297] chair ne sera justifiée deuant luy par les oeuures de la Loy. Rom. 3. vers. 20. Il veut donc les sauuer, non en fai­sant, mais en croyant; Et c'est ce que nostre Seigneur Iesus Christ nous a appris luy-mesme par la response qu'il fit aux troupes, qui luy auoient demandé qu'est-ce qu'ils deuoient faire pour oeuurer les oeuures de Dieu, & paruenir à la vie eternelle, dont il venoit de leur parley. C'est icy l'oeu­ure de Dieu, leur dit-il, que vous croyez en celuy qu'il a enuoyé, Iean. 6. vers. 27.28. & 29. Et par le mini­stere de S. Paul, lequel ayant aussi esté requis par le Geolier de Philippes, de luy apprendre ce qu'il deuoit faire pour estre sauué; Il luy respondit, croy au Seigneur Iesus Christ, & tu seras sauué, toy & toute ta maison, Actes 16. vers. 29.30. & 31. Or pour paruenir à ce but, il a fallu desabuser les hommes, leur faire connoistre leur pauureté & leur foiblesse, leur mon­trer [Page 298] combien ils sont éloignez de la pureté que Dieu requiert d'eux: en combien de façons ils luy sont rede­uables, & par mesme moyen arra­cher de leur esprit cette maudite opi­nion de meriter qu'ils ont injuste­ment conçeuë; afin que renonçans à eux mesmes ils ayent recours à sa Misericorde, puis que c'est luy qui nous a justifiez gratuitement par sa Grace, par la Redemption qui est en Iesus Christ, lequel Dieu a ordonné de tout temps pour propitiation par la foy au sang d'iceluy. Rom. 3. vers. 23. & 24. Au moyen dequoy nous deuons tenir pour constant, que Dieu n'a pas donné sa Loy aux hommes pour les sauuer; Mais pour leur faire connoistre leur foiblesse & les ame­ner à Iesus Christ, qui est la fin & l'ac­complissement de la Loy en Iustice à tout croyant. Rom. 10. vers. 4. & qui de fait l'a accomplie pour nous; Car il s'est chargé de nos transgressions, a [Page 299] porté nostre malediction sur la Croix, & nous a deliurez de la malediction de la Loy, l'ayant receuë sur soy: Et au lieu de la malediction nous a me­rité & obtenu la benediction de son Pere. 2. Cor. chap. 5. v. 21. nous faisant jouïr de l'effet de la promesse cōtenuë au 5. v. du 18. du Leuit. rapporté en ma response precedente: De sorte qu'au lieu de nous estonner, lors que Dieu parle à nous de la Montagne de Sinaï; nous deuons recourir à sa grace, au merite, à la satisfactiō de Iesus Christ, & admirer la Puissance, la Sagesse & la Bonté de Dieu qui est telle, qu'en exigeant de nous ce que nous luy de­uions, il s'est pourueu luy mesme d'vn garand à cause de nostre insoluabili­té, lequel a pleinement satisfait & payé pour nous; Et au surplus le re­mercier de ce qu'il nous a donné sa Loy, pour nous estre vne regle parfai­te de toute Iustice & sainteté, vn mi­roir pour nous faire voir nostre lai­deur; [Page 300] D'autant que par la Loy nous est donne connoissance du peché, Rom. 3. vers. 20. & vn pedagogue pour nous amener à Iesus Christ, qui est la fin & l'accomplissement de la Loy en justice à tout croyant, comme je viens de le montrer par le passage rapporté du 10. des Romains.

Le P.

Loüé soit ton sainct Nom, ô Pere de Misericorde, Dieu de toute Consolation, de ce que tu as si sage­ment pourueu à nostre salut, en don­nant ton Fils bien aimé pour nous pauures & miserables pecheurs, re­belles, ingrats & desobeïssans tout à fait indignes de ta grace. Loüé sois-tu à jamais, ô toy nostre bon Seigneur, qui'es interuenu pour nous, qui t'es constitué nostre plege, & nostre ga­rand, qui as porté nos langueurs, qui as payé pour nous; & satisfait la justi­ce de ton Pere par le Sacrifice de ton corps, qui as porté nostre maledi­ction. O nostre bon Seigneur ne te [Page 301] lasses pas de nous bien faire; Esten tes compassions sur nous, purifie nos coeurs embrase les d'vn saint amour, & d'vne sainte reconnoissance; Fay nous la grace de cheminer en tes voyes en foy, en charité, en humilité auec toute reconnoissance. Or mon fils, puis que la Loy est d'vn vsage si excellent, il faut nous former sur ses preceptes, reconnoistre nostre mise­re, renoncer à nous mesmes au pre­tendu merite des oeuures, recourir à Iesus Christ nostre seul Sauueur, puis qu'il l'a accomplye pour nous, qu'il a porté nostre malediction, & qu'il nous a merité & obtenu la benedi­ction de son Pere.

Le F.

Ouy mon pere, de ma parr je renonce de bon coeur au pretendu merite des oeuures; Et crois qu'il n'y a point de salut qu'en Iesus Christ, qui nous a esté fait de par Dieu Sapience, Iustice, Sāctification & Redemption, 1. Cor. chap. 1. vers. 30. Et puis que [Page 302] nous trouuons en luy tout ce qui nous est necessaire, que hors de luy il n'y a que ruïne & malediction. Ie mets toute mon esperance en luy, je m'adresse à luy comme à mon seul Sauueur, je le prie qu'il me fasse la grace de perseuerer constamment en la profession de sa verité: Et ainsi fai­sant je crois que je seray sauué; non point par mes oeuures; mais de grace par la foy, comme l'Apostre S. Paul nous l'apprend au chap. 2. de son Epi­stre aux Ephes. vers. 8. & 9.

Le P.

Puis qu'il est ainsi que nous ne pouuons estre sauuez par nos oeuures, d'où vient que la pluspart des hom­mes cherchent leur salut en eux mes­mes, & croyent ne pouuoir estre sau­uez, s'ils ne coôperent auec Dieu, comme ils parlent.

Le F.

Cela ne peut venir que de l'es­prit d'erreur & de mensonge qui a aueuglé les hōmes, & qui les conduit par vn autre chemin que celuy que [Page 303] Dieu a ordonné, afin de les precipiter dans les abysmes d'ombre de mort: Car puis que l'homme Chrestien est justifié par foy sans oeuures, comme S. Paul nous l'a appris au passage du chap. 2. de son Epistre aux Ephes. il s'ensuit que ceux qui cherchent leur salut au pretendu merite des oeuures, sont rebelles & s'aheurtent contre la Parole de Dieu, renoncent à sa grace, & au merite de la Mort & Passion de nostre Seigneur Iesus Christ, & n'ont point de part à son salut: A quoy aussi ils ont esté ordonnez, comme S. Pier­re l'a declaré ouuertement en sa pre­miere chap. 2. vers. 7. & 8.

Le P.

I'auouë que nous sommes sau­uez par foy sans oeuures: Mais je ne puis comprendre que ceux qui croyēt pouuoir contribuer à leur salut par l'exercice des bonnes oeuures, soyent du nombre de ceux qui ont esté rejet­tez; veu que les bonnes oeuures nous sont tant recommandées, & encore [Page 304] moins qu'ils ayent esté ordonnez à ce malheur.

L'Enfant soûtient sa proposition, montre par deux passages formels, que ceux qui veulent joindre le pretendu merite des oeuures, au me­rite du sang de la Croix de Iesus Christ, sont tombez en sens reprouué.

Le F.

Lors que Dieu appelle à vne fin, il appelle aussi aux moyens. Or la fin de l'homme Chrestien, est la gloi­re de Dieu & son salut: le moyen par lequel nous y paruenons est la foy, & non les oeuures; comme l'Apostre S. Paul nous l'apprend au chapitre 3. de l'Epistre aux Romains: car apres nous auoir montré & fait voir l'estat de tous les hommes en leur naturel, il conclud au 20. verset, que nulle chair ne sera justifiée par les oeuures de la Loy; & au verset 22. il ajoûte, que tous hommes ont peché, & sont entierement destituez de la gloire de Dieu, de l'honneur qu'ils auoient re­ceu du Seigneur d'auoir esté créez à [Page 305] son image en sainteté & justice: Mais aux vers. 23.24. & 25. il nous apprend que nous sommes justifiez gratuite­ment par la grace de Dieu, par la re­demption qui est en Iesus Christ, le­quel Dieu a ordonné de tout temps pour propitiatoire par la foy au sang d'iceluy, afin de demontrer sa Iusti­ce par la remission des pechez prece­dens, voire afin de demontrer sa Iu­stice au temps present, afin qu'il soit trouué juste & justifiant celuy qui est de la foy de Iesus; Et pour arracher de nos esprits cette vaine presomption du merite des oeuures, il se fait cette demande au verset 26. Où est donc la vantance? & apres il se respond, Elle est forclose, & par quelle Loy! Est-ce par celle des oeuures? Non, mais par la Loy de la foy; Nous concluons donc, ajoûte-il au verset 27. que l'homme est justifié par foy sans les oeuures de la Loy: Et ainsi voyons-nous que ceux qui croyent en Iesus Christ, & qui [Page 306] cherchent leur salut au merite de sa Croix, obtiennent la vie, & ne seront point confus, 1. Pier. chap. 2. vers. 6. Et au contraire ceux qui cherchent leur salut au pretendu merite des oeu­ures, sont rebelles, & Iesus Christ leur est pierre d'achoppement, pierre de trebuschement, à quoy aussi ils ont esté ordonnez, vers. 7. & 8. Apres luy S. Iude parlant aux Fidelles: Bien ay­mez, leur dit-il, aux vers. 3. & 4. de son Epistre: Comme ainsi soit que je m'e­studie de vous escrire du salut com­mun, il m'a esté necessaire de vous ex­horter à soûtenir le combat pour la foy, laquelle a esté vne fois baillée aux Saints; Car quelques-vns, ajoûte-il, se sont glissez, parlant des faux Do­cteurs, qui vouloient accommoder la Religion Chrestienne auec la Iudaï­que, & joindre la Circoncision à l'E­uangile, le pretendu merite des oeu­ures, au merite de la Mort & Passion de nostre Sauueur, lesquels changeans [Page 307] la grace de Dieu en dissolution renon­cent le seul Dominateur Iesus Christ, nostre Dieu & Seigneur; Ceux-là, dit-il, sont gens sans pieté, lesquels dés long-temps auparauant estoient enrollez à vne telle damnation. Vous voyez donc, mon pere, par ces deux passages que la foy en Iesus Christ est le seul moyen pour aller, ou pour par­uenir à la vie eternelle: Et au contrai­re que ceux qui ne peuuent tenir pour suffisant le merite de sa Mort & Pas­sion, & qui veulent joindre le preten­du merite de leurs oeuures sont tom­bez en sens reprouué, & que dés long-temps auparauant ils auoyent esté en­rollez à vne telle damnation.

La Pere acquiesce & montre par deux exemples que les bonnes intentions des hommes sont le plus souuent contraires à la volonté de Dieu: Et que leurs pretenduës bonnes oeuures ont esté rejettées, & les auteurs d'icelles diuerses fois punis, exhorte l'Enfant à l'obeïssance.

Le P.

Dieu par sa misericorde nous [Page 308] fasse la grace de nous assujettir à sa dis­cipline auec humilité, & de renoncer au pretendu merite des oeuures: De ma part j'y renonce de bon coeur: Et d'autant plus que je vois, que com­bien qu'elles ayent quelque apparen­ce de pieté & de deuotion volontaire, elles sont condamnées en diuers en­droits des saintes Escritures, & que les auteurs d'icelles ont esté diuerses fois punis: Pour exemple, Saül Roy d'Israël auoit reserué le meilleur be­stail des Amalekites pour en offrir sa­crifice à Dieu, disoit-il, ce qui sem­bloit estre pieux & religieux, & passe­roit aujourd'huy entre les super­stitieux pour vne oeuure meritoire: Neantmoins Samuël le tance par le commandement de Dieu, luy fait entendre que Dieu n'approuue nullement son action, & qu'il eust mieux fait d'obeïr au commande­ment qui luy auoit esté fait de détrui­re les Amalekites à la façon de l'inter­dit, [Page 309] que son peché estoit vn crime de rebellion, pire que le seruice des Ido­les & Marmousets: Et qu'à cause d'iceluy Dieu l'auoit dejetté de la Royauté, 1. Sam. ch. 15. En voicy en­core vn qui semble estre bien estran­ge; Husa estoit auec Dauid condui­sant l'Arche de Dieu en Ierusalem, 1. Chron. chap. 13. Husa crût que le cha­riot sur lequel estoit l'Arche alloit renuerser, il porta sa main pour le soûtenir, il semble que l'action de Husa estoit innocente & pieuse, & qu'il meritoit d'en estre loüé: mais Dieu en jugea tout autrement, car il frappa Husa sur le champ & le fit mourir, 2. Sam. chap. 6. v. 6. & 7. Apres cela quelle asseurance pouuons nous prendre au pretendu merite des oeu­ures, ny aux bonnes intentions des hommes, qui sont le plus souuent con­traires à la volonté de Dieu; certes il n'y en a point. C'est pourquoy aussi je renonce de bon coeur à l'vn & à l'au­tre, [Page 310] & veux me rendre attentif à ce que Dieu me commande en sa Parole pour luy obeïr: Et en mes manque­mens je veux auoir recours à sa grace; puis que c'est luy qui nous a sauuez & appellez par vne sainte vocation; non point selon nos oeuures, mais se­lon son propos arresté, & la grace qui nous a esté donnée en Iesus Christ de­uant les temps eternels, 2. Tim. chap. 1. v. 9. Ie vous exhorte d'en vser ainsi.

Le F.

Ie le feray, mon pere: car puis que c'est Dieu qui nous a sauuez & appellez par vne sainte vocation, & qui nous a donné Iesus Christ pour estre le seul remede à nos maux, pour nous guerir du venin mortel dont le serpent ancien auoit infecté & empoi­sonné nos ames: A qui irions nous? Ceux donc qui ajoûtent foy à la pro­messe de Dieu contenuë au 16. vers. du 3. chap. de l'Euangile selon S. Iean, & qui embrassent Iesus Christ pour leur Sauueur, sont gueris de cette [Page 311] playe mortelle, obtiennent vne santé spirituelle & tres-parfaite: Au con­traire ceux qui ont recours au preten­du merite des oeuures, ou aux au­tres remedes que les hommes vains & menteurs leur proposent, perissent malheureusement; parce qu'il n'y a point de salut en aucun autre, & qu'il n'y a point d'autre nom sous le Ciel qui soit donné aux hommes par le­quel il nous faille estre sauuez que le nom de Iesus Christ, Act. 4. vers. 12.

Le P.

Quel peut estre donc le mou­uement de ceux qui rejettent Iesus Christ, & qui cherchent en eux-mes­mes ce qu'ils ne sçauroient y trouuer?

L' Enfant montre que c'est vne marque infailli­ble de leur rejection; & commence à traitter la doctrine de la Predestination.

Le F.

Tel mouuement ne peut venir à ces gens là que de l'esprit d'erreur & de mensonge, qui leur a creué l'oeil de l'entendement, qui les enueloppe de tenebres, & qui les conduit par des [Page 312] chemins destournez, afin de les pre­cipiter dans les abysmes d'ombre de mort: Car comme il a plû à Dieu de faire grace à vne partie des hommes les tirant de la ruïne generale, en la­quelle tout le genre humain est tom­bé par la transgression d'Adam, il a laissé les autres en leur ruïne, & c'est sur ceux là que le Diable exerce sa ty­rannie; car il les enueloppe de tene­bres, éloigne d'eux tout ce qui pour­roit seruir à leur salut; Et s'il leur ar­riue par fois de lire la Parole de Dieu, ou d'escouter quelque Predication, cét esprit infernal rauit la semence, empesche qu'elle prenne racine en leur coeur; comme nostre Souuerain Docteur nous l'a appris par la simili­tude du Semeur, enregistrée dans le chap. 13. de S. Mat. & qui plus est leur rend la Parole de Dieu suspecte & dangereuse, de sorte qu'ils ne peu­uent croire en Iesus Christ. Pour ce qui est des autres que Dieu a choisis [Page 313] & ordonnez à la vic eternelle; com­me ceux d'Antioche, de Pisidie, dont mention est faite au chap. 13. des Act. vers. 48. Dieu les appelle de temps en temps par la Predication de l'Euangi­le, & à mesure qu'il leur fait annoncer sa Parole par ses Seruiteurs, il ouure leur coeur comme à Lidie, Act. 16. vers. 14. & les conduit par son S. Esprit: Eux de leur part croyent à sa Parole, em­brassent Iesus Christ tel qu'il leur est proposé en l'Euangile, rejettant tou­te autre satisfaction comme vaine & inutile; & c'est de cela, à mon opi­nion, que nostre Seigneur rendoit graces à Dieu au chap. 11. de S. Math. vers. 25. Ie te rens graces, luy disoit-il, ô Pere Seigneur du Ciel & de la terre, de ce que tu as caché ces choses aux sages & entēdus, & les as reuelées aux petits enfans. Et pour nous appren­dre encore plus particulieremēt, que nostre vocation & le choix que nous faisons de son Euangile, est vn effet [Page 314] de la grace de Dieu, de son bon plai­sir, & non de nostre sagesse, ou de nos forces naturelles, Il ajoûte au verset suiuant; Il est ai nsi, Pere, pourtant que tel a esté ton bon plaisir. Vous voyez donc, mon pere, que ce sont des mouuemens bien differends: puis que ceux-cy sont conduits par l'Esprit de Dieu suiuant le secret ou le decret de la Predestination: Et ceux-là au cō ­traire par l'esprit d'erreur & de men­songe, à quoy-aussi ils ont esté ordon­nez suiuant les passages de S. Iude & de S. Pierre cy deuant rapportez.

Le P.

Ie demeure d'accord, que l'in­credulité des meschans est vne mar­que infaillible de leur rejection, & que nostre vocation est vn effet du bon plaisir de Dieu, qui nous a regar­dez en ses compassions, qui nous a appellez par vne sainte vocation, qui a débouché les oreilles de nos enten­demens, & a engraué l'Euangile de son Fils en nos coeurs par l'operation [Page 315] secrette du S. Esprit. C'est pourquoy aussi je dis que nous auons grand su­jet de nous humilier, & de le remer­cier de cette grace. Mais je ne puis assez m'estonner de ce qu'il y a des personnes si foibles & infirmes par­my nous, qui ne veulent pas connoi­stre ce que les saintes Escritures nous apprennent de la Predestination des fidelles: combien que cette doctrine soit pleine de joye & de consolation; Car si l'homme Chrestien consideroit qu'auparauant qu'il fust, Dieu auoit determiné non seulement de luy don­ner estre, vie & mouuement: Mais qui plus est de le tirer de la ruïne ge­nerale, en laquelle tous les hommes sont tombez, grands & petits, riches & pauures, sçauans & ignorans: que nonobstant son ingratitude, & sans auoir égard à ses crimes & rebellions, il l'a constamment aimé & poursuiuy par ses bien faits; que pour le rendre eternellement heureux il l'a appellé à [Page 316] sa connoissance, luy a donné la foy en Iesus Christ, afin qu'il participe au benefice de sa Mort & de sa Resurre­ction: Et finalement qu'il le soûtient en ses foiblesses, qu'il le conduit & conduira jusqu'à ce qu'il l'ait amené au port desiré, le tout par sa seule gra­ce, & sans aucun merite qui soit en luy, il seroit espris d'vne sainte recon­noissance, & glorifieroit Dieu com­me son bien-faicteur. Aydons leur, mon fils, poussons les à cette medita­tion; contribuons ce qui depend de nous pour les tirer de la letargie, en laquelle ils ont esté jusqu'à present, afin qu'ils glorifient Dieu pour la gra­ce qu'il leur a faite.

De la Predestination des Eleus.

Le F.

POur commencer, je les prie de faire reflection sur ce que nous auons dit cy-deuant, que par la transgression d'Adam, l'homme est décheu de tous les auantages qu'il [Page 317] auoit receus de Dieu en la creation; Et de considerer meurement ce que S. Paul dit de la condition naturelle de tous les hommes au chap. 3. de l'Epistre aux Rom. vers. 11. & suiuans, que nous sommes puans, & tellement corrompus, qu'il n'y a nul qui cher­che Dieu, qu'il n'y a nul qui fasse bien, que nostre gozier est vn sepul­che ouuert, que nous auons fraudu­leusement vsé de nos lévres, que no­stre bouche est pleine d'amertume & de malediction, que nos pieds sont legers à espandre le sang, que destru­ction & misere sont en nos voyes, que nous ne connoissons point la voye de paix, & que la crainte de Dieu n'est point deuant nos yeux. Or si nous sommes tels comme nous n'en pou­uons nullement douter, veu que l'ex­perience mesme nous l'apprend, nous sommes tout à fait esloignez de Dieu, incapables de tout mouuement spiri­tuel, destruction & misere sont en nos [Page 318] voyes, mort & malediction nous ont enserrez. Quel moyen auons nous pour nous tirer de cette ruïne genera­le? Certes nous n'en auons point, & ne pouuōs non plus que le Lazare puant dans le sepulcre contribuer à nostre restablissement. Il faut donc que ce­luy qui ressuscita le Lazare; qui viui­fie les morts, nous tire de cet abysme, qu'il mette au dedans de nous l'Esprit de vie, qu'il nous redresse & qu'il nous reünisse auec Dieu. Car c'est luy qui est la veritable eschelle de Iacob, par lequel la vie & l'immorta lité; les dous & les graces du S. Esprit descendent sur nous: nos prieres & nos actions de graces, montent jusqu'à Dieu. C'est pourquoy aussi l'Apostre S. Paul con­siderant cette merueille, s'écrie com­me rauy; Benit soit Dieu, qui est le Pere de nostre Seigneur Iesus Christ, qui nous a benits en toute benedi­ction spirituelle és lieux celestes en Iesus Christ, selon qu'il nous auoit [Page 319] cleus en luy deuant la fondation du monde: afin que nous fussions saints & irreprehensibles deuant luy en charité, nous ayant predestinez pour nous adopter à soy par Iesus Christ selon le bon plaisir de sa volon­té à la loüange de la gloire de sa gra­ce, de laquelle il nous a rendus agrea­bles en son bien-aimé, En qui nous auons redemption en son sang, à sça­uoir remission des offenses selon les richesses de sagrace, Eph. 1. v. 3.4.5.6. & 7. Et au chap. 1. de la 2. à Tim. vers. 9. & 10. Il ajoûte que Dieu nous a sauuez & appellez par vne sainte vocation, non point selon nos oeuures; mais se­lon son propos arresté, & la grace qui nous a esté donnée en Iesus Christ de­uant les temps eternels, maintenant manifestée par l'apparition de nostre Seigneur Iesus Christ, qui a destruit la mort, & a mis en lumiere la vie & l'immortalité par l'Euangile. Or apres ces declarations si claires & expresses, [Page 320] je ne crois pas qu'il y ait aucun de ceux qui font profession d'estre Chre­stiens, & qui le sont en effet, qui puisse ny doiue faire difficulté de con­noistre, de sonder & d'examiner de tout son pouuoir le secret admirable de la Predestination; & l'ayant cōneu qui ne soit remply de joye & de liesse, & qu'il ne glorifie Dieu auec S. Paul pour la grace qu'il luy a faite en Iesus Christ, & par Iesus Christ.

De la certitude de la Predestination des Eleus, le Pere tire par vne consequence necessaire la rejection des incredules.

Le P.

IE crois que si nostre Dialo­gue vient és mains de quel­qu'vn de ceux qui jusqu'à present­n'ont pas voulu ou ofé connoistre & examiner la doctrine, le secret admi­rable de la Predestination, & qu'il vueille se donner la peine de conside­rer les choses que nous venons de dire sur ce sujet, il glorifiera Dieu de tout [Page 321] fon coeur pour la grace qu'il luy a fai­te: de nostre part nous tiendrons cet­te doctrine pour certaine & tres-asseu­rée, & rendrons graces à Dieu, Pere, Fils & S. Esprit, de ce qu'il luy a plû nous la reueler. Reprenons donc no­stre propos; & disons que le choix que Dieu a fait d'vne partie des hommes establit necessairement la rejection des autres: Et de fait, il me semble que je les entens murmurer contre Dieu, comme ceux qui viuoient du temps de saint Paul.

En cette réponse l' Enfant continue de traitter la doctrine de la Predestination des Esleus, & la rejection des infidelles.

Le F.

Il ne faut nullement dou­ter, que la Predestination des fidelles croyans n'establisse la rejection des incredules; & que les meschans ne se cabrent cōtre cette doctrine qui por­te leur condamnation: Mais il faut leur fermer la bouche, & leur oppo­ser les mesmes raisons que S. Paul op­posoit [Page 322] à ceux de son temps: Car apres auoir estably la doctrine de la Prede­stination au chap. 8. de son Epistre aux Romains, Il entre en dispute contre les reprouuez qui l'impugnoient; Et pour d'autant plus establir l'eslection des Fidelles, & faire voir aux incredu­les leur rejection, Il leur propose l'hi­stoire de Iacob & d'Esaü, rapportée par Moyse au liure de la Genese chap. 25. & encore l'exemple de Pharao, dont l'histoire est aussi rapportée par le mesme Prophete au liure de l'Exo­de. Des deux premiers l'Apostre dit, au chap. 9. de l'Epistre aux Romains versets 11.12. & 13. Que deuant que les enfans fussent nez, auparauant qu'ils eussent fait ne bien ne mal, Dieu auoit aimé Iacob & haï Esaü, afin que le propos arresté selon l'eslection de­meurast ferme: Et pour preuenir l'objection des prophanes; il se fait cette demande à soy-mesme au verset 14. Que dirons nous donc y a-il de l'ini­quité [Page 323] en Dieu? & à mesme temps & au mesme verset, il se répond en cette sorte; Ainsi n'auienne: Et au verset suiuant il introduit le Seigneur par­lant à Moyse en cette sorte; I'auray mercy de celuy de qui j'auray mercy, & feray misericorde à celuy à qui je feray misericorde: & au 16. verset l'A­postre conclut en cette sorte: Ce n'est donc point du voulant ny du courant, mais de Dieu qui fait misericorde. Et du dernier, Moyse dit au chap. 7. de l'Exode, que Dieu endurcit Pharao, verset 3. Et au chap. 9. du mesme liure vers. 16. il en dit la cause, afin que la puissance de Dieu fust connuë, & son Nom glorifié par toute la terre: Et S. Paul apres luy au vers. 17. du mesme chap. Ie t'ay suscité à cette propre fin pour demontrer en toy ma puissance, afin que mon Nom soit annoncé en toute la terre: & au verset suiuant il ajoûte; Il a donc mercy de celuy qu'il veut, & endurcit celuy qu'il veut: de [Page 324] sorte que S. Paul constitue le salut des hommes, & leur endurcissement, ou rejection, en la seule volonté de Dieu, & en son bon plaisir, suiuant le té­moinage d'Esaye, chap. 6. vers. 9. & de S. Iean chap. 12. vers. 40. Et pour reprimer l'insolence des prophanes qu'il introduit au vers. 19. parlant en cette sorte; Pourquoy se plaint-il donc? car qui est-ce qui peut resister à sa volonté: Il leur répond ainsi au vers. 20. Mais plustost, ô homme qui es-tu, toy qui contestes contre Dieu? la chose formée, dira-elle, à celuy qui l'a formée, Pourquoy m'as-tu ain­si faite? Et au vers. 21. il leur propose la liberté du Potier de terre, qui fait d'vne mesme masse de terre vn vais­seau à honneur & vn autre à deshon­neur: d'où s'ensuit que puis que le Po­tier de terre est libre de faire ce qu'il veut de sa masse de terre, Dieu auquel toutes choses appartiennent par droit de creation, a bien plus de droit de [Page 325] faire de la terre qu'il a creée (car les hommes ne sont que terre) des vais­seaux à honneur & d'autres à deshon­neur; Et aux vers. 22.23. & 24. il mon­tre encore le sujet de cette difference, qui est, Que Dieu voulant montrer son ire en sa justice, & donner à con­noistre sa puissance, a tolleré en gran­de patience les vaisseaux d'ire appa­reillez à perdition, & pour donner à connoistre les richesses de sa grace en vaisseaux de misericorde, il les a pre­parez à gloire, les ayant aussi appellez selon son propos arresté. Soit donc conclud que Dieu a fait tout pour sa gloire, mesme le meschant pour le jour de la calamité, Prou. 16. vers. 4. Passage admirable & de grand poids, qui nous apprend, si nous le voulons considerer, que de tout temps sont à Dieu connuës toutes ses oeuures, & qu'il n'a pas ignoré ce qu'il faisoit quand il a creé l'homme. Et partant que la doctrine de la Predestination [Page 326] est certaine & asseurée, & de grande consolation aux fidelles: & que com­me nous sommes appellez selon le propos arresté de Dieu, pour estre rendus conformes à l'image de son Fils, les meschans ont esté aussi desti­nez à vne fin contraire, comme nostre Seigneur Iesus Christ & ses Apostres nous l'ont appris; & s'il estoit autre­ment, il sembleroit que Dieu seroit moins sage, moins libre, & moins puissant que les hommes, qui dispo­sent des autres creatures qui leur sont inferieures, comme bon leur semble, qui destinēt leurs ouurages à vne fin; Et que le salut des fidelles & la reje­ction des incredules arriueroit par ha­zard, ou suiuant la volonté des hom­mes. Arriere de moy pensées mauuai­ses & injurieuses contre l'honneur, la puissance & la sagesse de Dieu.

Le P.

Si nous croyons que Dieu est Tout-puissant & tout Sage; & qu'il a creé le monde pour sa gloire, comme [Page 327] il n'en faut nullement douter, nous ne ferons pas difficulté de croire qu'il a disposé de toutes ses creatures selon son bon plaisir, sans qu'aucune d'i­celles ait droit de luy demander, Pour­quoy en vses-tu ainsi? Et de fait, l'or­dre qu'il a estably au monde, nous donne vne connoissance particuliere de cette verité; car nous y voyons toutes choses naistre & mourir; la nuit faire place au jour, & le jour à la nuit; le Soleil qui a son leuer & son coucher; les saisons qui font place l'vne à l'autre; la terre qui fait ses pro­ductions; les creatures paroistre & disparoistre, apres auoir seruy à l'vsa­ge de l'homme, chacune suiuant l'or­dre que Dieu luy a prescrit: D'ailleurs nous y voyons l'homme disposer à son plaisir des autres creatures qui luy sont inferieures; il les tuë, il les man­ge, il s'en sert comme bon luy sem­ble, sans apprehender aucun repro­che de leur part, & apres nous le [Page 328] voyons luy mesme disparoistre en vn clin d'oeil: Toutes ces choses, dis-je, nous font connoistre, & nous doiuent faire auoüer que celuy qui en est l'au­teur, a vn pouuoir absolu de disposer de ses creatures à son plaisir, & com­me bon luy semble, sans qu'aucune d'icelles ait droit de luy dire; Pour­quoy en vses-tu ainsi? Et s'il estoit au­trement, il s'ensuiuroit qu'il seroit in­ferieur, moins libre & moins puissant que l'homme: Ce qui ne peut ny ne doit entrer dans la pensée des Chre­stiens; ains plustost estre tenu pour constant, que Dieu estant, comme il est, Tout-puissant & tout Sage, a pû disposer, comme de fait il a disposé de ses creatures, & par consequent des hommes, & les destiner à vne fin; les vns pour estre vaisseaux à honneur, & les autres pour estre vaissaux à des-honneur: Ceux-cy pour estre exem­ples de sa Iustice, & ceux-là pour estre exemples de sa misericorde, mais nous [Page 329] deuons adorer ce mystere sans l'esplu­cher trop curieusement. Or comme les meschans sont toûjours meschans, ils pretendent auoir droit de murmu­rer, & d'accuser Dieu d'injustice, de ce qu'il les a préordonnez pour seruir à sa gloire au jour de la calamité, sui­uant le passage du 16. des Prouerbes que vous venez d'alleguer.

L'Enfant montre que combien que Dieu ait de­stiné toutes choses à vne fin certaine, les mes­chans n'ont pas droit de murmurer: parce que leur ruine vient d'eux-mesmes pour les raisons contenuës en sa réponse.

Le F.

Il me suffiroit de leur opposer le bon plaisir de Dieu, & la réponse de S. Paul, Qui es-tu, toy homme qui contestes contre Dieu? La chose for­mée, dira-elle à celuy qui l'a for­mée; pourquoy m'as-tu ainsi faite? neantmoins je leur demanderay, N'a­uez vous pas esté créez en Adam, purs & nets, saints & justes, auec vne ame intelligente, vn entendement esclai­ré, vne volonté libre pour esuiter le [Page 330] mal defendu, & faire le bien com­mandé: Si cela est, comme il n'en faut nullement douter, & ne peut estre raisonnablemēt desnié, veu que Dieu estant, comme il est, tres-bon, n'a fait ny ne peut auoir rien fait, qui ne soit tres-bon: Pourquoy n'auez vous pas perseueré en vostre integrité? que si vous voulez vous excuser sur la transgression d'Adam, outre que vo­stre excuse n'est pas valable; puis qu' Adam mesme n'a pas eu de raisons pour se defendre, pourquoy n'em­brassez vous pas auec nous la mesme grace qui vous est presentée en Iesus Christ second Adam? Et pourquoy la rejettez vous auec tant d'opinia­streté? certes vous estes sans excuse, & tout à fait semblables à ces malades forcenez, qui repoussent auec vio­lence les remedes salutaires qui leur sont presentez, & crachent au visage du Medecin. Il est bien vray que Dieu preside sur cette conduite par les se­crets [Page 331] ressorts de sa Prouidence, pour amener toutes choses à leur fin. Mais comme ces ressorts sont impercepti­bles, & surpassent nos sens ils vous sont inconnus, & vous ne pouuez pe­netrer dans le Conseil secret de Dieu, pour sçauoir ce qu'il a ordonné ou de­terminé de vous. Vous deuriez donc escouter sa Parole; par laquelle il vous fait entendre d'vne part le malheur dans lequel vous vous precipitez; & de l'autre le profit & les auantages qui vous arriueroient; si en delaissant vo­stre mauuais train, vous vous conuer­tissiez à luy: mais vous vous obstinez, & aimez mieux suiure le train du Prin­ce de la puissance de l'air; & ainsi vous vous rendez indignes de la grace de Dieu, & faites voir manifestement que vostre ruïne vient de vous-mes­me, suiuant la prophetie d'Osée chap. 13. vers. 9. Il est bien vray que comme vous auez pris en partage le menson­ge; Dieu vous abandonne à la dureté [Page 332] de vostre coeur, & vous enuoye effi­cace d'erreur afin que vous croyez au mensonge, 2. Thess. chap. 2. v. 11.

Conclusion du discours precedent, par laquelle le Pere confirme les responses de l'Enfant.

Le P.

DE vos responses nous pou­uons recueillir en premier lieu, que le premier homme ayant esté creé pur & net, saint, innocent, & juste eust joüy d'vn repos, & d'vne fe­licité eternelle s'il eust perseueré en son integrité, & que s'estant corrom­pu & precipité en la mort eternelle par sa propre faute, il a attiré en la mesme ruïne toute sa posterité: Se­condement que de cette masse cor­rompuë Dieu par sa bonté infinie & incomprehensible & par sa grande charité en a choisi quelques-vns, aus­quels il a donné l'Esprit de vie & de sanctification; au coeur desquels il a engraué son S. Euangile, leur donnant [Page 333] la foy oeuurante par repentance, & par charité, les conduisant à vne fin heureuse; & qu'il a laissé les autres en leur ruïne pour demontrer, & mani­fester en eux sa justice; Et finalement que ceux-cy se plaisent tellement en leur mauuaise vie; que comme les pourceaux ils se plongent & veau­trent dans l'ordure de leurs voluptez & seroient bien marris que Dieu les en eust retirez: Et de fait, ils rejettent malicieusement les moyens qu'il leur presēte pour en sortir; Et ainsi pouuōs nous dire auec le Prophete que vous venez d'alleguer, qu'ils sont eux mes­mes cause de leur ruïne; Et toutesfois que Dieu preside dans cette condui­te par sa Prouidence admirable, & par des ressorts imperceptibles, & tout a fait inconnûs aux meschans, afin de conduire & amener toutes choses à leur fin. Pour exemple Iudas, & ses complices, estoient conuaincus en leurs consciences, que nostre Sei­gneur [Page 334] estoit le Christ, le Fils de Dieu par l'euidence de sa doctrine, & par les miracles qu'il faisoit au milieu d'eux; Veu que par le propre tesmoi­gnage des Iuifs, jamais homme ne parla comme luy, ny ne fit semblables miracles; Neantmoins Iudas le trahit, combien qu'il eust lui mesme receu le pouuoir de prescher l'Euangile, & de faire des miracles au nom de son Mai­stre. Les Sacrificateurs & leurs com­plices le crucifierent, combien qu'ils eussent receu les diuines Paroles par le ministere de Moyse, pour les trans­mettre au peuple, l'instruire & l'a­mener à Iesus Christ, qui estoit la fin & l'accomplissement de la Loy, & au­quel toutes leurs ceremonies aboutis­soient. Il faut donc auoüer que ces meschans se sont roidis malicieuse­ment contre leur propre connoissan­ce, pour faire tout le contraire de ce à quoy ils auoient esté appellez; Et re­connoistre que Dieu a presidé en cet­te [Page 335] conduite par les ressorts secrets & imperceptibles de sa Prouidence, afin d'accomplir les choses qu'il auoit au­parauant determinées d'estre faites pour le salut de son Eglise. Actes 4. vers. 28. sans neantmoins participer à la meschanceté de ces garnemens. Et au surplus obseruer qu'il estoit neces­saire qu'il y eust des meschans au monde, pour les executer: Veu qu'il n'estoit pas conuenable que les gens de bien fussent employez à faire de meschantes actions. Et sans doute il ne s'en fust pas trouué aucun qui eust voulu commettre ny participer à vn crime si detestable, de trahir & de crucifier le Fils de Dieu, le Roy de Gloire. Nous concluons donc que les meschans perissent par leur propre faute, puis qu'ils rejettent malicieuse­ment le salut qui leur est presenté par la Predication de l'Euangile, & qu'ils ont pris à tasche de suiure & de seruir le Prince de la puissance de l'air; non-obstant [Page 336] les promesses & les menasses qui leur sont faites: Et toutesfois que Dieu preside en cette conduite par sa Prouidence admirable, pour amener toutes choses à leur fin; sans neant­moins participer à la malice des mes­chans. Laissons les-là; puis que Dieu les a abandonnez à la dureté de leur coeur; De nostre part meditons la gra­ce qu'il nous a faite, & prions-le qu'il nous donne coeur & langue pour le glorifier.

L'Enfant acquiesse, propose vne difficulté à son Pere sur le sujet de l'histoire d' Absalon, & luy demande instruction.

Le F.

Ie feray, mon pere, & dés à pre­sent je prie Dieu qu'il me donne son S. Esprit, afin qu'il me conduise en cette action & en toutes ses voyes: Mais deuant que passer outre je vous supplie de m'instruire sur vne difficul­té, en laquelle je suis. I'ay leu au 12. chap. du 2. liure de Samüel, que Dieu enuoya le Prophete Nathan vers Da­uid, [Page 337] pour le redarguer du peché qu'il auoit commis contre Vrie, & que le Prophete luy dit entr'autres choses: Ainsi a dit l'Eternel, Voicy, je m'en vais faire soudre vn mal contre toy de ta maison; & enleueray tes femmes deuant tes yeux, & les bailleray à ton domestique, & il dormira auec elles à la veuë du Soleil; Tu l'as fait en ca­chette; mais moy je feray cette chose­cy en presence de tout Israël, à la face du Soleil. Et la suitte de l'histoire sain­te nous apprend, qu'Absalon s'estant éleué contre Dauid son pere pour luy oster la vie & le Royaume, s'il eust pû, soüilla son lit, coucha auec ses concu­bines en plein midy à la veuë d'vn cha­cun: De sorte qu'il semble que Dieu soit le veritable autheur du crime d'Absalon; ce qui n'est pas croyable. Comment pouuons-nous donc ac­corder ce passage auec ce que nous venons de dire, que Dieu n'est point auteur du mal? qu'il se sert des mes­chans [Page 338] sans contribuer ny participer à leur malice, Veu que le Prophete dit en termes expres, au Nom de l'Eter­nel, Tu l'as fait en cachette, mais moy je le feray à descouuert.

Le Pere montre à l'Enfaut; comment il faut entendre les paroles du Prophete, pour n'attri­buer rien de mal conuenable à la Majesté de Dieu.

Le P.

Si vous croyez ce que nous auons dit cy deuant, que Dieu est Saint & Iuste, source de toute Iustice & sainteté, Vous serez persuadé qu'il ne peut proceder aucune soüillure de luy: Et ainsi vous vous donnerez gar­de à ne pas prendre les paroles du Pro­phete Nathan au pied de la lettre: Mais vous les exposerez en cette sor­te, que Dieu laschera la bride aux ennemis de Dauid, la malice desquels luy estoit presente, qu'il ne les empes­chera pas d'exercer leur cruaute à l'encontre de luy, jusqu'à vn certain poinct; Et par ce moyen la difficulté [Page 339] cessera, & vous n'attribuerez rien de mal conuenable à sa sainte Majesté. Et qui doute que le conseil pernicieux. qu' Achitophel donna à Absalon de s'éleuer contre son pere, de soüiller son lit, & de le poursuiure à outrance, ne fust l'oeuure du Diable? Certes le Diable s'estoit emparé du coeur d'A­chitophel, qui estoit figure de Iudas, & ce fut luy qui luy inspira ce perni­cieux conseil, & qui le porta à l'exe­cuter: Mais Dieu, qui ne vouloit pas perdre Dauid, mais seulement le châ­tier, lascha la bride à ces meschans; sans toutesfois contribuer, ny parti­ciper à leur meschanceté, & empescha ce fils rebelle & ingrat de passer ou­tre, confondit le conseil d'Achito­phel, fit perir ces malheureux, humi­lia son seruiteur, & le restablit en son Royaume: Et ainsi voyons-nous que Dieu par sa grande puissance & sa­gesse incomprehensible conuertit le venin de ces viperes-là, en vne mede­cine, [Page 340] qui fut tres-salutaire à son ser­uiteur.

Le F.

Ie crois de coeur & confesse de bouche, que Dieu est saint & juste, source de toute justice & sainteté, qu'il ne peut proceder aucune soüil­lure de sa Majesté: Mais comme je suis peu versé dans l'estude des saintes lettres, à cause de mon bas aage, cette maniere de parler du Prophete Na­than troubloit mon Esprit: A present je suis resolu, & tiens pour constant que Dieu ne peut estre auteur du mal de coulpe; ains seulement du mal de peine.

Le P.

Ce fondement estant posé que Dieu est Saint & Iuste, source de tou­te Iustice & sainteté; & qu'il ne peut proceder aucune chose de luy qui ne soit semblable à luy; Reprenons no­stre entretien, & disons vn mot des saintes Escritures, Sont elles suffisātes pour establir & appuyer les doctrines que nous auons mises en auant, & [Page 341] pour nous conduire à la vie eternelle; ou si l'autorité des hommes est ne­cessaire: Car plusieurs soûtiennent que sans les traditions des hommes, ou de l'Eglise, comme ils parlent, la Parole de Dieu est insuffisante, ajoû­tans qu'elle est comme vn nez de cire, qu'on tourne de tous costez, que desnuée de leurs tesmoignages, elle cause les schismes & les heresies. Esclaircissez moy sur cette difficulté; Car si cela estoit, nous aurions tra­uaillé en vain.

Traitté des Saintes Escritures.

L'Enfant montre que la Parole de Dieu est tres­suffisante, que les traditions des hommes ne sont nullement necessaires, qu'elles sont dan­gereuses, & qu' à cause de cela, elles ont esté condamnées de tout temps.

Le. F.

IL faudroit vn homme plus intelligent que moy pour respondre suffisamment à vostre de­mande: Neantmoins je tascheray de vous satisfaire selon ma petite portée; [Page 342] Et pour y paruenir auec plus de facili­té j'estime qu'il est necessaire d'aller à la source, & de paruenir à nostre but par degrez.

Le Ciel, la Terre, la Mer, & toutes les choses qui y sont, nous apprennent deux choses. L'vne qu'il y a vn Dieu Tout-puissant, & tout Sage, qui les a creées, qui les conduit, & les gouuer­ne: Car les choses inuisibles de Dieu sçauoir sa puissance eternelle & sa di­uinité se voyent comme à l'oeil en la creation du monde, Rom. 1er vers. 20. Et l'autre qu'il a fait tout pour l'hom­me; mais qu'il a fait l'homme pour sa gloire, l'ayant pour cet effet doüé d'v­ne ame intelligente & raisonnable, comme nous l'auons montré cy-de­uant. Ces choses estans ainsi sans qu'elles puissent estre contredites, il nous sera facile de cōceuoir cette opi­nion, que tout ainsi que les hommes donnēt des regles à leurs sujets, àleurs seruiteurs, & à leurs enfans, afin que [Page 343] fur icelles ils forment leur seruice & leur obeïssance, Dieu a fait entendre, & appris aux hommes, pourquoy il les a mis au monde, & comment ils y doi­uent viure pour luy estre agreables, & pour paruenir à vne fin heureuse.

Quant aux Peres qui ont vescu de­puis la creation jusqu'à Moyse, il est constant que Dieu les a conduits sans Parole escrite, par reuelations & par diuerses apparitions, comme je l'ay montré cy-deuant. Et lors que Dieu voulut retirer les enfans d'Israël de la captiuité d'Egypte, il parla à Moyse en Oreb, & apres la deliurance il don­na sa Loy à Moyse, & luy-mesme es­criuit de son propre doigt ses Com­mandemens sur deux Tables de pier­re, que Moyse auoit façonnées par son commandement: & Moyse nous a laissé ces deux Tables, & plusieurs Liures qui luy ont esté dictez par le S. Esprit, & entr'autres le Liure de la Genese, qui contient l'histoire de la [Page 344] creation du monde ancien; la ruīne d'iceluy par les eaux du Deluge, à cause des pechez des hommes, le re­stablissement de toutes choses par le moyen de Noé & de ses enfans, la conseruation de l'Eglise en la famille de Sem, les peregrinations d'Abra­ham, d'Isaac & de Iacob, la descente de Iacob en Egypte; & finalement l'e­stat & la condition des Israëlites en Egypte jusqu'à la mort de Ioseph, & depuis le deceds de Ioseph jusqu'au temps de la deliurance par le ministe­re de Moyse. Aux Liures de Moyse Dieu ajoûta ceux de Iosué, l'histoire de l'Eglise sous la conduite & gouuer­nement des Iuges, & les Liures de Samüel. Et dautant que ces Liures contenoient la regle parfaite du ser­uice que Dieu vouloit luy estre rendu en ce temps-là; Dauid qui estoit con­duit par le S. Esprit, & qui auoit fort bien compris l'excellence des choses qui y estoient contenuës, disoit au [Page 345] Pseaume 19. vers. 8. 9. 10. 11. & 12. que la Loi de Dieu est le restaurent de l'ame, comprenant sous ce mot de Loy tou­te la Parole de Dieu, qu'elle donne sapience à l'ignorant, que les Mande­mens de l'Eternel sont droits, qu'ils rejouïssent le coeur, qu'ils illuminent l'entendement, qu'ils sont plus desi­rables que fin or, & plus doux que miel; que par iceux les hommes sont rendus sages, & auisez, & qu'il y a grand loyer en l'obseruation d'iceux. Et au Pseaume 119. vers. 105. que cet­te Parole est la lumiere par laquelle Dieu nous conduit en nostre peleri­nage terrien. A ces Liures Dieu a ajoûté les escrits des Prophetes, qu'il suscitoit de temps en temps pour re­former les abus, qui s'estoient four­rez en la doctrine, & aux moeurs de l'Eglise, & pour predire les choses à venir; & encore la doctrine Euange­lique par le ministere de son Fils no­stre Souuerain Docteur, & ce Fils nous [Page 346] a reuelé tout le conseil de son Pere, sui­uant l'Oracle cōtenu au Pseaume 40. en ces mots. I'ay presché ta justice, j'ay declaré ta fidelité, & la deliuran­ce que tu m'as mis en main: le n'ay point celé ta gratuité ny ta verité, & nous as fait connoistre les choses qui estoient cachées sous les ombres & figures de la Loy; Bref toute la vo­lonté de son Pere concernant nostre salut, comme il nous l'apprend luy-mesme au chap. 25. de l'Euangile se­lon S. Iean vers. 15. Ie ne vous appel­le plus seruiteurs, disoit-il à ses Disci­ples; car le seruiteur ne sçait que son maistre fait: mais je vous ay nommé mes amis, pourtant que je vous ay fait connoistre tout ce que j'ay oüy de mon Pere. Et pour former son corps mistique l'Eglise Chrestienne, Il leur a fait commandement d'endoctriner toutes nations, & de les enseigner de garder tout ce qu'il leur auoit com­mandé, Matt. 28. vers. 19. & 20. mes­me [Page 347] d'ecrire aux Eglises, & de leur fai­re entendre sa volonté. Escry, disoit­il à S. Iean, les choses que tu as veuës, celles qui sont, & celles qui doiuent estre faites cy-apres, Apocal. 1. v. 19. le demande donc, la Loy baillée à Moyse en la montagne de Sinaï, & tous ses Liures ne sont-ils pas Parole de Dieu? Les escrits des autres Pro­phetes ne sont-ils pas aussi Parole de Dieu? certes je n'estime pas qu'il y ait aucun homme de ceux qui se di­sent estre Chrestiens, qui voulust des­nier cette verité: puis que c'est chose connuë d'vn chacun, que Dieu a par­lé à Moyse, comme vn amy parle à son amy, qu'il l'a conduit par son Es­prit, qu'il luy a commandé de croire les choses qu'il auoit veuës & oüyes, & celles qu'il auoit faites par son mi­nistere, & qu'il luy a baillé les deux Tables de la Loy escrites de son pro­pre doigt; & encore que les autres Prophetes ont esté conduits & inspi­rez [Page 348] par le S. Esprit: Car les saints hom­mes de Dieu, dit S. Pierre, poussez du S. Esprit ont parlé, 2. Pier. chap. 1. vers. 21. D'ailleurs, outre le témoignage auantageux que Dauid a rendu à la Loy, & aux Prophetes qui l'auoient precedé, Iesus Christ renuoyoit les hommes de son temps à la Loy & aux Prophetes pour auoir vie. Enquerez vous diligemment, leur disoit-il, des saintes Escritures; car ce sont elles qui rendent témoignage de moy, & vous estimez auoir par icelles vie eternelle, Iean. 5. vers. 39. Et lors qu'il voulût instruire ses Disciples apres sa Resur­rection, il commença par Moyse, & suiuant par tous les Prophetes, il leur declara les choses qui estoient de luy, Luc 24. vers. 27. De mesme lors qu'il fut attaqué au desert par le Prince de la puissance de l'air, il se seruit de cet­te Parole, que S. Paul nomme l'espée de l'Esprit, Eph. 6. vers. 17. auec la­quelle il le chassa, Matth. 4. vers. 1. [Page 349] & suiuans: & par cette mesme paro­le, il conuainquit & ferma la bouche plusieurs fois aux Pharisiens & Sadu­céens; en telle sorte qu'ils ne luy pou­uoient répondre, & n'oserent plus l'interroger, Matth. 22. vers. 46. mar­que certaine & infaillible de la diuini­té de cette Parole.

Quant à l'Euangile, n'est-ce pas la Parole du Fils eternel de Dieu? Qui sera donc celuy qui osera desnier que l'Euangile soit Parole de Dieu? puis que Iesus Christ mesme en est l'au­teur, & que le S. Esprit nous apprend au dernier verset du chapitre 20. de l'Euangile selon S. Iean, que les cho­ses qui y sont contenuës ont esté escri­tes, afin que nous croyons que Iesus est le Christ le Fils de Dieu, & qu'en croyant nous ayons vie par son Nom.

Pour ce qui est de la doctrine Apo­stolique, elle est aussi Parole de Dieu: car les Apostres n'ont enseigné que ce qui leur auoit esté ordonné par [Page 350] nostre Seigneur Iesus Christ, & ils n'ont commencé de prescher & d'es­crire qu'apres auoir receu le S. Esprit, qui les a conduits & inspirez pendant tout le cours de leur vie: aussi n'ont-ils enseigné que les choses saintes, qui regardent la gloire de Dieu, & le sa­lut des hommes, rapportant & appro­priant les Propheties à Iesus Christ, les ombres & figures de l'ancienne Loy à l'Euangile: C'est pourquoy leurs en­seignemens, leurs exhortations & leurs escrits ont esté, sont & seront receus par les Esleus; non point comme parole d'homme, mais ainsi qu'elle est veritablement, comme Parole de Dieu, laquelle trauaille auec efficace en ceux qui croyent, 1. Thessal. chap. 2. vers. 13.

L'efficace de la Parole de Dieu est donc celeste & diuine; & comme elle procede d'vne Majesté infinie, de ce­luy qui est source de vie & de lumiere; elle est viuante & viuifiante, plus pe­netrante [Page 351] que nulle espée à deux tren­chants. Elle atteint jusqu'à la diuision de l'ame, & de l'esprit, & des jointu­tures, & des moüelles, Heb. 4. vers. 12. elle est propre à endoctriner, à con­uaincre, à corriger & instruire selon justice, rendre à l'homme de Dieu ac­comply & parfaitement instruit en toute bonne oeuure: Aussi nous rend elle sages à salut par la foy qui est en Iesus Christ, 2. Tim. chap. 3. vers. 15.16. & 17. C'est par elle que Dieu nous a engendrez; C'est par elle qu'il nous sauue, Jacq. 1er vers. 18. & 21. C'est par elle qu'il nous nettoye & sanctifie: Vous estes ja nets, disoit nostre Sou­uerain Docteur à ses Disciples au 13. de S. Iean vers. 3. pour la Parole que je vous ay dite; Et au chap 17. priant son Pere pour eux, Il luy disoit au vers. 17. Ta Parole est verité, sanctifie les par ta verité. Apres ces tesmoignages si clairs & euidens, je n'estime pas qu'il y ait à douter de la diuinité des saintes [Page 352] Escritures, & de leur suffisance, ny mesmes des doctrines que j'ay mises en auant par mes responses preceden­tes, puis qu'elles sont fondées & con­firmées par les saintes Escritures.

Quant à la parole des hommes, communement appellée traditions, que les hommes ont voulu introduire en l'Eglise, & qu'ils taschent de join­dre aux saintes Escritures, elles ont esté de tout temps condamnées. Moyse defendit en son temps, d'ajoû­ter ou diminuer en la Loy, Deut. 4. vers. 2. & 12. vers. 32. Apres luy nostre Seigneur Iesus Christ, Docteur de verité, parlant aux Scribes & Phari­siens de son temps qui blasmoient ses Disciples de ce qu'ils n'auoient pas laué leurs mains deuant que prendre leurre pas suivant leurs traditions; & vouloient le faire passer, luy pour vn prophane; Pourquoy, luy disoient­ils, outre passent tes Disciples les tra­ditions des anciens? Et vous, leur res­pondit-il. [Page 353] Pourquoy outre-passez vous les commandemens de Dieu par vos traditions? Matt. 15. vers. 3. hypocri­tes, continuë il aux versets 7.8. & 9. Esaye a bien prophetisé de vous, di­sant, ce peuple cy s'approche de moy de sa bouche; mais leur coeur est éloi­gné de moy, mais en vain m'hono­rent-ils enseignant des doctrines, qui ne sont que commandemens d'hom­mes, qui se destournent de la verité, dit S. Paul à Tite chap. 1. vers. 14. & par consequent destournent ceux qui s'y adonnent.

Ces choses estans ainsi sans qu'elles puissent estre contredites; qui pourra accuser d'insuffisance les saintes Escri­tures? Si ce n'est les Disciples de l'an­cien Docteur du desert, plus mes­chans en cela que leur Maistre, les­quels s'efforcent d'esteindre ce flam­beau pour establir dans l'Eglise leurs fausses doctrines; afin de porter les hommes, comme ils ont fait à la def­fiance, [Page 354] & à l'idolatrie; & voyans qu'ils ne pouuoient la supprimer, ils l'ont renduë suspecte & dangereuse au peu­ple: Mais elle se leuera en jugement à l'encontre d'eux. Car qui me rejette, & ne reçoit mes Paroles, dit nostre Souuerain Docteur au 12. de S. Iean vers. 48. la Parole que j'ay portée le jugera au dernier jour.

Puis donc que la sainte Escriture est diuinement inspirée, qu'elle est pro­pre à instruire, & à conuaincre les contredisans: que d'ailleurs elle est le restaurent de l'ame, le flambeau qui nous conduit en nostre voca­tion spirituelle, la verité qui nous sanctifie, & à laquelle nous sommes renuoyez pour auoir vie; Et finale­ment qu'elle est propre à rendre l'homme de Dieu accomply & parfai­tement instruit à toute bonne oeuure, il faut la tenir pour suffisante; & re­jetter les traditions des hommes, com­me vne peste. Pour mon regardje me [Page 355] veux tenir ferme à cette Parole, & de­mander à Dieu le don d'intelligence, comme je luy demande de tout mon coeur: Ie veux la mediter, puis que le bon heur & la felicité de l'homme se trouue en cet exercice spirituel. Psea. 1. vers. 1. & 2. Et au contraire que l'i­gnorance affectée de la Parole de Dieu, est vne marque infaillible de reprobation: Et de fait nostre Sei­gneur Iesus Christ disoit aux Iuifs au chap. 8. de S. Iean vers. 47. Celuy qui est de Dieu oit les Paroles de Dieu, pourtant ne les oyez vous point, d'au­tant que vous n'estes point de Dieu.

Le Pere confirme la response de l'Enfant, montre par diuerses raisons la diuinité & l'excellence des saintes Escritures.

Le P.

Puis que la demande doit for­mer la response, je tiens la vostre pour suffisante: Mais si vous auiez à dispu­ter contre les Athées, il faudroit trait­ter auec eux d'vne autre sorte, & mon­trer la diuinité des saintes Escritures. [Page 356] 10 Par leur durée, car elles sont plus anciennes qu'aucun autre liure qui soit au monde: & combien que plu­sieurs Roys & Princes se soient effor­cez de les esteindre & supprimer, elles ont subsisté, & sont paruenuës jusques à nous, & subsisteront jusqu'à la fin de toutes choses. 20 Par leur Majesté: Car bien qu'elles nous enseignent auec douceur, elles parlent auec autorité: Si elles promettent la vie eternelle aux obseruateurs des doctrines qu'el­les nous enseignent, concernant la gloire de Dieu & nostre salut, elles menassent aussi les rebelles & des­obeïssans de la mort eternelle. 30 Par l'excellence de leurs preceptes: Car elles nous enseignent comme j'ay dit cy-deuant qu'il y a vn seul Dieu Tout-puissant, tout Sage, tout Saint, tout Iuste & tout Misericordieux, que Dieu est vne essence Eternelle, Spirituelle, Inuisible & incomprehensible, qu'en cette essence il y a trois personnes [Page 357] Pere, Fils & S. Esprit, qui ne sont pourtant qu'vn seul & mesme Dieu, qui a creé toutes choses de rien, & par sa Parole, qui les conserue par sa puis­sance, & qui peut les reduire en leur premier neant, qui a creé l'homme droit pour sa gloire, qui luy a donné sa Loy pour regle de ses pensées, paro­les & actions: Et d'autant que l'hóme estoit comme estonné depuis sa cheu­te, tout à fait incapable d'obseruer les choses qui luy estoient commandées & par consequent sous malediction & en la mort; elles luy apprennent que Dieu l'a tant aimé, qu'il a donné son Fils, afin que croyant en luy il soit sauué, que ce Fils a esté si charitable qu'il a pris & vny à sa nature diuine, la nature humaine dans le ventre d'vne Vierge par l'operation du S. Esprit, qu'en cette nature il a porté la peine que nous auions merité, qu'il est mort pour nous, à cause de nos pechez, & ressuscité pour nostre justification: & [Page 358] que par sa mort, il nous a deliurez de la mort eternelle & nous a merité la vie, de laquelle il nous rendra jouïs­sans; pourueu que croyans en luy nous nous adonnions à la sainteté, & aux bonnes oeuures; & que du Palais de sa gloire il nous conduit par sa Pa­role & par son S. Esprit. 40 Par leurs Predictiōs certaines & infaillibles des choses à venir, la pluspart desquelles ont eu leur accomplissement: Pour exemple, lors qu'elles ont predit la deliurance de l'Eglise Iudaïque, de la captiuité de Babylone, & la ruïne de l'Empire des Babyloniens, Dieu a suscité Cyrus qui a executé l'vn & l'au­tre, semblablement ce qui auoit esté predit de la venuë de nostre Seigneur Iesus Christ en chair, de ses souffran­ces, de sa resurrection, & de son Ascen­sion au Ciel, a esté parfaitement ac­comply jusques aux moindres circon­stances: De mesme la Prophetie de la vocation des Gentils, & de l'establisse­ment [Page 359] de l'Eglise Chrestienne, par la Predication de l'Euangile, a esté aussi accomply en partie; Et ce qui reste sera parfaitement accomply, puis que Dieu l'a ordonné, comme je l'ay mon­tré cy-deuant, & que nostre Seigneur Iesus Christ l'a promis au 10. de S. Iean vers. 16. I'ay encore d'autres brebis qui ne sont point de cette bergerie, disoit-il, aux Iuifs, il me les faut aussi amener, & elles orront ma voix, & il y aura vn seul Berger, & vn seul trou­peau. Lesquelles choses estant jointes auec plusieurs autres, que je ne puis déduire en cét endroit, font voir que les saintes Escritures procedent d'vn Dieu Tout-puissant, tout Sage, tout Bon, & la verité mesme, qui à la vie & la mort en sa puissance, qui a dispo­sé du monde, & de toutes les choses qui y sont de toute eternité, & parti­culierement des hommes, lesquels il conduit & ameine à leur fin par diuers moyens; comme nous l'auons mon­tré; [Page 360] Toutes fois puis que je ne vous ay proposé que ceux qui font semblant de receuoir les saintes Escritures, & qui en effect s'efforcent de les affoi­blir, & d'en corrompre le sens, pour establir leurs traditions & leurs faus­ses doctrines, vous en auez assez dit, pour montrer qu'elles sont suffisantes pour nous conduire à salut, & pour conuaincre les contredisans.

Or par la grace de Dieu nous auons suffisamment montré par les saintes Escritures, qu'il y a vn seul Dieu, & Pere de tous, qui est sur tous, & parmy tous, & en nous tous, vn seul Moyenneur entre Dieu & les hommes, c'est à sçauoir Iesus Christ, vn seul corps, c'est à dire vne seule Eglise, vn seul Esprit qui garentit & deliure nos ames de corruption, qui nous applique le merite de la Mort, & Passion de nostre Seigneur Iesus Christ, & qui opere en nous les ver­tus Chrestiennes, vne seule foy qui se [Page 361] rapporte aux promesses de Dieu, vne seule esperance, vn seul Baptesme. Ephes. 4. vers. 4.5. & 6. vn seruice religieux qui se rapporte à Dieu seul, & que la Parole de Dieu est la seule regle de cet exercice. Reste mainte­nant à parler de l'Eglise, & à luy don­ner vne definition. Dites-moy donc qu'elle est cette Eglise, dont vous auez parlé diuerses fois, & pour la­quelle Dieu a fait tant de merueilles.

Traitté de l' Eglise, & des marques par lesquelles nous la pouuons connoistre.

Le F.

L'Eglise est la cōpagnie des fideles, qui loüent & glo­rifiēt Dieu au Ciel & en terre: Au Ciel auec les Anges bien-heureux; Et en terre en leur particulier, & aux assem­blées ordonnées pour cet effet. Ceux qui ont esté déja recueillis dans le Ciel composent cette partie de l'Eglise que nous nommons triomphante; Et ceux qui sont encor en terre, & qui sont [Page 362] diuisez en plusieurs Eglises particulie­res, composent l'autre partie, que nous nommons Militante, & les deux ensemble composent l'Egise vniuer­selle, dont il est parlé au Symbole des Apostres, & de laquelle nous disons, Ie crois l'Eglise vniuerselle. Or cette Eglise est nommée par S. Iean au ch. 21. de l'Apocal. La Cité de Ierusalem nouuelle descendante du Ciel de par Dieu, ou de deuers Dieu; parée com­me vne espouse ornée pour son mary, reuestuë de la lumiere de son espoux, à laquelle les Roys de la terre appor­teront leur gloire. C'est pourquoy aussi le Roy Prophete parlant par l'Es­prit de Dieu qui estoit en luy, disoit au Pseaume 87. vers. 3. ce qui se dit de toy Cité de Dieu, ce sont choses ho­norables: Et de vray qu'est ce qu'on en pourroit dire de plus honorable & de plus auantageux que ce que S. Iean, S. Pierre & S. Paul en disent: Saint Iean au passage que je viens d'al­leguer, [Page 363] Saint Pierre au chap. 2. de sa premiere vers 9. Vous estes, dit-il, aux membres qui la composent, la gene­ration esleuë, la Sacrificature royale, la nation sainte, le peuple acquis, afin que vous annonciez les vertus de ce­luy qui vous a appellez des tenebres à sa merueilleuse lumiere: Et S. Paul parlant du corps entier au chap. 1. de l'Epistre aux Ephes. vers. 22. & 23. dit, que Dieu a donné son Fils, qui est le Roy de gloire, pour estre chef de l'E­glise, & que l'Eglise est l'accomplis­sement de celuy qui accomplit tout en tous: comme s'il disoit que l'Egli­se rend accomply celuy duquel pro­cede tout accomplissement; c'est à sçauoir Iesus Christ, le contentement duquel semble ne pouuoir estre ac­comply, jusqu'à ce que le nombre de ses eleus soit parfait, & qu'il les ait re­cueillis & introduits en sa gloire; & qu'alors ses souhaits & fes desirs se­ront parfaits & accomplis: Et de fait [Page 364] il semble que c'est cela mesme que nostre Seigneur vouloit dire au 17. de S. Iean vers. 24. lors que parlant à son Pere il disoit, Pere, mon desir est touchant ceux que tu m'as donnez, que là où je suis, ils soient aussi afin qu'ils contemplent ma gloire.

Le P.

La description que S. Iean a faite de l'Eglise au chapitre que vous venez d'alleguer, se doit rapporter à l'Eglise triomphante, qui sera mani­festée lors que Dieu aura rassemblé tous ses Esleus en son Paradis; & de laquelle par consequent nous feront partie: Mais vous deuez obseruer, que pour paruenir à cette bourgeoi­sie celeste il faut auoir pris naissance, & auoir esté esleué en l'Eglise militan­te: car c'est elle qui nous engendre à Dieu, qui nous forme & façonne peu à peu en sa crainte, & en son amour, qui nous conduit & amene à cette sainte Cité. C'est pourquoy il est tres-important de connoistre l'E­glise [Page 365] en laquelle nous receuons tant d'auantages, pour nous y ranger & demeurer en icelle. Mais parce que c'est en ce poinct là que la plus grāde partie des hommes s'abusent, & qu'il y a plusieurs Assemblées au monde, qui prennent chacune le tiltre & la qualité de vraye Eglise, combien qu'elles n'en ayent que le nom: Ie de­sire entendre de vous, Comment, & à quelles marques nous pouuons con­noistre la vraye Eglise, & la discerner d'auec les fausses.

Le F.

I'estime que nous pouuons connoistre la vraye Eglise à ces mar­ques, que Dieu y soit connu & adoré comme seul vray Dieu, & que le ser­uice des Anges, des hommes, & de toute autre creature en soit esloigné, que sa Parole y soit purement pref­chée, & receuë auec obeïssance de foy, & que les traditions humaines en soient bannies; que le merite du sa­crifice de nostre Seigneur Iesus Christ [Page 366] y foit souuerainement exalté, & que toute autre satisfaction en soit excluse; que les Sacremens que no­stre Seigneur Iesus Christ a instituez y soient purement administrez, & les membres d'icelle enseignez à re­noncer à eux-mesmes & au peché, à chercher leur salut, non au pretendu merite des oeuures, mais en la miseri­corde de Dieu par Iesus Christ.

Apres auoir estably ces fondemens, j'estime qu'il faut reduire en deux corps toutes les Assemblées, qui prennent le tiltre & la qualité de vraye Eglise; dont l'vne est la Refor­mée, & l'autre la Romaine; parce que celles qui n'ont point de communion auec l'vne ou auec l'autre d'vne façon ou d'autre, n'ont aucune marque de vraye Eglise, aussi sont elles rejettées par l'vne & par l'autre; & apres exa­miner ces deux-là, par les marques que je viens d'establir, qui ne peu­uent estre raisonnablement debatuës.

[Page 367]

Tout homme donc qui voudra glorifier Dieu, & qui sera desireux de son salut, examinera sans passion ces deux corps, & en ce faisant il trouue­ra que les marques cy-dessus establies sont en l'Eglise Reformée: Car Dieu y est connu & adoré comme seul vray Dieu, sa Parole y est purement pres­chée, creuë & receuë comme regle tres-parfaite du salut des hommes, les traditions humaines en sont bannies, le merite de nostre Seigneur Iesus Christ y est souuerainement exalté, celuy des hommes & de toute autre creature n'y trouuant point de place: Les deux Sacremens que nostre Sei­gneur a instituez, c'est à sçauoir, LE BAPTESME, ET LA SAINTE CENE, y sont administrez & receus en la mesme façon, & auec la mesme signification qu'ils ont esté instituez: Les membres d'icelle sont appris, & font profession ouuerte de renoncer à eux mesmes & au peché, de chercher [Page 368] leur salut en la grace & misericorde de Dieu, par le merite de la Mort & Passion de nostre Seigneur, & s'adon­nent de tout leur pouuoir à sainteté & à bonnes oeuures; afin que par leur sainte conuersation Dieu soit glorifié, & leurs prochains edifiez: Et partant je dis que l'Eglise Reformée est la vraye Eglise; celle-là mesme que S. Paul nomme le corps de Christ, 1. Cor. chap. 12. vers. 27. Les fidelles qui l'a composent chacun en son endroit, membres d'icelle, de laquelle Iesus Christ est Chef & Sauueur, Eph. 5. vers. 23. & pour laquelle il s'est don­né soy-mesme, afin de la sanctifiet apres l'auoir nettoyée par le lauement d'eau, & par sa Parole, & pour la ren­dre glorieuse, sans tâche ny ride, sain­te & irreprehensible, vers. 25.26. & 27. l'ayant pour cét effet fondée & edifiée sur le fondement des Prophe­tes, des Euangelistes & des Apostres, dont il est la maistresse pierre, Ephes. [Page 369] 2. vers. 17 & 20. lesquels il a enuoyez pour l'assemblage des saints, Ephes. 4. vers. 11. & 12. c'est à dire pour les amener à sa connoissance, & en com­poser l'Eglise de laquelle nous par­lons. Et de fait S. Mathieu nous ap­prend au chap. 28. de son Euangile, que Iesus Christ donna mandement à ses Apostres d'endoctriner toutes na­tions, & de les baptiser au nom du Pere, du Fils & du S. Esprit, ajoûtant la promesse, que qui aura crû & aura esté baptisé, sera sauué, Marc 16. v. 16.

De l'Eglise Romaine & de ses erreurs.

POur ce qui est de l'Eglise Romai­ne, c'est vn corps, dont le S. Es­prit fait vne estrange description, car en l'Epistre aux Thess. il nous repre­sente le Chef, sçauoir le Pape, com­me vn ennemy de Dieu, qui s'oppose contre tout ce qui est nomme Dieu, estant assis au Temple de Dieu, & se faisant adorer comme s'il estoit Dieu, [Page 370] que nul ne vous seduise, disoit l'Apo­stre aux Thess. aux v. 3. & 4. du chap. 2. de son Epistre; Car ce jour là ne vien­dra point que premierement ne soit arriuée la reuolte, & que l'homme de peché ne soit reuelé, le fils de perdi­tion, lequel s'oppose & s'éleue contre tout ce qui est nommé Dieu ou qu'on adore, jusques à estre assis au Tem­ple de Dieu, se portant comme s'il estoit Dieu; Et plusieurs historiens di­gnes de foy, nous apprennent que la description faite par le S. Esprit en cette Epistre, a esté diuerses fois, & par des hommes de grand sçauoir rappor­tée & appropriée au Pape, comme au chef & auteur de la reuolte dont l'A­postre parle, & l'experience nous fait voir qu'elle ne peut conuenir à aucun autre, Veu qu'il n'y a jamais eu aucun homme qui ait fait ce que le Pape fait: Car apres sa promotion au Papat, il s'assiet sur vn Autel, & là il est adoré des Cardinaux, comme s'il est oit Dieu. [Page 371] Ie reserue à parler cy-apres de sa do­ctrine, par laquelle il s'éleue & s'opose contre Dieu, & fait voir qu'il est veri­tablement l'homme de peché, le fils de perdition. Saint Pierre parlant de ses membres, sçauoir de ses Prelats en sa 2. chap. 2. vers. 1. dit que ce sont des faux Docteurs. Il y aura entre vous, dit le saint Apostre, des faux Docteurs qui introduiront couuertement des sectes de perdition, & qui renieront le Seigneur, par lesquels la voye de la verité sera blasphemée; Et S. Paul en sa 1re à Timot. chap. 4. vers. 1.2. & 3. dit expressement, que ces faux Docteurs s'adonneront aux doctrines des Dia­bles, enseignans mensonges par hypo­crisie, estās cauterisez en leurs propres consciences, defendans de se marier, commandans de s'abstenir des vian­des que Dieu a creées pour ceux qui ont connû la verité, pour en vser auec action de graces. Finalement le S. Esprit nous represente le corps entier [Page 372] de cette Eglise au 17. de l'Apocal. vers. 4. par vne femme accoustrée de pour­pre, & d'escarlate, parée d'or, de pier­res precieuses & de perles, tenant en sa main vne coupe d'or pleine d'abo­mination de la soüillure de sa paillar­dise; & au verset suiuant il ajoûte, que sur son front il y auoit vn nom escrit, MISTERE, la grande Babylon, la mere des paillardises, & abominations de la terre: Et par cette description le S. Esprit nous fait voir, que l'Eglise Romaine est vn corps entierement corrompu & gangrené, incapable par consequent de quelque bonne pro­duction: Neantmoins cette Eglise prend la qualité d'espouse de Iesus Christ, & se dit estre si bien affermie en toute Sainteté & Iustice, qu'elle ne peut errer; cōbien qu'elle soit pauure, malheureuse & miserable, comme celle de Laodicée, Apocal. 3. vers. 17. Considerons là de prés, & voyons si ses deportemnens respondent à la qua­lité [Page 373] qu'elle s'attribue faussement. Il est constant qu'vne espouse chaste & fi­delle à son mary, le reconnoit pour son seigneur, comine Sara disoit d'A­braham, qu'elle tient pour bien fait tout ce qu'il fait, qu'elle tasche de luy plaire, & de faire les choses qui luy sont agreables, d'éuiter celles qui peu­uent luy déplaire, & qu'elle contribuë tout ce qu'elle peut pour le faire obeïr, & honorer; fait suiure & exe­cuter exactement les ordres qu'il a donnez pour la conduite de sa famil­le. Celle cy fait tout le contraire, & semble qu'elle ait pris à tasche de fai­re toutes les choses qui peuuent irri­ter son pretendu espoux: Elle fait bien semblant de luy adherer: Mais par oeuures elle le renie, comme les Cre­teins, Tite 1er vers. 16. Car en premier lieu elle l'accuse tacitement d'igno­rance, ou de mauuaise volonté en­uers son Eglise; En ce qu'elle dit, qu'il luy a donné vne Parole, qui n'est pas [Page 374] suffisante pour la conduire; & qu'il a esté necessaire qu'elle y ait mis la main, sous pretexte d'vne parole non escrite qui est pardeuers elle, comme elle pretend. Et ainsi elle deshonore son espoux pretendu, & tasche de le rendre mesprisable & contemptible. Mais elle n'en demeure pas là; car elle s'efforce de rendre sa Parole suspecte & dangereuse; Et pour comble de malice, Elle ajoûte, que cette Parole est comme vn nez de cire, vne regle imparfaite qui cause les schismes & les heresies; combien qu'elle soit sain­te, pure, nette & profitable a endo­ctriner, à conuaincre, à corriger & in­struire selon justice; afin que l'hom­me de Dieu soit accomply & parfai­tement instruit en toute bonne oeu­ure; comme l'Apostre S. Paul nous l'apprend en la 2. à Timot. chap. 3. vers. 16. & 17. Et qu'à cause de son excellen­ce, il nous commande de l'auoir au coeur & en la bouche, que la Parole [Page 375] de Christ, dit-il au chap. 3. de l'Epistre aux Coloss. vers. 16. habite en vous plantureusement, en toute sapience, en vous enseignant & admonestant l'vn l'autre par Pseaumes, loüanges & chansons spirituelles, chantans de vostre coeur au Seigneur: neatmoins cette espouse pretenduë en a deffen­du la lecture au peuple, Combien que S. Iacques nous apprenne, qu'elle peut sauuer nos ames: pourueu qu'el­le soit receuë en douceur lors qu'elle nous est preschée & administrée. Jacq. 1er vers. 21. Et S. Iean, que le bon-heur & la felicité de l'homme consiste en la lecture, & en la meditation d'icelle. Apoc. 1. vers. 3. Or cette defense ne peut auoir autre but, que celuy-cy d'affoiblir les tesmoignages que cette Parole luy rend, & d'empescher que les plus auisez ne puissent connoistre & discerner les doctrines qu'elle leur propose & sçauoir si elles sont bonnes ou mauuaises, & si elles se rapportent [Page 376] à la volonté de Dieu. En sa place elle a introduit ses traditions, qui ont quelque apparence de deuotion vo­lontaire, & qui en effet annullent les Commandemens de Dieu. Marc 7. vers. 9. destournent & éloignent par consequent les homme de Dieu; & les forment à la rebellion; Et combien que les traditions des hommes, au fait de la Religion ayent esté condam­nées de tout temps, comme je l'ay montré cy-deuant, elle les veut faire passer pour regle de salut: Mais en vain m'honorent-ils, enseignans des doctrines qui ne sont que comman­demens d'hommes, disoit nostre Sou­uerain Docteur au chap. 15. de saint Matth. vers. 9. Apres auoir arraché ce flambeau de la main du peuple; Elle le conduit en tenebres par vn langa­ge estrange, par cette parole non es­crite, dont je viens de parler, & par des maximes directement contraires à la volonté de son espoux pretendu: Car [Page 377] elle a remply ses Temples, & parsemé les coins des ruës de diuerses Images, qu'elles nomme par vne secrette Pro­uidence de Dieu le liure des ignorans, je dis par vne secrete Prouidence de Dieu, parce que la Parole de Dieu nomme les Images, enseigne menson­ges. Hab. 2. vers. 9. Et ainsi les Images sont veritablement le liure des igno­rans; leur a ordonné vn seruice reli­gieux; combien que son pretendu espoux l'ait expressement defendu au 20. de l'Exode vers. 8. & 5. & en di­uers autres endroits des saintes Escri­tures; a estably le pretendu sacrifice de la Messe, qu'elle dit estre vn sacri­fice expiatoire des pechez des viuans & des morts; combien qu'il ne se fasse point d'expiation des pechez sans ef­fusion de sang: Et que S. Iean nous apprenne en sa premiere chap. 2. vers. 2. que Iesus Christ a fait la propitia­tion pour nos pechez, & par conse­quent renonce au merite de la Mort [Page 378] & Passion de son espoux pretendu: A estably vn Purgatoire imaginaire, & le merite des oeuures: Combien que le mesme Apostre nous enseigne en la mesme Epistre chap. 1. vers. 7. que le sang de Iesus Christ nous purge de tout peché; Et que d'ailleurs nostre justice soit comparée à vn drapeau soüillé des fleurs de la femme. Esaye 64. vers. 6. commande l'inuocation des Saints; Combien que Dieu nous ait commandé au Pseau. 50. & en plu­sieurs autres endroits de sa Parole, de l'inuoquer en nos necessitez, qu'il nous ait promis de nous en tirer hors; que les Prophetes, ny les Apostres ne nous ayent laissé aucun exemple de cette inuocation des Saints: que no­stre Seigneur Iesus Christ au contraire nous ait commandé de nous adresser à Dieu, qui est nostre Pere celeste, Et que le Prophete Ioël nous asseure cha. 2. vers. 32. que quiconque inuoquera le nom du Seigneur sera sauué: A [Page 379] estably d'autres Sacremens que ceux que son pretendu espoux a instituez, & deffiguré le Baptesme, & la sainte Cene; en telle sorte qu'ils ne sont plus reconnoissables: Car au Baptesme, elle ajoûte la Confirmation, qui confere, comme elle dit, à ses deuots vne se­conde grace, preuue certaine & in­faillible de son infidelité: Car si elle croyoit en Iesus Christ, elle tiendroit le Baptesme qu'il a institué pour suffi­sant; puis qu'il nous promet en saint Marc chap. 16. vers. 16. que qui aura crû & aura esté baptisé sera sauué: Et en ce qu'elle ajoûte ce pretendu Sa­crement de Confirmation, elle fait connoistre qu'elle n'a point crû; & que par consequent elle à encouru la condamnation prononcée au mesme verset contre les incredules: Car tout ainsi que celuy qui croit au Fils de Dieu a la vie eternelle, celuy qui luy desobeīt ne verra point la vie, & l'ire de Dieu demeurera sur lui. Jean 3. v. 36. [Page 380] Dieu fasse misericorde, & vueille par sa bonté redresser ceux qui par foi­blesse, ou par la malice de ces faux docteurs ont esté enueloppez sous cette ruïne. D'ailleurs elle luy donne vne operation toute contraire, car el­le attribuë la vertu au signe: en ce qu'elle soûtient que les enfans ne peu­uent estre sauuez s'ils n'ont receu le signe visible, combien que ce soit le sang de nostre Seigneur Iesus Christ qui nous est representé par l'eau du baptesme, qui nous purge de tous nos pechez, suiuant le passage de S. Iean cy-deuant allegué. Et au fait de la sainte Cene, a ordonné vne man­ducation charnelle du corps de son espoux pretendu; au lieu qu'elle est purement spirituelle, parce qu'elle se fait par la foy en croyant en Iesus Christ, Iean 6. vers. 35. Fait au reste l'homme égal à Dieu; & qui plus est, elle l'éleue au dessus de Dieu, en ce qu'elle enseigne que le salut des hom­mes [Page 381] dépend de leur volonté, & de leur franc-arbitre; & que si l'homme ne veut, Dieu ne peut le sauuer; en­seigne le doute du salut, combien qu'elle croye que l'homme peut non seulement accomplir les Commande­mens de Dieu, mais faire des oeuures de supererogation qui composent le tresor imaginaire de cette Eglise, ce qui est vne juste retribution de leur erreur: Car de croire & soûtenir que l'homme peut faire plus que Dieu ne luy commande, & luy enseigner le doute de son salut, sont choses dire­ctement contraires à la Parole de Dieu, qui dit en termes exprés, Que si l'homme accomplit les Comman­demens de Dieu il viura par sa propre justice, Leu. 18. vers. 5. & c'est faire vn Dieu semblable à l'homme naturel­lement menteur: Deffinit sa foy par ignorance, combien qu'elle vienne de la connoissance; comme Esaye nous l'apprend au 53. de sa Prophetie, [Page 382] vers. 11. Mon seruiteur juste, dit-il, parlant de Iesus Christ, en justifiera plusieurs par la connoissance qu'ils auront de luy: Et de fait lors que no­stre Seigneur Iesus Christ demanda à ses Apostres, apres la reuolte dont S. Iean parle au 6. de son Euangile, s'ils ne vouloient pas aussi s'en aller, ils répondirēt par la bouche de S. Pierre; Seigneur à qui nous en irions nous? tu as les Paroles de vie eternelle, & nous auons crû, & auons connu que tu es le Christ, le Fils du Dieu viuant, Iean 6. vers. 68. & 69. De sorte que ces deux passages nous apprennent que la foy vient de la connoissance, & non d'i­gnorance. Finalement, elle nous fait connoistre qu'elle n'approuue nulle­ment la conduite de son pretendu es­poux, & qu'elle y a entierement re­noncé; en ce qu'elle a pris vn homme pour son chef, sçauoir le Pape; com­bien que nostre Seigneur Iesus Christ soit le Chef & l'Espoux de l'Eglise, & [Page 383] que l'Eglise soit fondée sur la doctri­ne Apostolique & Euangelique, com­me je l'ay montré cy-deuant; & de fait, il est dit au chap. 21. de l'Apoc. vers. 14. que l'Eglise auoit douze fon­demens, & en iceux les noms des dou­ze Apostres, sans qu'il y soit parlé du Pape, ny en aucun autre endroit des saintes Escritures, si ce n'est en Ia 2. aux Tessal. au passage que j'ay allegué au commencement de cette réponse: Et neantmoins le Pape en qualité de Chef & d'espoux de cette Eglise, dis­pose selon son dire du Paradis & de l'Enfer, comme bon luy semble, combien que cette puissance n'appar­tienne qu'à celuy qui a esté, qui est, & sera, qui a esté mort, & qui est vi­uant aux siecles des siecles, qui tient les clefs de l'Enfer & de la Mort, Apoc. 1. vers. 18. Mais cettuy-là n'est­il pas plustost l'ennemy de Dieu, l'homme de peché, le fils de perdi­tion, dont le S. Esprit a parlé, qui est [Page 384] assis au Temple de Dieu, se portant comme s'il estoit Dieu, se faisant ado­rer comme Dieu, & renuersant les voyes de Dieu comme Elimas; Cer­tes c'est luy-mesme, & ainsi j'estime que nous pouuons raisonnablement luy appliquer les paroles que S. Paul dit à cét enchanteur au 3. des Actes vers. 10. ô plein de toute fraude & de toute ruse, fils du Diable, ennemy de toute justice, ne cesseras-tu point de renuerser les voyes du Seigneur qui sont droites? & l'Eglise qui luy adhere, qui le reconnoist pour son Chef, peut-elle estre nommée l'es­pouse de Iesus Christ? n'est-elle pas plustost cette grande paillarde desi­gnée au 4. vers. du chap. 17 de l'Apo­cal. Cette grande cité dont mention est faite au chap. suiuant vers. 2. qui est deuenuë l'habitation des Diables, le repaire de tout esprit, & oyseau im­monde & execrable, qui sera entiere­ment bruslée au feu, vers. 8. le cry ou [Page 385] ou la fumée: du tourment de laquelle, & de ceux qui auront pris sa marque en leur main & en leur front montera aux siecles des siecles, dautant qu'ils n'auront repos ne jour ne nuit. Apoc. 14. vers. 9. & 10. Dieu vueille par sa sainte grace nous preseruer & garen­tir de cette ruïne.

Apres cet examen je n'estime pas qu'il y ait beaucoup de difficulté à connoistre & distinguer la vraye Egli­se d'auec la fausse. Et ceux qui vou­dront considerer sans passion les cho­ses que je viens de dire, ne reconnoi­stront nullement pour vraye Eglise la Romaine; en laquelle ces erreurs, & plusieurs autres tirées du Paganis­me, & du Iudaïsme se trouuent; com­me les eaux lustrales, conuerties en eaux benites: les pompes & prome­nades de leurs Idoles conuerties en processions auec les images, les meri­tes de leurs Sacrifices, & de leurs au­tres superstitions conuerties au meri­te [Page 386] des oeuures; l'obseruation des festes, la distinction & l'abstinence de certaines viandes, & plusieurs autres que je ne sçaurois déduire: Au con­traire ils tiendront pour vraye Eglise, la Reformée, qui en est purgée, & en laquelle ils sont condamnez, & se joindront à icelle, afin de glorifier Dieu. A mon égard je crois que l'E­glise Reformée, en laquelle Dieu m'a fait naistre, & en laquelle vous m'a­uez éleué est la vraye Eglise, & qu'il n'y en a point d'autre, en laquelle l'homme puisse trouuer son salut. C'est pourquoy aussi je veux y demeu­rer, y viure & mourir, pour estre membre de l'Eglise vniuerselle de la­quelle Dieu est le Dieu, & Iesus Christ, le Chef & le Sauueur. Ie prie Dieu qu'il m'en fasse la grace.

Le P.

Ainsi soit-il, mon fils. Or puis que l'Eglise Reformée, en laquelle nous sommes, est la vraye Eglise: & que la Romaine est la Babylon misti­que [Page 387] figurée & representée par la Ba­bylon ancienne; fuyons-là suiuant le commandement de Dieu, afin que participans à ses pechez ne receuions de ses playes, Apoc. 18. vers. 4 Met­tons-nous à l'abry de ses tourmens, & tenons-nous fermes à l'Eg lise Refor­mée pour le seruir, & honorer suiuant sa volonté: Puis qu'elle a les promes­ses de grace, & qu'elle est l'asile des enfans de Dieu; Et nostre bon Sei­gneur nous fera jouïr de l'effet de sa promesse contenuë au 12. de S. Iean v. 26. en ces mots icy; Et là où je seray, là aussi sera celuy qui me sert, & si quelqu 'vn me sert, mon Pere l'hono­rera. Venons à present aux Sacremens; Dites moy combien il y en a en l'Egli. se, & quel est leur vray vsage?

Traitté des Sacremens, par lequel l'En­fant fait voir qu'il y en a deux, montre l'institution, l'vsage, & la vertu d'iceux.

Le F.

L'Eglise Chrestienne à deux [Page 388] Sacremens que nostre Seigneur Iesus Christ a instituez; sçauoir, LE BA­PTESME, ET LA SAINTE CENE, qui sont comme les deux mammelles de l'Eglise, l'vn est le Sacrement de nostre naissance en l'Eglise, & nostre lauement spirituel: Car tout ainsi que par l'eau commune nos corps sont la­uez de leurs ordures; par l'eau du Baptesme qui nous represente le sang de Iesus Christ répandu pour nous, nous sommes lauez de nos ordures spirituelles par l'operation du S. Es­prit. Et l'autre est le Sacrement de nostre nourriture spirituelle; Car comme nos corps sont nourris par le pain & par le vin, le corps de nostre Seigneur Iesus Christ rompu pour nous sur la Croix, & son sang respan­du qui nous sont presentez par le pain & par le vin de la Cene, nourrissent nos ames en l'esperance de la vie eter­nelle. Orces deux Sacremens respon­dent aux deux principaux de l'Eglise [Page 389] Iudaïque, dont l'vn estoit la Circon­cision, qui leur representoit leur cor­ruption naturelle, par le retranche­ment du prepuce de leur chair, & leur apprenoit qu'ils deuoient appor­ter tout soin & diligence à se purifier: Et l'autre, la Pasque ou l'Agneau qui fut immolé en Egypte par le com­mandement de Dieu, Exode 12. vers. 6. par le sang duquel les Israëlites fu­rent déliurez non seulement de la captiuité du Pharao temporel, mais aussi de la main de l'Ange qui destrui­sit les premiers nez d'Egypte; Et d'a­bondant asseurez de leur deliurance spirituelle de la tyrannie du Diable qui est le Pharao spirituel, par le sang de l'Agneau de Dieu, qui estoit figu­ré & representé par la Pasque; C'est pourquoy aussi, & pour leur rafrais­chir la memoire de cette deliurance temporelle, & les entretenir en la meditation de leur deliurance spiri­tuelle, Dieu leur commanda au 14. [Page 390] verset du mesme chap. d'en celebrer la memoire à perpetuïté, c'est à dire jusques à la venuë du vray Agneau qui deuoit mettre fin à toutes ces fi­gures, par le sacrifice de son corps, & donner de nouuelles loix au peuple nouueau: Et de fait estant venu en chair, il nous a donné les deux Sacre­mens, dont je viens de parler, Sçauoir le Baptesme, & la Sainte Cene, les­quels ne representent pas seulement les biens spirituels, comme la Circon­cision & la Pasque; mais nous les exhi­bent, & nous, en donnent la jouïssan­ce; Car au Baptesme nous sommes lauez de nos pechez, & reuestus de la justice de nostre Seigneur Iesus Christ, Galat. 3. vers. 17. Et en la Cene il nous donne sa chair à manger par laquelle il nous viuifie, & nous en­tretient en l'esperance de la vie eter­nelle.

Iesus Christ a donc en premier lieu institué le Baptesme, apres l'auoir [Page 391] sanctifié en sa personne; Car il voulut luy mesme estre baptisé par S. Iean Baptiste; non pour besoin qu'il en eust, veu qu'il est le Saint des Saints, celuy duquel procede toute sainteté: Mais afin d'accomplir toute justice pour nous, comme il a fait, Matt. 3. vers. 15. Allez, dit-il, à ses Disciples, au 19. vers. du 28. chap. du mesme Euangile, endoctrinez toutes nations, les baptisans au Nom du Pere, du Fils, & du S. Esprit, & auiendra, ajoûte S. Marc au 16. vers. du 26. chap. de son Euangile, que quiconque aura crû, & aura esté baptisé, sera sauué: Cōme s'il eust dit, qui aura esté baptisé, qui aura crû aux promesses de Dieu, qui aura fait profession ouuerte & cōstan­te de l'Euangile, qui aura renoncé à soy mesme, & aura cherché son salut en la grace & misericorde de Dieu par le merite de mon sacrifice, sera laué de ses pechez, & sera sauué. De sorte que si nous sommes en cette disposi­tion, [Page 392] nous pouuons dire auec S. Paul, que Christ vit en nous; & ce que nous viuons en la chair, nous viuons en la foy du Fils de Dieu qui nous a aimez & s'est donné pour nous, Gal. 2. vers. 20. Voila donc l'institution du Baptesme; Voila le mandement que Iesus Christ a donné à ses Apo­stres, de prescher l'Euangile & de baptiser; Et finalement la promes­se du salut qu'il a faite à ceux qui croiront en luy, & qui auront esté ba­ptisez.

Pour ce qui est de la sainte Cene, Iesus Christ l'institua immediatement apres auoir mangé la Pasque, au mes­me lieu, à la mesme heure, du mesme pain & du mesme vin dont il auoit vsé: De sorte qu'il semble que la Pas­que ait resigne sa place à la sainte Cene; En ce qu'elle luy a fourny la matiere, dont elle est composée. Voicy comme les Euangelistes en parlent, & particulierement S. Matt. [Page 393] au chap. 26. de son Euangile vers. 26.27. & 28. Et comme ils mangeoient, l'Euangeliste parle de nostre Seigneur Iesus Christ, & de ses Apostres, & de la Pasque, comme les versets prece­dents le justifient, Iesus prit le pain; & apres qu'il eust rendu graces, le rom­pit, le donna à ses Disciples, & dit, Prenez, mangez; Cecy est mon Corps qui est rompu pour vous, ajoûte S. Paul au 24. vers. du 11. chap. de la 1re aux Cor. Puis ayant pris la Coupe, & rendu graces, Il la leur bailla, disant; Beuuez-en tous: Car cecy est mon Sang, le Sang du nouueau Testament, ou de la nouuelle Alliance, qui est respandu pour plusieurs en remission des pechez: Faites cecy, ajoûte en­core S. Paul, Toutesfois & quantes que vous en boirez en commemora­tion de moy: Car toutesfois & quan­tes, que vous mangerez de ce pain, & boirez de cette Coupe, vous annon­cerez la mort du Seigneur jusqu'à ce [Page 394] qu'il vienne. 1er Cor. chap. 11. vers. 25. & 26. Voila ainsi l'institution de la sainte Cene; Voila le commandement que nostre Seigneur Iesus Christ nous a fait de manger sa chair rompuë pour nous, de boire son Sang, le Sang de la nouuelle Alliance, qu'il a respandu pour plusieurs en remission des pe­chez.

Le P.

Comment pouuons nous man­ger la chair de Iesus Christ, & boire son sang, veu qu'il est éleué par dessus nous d'vne distance infinie?

Le F.

Pour manger la chair, & boi­re le Sang de nostre Seigneur Iesus Christ, il ne faut pas le faire descen­dre du Ciel en terre: mais éleuer nô­tre coeur de la terre au Ciel, où Iesus Christ est assis à la dextre de son Pere; mediter son Incarnation, ses souffran­ces, le sujet & la cause d'icelles, auec vn sensible desplaisir, d'auoir attiré sur luy par nos crimes & rebellions, les tourments qu'il a soufferts & en­durez [Page 395] pour nous, en son corps & en son ame; nous éjoüir d'vne sainte joye, tant à cause de l'amour que le Pere nous a porté, qui est si grand, que pour nous deliurer des peines eternelles, il a donné son Fils, son bien-aimé pour nous, qui estions ses ennemis en nos entendemens, & en mauuaises oeuures; que pour la cha­rité incomprehensible du Fils, qui est descendu du Ciel en terre pour pren­dre nostre nature afin de pouuoir mourir pour nous, qui s'est chargé de nos pechez, qui s'est exposé volon­tairement aux miseres de cette vie, à la contradiction des pecheurs, à la violente persecution des meschans: & finalement à la mort maudite & ignominieuse de la Croix, pour nous tirer des Enfers, & nous éleuer dans le Ciel, où il nous a preparé place; Bref, mettre nostre esperance en luy, comme en nostre seul & parfait Sau­ueur: Car si nous croyons en luy, si [Page 396] nous allons à luy en cette maniere, nous auons mangé sa chair, & auons beu son sang.

Le P.

Examinons de plus prés cette doctrine, pour en tirer les auentages qui nous y sont presentez: Et pu is que nous auons parlé de la forme & de la maniere de la manducation: Voyons à present quel en est le but & la fin.

Le F.

Le salut des hommes, comme il nous l'apprend luy-mesme au 51. verset du chapitre 6. de l'Euangile se­lon S. Iean, car combien qu'en ce chapitre il ne soit question de la sainte Cene, il semble que le Saint Esprit ait fait naistre la dispute que nostre Sei­gneur Iesus Christ eut auec les trou­pes sur le sujet de la Manne que Dieu auoit donnée à leurs Peres au desert par le ministere de Moyse, pour nous apprendre par anticipation, quel est le but & la fin de la manducation de son corps: Et ainsi nous pouuons nous seruir raisonnablement des do­ctrines [Page 397] que nostre souuerain Docteur a desployées dans ce chapitre, puis que toutes les choses qui sont escri­tes, ont esté escrites pour nostre en­doctrinement; comme l'Apostre saint Paul nous l'apprend au 15. chap. de l'E­pistre aux Rom. vers. 4. En premier lieu nostre Seigneur Iesus Christ, fait entendre aux troupes qui luy auoient proposé le Miracle de Moyse au sujet de la Manne qu'ils nommoiēt le pain du Ciel, que la Manne n'estoit pas le pain du Ciel, & qu'il n'estoit pas au pouuoir de Moyse de leur donner le pain du Ciel: Ce n'est pas Moyse, leur dit-il, au vers. 32. qui vous a donné le pain du Ciel: Mon Pere vous donne le vray pain du Ciel; Et en suitte il leur apprend qu'il est ce pain là aux versets 49. & 50. Il ajoûte, vos peres ont mangé la Manne au Desert, & sont morts: Mais c'est icy le pain qui est descendu du Ciel, afin que si quelqu'vn en mange il ne meure [Page 398] point; Et au verset suiuant, il les amei­ne au sacrifice de la Croix; & leur apprend que le pain dont il leur par­le, c'est sa chair, qu'il donnera, qu'il offrira sur la Croix pour la vie du mon­de; & que si quelqu'vn en mange il viura eternellement: Ie suis, dit il, le pain viuifiant qui suis descendu du Ciel; Si quelqu'vn mange de ce pain icy, il viura eternellement; & le pain que je donneray, c'est ma chair, la­quelle je donneray pour la vie du monde. Et d'autant que ces gens-là ne pouuoient comprendre ce My­stere, ils se debattoient entr'eux, di­sans; Comment nous peut cettuy­cy donner sa chair à manger? Iesus Christ leur respond aux versets 53.54.55. & 56. En verité, en verité je vous dis, que si vous ne mangez la chair du Fils de l'homme, & ne beuuez son sang, vous n'aurez pas vie en vous­mesmes. Celuy qui mange ma chair, & qui boit mon sang à vie eternelle, [Page 399] & je le ressusciteray au dernier jour: Car ma chair est vrayement viande, & mon sang est vrayement breuua­ge: Celuy qui mange ma chair & qui boit mon sang, demeure en moy & moy en luy. Vous voyez donc, mon pere, que cette manducation a pour but le salut des hommes: car tout ainsi que lors que nous mangeons le pain, & les autres alimēs qui nous ont esté donnez pour la nourriture de nos corps, ils s'vnissent auec nous, & nous communiquent leur vertu nutritiue: par la manducation de nostre victi­me, qui se fait par foy en esprit, Iesus Christ, qui est luy mesme la victime, nous communique sa vertu diuine: en telle sorte qu'il vit en nous, & nous viuons en luy, & par luy auec le Pere.

Le P.

Cela estant ainsi, que pour auoir vie eternelle, il faut manger la chair, & boire le sang de la victime offerte pour l'expiation de nos pe­chez; & que sans cette manducation [Page 400] il n'y a point de vie pour les pecheurs, Ie m'estonne de ce que la loy deffen­doit à l'Eglise Iudaïque de boire le sang des sacrifices offerts pour l'ex­piation de leurs pechez sur peine d'excommunication. Leuit. 17. vers. 10. & 11. veu qu'il semble que c'est vne chose impossible, que ce sacri­fice puisse produire vn mesme effet enuers les pecheurs par deux actions si contraires, qui sont, l'vne de man­ger & de boire, & l'autre, ne point manger ne boire.

L'enfant vuide la difficulté, montre le sujet de la deffense & du commandement: & fait voir comment ces deux actions si contraires en apparence produisent vn mesme effet.

Le F.

La deffense faite à l'Eglise Iudaïque, de participer à la chair & au sang de ses sacrifices, ne nous doit nullement étonner, ny faire mettre en doute l'expiation de ses pechez: Mais il faut obseruer deux choses; L'vne que cette prohibition luy fai­soit [Page 401] entendre que l'expiation presen­te faite par ces sacrifices charnels n'e­stoit que typique, & qu'elle deuoit regarder à vn sacrifice plus parfait, sçauoir au sacrifice de l'Agneau de Dieu, qui estoit le corps & la verité de ces figures; Et l'autre que l'A­gneau estant venu, il s'est offert soy mesme sur la Croix à Dieu son Pere, & par son sacrifice il a fait l'expiation de nos pechez; a aboly l'ancienne Peda­gogie, la prohibition contenuë au 17. du Leuit. a fait vne nouuelle alliance auec le peuple nouueau, luy a donné de nouuelles loix; en ce qu'il luy a commandé de manger son corps rompu, de boire son sang respandu pour plusieurs en remission des pe­chez; & nous a appris à nous que c'est par certe manducation, qu'il nous communique sa vie spirituelle; Et ainsi voyons nous que le sacrifice ex­piatoire à pû produire vn mesme effet par deux actions contraires; puis que [Page 402] d'vne part la defense legale faite à l'ancien peuple de participer au sang de leurs sacrifices expiatoires, les ame­noit à Iesus Christ; Et que d'autre le commandement qu'il nous a fait de manger sa chair, de boire son sang, nous asseure que par cette Commu­nion, il veut nous faire participans du merite de son sacrifice, & nous ren­dre eternellement heureux.

Le Pere acquiesse, demande pourquoy la Loy commandoit au Sacrificateur de manger l'offrande pour le peché.

Le P.

Ie crois que c'est le vray sens de la prohibition faite à l'ancien peu­ple, de participer au sang de ses sacri­fices expiatoires, & du commande­ment qui nous a esté fait de manger la chair de nostre victime & d'en boire le sang. Voyons à present pourquoy la mesme Loy qui defendoit aux pe­cheurs de manger la victime offerte pour leurs pechez, commandoit aux Sacrificateurs de la manger. Le Sacri­ficateur [Page 403] qui offrira l'offrande pour le peché, la mangera, disoit la Loy au 6. du Leuit. vers. 26.

Le F.

Moyse en a donné luy mesme la raison au 10. du mesme liure vers. 17. lors qu'il a dit, que l'offrande pour le peché auoit esté donnée aux Sacrifi­cateurs qui faisoient l'expiation, afin qu'ils portassent l'iniquité de l'assem­blée.

Le P.

Comment cela se pouuoit-il faire? Veu qu'ils ne mouroient pas pour les pecheurs: Car s'ils eussent esté chargez des pechez de l'assem­blée, ils fussēt morts pour l'assemblée, & non des pauures bestes innocentes.

L'Enfant montre comment les Sacrificateurs por­toient l'iniquité de l'assemblée, apres il mon­tre l'application de cette figure à nostre Sei­gneur Iesus Christ, nostre Souuerain Sacrifi­cateur & nostre victime.

Le F.

Cet acte Sacerdotal estoit typi­que comme les precedens; Et de fait, les Sacrificateurs ne portoient pas ef­fectiuement [Page 404] l'iniquité de l'assemblée: car si cela eust esté; Il eust fallu qu'ils fussent morts pour l'assemblée; d'au­tant qu'il ne se faisoit point d'expia­tion des pechez sans effusion de sang: Heb. 9. vers. 22. Mais voicy comment cette figure s'accomplissoit. L'assem­blée, ou le particulier qui auoit peché, amenoit au Souuerain Sacrificateur vne beste, telle que Dieu l'auoit or­donnée, & le Souuerain Sacrificateur mettoit ses mains sur la teste d'icelle, faisoit confession du peché, recon­noissoit que les pecheurs auoient me­rité la mort, prioit Dieu de ne leur imputer leurs forfaits, & de receuoir en leur place la beste, sur la teste de laquelle il les auoit deschargez; & par ce moyen la beste deuenoit peché, & estoit nommée de ce nom là, ou Male­diction. Apres elle estoit égorgée auec quelques ceremonies, dont il n'est necessaire de parler; Vne partie d'icelle estoit bruslée, & l'autre partie [Page 405] estoit mangée par le Souuerain Sacri­ficateur. Or par cette manducation, la victime offerte pour le peché, & chargée de l'iniquité de l'assēblée, ou du particulier, estoit vnie & incorpo­rée à la personne du Souuerain Sacri­ficateur: En telle sorte que les deux deuenoient vn; & par cette vnion, l'iniquité de l'assemblée, qui auoit esté posée & deschargée sur la teste de la victime, estoit imputée au Sacrifi­cateur; & en cette maniere le Sacrifi­cateur portoit l'iniquité de l'assem­blée, suiuant le passage du 10. du Le­uitique: D'autre part aussi par la mes­me vnion, la mort de la victime estoit imputée au Souuerain Sacrificateur; comme s'il l'eust soufferte luy mesme; & ainsi l'expiation typique estoit par­faite & accomplie. Or comme toutes ces figures se rapportoient à Iesus Christ, qui en est le corps & la verité, d'autant qu'il est nostre Souuerain Sacrificateur & nostre victime; Il s'est [Page 406] chargé de nos pechez, a porté l'ini­quité de nous tous, & lors qu'il s'est offert en sacrifice viuant sur la Croix, il a fait l'expiation, & nous a acquis vne redemption eternelle. Et comme pour faire l'expiation typique, l'vnion de la victime auec le Sacrificateur estoit necessaire; afin que la mort de la victime luy fust imputée; à present que l'expiation est faite, vne autre vnion est necessaire, sçauoir de la vi­ctime auec le pecheur; afin que la mort de la victime luy soit imputée; C'est pourquoy aussi nostre Seigneur Iesus Christ se donne à nous en vian­de & breuuage; & en instituant la sainte Cene, nous a commandé de manger sa chair rompuë pour nous, de boire son sang respandu pour la remission de nos pechez; afin que par cette manducation, il soit fait vn auec nous, que le merite de sa mort nous soit imputé, comme si nous l'auions soufferte, qu'il viue en [Page 407] nous, & que nous viuions en luy & auec luy.

Le Pere demande s'il faut que la chair & le sang de nostre Seigneur Iesus Christ entreat dans nos estomachs par la bouche du corps, & que son sang soit effectiuement respandu sur les petits enfans au Baptesme.

Le P.

Pour faire cette vnion, & produire l'effet que vous dites: Il sem­ble que la chair & le sang de nostre Seigneur Iesus Christ doiuent entrer dans nos estomachs: comme la victi­me offerte pour le peché entroit dans l'estomach du souuerain Sacrifica­teur; veu que tout ainsi que les figu­res nous conduisent à la verité, la ve­rité se doit rapporter aux figures: & suiuant cette maxime, on vous dira que la chair & le sang de nostre Sei­gneur Iesus Christ ne peuuent pro­duire leur vertu s'ils n'entrent effecti­uement dans nos estomachs par la bouche du corps. Et sur le sujet du Baptesme, on vous opposera le passage [Page 408] du 16. de S. Marc que voꝰ auez allegué, qui porte en termes expres, que qui aura crû, & aura esté baptisé sera sau­ué, mais qui n'aura point crû sera con­damné; Et suiuant iceluy on vous dira, que l'eau du Baptesme ne peut pro­duire aucune vertu sur les petits en­fans: au contraire qu'elle leur tour­ne en condamnation, d'autant qu'ils n'ont aucune connoissance de ce my­stere; & par consequent ne peuuent receuoir le Baptesme auec la foy re­quise & necessaire.

L'Enfant respond que le merite du sang de la Croix de nostre Seigneur Iesus Christ est im­puté aux enfans au Baptesme, à cause de la foy de leurs parens; Et à l'esgard de la man­ducation de sa chair, qu'elle se fait par foy en esprit.

Le F.

Ie commenceray ma res­ponse par la derniere partie de vostre demande, & vous diray que tous les Chrestiens embrassent cette verité, que le merite du sang de la Croix de [Page 409] Iesus Christ est impuré aux enfans des fidelles au Baptesme; parce qu'ils sont considerez comme estans dans l'al­liance que Dieu a contractée auec leurs peres, & vne mesme personne auec eux. Mais à l'esgard des person­nes aagees qui sont baptisez, ils doi­uent auoir la foy, & montrer qu'ils croyent en Iesus Christ, comme l'Eu­nuque de la Reyne des Ethyopiens: Car autrement le Baptesme leur se­roit non seulement inutile, mais leur tourneroit en condamnation, suiuant le passage de S. Marc, que qui n'aura crû sera condamné. La foy donc est necessaire aux personnes aagées, qui reçoiuent le Baptesme; car nous som­mes sauuez par grace, par la foy, Ephes. 2. vers. 7. Mais la foy des peres & des meres est suffisante aux petits enfans, pourueu que de leur part ils suiuent leurs traces, & imitent leur foy lors qu'ils seront en aage de le pouuoir faire.

[Page 410]

Et sur le sujet de la sainte Cene, il faut obseruer que la manducation de la victime offerte pour le pechè estoit vn acte corporel & typique; & que pour faire l'vnion dont nous auons parlé, de la victime auec le Sacrifica­teur, il falloit de toute necessité que la manducation fust corporelle: mais il n'en est pas de mesme de l'vnion que nostre Seigneur Iesus Christ veut auoir auec nous, d'autant qu'elle est purement spirituelle: & ainsi il faut que la manducation de sa chair & de son sang soit aussi spirituelle, comme i'ay dit cy-deuant; & de fait, lors que nous approchons de la Table du Seigneur, pour receuoir de la main du Ministre le pain rompu, & le vin respandu ou versé d'vn vaisseau dans vn autre; nous faisons reflection sur nos pechez qui luy ont causé la mort, nous meditons la grace du Pere qui nous a procuré le salut, la charité du Fils, qui nous l'a merité par ses souf­frances; [Page 411] nous demandons pardon à Dieu, & la grace de mieux viure à l'aduenir; Nous embrassons Iesus Christ comme nostre seul & parfait Sauueur, nous mettons toute nostre esperance en luy, & par luy nous auōs recours à la misericorde de son Pere; & par cet acte qui se fait par foy en esprit, nous nous vnissons auec Iesus Christ, & luy de sa part s'vnit auec nous, nous laue de nos pechez en son sang, nous couure de sa Iustice, & nous rend agreables à son Pere; En telle sorte qu'il nous regarde d'vn oeil fa­uorable, nous impute la mort de son Fils, comme si nous l'auions soufferte, & nous donne sa benediction: Le tout par la vertu secrette de son S. Esprit, & non par vne manducation corpo­relle: & en cette maniere nous parti­cipons à la chair & au sang de nostre Seigneur, qui deuiennent nostre vian­de & nostre breuuage spirituel, nour­rissant nos ames en l'esperance de la [Page 412] vie eternelle, leur donnant vn estre nouueau & spirituel.

L'Eglise Romaine impugne cette doctrine, & soûtient qu'on ne peut participer au benefice de la Mort & Passiō de nostre Seigneur Iesus Christ; si on ne mange sa chair, & si on ne boit son sang par la bouche du corps, sous pretexte de ce que S. Matthieu & S. Marc rapportent que nostre Sei­gneur Iesus Christ lors qu'il institua ce Sacrement, dit à ses Disciples, en donnant le pain, Prenez, mangez, cecy est mon corps; & à l'effet de cette manducation corporelle a esta­bly la doctrine de la Transsubstan­tiation, qui est en substance que les Prestres par le moyen des paroles Sa­cramentalles, comme ils parlent, con­uertissent & transsubstantient leur pain à chanter au corps de nostre Sei­gneur Iesus Christ. Et combien qu'ils auoüent qu'il a pris vn corps sembla­ble au nostre, excepté peché, ils l'en­ferment [Page 413] dans vn morceau de pain de la grandeur de la paume de la main, soûtiennent que ce pain estant diuisé en plusieurs parties, Iesus Christ est en chacune d'icelles; & par cette do­ctrine ils détruisent, entant qu'en eux est, sa nature humainé, l'assujettissant à vne infinité d'infirmitez, comme de pouuoir estre mangé des rats, vomy par ceux qui l'ont receu. Et combien que les sens naturels & la Parole de Dieu nous apprennent, & nous fas­sent connoistre qu'auant & apres la consecration c'est du pain, ils soûtien­nent que ce n'est plus pain, mais seu­lement des accidens sans sujet, & que Iesus Christ est enfermé là dedans en la mesme grandeur qu'il estoit sur la Croix; ce qui est plustost vn charme, que la Religion. Neantmoins ils veu­lent nous contraindre d'adorer ce morceau de pain, comme s'il estoit Dieu, & d'adherer au retranchement qu'ils ont fait de la Coupe, contre [Page 414] l'exprés commandement de nostre Seigneur contenu au chap. 26. de saint Matth. vers. 27 Beuuez en tous. Mais comme cette doctrine se détruit d'el­le mesme, & que d'ailleurs elle a esté refutée par plusieurs excellens Escri­uains, Ie me contenteray de vous ex­poser ma creance. Ie crois donc que la sainte Cene est vn remede spirituel, que nostre souuerain Medecin nous a donné pour déliurer nos ames de la mort eternelle, à laquelle elles ont esté assujetties, tant par la transgres­sion d'Adam, que par les nostres pro­pres; & vne viande spirituelle pour les nourrir en l'esperance de la vie eter­nelle. Et je n'estime pas qu'entre les Chrestiens, il y en ait aucun si dé­pourueu de raison qui voulût dénier cette veriré. Ce fondement ainsi posé, il faut aussi reconnoistre & auoüer que la manducation, qui nous y est recommandée, est aussi spirituelle. Car comme il est impossible de nour­rir, [Page 415] ou de guerir nos corps de leurs maladies par la meditation, & par des choses spirituelles, nos ames ne peu­uent non plus estre gueries de leurs maladies spirituelles, ny nourries en l'esperance de la vie eternelle, que par des remedes spirituels & par vne viande spirituelle. Or cette viande est la chair & le sang de nostre Sei­gneur Iesus Christ Dieu & homme; la forme de la manducation est la medi­tation par foy en esprit. Et de fait, nostre Seigneur Iesus Christ, nous l'apprend au chap. 6. de l'Euangile se­lon S. Iean: Car apres auoir dit aux troupes au vers. 51. Ie suis le pain viui­fiant, qui suis descendu du Ciel, si quelqu'vn mange de ce pain icy il vi­ura eternellement, & le pain que je luy donneray, c'est ma chair, laquelle je donneray pour la vie du monde; Il ajoûte au vers. 63. Les paroles que je vous dis sont esprit & vie, la chair ne profite de rien, c'est l'esprit qui viui­fie; [Page 416] Et aux versets 35. & 47. il leur auoit dit que la vraye manducation de sa chair se fait en allant à luy, & en croyant en luy. Puis donc que les pa­roles de manger sa chair, & boire son sang, se doiuent entendre spirituelle­ment; Ie crois auec les vrays fideles qu'il est plus conuenable d'éleuer nos coeurs au Ciel, où Iesus Christ est assis à la dextre de son Pere, que de l'atti­rer du Ciel en terre, pour l'enfermer dans vn nombre infiny de morceaux de pain; & en suitte dans nos esto­machs par la bouche du corps; Et d'autant plus qu'il ne peut reuenir aucune vtilité au Chrestien de cette manducation corporelle, puis que la chair dénuée de l'esprit ne profite de rien. Et lors qu'il plaira à Dieu m'ap­peller à cette action religieuse, je me proposeray de faire la commemora­tion de la Mort & Passion de nostre Seigneur sous les deux especes, sui­uant son commandement: Et en ce [Page 417] faisant j'éleueray mon coeur de la ter­re au Ciel où Iesus Christ est assis à la dextre de son Pere, je l'embrasseray comme mon seul & parfait Sauueur, & je ne fais nul doute qu'il ne me fasse participant du fruit & du benefice de sa Mort & Passion; puis qu'il est mort pour nos pechez & ressuscité pour nostre justification.

Le P.

Puis que vous estes en cette disposition, & que la sainte Cene a esté instituée non seulement pour les conducteurs de l'Eglise, mais aussi pour tous les fideles. Pourquoy ne participez vous pas dés à present à la sainte Cene, qui est le Sacrement de nostre nourriture? Comme vous auez receu le Baptesme, qui est le Sacre­ment de nostre naissance en l'Eglise.

Le F.

Il y a grande difference entre le Baptesme & la sainte Cene; car pour receuoir le Baptesme, il suffit que les enfans soient engendrez de peres & meres fidelles, comme j'ay dit cy-de­uant; [Page 418] Mais pour pàrticiper à la sainte Cene, il faut faire ce que S. Paul com­mande en sa 1re aux Cor. chap. 11. vers. 28. que chacun, dit-il, s'esprouue soy mesme; Et ainsi qu'il mange de ce pain & boiue de cette coupe. Or comme il semble que les enfans de mon aage ne sont pas capables de cet examen, l'Eglise n'a pas trouué qu'il fust à propos de les admettre à la Ta­ble du Seigneur, jusqu'à ce qu'ils soient en estat de le pouuoir faire: C'est pourquoy aussi je me submets tres-volontiers à cet ordre; combien que par la grace de Dieu je sçache en quoy consiste cet examen.

Le P.

Faites moy entendre en quoy il consiste, afin que je voye si vous vous abusez, ou non.

L'Enfant propose sommairement la forme de l'examen.

Le F.

Saint Paul apres auoir parlé au chap. 11. de la 1re aux Cor. de l'institu­tion de la sainte Cene, & de la manie­re [Page 419] d'y participer, nous commande au 28. vers. de nous esprouuer nous mes­mes: que chacun, dit-il, s'esprouue soy mesme, & ainsi mange de ce pain & boiue de cette coupe: & au verset suiuant; Car qui en mange, & qui en boit indignement, mange & boit son jugemēt ne discernant point le corps du Seigneur. Or cette espreuue n'est autre chose, qu'vn examen que nous deuons faire de nous mesmes, pour sçauoir si nous sommes déplaisans d'a­uoir offensé Dieu, si par vne vraye re­pentance nous auons recours à sa gra­ce au Nom de Iesus Christ; si nous re­nonçons à toute rancune, & si nous desirons de viure en paix & en amitié auec nos prochains: Si nous croyons que Iesus Christ a esté rompu sur la Croix pour nous, & son sang respandu pour la remission de nos pechez, & si nous l'embrassons, cōme nostre seul & parfait Sauueur: Bref si Iesus Christ habite en nos coeurs par foy, comme [Page 420] l'Apostre nous l'apprend au 5. vers. du chap. 13. de la 2. aux Cor. Or par la grace de Dieu je suis en tous ces sen­timens, & ainsi je pourrois m'appro­cher de la Table du Seigneur, faire la commemoration de son corps rompu & de son sang respandu, & je ne fais nul doute qu'estant ainsi disposé, & participant aux signes visibles, Dieu ne me rendist participant de sa grace inuisible: neantmoins je me soumets fort volontiers à l'ordre estably en l'Eglise.

Le P.

Si vous mettez en pratique ce que vous venez de dire, vous pour­riez dés à present participer au S. Sa­crement de la Cene; toutes fois je suis d'auis que vous attendiez encore quelque temps, & que pendant cet interualle vous vous prepariez encore mieux, par la consideration de vostre estat naturel, & par la meditation de la grace que Dieu vous a faite de vous appeller à sa connoissance & de vous [Page 421] donner la foy en Iesus Christ.

Le F.

Ie le feray, mon pere, & pour cet effet je demande à Dieu l'assistan­cede son saint Esprit.

Le P.

Nous pourrions finir nostre entretien en cet endroit; puis que nous auons parlé des choses qui con­cernent la gloire de Dieu, & nostre salut suiuant les lumieres qu'il luy a plû nous en donner: Neantmoins je veux encore vous faire vne demande sur le sujet de la sainte Cene. Mais parce que d'abord vous pourriez croi­re qu'elle est comme vne pierre hors d'oeuure, j'ay à vous auertir qu'elle ne fera point de difformité: au contraire qu'elle peut seruir à appuyer & affer­mir les choses que nous auons dites, & à descouurir les artifices dont le Diable s'est seruy pour deffigurer ce saint Sacrement. La Cene, auons­nous dit, est vn Sacrement qui nous represente le sacrifice que nostre Sei­gneur Iesus Christ a fait de son corps [Page 422] sur la Croix pour l'expiation de nos pechez, auquel les Apostres ont don­né le nom de Cene, qui signifie sou­per, à cause de la circonstance du temps, auquel le Seigneur l'institua. Quand vous vous assemblez, disoit l'Apostre S. Paul aux Cor. en sa 1re chap. 11. vers. 21. cela n'est point man­ger la Cene du Seigneur; car chacun s'auance de prendre son souper parti­culier: & quand se vient à manger, l'vn à faim, & l'autre fait bonne che­re. Or l'esprit malin voyant que pen­dant qu'on retiendroit le mot de Cene difficilement pourroit-il alterer & corrompre l'institution & l'vsage de ce saint Sacrement, a mis au coeur des hommes d'abandonner le mot de Cene, & de luy donner le nom de Sa­crifice, qui en apparence semble estre plus auguste, mais qui en effet de­struit & renuerse le mystere qui nous y est representé: Et de fait vous voyez que l'Eglise Romaine ayant embrassé [Page 423] cet erreur, a non seulement abandon­né le mot de Cene, mais la chose mes­me; & à sa place a substitué la Messe qu'elle fait passer entre ceux de sa communion pour vn sacrifice propi­tiatoire & expiatoire des pechez des viuans & des morts. Qu'en croyez­vous?

Le F.

Ie crois que la Messe est la plus grande corruption qui ait esté faite en la doctrine Chrestienne: Car nostre Seigneur Iesus Christ en instituant la sainte Cene nous a commandé, non de le sacrifier; Mais de manger son pain, & de boire son vin, & par cet exercice religieux faire commemora­tion de son sacrifice, & nous entrete­nir en la meditation de sa grace & en l'asseurance de nostre salut. Car tou­tesfois & quantes, dit l'Apostre saint Paul au chap. 11. de sa 1re aux Cor. vers. 25. & 26. que vous mangerez de ce pain & boirez de cette coupe, vous annon­cerez la mort du Seigneur jusqu'à ce [Page 424] qu'il vienne. Or quis que les Apostres ont donné le nom de Cene à ce repas spirituel, tous les Chrestiens sont obli­gez de le retenir, & de participer à ce saint Sacrement en la mesme maniere qu'il a esté institué. Mais l'Eglise Ro­maine ayant abandōné le nom a aussi delaissé la chose, & en sa place a sub­stitué la Messe, en laquelle elle pre­tend offrir journellement Iesus Christ en sacrifice propitiatoire, & expiatoi­re pour les pechez des viuans & des morts; En quoy faisant elle outrage indignement nostre Seigneur, non seulement en ce qu'elle renuerse l'or­dre qu'il a estably en son Eglise. Mais aussi en ce que par ce pretendu sacri­fice, elle accuse d'insuffisance le sien; combien qu'il soit d'vn prix & d'vne valeur infinie, comme nous l'auons montré cy-deuant, & que par iceluy, il nous ait pleinement rachetez & re­conciliez auec son Pere, Coloss. 2. vers. 20. Au moyen dequoy se voit que l'E­glise [Page 425] Romaine est tombée en vne ex­treme erreur, & qu'elle est en mau­uais estat: Car si quelqu'vn auoit mes­prisé la Loy de Moyse, il mouroit sans misericorde; combien pires tourmens meritent ceux qui mesprisent le Fils de Dieu, Heb. 9. vers. 27.28. & 29. Or ce mal ne luy fust pas arriué, si elle eust retenu le nom de Cene, car ce seul nom l'eust ramenée à l'institutiō, & luy eust appris qu'vn souper auquel il n'y a point deffusion de sāg, ne peut estre le sacrifice sanglant qu'il nous represente; ains seulement vne com­memoration. La Messe done estant, comme elle est, vne inuention d'hom­mes corrompus, contraire à l'institu­tion de nostre Seigneur Iesus Christ, & au salut des hommes, doit estre re­jettée, & abhorrée, & nous deuons nous tenir fermes à la sainte Cene sui­uant l'exemple des premiers Chre­stiens: desquels il est dit au chap. 2. des Actes vers. 42.46. & 47, qu'ils per­seueroient [Page 426] tous d'vn accord en la do­ctrine des Apostres, & en la fraction du pain, & que les Apostres rompoiēt le pain de maison en maison, loüans & glorifians Dieu, & ayans grace en­uers tout le peuple: Et Dieu qui par sa misericorde nous a appellez à cette grace, nons rendra participans des fruicts & des auantages, que nostre Seigneur nous a acquis & meritez par son sacrifice, & nous deliurera des fausses doctrines, dont les hommes corrompus ont infecté le monde.

Conclusion du present Dialogue.

Le P.

AInsi soit-il, mon fils. Or comme les choses dont nous nous sommes entretenus regar­dent les poincts principaux de nostre salut, il ne me reste qu'à vous exhor­ter, comme je vous exhorte de les me­diter, & de vous instruire encore mieux par la lecture & meditation de la Parole de Dieu; puis qu'en cet [Page 427] exercice consiste le bon-heur & la fe­licité de l'homme. Pseau. 1. vers. 1. & 2. Vous mangez le pain materiel, afin d'entretenir vostre vie corporelle, fai­tes le mesme de la Parole de Dieu, qui est le pain celeste, dont nos ames sont nourries en l'esperance de la vie eter­nelle: Meditez là donc soigneusemēt, & obseruez cecy que la Theologie à deux parties, la contemplatiue & l'a­ctiue, qu'il ne suffit pas de mediter & de parler, qu'il faut agir, & mettre en pratique les enseignemens que cette Parole nous donne, & pourchasser la sanctification, sans laquelle nul ne verra Dieu: car la sanctification est comme le lien de la justification & de la glorification; Et là où la sanctifica­tion ne se trouue point, le sang de Iesus Christ n'y a pas encor produit son effect, & la glorification en est bien éloignée. Addonnez-vous donc de tout vostre coeur au seruice de Dieu; puis que suiuant le passage du [Page 428] 12. de S. Iean cy-deuant rapporté, c'est le moyen d'estre glorifié auec le Fils, & d'estre aimé & honoré du Pere. Mais souuenez-vous de ce qui est dit au chap. 2. de la 1re aux Cor. vers. 14. que l'homme de soy ne peut com­prendre les choses qui sont de l'Esprit de Dieu, & qu'il les estime folie, par­ce qu'il est charnel & animal, & qu'el­les se discernent spirituellement; Et encore de celuy-cy que toute bonne donation, & tout don parfait vient de Dieu qui est le Pere de lumiere. Jaq. 1. vers. 17. Et apres les auoir bien medi­tez, recōnoissez vostre pauureté natu­relle; confessez que vous estes desnué & vuide de toute sagesse; renoncez à vous-mesmes, & recourez à la gra­ce & misericorde de Dieu par Iesus Christ, qui nous a esté fait de par Dieu Sapience, Iustice, Sanctification & Redemption, 1re Corint. chap. 1. De­mandez luy son Saint Esprit, puis qu'il est l'Esprit de Sapience & de Sanctifi­cation [Page 429] qui nous conduit aux voyes de Dieu, qui nous donne de bonnes & saintes pensées, qui met de bonnes paroles en nostre bouche, qui nous forme aux actions religieuses; mais demandez les auec foy, & Dieu qui vous l'a promis vous le donnera, Iacq. 1. vers. 5. Car si vous doutiez de ses promesses, il ne seroit nullement rai­sonnable que vous fussiez exaucé, veu que vous ne sçauriez commettre vn plus grand outrage contre sa sainte Majesté que de douter de la verité & fermeté de ses promesses: I'espere que comme Dieu a commencé son oeu­ure en vous, il la parfera, & qu'il vous fera la grace de cheminer deuant luy en foy, en charité auec humilité: Ie l'en supplie de tout mon coeur.

Pour ce qui regarde la vocation temporelle, je vous en ay déja parlé en mon Epistre: Mais comme pendant ma jeunesse j'ay esprouué l'importan­ce de ce poinct par le deffaut d'vne [Page 430] vocation; je vous exhorte encore de trauailler soigneusement afin d'y par­uenir, & vous souuenir que les voca­tions legitimes viennent de Dieu, en­semble les moyens pour y paruenir & pour y subsister. Priez le donc qu'il luy plaise vous appeller à quelque vo­cation honneste, afin qu'en trauail­lant suiuāt son commandement vous ayez dequoy vous entretenir & exer­cer vostre charité, & apres qu'il vous y aura appellé, priez le de vous y forti­fier: Pour fin je prie Dieu, qu'il luy plaise vous rendre sage à salut, vous combler de ses benedictions en cette vie: & lors qu'il vous en retirera, qu'il vous reçoiue en son Paradis, & vous rende participant de tous ses biens.

Le F.

Ainsi soit il de vous, mon pere.

Le P.

Loüé soit Dieu.

A Toy donc nostre bon Seigneur, Pere, Fils & Saint Esprit, soit [Page 431] loüange, honneur & gloire de ce qu'il t'a plû nous reueler les secrets de ton Royaume, & nous faire la grace de nous en entretenir familierement. Grace sur grace, engraue en nos coeurs les Doctrines que nous auons traittées; Fay nous croî­tre en connoissance, en foy, en charité, & en pieté, afin que tu sois connû & adoré de nous, nostre prochain edifié, & nous consolez & affermis en nostre vocation spirituelle. AMEN.

REMEDE Contre la malediction de la Loy, & contre la Mort.

LA Loy prononce malediction contre le genre humain; Mau­dit est quiconque n'est permanent en toutes les choses qui sont escri­tes au liure de la Loy pour les faire. Galat. 3. vers. 10.

Et dautant qu'aucun des hommes [Page 432] n'a jamais accomply la Loy, que Iesus Christ seul, Dieu & homme, il s'en­suit que tous hommes sont naturelle­ment sous malediction & en la mort.

Mais Dieu qui est pitoyable & bon, n'a pas voulu laisser l'homme en sa ruïne, il luy a ordonné vn remede pour le viuifier; & pour le redresser, afin d'estre glorifié en luy & par luy, sçauoir Iesus Christ.

Et de fait, l'Apostre S. Paul nous apprend au 2. ch. de son Epistre aux Ephes. vers. 4. & 5. Que Dieu qui est riche en misericorde par sa grande charité de laquelle il nous a aimez du temps mesme que nous estions morts en nos fautes, nous a viuifiez ensem­ble auec Christ. Et au 3. des Gal. v. 13. que Iesus Christ nous a rachetez de la malediction de la Loy, & par con­sequent de la mort, lors qu'il a esté fait malediction pour nous.

Que si on demande qui nous a pro­curé ce remede, veu que nous estions [Page 433] naturellement enfans d'ire, ennemis de Dieu en nos entendemens & en mauuaises oeuures, Ephes. 2. vers. 13. & comment est-ce que nous en jouï­rons?

Ie responds qu'outre ce que l'Apo­stre S. Paul nous en a dit cy-dessus, Saint Iean nous apprend au 3. de son Euangile vers. 16. que Dieu a telle­ment aimé le monde, qu'il a donné son Fils vnique, afin que quiconque croit en luy ne perisse point, mais ait la vie eternelle.

D'où s'ensuit que l'amour du Pere est la seule cause de nostre salut: Car il nous a tant aimez, dit l'Euange­liste, qu'il nous a donné son Fils vnique, son bien-aimé pour nous; Et que c'est par foy que nous obte­nons, ou que nous jouïssons de cette grace: Et de fait l'Euangeliste, apres auoir dit, que Dieu a tellement aimé le monde qu'il a donné son Fils, ajoûte, afin que quiconque croit en [Page 434] luy ne perisse point: mais ait vie eter­nelle, & sur la fin du mesme chapitre il reïtere la mesme promesse, qui croit au Fils à vie eternelle, & en plu­sieurs autres endroits il la confirme, & particulierement au 5. de sa 1re vers. 11. où il dit, que Dieu nous a donné la vie eternelle, & que cette vie est en son Fils.

Si donc nous embrassons la promes­se de Dieu auec humilité, si nous croyons en Iesus Christ, si nous met­tons toute nostre esperance en luy, comme en nostre seul Sauueur, si nous auons recours à sa grace, non seulement il nous garentira de la ma­lediction de la Loy; mais nous don­nera la vie eternelle suiuant sa pro­messe contenuë au 24. vers. du 5. chap. de l'Euangile selon S. Iean: En verité, en verité je vous dis que celuy qui oit ma Parole, & croit à celuy qui ma enuoyé à vie eternelle, & ne viendra point en condamnation; mais est [Page 435] passé de la mort à la vie; Et pourtant, ajoûte il au 40. vers. du 6. chap. le ressusciteray-je au dernier jour.

Et si quelqu'vn veut dire qu'il faut que la justice de Dieu soit satisfaite, ou que les pecheurs demeurent en leur ruïne, la response est prompte & facile.

Que Iesus Christ a satisfait la justice de Dieu; Car il s'est offert sur la Croix pour nous en sacrifice viuant à Dieu son Pere; & par le sacrifice de son corps, qui est d'vn prix & d'vne valeur infinie, à cause de l'excellence de fa personne, il a fait l'expiation de nos pechez suiuāt ce qui auoit esté predit par Esaye ch. 53. il a esté navré pour nos forfaits, & froissé pour nos iniquitez, l'amende qui nous apporte la paix est sur luy, & par sa meurtrisseure nous auons guerison, c'est à dire qu'il a porté la peine que nous auions meri­tée, Que par sa mort il nous a deli­urez de la malediction de la Loy & de [Page 436] la mort, nous a acquis vne redem­ption eternelle, Heb. 9. vers. 12. & nous a merité la vie, & qui plus est il nous la donne luy mesme; Car il est source de vie: Et comme il s'est don­né pour nous, il est aussi ressuscité pour nous. Rom. 4. vers. 25. De sorte que nons deuons demeurer fermes sur cette promesse & aller à luy auec asseurance pour obtenir grace & mi­sericorde, & estre aydez en temps op­portun, Heb. 4. vers. 16.

Et si l'ennemy de nostre salut nous met en auāt l'enormité de nos pechez, nos recidiues continuelles par lesquel­les nous auons prouoqué l'ire de Dieu; & que sur ce pretexte il s'efforce de nous esbranler, & de nous persuader que nous nous sōmes rendus indignes de sa grace, pour nous jetter dans la deffiance, & dans le desespoir, oppo­sons luy les armes que le S. Esprit nous a mises en main par le ministere de S. Paul.

Que là où le peché abonde grace y a abondé par dessus, Rom. 5. vers. 21. & appliquons nous chacun en parti­culier, ce que le mesme Apostre dit de soy. 2. Tim. chap. 1. vers. 15.

Que Iesus Christ est venu au mon­de pour sauuer les pecheurs, desquels je suis le premier: pour cette cause ajoûte il au vers. suiuant, misericor­de m'a esté faite, afin que Iesus Christ montrast en moy toute clemence pour exemple à ceux qui croiront en luy à vie eternelle, & sans doute ce­luy qui nous a appellez par sa grace nous soûtiendra, & nous fera sortir victorieux de ce combat: En telle sor­te que nous aurons sujet de nous es­crier auec le mesme Apostre au 17. v. du mesme chap. Or au Roi des siecles, immortel, inuisible, à Dieu seul sage, juste & bon, soit honneur & gloire és siecles des siecles; Et de chanter auec S. Iean le Theologien au 6. vers. du 1er chap. de l'Apoc. A celuy qui nous a [Page 438] aimez, & nous a lauez de nos pechez par son sang, & nous a faits Roys & Sacrificateurs à Dieu son Pere, voire à luy soit gloire & force és siecles des siecles. AMEN.

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