LETTRE DU ROY DE LA GRANDE BRETAGNE au Lord Comte Portland.

GUILLAUME ROY.

MOn Cousin, quoy qu'avant vostre départ pour la Hollande je vous aye amplement expliqué mes intentions, je ne laisse pas de vous écrire la Presente pour vous faire part des reflexions nouvel­les que j'ay faites depuis vostre embarquement; afin que les joignant à vos premieres instructions, vous en puissez tirer le fruit qui convient dans la conjoncture presente.

Plus j'envisage l'atteinte que. ville d'Amsterdam vient de donner à mon autorité, & le prejudice qu'elle peut porter au bien particulier de mon Service, & á celuy de la Chrestienté moins je puis me resoudre à me relâcher de mes droits, & à souscrire à la requeste de ces Magi­strats injustes & méconnoissans, qui oublient les services signalez que mes Peres & moy avons rendus à cet Etat depuis l'établissement de la Republique, & se laissant seduire par quelques esprits seditieux & ja­loux de ma Grandeur & de mon credit dans ces Provinces, profitent de mon absence & des Engagemens dans lesquels je me tronve, & veulent faire revivre une pretention qui est aussi chimerique & aussi mal-fondée, qu'elle est injurieuse à ma gloire.

En effet, quiconque examinera sans prevention les titres sur lesquels cette puissante & seditieuse Ville, appuye le droit de se soustraire de l'autorité du Statholder, les trouvera si peu solides, qu'il sera surpris qu'aucun homme sensé puisse y donner la moindre attention: Elle pro­duit de pretendus privileges qui lui ont esté accordez en divers temps par Marie & par Philippes II. & qui ont esté confirmez depuis l'éta­blissement de la Republique par les Etats mesmes au préjudice d'un de mes Ancestres: Elle a [...] gue en mesme temps l'obligation à laquelle elle s'est engagée par serment solemnel à chaque mutation de Magi­strats, de maintenir lesdits privileges. Pour détruire des droits aussi mal établis, il ne faut que consulter les Loix de la Republique, qui lors de sa fondation en supprimant le gouvernement Monarchique, ont en mesme temps abrogé rous les privileges, & toutes les Con­cessions accordées par les Souverains; Si cette abrogation n'a pas esté faite par des Actes exprés, elle l'a esté du moins tacitement, par­ce que ces sortes de prerogatives ne conviennent point à l'état d'une Republique, ny à l'égalité & à l'union qui doivent regner par­my tous les Membres qui la composent. D'ailleurs, les pretendus Actes que les Etats ont donnez en divers temps en faveur de cette Ville contre vn de mes Ancestres, ne peuvent pas estre des titres [Page 2]valables contre les droits de la Charge de Statholder que j'ay bien voulu conserver; puis qu'alors la Republique estant encore naissan­te, on ne consultoit pas toûjours les Loix & la Justice dans les Deci­sions des Etats; on estoit obligé de s'accommoder au temps, & de souscrire aux demandes quoi qu'injuites des Villes, pour ne point al­grir les peuples, & pour ne pas réveiller un reste d'inclination pour leurs anciens Princes, qui n'estoit pas tout à fait éteint dans leurs coeurs. Ce que je vous dis est si vray, que depuis que le Gouverne­ment a esté solidement établi, les Etats reconnoissant l'injustice de certains Actes que la necessité des temps avoit arraché d'eux, y ont dérogé sagement dans la suite. Je pourrois mesme pour aneantir ces pretendus droits, avoir recours à la prescription, puisque depuis prés d'un siecle ceux d'Amsterdam ne se sont point avisez de les faire revivre, quoy que l'occasion s'en soit presentée plusieurs sois pen­pelloit en vn pais étranger, pour y commander les armées. Alors ceux qui exercoient la Magiurature à Amsterdam plus instruits de leurs devoirs, & moins ambitieux que ceux de ce temps-cy, ne croyoient pas que ce sust déroger aux droits & aux privileges anciens de leurs Villes, que d'envoyer demander les suffrages du Statholder absent, pour le choix des Bourguemestres & des Echevins. En dernier lieu mesme lorsque le bien de mon service, ou celuy de l'Etat m'ont ap­pellé hors de ces Provinces; ils n'ont fait aucune difficulté d'avoir tures. Je reconnoit à ce trait injurieux, l'ancienne aversion de certe Ville pour la grandear de ma Maison, & l'opposition qu'elle a toújours affecté de montrer à coutes les propositions que je faisois autrefois pour le bien de la Republique; mais ce qui me surprend le plus c'est l'aveuglement des Membres des Etats, mesme des plus cclairez, qui se laissent fasciner les yeux par les insinuations trompcuses de cetre artificicuse Ville, & qui ne s'apperçoivent pas du piege qu'elle leur tend; car elle les surpreud avec adresse en revestissant son mauvis dessein d'une fausse apparence de necessité & de justice, pour pouvoir plus impunément aneantir le reste de l'autorité du Statholder, & in­troduire ensuite dans la Megistrature des gens à sa devotion, dont les suffrages lui soient assurez, soit pour se separer de l'union des Pro­vinces si elle le juge à propos, soit pour les engager à se separer de la ligue, & à conclure à sa fantaisie une paix aussi [...]onteuse que celle de 1678. en demeurant unie avec elles. se ne sçav point quelle resolu­tion les Etats prendront sur une affaire aussi delica e que celle-cy, mais j'ay peine à croire qu'ils imitent leurs predecesseurs, en acquiesçant contre moy à l'injuste & dangereuse demande de cene Ville, & qu'ils manquent en cette occasion au respe [...]t, a la consideration & à la reconnoissance qu'ils me doivent: je scay bien que [...]ls prennent ce party, je ne seray pas si traitable, ny si complaisant que celuy de [Page 3]mes Ancestres, à qui ils firent ce passe-droit. Comme ma fortune, mon elévation, & mon caractere, sont infiniment au dessus de ceux dont il estoit alors revestu; ils doivent aussi s'attendre à vn ressenti­ment different & proportionné à mon rang & à mon genie, & compter que quand un Roy a bien voulu s'abaisser jusques à ne point mépriser l'employ de leur Statholder, non seulement ils ne doivent pas penser à en diminuer l'antorité & les prerogatives, mais qu'ils doi­vent au contraire en mesuret l'étendue à la Grandeur & à la Majeste Royale. Je ne suis pas cependant si peu informe de mes veritables interests, que je ne sçache que mon sort est comme attache à l'a­mitie & à la protection des Etais. & que lors que je hazarde de me brouiller avec eu [...], je commets mon établissement en Angle­terre dont vous connoissez aussi bien que moy l'incertitude & le pen de solidité. Mais il n'importe, quelque risque que je puisse courir; il n'y a extremité à laquelle je ne me porte pour soûtenir mon rang & ma gloire, quiconque a osé entreprendre l'affaire d'Angleterre peut n'eitre pas aimé, mais il doit estre craint & menagé; qui a sçû reduire la Ville de Londres du moins aussi sauvage & aussi difficile a gouvernor que celle d'Amsterdam, peut bien mettre cette derniere Ville à la raison, & la faire repentir de son ingrati­tude. Entrez dans mon esprit & dans ma pensez, & insinuez vive­ment aux Etats la ferme resolution que j'ay prise de ne me point relâ­cher de mes droits, s'ils ne me rendent pas la justice qu'ils me doi­vent. Le ressentiment que je seray eselater contre eux, m'acrediterà peut-estre en Angleterre & m'affermira sur le Trône; car ensin je connois l'ancienne jalousie des deux Nations l'une contre l'autre; je sçay que le commerce a toûjours esté la Pomme de discorde entre el­les, ainsi je ne doute pas que la proposition de ruiner le commerce de Hollande ne soit agreablement reçûe en Angleterre, & ne reunisse en ma faveur les Anglois, auprés desquels les engagemens étraits que j'ay avec les Etats, me rendront toûjours suspect. Vous m'alleguerez sans doute que la France ne manqueroit pas de prositer de ce desordre, & qu'enfin le mal-heur en retomberoit peut-estre sur moy; j'en convien­dray avec vous, mais on sacrifie souvent la politique à la vengeance, & cette Couronne qui est peut-estre moins agrie contre les Anglois que contre les Hollandois, qu'elle regarde comme les instrumens & les ino­teurs de cette guerre, suivroit peut-estre les mesmes maximes, pour­vû que d'ailleurs elle y trouvast également son compte. Je remets à vostre prudence la conduite de cette affaire, & vous recommande de vous servir de toute vostre adresse, pour la faire reussir á mon avantage; mais sur tout apprenez à connoistre le caractere des Repub­liques, auprés desquelles if faut moins employer la douçeur que les menaces; la premier voye les rendant ordinairement fieres & intrai­tables, & l'autre produissant un effet contraire. Sur tout, ne re­cherchez point avec trop d'empressement les amis & les serviteurs [Page 4]que j'ay en Hollande, car quelque affectionnez qu'ils me puissent estre, quand ils ne sont pas contenus dans le devoir par ma presence, ils sont toûjours Hollandois, c'est à dire Republicains, ennemis du Stat­holder, & susceptibles de l'esprit seditieux des anciennes Factions, que vous sçavez n'avoir pas esté entierement étouffées dans le sang des de-Witt; ce que je vous dis, n'est pas seulement fondé sur la connois­sance particuliere que j'ay du genie de ces Peuples, mais encore sur les avis que j'ay receûs de ceux qui par devoir ou par inclination me sont les plus affectionnez; qui au lieu de detester un pareal attentat, & de m'exciter à la vengeance, me convient mollement à soûtenir mes droit,, & me font tacitement connoistre que l'acquiescement qui vien­droit de ma part, seroit plus de leur goust que l'opposition & la resi­stance; tant est grand l'aveuglement des peuples, qui ont en general une aversion naturelle pour leurs superieurs, quelques bien-faits & quelques services essentiels qu'ils en ayent receûs.

Si vostre negociation reüssissoit comme je le desire, quoy qu'entre nous je n'ose l'esperer; parce qu'il me paroist un concere ferme entre ces gens là de diminuer l'autorité du Statholder, & que d'ailleurs le long commerce que j'ay eû avec eux, m'a appris que je n'y pouvois prendre que tres-peu de confiance, lors qu'il s'agissoit de lour Interests. Sollicitez puissamment les Etats de m'envoyer au Prin-temps prochain, s'il est possible, vn renfort de troupes Hollandoises, pour employer à la conqueste du reste de l'Irlande, & representez leur vivement non pas tant par rapport à moy, parce que cela poutroit leur estre suspect, que par rapport à la guerre dans laquelle iss sont engagez contre la France, & à la dimmution de la dépense, qui est, comme vous sçavez, vn puissant charme pour eux; que sans ce secours, que j'offre d'entretenir à mes dépens, j'auray peine à venir a bout de mes desseins & à consommer heureusement cette enterprise. Menagez ce­pendant cette negociation avec beaucop de delicatesse & d'habileté car si vous témoigniez de l'empressement, ils sont assez soup çonneux pour croire que je leur ferois cette demande plûtost pour me rendre Maistre de leurs forces, & pour les reduire à se soumettre à mes vo­lontez, que pour terminer l'expedition d'irlande. Cependant quoy que j'aye pris des mesures pour tirer des troupes d'Allemagne, je ne me fçaurois que difficilement posser de celles de Hollande; car sans cela, veû les renforts considerables que le Roy tres-Chrestien se dispose à faire passer en Irlande je senois obligé d'avoir recours aux Anglois, que je n'oserois armer non plus que des furicux, & desquels je ne dois pas attendre plus de fidelité & d'affection, qu'ils en ont témoi­gné au Roy Jaques mon predecesseur lorsque je suis entré en An­gleterre; sur ce je prie Dieu, mon Cousin, &c.

GUILLAUME.

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