LETTRE DE MR. C. M. De Veil Docteur en Theologie, ET M. D. S. E. A MR. T. Maimbourg Ecuyer, & Precepteur DE Monseigneur le Duc de Richemont.
Pour prouver contre la prétention de Mr. R. de l'Isle Prétre de l'Eglise Gallicane dans sa Lettre à Mr. J. S. D. R. que la parole de Dieu écrite dans les Livres sacrés est la seule régle & l'unique principe de la Réligion Chrétienne.
[...]. Chrysost. Hom. 53. in Joannem.
Si nous étudions assidùment les Ecritures, nous y apprendrons tout ce qu'il fau [...] savoir pour étre orthodox dans nos sentiments, & bien réglez dans nos moeurs.
A LONDRES Imprimé pour l'Auteur par J. Darby, M.DC.LXXXV.
LETTRE DE MR. DE VEIL a MR. MAIMBOURG.
IL s'est fait une édition nouvelle de la Critique du Vieux Testament. On y a inséré ma Lettre a l'illustre Mr. Boyle du 14 Mai de l'an 1678. dans laquelle je soûtiens contre l'Auteur de cette Critique, que l'Ecriture sainte est claire d'elle même en tout ce que Dieu nous y ordonne de croire & de faire pour nôtre Salut. Et ensuite de ma Lettre il y en a une autre, dont l'Auteur, qui se nomme R. de l'Isle, prétend avoir bien répondu à la mienne. C'est ce qui m'a obligé, Monsieur, de vous écrire celle-ci, pour vous prier de juger de cette Réponse. Personne n' en peut mieux juger que vous, qui êtes l'homme du monde, qui possédez le mieux. & les principles, & les controverses de la Réligion; qui en avez écrit en divers tems & en divers lieux avec tant de force, que non seulement les savans de vôtre Parti, mais vos aversaires même ont admiré vos Ouvrages, & qu' il ne s'est encore trouvé personne qui ait pû y repliquer. Au reste, Monsieur, j'ay bien consideré, que vous avez la charge d'instruire celui des fils du Roi, que sa Majesté chérit le plus. Mais cette considération ne m'a pas empêché de vous addresser cette Lettre, parce que je sai que ce grand employ ne vous empêche pas de produire d'ailleurs de grans ouvrages, dont vous faites présent tantôt au Public, & tantôt à vos Amis particuliers. Soufrez donc, Monsieur, que je vous demande quelques momens de vôtre loisir, pour voir les Remarques que j' ay fait sur la Lettre du Sr. de l'Isle, en le suivant pas à pas, afin que vous pûssiez plus facilement juger, s'il y a dans sa Réponse, la sincérité, la bonne foi, & la justesse de Raisonnement, que l'honnètetè, le bon sens, les régles de la Logique, & la véritable Theologie requiérent. Il dit d'abord, que je parois ridicule en ce que pour appuyer mon sentiment touchant l'évidence de l'Ecriture dans toutes les choses nécessaires au salut, j' allégue les Synodes d'une Eglise de deux jours, à laquelle on peut reprocher ce que les Péres reprochoient autresfois aux Arriens, qui changeoient si souvent leur confession de foi, EOS HABERE FIDEM ANNUAM ET MENSTRUAM. Il ne manqueroit rien à la beauté de cette période, si elle [Page 2]avoit autant de vérité & de bon sens, qu'elle a de mots élégans & d'arrangement. Il est vrai que je serois ridicule de me servir de l'autorité des Synodes Protestans, pour décider en faveur des Protestans, un Article controversé entre eux & les Papistes. Mais j' ai du moins assez de sens commun pour ne pas ignorer, que personne ne doit être juge dans sa propre cause. En effet, Monsieur, vous verrez en lisant ma Lettre à Mr. Boyle, que le Sr. de l'Isle m' attribuë faussement cette bévuë, pour laquelle il me traite de ridicule, & d'où il prend occasion de décharger sa bile contre une des plus anciennes Eglises de l'Europe. Vous verrez, qu'aprés y avoir prouvé ma proposition touchant l'évidence de l'Ecriture dans toutes les choses qu'il faut croire, & dans toutes celles qu'il faut faire pour le salut; qu' aprés l'avoir prouvé par l'Autorité d'Origéne, de St. Chrysostome, de St. Augustin, & du savant Gerson, Chancelier de l'Université de Paris, je conclus en ces termes: C'est pourquoi l'Eglise Anglicane fit ce Canon avec beaucoup de raison dans les Synodes de Londres en 1552. & 1562. (1) ‘L' Ecriture Sainte contient toutes les choses nécessaires au salut; de sorte que tout ce qui ne s' y lit pas, & qui ne peut être prouvé par son témoignage, bien que cela soit quelque fois recêu des fidéles comme une pratique réligieuse, & convenable au bon ordre, & à ce qui est décent, neantmoins personne ne doit être obligé à le croire comme un article de foi, ou à le prendre en la même maniere que si on l'avoit ordonné comme une chose nécessaire pour le salut.’ Or il est plus clair que le jour en plein midi, que par ces paroles, C'est pourquoi l'Eglise Anglicane fit ce Canon avec beaucoup de raison, je ne cite pas ce canon pour en appuyer mon sentiment, mais pour môntrer que mon sentiment & ce Canon sont appuyez des mêmes raisons. C'est une chose bien surprenante de voir que le Sr. de l'Isle me traite de ridicule, pour une fausseté qu'il s'est forgée, & qu'il en prenne occasion encore de calomnier l'Eglise Anglicane, en l'accusant de nouveauté & d'inconstance. Mais comment pensez vous, Monsieur, qu'il prouve ce crime de Nouveauté, dont il accuse cette Eglise? Il n'en a point d'autre preuve que la hardiesse avec laquelle il avance ce qu'il dit. Cependant cela est si faux, que les Péres du troisiéme & du quatriéme siecle font mention des Eglises & des Evêques de la Grand-Bretagne. Que si le Sr. de l'Isle appelle l'Eglise Anglicane, une Eglise de deux jours, parce qu'elle n'est reformée que depuis le Siecle passé, il faut avouër qu'il affecte une façon de parler bien singuliére. Car enfin seroit-ce parler [Page 3]bien juste en François que de dire, que l'Ordre des Bénédictins, est un Ordre de deux jours, parce que la réforme en est tres-nouvelle? Pour nous autres Réformez, nous ne dirons jamais que l'Eglise Romaine est une Eglise de deux jours, quoi que nous y reconnoissions plusieurs Erreurs & plusieurs Superstitions nouvelles. Au reste la Doctrine du Canon que j'ai cité, est si peu nouvelle en Angleterre, que c'êtoit celle qu'on y professoit, lors même que ce Royaume êtoit encore dans la Communion de l'Eglise Romaine. Le vénérable Bede, Prêtre Anglois, qui êtoit sans contredit un des grans hommes du settiême Siécle, dit sur ce Sujet; (1) Nous n'avons pas besoin d'Ecritures ni d'Interpretes outre l'Ecriture Sainte. Anselme Archevêque de Cantorberry & Primat d'Angleterre dans l'onziême siecle, parle ainsi dans son Commentaire sur la seconde Ep. de S. Paul à Timotheé, ch. 3. v. 15. (2) L'Ecriture sainte peut te rendre assez savant pour aquérir le salut éternel, & pour toi, & pour les autres. Je pourrois y ajoûter plusieurs autres citations; Mais ces deux-là toutes seules font assez voir, que l'Eglise Anglicane ne changea rien dans fa Doctrine touchant l'évidence de l'Ecriture, lors qu'elle fit dans les Synodes de Londres, le Canon que j'ai défendu par l'autorité des anciens Péres dans ma Lettre à Mr. Boyle. De plus, ce que le Sr. de l'Isle dit, qu'on peut reprocher à l'Eglise Anglicane, ce que les Péres reprechoient autresfois aux Arriens qu [...] changeoient si souvent leur confession de foi; cela est une calomnie qui fait voir, non feulement qu'il n'est pas bien informé des sentimens de cette Eglise, mais aussi qu'il ignore les Régles par lesquelles il faut juger des sentimens d'une Eglise. Il prétend prouver, que l'Eglise Anglicane a changé fa Confession de foi, parce que d'habiles Episcopaux, qui ont écrit d'excellens livres sur la Théologie, sont fort éloignez de ce que porte le Canon que j'ai allegué dans ma Lettre. Je n'ai pas le loisir présentement d'examiner ce faitlà. Mais posons qu'il foit incontestable; il ne s'ensuivroit rien moins que ce que le Sr. de l'Isle prétend. Les sentimens d'une Eglise doivent se prendre dans sa Confession de Foi: Et tant qu'elle oblige son Clergé à y souscrire, on ne peut pas dire qu'elle ait changé de sentimens, quoi que quelques uns de ses Théologiens s'en soient éloignez dans leurs Ecrits particuliers. Plusieurs Théologiens de l'Eglise Romaine, qui ont écrit de puis le Concile de Trente, ont des sentimens differens de ceux de ce Concile, les uns sur un point, & les autres sur un autre. Néanmoins on ne pourra pas dire raisonnablement, que cette Eglise ait [Page 4]changé sa Confession de foi, jusquesà ce qu'elle ait fait un Acte public qui déroge aux décisions de son Concile. Si le Sr. de l'Isle avoit suivi cette juste régle, en jugeant du sentiment de l'Eglise Anglicane, il auroit trouvé qu'elle a si peu abandonné la doctrine du Canon que j'ai allegué, que même elle n'admet personne aux Ordres qui ne souscrive aux 39 articles dont ce Canon est le siziême, & qu'après cela encore elle oblige les Evêques de faire cette interrogation à celui qui se présente pour recevoir l'Ordre de Prêtrise: Etes-vous persuadé que les Saintes Ecritures contiennent suffisamment toute la Doctrine nécessaire pour le salut Eternel par la foi qui est en Jesus Christ? Et êtes-vous résolu d'instruire le peuple commis à vos soins, par les mêmes Ecritures, & de ne pas enseigner qu'aucune chose soit necessaire pour le salut éternel, que ce que vous serez persuädé de pouvoir conclure & prouver par l'Ecriture? A quoi, celui qui doit recevoir l'ordre, répond en ces termes; I am so perswaded, and have so determined by God's Grace; ‘C'est par la Grace de Dieu ma foi & ma résolution.’ Quand on consacre un Evêqué dans la même Eglise, on lui fait la même demande, & il y fait la même réponse. Ce qui est conforme á l'ancien Rituël, nommé Ordo Romanus, où il est prescrit que l'on demande à l'Evêque, s'il veut accommoder sa prudence au sens de la sainte Ecriture? A quoi l'Evêque répond, Ouy. Vous voyez par là, Monsieur, que l'Eglise Anglicane n'autorise nullement ceux qui s'éloignent du Canon des Synodes de Londres, & qu'on ne peut non plus avec Justice lui imputer les sentimens des Theologiens particuliers qui le combattent, qu'on peut imputer à l'Eglise Gallicane ou Romaine, les sentimens des Théologiens opposez à ceux du Concile de Trente. D'où il s'ensuit que l'inconstance, dont le Sr. de l'Isle accuse l'Eglise Anglicane, n'est que dans son imagination; & que la raison qu'il allégue làdessus, quand elle seroit veritable d'ailleurs, ne prouve rien; la bonne Logique ne permettant pas que des Propositions particuliéres on tire une Conclusion universelle. Je vous avouë, Monsieur, que je suis grandement surpris de voir le Sr. de l'Isle calomnier comme il fait l'Eglise Anglicane, qui a des Evêques & des Theologiens aussi eminents en pieté & en savoir, qu'aucune autre Eglise du monde; avant que d'être mieux informé de la créance dont elle fait profession. Quoi qu'il en soit si peu instruit, il ne laisse pas de me dire avec une hardiesse temer, 'qui le fait parler également de ce qui lui est connu & de ce qui lui est inconnu; que je ne savois pas assez bien (1)[Page 5]la créance de l'Eglise Anglicane, quand j'écrivois ma Lettre à Mr. Boyle. A la verité il n'y avoit pas encore un an entier que j'êtois en ce païsci. Et cette raison à tout hazard suffit au Sr. de l'Isle, pour me dire ce qu'il me dit-là. Voilà qui est le mieux du monde pour ce qui me regarde en particulier. Mais que dira-t-il de ce Docteur & Professeur en Théologie dans l'Université d'Oxford, avec l'approbation duquel ma Lettre fut Imprimée? Ce Docteur Guill. Jane, avoit examiné ma Lettre par l'ordre de Monseigneur l'Evêque de Londres, suivant l'Acte de Parlement, qu'on êtoit obligé alors d'observer. Et apres l'avoir examinée, il me donna la permission de la faire imprimer: Laquelle permission paroit à la tête de ma Lettre. Je demande donc au Sr. de l'Isle, s'il pénse que ce Docteur ne savoit pas la créance de son Eglise, dont il est un ornement si considérable; ou s'il croit, qu'il eût donné permission d'imprimer une Lettre, qui ne tenderoit qu'a établir une doctrine contraire à la Doctrine de son Eglise? Je lui demande aussi, d'où vient que parlant des Synodes, dont j'ai tiré ce Canon, il les appelle, ces prétendus Synodes de Londres? Le mot de prétendu ne se dit que des choses douteuses & contestées. Mais comment douter d'un fuit de notorieté publique, tel qu'est celui-ci, Qu il se tint des Synodes à Londres Ian 1552. & l'an 1562. qui firent 39. Canons, dont le siziêm est celui que j'ai cité: Canons qui furent de nouveau confirmez & imprimez l'an 1571. & dont les exemplaires sont entre les mains de tout le mondé? C'est assez, Monsieur, sur la premiére période du Sr. de l'Isse: Passons, s'il vous plait, à ce qui suit. Il dit que j'avois pris cet esprit de Fanatisme qui régne dans la plus part des Protestans de France, quand ils veulent nous persuader qu'ils ont des lumiéres particuliéres, pour discerner les livres qui contiennent la parole de Dieu, d'avec les autres; & que cet Esprit qui les illumine, leur découvre la vérité. Je ne sai si le Sr. de l'Isle dit vrai en ce qu'il dit ici de la plus part de nos fréres Protestans de France. Je n'ai eu d'entretien qu'avec pen d'entr'eux; & jamais je n'en ai eû avec eux sur cette matiére. Ainsi je n'en parlerai point du tout. Mais je ne suis pas peu surpris de ce qu'il ose m'imputer ce Fanatisme, puis qu'il a pû voir, que je dis directement le contraire sur la fin de la Lettre à laquelle il pretend répondre. En voici les termes; Si le Pére Simon nous demande, quelle assêurance nous pouvons avoir que les véritez salutaires n'ayent point êté altérées dans l'Ecriture saintē; nous pouvous lui répondre, que la tradition ou la prédication de l'Eglise dans tous les siecles, a êté l'Instrument dont Dieu s'est servi pour nous faire connoître que l'Ecriture est la parole de Dieu, & qu'elle n'a jamais êté altérée de telle maniere, qu'elle ne contienne toûjours tres-clairement ce que nous devons croire & faire pour être sauvez. Je ne prétens donc pas que nous ayons des lumiéres particulieres, pour discerner les livres qui contiennent [Page 6]la parole de Dieu, d'avec les autres; mais que c'est par la tradition ou la prédication de l'Eglise dans tous les siecles, que nous parvenons à cette connoissance. Il est vrai que j'ajoûte, que c'est Dieu qui nous persuade interieurement de la verité de cette prédication de l'Eglise. Mais je ne croi pas que le Sr. de l'Isle ait des sentimens si peu réligieux, que de traiter cela de fanatisme. Car en fin c'est un axiome familier & véritable de S. Augustin, (1) Que celui qui enseigne les coeurs, a sa chaire daus le ciel. L'Eglise peut bien prêcher des véritez salutaires; mais c'est Dieu qui ouvre le coeur, qui le rend attentif & soûmis à ce que l'Eglise enseigne. C'est pourquoi le même St. Augustin au livre 16. de ses Confessions ch. 5. parlant de la Foi avec laquelle il recevoit les Saintes Ecritures, s'addresse à Dieu & lui dit ce que j'ay cité dans ma Lettre, (2) Tu m'as persuadé, Seigneur, que ce ne sont pas ceux qui ajoûtent foi à tes Ecritures, dont tu as établi si fortement l'autorité presque parmi tous les peuples, qui doivent être repris de ce qu'ils font; mais seulement ceux qui n'y ajoûtent point de foi; & qu'il ne faut pas écouter ceux qui pourroient nous demander, D'où savez-vous que ces Livres ont êté donnez aux hommes par l'Esprit de Dieu? Ce n'a jamais êté la pensée des Péres, ni la mienne aussi, que les livres qui contiennent la parole de Dieu, sont discernez d'avec les autres par des lumieres particulieres sans la tradition ou prédication de l'Eglise, qui les avoit recêu en dépôt de la main des Apôtres. Les Péres, poursuit le Sr. de l'Isle, ont tous reconnu la nècessité qu'il y avoit de joindre la Tradition à l'Ecriture, & qu'au defaut même de l'Ecriture, la seule Tradition suffisoit pour autoriser les dogmes. Cette proposition du Sr. de l'Isle contient deux mots équivoques qui étant expliquez feront voir, ou qu'il avance ce qu'il ne sauroit prouver, ou qu'il dit ce qui ne sert de rien à décider le différent qui est entre l'Autheur de la Critique & moi. Ces deux mots sont ceux de Tradition & de Dogmes. Le mot de tradition se prend ou dans un sens actif, pour l'action de celui qui enseigne ou débite une Doctrine; ou bien dans un sens passif pour la Doctrine même qui a êté enseignée & laissée. De forte que si le Sr. de l'Isle prend le mot de tradition dans la premiere signification, il ne dit ni plus ni moins que ce que j'ai dit, savoir, Que la tradition ou la prédication de l'Eglise est le moyen dont Dien se sert pour nous faire connoître les Ecritures; & qu'elles contiennent clairement tout ce que nous devons croire & faire pour être sauvez. [Page 7]C'est en ce sens-là que tous les Péres & tous les hommes de bon sens reconoissent la nécessité de la Tradition, sans laquelle nous ne pourrions pas venir par une voye ordinaire à la connoissance de l'Ecriture, de maniere que nous pûssions la discerner d'avec une Ecriture qui n'est pas inspirée de Dieu. Mais s'il prend le mot de tradition pour une Doctrine que les Apôtres ont laissée à l'Eglise de la part de Jésus-Christ nôtre Maitre, je soûtiens qu'il est faux que tous les Pères ayent reconnu la nécessité de joindre une doctrine laissée seulement de vive voix par les Apôtres, avec celle qu'ils nous ont laissée dans le Canon des Ecritures. J'avouë que la Doctrine contenuè dans l'Ecriture sainte, qu'on peut appeller la Tradition Apostolique écrite, a aussi êté prêcheè de vive voix par les Apôtres & par leurs Successeurs. Et, comme j'ai dit dans ma Lettre à Mr. Boyle, je n'oppose pas les véritez divines écrites, aux mêmes véritez annoncées par la bouche des Prédicateurs. Mais je dis que les Apôtres redigérent par écrit les veritez salutaires qu'ils avoint prêchées. De sorte que pour savoir ce qui est nécessaire au salut, nous n'avons qu'á recourir aux Ecritures saintes qu'ils nous ont laissées. (1.) Nous ne pouvons desirer aucun conseil fidéle & utile pour nôtre souveraine felicité, ni aucun précepte salutaire, qui ne nous soit pas fourni abondamment dans les saintes Ecritures, dit un savant Evêque du quatriême siécle. La seconde Equivoque du Sr. de l'Isle consiste dans le mot de dogmes, qui quelque fois se prend dans les Péres pour la doctrine de la foi ou de la Religion, & quelque fois pour les Rites & pour les Céremonies. Vous pouvez en voir des preuves dans le Thrésor Ecclesiastique du savant Professeur de Zuric, Suicerus, sur le mot [...]. Si le Sr. de l'Isle prend le mot de dogmes pour une doctrine ou des articles de foi, je nie absolument que les Péres ayent tous reconnu, qu'au defaut de l'Ecriture la seule Tradition suffisoit pour les dogmes. St. Jerôme sur le ch. 1. du Prophéte Aggée dit, (2.) Le glaive de la parole de Dieu abbat tout ce que ces genslà imaginent & inventent de leur cru sans l'autorité des Ecritures, en le débitant comme s'ils l'avoient receû de la Tradition des Apôtres. St. I sidore Evêque de Seville dit dans son deuziéme Livre des Offices Ecclesiastiques; (3.) Il ne faut croire & suivre que ce que les Oracles divins nous assurent dans l'un & dans l'autre Testament. Et le celebre Abbé Rupert parle ainsi dans son Commentaire sur le 3. Livre des Rois, [Page 8]chap. 12. (1) Tout ce qui fait partie de la parole de Dieu, tout ce qu'il faut savoir ou prêcher touchant l'Incarnation du fils de Dieu, touchant sa vraye Divinité, & touchant son Humanité; est contenu dans le vieux & dans le nouveau Testament, de sorte que hors de là il n'y a rien qui doive être prêché ou crû. Tout l Oracle du Ciel y est compris: De quoi nous devons être si fortement persuadez, que nous n'écoutions ni les hommes, ni les Anges même qui voudroient nous annoncer ce qui n'y est pas contenu. Mais il n'est pas besoin d'alleguer icy beaucoup de témoignages des Péres, ni des anciens Scolastiques. Cela est d'autant moins nécessaire présentement, que j'aurai occasion d'en citer d'autres dans la suite de cet Ecrit. Revenons donc au Sr. de l'Isle. S'il prend le mot de dogmes pour des rites & des cérémonies, qui étoient en usage dans l'Eglise; je suis d'accord avec lui que quelques Pêres ont prétendu les autoriser par la seule Tradition, au defaut de l'Ecriture. Mais ces rites & ces ceremonies étoient si peu nécessaires au salut, que l'Eglise Romaine même, qui prétend que la Tradition non-écrite est une Régle de la foi, a cessé d'en prattiquer plusieurs. Car cette Eglise fait voir clairement par-là, qu'elle est persuadée elle même, que quand les Péres ont prêtendu Soûtenir certains usages & certaines prattiques comme venant de la Tradition Apostolique, quoi que rien n'en fût exprimé dans l'Ecriture, ils se sont souvent trompez, ou du moins que les Apôtres n'en ayant rien dit dans leurs Ecrits, ils les ont crû indifférens, laissant à l'Eglise la liberté de les conserver ou de les quitter, comme elle le jugeroit à propos. Le Sr. de l'Isle, aprés avoir avancé ce qu'il dit du sentiment des Péres touchant la Tradition, tâche de persuader cela même, en disant, qu'on le peut voir par un grand nombre de leurs témoignages, sans en alléguer un seul néanmoins, parce, dit-il, qu'il hait tout ce qui porte le nom de controverse. Ainsi, Monsieur, je ne puis vous en dire rien, ni recevoir aucun de vos avis là-dessus, moi qui apres mon salut, ne desire rien tant que la connoissance de l'Antiquité & de l'Histoire Ecclesiastique. Apres cela, nôtre Auteur continuë en cette maniere; Il suffit de faire remarquer en general, que ce qui contribuë le plus à entretenir les disputes, vient de ce que les Ecrivains Protestans lisent rarement les Ecrits des Anciens dans leurs sources. Ils se contentent de chercher à la table des livres, les choses dont ils ont besoin, ou d'avoir recours à d'autres, qui ont fait leurs recüeils de cette même maniere; au lieu qu'on ne doit jamais se servir des temoignages des Péres, qu'on n'ait pénétre leurs pensées, & les raisons qu'ils ont eû d'avancer [Page 9]de certaines maximes, qu'ils semblent détruire en d'autres endrois. Je vous demande maintenant, Monsieur, si vous vous souvenez d'avoir jamais vêu une hardiesse aussi temeraire que celle de cet Ecrivain? Car enfin comment sait-il que nos Auteurs ne lisent pas les Péres dans leurs sources, & qu'ils ne tâchent pas de pénétrer leurs penseés? Il mérite pour le moins qu'on lui replique, qu'il y a tout lieu de croire que les Papistes sont coupables des defauts dont il accuse les Ecrivains Protestans; puisque ceux-là sont bien plus sujets à faire des citations fausses, & à interpréter les Auteurs contre leur sens naturel. Dans cette dispute particuliére touchant l'Ecriture & la Tradition, les Controversistes de l'Eglise Romaine, voulant nous prouver qu'il y a des doctrines nécessaires au salut, qui ont êté enseignées par les Apôtres, sans les avoir rédigeés par écrit; ne cessent point de nous objecter des passages des Péres, où le mot de tradition Apostolique est pris, ou pour l'Ecriture sainte elle même, ou pour l'action d'instruire. D'ailleurs ils nous apportent souvent, comme en use aussi le Sr. de l'Isle, ce que je ferai voir dans la suite; ils nous apportent souvent des Arguments, que les Péres ont tiré de la tradition ou doctrine Apostolique non écrite, contre des Héretiques qui appuoyent leurs Hérésies sur cette prétenduë tradition. Mais ces argumens des Péres étant seulement ad hominem, comme on parle, ne sont nullement propres pour nous découvrir leurs pensées. En voilà trop sur des paroles dites en l'air: Passons à ce qui suit. Nôtre Auteur poursuit ainsi, Les Péres des premiers siécles, qui disputoient avec des Hérétiques qui avoient altéré la Religion Chrétienne par le mélange de la Philosophie Platonicienne, leur opposoient quelquefois que l'Ecriture est claire d'elle meme: Ce qu'on doit entendre par rapport à ce mélange de philosophie Platonicienne, que ces Hérétiques introduisoient dans la Religion. Mais si ces Péres des premiers siécles avoient êté dans le sentiment du Sr. de l'Isle, ou de l'Auteur de la Critique, que l'Ecriture est obscure, & qu'il est nécessaire pour l'entendre, d'avoir recours à une Tradition générale de l'Eglise; auroient-ils osé dire une chose aussi fausse qu'eût êté cette proposition selon eux, que l'Ecriture est claire d'elle-même? N'y avoit-il-pas d'autre moyen de s'opposer à cette altération de la Religion Chrétienne, causée par le mélange de la Philosophie Platonicienne, qu'en s'exprimant d'une maniere qui naturellement donnoit une fausse idée de leur pensée? Ne pouvoient-ils-pas dire nettement, que la Religion Chrêtienne est claire d'elle-même, si l'on joint la Tradition générale de l'Eglise avec l'Ecriture, sans qu'il soit besoin d'y mêler la Philosophie Platonicienne? Je mets en fait que si les Péres des premiers siecles étant dans le sentiment du Sr. de l'Isle, avoient dit néantmoins, que l'Ecriture est claire d'elle-même, leur autorité ne pourroit prouver aucune tradition. Car on ne croit pas un homme qui ne fait point scrupule de mentir, ou d'equivoquer. [Page 10]On ne le croit pas lors même qu'il dit la vérité. Mais il est facile, Monsieur, de vous faire voir, que ce n'est qu'un subterfuge, dont le Sr. de l'Isle se sert pour éluder l'autorité des Péres. St. Irénée nous rapporte dans son troiziéme Livre, ch. 2. Que les Héretiques de son tems, se voyant pressez par les argumens qu'on tiroit de l'Ecriture sainte contre eux, avoient entre plusieurs autres défaites, celle de dire, que l'Ecriture ne se pouvoit entendre sans la connoissance de la Tradition. Voici ses propres paroles: Haeretici, cùm ex Scripturis arguuntur, in accusationem convertuntur ipsarum Scripturarum, quasi non rectè habeant, neque sint ex auctoritate, & quia variè sint dictae, & quia non possit ex iis inveniri veritas ab iis qui nesciant traditionem. Ce passage seul suffit pour convaincre tout homme qui aime la veritè, que ce que les Péres affirment, que l'Ecriture est claire d'elle même, se doit entendre, non pas comme dit le Sr. de l'Isle, par rapport au mélange de la Philosophie Platonicienne, que quelques Hérétiques introduisoient dans la Religion; Mais par rapport à toutes les chicanes qu'on peut faire contre l'évidence de l'Ecriture dans les choses nécessaires au salut. Mais de plus S. Chrysostome dans la troisiéme homélie du Lazare renverse absolument la prétention du Sr. de l'Isle, par la raison qu'il nous donne de l'évidence de l'Ecriture. C'est, dit il, parce que les Prophétes & les Apôtres sont les Maitres communs de l'Ʋnivers; comme je l'ai rapporté dans ma Lettre à Mr. Boyle. St. Isidore de Damiette étend cette raison de S. Chrysostome dans l'Epitre 5. de son second Livre, & dans la 91. de son quatriême livre, quand il dit, que les Saintes Ecritures ayant êté données de Dieu pour l'utilité de tout le genre humain, sont concêuës en des termes si clairs, qu'une femme, qu'un enfant, & que le plus ignorant de tous les hommes peuvent en tirer du profit; que les artisans & ceux qui ont de grandes occupations, peuvent y apprendre leur devoir en peu de tems. Il est donc clair que le sentiment des Péres touchant l'évidence de l'Ecriture, est conforme en tout à celui des Protestans, comme je l'ai posé dans ma Lettre à Mr. Boyle; & que s'il y a, comme dit l'Auteur de la Critique, de l'Ignorance ou de la Préoccupation dans l'esprit des Protestans, en ce qu'ils prétendent que l'Ecriture est claire d'ellemême, il faut qu'il y ait eû aussi de l'ignorance, ou de la préoccupation dans l'esprit des Péres, qui ont parlé comme font les Protestans. Le Sr. de l'Isle poursuivant promet de faire voir, qu'il y a de la mauvaise foi ou de l'ignorance dans tout ce que ma Lettre â Mr. Boyle produit contre l'Auteur de la Critique. Vous savez, Monsieur, que la métode qu'il faut suivre, pour faire voir qu'il y a de la mauvaise foi ou de l'ignorance dans les citations des Auteurs, c'est de montrer, que l'on a falsifié les passages alléguez, ou qu'on les a pris des Livres qui portent faussement les noms des Auteurs à qui ils sont attribuëz; ou enfin que ce qui précéde, ou ce qui suit immédiatement [Page 11]les Textes citez, combat manifestement le sens qu'on leur donne. Mais la suffisance du Sr. de l'Isle est au-dessus de ces Régles. Il ne se met en peine ni d'expliquer les passages que j'ai tiré des Péres contre l'Auteur de la Critique, ni de montrer que je ne les ai pas rapportez mot à mot, comme ils se lisent dans les originaux, ou que les Livres d'où je les ai pris, sont supposez. Et avec tout cela il se promet de faire voir, qu'il y a de l'ignorance ou de la mauvaise foi dans tout ce que je produis contre l'Auteur de la Critique. Voyons donc comment il s'y prend. Le Pere que je produis, à ce qu'il dit, avec le plus de hardiesse, est S. Augustin. Il trouvera bon, s'il lui plait, que je lui dise qu'il se trompe. Je ne cite pas S. Augustin plus hardiment que je cite les autres Péres. Mais je les allégue les uns & les autres sans aucune marque de hardiesse, puisque j'en rapporte les propres mots, & que le plus souvent je ne les traduis pas même, parce que j'écris â une personne, qui sait bien les langues dans lesquelles les Péres ont écrit. Apres cela il dit, que je prétens, que St. Augustin ait assûrè en termes formels dans ses Livres de la Doctrine Chrétienne, que tout ce que nous devons croire, & tout ce que nous devons faire, se trouve clairement dans l'Ecriture. Remarquez ici, s'il vous plait, Monsieur, le peu de sincérité que garde cet Ecrivain, en voulant faire voir, qu'il y a de l'ignorance ou de la mauvaise foi dans ce que j'ai produit contre l'Auteur de la Critique. Car enfin lors qu'il dit que je prétens, il insinuë que ce n'est qu'une vaine prétention que j'ai, & qu'en effet il ne se trouve rien de cela dans Saint Augustin. Et quoi que non seulement j'aye rapporté le passage, mais que j'aye encore marqué avec soin, qu'il se trouvoit au ch. 9. du 2. Livre de la Doctrine Chrêtienne, il n'en dit pas un seul mot, ayant peur de donner un moyen aussi facile de découvrir la Verité, qu'est la seule inspection du Livre. Permettez moi, Monsieur, que je répéte ici les termes exprés de S. Augustin, afin de vous faire voir, qu'ils expriment si clairement la créance des Protestans touchant la clarté que l'Ecriture a d'elle même, qu'il a êté impossible au Sr. de l'Isle d'en éluder la force. In iis, dit ce Peré, quae apertè in Scripturis posita sunt, inveniuntur illa omnia quae continent fidem morésque vivendi. Encore une fois, Monsieur, le Sr. de l'Isle devoit rapporter ce passage, puis que je l'avois cité pour faire voir, que l'Auteur de la Critique avoit rapporté de mauvaise foi la pensée de ce St. Pére dans le ch. 8. de son 3. livre. Mais cela l'auroit empêché d'user de ces paroles si hardies, Qu'il n'y a point de maxime qui soit plus opposée aux principes de S. Augustin, & contre laquelle il se déclare plus hautement. Je croyois en lisant cet endroit de la Lettre du Sr. de l'Isle, qu'il nous produiroit quelque rare Manuscrit, qui avoit pû échaper à la diligence des savans Benédictins, qui nous donnent la nouvelle Edition de St. Augustin; que là mon passage ne se trouveroit [Page 12]point, ou bien qu'il s'y trouveroit en des termes si différens, que le sens en seroit tout-autre: Mais il ne fait rien moins que cela. D'ailleurs ce Pére nous avertit expressément au deuziême livre de ses Retractions, ch. 4. en quoi il s'êtoit trompé dans son second livre de la Doctrine Chrêtienne. Et il ne dit pas-là pourtant, qu'il y eût avancé la maxime la plus fausse & la plus opposée à ses principes. Cepandant il écrivit les Livres des Rétractations aprés ceux dont le Sr. de l'Isle se veut servir pour montrer, qu'il n'y a rien de plus opposé à St. Augustin que ses propres paroles, que j'ai fidélement rapportées. Je pourrois bien me dispenser de répondre à ces passages que le Sr. de l'Isle tire des autres livres de St. Augustin, pour faire voir que celui du ch. 9. du 2. Livre de la Doctrine Chrêtienne, est la maxime la plus opposée aux principes de ce Pére. Car enfin, pour me servir des termes de l'Ecole, dans une dispute bien réglée, celui qui argumente contre une proposition avancée par un autre, ne doit pas faire le Répondant. L'Auteur de la Critique a avancé une proposition, où il soûtient qu'il y a de l'Ignorance ou de la préoccupation dans l'esprit des Protestans, qui prétendent que l'Ecriture est claire d'elle-même; Et moi j'argumente contre lui, en lui objectant les paroles formelles du ch. 9. du 2. livre de la Doctrine Chrétienne de St. Augustin. Le Sr. de l'Isle entreprend de répondre pour l'Auteur de la Critique. Il faut donc qu'il réponde à mon objection, qu'il explique le texte que je lui oppose, & que par des raisons fortes & dignes d'un Theologien, il fasse voir que ce passage ne doit & ne peut être pris dans le sens que je lui donne. Voilà sans doute ce qu'il devoit faire avant que de changer de personnage, & que d'argumenter au lieu de repondre. Mais bien qu'il n'ait répondu a aucun des passages que j'ai citez, soit de l'Ecriture, soit des Péres, contre l'Auteur de la Critique, néanmoins pour ne pas donner lieu de soûpeçonner, qu'il ait fait voir par d'autres passages de St. Augustin, que ce Pere ait renversé ou êbranlé sa maxime du ch. 9. du 2. livre de la Doctrine Chrétienne touchant la clarté de l'Ecriture; je veus bien répondre en détail à tous ceux qu'il cite du méme Pére. Je remarquerai seulement avant que d'y répondre, que venant à ces autres passages il établit une trés-méchante régle pour juger de la pensée d'un Auteur. Pour reconnoître qu'il n'y a point de maxime qui soit plus opposée aux principes de St. Augustin, que ce qu'il dit en termes formels au 2. livre de la Doctrine Chrétienne, & que Rhabanus Maurus répéte liv. 3. de l'Institution des Clercs, ch. 4. comme une leçon qu'un Ecclesiastique ne doit jamais oublier; il n'y a, à ce qu'il pretend, qu'a jetter les yeux sur les Livres qu'il a écrit contre les Hérétiques de son tems, principalement contre les Donatistes. Mais pour juger du véritable sentiment d'un Auteur, on ne doit pas [Page 13]le chercher dans ses livres de Controverse, ni dans ce que la chaleur de la dispute peut lui avoir fait dire, mais dans ses ouvrages dogmatiques. Je cite un passage des Livres de la Doctrine Chrétienne, qui dans le sentiment de tous ceux qui les ont lûs, est un ouvrage incomparable; ou, comme parlent les savans Réligieux Bénedictins, qui nous donnent aujourduï cette belle Edition de St. Augustin, (1) Ʋn ouvrage travaillé avec le soin que la dignité de la matiére méritoit. Dans cet Ecrit S. Augustin assemble toutes les régles qu'il a jugé necessaires pour l'intelligence du sens literal de l'Ecriture; & là il dit que tout ce que nous devons croire, & tout ce que nous devons faire, s'y trouve clairement. Il propose cela comme un dogme; & nous ne [...]oyons pas que rien autre chose a [...] pû l'y porter que ce qu'il êtoit fortement pénetré d'une verité comme celle-là. Ce seroit donc fort mal raisonner, que de croire que ce n'êtoit pas la pensée de St. Augustin, parce qu'il sembleroit s'en être éloigné en disputant contre les Hérétiques. Le grand St. Basile dans la 64. de ses Epîtres excuse St. Gregoire Thaumaturge, d'avoir avancé des propositions Sabelliennes dans la chaleur de la dispute; (2) Cela, dit-il, lui est échapé en disputant, & non pas en instruisant simplement. Quand je dirois donc la même chose de St. Augustin disputant contre des Herétiques, & principalement contre les Donatistes, qui lui étoient les plus importuns; quand je dirois qu'il a avancé dans la chaleur de la dispute, des propositions contraires à ses véritables sentimens, & aux dogmes qu'il soûtenoit, lors qu'il étoit dans une autre situation d'esprit; je ne dirois rien que ce que les Theologiens tant Papistes que Protestans on dit de lui en diverses occasions: Et je réfuterois par là toutes les objections qu'on prétendroit tirer de ses autres livres contre le dogme, que j'ai pris de son Traitè de la Doctrine Chretienne. Mais quelque raisonnable & quelque suffisante que puisse être cette réponse, il n'est pas besoin que nous y ayons recours. St. Augustin écrivant contre les Hérétiques, & particuliérement contre les Donatistes, n'avance rien qui soit contraire à ce que nous avons rapporté du ch. 9. du 2. Livre de la Doctrine Chrétienne. Il ne faut que jetter les yeux sur les passages que j'ai cité de ses Livres de controvérse dans ma Lettre à Monsieur Boyle, pour être persuadé de la vérité de ce que j'avance contre la prétention du Sr. de l'Isle. Mais je trouve tant de force dans celui que j'ai rapporté du troisiéme livre contre Maximin Evêque Arrien, où il établit pour principe, qu'il ne faut s'arrêter qu'a l'autorité de l'Ecriture, pour décider à fonds les controverses; que je ne puis m'empêcher [Page 14]de le répéter ici. (1) Que je ne vous allégue point le Concile de Nicée; & ne m'alléguez point non plus celui d'Arimini, pour en faire un préjugé. Je ne suis point attaché à l'autorité de celui-ci, ni vous à l'autorité de celui-là. Vuidons nos différens par l'autorité des Ecritures, qui sont également recües de vous & de moi, quoique tous ne Veüillent pas s'y soûmettre; Et sous cette unique autorité comparons les choses mêmes avec les choses, & les raisons avec les raisons. J'avois aussi ajoûté, que St. Augustin dit au même endroit, que le Concile de Nicée ne s'est appuyé que sur l'Ecriture. Le Sr. de l'Isle n'a pas jugé à propos de répondre à ce passage célebre de St. Augustin, non plus qu'a tous les tres que j'ai citez tant de St. Augustin que des autres Péres. On n'est pas aupres de lui, pour l'obliger de répondre à l'argument proposè, comme on parle dans l'Ecole, avant que de changer le personnage de Répondant en celui d'Argumentant. Et il s'imagine que ceux qui liront sa Réponse, croiront que ce passage & tous ceux que j'ai produis contre l'Auteur de la Critique, ne signifient pas ce que les mots portent; lors qu'ils lui entendront dire si hardiment, qu'il y a de l'ignorance ou de la mauvaise foi en tout ce que j'ai produit contre cet Auteur. Un Docteur en Theologie de vôtre connoissance, Monsieur, qui avoit lû la Réponse du Sr. de l'Isle, & qui aprés avoir pris la peine de consulter les Livres, d'où j'avois tiré mes citations, n'avoit rien trouvé qui ne fût dans la derniére exactitude; me disoit qu'il pouvoit assez justifier contre le Sr. de l'Isle la Sincérité que j'y ai gardée; & que pour ce qui est de l'ignorance qu'il me reproche, il étoit fort assûré que selon les Dictionnaires & les Lexicons que nous avons, on n'y en trouveroit pas. A quoi il ajoûtoit assez agréablement, que comme l'Auteur de la Critique travaille à nous donner une nouvelle Bible Polyglotte, on ne savoit pas si le Sr. de l'Isle ne nous donneroit point aussi un nouveau Dictionnaire Latin, & un nouveau Lexicon Grec, qui nous feront voir que les mots Latins & les mots Grecs ne signifient pas ce [...] nous nous imaginons, & qu'ainsi nous sommes encore dans une profonde ignorance. Mais en attendant cette nouvelle découverte, nous examinerons selon les régles ordinaires du langage, les sentimens de St. Augustin écrivant contre les Donatistes. Je voi d'abord que dans son Epitre 23. (autrefois 203.) conviant un certain Maximin Evêque des Donatistes, à entrer en dispute avec lui; il lui propose la même methode qu'il proposoit à Maximin Evêque Arrien; Examinons, dit-il, les choses par elles mêmes; combattons par raisons, combattons par les témoignages des [Page 15]Ecritures. (1) Ce même Pére entreprenant de décider la validité du batême administré par les impies ou par les Hérétiques, contre les Donatistes, qui étoient dans un sentiment contraire, dit dans son 1. Livre du Batême contre les Donatistes, ch. 7. (2) Afin qu'il ne semble pas que je veüille décider la chose par des argumens humains; sous ombre que l'obscurité de cette question a porté dans les siecles précédens de l'Eglise avant le Schisme de Donat, des Evêques tres-célebres, & remplis d'une grande charité, à disputer tellement entr'eux sur cette matiere (sans se séparer les uns des autres) & à s'y môntrer si chancelans, que pendant un long espace de tems les Conciles Provinciaux firent chacun dans leur détroit divers Reglemens, qui avoient peu de fermeté, jusques-à ce qu'un Concile Oecuménique établit le bon & salutaire sentiment de maniére que personne n'en doutât plus: Je tirerai de l'Evangile avec l'assistance de Dieu certaines preuves, par lesquelles je montrerai combien raisonnablement & selon Dieu, ce Concile a arrêté, que pour guérir les Schismatiques, ou les Hérétiques, le reméde Ecclésiastique seroit appliqué sur la playe qui les séparoit de l'Eglise; mais que pour ce qui restoit de sain en eux, il valoit mieus l'approuver aprés l'avoir reconnu, que de faire une nouvelle playe en l'improuvant Dans le siziême livre du même ouvrage contre les Donatistes, ch. 13. il parle ainsi, (3) Ʋn Concile Catholique & Oecuménique a arrêté suivant l'autorité des Saintes Ecritures que l'on ne desapprouveroit point le batême de I.C. dans les Hérétiques même, a qui l'on sauroit qu'il a êté une fois administré. Ayant donc ainsi fait voir par l'Ecriture, la vérité de cette tradition, ou de cette doctrine de l'Eglise, touchant la validité du Batême administré par les Hérétiques; il a eû raison de dire en écrivant contre Pétilien Donatiste, (4) C'est-là nôtre prattique, c'est la tradition que nous avons receû des Péres; c'est ce que nous retenons dans l'Eglise Catholique répanduë par tout le monde; malgré tous les brouillars de l'erreur. Il n'y a point de Protestant qui n'en dise autant de quelque tradition ou doctrine que ce soit, quand on lui en [Page 16]aura fait voir la vérité par l'autorité de l'Ecriture. Le Sr. de l'Isle, qui n'a pas manqué de citer ce dernier passage, a fort bien fait suivant son dessein, qui est de cacher la verité, de ne pas marquer l'endroit où St. Augustin tient ce discours à Pétilien. Il a crèu que ceux qui liroient sa Réponse, ne sachant pas si ces paroles se trouvent dans les conferences que les Evêques Orthodoxes eûrent avec les Donatistes, ou dans les Livres que St. Augustin a écrit contre les Epîtres de Pétilien, ou dans celui qui est intitulé, De unico baptismo contra Petilianum; ou enfin dans le Traité qui porte ce titre, De unitate Ecclesiae contra Petiliani Donatistae Epistolam; aimeroient mieux s'en rapporter à sa bonne foi, & croire que St. Augustin a voulu dire, que la Tradition seule sans l'autorité de l'Ecriture suffit pour prouver un point de foi; que de se donner la peine de feüilleter tant de livres, pour trouver un seul passage. Il faut donc suppléer au defaut du Sr. de l'Isle, & dire que ces paroles se trouvent dans le Livre de unico baptismo contra Petilianum, ch. 9. Prenez la peine, Monsieur, de voir l'endroit, & vous serez convaincu, que le Sr. de l'Isle abuse étrangement de ce passage contre la pensée de St. Augustin. Vous verrez qu'immédiatement aprés les paroles que nous venons de citer, ce Pére ajoûte, (1) Qu'est-il donc besoin que nous disputions d'avantage, puisque Pétilien lui-même décide la question en peu de mots, en rapportant des passages de l'Evangile, par lesquels assurement il condamneroit son erreur, & reconnoîtroit la verité du batême, s'il n'aimoit pas la dispute? Il n'y a point d'homme sincére & ennemi de la chicane, qui n'avouë que dans ces paroles, St. Augustin ne prétend nullement attribuër à la Tradition de l'Eglise, la décision de cette controverse qu'il y avoit entre lui & Pétilien touchant le batême administré par les Hérétiques; mais bien aux textes de l'Evangile, qui l'autorisent & que Pétilien lui-même avoit employez. Ce que le Sr. de l'Isle ajoûte, que ce St. Pére appelle un peu aprés, la Tradition, une Régle certaine & inviolable de la vérité, est encore visiblement faux, à moins que par cette traditionlà il n'entende la Tradition écrite, que nous appellons l'Ecriture sainte. Voyons ses termes, Quisquis firmum & inconcussum tenuerit, quod verissima & inviolabilis regula veritatis ostendit, id in unoquoque improbandum vel emendandum, quod falsum atque vitiosum est, agnoscendum autem & acceptandum quod verum atque rectum est, simul videt & quid in Donatistarum haeresi detestemur, & quid violare minime debeamus. Cùm enim in suae separationis iniquitate detinent baptismi veritatem, iniquitas eorum â nobis culpatur, veritas autem baptismi ubique [Page 17]agnoscitur & probatur. ‘Quiconque retient constamment cette maxime, que la Régle trés-certaine & inviolable de la verité nous enseigne; savoir, qu'il faut condamner ou corriger en chacun ce qui est faux & mauvais; & au contraire recevoir & approuver ce qui est veritable & bon; void tout d'un tems, & ce que nous devons avoir en détestation dans l'hérésie des Donatistes, & ce que nous ne devons pas rejetter. Car retenant comme ils font au milieu même de leur injuste séparation, la verité du batême; nous condamnons l'injustice de leur schisme; mais nous reconnoissons & nous approuvons la vérite du batême qu'ils administrent.’ Cette maxime de condamner & de corriger les defauts & les erreurs en qui que ce soit, & d'approuver ce qu'il y a de bon; appellée par le même Pére dans le ch. 5. de ce Livre, (1) Ʋne Regle Apostolique qui nous a êté laissée par nos Péres; Cette maxime, dit-il, est évidente par la Régle certaine & inviolable de la verité. Mais pour savoir ce que c'est qu'il appelle la Régle certaine & inviolable de la verité, il ne faut que consulter les preuves dont il se sert pour rendre cette maxime-là incontestable. Prenez la peine, Monsieur, de les examiner; & vous verrez qu'il employe les chapitres 4, 5, 6, 7, 8, 9, & 11. de ce livre, à nous en donner une démonstration invincible par l'Ecriture. Cela suffit, ce me semble, pour vous découvrir clairement, que le Sr. de l'Isle agit de mauvaise foi; ou du moins que sa mémoire le trompe, s'il a jamais lû les Ecrits de St. Augustin contre les Donatistes dans leur source; qu'elle le trompe, di-je, lors qu'il prononce si hardiment, qu'il n'y a qu'à jetter les yeux sur les livres de ce Pére contre les Donatistes, pour voir qu'il n'y a point de maxime, contre laquelle il se déclare plus hautement que contre celle que j'ai citée dans ma Lettre à Mr. Boyle, du ch. 9. du second livre de la Doctrine Chrétienne. Je ne laisserai pourtant pas d'ajoûter encore ici un passage du même Pére, tiré de son troisiéme livre contre les lettres de Petilien, ch. 6. Où il prononce anathéme à ceux qui posent une autre Régle de la foi ou des moeurs, que l'Ecriture sainte. Voici ses paroles, sive de Christo, sive de ejus Ecclesia, sive de quacunque alia re quae pertinet ad fidem vitámque nostram, non dicam, Si nos, nequaquam comparandi ei qui dixit, Si nos; sed omnino quod Paulus adjecit, Si Angelus de coelo vobis annuntiaverit praeterquam quod in Scripturis Legalibus & Evangelicis accepistis, Anathema sit. Soit qu'il s'agisse de J. C. soit qu'il s'agisse de son Eglise, ou de quelque autre chose que se soit qui regarde nôtre foi & nos moeurs; je ne dirai pas, Si nous mêmes, (qui ne sommes nullement â comparer avec celui qui a dit, Si nous même) Mais je dirai même hardiment, ce qu'ajoûte St. Paul, Si un Ange du ciel venoit à vous annoncer quelque chose au delà de ce que vous avez receû dans [Page 18]les Ecritures tant du vieux que du nouveau Testament, qu'il soit anathéme. N'y a-t-il-pas lieu aprés cela d'être surpris de la témérité du Sr. de l'Isle, qui assûre avec tant de hardiesse, qu'il n'y a point de maxime qui soit plus opposée que celle-la aux Principes de St. Augustin, ni contre laquelle il se déclare plus hautement, sur tout dans ses livres contre les Donatistes? J' espére, Monsieur, que vous ne desapprouverez pas, qu'avant que d'examiner le reste de la Lettre du Sr. de l'Isle; je vous communique une remarque que je fis, lors que j'enseignois le Traité du Batême dans l'Université Royale d'Angers: C'est qu'il n'y a aucun point de controverse, sur lequel l'ancienne Tradition ou doctrine de l'Eglise universelle, soit moins évidente, que sur celui de la validité du Batême administré par les Hérétiques; De sorte que si nous n'avions pas plus de lumiére là dessus par les argumens pris de l'Ecriture, que par la Tradition, nous ne pourrions y rien décider. Il est important de justifier ce fait, afin de vous faire voir, que quand les Controversistes de l'Eglise Romaine prétendent que ce différent ne peut être décidé que par la Tradition, ils témoignent, s'ils agissent de bonne foi, n'avoir pas bien lû ce qui nous reste de l'Antiquité. Tertullien dans son Livre du Batème, ch. 15. rejette le Batême administré par les Hérétiques. Agrippin Evêque de Carthage & son Concile le rejettérent pareillement. St. Cyprien environ quarante ans aprés, & trois Conciles qui se tinrent de son tems en Afrique, l'ont condamné à leur tour. St. Denys d'Alexandrie fut de ce même sentiment, comme on peut le voir dans l'Histoire Ecclésiastique d'Eusébe, liv. 7. ch. 6. Firmilien Evêque de Césarée en Cappadoce, au quel les Grecs donnent le titre de Saint, en fut aussi; & deux Conciles qui se tiurent de son tems, l'un à Iconie, l'autre à Synnades. Entre les Canons qui sont faussement attribuëz aux Apôtres, & qui ne laissent pas d'être trés-anciens, le 46 ordonne qu'on dégrade un Prétre qui approuvera le batême administré par les Hérétiques. D'autre coté, Etienne, Eveque de Rome en même tems que St. Cyprien étoit Evêque de Carthage, ordonne avec le Synode qu'il assembla, de ne pas réitérer le batême des Hérétiques qui retournent dans le sein de l'Eglise, de quelque hérésie qu'ils soient sortis, (à quacunque haeresi) & affirme que c'est-là la Tradition de l'Eglise. Le premier Concile d'Arles, qui se tint sous Constantin le Grand un peu avant le Concile de Nicée, parlant du batême des Hérétiques dans le 8. de ses Canons, n'approuve pas indifféremment le batême de toutes sortes d'Hérétiques, comme Etienne semble le faire; mais seulement celui de ceux qui batizoient suivant la forme prescrite, savoir, au nom du Pére, & du fils, & du St. Esprit. Le premier Concile de Nicée nous a laissé deux Canons, par lesquels on prétend que cette controverse est pleinement décidée. Ces Canons sont le 8, dans lequel ce saint Concile approve le batême administré par les Novatiens; & le 19. danslequel il rejette le batême des Paulianistes, [Page 19]autrement, des Sectateurs de Paul de Samosate. Mais cette decision n'est pas si claire qu'on s'imagine, puisque nous voyons que les Sts. Péres, qui ont vêcu depuis ce Concile, l'ont prise différemment. St. Jerôme dans son Dialogne contre les Lucifériens, ch. 9. prétend que le Concile de Nicée approuve le batême de toutes sortes d'Hérétiques, horsmis de ceux qui suivent les erreurs de Paul de Samosate. St. Optat & St. Basile an contraire croiant que ce Concile rejette le batême de toutes sortes d'Héretiques sans exception, ils pretendent qu'on doit absolument rébatiser tous ceux qui ont été batisés par des Hérétiques, comme on le peut voir par le premier livre d'Optat contre Parmenien, & par la premiere & seconde Canonique de St. Basile à Amphilochius. Ils supposent que le Concile de Nicée n'a rejetté le batême des Paulianistes, que parce qu'ils êtoient hérétiques; & que s'il approve celui des Novatiens, c'est parce qu'ils êtoient Schismatiques seulement. Innocent premier, Evêque de Rome, St. Augustin, St. Fulgence & la plus part des Theologiens croient que le batême des Novatiens fut approuvé par le Concile de Nicée, parce qu'ils batisoient au nom du Pére & du Fils, & du St. Esprit; & que celui des Paulianistes fut rejetté, parce qu'ils n'administroient pas le batême au nom de la St. Trinité. D'où ils conclüent que suivant la décision du Concile, le batême administré par quelque Hérétique que ce soit au nom de la Trinité, est valide; mais qu'on doit toûjours rebatiser ceux dans le batême desquels le nom du Pére, du Fils & du St. Esprit n'a pas êté exprimé. Si bien que St. Augustin, & tous ceux qui donnent la même explication au Concile, supposent avec Innocent premier dans son epître 22. qu'il addresse aux Evêques de Macedoine, que les Paulianistes n'exprimoient pas les noms des trois Personnes de la Trinité, & que c'est pout cette raison que leur batême fut rejetté. Cependant St. Athanase, qu'on appelle communément l'ame du Concile de Nicée, nous apprend dans sa troisiéme Oraison contre les Arriens, que les Paulianistes prononcoient les noms des trois Personnes de la Ste. Trinité, lorsqu'ils administroient le batême. Deplus les Montanistes batizoient au nom de la Ste. Trinité, suivant que le même Pére le temoigne dans cette même Oraison. Et neanmoins le Concile de Laodicée dans le 8. de ses Canons & le premier de Constantinople, Can. 7. ordonnent qu'on les rebatize. Celui de Laodicée, Can. 7. approuve le batême des Photiniens. Et le 2. Concile d'Arles Can. 16. dit au contraire que selon la definition des Péres, les Photiniens doivent être rebatizez aussi bien que les Paulianistes. Ce dernier Concile Can. 17. approuve le batême des Bonofiaques. Mais St. Grégorie le Grand dans le 9. livre de ses épîtres, ép. 61. dit qu'on les rebatizoit. Vous voyez donc, Monsieur, que si l'on nous renvoyoit à la Tradition ou Doctrine constante de l'Eglise, pour décider cette controverse du batême des Hérétiques; on nous jetteroit dans [Page 20]un embarras, d'où nous ne pourrious sortir que par des conjectures sans fondement, qui ne sauroient satisfaire les esprits raisonnables & solides. C'est pourquoi, bien que St. Augustin se servît de l'autorité de l'Eglise comme d'un argument ad hominem, en disputant contre les Donatistes, qui appuyoient leur sentiment de l'autorité d'Agrippin & de St. Cyprien, & des Synodes assemblez par ces Evêques; néanmoins pour donner une decision positive & absoluêil a recours aux argumens de l'Ecriture, aussi bien que St. Optat, qui s'étoit veû engagé avant lui dans la même controverse avec les Donatistes, & dont les Paroles sont si belles, que quoi que je les aye citeés dans ma lettre à Mr. Boyle, je ne puis m'empêcher de les répéter ici. S'addressant aux Donatistes, qui soûtenoient contre lui, qu'on devoit reitérer le batême donné au nom de la Trinité, si des impies l'ont administré; il leur parle ainsi dans le 5. livre de ses Oeuvres. (1) Qu'on n'en croye ni vous, ni nous. Tous les hommes sont sujets à contester. Il nous faut chercher des Juges. Mais finous en voulons de Chrétiens, on ne sauroit nous en donner de l'un & de l'autre parti, parce que les prejugez & la passion des parties empêchent qu'on ne puisse connoitre la vérité. Il nous faut chercher un Juge étranger. Mais encore, si c'est un Payen, il ne sauroit pénétrer les secrets des Chrétiens, & si c'est un Juif, ce sera un ennemi du batême des Chrétiens. Nous ne saurions donc trouver sur la terre aucun Juge, pour régler ce différent. Il nous en faut avoir un du ciel. Mais qu'est-il besoin encore que nous allions frapper à la Porte du ciel en cette rencontre, puis que nous avons ici un Testament dans l'Evangile? Et comme les choses terriennes peuvent bien en cette occasion être comparcés avec les célestes, nous dirons que ce Testament est tel que celui, que tout homme qui a un grand nombre d'enfans, a accoutumé de faire. Tant que le Pere demeure au monde avec ses enfans, il leur commande à chacun de vive voix ce qu'il desire; & il n'est pas besoin jusque-là de Testament. Tout de même, Jésus-Christ, tant qu'il est demeuré sur la terre (bien qu'il y soit toûjours present par [Page 21]sa providence) ordonna de bouche à ses Apôtres ce qui êtoit nécessaire pour lors. Mais comme ce Pére terrien, dont j'ai parlé, sentant approcher la fin de sa vie, & craignant qu'aprés sa mort ses enfans ne se broüillent ensemble, & ne se fassent la guerre par des procés; fait venir des témoins, devant lesquels, il produit sa derniere volonté de sa poitrine mourante, & la fait rédiger par écrit en des tables de Testament, qui se puissent conserver long tems; De sorte que s'il vient à naitre quelque procés entre ses enfans, ils ne vont pas chercher leur Pére dans le tombeau, pour terminer leur différent, mais ils ont recours à son Testament, & ainsi celui qui répose & qui est muët dans le tombeau, parle encore néanmoins par les tables de son Testament comme s'il étoit vivant: Celui aussi dont nous avons le Testament, est dans le ciel; Et c'est â nous par conséquent de nous informer de sa volonté dans l'Evangile, comme dans un Testament qu'il nous a laissé. Ce beau passàge nous môntre clair comme le jour, qu'Optat ne reconnoissoit aucun abbrége de foi indépendant de l'Ecriture, ni aucune Tradition non écrite pour decider les controverses de religion, comme fait le Sr. de l'Isle aprés l'Auteur de la Critique. Et le savant Philippe le Prieur y a fait cette annotation; (1) Il dit qu'il faut chercher des Juges, pour en venir à un Juge fidéle & incorruptible, savoir aux Livres sacrez de l'Evangile, d'où il faut tirer la verité de la Religion. Car autresfois les Conciles ne décidoient rien qu'on n'eut produit les Saints Evangiles pour l'appuyer; comme cela fut prattiqué dans l'action 1. du 8. Concile universel. St. Augustin dans son Traité de la Grace & du franc arbitre ch. 18. parle ainsi, Prenons l'Apôtre St. Jean pour nôtre Juge commun. Et dans son 2 Livre des Noces & de la Concupisc. ch. 31. voulant employer un passage de l'Apôtre, Que l'Apôtre, dit-il, avec Jesus-Christ soit nôtre Juge, puisque Jesus-Christ nous parle aussi par l'Apôtre. J'y ajouterai encore Clément Alexandrin au 7. de ses Stromates; Et ces témoignages suffiront en cet endroit, sans en citer d'autres. Pardonnez-moi, Monsieur, si j'ai êté un peu trop long dans cétte digression. Je reviens à la Lettre du Sr. de l'Isle. Les Protestans, dit-il, reconnoissent aussi bien que les Catholiques, la necessité du batême des enfans, aprés St. Augustin. Il paroît par là, qu'il n'est pas bien informé du sentiment des Protestans sur cet article. Car bien que la pluspart des Protestans croyent, que les enfans des fideles sont des sujets capables du batême; ils ne croyent pas pourtant le batême [Page 22]nécessaire pour leur salut, ainsi que St. Augustin la crû. Mais comme les Papistes-sont persuadez, que les enfans peuvent obtenir le salut, sans avoir receû l'Eucaristie, quoi que le Pape Innocent 1. & St. Augustin ayent crû le contraire; ainsi ceux des Protestans qui soûtiennent qu'il est permis, & même utile & louäble d'administrer le batême aux enfans, sont néanmoins persuädez que St. Augustin s'éloigne de la vérité, lors qu'il affirme, que les enfans qui meurent sans batême & sans souffrir le martyre, sont damnez. Et il est si faux que Calvin ait jamais voulu prouver par l'Ecriture, cette nécessité absoluë du batême des enfans, qu'au contraire répondant dans son Antidote, à l'art. 1. des Resolutions de l'Université de Paris, il dit expressément, que les enfans ont besoin du batême, (1) Non comme d'une aide nécessaire au salut, mais comme d'un seau destiné de Dieu à séler en eux la grace de leur adoption Car, ajoûte-t-il, St. Paul enseigne que les enfans des fidéles naissent saints. Et certes le batême ne leur seroit convenable en nulle facon, si leur salut n'étoit pas compris en cette promesse, Je serai ton Dieu, & le Dieu de ta posterité. Car ils ne sont pas faits enfans de Dieu par le batême. Mais plutôt l'Eglise leur administre le batême, parce qu'ils sont déja héretiers de l'adoption par le moyen de la promesse. Le Sr. dé l'Isle auroit donc mieux rencontré en disant que St. Augustin a voulu prouver la nécessité du batême des enfans par l'Ecriture, comme il paroît par son premier Livre de peccatorum meritis, ch. 20. par la 157. de ses Epitres, autrement la 89. &c. il auroit mieux rencontré en cela, qu'il n'a pas fait en attribuänt cette pensée à Calvin, qui a seulement prétendu prouver, que quoi que les enfans des fidéles n'ayent pas besoin du batême pour être sauvez, s'ils meurent dans leur enfance; néanmoins l'Eglise est obligée de le leur administrer. Et Calvin n'est pas même suivi en cela de tous les Protestans qui retiennent la coûtume de batizer les enfans; comme le Sr. de l'Isle le peut voir dans la celebre Reponse qu'on a fait au Traite de l'illustre Mr. Bossuët, Evêque de Meaux, touchant la Communion sous les deux espéces. Voici les termes de l'Auteur, (2) Quant au batême des petis enfans, j'avouë qu'il n'y a rien de formel ni de précis dans l'Evangile pour en justifier la nécessité; & que les passages qu'on en tire, ne prouvent tout au plus sinon qu'il est permis de les batizer, ou plutôt, qu'il n'est pas défendu de les batizer. Si tous les Anabatistes [Page 23]s'en tenoient-là, sans condamnér cette prattioue de crinie & de Sacrilége, ils auroient raison, & ne diroient rien qui ne fîit fondé sur les principes communs à tous les Protectans. Le Sr. de l'Isle soûtient qu'on ne peut prouver le batême des enfans par l'Ecriture. Et néanmoins il condamne d'opiniatreté les Anabatistes parce qu'ils le rejettent. C'est là un language fort différent de celui des Péres, qui ne traitent d'opiniâtres, que ceux qui refusent de se soumettre aux définitions de l'Eglise fondées sur l'autorité de l'Ecriture. Celui là, dit Facundus dans le douziéme de ses livres addressés à l'Empéreur Justinien, ch. 1. (1) Celui-là doit être appellé Opiniátre, qui ne se rend pas aux Decrets de l'Eglise appuyez sur l'autorité des Ecritures. St. Augustin, continuë le Sr. de l'Isle qui êtoit de meilleure foi que les Protestans, asseûre dans une infinité d'endrois de ses Ouvrages, que la doctrine du batême des enfans a ête receuë dans l'Eglise par la seule autorité de cette même Eglise. Mais le Sr. de l'Isle se trompe ou veut nous tromper. Car dans le batême des enfans il y a deux choses à considerer. L'une regarde la Doctrine, l'autre regarde la Prattique. St. Augustin soûtient que la coûtume de batizer les enfans n'est pas autorisée par aucun exemple que nous lisions dans l'Ecriture. Mais pour le dogme de la necessité de ce batême il pretend le prouver par l'Ecriture, dans le 294. de ses Sermons, autrement le 14. (2) Sur les paroles de l'Apôtre, & dans les autres lieux citez ci-dessus p. 22. Et s'il n'y réüssit pas on peut dire de lui, ce qu'il dit quelque part de St. Cyprien (3) Sachant que l'écriture est la droite Régle de la vérité, il a néanmoins péché contre cette Régle. Quoi qu'il en soit, St. Augustin paroit persuadé, que les preuves qu'il tire de l'Ecriture pour la nécessite du batême des petis enfans, sont demonstratives; lors qu'il dit que nous devons retenir cette prattique, bien que nous n'en ayons d'exemple dans l'Ecriture. Et il n'en faut pas d'avantage pour connoître, qu'il ne dit rien là de contraire au principe que j'ai rapporté de son 2 Livre de la. Doctrine Chrétienne ch. 9. qui est, que tout ce que nous devons croire, & tout ce que nous devons faire pour nôtre salut, est clair dans l'Ecriture Sainte; puis qu'elle nous commande de nous soûmettre à la discipline & à la prattique de l'Eglise, lors qu'elles sont etablies sur la doctrine qu'elle nous enseigne en termes exprés, ou qui en est tirée du moins par une conséquence évidente & nécessaire. Le Sr. de l'Isle m'objecte encore un passage du Livre de St. Augustin De cura pro mortuis gerenda, où ce Pére, dit en termes formels, que quand nous n'aurions rien dans l'Ecriture, qui prouvât la priére qu'on fait pour les morts, la seule Tradition [Page 24]suffit pour cela. Mais ce passage ne parlant que d'une coûtume dont l'observation n'est pas nécessaire au salut, il ne fait rien contre ce que le même Pére affirme ailleurs, Que tout ce qui regarde la foi & les bonnes moeurs, est clair dans l'Ecriture. Châque Eglise s'imaginoit que ses coutumes, quoi qu'opposées à celles des autres Eglises, tiroient leur origine de la Tradition Apostolique; comme nous l'apprenons de l'épitre de S. Jerôme à Lucinius. C'est dans ce préjugé que les Péres appellent diverses coûtumes de leur tems, du nom de Traditions Apostoliques non écrites. Mais ils ne se servent jamais de cette prétenduë Tradition non écrite, pour établir les articles dont la croyance & la prattique sont nécessaires au salut. Je l'appelle prétendue Tradition, parce qu'il est impossible de prouver, qu'aucune prattique dont nous n'avons rien dans l'Ecriture, ait toûjours êté receuë dans l'Eglise; comme cette preuve est nécessaire pour justifier, qu'une Tradition est Apostolique. Sans parler de l'administration de la sainte céne aux petis enfans, & de quelques autres prattiques, que quelques Péres appellent des traditions Apostoliques, & qui aujourdui sont rejettées par l'Eglise Romaine elle-même aussi bien que par les Prostans; sans parler des opinions extravagantes & des Histoires fabuleuses, qu'on a attribüé aux Apôtres, pour les faire recevoir sous ce titre spécieux de traditions Apostoliques; comment pourroit-on prouver, que cette ancienne coûtume de prier pour les mores, que leur résurrection glorieuse s'avance à grans pas, est une tradition Apostolique, puisque nous n'en voyons aucune trace dans ce qui nous reste des monumens autentiques de l'Antiquité avant le troisiêmé siecle? Comment pourroit-on prouver que la coûtume de batizer les enfans ait êté receuë dans toutes les Eglises depuis les Apôtres, puisque les plus savans dans l'Antiquité, (quoi qu'ils approuvent ce batême) nous asseûrent du contraire? Le Pére Vansleb, Dominicain du Couvent de la Minerve à Rome, dans son histoire de l'Eglise d'Alexandrie fondée par St. Marc; part 2. ch. 23. parle ainsi; Amba Macaire, Evêque de Memphis, qui êtoit Secrétaire de Côme troisiéme, le 58. Patriarche d'Alexandrie, & qui vivoit en l'an de N. S. 756. dit que dans les premiers siecles on ne faisoit en Alexandrie le batême qu'une fois l'année, qui êtoit le vendredi saint, & qu'alors on ne batizoit que ceux qui avoient déja atteint l'âge de trente ans. L'Auteur annoyme de la Réponse au Traité de Mr. de Meaux touchant la Communion sous les deux espéces; part 1. p. 99. dit sur cet article; La primitive Eglise ne batizoit point les petis enfans; & le savant Grotius nous en donne des preuves en ses Notes sur l'Evangile. La prattique même de l'Eglise Romaine en est une marque évidente. Car il faut demander le batême avant que d'entrer dans l'Eglise; & c'est le Parrein qui le demande au nom de l'enfant. Il faut faire une profession de foi formelle & expresse; & le Parrein la fait au nom de l'enfant. Il faut promettre de renoncer au monde & à [Page 25]ses pompes, à la chair & au Démon; & le Parrein fait tout cela au nom de l'enfant. N'est-ce-pas-là une marque visible, que jadis c'êtoient les personnes mêmes qui en leur propre nom demandoient le batême, qui faisoient profession de leur foi, & renoncoient à leur vie passée, pour la consacrer desormais à Jesus Christ? Walafride Strabon, Traité des choses Ecclesiastiques, ch. 26. Vives sur le ch. 27. du prémier livre de St. Augustin de la Cité de Dieu; Erasme, Grotius, Saumaise, & le savant Mr. Thiers dans son Livre du Retranchement des fêtes; tous ces Auteurs affirment que la coutume de batizer les enfans n'êtoit pas en usage dans les prémiers siécles de l'Eglise. (1) Le batême des enfans, dit le Sr. de Courcelles dans son institution de la Relig. Chrét. liv. 1. ch. 12. fut inconnu durant les deux prémiers siécles aprés la naissance de J. C. & approuvé de peu de gens au troisiême & au quatriême siecles. Mais enfin dans le cinquiême & dans les suivans il commenga à s'établir par tout. C'est pourquoi ce Rite est bien observé parmi nous, comme une ancienne coûtume, mais non pas comme une tradition Apostolique. Robert Fabien dans sa Chronique part. 4. fol. 10 [...]. nous témoigne, qu'au commencement du settiême siecle les Evêques de la Grand-Bretagne s'opposérent à Augustin, premier Archevêque de Cantorbery, lors qu'il voulut introduire la coûtume de batizer les enfans. Jugez maintenant, Monsieur, si tous ceux qui approuvent le batême des enfans êtoient du même sentiment que le Sr. de l'Isle, qu'on ne peut le prouver par l'Ecriture; si aprés cela ils seroient bien fondez de soûtenir contre les Antipaedobaptistes (qu'on appelle vulgairement Anabatistes) que leur sentiment est appuyé sur la Tradition; qui est suivant la définition de Vincent de Lérins, (2) Ce qui a êté crû par tout, toûjours, & de tous? Pour ne vous être pas ennuyeux par un plus long discours sur un sujet que j'ai déja traité dans mon Commentaire sur les Actes des Apôtres; je retourne à la Lettre du Sr. de l'Isle. Pensant être dispensé de répondre aux témoignages que j'ai cité de l'Ecriture & des Péres, dans ma Lettre à Mr. Boyle, pour prouver que l'Ecriture contient clairement toutes les véritez nécessaires au salut, & supposant qu'on croira sur sa parole, que je les ai employez de mauvaise foi; il avance une maxime, qu'il dit avoir êté posée par l'Auteur de la Critique avec connoissance de cause. Cette maxime, ditil, est que le véritable principe de la Religion Chrétienne, est la Tradition que les Apôtres ont recû de nôtre Seigneur, & qu'ils ont ensuite enseignée aux Eglises qu'ils ont fondées. Il n'y a point de Chrétien qui ne tombe d'accord de cela. Et les Protestans aprés les Péres, ne reconnoissent [Page 26]l'Ecriture seule pour la Régle de la foi, que parce qu'elle contient clairement tout ce que Jesus-Christ a enseigné aux Apôtres, & qu'il leur a commandé ensuite de prêcher à tous les hommes, pour instruire chacun de ce qu'on doit croire, & de ce qu'on doit faire pour être sauvé. Mais, dit le Sr. de l'Isle, l'Ecriture du nouveau Testament ne contient qu'une partie de cette Tradition répanduë dans toutes les Eglises. A quoi je répons, que cela n'est pas seulement contraire aux principes de la Religion Protestante, comme il le prétend, mais aussi à toute l'Antiquité Chrétienne, & même aux sentimens des plus célebres Théologiens de l'Eglise Romaine. (1) St. Irénée dit expressément, que les Apôtres ayant prêché la doctrine salutaire, ont rédigé cette même doctrine par écrit de sorte que pour régler nôtre foi, nous n'avons besoin que de consulter leurs Ecrits. Tertullien contre Hermogéne, ch. 22. (2) J'adore la plenitude de l'Ecriture. Que le Peintre Hermogéne enseigne qu'il est écrit; ou qu'il craigne ce malheur qui est dénoncé à ceux qui ajoûtent aux Ecritures, ou qui en retranchent quelque chose. St. Augustin ne se contente pas de ce qu'il dit au 2. Livre de la Doctrine Chrétienne, ch. 9. que parmi les choses qui sont clairement couchées dans les Ecritures, on trouve toutes celles qui appartiennent â la foi & aux moeurs; mais il prononce même anathême dans ses livres contre les Donatistes, á ceux qui diront le contraire, comme vous pouvez le voir en ce que j'ai cité-ci-dessus p. 17. du liv. 3. contre les Lettres de Pétilien, ch. 6. & dans les passages que j'ai rapporté du Livre de l'Unité de l'Eglise contre l'Epitre de Pétilien, en ma Lettre à Mr. Boyle. St. Chrysostome dans l'Homélie des faux Prophétes, Tom. 7. p. 211. [...]. L'Ecriture Sainte n'a rien omis, ni n'a rien têu de tout ce qui nous est utile. St. Cyrille, Patriarche de Jérusalem, dans sa 4. Catéchése, citée par Theodoret, à la Sect. qui traite du S. Esprit; [...]. Lors qu'il s'agit des Saints & divins mysteres de la foi, on ne doit pas même enseigner la moindre chose, sans l'autorité des Ecritures divines. St. Cyrille Patriarche d'Alexandrie, admire comment il peut tomber dans la pensée d'un Chrétien, de reconnoître pour veritable, ce qui n'est pas appuyé de l'autorité de l'Ecriture. Voici ses paroles; [...]; [Page 27] Comment recevrons nous & tiendrons-nous pour véritable, ce que l'Ecriture sainte ne dit pas? Ce ne sont pas seulement les Pérés qui parlent de la sorte; mais aussi les plus célébres des Théologiens qui sont venus aprés eux, & qui ont flori dans l'Eglise avant la Réformation. Pour n'abuser pas de vôtre patience, je me conténterai d'en rapporter deux témoignages bien exprés. L'un est de Thomas Bradwardin Anglois; & l'autre, du fameux Gerson, Chancelier de l'Université de Paris. Le prémier parle ainsi dans son 2. Livre de Causa Dei, ch. 1. part. 32. Coroll. (1) Je soûtiens hardiment que je sai qu'il n'y a aucun article ni grand, ni petit de la foi Chrétienne, que Dieu n'ait pas premierement révéle; comme cela paroit clairement par les Livres authentiques du Vieux & du nouveau Testament: Qu'il n'y a point d'article de foi, qui au jugement même d'un Philosophe non corrompu, non Sophiste, non malicieux, mais mediocrement solide & amis de la verité; ne se puisse établir avec efficace par l'Ecriture du vieux Testament: & que ceux qui ont écrit les Livres de l'Evangile, ont fondé le nouveau Testament sur le vieux. Voilà une doctrine bien contraire aux pretentions du Sr. de l'Isle; mais trés-conforme au témoignage de Jesus-Christ, qui est né & venu au monde pour rendre témoignage à la vérité. Ne pensez pas, dit ce divin Sauveur aux Juifs dans l'Evang. selon St. Jean, ch. 5. Ne pensez pas que ce soit moi qui vous accuserai dévant le Pére. Vôtre Accusateur c'est Moyse même en qui vous mettez vôtre espérance. Car si vous croyiez Moyse, vous me croiriez aussi, parce que c'est de moi qu'il a écrit. Que si vous ne croyez pas ce qu'il a écrit, comment croirez-vous ce que je vous dis? Le savant Gerson s'en exprime ainsi; (2) Il ne faut pas entreprendre de rien dire des choses divines que ce qui nous est enseigné par l'Ecriture sainte. La raison de cela est, que l'Ecriture nous a êté donnée comme une Régle suffisante pour le gouvernement de tout le corps & de tous les membres de l'Eglise jusques â la fin des siecles.— Quelqu'un dira, qu'il y a des doctrines salutaires, soit proposées de vive voix, soit écrites; que l'Ecriture sainte ne contient pas. A quoi nous répondons au contraire, qu'elle les contient. Mais qu'est-il besoin de citer les Péres & les Théologiens, pour confirmer une vérité, que le St. Esprit nous a [Page 28]lui-même enfeigné si clairement par l'Apôtre? Je répéterai ici les paroles que j'ai cité de la Version de Mons dans ma Lettre à Mr. Boyle; (1) Toute Ecriture qui est inspirée de Dieu, est utile pour instruire, pour reprendre, pour corriger, & pour conduire à la pietè & à la justice, afin que l'homme de Dieu soit parfait, & parfaitement disposé à toutes sortes de bonnes oeuvres. L'Ecriture Sainte ne pourroit pas avoir tous ces usages, si dans le sens clair de ses expressions & dans les consequences qui se tirent clairement de ses principes, ou qui y sont évidemment renfermées, elle ne contenoit pas tout ce que Dieu a voulu qu'on proposât aux fidéles, pour l'édification de leur foi, & pour la conduite de leur vie. Le Sr. de l'Isle prétend, que quand l'Ecriture du Nouveau Testament ne nous auroit pas été donnée, la Religion Chrétienne subsisteroit par le moyen de la Tradition répanduë dans toutes les Eglises. Cette prétention est insoutenable, suivant l'aveu même de l'Auteur de la Critique, liv. 1. ch. 10. Où il dit, qu'il arrive sowvent que les hommes êtant les dépositaires des traditions, y mêlent ce qu'ils ont inventé. Car à ce conte, si nous n'avions pas les Ecrits authentiques des Apôtres & des Evangelistes, il seroit impossible de distinguer les véritables traditions Apostoliques, qui établissent la Religion Chrétienne, d avec les traditions sausses & supposées, qui la détruisent. Le Sr. de l'Isle asseûre, que ce qu'il avance a êté enfeigné par St. Irenée, & que c'est ainsi que ce Pére & Tertullien raisonnent contre les Hérétiques qui approchoient du tems des Apôtres. Je souhaiterois qu'il nous eût produit l'endroit où St. Irenée enfeigne, que quand même le nouveau Testament n'auroit point êté écrit, la Religion Chrétienne ne laisseroit pas de subsister. Je n'y trouve nulle part un tel endroit. Et le passage que le Sr. de l'Isle cite, ne prouve pas ce qu'il a posé. St. Irénée dispute (2) contre des Hérétiques, qui lors qu'ils se sentoient convaincus par l'autorité des Ecritures, avoient l'artifice d'en contester l'autorité ou la suffisance, & de soûtenir opiniatrément, qu'il êtoit impossible d'y trouver la vérité, quand on ignoroit la Tradition. Pour convaincre donc entiérement ces Hérétiques, de la fausseté de leur prétenduë Tradition, il leur répond, Que quand nous n'aurions pas les Ecritures des Apôtres; les Eglises nouvellement fondées par la prédication des Apôtres, ou des hommes Apostoliques, dementiroient cette tradition-là; puisque les dogmes que les principales Eglises faisoient profession d'avoir recêu des Apôtres & des hommes Apostoliques, (3) S'accordoient entiérement avec les Ecritures; comme parle le même Pére dans l'Hist. Eccles. d'Eusébe liv. 5. ch. 20. Car enfin, si nous n'avions pas les [Page 29]Ecrits des Apôtres, il est vrai qu'on ne pourroit raisonnablement espérer de mieux apprendre d'ailleurs ce qu'ils ont enseigné, qu'en s'addressant aux Eglises à qui ils donnérent des Pasteurs de leurs mains propres. (1) Que seroit-ce, dit-il, si les Apôtres même ne nous eûssent pas laissé d'Ecritures? N'eût-il-pas falu suivre l'ordre de la Tradition, qu'il laissérent à ceux, ausquels il confioient la conduite des Eglises? Il ne pouvoit pas mieux argumenter ad hominem contre des Hérétiques, qui sous le prétexte d'une prétenduë Tradition Apostolique non-écrite, rejettoient les Ecritures. Et il ne pouvoit pas mieux les convaincre de ce fait, que les Apôtres n'ont rien enseigné de vive voix au nom de Jesus-Christ, que ce qui est contenu dans leurs Ecrits; il ne pouvoit pas mieux les en convaincre que par le témoignage de ces Eglises, qui avoient encore la mémoire fraiche de la prédication des Apôtres & des hommes Apostoliques. Mais de prétendre que St. Irénée ait voulu dire, que la Religion Chrétienne ne laisseroit pas de subsister, quand même le Nouveau Testament n'auroit point êté écrit; c'est-là une pure chimére du Sr. de l'Isle, qui a déja êté dissipée par (2) le passage cité ci-dessus, où ce Pére dit excellemment; C'est par les Apôtres que l'Evangile est parvenu jusques à nous. Ils l'ont publié au commencement par la prédication; & ce qu'ils ont prêché de vive voix, est cela même qu'ils nous ont laissé dans les Ecritures par le commandement exprés de Dieu, afin que ce fùt le fondement & l'appui de nôtre foi. Ainsi encore Tertullien, qui adoroit la plénitude de l'Ecriture, & qui soûtient qu'en matiere de religion, (3) rien de ce qu'on ne voit pas dans l'Ecriture, n'est certain; Tertullien, disje, pour fermer la bouche aux Héretiques, qui se ventoient que leurs doctrines étoient fondées fur la Tradition Apostolique non écrite; leur oppose la doctrine des Eglises établies par des Apôtres ou par des hommes Apostoliques. Mais cette métode de prescription, dont Tertullien s'est servi contre des Héretiques qui abandonnoient l'Ecriture, & qu'il appelle à cause de cela, (4) des gens qui fuyoient la lumiére des Ecritures, parce qu'ils les falsifioient, qu'ils les mutiloient & les rejettoient en partie, pour s'appuyer sur une imaginaire Tradition Apostolique; cette métode ne sert de rien pour prouver, comme le Sr. de l'Isle conclud par une méchante Logique; qu'alors on êtablissoit les dogmes de la foi, plus sur la Tradition non écrite, que sur l'Ecriture. Car premierement ce qui est propre pour detruire, n'est pas toûjours propre pour edifier & pour [Page 30]établir. Tout peut être employé contre l'erreur & le mensonge. Mais lors qu'il s'agit d'établir un article de foi, rien n'est solide que le témoignage des Ecritures qui nous ont êté laissées par les Apôtres. Et c'est pour cela que Tertullien les appelle, (1) les Titres de la foi. De plus on ne peut jamais conclure que le principe dont un Auteur tire un argument ad hominem, soit celui sur lequel il fonde ses sentimens propres. St. Paul condamnant la vanité des idoles, ne fondoit pas sa doctrine sur l'autorité du Poëte Aratus, bien qu'il s'en servit (2) pour prouver aux Athéniens ce qu'il leur prêchoit. Les Cartesiens appuyent leur sentiment, que les bêtes sont des Machines, sur de fortes raisons, & non pas sur l'autorité des savans de l'antiquité. Cependant ils se servent d'un passage du chap. 30. du Dialogue de quantitate animae, que St. Augustin eut à Rome vers l'an de J. C. 388. avec son bien aimé compatriote Evodius, qui fut depuis un trés celebre Evêque dans l'Afrique Proconfulaire, pour en faire une demonstration ad hominem contre ceux, qui rejéttent tout sentiment, quelques preuves qu'on en apporte, s'il n'est autorisé du suffrage de quelque ancien Philosophe, qu'ils ont tort de rejetter le leur sur ce pied. Car St. Augustin parlant à cet Evodius, dit: Quod autem tibi visum est, non esse animam in corpore viventis animantis, quamquam videatur absurdum, non tamen doctissimi homines, quibus id placuerit, defuerunt, neque nunc arbitror deesse: Sed, ut ipse intelligis, res est subtilissima, & ad quam cernendam mentis acies satis purganda est. L'incomparable Mr. Boyle, également illustre par sa haute naissance, par son attachement à la prattique de toutes les vertus Chrétiennes & morales, par son erudition profonde, & par ses admirables Descouvertes dans les Sciences de Theologie, de Geometrie & de Physique, qui luy attirent l'estime & la veneration des savans de tout l'Univers; cet homme incomparable, dont on ne sauroit jamais dire assez de bien, fait voir dans ses excellentes Reflexions sur le stile de l'Ecriture par l'Epître Catholique de St. Jude, que les Ecrivaîns sacrés argumentent quelquefois ad hominem par des principes supposés pour incontestables, quoy qu'eux mêmes ne les autorisent pas, ni en garantissent la verité. Les Chrétiens méprisent les imaginations impertinentes & les fables des Rabbins. Et néanmoins ils en tirent contre les Juifs, de forts argumens, qu'on peut appeller des demonstrations ad hominem. Mais ce seroit perdre son tems que de s'arrêter d'avantage a prouver une verité, qui ne peut être niée que par des gens qui n'ont nulle connoissance des régles & des maniéres de la dispute. Les passages que le Sr. de l'Isle rapporte de Tertullien [Page 31]contre Marcion, & de St. Augustin contre Faustus Manichéen; dans lesquels ces Péres, pour faire voir la fausseté des livres que ces Hérétiques produisoient sous le titre d'Evangile, & sous celui d'Epitres de St. Paul, se contentent d'alléguer que de tels Ecrits n'êtoient appuyez sur aucune Tradition receuë dans l'Eglise; ces passageslà montrent la necessité de la Tradition prise dans un sens actif, qui est reconnuë de tous les Péres & de tous les hommes raisonnables, & sans laquelle nous ne pourrions parvenir par la voye ordinaire, à la connoissance de l'Ecriture; comme je l'ai déja dit-ci-dessus p. 7. Les Protestans sont si éloignez de rejetter cette Tradition active, qu'ils s'en servent même comme d'un argument contre les Papistes, pour faire voir la témerité avec laquelle le Concile de Trente a inseré dans le Canon des Ecritures, les Livres que l'Eglise universelle avoit regardé comme Apocryphes, dans tous les Siécles précedens. Mais nous défions le Sr. de l'Isle de nous produire aucun passage authentique des anciens Péres, qui autorise une tradition de foi dans un sens passif; c'est-à-dire une doctrine non écrite, qu'on soit obligé de croire aussi bien que les Véritez de l'Ecriture, pour obtenir le salut. Soit donc, dit St. Augustin dans un endroit déja rapporté ci-dessus, (1) Soit qu'il l'agisse de Jesus-Christ, soit qu'il s'agisse de son Eglise, ou enfin de quelque autre chosé que ce soit, qui regarde la foi ou les moeurs; non seulement si nous, qui ne sommes nullement comparables à celui qui a dit, Si nous mêmes; mais encore, comme l'Apôtre l'ajoûte; Si un Ange même du ciel vous proposoit autre chose que ce que vous avez receû dans les Ecritures tant du vieux que du Nouveau Testament; qu'il soit anathéme. Ce que le savant Evêque de Rochester Jean Fisher, que l'Eglise Romaine tient pour un Martyr, exprime en ces termes; (2) L'Ecriture Sainte est comme un cabinet où sont renfermées toutes les véritez, qu'il est nécessaire aux Chrétiens de savoir.
Le Sr. de l'Isle pour soûtenir cette prétention de l'Auteur de la Critique, que Jesus-Christ & ses Apôtres ont accommodé les témoignages qu'ils citoiem, aux explications receuës & autorisées par la Tradition; ne fait pas scrupule d'invalider toutes les preuves que Jesus-Christ & ses Apôtres ont tiré du vieux Testament pour confirmer leur doctrine. On ne peut nier, dit-il, quo Jésus-Christ & ses Disciples n'ayent appuyé en plusieurs rencontres les sentimens des Pharisiens contre les Saducéens; & cela par des preuves tirées de l'Ecriture sainte, qui ne peuvent avoir toute leur force, si l'on [...]n'a recours [Page 32]à quelque Tradition qui autotorise ces sortes d'explications. Si l'on reçoit ce préjugé de l'Auteur de la Critique & du Sr. de l'Isle; toutes les preuves que Jesus-Christ & ses Disciples tirent de l'Ecriture pour appuyer les sentimens des Pharisiens contre les Saducéens, ne seront que des Sophismes & de pures illusions, qui supposant ce qui êtoit en question ne prouvent rien contre les Saducéens, puis qu'elles ne peuvent avoir toute leur force, si l'on n'a recours à quelque tradition qui les autorise, & que les Saducéens recevoient seulement toute l'Ecriture, comme Joséphe nous l'apprend, (1) rejettant tout ce qu'on appelloit Tradition. C'est accuser Jesus-Christ & ses Disciples d'avoir manqué de sens commun, puisque parmi ceux qui ont le sens commun, (2) personne, comme dit St. Grégoire de Nysse, ne tire ses argumens de ce qui est en dispute entre les parties, mais de ce qui est confessé de part & d'autre. Mais la passion du Sr. de l'Isle pour défendre les préjugez de l'Auteur de la Critique contre toute sorte de raison & de verité, est telle, qu'il ne se contente pas de faire une fausse supposition qui rend même ridicules les preuves que Jesus-Christ & ses Disciples empruntent des Ecritures du vieux Testament contre les Saducéens; mais il passe beaucoup plus loin, en voulant justifier cette supposition là, & donne pour cet effet un démenti à Jesus-Christ, qui est la Verité même. La résurrection des corps, dit-il, ne se peut démôntrer par le Vieux Testament. N'est-ce-pas-là démentir bien hautement Jesus Christ, (3) qui dit formellement aux Saducéens, sur ce qu'ils nioient la Resurrection, qu'ils êtoient dans cette erreur, parce qu'ils ne comprenoient pas les Ecritures? [...], leur dit-il dans S-Marc; Vous êtes dans l'erreur pour cela, parce que vous ne comprenez pas les Ecritures; & non pas parce que vous rejettez toutes les traditions qui ne sont point appuyées sur le texte des Ecritures. Mais nôtre Seigneur n'en demeure pas-là. Aprés avoir dit aux Saducéens, que leur erreur vient de ce qu'ils ne comprennent pas les Ecritures, il entreprend de démontrer par un passage de l'Exode, que les morts doivent ressusciter un jour: Ce qui seroit une entreprise témeraire & illusoire, si le Sr. de l'Isle a raison de dire, que la Résurrection des corps ne se peut démontrer par le vieux Testament. Jesus-Christ, dont le jugement est infallible, juge sa démonstration si convaincante, que dans la conclusion il se tourne derechef vers les Saducéens, pour leur tenir ce langage, Ainsi vous êtes vous autres dans une grande erreur, [...], comme St. Marc le rapporte chap. 12. v. 27. En effet, si nous [Page 33]en croyons les Evangelistes, cette demonstration férma la bouche aux Saducéens, qui faisoient profession de ne recevoir que l'autorité de l'Ecriture: Elle ravit en admiration le peuple; & elle fut receuë avec applaudissement par les Docteurs qui avoient ouï cette dispute. Mais si nous en croyons le Sr. de l'Isle, elle n'a pû être qu'une illusion, puisque selon lui la Résurrection des corps ne se peut démontrer par le Vieux Testament. Pour ne vous pas ennuyer, Monsieur, par un discours trop étendu sur ce sujet, je soûtiens enfin contre l'Auteur de la Critique & contre le Sr. de l'Isle, que Jesus Christ & ses Apôtres établirent leur doctrine sur l'autorité du vieux Testament, & que quand ils ont approuvé quelques traditions ou doctrines des Pharisiens, c'a êté parce qu'elles êtoient appuyées des témoignages de la même Ecriture solidement exposée, comme au contraire ils rejettoient les autres traditions de ces genslà, parce qu'elles etoient inventées à plaisir, ou fondées sur une fausse interpretation de quelques textes de l'Ecriture. C'est d'où vient que Jesus-Christ ne renvoye jamais personne aux Traditions, pour s'instruire des véritez salutaires, mais toûjours à l'Ecriture: Jamais il ne reprend personne pour avoir rejetté les Traditions. Mais il traite (1) d'insensez, ceux dont le coeur est pesant, & tardif à croire tout ce que les Prophétes ont dit. Il y a même tréspeu d'apparence que l'interprétation établi par l'usage & par la Tradition, favorisât Jesus-Christ & ses Apôtres dans le sens allégorique qu'ils donnent souvent aux passages de vieux Testament, lors qu'ils les citent pour appuyer leur doctrine. Car enfin si la Tradition leur eût êté favorable alors, ceux qui êtoient les plus zélez pour les traditions, & qui en êtoient les mieux instruis, auroient êté les plus faciles à convaincre de la vérité du Christianisme. Et l'expérience a fait voir tout le contraire. Jesus-Christ reproche aux Pharisiens dans Matthieu ch. 15. & dans St. Marc. ch. 7. Qu'ils ont corrompu le véritable sens de l'Ecriture par leurs Traditions; que l'Auteur de la (2) Critique appelle raffinemens. Mais nous ne trouvons aucun texte, qui montre qu'il fût impossible, que les Saducéens, qui condannoient toutes les traditions absolument, fussent convaincus des véritez de l'Evangile par les preuves que Jesus-Christ & ses Disciples en donnoient des Ecrits du vieux Testament. Nous lisonsque St. Paul (3) instruisoit les grans & les petis, ne disant autre chose que ce que les Prophétes & Moyse ont prédit devoir arriver. Et (4) les Juifs de Béroé sont louëz de ce qu'ils examinoient tous les jours les Ecritures, pour voir si la Doctrine du même [Page 34]Apôtre étoit véritable. Nous voyons enfin (1) qu'un Juif nomme Apollon, originaire d'Alexandrie, & fort dans les Ecritures, convainquoit les Juifs publiquement avec une grande force, leur montrant, non pas par la Tradition, mais par les Ecritures, que Jesus êtoit le Christ. Ce seroit perdre du tems que d'en employer d'avantage à confirmer une vêrité quine peut être contestée, que par des gens peu ou point versez dans les Ecris du Nouveau Testament. La seule difficulté qui reste à resoudre, est de savoir en quoi consiste la force des preuves que Jésus-Christ & ses Disciples tirent des textes du vieux Testament, qui selon la Lettre parlent d'autres choses que de celles qu'ils pretendent prouver. (2) Elle consiste en ce que c'a êté par le mouvement du St. Esprit que les Saints Hommes de Dieu ont déclaré les choses dont ils parlent dans cette Ecriture là; & que ce divin Esprit dans la connoissance qu'il avoit que les choses présentes êtoient des types des choses futures, les a tellement inspirez & conduis, qu'en parlant des types ils se sont servi d'expressions, qui à considérer le sens naturel & la force qu'elles ont, ne peuvent se vérifier des figures que trés imparfaitement, mais trouvent dans les choses figurées leur pleine & entiére signification. Ainsi St. Pierre & St. Paul prouvent la Résurrection de Jesus-Christ par ces paroles de David, Vous ne permettrez point que vôtre Saint éprouve la corruption. Ces paroles ne se peuvent vérifier en David selon le sens naturel qu'elles présentent, puisque David, aprés avoir servi en son tems aux desseins de Dieu, s'est endormi, a êté mis dans le tombeau, & y a éprouvé la corruption. Mais comme il êtoit Prophéte, & qu'il savoit que sa deliverance d'entre les mains de ses ennemis, qui avoient conspiré sa mort, êtoit une figure de la Résurrection par laquelle le Christ devoit être delivré des liens de la mort trois jours aprés être expiré; dans cette vuë de l'avenir il a parlé de sa delivrance d'une maniére qui se trouve exactement & pleinement accomplie par la Résurrection du Sauveur, de laquelle elle fut un type, & que le Prophéte a sur tout marquée en disant, que sa chair n'éprouveroit point la corruption. Vous pouvez voir plusieurs autres exemples de cette sorte de preuves dans mes Commentaires sur les douze petits prophetes, sur l'Evangile de St. Matthieu & sur les Actes des Apôtres. Ils sont tous appuyez sur la vérité immuäble de Dieu, qui parle par la bouche des Prophétes, & qui ne se seroit pas exprimé sans parabole & sans métaphore en des termes qui ne se trouvent pas véritables selon leur signification naturelle, s'il n'eût pas voulu prédire par là des événemens, où de telles expressions devoient ensuite trouver leur vérité entiére & leur accomplissement. Passons à ce qui suit dans la Réponse du Sr. de l'Isle. J'avois fait voir dans ma Lettre à [Page 35]Mr. Boyle, que le second argument de l'Auteur de la Critique, pour prouver que l'Ecriture ne suffit pas pour decider les controverses de religion, n'êtoit qu'un pur sophisme. Voici les termes de ma Lettre; ‘La seconde raison du Pére Simon, qu'il appelle une preuve bien évidente, pour démontrer que l'Ecriture ne suffit pas pour dêcider les controverses en matiére de religion, se prend de ce que les Sociniens sont d'accord avec les Protestans, que le seul & véritable principe de la Religion est l'Ecriture sainte; & cependant ils en tirent des conclusions bien differentes. Si le Pére Simon disoit, Les Sociniens & les Protestans différent dans les conclusions qu'ils tirent des Ecritures; Donc les uns ou les autres sont dans l'erreur, parce qu'ils ne comprennent pas les Ecritures; Ce raisonnement seroit juste. Mais je ne voi pas par quelle Logique il tire de là, que l'Ecriture ne suffit pas pour décider les controverses, puisqu'il est manifeste que les Sociniens se conduisent par préjugez dans l'explication de l'Ecriture, comme parle le Pére Simon dans sa Critique du Vieux Testament, liv. 3. ch. 16. Et partant si les Sociniens tirent des conclusions tout-opposées aux Protestans, de la même Ecriture, ce n'est pas l'obscurité de l'Ecriture, qui en est cause, mais ce sont les préjugez des Sociniens, qui font qu'ils abusent de l'Ecriture, pour favoriser le Systéme de religion qu'ils ont inventé independemment de l'Ecriture.’ Le Sr. de l'Isle pour soûtenir la raison de l'Auteur de la Critique, a recours à sa métode ordinaire, c'est-à-dire à un beau tour de paroles, qui n'a ni la sincérité, ni l'exactitude qui se doivent garder dans la dispute. Aprés avoir rapporté cette raison, il ajoûte immediatément ces paroles; En effet il est impossible de tirer des conséquences tout a fait opposées, d'un principe qu'on suppose clair & évident. Quoi! estil impossible de faire de faux raisonnemens? N'y-a-t-il-pas des gens qui tirent de fausses conséquences des principes les plus évidens? St. Optat, St. Basile, St. Jerôme & St. Augustin n'ont-ils-pas tiré des consequences tout-à-fait opposées, du Canon 19. du Concile de Nicée, qui ordonne de rebatiser les Paulianistes? Ils conviennent tous quatre que les Paulianistes sont des Hérétiques, & que le Concile de Nicée commande qu'on les rebatize, lors qu'ils se convertiront. Mais St. Optat & St. Basile concluënt encore de là, qu'il faut rebatizer toutes sortes d'Heretiques; au lieu que St. Jerôme & St. Augustin en concluënt tout le contraire, savoir, qu'il ne faut pas rebatizer toutes sortes d'Hérétiques, comme nous l'avons déja remarqué. p. 19. C'est un principe incontestable parmi les Philosophes, que Dieu est un être infiniment parfait. Cependant ils en tirent des conclusions tout-à-fait opposées, les uns concluant de cette infinie Perfection de Dieu, qu'il gouverne par sa providence toutes les choses même d'ici bas; & les autres en concluant au contraire qu'il ne se mêle point de cette sorte de choses, [Page 36]parce que selon eux il est indigne d'un Etre si parfait, de se mêler de ce qui est si fort au dessous de lui. C'est un principe clair & indubitable, que Dieu est toutpuissant, Mais il s'est trouvé des Théologiens qui ont ôsé en conclure, que Dieu peut mentir, bien qu'il ne le fasse pas: Au lieu que manifestement on en doit tirer une conséquence toute opposée à celle-là, parce que tout mensonge suppose quelque foiblesse & quelque impuissance dans celui qui ment. Mais quand nous accorderions au Sr. de l'Isle, qu'il est impossible que l'on raisonne si mal que de tirer des consequences directement opposées, d'un principe qu'on suppose clair & évident à toute personne non préoccupée; quand nous lui accorderions cette proposition, qui est trés-fausse, cela ne justifieroit pas la prétention de l'Auteur de la Critique, savoir, que l'Ecriture n'est pas claire d'ellemême, parce que les Sociniens & les Protestans en tirent des conclusions toutes différentes; puisqu'il dit en termes formels, comme je l'ai rapporté du 3. Liv. de la Critique, ch. 16. Qu'il est manifeste que les Sociniens se conduisent par préjugez dans l'explication de l'Ecriture. Le Sr. de l'Isle, pour éluder cette réponse, la rapporte d'abord avec peu de sincérité. Voici ses termes. Mais cela (savoir que les Protestans & les Sociniens tirent des conséquences entierement opposées, de l'Ecriture qu'on suppose claire & évidente dans toutes les matiéres qui regardent la foi & les moeurs) cela vient, dit Mr. du Veil, de la malice & des préjugez des Sociniens. Je n'ai jamais dit ni même pensé ce qui le Sr. de l'Isle m'impute, qui est que les Sociniens tirent de fausses consequences de l'Ecriture par malice. Il est même impossible de s'imaginer, que des personnes persuadées, comme les Sociniens témoignent l'être, Qu'il y a un Dieu, qui recompensera ceux qui le cherchent, & qui punira d'une damnation éternelle ceux qui n'obeissent point à l'Evangile de Jesus-Christ; soient capables aprés cela de tourner malicieusement l'Ecriture en de faux sens, à leur propre ruïne. C'est-donc là une calomnie que le Sr. de l'Isle m'attribuê faussement. Et vous savez en particulier, Monsieur, que j'ai toûjours dit des Sociniens, ce que Salvien, savant Prêtre de Marseille dit des Arriens, (1) ‘Ils [Page 37]sont Heretiques, mais sans le savoir. Ils sont Heretiques dans nôtre opinion; mais ils ne le sont pas dans la leur. Car ils se croyent si bons Catholiques, qu'à leur tour ils nous diffament aussi par le titre qu'ils nous donnent de méchans Heretiques. Ils font donc le même jugement de nous que nous faisons d'eux. Nous tenons pour certain qu'ils font injure à la Generation Divine, en ce qu'ils disent que le Fils est moindre que le Pére. Mais ils croyent aussi que nous outrageons le Pére, en soutenant que le Pére & le Fils sont égaux. Nous avons la Verité parmi nous. Mais ils prétendent au contraire qu'elle est parmi eux. L'honneur que l'on doit à Dieu, lui est rendu parmi nous. Mais ils pensent que ce sont eux qui honorent Dieu, en croyant ce qu'ils croyent. Ils nous outragent & nous maltraitent. Mais ce qu'ils font, ils le tiennent pour le premier & le principal devoir de la Religion. Ils sont impies: Mais ils font consister la vraye pieté en ce que nous estimons impieté. Il est donc vrai qu'ils sont dans l'erreur. Mais ils y sont sans malice & avec une bonne intention; ils y sont non par aucune haine envers Dieu, mais plutôt par un mouvement de pieté & de zele, se persuadant qu'ils aiment & qu'ils honorent le Seigneur comme ils le doivent. Quoi qu'ils n'ayent pas une foi pure & légitime, ils croyent pourtant que c'est la foi qu'on doit avoir pour aimer Dieu parfaitement. Ainsi il n'y a que le souverain Juge qui puisse savoir, à quelle peine ils doivent être condamnez au jour du Jugement, pour cela même qu'ils se trompent en ayant un sentiment faux & erroné. Et je croi qu'en attendant Dieu les tolere avec patience, parce qu'il voit, que bien qu'ils ne soient pas dans la véritable foi, ils gardent néanmoins dans leur erreur les mouvemens d'une pieté sincére.’ D'ailleurs le Sr. de l'Isle n'agit pas de bonne foi, en rapportant ce que j'ai dit dans ma Lettre à Mr. Boyle, touchant les préjugez des Sociniens. Car il le rapporte comme si c'êtoit une chose que j'eûsse avancé en l'air, pour me tirer d'affaire: Au lieu que j'ai rapporté les propres paroles de l'Auteur de la Critique, qui sont si expresses qu'il ne faut que les répéter, pour faire voir l'illusion de cet Auteur & celle du Sr. de l'Isle, quand ils prétendent démontrer que l'Ecriture ne suffit pas pour décider les controverses de religion, parce que les Protestans & les Sociniens en tirent des consequences directement opposées. Il est manifeste, dit cet Auteur-là, (1) Que les Sociniens se conduisent par préjugez dans l'explication de l'Ecriture. Si cela est manifeste, & ne peut être revoqué en doute, faut-il s'étonner que ceux qui détournent l'Ecriture à un sens conforme à leurs préjugez, en tirent des consequences tout autres que celles qu'en tirent ceux quine [Page 38]pensent qu'a former leurs sentimens, & leur foi sur l'Ecriture? Il est vray, dit le Sr. de l'Isle, que l'Auteur de la Critique reconnoit ces préjugez dans les Sociniens. Mais il en infére, & avec raison, que le Principe n'est pas si évident qu'on le prétend, puis que les deux partis sont susceptibles de préjugez à l'égard d'une chose qu'ils asséurent être si claire qu'elle saute aux yeux. Il faut que I air de suffisance dont Mr. de l'ssle defend l'Auteur de la Critique emporte aisement les gens & les fasse entrer, comme parle le fameux P. Mallebranche, machinallement dans ses pensées, pour leur persuader que cet Auteur a raison de conclure contre les regles de l'Art de raisonner, & d'inférer de la diversité des conclusions, que les Protestans & les Sociniens tirent de l'Ecriture sainte, quelle n'est pas si claire qu'on le prétend. Car on soutient seulement qu'elle est si claire en tout ce qui regarde la foi & les moeurs, que quiconque la lira avec un soin exact, non pour y chercher de l'appui à ses préjugez, mais uniquement pour s'instruire des véritez salutaires qu'elle contient; la clarté du véritable sens de cette divine Ecriture luy sautera aux yeux. (1) C'est ce qui fait dire à St. Athanase, que dans toutes les Hérésies on se vente de croire comme les Apôtres ont crû; mais que quand on l'examine bien, on découvre que ces gens-là avancent des choses toutes contraires à la doctrine & à la foi des Apôtres. Si en expliquant l'Ecriture on consulte la lumiére naturelie, sans y mêler aucune passion, l'on trouvera que ce que j'ai cité de St. Epiphane dans ma Lettre à Mr. Boyle, n'est pas moins véritable que conforme au sentiment des Protestans. Voici le passage (2) Tout est clair dans l'Ecriture sainte pour ceux qui s'approchent de la parole de Dieu afin de la méditer & d'en raisonner suivant les régles de la pieté, & qui n'ont point receû au dedans d'eux-mêmes les suggestions du Démon, pour se précipiter dans les gouffres de la mort. Le Sr. de l'Isle suppose donc deux choses également fausses, pour défendre cette fausse conclusion de l'Auteur de la Critique, Qu'il faut que l'Ecriture ne suffise pas pour décider les controverses de Religion, puisque les Protestans & les Sociniens, qui sont d'accord qu'elle est le seul & véritable principe de Religion, en tirent néanmoins des conséquences tout-à-fait opposées. La premiere fausseté qu'il suppose, est que l'obscurité de l'Ecriture est la cause que les Protestans & les Sociniens sont susceptibles de préjuges sur l'intelligence de l'Ecriture. Car c'est-là un sophisme qu'on appelle dans l'Ecole, non causa pro causa, parce que le vice de cette sorte d'argument consiste à [Page 39]prendre pour la cause propre d'un effet, ce qui ne l'est pas. Et nous soûtenons avec St. Chrysostome, qu'il n'est pas plus raisonnable d'attribuër à l'Ecriture les préjugez, qui empêchent qu'on n'en prenne le vrai sens, que d'attribuër au miel, l'amertume qu'un goût dépravé y trouve; ou d'imputer aux choses qui sont devant les yeux de tous, le defaut qui fait que les fols ne s'en apperçoivent pas; ou de s'en prendre au ciel, parce que les payens adoroient le ciel comme Dieu. La seconde fausseté qui le Sr. de l'Isle suppose, est que les Protestans & les Sociniens asseûrent que l'Ecriture est si claire, que quoi qu'on se conduise par préjugez en l'expliquant ou qu'on la lise avec negligence, néanmoins le véritable sens de l'Ecriture saute aux yeux. Nous lui soûtenons qu'une telle extravagance n'est jamais tombée dans l'esprit des Protestans, ni des Sociniens; mais qu'ils asseûrent seulement les uns & les autres, que l'Ecriture est si claire, que toute personne qui la lira avec soin & avec attention, en consultant la lumiere naturelle, purgée de toute passion, y trouvera les véritez nécessaires au salut, d'une maniere assez évidente pour n'avoir pas besoin d'une autre aide que celle-là, afin de bien regler sa foi & ses moeurs. Et ils ne disent cela qu'aprés Jesus-Christ, qu'aprés ses Apôtres, & aprés les Péres de l'Eglise. On ne peut donc raisonnablement inférer de ce qu'étant d'accord fur ce principe, ils en tirent néanmoins des conséquences opposés, on ne peut inférer de là autre chose que ce que j'ai dit dans ma Lettre à Mr. Boyle; c'est que les uns ou les autres sont dans l'erreur, parce qu'ils ne comprennent pas les Ecritures, êtant détournez de la droite intelligence des Ecritures par les explications forcées & violentes qu'ils leur donnent, pour les accommoder à leurs préjugez; au lieu de réformer leurs préjugez par cette divine Parole. (1) Ceux qui altérent & falsifient la vérité, ne ployent nullement leur esprit à suivre les Ecritures; mais plutôt ils en renversent le sens, en les exposant à leur fantaisie, pour défendre les opinions particuliéres dont ils sont prévenus. Ou bien il faut que les uns ou les autres ignorent les idiomes & le stile de l'Ecriture, ou qu'ils ne prennent pas garde au but & à la liaison des textes sur lesquels ils appuyent leurs sentimens, ne faisant pas d'attention à ce qui précéde & à ce qui fut. Car, commes j'ai remarqué dans mon Commentaire sur les Actes, Theodoret dit excellemment, qu'il est besoin de savoir les manieres de parler & le stile(2)particulier de l Ecriture, parce qu'autrement on ne sauroit bien connoître [Page 40]ni bien prendre le sens de l'Ecriture. Et St. Chrysostome nous avertit en mille endrois, de la nécessité qu'il y a de considerer attentivement toute la suite d'un texte de l'Ecriture, pour trouver le véritable sens de ce texte-là. (1) Il ne suffit pas de dire, Il est écrit dans l'Ecriture. Mais il faut lire avec soin toute la suite du texte. Car si nous rompons la connexion & la liaison naturelle des paroles de l'Ecriture, il naîtra infailliblement de là beaucoup de dogmes pernicieux. Mais de conclure que l'Ecriture n'est pas claire, parce que les Protestans & les Sociniens en tirent des conséquences si opposées; cela est aussi contraire aux régles du bon raisonnement, que si quelqu'un concluöit que c'est la Philosophie qui engage les hommes à soûtenir des absurditez, parceque Cicéron a dit, (2) Qu'il n'y a rien de si absurde, qui ne soit affirmé par quelqu'un des Philosophes. C'est en soutenant l'évidence de l'Ecriture, dit le Sr. de l'Isle, que les Sociniens aussi bien que les Protestans font paroître leur illusion, lors qu'ils disputent entre eux des matieres les plus importantes de la Religion; comme quand Socin prétend, que c'est renoncer au Christianisme que de ne pas adorer Jesus-Christ, bien qu'il ne soit pas Dieu, & qu'au contraire plusieurs de ses confréres affirment hautement, que l'adoration n'etant duë qu'à Dieu seul, on ne peut adorer Jesus-Christ sans tomber dans l'idolatrie. La Tradition de toutes les Eglises qui l'ont toûjours adoré, décide nettement en faveur de Socin, ainsi qu'il le reconnoit lui-même. Et cette même Tradition jointe à l'Ecriture lui devroit aussi faire avouër de bonne foi, que Jesus Christ est véritablement Dieu, puisqu'on le doit adorer. Toute cette période est illusoire: Car il est faux que la Tradition décide, qu'on doive adorer Jesus-Christ, bien qu'il ne soit pas Dieu; & que Socin ait jamais prétendu que la Tradition de toutes les Eglises, qui ont toûjours adoré J. C. décide nettement en sa faveur, comme dit le Sr. de l'Isle. Car au contraire, Socin reconnoit que ces Eglises-là êtoient persuadées que Jesus Christ est vrai Dieu. Mais il soûtient que Dieu a si clairement révélé dans les Ecritures, que c'est sa volonté, qu'on adore Jesus-Christ, qu'il n'êtoit pas besoin d'un précepte distinct & particulier pour cela, & que ceux-là se trompent par conséquent, qui pretendent que l'on ne doit pas adorer Jesus Christ, parce que Dieu ne l'a pas expressément commandé. Voici ses paroles; (3) Ce que vous tenez [Page 41]pour maxime, comme vous dites, qu'il n'est commandé nulle part dans l'Ecriture d'adorer Jesus Christ; d'où vous concluëz que non seulement il ne doit pas être adoré, mais que même il ne nous est pas permis de l'adorer; je répons à cela en deux manieres. Car & la mineure & la conclusion de l'argument sont fausses. Je prouve l'un & l'autre tout d'un tems par deux témoignages de l'Ecriture, qui tous deux font voir, & que Dieu veut que nous adorions Jesus-Christ, & qu'il n'a pas êté nécessaire néanmoins que sa volonté lâ dessus nous fût déclarée en termes exprés; parce que la chose nous enseigne d'elle-meme, que nous devons indispensablement adorer Jésus Christ. Le premier témoignage est contenu dans les paroles mêmes de Jésus-Christ, Jean. 5.22, 23. Aprés s'être étendu sur ces paroles de Jesus-Christ, il tire l'autre témoignage de l'Epitre de St. Paul, aux Philippiens, ch. 2. v. 9. où la même volonté de Dieu, que toutes les Creatures adorent Jesus-Christ, est distinctement exprimée. Enfin, il conclud cette dispute par dire, que la clarté avec laquelle l'Ecriture enseigne, qu'on doit adorer Jesus-Christ, & qu'on le peut invoquer, a donné lieu à cette Tradition, que Jesus-Christ est le seul & vrai Dieu qui a crée toutes choses, laquelle il suppose être contraire à l'Ecriture. ‘D'où pensezvous, dit-il, qu'il soit arrivé que (1) tant de grans hommes, dont le nombre est infini, si célébres & par leur pieté & par leur savoir; que tant de Saints Martyrs du Seigneur Jesus lui même, depuis presque la naissance de l'Eglise Chrétienne jusqu'a présent, soient tombez pourtant dans cette grande erreur que Jesus-Christ est ce seul Dieu qui a crée l'Univers, ou pour le moins qu'il a êté engendré de la propre substance de Dieu; si ce n'est de ce qu'ils ont remarqué que l'Ecriture attribuë si clairement à Jesus-Christ, les choses qui ont accoutumé d'être attribüées à Dieu seul, sur tout l'adoration & l'invocation, & les choses dont on ne peut séparer le devoir indispensable de l'adoration ni l'invocation, qu'il est tres convenable de lui addresser?’ Socin donc n'appuye pas son sentiment touchant l'adoration que nous devons à Jesus-Christ, sur la Tradition de toutes les Eglises qui l'ont toûjours adoré. Mais il soutient que cette Tradition conforme à son sentiment, est fondée sur des textes si clairs de l'Ecriture, qu'un homme de bon sens ne peut n'en reconnoître pas l'evidence. Ainsi lui demander, pourquoi il reçoit la Tradition [Page 42]de toutes les Eglises qui ont toûjours adoré Jesus-Christ, laquelle il croit fondée sur l'Ecriture; sans recevoir celle qui enseigne qu'il est le vrai Dieu, qui a créé l'Univers, laquelle il suppose fausse & contraire à l'Ecriture; c'est lui demander pourquoi il agit suivant fon principe, qui est que l'Ecriture est la seule Régle de nôtre Foi & de nôtre Religion. Aureste il se trompe en prétendant que l'Ecriture n'enseigne pas clairement que Jesus-Christ est véritablement Dieu, parce qu'il se conduit par ses préjugez en expliquant l'Ecriture. C'est pourquoi nous pouvons dire de lui, ce que au rapport d'un savant Anglois (1) St. Augustin dit de St. Cyprien, comme nous l'avons rapporté ci-dessus, p. 23. Sachant & étant persuadé que l'Ecriture est la droite Régle de la vérité, il a neanmoins péché contre cette régle.
Enfin le Sr. de l'Isle entreprend de soûtenir ce que l'Auteur de la Critique s'est imaginé, Qu'il y a eû de tout tems comme un abbrége de la Réligion indépendemment de l'Ecriture. Mais les passages que j'ai rapporté des Péres dans ma Lettre à Mr. Boyle, & ceux que j'en ai encore cité ci-dessus, font voir la vanité de cette imagination, en découvrant que les Abbrégez dont l'Eglise se servoit pour l'instruction des enfans & des personnes les plus simples, étoient des Recueils qu'on avoit fait des sentences de l'Ecriture, qui paroissoient les plus importantes, & qui exprimoient le plus clairement les véritez dont la connoissance distincte est nécessaire pour le salut. Ainsi quand les Péres & les Conciles, pour décider quelques controverses de Religion, ont recours à l'Analogie de la Foi contenuë dans ces Abbrégez; ils agissent selon la Regle du bon sens, qui veut qu'on explique les passages obscurs de l'Ecriture par ceux qui sont clairs & nets; (2) Ce qui semble être exprimé ambiguement & obscurement en quelques endrois des Ecritures divines est éclairci par ce que l'on reconnoit y être enseigné ailleurs clairement. Mais le Sr. de l'Isle nous demande, D'où ces Eglises Apostoliques, qui ont êté fondées avant que les Livres du nouveau Testament fussent écrits, ont tiré leurs Catéchismes ou Instructions? Je lui répons, qu'ils les ont tiré de la prédication des Apôtres, qui publioient de vive voix toutes ces mêmes véritez, qu'ils ont rédigées par écrit ensuite, pour empêcher qu'elles ne fussent altérées par le mélange de l'erreur & du mensonge; & qu'ils prouvoient (3) par les paroles & par les Ecritures de la Loi & des Prophetes, comme dit [Page 43]le vénerable Bede. De maniere que comme ils démontroient par les Ecrits de Moyse & des Prophétes, toutes les véritez qu'ils enseignoient, premiérement de bouche, & ensuite par leurs Ecrits; les abbrégez qu'on faisoit de leur Doctrine, tiroient leur autorité de l'Ecriture, qui autorisoit toute la Doctrine dont ils êtoient extrais. C'est pourquoi les Péres parlant de ces abbrégez de foi, ne disent pas, comme le Sr. de l'Isle les fait parler, qu'ils sont conformes à l'Ecriture; mais qu'ils en sont pris & tirez. (1) Les Articles de nôtre Confession de Foi, dit Cyrille de Jerusalem, n'ont pas êté dressez suivant la fantaisie des hommes; mais ils ont êté extrais de toute l'Ecriture, comme les plus propres pour nous apprendre dans une legon tout ce que nous sommes obligez de croire.(2)Les Péres des Eglises, dit une autre Prelat, veillant pour le salut des peuples, ont recüeilli de divers Livres de l'Ecriture, des témoignages remplis de mystéres divins. De là vient que Cyrille immédiatement aprés le passage que j'ay cité de ses Catecheses, compare le Symbole de la Foi à un grain de moûtarde, qui quelque petit qu'il soit, ne laisse pas de renfermer dans sa vertu quantité de branches. (3) Comme la semence de moûtarde contient un grand nombre de branches dans un petit grain; ainsi l'abbrége de foi contenu dans le Symbole 'embrasse & comprend en peu de mots toute la doctrine de pieté qui se trouve dans le vieux & dans le nouveau Testament.(4)Ces paroles, dit St. Augustin expliquant le Symbole aux Catechuménes, sont dispersées dans les Saintes Ecritures. Mais elles en ont êté tirées, & ont êté assemblées dans cet Abbrége, pour soulager la mêmoire de ceux qui apprennent difficilement les choses; de sorte que chacun puisse dire, puisse savoir & retenir ce qu'il croit. Paschase, Diacre de l'Eglise Romaine, parlant de la foi des Chrétiens, s'en exprime ainsi: (5) Comme la vigilance des Apôtres & la perfection de leurs Lumiéres avoient étendu cette foi dans leurs saints écrits, elles la rassemblérent aussi avec une briéveté admirable dans ce Recüe;eil salutaire du Symbole; elles le reduisirent en un [Page 44]corps comme diverses espéces de remédes assemblez en un; & composérent comme un parfum precieux, d'une infinité de drogues odoriferantes. Rhabanus Maurus (1) parlant du même Symbole, qu'on attribuë communément aux Apôtres, dit comme St. Cyrille de Jerusalem, qu'il est concêu à la vérité en peu de paroles; mais qu'il contient (2) tous les dogmes ou toute la doctrine de la foi; Et il rend la même raison que rend St. Cyrille de ce qu'on a extrait de l'Ecriture cet Abbregé de la foi; voulant que ç'ait êté pour donner une instruction suffisante des véritez du salut à ceux qui ne peuvent lire l'Ecriture, ou qui n'en ont pas le loisir. (3) Il est exprimé en peu de mots, dit-il, mais il contient tous les mystéres de la foi. Car ces articles ont êté recueillis briévement de toutes les Ecritures par les Apôtres, afin que ceux des fideles qui ne savent pas lire, & que ceux encore qui sachant lire, sont si occupez des affaires de cette vie qu'ils n'ont pas le tems de consulter les Ecritures; apprenant & retenant bien cet Abbregé, ayent par ce moyen une connoissance qui suffise pour leur salut. Ce symbole donc n'étant qu'un extrait des dogmes fondamentaux de nôtre foi, répandus dans toutes les Ecritures; il est évident que quand Flacius Illyricus & du Plessis Mornay disent, qu'on doit expliquer les difficultez de l'Ecriture par le moyen de cet Abbregé, que St. Cyrille appelle en core, (4) La foi enseignée par l'Eglise & appuyée sur les témoignages de toute l'Ecriture; ils ne supposent nullement, comme l'Auteur de la Critique & le Sr. de l'Isle le prétendent, qu'il y ait jamais eû dans l'Eglise un Abbregé de foi indépendemment de l'Ecriture. Mais ils veulent que pour expliquer les passages difficiles de l'Ecriture, on ait recours à cet extrait, qui contient les dogmes les plus clairs de l'Ecriture; parce qu'agir de la sorte, c'est, comme j'ai dit dans ma Lettre à Mr. Boyle, expliouer les passages obscurs par ceux qui sont plus clairs, comme le bon sens le veut. Enfin le Sr. de l'Isle, aprés le fameux Evêque André Dudith, prétend que nos premiers Reformateurs ayant recours dans leurs disputes contre les Antitrinitaires, à l'Analogie de la foi autorisee par les Péres & par les Conciles; renoncent par là au premier & véritable principe de leur Religion; qu'ils supposent être la seule Ecriture. Mais cette prétention s'évanouït d'elle même, quand on considére que les Péres & les Conciles orthodoxes qui ont décidé cet article; ne l'ont fait que parce qu'ils le voyoient fondé sur l'autorité de [Page 45]l'Ecriture, qu'ils tenoient pour la seule Régle de la foi. On élevoit dans les Conciles au milieu de l'Assemblée, un trône sur lequel on plaçoit l'Ecriture Sainte, pour môntrer à tous, que leurs décisions devoient être appuyées sur l'autorité de cette Ecriture. Et ils êtoient tous persuadez avec St. Irénée, (1) Que les véritez établies dans les Ecritures, ne se peuvent démontrer que par les mêmes Ecritures. Le Grand Constantin parle ainsi à l'Assemblée des Evêques du prémier Concile de Nicée; (2) Les Livres des Evangelistes & des Apôtres, & les oracles des anciens Prophétes nous instruisent clairement de ce qu'on doit savoir & croire touchant la Divinité. Bannissant donc toute contestation qui pourroit semer la guerre parmi nous; puisons des enseignemens inspirez de Dieu, la décision des choses controversées entre nous. St. Athanase, qui fit une bonne partie de ce Concile, & que les Antitrinitaires regardent comme leur plus grand aversaire; soutient que (3) Les Ecritures saintes & inspirées de Dieu, sont suffisantes par elles-mêmes pour démontrer pleinement la vérité.(4)Que tous en lisant les divines Ecritures, peuvent connoitre clairement par ce moyen, quelle est la foi véritable & sainte que nous devons avoir en Jesus Christ.(5)Si vous voulez, dit-il ailleurs, si vous voulez avancer des choses qui ne soient pas contenuës dans l'Ecriture, pourquoi disputez-vous avec nous qui sommes résolus de n'écouter & de ne dire que ce qui y est contenu? Bellarmin lui même avouë, que le Concile de Nicée a tiré de l'Ecriture ce dogme, que Jesus-Christ est consubstantiel au Pere. (6)Lors, dit-il, que le Concile de Nicée a decidé que Jesus-Christ est consubstantiel au Pére, il l'a inferé & conclu ainsi des Ecritures. Enfin je dis que nos premiers Reformateurs, & nos Théologiens d'aujourd'hui ne renoncent pas à ce principe, que la parole de Dieu contenuë dans les Saintes Ecritures, est la Régle suffisante & unique de la foi; lors que dans leurs disputes contre les Antitrinitaires, ils alléguent les Péres & les Conciles de l'ancienne Eglise. Car renoncer â un tel principe, ce seroit condamner les Péres eux-mêmes, en prétendant s'appuyer de leur autorité, puis que selon eux, c'est une audace inspirée par le démon, que de recevoir comme un dogme de foi divine, [Page 46]quelque chose qui ne soit pas fondé sur le témoignage de l'Ecriture. (1) C'est un attentat diabolique, dit Théophile Patriarche d'Alexandrie, que de tenir pour divin quoi que ce soit sans l'autorité des Ecritures. (2)Il y a de la témérité, dit Theodoret, â asseurer des choses dont l'Ecriture ne dit rien clairement & nettement.(3)Nous rejettons, dit St. Augustin, tout ce qui est pris d'ailleurs que des Ecrivains sacrez. (4) Ils s'étonnent même comment il est possible, d'admettre au nombre des véritez de la foi, un dogme qui ne se trouve pas appuyé sur l'Ecriture, comme je l'ai fait voir ci-dessus, p. 26. Les Protestans ne citent donc pas les Péres & les Conciles dans leurs disputes contre les Antitrinitaires, ni dans leurs autres controverses, comme si l'Ecriture n'êtoit pas suffisante pour décider ces différens de Religion. Mais pour lever le soupçon qu'on pourroit avoir, qu'ils sont conduis dans l'explication de l'Ecriture par l'entêtement de leurs préjugez, ils font voir par lâ, que leur interprétation est la même que celle de toutes les personnes de l'Antiquité qui êtoient éminentes en erudition & en sainteté. Car ces Sts. Péres êtoient si éloignez de former ou de suivre aucun systéme de Réligion indépendemment de l'Ecriture, qu'ils ne se contentoient pas d'appuyer leurs sentimens sur les doctrines de l'Ecriture; mais qu'ils avoient même accoutumé de les exprimer dans les termes de l'Ecriture, comme le remarque le savant Evêque d'Ypres Jansenius, dont j'ai rapporté les paroles dans ma Lettre à l'incomparable Mr. Boyle. Ils étoient persuadez qu'une exacte connoissance de l'Ecriture étoit absolument nécessaire aux Ministres de l'Evangile, témoin ce que dit lâ-dessus le second Concile même de Nicée, (5) L'essence de nôtre autorité spirituelle & sacrée, c'est les Oracles de Dieu, c'est-à dire une véritable connoissance des Ecritures dîvines. Ils vouloient qu'on n'approuvât aucune doctrine ni aucune explication, qui ne fût fondée sur l'Ecriture. (6) Sur tout ce que nous avancons en matiere de Réligion, dit Origéne, il faut pour le bien appuyer, que nous produisions le sens de l'Ecriture, & que nous en confirmions celui que nous proposons. Toute exposition qui n'est pas appuyée sur l'Ecriture, quelque admirée qu'elle soit de [Page 47]quelques uns, ne peut être bonne & sainte parce qu'elle n'est pas contenuë dans le sens de l'Ecriture. Et dans un autre passage, (1) Que ce que les Docteurs de l'Eglise annoncent au peuple, soit toûjours muni des témoignages divins de l'Ecriture. Car si St. Paul, qui fut un si grand Apôtre, ne croit pas que l'autorité de ses paroles soit suffisante, s'il ne môntre en même tems, que ce qu'il dit est écrit dans la Loi & dans les Prophétes; combien à plus forte raison devons-nous suivre cette métôde, nous qui sommes si peu de chose au prix de lui? Je finis ma Lettre par un célebre passage de St. Augustin disputant contre les Donatistes, puisque le Sr. de l'Isle veut que nous consultions principalement ce qu'il a êcrit contre ces Schismatiques-lâ, pour être bien informez des principes de ce St. Docteur. (2) ‘Nous demeurons constamment dans cette Eglise que nous avons connuë par les mêmes Ecritures qui nous ont fait connoitre Jesus-Christ. Car nos Ecritures, á l'autorité desquelles nous nous soumettons les uns & les autres, nous recommandent Jesus-Christ & l'Eglise comme un mariage saint, savoir Jesus Christ comme l'Epoux & l'Eglise comme son Epouse. Où nous reconnoissons l'Epoux, nous devons aussi y trouver l'Epouse. Supposé donc que nous fussions nez depuis peu de tems, & que nous delibérassions dans l'Afrique a laquelle des Communions qu'on void parmi les Chrétiens, nous devrions nous ranger; sans doute que nous devrions suivre celle que nous trouverions dans les Ecritures, rejetter les opinions téméraires & calomnieuses des hommes, & nous tenir aux seuls oracles divins, qui sont incapables de mentir. Je suis, &c.’
A Londre ce 31 de Janvier, 1684/5.
Fautes a corriger.
P 4. col. 2. l. 35. lisez, temeraire. p. 20. not. l. 1. lisez, Nemo vobis credat, nemo nobis. l. ult. lisez, Num. 30. & in lib. De quinque haeresibus cap. 6. p. 26. col. 2. l. 23. lisez, [...].