Sermon sùr ces Paroles de l'Ep. de St. Paul à Tite, chap. 3. vers 1.
Exhortez les à être sujets aux Principautez, & aux Puissances, & à obeïr aux Magistrats.
VOUS savez tous quelle sorte de sujet, il faut que je traitte pour satisfaire à l'obligation de ce jour, puis que pour repondre au dessein que l'on c'y est proposé en le celebrant, le grand devoir d'un Predicateur, est d'insister sur l'obeïssance inviolable, que l'on doit aux Puissances qui nous gouvernent, & de Prêcher contre les factieus & les rebelles. C'est dans cette veüe que l'ordre marqué dans nôtre liturgie, pour le service Divin de ce jour porte expressément que si au lieu d'y lire une de nos Homilies, il y a un Sermon, il sera toujours sur cette matiere.
Et ce n'est pas sans de grandes raisons que nos Superieurs ont pris soin d'ordonner des Jours extraordinaires, dans lequels les Predicateurs seroient obligez de Prêcher sur ce sujet, d'une maniere plus solemnelle; car quoy qu'il [Page 2]soit aussi necessaire de Prêcher sur cette matiere que sur aucune autre. On n'ignore pas qu'il y a parmy nous plusieurs Personnes, qui croyent que la chaire de l'Evangile, n'est nullement un lieu propre pour traiter ces sortes de sujets, j'avoüe que je les ay eües en veüe, lors que je me suis determiné à choisir les paroles que je viens de lire en nôtre presence, parce que j'ay crû y trouver des raisons invincibles pour refuter cette erreur.
St. Paul dans ces paroles recommande à Tite d'Exhorter les Peuples qui seront commis a ses soins d'être sujets aux Principautez, & aux Puissances, & d'obeïr à leurs Gouverneurs.
J'ay donc deux choses à considerer dans ces paroles la. 1. Qui est celuy à qui St. Paul ordonne d'exhorter. La seconde en quoy consiste cette Exhortation.
Je commence d'abord par la personne à qui St. Paul êcrit cette Epître, & à laquelle il impose ce devoir d'Exhorter les Peuples à être sujets.
La Personne c'est Tite, c'est un Ecclesiastipue, un Evêque, un Predicateur de l'Evangile, ce n'est ny un Laîque, ny un Magistrat c'est purement un Homme d'Eglise, Consacré par la main de St. Paul, ce Caractere dont Tite paroist icy revêtu, n'est pas seulement un Argument invincible, pour refuter la pensée de ceux qui s'imaginent, qu'il n'appartient pas à un Predicateur de traiter en chaire ces sortes de sujets, [Page 3]il prouve de plus qu'une des parties essentielles des fonctions de son Ministre est de Prêcher l'Obeïssance & la fidelité au Gouvernement, que c'est un devoir qui luy est imposé, & qu'il doit necessairement remplir pour reponpre à l'intention de St. Paul, s'il y à qu'elcun qui ose soûtenir le contraire, ou il faut qu'il dise que St. Paul na pas bien instruit son Disciple, qu'il luy à imposé un devoir, qui ne peut être imposé à un Evêque: Ou qu'il fasse voir que le Ministere de Tite est different, de ce qu'est aujourd'huy le Ministere de l'Evangile, & je ne pense pas qu'il soit bien facile, pour ne pas dire impossible de prouver aucune de ces deux choses.
Et cependant nous sommes venus dans des temps, ou les Ministres de l'Evangile qui s'acquitent de ce devoir dans leurs chaires, sont exposez à de tres sevéres censures, j'avoüe que selon mon sentiment un Ministre de l'Evangile est l'Homme du monde, qui à le plus d'interest à se mêler le moins des affaires d'autruy, n'a t'il pas dans le siennes propres assez d'occupation, c'est une sorte d'occupation même, qui malgré toutes les precautions imaginables, luy fait toûjours naître mille difficultez, & mille ennemis; ne manqueroit il donc pas de prudence, s'il vouloit se charger d'autres soins que ceux qui regardent les fonctions de son Ministere, & s'exposer ainsi sans necessité à des dangers presque inévitables. Une si fausse demarche. [Page 4]rendroit tout son Ministere infructueux, puis qu'il est certain, que le succez de ses veilles, & de ses trauvaux, depend particulierement de l'Estime qu'on à pour sa personne, & de la bonne opinion, qu'on a de sa conduite.
Mais la question est de savoir ou est donc le scandale, & si l'on a sujet de condamner un Predicateur, pour traiter dans ses Sermons la matiere de l'Obeïssance au Gouvernement; on pretend que pour plusieurs raisons, il ne le doit jamais faire, j'en toucheray icy quelques unes.
On dit en premier lieu, que le devoir d'un Ecclesiastique, est d'instruire les Hommes dans la Religion de Jesus Christ, de Prêcher contre le peché, & contre le vice, d'Exhorter a la Sainteté, à l'Amendement de vie, à une affection mutuele, & a la Charité, & quel raport dit on, ont toutes ces matieres, avec celles du Gouvernement.
Je repons qu'a la verité ces deux sortes d'affaires, sont de deux ressors bien differens, & que ce qui n'appartient qu'aux Ministres d'Etat, ne doit jamais être l'occupation d'un Ministre de l'Evangile; le seul ouvrage qui luy a êté donné à faire, c'est de faire de bons Chrêtiens soit en s'efforçant de graver profondement dans leurs coeurs, la Doctrine & les Promesses de nôtre Sauveur, soit en les persuadant à conformer leur vies à la Sainteté de ses Preceptes, c'est la à proprement parler nôtre affaire, & nous sommes infideles à nôtre devoir, si elle seule [Page 5]ne nous occupe tous les jours de nôtre vie, n'est cē donc pas abandonner l'autel, n'est ce donc pas abandonner la chaire, que d'y mêler des Matieres qui regardent purement le Gouvernement de l'Etat.
Mais apres tout, s'ensuit il de tout cela, que nous né soyons pas obligez autant de fois que l'occasion s'en presente, à prêcher l'Obeïssance & la Fidelité que nous devons à nos Gouverneurs, non ce n'est pas là proprement une affaire d'Etat, c'est une affaire de l'Evangile, & nous ne pouvons instruire les Hommes dans la Religion de Jesus Christ, sans leur enseigner cette Doctrine.
S'il êtoit indifferent à un Chrêtien pour être sauvé, d'être bon ou mechant sujet à son Prince, peut être pourroit on dire alors qu'il seroit indifferent à un Predicateur d'enseigner cette Doctrine, mais il s'en faut bien que la chose ne soit ainsi.
Car l'Ecriture nous enseigne, qu'une des parties essentielles de la Saintete d'un Chrêtien, c'est de se conduire paisiblement d'obeïr au Gouvernement, sous lequel il vit, non seulement par la crainte de l'irriter ou d'en être puny, mais encore par principe de conscience: & la pratique de cette Vertu, nous est aussi necessaire pour obtenir le Salut, que la pratique des autres Vertus qui nous sont recommandées dans l'Ecriture, c'est pourquoy si nous voulons instruire les Hommes dans la Religion de Jesus Christ, & dans tous les differens points de la Sainteté que cette Religion [Page 6]exige de nous, nous devons les instruire aussi dans celuy qui regarde l'Obeïssance.
Un des plus grands & de plus enormes pêchez que l'Evangile nous ordonne d'eviter, c'est le peché de Sedition & de Rebellion, si nôtre Ministere nous oblige donc à prêcher contre les vices & contre les pechez opposez contraires au Christianisme, quî doute que ce ne soit nôtre devoir de foudroyer ce peché?
Nous avoüons qu'un des grands devoirs que nous impose nôtre Caractere, c'est de recommander, c'est de presser la necessité d'un amour Chrêtien, & de la charité, mais si ce point est necessaire comme il n'en faut point douter, celuy de recommander l'Obeïssance à l'authorité Legitime, ne l'est il pas autant ou plus, puisque sans Obeïssance, il est impossible que cet Amour & cette Charité subsistent, c'est leur commun lien, c'est ce qui les unit: rompez ce lien, rompez ce noeud de leur societé: Que seront les Hommes? Des Ours & des Tygres, les uns aux autres.
Mais ajoute t'on, est ce aux Predicateurs à traitter dans leur chaires ce point delicat de l'Obeïssance, en sont ils des Juges competens, savent ils les justes bornes de l'Obeïssance & de la Fidelité, ce que c'est que d'être un bon, ou un nouvais sujet à sa Patrie, ces choses dependant absolument, & de l'Etendue qu'on donne aux loix, & de la constitution du Gouvernement, sous lequel nous vivons, dont la determination & le jugement appartient proprement aux cours Civiles, & non pas aux Gens de leur caractere.
J'avoüe que le jugement de toutes ces choses, appartient proprement à nos Parlemens comme Legislateurs, à nos Juges & à nos Legistes comme aux interprêtes des Loix, & que ce n'est point à nous dans nos Chaires à entrer dans la discussion de ces points, malheur à quiconque de nous l'entreprend, il en repondra, & devant Dieu & devant les Hommes, tout ce que nous pretendons, est d'enseigner en general les devoirs indispensables de l'Obeïssance des Peuples, aux Loix, & aux Puissa nces Souveraines, Lecon que Jesus Christ & ses Apôtres nous ont enseigné, en mille, & mille endroits de nos Saints Livres.
Il est vray qu'un Ministre de l'Evangile seroit inexcusable s'il faisoit de sa Chaire un Siege de Judicature, s'il y donnoit son jugement, sur la maniere dont les affaires publiques doivent être maniées, s'il vouloit enseigner comme l'ayant apris de Christ, de quelle maniere doivent être gouvernez les Royaumes ou les Republiques, s'il entreprenoit de marquer les limites du pouvoir Souverain, les Prerogatives du Prince, ou la liberté des sujets dans le Gouvernement ou nous vivons, ce seroit entrer dans des matieres purement d'Etat, & je ne sçay comment il pourroit se deffendre d'une juste Censure, pour s'être mêlé d'affaires qui n'estoint pas de sa commission: c'est la proprement entrer dans des misteres de Politique, & faire une manifeste usurpation, sur les droits d'une profession bien differente, & qui n'appartiennent qu'a des Gens d'un tout autre [Page 8]Caractere, bien loin que j'approuve cette temerité, elle me paroît aussi ridicule dans un Predicateur, que s'il vouloit se meller dans sa Chaire, de decider du droit d'une possession, qui se dispute par deux Avocats dans le barreau.
Mais quel rapport a tout cela, à l'Exhortation que fait un Predicateur à obeïr & à être sujets au Gouvernement, qu'il paroisse aussi odieux qu'il vous plaira, s'il se mêle des affaires qui son purement Politiques, il est certain qu'on ne peut nier que ce ne soit son devoir, d'exhorter tous les sujets à être fideles à leur Prince, à vivre paisiblement sous son Gouvernement, à obeïr à toutes les Loix qui sont faites par une authorité Legitime, à s'y soûmetre quand on ne peut pas obeïr, & à n'exciter jamais sous ce pretexte aucun trouble dans l'Etat, c'est la le grand devoir d'un Ministre de l'Evangile, & tout ce que je soûtiens, qu'en matiere de Gouvernement il a le pouvoir de faire.
Ne sortir pas de ces bornes, ce n'est pas se mêler de ce qui est purement Politique, ce n'est ny resserrer les Prerogatives du Prince, ny êtendre la liberté des sujets, ce n'est point entrer dans les disputes que les interprêtes des Loix peuvent faire naître sur ces matieres, c'est faire nüement & simplement des leçons de Paix, de Fidelite & d'Obeïssance à nos Conducteurs; Leçons que les loix de la nature ont gravées dans nos coeurs, Leçons que Jesus Christ & ses Apôtres ont enseignées, par tout où ils ont porté leurs pas, Leçons en un [Page 9]mot, qui sont enseignées encore aujourd'huy dans tous les Gouvernemens du monde, soit Monarchies, soit Republiques.
Et s'il arrive quelque fois, que nous soyons obligez de faire de ces regles generales des applications particulieres, au Gouvernement étably parmi nous, c'est seulement dans des choses qui n'appartienent proprement qu'a nôtre Nation, & qui sont visiblement essentielles à la Constitution de son Gouvernement, tels que sont, par exemple les Serments d'Allegeance & de Supremacie, & tous les autres que nos Loix font prendre à tous les Sujets, pour la seureté du Gouvernement: s'il est donc necessaire pour observer, tous ces divers Serments, d'être bien instruit, & de leur Nature, & de leur Obligation; peut on croire qu'un Predicateur sorte de son Caractere qu'il usurpe l'Office d'autruy, lors qu'il prêche, lors qu'il insiste sur ses matieres aussi importantes à la Religion, qu'a l'Etat même: Et si c'est le devoir de châque Sujet, d'être instruit de toutes ces choses pour les pouvoir pratiquer? Qui doute que ce ne soit le devoir de leurs Pasteurs, & de leur en recommander la Pratique.
Enfin on objecte qu'il est presque impossible, qu'un Predicateur s'engage dans ces Matieres, sans se trouver luy même insensiblement engagé, dans quelcun des partis, & sans entrer peut être dans ces malheureuses factions, que l'on voit trop souvent parmy nous. Est il rien [Page 10]de plus indigne d'un Ministre de l'Evangile de paix, que d'entrer dans des partis, & dans de factions. Objection ridicule, foible raisonnement s'il en Fût jamais, car je vous prie; Est ce une Faction, est ce un Party, que le Gouvernement êtably pour les Loix, qui le poura, qui osera disje s'efforcer de le maintenir; est ce favoriser un tel party, ou une telle faction? quelle pensée plus ennemie du bon sens: il n'est à proprement parler de factieux, il n'est de fauteurs de partis, que ceux qui s'efforcent de mêpriser, d'affoiblir, & de detruire le Gouvernement & les Loix, quels que peussent être leurs principes, quelque pretextes dont ils se servent, ils ne peuvent eviter cet titres odieux. Mais un Ministre de Jesus Christ, qui prêche, qui recommande l'Obeïssance & la Sujettion aux Loix, bien loin d'entrer dans aucun de ces Partis, dans aucune de ces Factions, se declare au contraire contre tous ces Partis, contre toutes ces Factions, & il est obligé de le faire: son devoir, son Caractere l'oblige non seulement à se ranger du coté du Gouvernement êtabli par les Loix, mais de plus à s'opposer aussi vigoureusement qu'il luy est possible, à tous ceux qui par de voyes secretes tachent de l'ebranler, ou qui osent l'attaquer à force ouverte: en un mot il doit se declarer contre tous ceux qui voudroient y faire des changemens & des innovations, par quelques noms qui puissent se distinguer; lors sur tout qu'ils travaillent [Page 11]à ces changements par d'autres moyens, que ceux que les Loix, & la Constitution essentielle du Gouvernement ne le permettent.
Voyla ce que j'avois à remarquer sur la premiere partie de mon Texte, je veux dire sur le sujet de la personne, à laquelle St Paul recommande d'exhorter. Je passe à la Seconde partie, qui est l'exhortation, la chose elle même que l'on ordonne aux Peuples d'être sujet aux Principautez & aux Puissances, & d'obeïr aux Magistrats.
Il se trouve icy deux choses a bien examiner avec soin. La Premiere, quelles sont ces Principautez, ces Puissances & ces Magistrats; La Seconde, en quoy consiste cette sujettion, & cette Obeïssance que nous leur devons.
Ces Principautez, Ces Puissances & Ces Magistrats, sont sans doute les Chefs Supremes & Souverains de châque Nation, & les Officiers êtablis par eux? Que la forme du Gouvernement soit ce quelle voudra selon les Constitutions des differens Païs? Que l'authorite Souveraine, soit deposée entre les mains de plusieurs ou d'un seul, il n'importe: Ce sont la les Principautez, ce sont les Puissances ausquelles nous devons être sujets, & ceux ausquels ils ont commis l'exercice de leur authorité, sont les Magistrats, & les Gouverneurs ausquels nous devons obeïr.
St. Pierre dans le second Chap. de sa premiere Epître d'êcrît de cette maniere, ces differentes Puissances, faisant sans doute, allusion au Gouvernement [Page 12]de Rome sous lequel il vivoit, & qui êtoit alors Monarchique. Soyez sujets dit il: à tout ordre humain pour l'amour de Dieu, soit au Roy comme celuy qui est par dessus les autres, soit aux Gouverneurs comme à ceux qui sont envoyez par luy, car telle est la volonté de Dieu. l'Autheur de l'Homilie, qu'on lit quelque fois dans nos Eglises dans un jour comme celuy cy, commence ainsi ces paroles de St. Pierre.
St. Pierre dit il: ne dit pas soümettez vous à moy comme au Souverain Chef de l'Eglise, il ne dit pas non plus soumettez vous a ceux qui seront mes Successeurs dans Rome: mais il dit; Soumettez vous à vôtre Roy vôtre Chef Souverain, & à ceux qui exercent son authorité sous luy, c'est l'ordre de Dieu. C'est la Sainte volonté de Dieu, que dans quelque Royaume que ce soit, tout le Corps de l'Etat, toutes les Parties, tous les Membres qui le composent, soient sujets, soient obeïssans à leur Chef, à leur Souverain, & à leur Roy.
Mais quelle est cette sujetion, qu'elle est cette Obeïssance qu'il faut maintenant considerer, & que l'on doit aux Principautez & aux Puissances, elle renferme plusieurs devoirs.
Elle veut par exemple, que l'on rende à leurs Personnes, tout l'Honneur, le Respect, & la Reverence possible, comme à des Viceregens de Dieu, & qui sont veritablement ses Lieutenants sur la Terre.
Que jamais on ne censure temerairement leurs [Page 13]Actions, ny l'Administration de leur Gouvernement.
Que jamais, en aucune maniere l'on ne les mêprise ni n'en parle mal, nous resouvenant du Caractere que donne St. Jude, de ceux qui meprisent les Puissances, & qui parlent mal de ceux qui sont êlevez en Dignité.
Cette Sujetion, cette Obeïssance, veut encore qu'êtant obligez comme nous le sommes tous, d'offrir à Dieu des prieres des Supplications, des Voeux & des actions de Grace pour tous les Hommes: on en offre selon que nous l'enseigne. St. Paul, bien particulierement pour les Souverains & pour tous ceux même qui sont en quelque Authorité sous Eux.
Elle veut de plus que selon l'expression du même Apôtre, on leur paye ce qui leur est deu de tribus & de droits; c'est à dire toutes les Taxes legitimement imposées, pour soûtenir les Depenses, & la Gloire du Gouvernement.
Elle veut que l'on employe tout ce qu'on a de pouvoir & d'industrie, pour maintenir leur authorité, leurs droits, & tout ce que la Loy Fondamentale du Païs, a attaché de Privileges ou de Prerogatives à la Majesté de leur Office, & à la Dignité de leur Personnes.
Elle veut qu'au besoin, on les assiste, & qu'on les deffende contre leur Ennemis. Que chacun dans sa condition particuliere, vive paisiblement & modestement, pour rendre par ce moyen leur Gouvernement aussi aisé, & aussi heureux, que [Page 14]l'on en peut être capable, sans jamais nous ingerer dans aucune des affaires Publiques, ou ils ne nous ont point appellez.
En un mot que nous Obeïssions à toutes leurs Loix, & s'il arrive que nous ne puissions pas le faire en seureté de conscience, nous devons patiemment souffrir tous les châtimens, dont nôtre desobeïssance peut être punie, êvitant sur tout d'affronter les Personnes de nos Superieurs, de troubler leur Gouvernement, & d'être jamais les Autheurs ou les Fauteurs, de la Rebellion & du desordre.
Tout ce que je viens de vous dire, & que je n'ay fait que toûcher en passant, est renfermé dans ce devoir de la Sujetion & de l'Obeïssance, que nous devons aux Principautez, & aux Puissances, comme il seroit tres-facile de le prouver, en parcourant chacun de ces devoirs en particulier; si je ne craignois pas de lasser vôtre patience. Je vous le demanderay seulement, pour insister un peu d'avantage fur les deux derniers dont je viens de vous parler, par ce qu'ils sont d'une pratique si êtendüe, qu'ils comprenent en quelque maniere tous les autres, & qu'il semble que St. Paul les avoit principalement en une dans nôtre Texte, Exhortez les (dit il) à être sujets, Exhortez à leur obeïr. Dans la premiere de ces expressions, vous voyez clairementmarqué le devoir de l'obeïssance Active, aux Loix, & aux Ordres de nos Gouverneurs: Dans la Seconde, quelle doit être nôtre foumission quand nous ne pouvons pas obeïr.
Pour ce qui regarde l'obeïssance Active; car c'est proprement par elle qu'il faut commencer, tout ce qui me paroît le plus necessaire d'en dire, pour le bien êclaircir: Cette Matiere, se peut renfermer dans ces quatre Propositions.
La premiere que les Loix receües dans châque Etat, sont la regle de l'Obeïssance, & non pas simplement la volonté du Prince.
J'avoüe que dans les Etats, où le pouvoir Legislatif & le pouvoir d'executer les Loix, sont dans une même main, comme dans ceux qu'on appelle Monarchies absolües. La Loy c'est la volonté, c'est le bon plaisir du Prince: mais dans les Etats où les Peuples ont le bonheur de vivre sous un Etablissement legal, tel qu'est le nôtre; là les Loix publiques sont les regles de nos Actions, & non pas la Volonté, & le plaisir particulier du Prince, ainsi, quoy que les Rois ne puissent commetre aucune injustice, comme c'est une maxime receüe parmy nous, les Sujets sont responsables de tout ce qu'ils font contre les Loix, quand même ce seroit par les Ordres de leur Princes.
Je dis en second lieu, que là ou les Loix sont êtablies par une authorité Legitime, soit pour les matieres Civiles, soit pour celles qui regardent la Religion; si ces Loix ne sont pas contraires aux Loix du Souverain Legislateur, là le sujet est obligé en conscience de les observer, quand même il seroit persuadé quelles peuvent être prejudiciables.
J'avoüe pourtant qu'il y à de certaines Loix; qui sont de si peu de consequence, qu'il n'est pas [Page 16]fort necessaire de s'attacher scrupuleusement à les observer, que c'est assez qu'on se soûmette à la peine que ces Loix infligent, en cas qu'on vienne à les trangresser, & il y à de l'apparence que les Legislateurs n'ont pas pretendu, en êtendre l'obligation plus loin, quand il y à neantmoins des raisons suffisantes pour le faire, ils ont autant de droit de lier nos consciences à l'Obeïssance des Loix, que d'ordonner des peines pour châtier la d'esobeïssance: la raison en est claire, c'est parceque nous sommes obligez par les Loix de Dieu, qui a une Souveraine authorité sur nos Consciences, d'obeïr à nos legitimes Gouverneurs dans des choses Legitimes.
Je dis bien plus, & c'est ma troisieme Proposition, que quand même nous serions en quelque doute, sut la Justice des ordres de nos Superieurs, nous sommes obligez de leur obeïr, tant que nous serons dans le doute, & que nous ne serons pas persuadez, que leurs ordres sont injustes; car il est certain que l'authorité de nos Gouverneurs, doit prevaloir sur les doutes d'un particulier, il y à toutes les raisons du monde pour cela, & je n'en voy aucune pour justifier le contraire.
Quelle est je vous prie nôtre pensée, quand nous disons qu'un Homme est en doute, si une chose est juste ou injuste? N'est ce pas lors que son jugement demeure suspendu, sur une question entre des raisons opposées, qui semblent depart & d'autre la rendre egalement probable, les unes la font pancher à croire, que la chose est juste, les [Page 17]autres à croire quelle est injuste, & de deux côtez ces raisons ont tant de vraye semblance qu'il ne sçait ni comment il doit determiner son Esprit, ni quel Jugement il doit former de ce qui est en question.
C'est la l'Idée de ce qu'on appelle un doute; Or en ce cas si l'authorité intervient, & se declare toute d'un côté, de sorte que non seulement elle prononce que la chose se peut justement faire, mais que même elle veût quelle se fasse & le commande par un ordre exprés: je soûtiens qu'a lors s'il manque asses depoids à l'authorité pour faire pancher la balance & nous porter à obeïr, il faut qu'il ny est ait rien de plus leger ny de moins important; & qu'elle serve bien peu à la conduite des affaires humaines.
Mais en Quatrieme & dernier lieu, si la matiere de l'Obeïssance est entierement hors de doute. Si le Commandement qu'on nous fait bien loin d'être juste, est directement opposé aux Loix de Dieu, personne en ce cas la n'est tenû d'obeïr, puis qu'au contraire on est indispensablement obligé de n'obeïr pas.
Si les Loix de l'Etat, authorisées mêmes par les premieres Puissances du monde, nous commandoient de croire, ce qui nous paroît manifestement contraire à la Doctrine de Jesus Christ & de ses Apôtres; ou si dans quelque matiere que ce soit de Religion, ces mêmes Loix nous ordonnoient de confesser, & de declarer que nous croyons ce que nous ne croyons pas; ou si enfin elles nous vouloient obliger à faire quelque Action, que [Page 18]nous serions persuadez en conscience être directement contre un commandement de Dieu, je soûtiens que dans tous ces cas differens; on ne devroit jamais obeïr à aucune de ces Loix, quelque grande que fût l'authorité qui l'auroit êtablie; la raison en est evidente: Car c'est une maxime generalement receüe, qu'il faut plûtôt obeïr à Dieu qu'aux Hommes. Quelque chose en effet que commande une Loy Divine, il n'est point de loy humaine, qui puisse dispenser de l'obligation d'y obeïr, comme il n'en est pas non plus qui puisse nous obliger à faire ce que l'autre nous a deffendu.
Quand on se tromperoit même dans le jugement que l'on fait, & qu'on s'imaginat faussement, être lié par la Loy de Dieu, lors qu'en effet on ne lest pas, cela ne change rien pour la pratique foit donc que nos lumieres sont vrayes ou fauses, on est toûjours obligé de les suivre, parce qu'il ne nous est jamais permis de rien faire contre les mouvemens de nôtre conscience. Mais il est important de se soûvenir, que dans des Matieres, ou l'authorité des Loix humaines est interveüe, il est necessaire d'empêcher, autant qu'on le peut, que nos consciences, ne se trompent, car si nous venons à faire un faux jugement, & qu'estant ainsi trompez, nous refusions une Obeïssance que nous devons justement aux loix; c'est en vain que l'on pretendra se justifier sur l'obligation, de ne rien faire contre sa conscience: car quoy que ce soit un grand pêché de faire ce quelle n'approuve pas, on seroit pourtant sans excuse, si on desobeïssoit [Page 19]à des commandements Legitimes quelle n'approuve pas, à moins que nous ne puissions justifier clairement que nous avons pris tous les soins, & toutes les precautions imaginables, pour ne nous point tromper dans nos jugemens.
En voyla assez pour ce qui regarde cette Obeïssance que nous devens aux Loix, êtablies dans l'Etat. Je viens à present à examiner cette seconde Expression de St. Paul, soyez sujets à vos Gouverneurs, & c'est ce qu'en d'autres termes on appelle, se soûmetre patiemmant à leurs ordres, lors que sans blesser sa conscience on ne peut actuelement les executer,
C'est la cette Doctrine si celebre de l'Obeïssance passive, que dans ces derniers tems, plusieurs d'entre nous ont trouvée, si scandaleuse; mais j'ose dire, que c'a esté sans autre raison que pour ne l'avoir pas considerée dans son veritable jour: car par tout ou elle fera, & bien expliquée & bien entendüe, elle ne peut offencer que des Esprits inquiets, mécontens, malintentionez à l'Etat, & qui ne demandent que des changemens, & de nouvelles revoltes.
Il ne faut que conoître la nature du Gouvernement, & le but que l'on s'est proposé dans l'institution des societés Civiles, pour connoître en même tems, qu'il faut une si grande soumission à l'authorité Souveraine, quelle lie entierement les mains des sujets, sans leur laisser la moindre liberté de luy resister jamais, ni de prendre les armes contre elle: Et j'ose assurer qu'il ny à point de Gouvernement sur la Terre, qu'il puisse être Monarchie [Page 20]absolue, Monarchie temperée, Aristocratie, où Republique, qui ne reconnoisse cette Doctrine pour une partie essentielle de sa Constitution: oüy les sujets doivent obeïr passivement, quand ils ne peuvent pas activement obeïr sans cela, le Gouvernement n'auroit point de fermeté ni de fondement solide; & la tranquilité publique, y seroit exposée à la mercy de tous les mécontens qui pourroient causer à tous momens, de nouveaux troubles, exciter des soulevemens, être rebelles & traitres, sans craindre jamais d'en être punis.
Et ce n'est pas seulement une Doctrine d'Etat, c'est aussi une Doctrine de Jesus Christ, Doctrine necessaire, Doctrine indispensable, & cela paroît manifestement dans ces remarquables paroles de St. Paul, au Chap. 13. vers 1, 2. de son Ep. aux Rom. elles sont si claires & si positives, quelles n'ont pas besoin de commentaire. Que tout ame (dit il) soit sujette aux Puissances Superieures, car il ny a point de Puissance qui ne viene de Dieu, & les Puissances qui sont, c'est luy même qui les á ordonnées, c'est pourquoy celuy qui s'oppose auz Puissances, resiste à l'ordre de Dieu, & ceux qui y resistent attirent la condemnation sur euxmêmes. Aussi long tems donc que l'on trouvera ces paroles dans nos Saints Livres, la Doctrine de la nonresistance, ou de l'Obeïssance passive doit être receüe, doit être pratiquée par tous les Chrêtiens.
Mais aprez avoir êtabli cette Doctrine generale, il faut bien prendre garde, à n'en pas faire mal à propos des applications particulieres pour [Page 21]toutes sortes de païs: carquoy qu'en general, la nonresistance l'Obeïssance passive, soit un devoir imposé à tous les sujets, sous quelque Gouvernement qu'ils puissent être; ce devoir n'est pourtant pas le même en tous lieux, la pratique en est differente, presque dans toutes les differentes Nations, selons les divers Modeles, & la forme differente des divers Gouvernemens.
Pour m'expliquer sur ce grand sujet aussi clairement que j'en suis capable, je dis que comme les Loix de châque Païs, sont les regles & les mesures de nôtre Obeïssance active, les même Loix sont aussi les regles & les mesures de nôtre soumission, & comme nous ne sommes obligez d'obeïr que là ou les Loix, & les Constitutions du Gouvernement demandent nôtre Obeissance, aussi ne sommes nous obligez de nous soumêtre, qu'autant que les Loix, & les Constitutions de l'Etat dêmandent nôtre soumission.
Si c'est la le veritable sons de la Doctrine de l'Obeïssance passive comme je le croy certainement, je ne voy ni raison, ni apparence de raison qu'on puisse objecter contre la verité d'une si saine Doctrine, je suis seur du moins, que le pretexte qu'on prend pour la decrier, qu'elle tend à introduire la Tyrannie, & le Gouvernement arbitraire, & à faire autant d'Esclaves qu'il y à des sujets; est un pretexte ridicule, & tres mal fondé: car vous voyez clairement que cette Doctrine, telle que je viens de l'Etaler à nos yeux, ne rend pas le Princes absolus, là oú par la Constitution du Gouvernement, ils ne l'estoient pas auparavant, qu'elle ne detruit [Page 22]pas non plus la liberté du sujets, là où ils estoient auparavant en possession de cette liberté. Tout l'effet que peut produire une telle Doctrine, c'est de mettre en soureté: nos Royaumes, & de les maintenir dans la situation naturele, sur le pied de son propre êtablissement: cette verite est si constante, que j'ose dire qu'il n'est point de Republique, point de nation dans l'Univers, quel que libre quelle puisse être, où cette Doctrine de l'Obeïssance passive, ne soit receüe, & ne soit enseignée, comme absolument necessaire, pour la conservation même de leurs libertez.
Mais qu'elle part devons nous prendre à cette Doctrine, êtant ce que nous sommes, & jusques où selon les, Loix fondamentales du Royaume, on la doit etendre ou renverser; ce n'est ni dans la Chaire que cela se determine, ni une question que je doive resoudre: l'occasion pourtant qui nous assemble aujourd'huy, ne me permettra pas seulement, mais m'obligera même, d'ajoûter icy quelque chose sur ce sujet, & c'est toute l'application que j'ay dessein d'en faire, elle se reduita à ce que vous allez entendre.
Que par toutes les Loix de ce Royaume, la Personne du Roy est Sacrée & Inviolable, que d'attenter à sa Vie, pour quelque cause & sous quelque pretexte que ce puisse être a toûjours êté, & est encore un Crime de la plus haute Trahison, & si cela est (comme il n'en faut poin douter,) que peut on penser, que peut on dire de cette Action, qui fût commise dans un jour comme celuy cy, contre la Personne de nôtre [Page 23]Souverain CHARLES Premier d'heureuse Memoire, prenons la avec toutes les circumstances qui la precederont, & qui la suivirent. En verité on peut dire que quelque peu d'horreur, que quelque uns d'entre nous ayent d'une Action si horrible, quelque leger que ce Crime leur paroisse, il faut avoüer que ce fût le plus barbare de tous les Meurtres; un Meurtre qui viole les Loix de Dieu & des hommes! un Meurtre qui sera à jamais le scandale de la Religion Protestante! un Meurtre qui sera un reproche eternel, à tout le Peuple d'Angleterre: puis que la malice de nos Ennemis a imputé à toute nôtre Nation, la rage impie de quelques furieus; je croy que je puis dire tout cela d'un attentat, & d'une Action si terrible: Car je ne dis que ce que les Seigneurs, & les Communes d'Angleterre en ont dit dans cet Acte de Parlement, qui ordonne la Celebration de ce Jour, par un jeûne renouvelé tous les Ans à perpetuité.
Je n'ignore pas combien il y en à qui êcoutent avec chagrin, & avec peine, ce que je dis sur ce triste sujet, & combien ils seroient ravis, & que l'Action, & que la memoire de l'Action fût oubliée au milìeu de nous: j'avoüe que je le soûhaiterois moy même, pour veû que nous fussions assurez que Dieu l'eut oubliée aussi: je veus dire que Dieu l'eut oubliée en ne nous faisant pas sentir plus long tems sa juste colere, pour la vangeance de ce Sang innocent; pourveu aussi que ces principes Républicains, ces principes Factieus qui ont deja renversé une fois nôtre Gouvernement, & conduit un Prince si excelent à une fin si malheureuse, [Page 24]& si tragique, fussent si fort oubliez parmy nous qu'il ni eût plus de danger à en craindre, ni de voir jamais cette Nation, servir encor de Theatre à de pareilles Tragedies: Mais aussi long tems que nous aurons sujêt d'en apprehender les mêmes fureurs, aussi long tems sera-t'il necessaire de se souvenir de cette horrible Action, & d'en Celebrer une perpetuele Memoire, le même jour qu'elle se commit, non seulement pour y implorer la Misericorde de Dieu, affin que ni le Crime que nous reproche ce Sang aussi Innocent que Royal, ni tant d'autres pechez qui provoquent la colere de Dieu, à nous livrer & nous & nôtre Roy, entre les mains des Meurtriers si injustes, & si barbares, n'attire plus aprez ce jugement terrible, d'autres jugement sur nous, ni sur nôtre posterité: Mais encore pour nous remettre dans l'Esprit ce grand devoir, qu'avec l'authorité de St. Paul, j'ay pressé dans tous ce Discours, vous exhortant d'être sujets aux Principautez, & aux Puissances, & d'obeir aux Magistrats. Ou si vous aymez mieux que je me serve des Paroles de Salomon au 24. de Prov. v. 21. Craignez l'Eternel & le Roy, & n'entretenez point de commerce avec des Gens remüans, & qui ne se plaisent que dans des nouvelles revoltes.