Monsieur Renoult voyant son adversaire garder un honteux silence, & ayant apris que le fils de Mademoiselle du Pont avoit volé ses parens, & que les Papistes avoient favorisé son retour en France, fit cette seconde Réponse.
Seconde Réponse de Mr. Renoult.
ENFIN vous avez vaincu, triomphez, Monsieur, je vous cede la victoire au prix que vous voulez la remporter. Pour nous, nous chassons comme Jesus Christ, les voleurs du Temple, nous vous laissons la gloire de peupler vôtre Eglise de telle gens. Qu'on soit Larron, Meurtrier, Parricide, Banqueroutier; l'Abjuration du Calvinisme-fait trouver des Juges favorables qui donnent la vie, & des Confesseurs faciles, qui pardonnent les plus énormes pechez. Ainsi je ne suis nullement surpris de la nouvelle qui m'apprend que le fils de Mademoiselle du Pont a volé ses [Page 18]Parens, & s'en est retourné parmy vous. Pourquoy un jeune libertin sans sçience & sans crainte de Dieu, ne pratiqueroit-il pas une Morale qui luy est enseignée par les Directeurs de sa Conscience, luy qui la voit pratiquée par les Chefs & les Principaux Membres de sa Religion? J'avois bien predit à Mademoiselle sa Mere qu'il luy joüroit quelque mauvais tour. Il avoit eu une si méchante éducation parmy vous, qu'il n'avoit presque aucune connoissance de Dieu; & il n'aprehendoit, disoit-il luy mème, d'embrasser nôtre Religion, que parce qu'il seroit dans la suite obligé de rester trop long-temps en nos Eglises, dans les jours consacrez à la Pieté & à la Devotion Publique, au lieu que dans le Papisme, il en étoit quitte pour un quart d'heure de comparution chaque Dimanche. Il faisoit mème assez connoître que les Missionnaires luy avoient dêja donné de fort bonnes leçons, dont il sçauroit profiter. Car non seulement il traitoit sa Mere avec la derniere insolence, mais même il luy disoit impudemment que tout ce qu'elle avoit, appartenoit à luy seul: que selon les Loix d'Angleterre, les femmes n'ayant rien en propre du vivant de leur Mary, il devoit par consequent tout avoir comme representant la personne de son Pere absent, auquel tout appartenoit de Droit.
D'où venoient, Monsieur, ces bonnes instructions, d'où venoit cét esprit de revolte & ce sond d'insolence? N'étoit-ce pas de cette fameuse Morale, qui aprés avoir permis d'arracher les Enfans du Sein de leurs Meres, permet ensuite de les armer contr'elles, & de leur inspirer que ce sont des damnées pour lesquelles il ne faut plus avoit ni respect ni [Page 19]deference, mais du mépris, de l'aversion, de l'horreur; Qu'étant Heretiques, elles sont déchues de la legitime possession de leurs effets, & même indignes de vivre; qu'ainsi on peut sans scrupule leur ôter, & les biens & la vie?
Cette Morale de vôtre Religion n'est pas simplement speculative, helas! elle n'est que trop pratiquée. Ce fut elle qui depuis le 7. Siecle, jusqu'au 9. usurpa les biens, & répandit le sang de tant de millions de fidelles, dont le zele Apostolique s'opposa à l'établissement du Culte des Images. C'est elle qui depuis l'11 Siécle jusqu'au 14. a obligé les Empereurs & les Rois, à tenir d'une main leur Couronne, & de l'autre l'épée pour la défendre contre l'orgueil des Papes qui vouloient s'en emparer, & qui s'en emparerent enfin, aprés avoir inondé la terre de Sang Humain. C'est elle qui depuis la naissance du monstre de la Transubstantiation dans le 13 Siecle a presque tous les ans pillé & Massacré des millions de Vaudois, & une infinité d'autres Peuples qui ont refusé d'adorer le nouveau Jesus du Papisme. C'est elle qui a allumé les Fournaises de la Greve pendant les Reignes de François I. & de François II. de Henry II. où un si grand nombre d'innocens furent devorez par les Flames. C'est elle qui a animé l'esprit Sanguinaire de Charles IX. & luy a fait consentir à l'horrible boucherie de la S. Barthelemy, qui rendra à jamais le nom de Valois odieux aux Nations les plus Barbares. C'est elle qui dans ces derniers temps a fait Massacrer plus de cent mille Fidelles en Irlande, & qui de nos jours à fait commettre tant d'injustices [Page 20]& de crüautez dans la Pologne, dans la Hongrie, dans la France, &c.
Quel crime ont commis tant d'innocens qui sont chargez de chaînes sur les Galleres au rang des Forçats, tant d'autres dont on a enlevé les Enfans pour les élever aux pieds des Idoles, aprés avoir sacrifié leurs parens à la rage d'une Mission Dragone, qui a employé le Fer & le Feu pour les faire succomber? Ils sont, diton, Heretiques: en voila assez. La parole Royale peut être violée à leur égard, les témoignages que l'on a rendus à leur fidelité, n'ont été que des illusions pour les amadouer, les Edits qu'on leur a signez, les Serments qu'on leur a faits, n'ont été que des pieges qu'on leur a tendus.
Voilà, Monsieur, qu'elle est la Morale de vôtre Religion: voilà les leçons qu'elle donne, voilà les effets qu'elle produit. Encore une fois, je ne suis donc pas surpris, si elle a pû porter un jeune libertin, à maltraiter & à voler sa Mere sans craindre les jugemens de Dieu. Qu'à-il à craindre en voyant cette Morale autorisée & pratiquée par ceux qui ont la puissance de luy ouvrir le Ciel, & qui ne manqueroient pas de le Canoniser, si son crime étoit d'une plus grande consequence?
Cette digression vous chagrinera peut être, mais je ne sçaurois qu'y faire. J'ay été bien aise de vous donner à connoître en passant, que je sçavois un peu mieux l'Histoire du Papisme, que vous ne sçavez l'Histoire du Calvinisme, dont vous parlez fort mal à propos dans vôtre Lettre. Mais je viens au fait dont il s'agit entre vous & moy. Il n'est plus question d'instruire le jeune homme, qui m'avoit été recommandé par Mademoiselle sa Mere: Son [Page 21]party est pris: conservez le bien, nous l'abandonnons à la misericorde de Dieu: Mais comme je vous ay promis de vous couvrir de confusion, si vous en étes capable, cét évenement ne me fera point changer de resolution.
Quand j'ay commencé à examiner les matieres de Religion, j'ay crû que la voye la plus abregée, étoit de reduire tous les points de Controverse à des questions de fait: Par exemple, l'Eglise Romaine ordonne d'invoquer les Saints, de rendre un Culte Religieux au Bois & à la Pierre, & de rendre même une Adoration Souveraine à la Croix; L'Eglise Reformée au contraire défend de chercher d'autre Avocat auprés de Dieu que Jesus Christ, & de rendre aucun Culte qu'à la Divinité. Pour sçavoir qui avoit raison, je reduisis cette Controverse à une question de fait. Si les Apôtres & la Primitive Eglise, dis-je en moy même, ont invoqué les Saints, & Adoré les Croix & les Images, l'Eglise Romaine a raison, & l'Eglise Reformée a tort: Si au contraire, ils ne l'ont ni fait, ni ordonné de le faire, l'Eglise Romaine a tort, & l'Eglise Reformée a raison.
Pour decider ce fait, j'ay lu & relu les écrits Apostoliques & les principaux Ouvrages des Anciens Docteurs, & n'y ayant trouvé aucune trace de ce Culte & de cette Invocation; où plûtôt y ayant trouvé la défense de l'un & de l'autre, je conclus de là, qu'il étoit plus sùr de les rejetter tous deux, comme fait l'Eglise Reformée, que de les ordonner & de les pratiquer avec opiniatreté, comme fait l'Eglise Romaine. En suivant cette methode on ne peut s'égarer. Il n'y a point de Controverse [Page 22]qu'on ne puisse vuider en 24. heures. Voicy donc mes Principes, & ceux de toutes les personnes raisonnables, qui cherchent serieusement la verité.
1. Il faut toûjours prendre le party le plus sùr en matiere de Religion, par là on ne peut s'égarer.
2. Le party le plus sûr en matiere de Religion, est la profession de la Religion établie par Jesus Christ, enseignée & professée par ses Apôtres.
3. Pour sçavoir quelle est cette Religion, il faut reduire les matieres de Controverses à des questions de fait, & du fait conclure le droit: c'est à dire, qu'aprés s'être convaincu que Jesus Christ ou les Apôtres ont commandé de faire cecy ou cela, qu'ils en ont eux mêmes donné l'exemple, on est aussi obligé de le faire.
4. Pour une plus grande certitude de la chose dont on fait la recherche, les gens d'étude peuvent consulter les Ouvrages des Anciens Docteurs du Christianisme, sur tout ceux qui ne sont suspects à aucun Party, & voir par la lecture de ces Ouvrages, qu'elle étoit la croyance ou la pratique des Premiers Siecles.
Voilà, Monsieur, quatre Principes dont je me suis servy dans l'examen des matieres de Religion. En suivant ces Principes, je peux convaincre un esprit docile, en peu de tems, que l'Eglise Reformée est le party le plus sûr. Nous allons en faire une aplication particuliere, au retranchement de la Coupe, & par là, traiter la chose à fond d'une maniere aisée & facile.
Quel est la Controverse sur ce point, entre l'Eglise Reformée & l'Eglise Romaine? Celle là pretend que l'on doit Communier également, [Page 23]le Clergé & le Peuple sous les deux Especes: Celle-cy au contraire pretend que la Coupe n'appartient qu'aux Prêtres celebrans l'Eucharistie, & que le Peuple doit en être privé. Elle a même decidé par le Concile de Constance, Sess. 13. Que ceux qui affirment opiniatrement le contraire, doivent être bannis comme Heretiques, & punis severement par les Diocesains des lieux, ou par leurs Officiaux, ou par les Inquisiteurs de la méchanceté Heretique, dans les Royaumes ou Provinces où l'on aura par hazard attenté ou presumé quelque chose contre ce Decret, selon les Ordonnances Canoniques qui ont été salutairement établies en faveur de la Foy Catholique, contre les Heretiques & leurs Fauteurs.
Cela étant, il s'agît de deux choses 1. De sçavoir si on doit refuser la Coupe au Peuple, ou la luy donner. 2. Si ceux qui la luy donnent ou ceux qui la reçoivent, doivent être sacrifiez à la sainte barbarie de l'Inquisition. Or je dis que pour bien decider ces deux questions de droit, il faut en faire deux questions de fait. C'est à dire, que pour sçavoir 1. Si on doit refuser ou donner la Coupe au Peuple: il faut examiner si Jesus Christ, les Apôtres, & la Primitive Eglise la luy a donnée ou refusée. Si on voit qu'ils en ayent privé le Peuple, on doit l'en priver, s'ils la luy ont donnée, on doit la luy donner. C'est là le party le plus sur. Pour sçavoir 2. si on doit brûler les Prêtres qui donnent la Coupe au Peuple & le Peuple qui la reçoit: Il faut voir si Jesus Christ, les Apôtres, & la P [...]imative Eglise les ont brûlez; S'ils l'ont fait, on doit le faire, tous les Protestans & leurs Ministres, meritent le feu; S'ils ne l'ont pas fait, ceux qui pretendent qu'on doit les livrer aux Inquisiteurs [Page 24]de la méchanceté Heretique, doivent y être livrez eux-mêmes.
Je ne sçache pas qu'aucun Missionnaire se soit avisé de soûtenir le dernier fait, ainsi je croy que vous me donnez sans replique, cause gagnée sur cette matiere. C'est donc un fait constant que les Apôtres, & la Primitive Eglise n'ont jamais traité d'Heretiques, & encore moins livré aux Inquisiteurs de la mechanceté Heretique, ny les Prêtres qui donnoient la Communion au Peuple sous les 2 especes, ni le Peuple qui la reçevoit. Sur ce fait constant, j'établis ce principe; le party le plus assuré que l'on doit prendre dans cette occasion, est donc celuy qui ne traite point d'Heretique, & ne brûle point, ni les Administrateurs de la Communion du Calice au Peuple, ni le Peuple qui y participe, (car le Party le plus assuré, est celuy qui imite de plus prés Jesus Christ, les Apôtres & la Primitive Eglise) or l'Eglise Reformée, ne traite point d'Heretiques, & ne brûle point ceux qui Administrent la Communion au Peuple sous les deux Especes, ni le Peuple qui la reçoit; donc l'Eglise Reformée est le party le plus assuré pour lequel on doit se declarer sur cette matiere, & il est certain que l'Eglise Romaine est un party moins assuré. Je n'examineray point icy, de quelle espece est son erreur. C'est assez qu'elle ait degeneré pour être le party le moins assuré.
Nôtre Controverse se reduit donc maintenant à une seule question de fait, qui est de sçavoir si Jesus Christ, les Apôtres & la Primitive Eglise ont donné la Communion sous les deux especes au Peuple, si s'étoit leur pratique generale, ou bien s'ils refusoient la Coupe [Page 25]aux Peuple & ne l'accordoient qu'au Prêtres. Il me semble que puis que les Sçavans de l'une & de l'autre Communion demeurent d'accord que ce Retranchement de la Coupe au Peuple n'étoit point en usage dans les Premiers Siecles, on ne devroit plus en disputer. Mais puis que la mauvaise foy ou l'ignorance vous font nier impudemment ce fait constant, il faut donc encore une fois, ou vous confondre, ou vous instruire. Pour abreger la Dispute, & vous épargner la peine de faire un trop long voyage dans l'Antiquité, j'avois prouvé dans mon petit Billet la verité du fait en question, par le témoignage de personnes qui ne pouvoient vous être suspectes, sçavoir par celuy des Prelats, des Conciles de Constance & de Trente, de Fra-Polo, Autheur de l'Histoire du Concile de Trente, de Monsieur Amelot de la Houssaye, & de Monsieur Mezeray Historiographe du Roy de France. Tous ces témoignages devoient, ce me semble, vous instruire si vous aviez peché par ignorance, ou vous faire rougir si vous trahissiez vôtre conscience en niant la verité d'un fait, touchant lequel vos Conciles & vos Historiens vous donnent un authentique dementy. Cependant quoy qu'en disent les uns & les autres, vous ne voulez pas les en croire, ou du moins vous en faites semblant, & vous avez recours à mille petites chicanes indignes d'un honnête homme, qui auroit tant soit peu de lumiere & de bonne foy.
Vous voulez donc, Monsieur, m'obliger à faire l'Apologie de ce qu'il y a d'Historique dans la 13. Session du Concile de Constance, & dans la 21. Session du Concile de Trente, où ils défendent la Coupe au Peuple, & à [Page 26]justifier l'aveu que font vos Historiens de la nouveauté de ce Retranchement. He bien soit, j'y consens. Peut être étes vous dans les sentimens des Italiens, qui refusent l'Infaillibilité aux Conciles, & ne la donnent qu'au Pape; Et même quand vous seriez dans les sentimens de la Cour de France, qui donne l'Infaillibilité aux Conciles, vous ne la leur donneriez que dans les questions de droit: Ainsi vous pouvez suivant ce Principe, douter des faits Historiques dont les Conciles de Constance & de Trente se sont mêlez. C'est un fait de sçavoir, si les Apôtres & la Primitive Eglise ont Communié le Peuple sous les deux especes; ces Conciles confessent l'Asfirmative; Mais comme c'est là une question de fait, vous pretendez apparemment qu'ils se sont trompez; & je suis fort glorieux de ce que vous m'obligez à faire leur Apologie, & à vous convaincre, que ni eux, ni vos Historiens n'ont menty, lors qu'ils ont dit qu'autrefois le Peuple & le Clergé Communioient égallement sous les deux especes. Il faut 1. vous prouver qu'ils ont fait cet aveu. Et en 2. lieu vous convaincre qu'ils n'ont point erré en le faisant. Voicy 1. les propres termes du Concile de Constance, prononcez l'an 1415. dans la 13. Session, Ce present Sacré Concile General de Constance, ligitimement assemblé, par le Saint Esprit, declare & deffinit, qu'encore que Jesus Christ ait institué & administré à ses Disciples, ce venerable Sacrement sous les deux especes du Pain & du Vin; & qu'encore qu'en la Primitive Eglise les fidelles reçûssent ce Sacrement sous l'une & l'autre esp [...]ce, toutefois pour evi [...]er certains perils & scand [...]es, cette coû [...]ume a été raisonnabiement introduite, que les Officians le reçevroint sous les deux [Page 27]especes, & les Laïques sous l'espece du Pain seulement.
Comprenez vous, Monsieur, le sons de ces paroles. Cela vous dit deux choses bien remarquables? La 1. Que Jesus Christ a institué & administré l'Eucharistie à ses Disciples sous les deux especes, & que dans la Primitive Eglise les fideles le reçevoient de même. C'est là dire que ni Jesus Christ, ni la Primitive Eglise n'ont, ni institué. ni administré l'Eucharistie au Peuple sous une seule espece. 2. Ce Concile dit, Que le Retranchement du Calice est une coûtume introduite. C'est une coûtume, ce n'est donc pas une institution Divine: Cette coûtume s'est introduite, cela n'a pas commencé tout d'un coup, mais elle a suivi pas à pas l'établissement du Dogme de la Transubstantiation. C'est ce que je vous disois dans mon Billet, & non pas que le Concile de Constance soit le premier qui en ait introduit la coûtume, je sçay qu'il la trouva presque introduite.
Le Concile de Trente fit le même aveu l'an 1562. le 16. de Juillet, sous le Pape Pie IV. Sess. 21. chap. 2, & 3. de la Doctrine. La Sainte Mere Eglise, dit-il, reconnoissant cette sienne Authorité en l'administration des Sacremens; encore que dés le commencement de la Religion Chrêtienne, l'usage de l'une & de l'autre espece eût été commun, (il parle de la Communion du Peuple) toutefois, par le Laps du temps [...], cette coûtume ayant été changée, elle a été induite par de graves & justes raisons, a approuver cette coûtume de Communier sous une espece, & a ordonné qu'elle tiendroit lieu de Loy. Ensuite dequoy il Anathematise ceux qui attenteront quelque chose contre son Decret.
Ce Concile vous aprend trois choses, Monsieur, [Page 28]la 1. que l'usage de l'une & de l'autre especes a été commun, dans la Communion du Peuple comme dans celle du Clergé. La seconde, que cette coûtume a été changée par le Laps du temps, c'est à dire par un abus. La 3. que cét abus doit tenir lieu de Loy, c'est à dire qu'il doit être preferé à la coûtume Apostolique. C'est là sçavoir aussibien blasphemer que le Concile de Constance. Mais ce n'est pas dequoy il s'agît icy, il suffit que ces Blasphemes nous apprennent que le Retranchement de la Coupe est une nouveauté. C'est ce que nous cherchons. Venons maintenant aux témoignages de nos Historiens.
Les Autheurs de l'Histoire du Concile de Trente en disent encore davantage que les 2. Conciles dont nous venons de parler. Lisez celle qui est Traduite de l'Italien de Frapolo, en Fraçois, par Monsieur Amelot de la Houssaye, de l'Impression d'Amsterdam, en la page 514. vous verrez que le Retranchement de la Coupe est d'institution humaine & non pas Divine. C'est donc en vain que vous falcifiez l'Ecriture pour y trouver la Communion sous une espece. En la page 115. vous verrez que l'Eglise Romaine elle-même faisoit encore Communier le Peuple sous les deux especes dans le 12. Siecle, & qu'elle auroit alors regardé la pratique contraire, comme un Sacrilege. Et en la page 504. vous aprendrez que le Concile de Constance est le premier qui ait défendu le Calice au Peuple. Nous serions trop longtemps à vous raporter les termes de l'Original, mais nous vous copierons icy le témoignage de Monsieur Mezeray; il n'est pas long, & luy seul doit bien vous mortifier. Voicy comment il parle à la fin de la vie de Philipe [Page 29]II. dans l'Histoire de l'Eglise de 12. Siecle, Tome 3. in Octavo, Imprimé à Paris chez Louis Billaine, 1676. Avec Privilege du Roy, page 317. On Communioit, dit-il, encore en ce temps-là, sçavoir dans le 12. Siecle, sous les deux especes: Mais plusieurs, entr'autres les Moines de Cluny, pour empêcher la Profanation, qui se pouvoit faire, si le Calice se répandoit, ou s'il en demeuroit quelques goutes dans les Moustaches des Communians, administroient le Pain trempé dans le Calice, & ce Pain étoit rond & grand comme un écu. Or cét usage ne semblant pas conforme à l'institution de Jesus Christ, fut souvent répris & condamné par les Papes mêmes; lesquels enfinn'ayant pû ôter cét abus, retrancherent tout à fait le Galice aux Laïques.
Que jugez vous, Monsieur, de ce témoignage? Est-ce un Ignorant dans l'Ecriture & dans l'Antiquite, qui parle? Si vous étes François, je ne croy pas que vous ayez une si mauvaise opinion de vôtre Roy, que de croire de luy qu'il ait fait choix d'un Hystorien Ignorant; Et si vous avoüez que Monsieur Mezeray n'a pas été un Ignorant, & qu'il a même été le plus fidelle Historien de son Siecle; Comment avez vous le front de luy donner un dementy, en soûtenant que Jesus Christ, les Apôtres & la Primitive Eglise ont Communié le Peuple sous une seule espece? Pour moy je tiens à honneur de recevoir ce dementy pour luy, & d'être traité d'Ignorant en défendant la verité du fait qu'il pose pour constant. Remarquez bien, Monsieur, ce que dit ce fameux Historien. 1. Il dit qu'on Communioit encore dans le 12. Siecle, sous les deux especes. Ce mot, encore, marque qu'on y avoit toujours Communie auparavant. 2. Il fait voir le premier [Page 30]changement qui se fit dans l'Administration des Symboles, ce fut de les mèler ensemble; Il parle de la Communion solemnelle, car on voit des traces du Pain trempé long-temps avant le 12. Siecle, dans quelques Communions particulieres. 3. Il marque les personnes qui Introduisirent cette coûtume de donner le Pain trempé dans la Communion solemnelle; ce furent les Moines de Cluny. 4. Il allegue une plaisante raison qui les obligea à introduire cette coûtume, ce fut de peur que le Calice ne fut répandu, & que quelque goute de Vin ne demeurât aux Moustaches des Communians. Je ne sçay pas à quoy pensoient Jesus Christ, les Apôtres, & toute l'Eglise, pendant douze cens ans, de n'avoir pas prevû tous ces accidens? On est bien redevable aux Moines, d'avoir redressé Jesus Christ, les Apôtres & toute l'Ancienne Eglise. 5. Mezeray dit en passant, que la forme du Pain étoit rond & grand comme un écu; Cette forme d'oublie avoit commencé dés l'onziéme Siecle; je ne sçay si vous ne soûtiendrez point a ussi quelle est Apostolique. Ensin il dit que les Papes mêmes désaprouverent ce mêlange des Simboles, cét usage ne semblant pas conforme à l'institution de Jesus Christ, c'est â dire, qu'ils auroient bien mieux aimé que les fidelles eussent Communié sous les deux especes separement selon l'institution de Jesus Christ, & la Pratique de la Primitive Eglise. Mais enfin la crainte de l'effusion du sang, saisissant les esprits à mesure que le Dogme de la Transubstantiation prenoit le dessus, & les hommes de ce temps là n'étant apparemment pas d'humeur à raser leurs moustaches, le plùtôt fait, fut de retrancher tout à fait le [Page 31]Calice au Peuple: ce qui s'executa au Concile de Constance.
Voila, Monsieur, le témoignage de vos Conciles & de vos plus celebres. Historiens. Ils deposent tous, comme vous le voyez, en ma faveur. Aprés cela la dispute devroit finir: Il devroit demeurer pour constant entre nous, que le retranchement de la Coupe est une nouveauté. Mais enfin, puisque malgré ces témoignages irreprochables, vous niez encore ce fait avec impudence, & que vous traitez d'Ignorant dans l'Ecriture & dans l'Antiquité, ceux qui vous contredisent; je me sens obligé en quelque façon de vous convaincre que vous avez tort de maltraiter de la sorte des Conciles, ausquels vous avez tant d'obligation, & des Historiens qui passent pour les plus fidelles des derniers Siecles.
Je vous avois promis deux choses. La 1. de vous faire voir que ces Conciles & ces Historiens avoüent que le retranchement de la Coupe est une nouveauté: C'est aussi ce que je viens de faire. La 2. de vous convaincre que ces Conciles n'ont point erré, lors qu'ils ont dit, Que Jesus Christ avoit institué & administré ce Venerable Sacrement sous les deux especes; & que la Primitive Eglise l'avoit ainsi pratiquè; & que ces Historiens ne se sont point trompez non plus, lors qu'ils ont dit que cette coûtume avoit duré 12 cens ans dans l'Eglise Rom. C'est en quoy consiste leur Apologie que nous allons faire en deux maniere. 1. En faisant deposer en leur faveur Jesus Christ, les Apôtres, & les Docteurs des douze premiers Siecles. 2. en répondant aux petites chicanes que vous employez pour affoiblir leur témoignage. S'il falloit vous citer tous les passages qui prouvent [Page 32]que l'Eglise Romaine a Communié sous les deux especes pendant douze cens ans, il faudroit faire un volume tout entier: Ainsi je ne m'attacheray qu'aux plus sensibles & aux plus convaincans. Si vous en voulez un plus grand nombre, lisez l'Histoire de l'Eucharistie par Monsieur de la Roque, dans le chapitre des choses distribüés & receües, page 140. Ce que nous allons vous rapporter, n'est qu'un petit recueuil de ce chapitre auquel on a point encore répondu, non plus qu'à tout son Livre. On donne à toute l'Eglise Romaine, le deffi d'y répōondre jamais sans s'attirer de la confusion. Commençons.
Le Concile de Constance dit que Jesus Christ a institué & administré ce Venerable Sacrement sous les deux especes; luy & le Concile de Trente reconnoissent que la Primitive Eglise l'à ainsi pratiqué. Ils ont raison, plût à Dieu qu'ils eussent toûjours dit de même la verité.
On ne peut mieux faire leur Apologie qu'en consultant les Autheurs du Premier Siecle; c'est à dire les Ecrits des Apôtres & des Evangelistes. Tous les Evangelistes nous font l'Histoire de l'Institution de l'Eucharistie; & il n'y en a aucun qui ne raporte, que Jesus Christ a institué & administré ce Venerable Sacrement sous les deux especes. Jesus Christ ayant pris la Coupe & rendu graces, il la leur donna, disant, beuvez en tous, dit Saint Matthieu chap. 26. puis ayant pris la Coupe, il rendit graces, il la leur donna, & ils en burent tous, dit Saint Marc chap. 24. Semblablement aussi il leur donna la Coupe aprés le souper, dit Saint Luc en parlant de ceux à qui il venoit de donner le Pain. ch. 22.
De plus vos Conciles disent, qu'en la Primitive [Page 33]Eglise les Fideles Communioient sous les deux especes, & vos Historiens affirment que cette coûtume à duré 12 cens ans, ils ont encore raison, en voicy des preuvres. Que chacun s'éprouve soy même, & qu'ainsi il mange de ce Pain & boive de cette Coupe. * écrivoit S. Paul au Peuple de Corhinte, dans le Premier Siecle. Justin Martir affirme que de son temps, c'est à dire, dans le 2. Siecle, on distribüoit à tous les Communians du Pain & du Vin Consacrez. † Saint Cyprien a fait un Traité exprés, du Sacrement du Calice du Seigneur, où il prouve amplement la Communion que nous examinons. Mais voicy quelque chose de bien formel pour la justification de vos Conciles & de vos Historiens. Le même Saint Cyprien écrivant avec ses Collegues à Corneille Evêque de Rome, touchant la resolution qu'ils avoient prise d'admettre à la Paix de l'Eglise, ceux qui avoient succombé sous le poids de la persecution, luy alleguent même la Communion du Calice, comme un motif excellent pour encourager les Chrêtiens au Martyre. § Voicy leurs paroles. Comment les inviterons nous à répandre leur sang pour la Confession du nom de Jesus, si allant au combat, nous leur refusons le sang de Jesus Christ,? Où comment les rendrons nous propre à boire le Calice du Martire, si nous ne les admettons premierement à boire dans le Calice du Seigneur par le droit de Communication? Dans son Traité de ceux qui étoient tombez durant la persecution, il dit que la coûtume de son temps étoit, que le Diacre presentât le Calice aux assistans. ¶ Les Conciles d'Ancyre, l'an 314. au Canon 2. & celuy de Neocesarée en la même année au Canon [Page 34]13. nous aprenent la même chose, aussi bien qu'un Synode d'Alexandrie assemblé durant les Persecutions suscitées par les Arriens contre Saint Athanase. * Saint Cyrille de Jerusalem en ses Mystagogiques, adresse ces paroles au Peuple Fidele: Aprés avoir Communié au Corps de Christ, approchez vous du Calice de son sang. †
Saint Chrisostome en ses Homelies sur Saint Matthieu, dit, une même table est proposée à tous; un même bruvage est donné à tous; mais plûtôt non seulement un même bruvage; mais il nous est aussi donné de boire d'un seul & même Calice. ¶ Et dans son Homelie 18. sur la 2. Epître aux Corinthiens, il fait ce beau Discours; Il est des temps ou il n'y a nulle difference entre le Prêtre & ceux sur lesquels il Preside; comme quand il faut participer aux Mysteres terribles: Car nous y sommes tous également admis. Il n'en est pas comme sous le Vieux Testament, le Prêtre mangeoit certaines choses, & le Peuple d'autres; & il n'étoit pas permis au peuple de manger de ce que le Sacrificateur mangeoit; maintenant il en est autrement, car un seul corps & un seul calice est proposé à tous. Estce là, Monsieur, le langage de vôtre Eglise? N'y a-t-il aujourd'huy aucune difference entre le Prêtre & ceux sur lesquels ils preside quand il faut participer aux Mysteres terribles? Un seul corps & un seul calice est-il proposè à tous? S'éroit là, la pratique de l'Eglise du 4. Siecle.
Saint Augustin disoit dans le cinquiéme Siecle, en parlant de l'Eucharistie comme d'un Sacrifice de loüange & d'action de grace: On [Page 35]ne défend à personne de prendre le sang de ce Sacrifice pour sa nourriture, mais plûtôt on exhorte à le boire tous ceux qui veulent avoir la vie. *.
Leon premier Evêque de Rome, dans le même Siecle, en ses Sermons du Carême, parlant des Manicheens, qui pour se cacher, avoient la temerité que de se mêler parmy les Fideles pour participer aux Sacremens, pour couvrir, dit [...]il, lour infidelité, ils ont la hardiesse d'assister à nos Mysteres, & ils se gouvernent ainsi en la Communion des Sacremens: Pour se cacher plus surement, ils reçoivent avec une bouche indigne le corps de Christ; Mais ils evitent absolument de boire le sang de nôtre Redemption: C'est pourquoy nous voulons que vôtre Saintetè le sache, afin que ces sortes d'hommes vous soient manifestez par ces marques. †
Voila, Monsieur, un Evêque de Rome, & l'on peut dire le premier Pape, puis que ce fut luy qui commença le mystere d'iniquité en se faisant établir par l'Empereur Valentinien, juge des autres Evêques, voila dis-je, le premier Pape qui rend témoignage que dans le cinquiéme Siecle, tous les Fidelles Communioient sous les deux especes, & qu'il n'y avoit que les Heretiques Manicheens qui en usoient autrement, & que c'étoit là, la seule marque à laquelle on pouvoit les distinguer du Peuple Fidelle dans la celebration de l'Eucharistie: Que dites vous à cela?
Mais voicy encore un autre témoignage d'un Pape du même Siecle, qui ne doit pas moins vous faire de la peine. Nous avons été informez, disoit le Pape Gelase sur la fin du [Page 36]5. Siecle, que quelques-uns ayant seulement pris une parcelle du corps sacré, s'abstiennent du sacré sang, lesquels sans doute, parce qu'on dit qu'ils sont retenus par je ne sçay qu'elle superstition, doivent, ou recevoir les Sacremens entiers, ou en être entierement exclus, parce que la division d'un seul & même mystere, ne peut arriver sans un grand sacrilege. *. Je vous avoüe, Monsieur, que si vous avez quelque reste d'amour pour la verité, ce passage doit certes vous troubler. Quoy! dans le cinquiéme Siecle, Rome croyoit que de Communier sous une seule espece étoit un sacrilege, & aujourd'huy, elle enseigne que c'est un sacrilege au Peuple que de Communier autrement! Dans le 5. Siecle les Papes traitoient de superstitieux, ceux qui ne vouloient prendre qu'une parcelle du Pain Sacré, & s'abstenir du Calice du Sacré Sang; & aujour-d'huy ils traitent d'Heretiques ceux qui conformement à l'ancienne pratique prennent non seulement une parcelle du Pain Sacré, mais aussi perticipent au Calice du sacré Sang, croyant comme les Anciens Papes, que la division d'un seul & même Mystere, ne peut arriver sans un grand sacrilege! Quel changement bon Dieu? Cela seul n'est-il pas capable de vous faire repentir d'avoir pris la défense d'un party si foible? Cela seul ne seroit-il pas capable de vous convertir, si vous n'aviez entierement éteint l'Esprit? Et parlant de ce Pape, je seray bien aise de vous dire en passant qu'elle étoit sa croyance & celle de son Siecle touchant la Doctrine de l'Eucharistie: Certainement, dit il, les Sacremens du corps & du Sang de J. C. que nous recevons sont une chose divine, d'où [Page 37]vient aussi que par eux, nous sommes faits participans de la nature divine, & cependant ils ne cessent pas d'être une substance de Pain, ou une nature de Pain & de Vin. ¶. Tel étoit la foy de l'Eglise Romaine dans le cinquiéme Siecle. Accordez cela avec la Transubstantiation. Mais ce n'est. point dequoy il s'agit icy, poursuivons nôtre Apologie.
Le 3. Concile de Tolede assemblé l'an 589. au Canon 2. ordonne, que les coeurs des Peuples étant purifiez par la foy, approchent pour goûter le corps & le Sang de Christ. † Dans le 7. Siecle, on voit quelques exemples de l'Eucharistie trempée, dans la Communion des malades, mais un Concile de Braga en Portugal, tenu l'an 675. au Canon 2. condamne cette pratique en ces termes: Il est dit, que Jesus Christ a recommandé le Pain à part & le Calice à part, & nous ne lisons point que Jesus Christ ait donné du pain trempé à d'autres qu'à ce Disciple seulement, que le morceau trempé devoit faire connoître pour celuy qui devoit trahir son Maître, & non pas pour montrer l'institution de ce Sacrement. *. Qu'auroit dit ce Concile, si l'on eût alors retranché tout à fait un des Symboles, s'il ne pouvoit soufrir qu'on les mêlât? Ce retranchement est il plus conforme à l'institution de Jesus Christ que ce mêlange?
Un Concile de Paris tenu l'an 829. sous Louis le Debonnaire, au Canon 45. condamne un abus qui s'étoit glissé en quelques Provinces, où les femmes distribuoient aux peuples dans les Eglises le corps & le sang de Jesus Christ. § C'est [Page 38]à dire apparemment qu'elles disoient la Messe si on la disoit dans ce temps là: Mais quoy qu'il en soit, elles donnoient au peuple, le torps & le sang de Jesus Christ. Et ce n'est pas ce que ce Concile condamnoit, mais seulement leur temerité à exercer une fonction qui ne leur appartenoit pas.
Reginon remarque en sa Cronique sur l'an 869. que le Pape Adrien II. donna dans Rome même la Communion sous les deux especes au Roy Lothaire & à tous ceux de sa suite. Ratherius Evêque de Verone en Italie, dans le 10. Siecle, en sa Synodique à ses Prêtres, leur ordonne, d'avertir tous les Fidelles d'approcher quatre fois l'an de la Communion du corps & du sang du Seigneur.
Dans l'onziéme Siecle, la crainte de l'effusion commença à saisir les esprits. La Communion avec le Pain trempé se renouvella; mais en telle sorte qu'il paroît visiblement, que cét usage fut d'abord particulier à la Congregation de Clugny, selon la Remarque de Mezeray: Car les autres Eglises distribuoient encore les deux Symboles separement: On voit cela dans les Anciennes Coûtumes du Monastere de Clugny, écrites aprés la mort de l'Abbé Odilon, qui mourut vers le milieu de l'onziéme Siecle: A tous ceux à qui le Prêtre donne le corps sacré, (portent ces coûtumes,) il le trempe dans le sang. Mais en marge, on fait cette observation: Un autre Manuscrit ajoûte, encore que cela solt contre l'usage des autres Eglises, parce que quelques-uns de nos Novices sont si grossiers, que s'ils recovoient ainsi separement le sang, ils ne manqueroient pas de tomber en quelque grande negligence. *. C'est là dire bien clairement que [Page 39]dans l'onziéme Siecle, l'Eglise Romaine donnoit la Communion au peuple sous les deux Symboles separement, & que si les Moines de Clugny les mêloient ensemble, c'est parce qu'ils avoient des Novices si sots & si étourdis, qu'ils auroient pû répandre ce que l'on commençoit à regarder comme le propre sang de Jesus Christ.
L'An 1095. Urbain II. tint un Concile à Clermont en Auvergne, où il sit un Decret que Baronius en ses Annales Ecclesiastiques rapporte en ces termes, que personne ne communie à l'Autel qu'il ne prenne le corps separement, & le sang semblablement, si ce n'est par necessité & par precaution. *. Cette necessité regarde les malades dont nous avons parlé, ausquels depuis plusieurs Siecles on avoit coûtume de donner le Pain trempé, mais jamais le Pain seul. C'est ainsi que Communient les Grecs. Cette precaution se raporte apparemment à la crainte de l'effusion dans les Communions solemnelles, auquel cas ce Pape permet le Pain trempé à cause de la foule du peuple. Un autre Autheur raporte le Canon de ce Concile sans aucune restriction. Qu'on reçoive le corps du Seigneur, & le sang du Seigneur separement. †. Mais voicy ce qui met la chose hors de doute. Pascal II. qui succeda à Urbain, l'an 1099. ordonne de distribüer au Peuple les deux Symboles separemment, à la reserve des petits Enfans, & des Moribons ausquels il permet de Communier avec le Vin seulement, s'il est absolument impossible qu'ils [Page 40]puissent avaler la Pain: Sur ce principe, necessité n'a point de Loy. §
Dans le 12. Siecle, la Communion du Pain trempé devint plus commune à mesure que la Transubstantiation prenoit le dessus. Elle fut combatüe, & elle fut défendüe; mais on vous donne le deffi, Monsieur, de nous montrer en ce Siecle là, la Communion sous une seule espece établie. Nous avoüons que l'Eucharistie trempée, devint presque generale pendant le 12. & le 13. Siecle; on voit cela dans les Autheurs de ce temps là, mais nous sçavons aussi que Cassander prouve qu'en plusieurs lieux, on Communioit encore avec le Pain & le Vin separement: ¶ & que Pierre du Mavets témoigne que de son temps, c'est à dire vers l'an 1300. c'étoit la coûtume en plusieurs Eglises, de Communier sous l'une & sous [...]autre espece. *. Nous sçavons qu'Innocent IV. [...]'approuvoit point la Communion du Pain [...]empé & qu'il disoit que ceux ausquels on donne les deux Symboles separement, y sçavent apporter une plus grande reverence & une plus grande precaution. †. Nous sçavons selon le témoignage de Beatus Rhenanus en ses Notes sur le Livre de Tertulien de la Couronne du Soldat, & de Cassander en son Traité de la Communion sous les deux especes, que les Fideles trouvoient encore alors tant de consolation dans la Communion des deux Symboles, que quand on commença de leur mettre dans Pesprit la crainte de Peffusion, pour les disposer peu à peu à la Communion sous une espece, [Page 41]on fut obligé de leur donner le Pain trempé dans quelques Eglises, & dans les autres on inventa de certains petits Tuyaux qu'on attachoit au Calice, par le moyen desquels on leur faisoit boire le sang mystique du Seigneur. Mais enfin, comme de la distribution des deux Symboles separemment, on en étoit venu dans le 12. Siecle à la distribution du Pain trempé dans le vin Sacré, on s'accoûtuma peu à peu & insensiblement en quelques Eglises d'Occident, à donner aux Communians le seul Pain consacré: Coûtume qui avec le temps devint presque universelle dans l'Eglise Latine, jusqu'à ce qu'elle fut enfin authorisée l'an 1415. un jour de Samedy, le 15. de Juin, par le Concile de Constance, & ratifiée par le Concile de Trente le 16 Juillet l'an 1562. Sess. 21. Trois cens ans avant ce retranchement, les Vaudois & les Albigeois s'étoient separez de l'Eglife Romaine pour faire un corps à part, lequel corps a toûjours pratiqué la Communion sous les deux especes. Les Grecs, les Moscovites, les Abissins, &c. l'ont toûjours pratiquée; il n'y a que l'Eglise Romaine qui ait degeneré de l'ancienne pratique.
Voila, Monsieur, en peu de mots, l'Apologie du témoignage que les Conciles de Constance & de Trente, les Historiens de ce dernier Concile, & des Rois de France, nous ont rendu de la nouveauté du retranchement de la Coupe. Il est donc vray que le Concile de Constance n'é pas erré, lors qu'il a dit, que Jesus Christ a institué & administrè ce Venerable Sacrement à ses Disciples sous les deux especes, & que les Fideles l'ont reçû sous les deux mêmes especes dans la Primitive Eglise. Il est donc vray que le Concile de Trente n'a pas erré non plus, lors [Page 42]qu'il a dit, que cette Ancienne coûtume de Communier le Peuple sous les deux especes n'a été changée que par le Laps du temps. Il est donc vray que vos Historiens ne se sont pas trompez, lors qu'ils ont dit, que dans le 12. Siecle on Communioit encore sous les deux especes en l'Eglise Romaine, & qu'elle condamnoit pour lorstoute autre Communion. Voila ce que j'avois 1. à vous dire, pour défendre contre vous vos propes Conciles & vos plus celebres Historiens. Examinons en 2. lieu, ce que vous pouvez objecter contre leur témoignage.
Vous avez d'abord recours à l'Ecriture, & vous ne craignez pas de la falsisier, en luy donnant à dessein un mauvais sens, afin de dementir vos deux Conciles, & de leur faire voir apparement, qu'ils ont été Ignorans, & dans l'Ecriture, & dans l'Antiquité, pour la question dont il s'agit. Il falloit que ces deux Conciles eussent l'esprit bien égaré, pour avoir ignoré que Jesus Christ avoit donné, comme vous le pretendez, la communion aux Disciples d'Emaüs, sous la seule espece du Pain; que dans le 6. de Saint Jean, Jesus Christ ne recommande de manger sa chair que sous l'espece du Pain; que le beuvez en tous, ne s'adressoit qu'aux Prêtres: Que l'on voit au 20. & au 2. des Actes, que les Apôtres ont fait communier le Peuple, sous une seule espece, & que dans l' 11. de la Premiere aux Corinthiens, Saint Paul laisse la chose à la liberté de chacun. Ou vos Conciles ont ignoré cette pratique de Jesus Christ & des Apôtres, ou ils Pont connüe: S'ils l'ont ignorée, je vous plains de prendre pour regle de vôtre Foy, les decisions de Conciles si bètes & si ignorans: [Page 43]S'ils l'ont connüe, pourquoy ont ils donc dit que Jesus Christ avoit institué & administré ce Venerable Sacrement sous les deux especes; que la Primitive Eglise avoit donné les deux Symboles au Peuple, & que cette coûtume avoit été changée par le Laps du temps? Quoy? Ont ils donc menti, & ont ils parlé contre leur propre connoissance? Non, non, Monsieur, ils étoient du moins aussi éclairez que vous sur cette matiere, & je vous ay convaincu qu'ils ont dit la verité. Tout ce que vous pouvez alleguer contre leur témoignage, n'est qu'une vaine chicane qui doit vous couvrir de confusion.
Avez vous bien lû, Monsieur, le vingtquatriéme chapitre de Saint Luc? Où y voyez vous une communion? Voicy le fait. Jesus Christ s'étant apparu à deux de ses Disciples allant en Emaüs sans se faire connoître, comme ils approchoient de la Bourgade, luy faisoit semblant d'aller plus loin, mais ils le forcerent, disans, demeure avec nous, car le soir commence à venir & le jour est dêja decliné. Il entra donc avec eux; & il avint, comme il étoit à table avec eux, qu'il prit le Pain & rendit graces, puis l'ayant rompu, il le leur distribüa: Alors leurs yeux furent ouverts & ils le reconnurent, mais il disparut de devant eux. Cela joint au souvenir des Mysteres qu'il leur avoit revelez dans le chemin, les surprit tellement, que se levant au même instant, ils retournerent à Jerusalem, où ils trouverent les onze assemblez, & ceux qui étoient avec eux, & leur reciterent les choses qui leurs étoient avenües en chemin, & comme ils avoit été reconnu d'eux en rompant le Pain. Encore une fois, Monsieur, où trouvez vous là une communion? J'y vois du Pain rompu & distribüé, mais je ne le vois mangé, ni par Jesus Christ, ni par ses [Page 44]Disciples. Communie-t-on sans manger ni boire? Jesus Christ avoit coûtume pendant sa vie, de benir la table d'une certaine maniere, & ensuite de donner à chacun de ses Disciples sa portion, il se sert aprés sa mort de la même Formule de Priere, & de la même maniere de distribüer le Pain; à cette Formule & à cette maniere, il est reconnu des deux Disciples; mais se levant au même instant, dit l'Evangeliste, ils retournerent à Jerusalem. Ils ne mangerent ni ne burent. Que firent-ils donc du pretendu Pain consacré? Le laisserent-ils dans l'Hôtelerie à l'abandon? C'est à vous à répondre pour l'honneur de vôtre Transubstantiation. Il faut vous rendre justice quelque part: Vous avez raison de dire que Saint Augustin a crû que Jesus Christ avoit celebré l'Eucharistie dans ce Souper; cela est vray, il la crû: Mais qu'il ait crû qu'il ne l'ait donnée que sous une espece, c'est ce qu'il n'a pas dit. Il a crû qu'une partie étoit là prise pour le tout: C'est à dire, selon vos propres paroles, que par cette fraction de Pain, il a entendu l'administration de la Tres-Sainte Eucharistie. Je ne sçay si Saint Hierome & Theophilacte ont été dans le même sentiment, je n'ay pas le temp d'en faire la recherche. D'ailleurs je m'en mets peu en peine. Mais enfin je suppose avec vous qu'ils ont été de l'opinion de Saint Augustin: Faites voir qu'ils ont crû que cette Cene ait été celebrée sous la seule espece du Pain. L'administration de la Tres-Sainte Eucharistie! Ces paroles signifient-elles une communion sous Pespece du Pain seulement? Quand on parle de l'Eucharistie en general, on veut toûjours parler du Sacrement tout entier.
[Page 45]Mais, Monsieur, je ne sçaurois m'empêcher de vous donner une petite confusion en passant. Vous dites que Calvin luy même a crû, que Jesus Christ avoit celebré l'Eucharistie avec les Disciples d'Emaüs: Quand il auroit été dans ce sentiment avec S. Augustin, ce ne seroit pas un crime. Chaque Interprete donne ses pieuses conjectures sur les passages de l'Ecriture, pourvû qu'elles soient édifiantes: En parlant comme S. Augustin, il n'auroit rien dit de la communion sous une seule espece, non plus que ce Pere n'en a rien dit: Mais il y a plus. Calvin a été positivement d'un sentiment contraire à celuy de Saint Augustin sur ce passage: Ainsi, Monsieur, vous meriteriez un bon dementir, mais il ne faut pas tant vous maltraiter. Voicy les propres termes de Calvin, tirées de son Harmonie sur trois Evangelistes, dans l'explication du 30. v.du 23. ch. de S. Luc, Saint Augustin & plusieurs autres avec lay, ont crû que Christ donna ce Pain, non pour viande commune, mais pour signe sacré de son corps. Mais parce que cette exposition n'est fondée sur aucune conjecture vray-semblable, j'aime mieux prendre le mot de Saint Luc plus simplement; à sçavoir que Christ prenant le Pain entre ses mains, a rendu graces selon sa coûtume. Or il paroît qu'il a usé d'une Formule de Priere particuliere, à laquelle il sçavoit que ses Disciples étoient accoûtumez, & la connoissoient particulierement, afin qu'étant avertis par ce signe, ils reveillassent leurs esprits. Voila Monsieur, comment parle Calvin. Aprenez une autrefois à consulter ses ouvrages avant que de le faire parler sur le témoignage de vos semblables. Son sentiment est celuy du plus grand nombre des Sçavans, & il est certain que c'est faire violence au texte, que d'y [Page 46]chercher, comme a fait Saint Augustin, la celebration de l'Eucharistie.
Mais, Monsieur, voicy quelque chose qui doit ce semble vous embarasser. Quoy? Pour justifier le retranchement de la coupe, vous détruifez la Messe! Ce Sacrifice si utile aux vivans & aux morts! Ce Sacrifice, dont la victime vous nourit si grassement & si mollement! Ce Sacrifice qui pour vous enrichir, ne vous oblige qu'à marmoter une certaine rapsodie, en montrant au Peuple, tantôt le devant, tantôt le derriere! Sans doute que vous n'y avez pas pensé. Il faut donc vous redresser, & vous aprendre à menager vos propres interêts, avec plus de precaution. Je veux avec vous que Jesus Christ ai [...] celebré l'Eucharistie dans l'Hôtellerie; dites moy, cette Eucharistie fut elle un Sacrifice ou non? Si vous dites que ce fut un Sacrifice, elle fut donc celebrée sous les deux especes, car selon vous, on ne peut dire la Messe sous une espece. Vôtre Theologie vous aprend que ces paroies prononcées sur le Pain, Cecy est mon Corps, & celles-cy prononcées sur le vin, Cecy est mon Sang, sont le Coutelas qui égorge la victime: Il faut pour un vray Sacrifice que le pain & le vin soient consacrées separement, afin que Jesus Christ soit du moins immolé en imagination, ne l'étant pas en effet: Cela étant, nous voila d'acord, l'Eucharistie d'Emaüs n'a point été celebrée sous la seule espece du pain. Si vous dites que cette Eucharistie ne fut point un Sacrifice, adieu la Messe, elle n'est plus un Sacrifice, & c'est ce que je demande: Et pour vous, vous voila Anathematisé par le Concile de Trente, qui a decidé que la Messe étoit un vray Sacrifice propitiatoire pour les vivans & [Page 47]pour les morts. Si vous m'en croyez, vous ne vous exposerez point à ressentir les coups de foudres qu'il lance contre ceux qui ont un tel sentiment; & pour conserver la Messe, vous abandonnerez le retranchement de la Coupe aux critiques qu'il merite; ou bien étudiez si bien vôtre leçon, que vous puissiez justifier celuy-cy, sans détruire celle là. Voila, Monsieur, comment on se precipite soy même, quand on s'aveugle volontairement pour trahir sa conscience, & pour soûtenir le mensonge.
Mais venons à tous les passages, où il est dit que les premiers Chrêtiens, perseveroient dans la fraction du pain & dans les Prieres. J'avoüe que dans le 2. & 20. des Actes, la fraction du pain se prend pour l'administration de l'Eucharistie: Mais je vous demande: cette celebration se faisoit-elle avec du pain seul, ou non? Si elle se faisoit avec du pain seul, voila derechef la Messe détruite, elle n'est point un Sacrifice. Encore une fois, voulez vous abolir le Sacrifice de la Messe, pour soûtenir le retranchement de la Coupe? Je ne le croy pas. Il ne faut pas dire, qu'il n'est là parlé que de la Communion du Peuple, cela n'est point dans le texte sacré. Voicy les termes du 20. chap. des Actes vers. 7. que vous alleguez. Le premier jour de la Semaine, les Disciples étant assemblez. pour rompre le pain. Et au vers. 11. il est dit, quand Paul fut remonté, & eut rompu le pain, & mange, & parlé long-temps, jusqu' à l'aube du jour, il partit. Si selon vous, rompre le pain, signifie celebrer l'Eucharistie sous une seule espece, il est vray que S. Paul & les Disciples ne l'ont celebrée que sous une seule espece, car il est dit, qu'ils s'assemblerent pour rompre le Pain, [Page 48]& que Saint Paul le rompit luy même, c'est à dire qu'il fut le celebrant. Or si Saint Paul n'a celebré l'Eucharistie que sous la seule espece du pain, il n'a point Sacrifié. S'il n'a point Sacrifié, la Cene n'est pas essentiellement un Sacrifice comme l'enseigne vôtre Eglise. Il ne vous reste aucune replique. Il est dit que Saint Paul qui fut le celebrant, a rompu le Pain, qu'il a mangé & parlé: Mais il n'est point dit qu'il ait bû & qu'il ait Communié autrement que les Disciples & le Peuple. Si le Peuple a Communié sous une seule espece, S. Paul y a Communié aussi, ce qui détruisant la Messe, prouve plus que vous ne voulez. Avoüez donc pour conserver la Victime qui vous est si pretieuse, que toutes les Eucharisties, que l'Ecriture appelle, fraction du Pain, étoient celebrez avec du pain & du vin: que cette façon de parler est une Phrase Hebraïque, où la partie se prend pour le tout, de la même maniere que nous disons en François, manger un morçeau, pour dire prendre une petite refection. Consultez vôtre Rhetorique & aprenez ce que c'est qu'une Synecdoche. Rompre le Pain, parmy les Hebreux, signifie prendre un Repas. Lisez le 43. de la Genese, où il est dit que Joseph voulant traiter ses Freres, dit à ses gens, mettez le Pain, pour dire aprêtez le diner. Croyez vous, Monsieur, que Joseph n'ait donné à ses Freres que du pain? Si vous croyez qu'il leur donna à manger & à boire, vous devez donc avouer que, mettre le Pain, est une façon de parler parmy les Hebreux, laquelle signifie, preparer le repas. Il en est de même de la fraction du Pain; comme, mettre le Pain, signifie aprêter le repas, rompre le Pain, signifie prendre le repas; or dans un repas il y a à boire [Page 49]& à manger. Au 46. vers. du 2. des Actes, nous avons un exemple de la derniere façon de parler. Là il est dit, que les premiers Chrêtiens, perseveroient tous d'un accord au Temple, & rompant le Pain de Maison en Maison, ils prenoient leurs repas avec joye & simplicité de coèur. Que signifie cette expression, ils prenoient leurs repas rompant le Pain de Maison en Maison? Vous devez sçavoir qu'il est là parlé des repas de charité & d'union que les Fidelles faisoient entr'eux. Croyez vous que ces repas consistassent en pain seul? L'Ecriture ne parlant que de pain, il faut que vous le croyez, si vous n'avez pas recours à la Sinecdoche, c'est à dire à cette figure de Rhethorique qui prend souvent une partie pour le tout. Servez vous donc de cette figure, afin de sauver la Messe dans l'explication du 42. vers. du même chap. où il est dit que les Premiers Chrêtiens, perseveroient tous en la Doctrine des Apôtres & en la Communion, & en la fraction du Pain, & aux Prieres. Pourquoy falsifiez vous ce passage, non seulement quand au sens, mais aussi quand à la Lettre? N'aurez-vous donc jamais aucun respect pour la parole de Dieu? Y a-t-il, qu'ils perseveroient dans la Communion de la fraction du Pain? Non, il y a, dans la Communion & dans la fraction du Pain. Le mot de Communion est exprimé en Latin par ce terme, Communicatio, qui marque les secours mutuels que se rendoient les premiers Fidelles, possedant tout en commun, & n'ayant qu'un coeur & qu'une ame. La fraction du Pain se prend là, selon plusieurs Interprêtes, pour la celebration de l'Eucharistie, & je veux bien être de ce sentiment; Mais il n'est pas vray que cette celebration se soit faite avec du [Page 50]Pain seul. Comme la fraction du Pain dans le verset 46. se prend pour tout ce qui composoit les repas de charité des premiers Fidelles, aussi dans le 42. verset, la fraction du Pain se prend pour tout ce qui composoit le repas Mystique de la Sainte Cene à laquelle ils participoient. Cela ne merite pas davantage de reflections, si vous avez besoin d'une plus longue instruction, cherchez un autre Maître.
Tout ce que vous citez de plus de l'Ecriture, ne merite pas de réponse. Je serois faché pour vous, que les autres Missionnaires sçussent que vous avez cherché des preuves du retranchement de la Coupe dans le 6. chap. de Saint Jean; ils ne pouroient sans doute vous vouloir du bien, d'obliger vos adversaires à jetter les yeux sur un chapitre où l'on trouve le tombeau de la Transubstantiation dans le 63. verset, où Jesus Christ expliquant le sens de ses paroles à ceux qui se scandalisoient de ce qu'il ordonnoit de manger sa chair, C'est, dit-il, l'esprit qui vivifie; la chair ne profite de rien; les paroles que je vous dis sont esprit & vie. Voila un coup de foudre, qui aneantit le Dieu de la Messe. Que jugeroient encore de vous vos Missionnaires, s'ils vous voyoient chercher des preuves du retranchement de la Coupe dans un chap. où ils sçavent que Jesus Christ parloit avant l'institution de l'Eucharistie, temps où il n'y avoit ni Pain Eucaristique à manger, ni coupe à boire? Mais quand il seroit vray, que Jesus C. parleroit de l'Eucharistie par le moyen de laquelle on devoit manger sa chair, de la maniere qu'il s'en explique au 63. verset, il prononce dans ce même lieu vôrre condamnation. Jesus Christ, dit, qu'il est le Pain de vie qui est descendu du [Page 51]Ciel, afin que si quelqu'un en mange, il ne meure point. Il dit ensuite que ce pain de vie, est sa chair qu'il donnera pour la vie du monde.
Pretendez vous conclure de là, que Jesus Christ n'ait donné que sachair seule pour la vie du monde? N'a-t-il pas aussi donnéson sang? C'est donc encore icy une maniere de parler, où une partie est prise pour le tout. Et cela est si vray, que Jesus Christ semblant prevoir que vous abuseriez melicieusement de ses paroles, joint par trois ou quatre fois le bruvage de son sang à la manducation de sa chair, & même il proteste que ces deux choses ne doivent pas être separées. En verité, en verité je vous dis, que si vous ne mangez la chair du fils de l'homme, & ne beuvez son sang, vous n'aurez point la vie en vous même. Repondez à cela, Monsieur le chicaneur. Si selon vous Jesus Christ ordonne de Communier sous la seule espece du Pain, lors qu'il dit qu'on doit manger sa chair, il ordonne donc aussi de Communier sous l'espece du Vin, lors qu'il dit qu'il faut boire son sang: Or il declare dans ce même chapître, qu'il faut manger sa chair & boire son sang, il declare donc par consequent que l'on doit Communier sous les deux especes: Et s'il jure qu'il faut Communier sous les deux especes pour avoir la vie éternelle, comment peut esperer de vivre le pauvre peuple auquel vous refusez l'espece du Vin? J'argumente selon le Principe que vous posez, sçavoir, que manger la chair de Christ, c'est Communier sous l'espece du Pain, & que boire son sang, c'est Communier sous l'espece du Vin. Jesus Christ distingue encore dans plusieurs versets du même chapitre, son sang d'avec sa chair, celuy qui mange ma chair & [Page 52]boit mon sang a la vie eternelle, vers. 54. Ma chair est vrayement viande & mon sang est vrayement bruvage. vers. 55. Celuy qui mange ma chair & qui boit mon sang, demeure en moy & moy en luy, vers. 56. Apparemment que vous n'aviez pas lû ce chapitre entier; ou bien si vous l'avez lû, vous avez à dessein trahi vôtre cause, en y cherchant des preuves du retranchement de la Coupe.
Pour la petite chicane que vous nous faites sur les paroles de S. Paul, qui dit, que quiconque mange de ce Pain ou boit de cette Coupe indignement, mange & boit son jugement; Je n'y comprend rien. Quand il seroit vray que ce mot, ou, seroit dans l'original, que concluriez-vous de là? Que le Peuple Communioit autrefois sous une espece? C'est le fait dont il s'agît entre nous. Il me semble que ce passage ne prouve a utre chose, sinon que celuy qui prendroit indignement un des Simboles, seroit aussi coupable que s'il les prenoit tous les deux. Qui doute que ceux d'entre nous qui ne peuvent boire de vin, & qui prennent le Pain indignement, ne mange leur condamnation? Qui doute que les Manicheens qui se mêloient parmy les Fidelles & ne recevoient que le Pain, faisant seulement semblant de boire le vin, ne prissent leur condamnation? Voila, Monsieur, ce que signifie cepassage, il ne referme pas d'autre mystere. Vous vous trompez en ce que vous dites que nous l'avons falfifié. Il est vray que dans les Anciens Originaux, il y a, &, & non pas, ou; vous le pouvez voir dans un Manuscrit, qui est dans la Biblioteque du Roy, qui a pres de mille ou douze cens ans. Je le sçay de gens dignes de foy qui l'ont lû de leurs propres yeux. [Page 53]Cependant comme cela n'est pas de grande consequence, nous lisons également &, &, ou; le dernier terme est dans ma Bible. Mais laissons ces vetilles de Grammaire. Que dites vous, Monsieur, de ce passage du 26. verset du même chapitre. Toutes fois & quantes que vous mangerez de ce Pain, & que vous boirez de cette Coupe, vous annoncerez la mort du Seigneur jusqu' à ce qu'il vienne, & de ce passage du 28 vers. Que chacun donc s' eprouvesoy-même & qu'ainsi il mange de ce Pain, & qu'il boive de cette Coupe? Il n'y a point là de, ou, disjonctif. Saint Paul dit que c'est assez de prendre indignement un des Simboles pour prendre sa condamnation, qui en doute? Mais que dit-il à ceux qui sont dignes d'aprocher de la Table du Seigneur? Les invite-t-il à prendre seulement le Pain, ou seulement le Vin? Au contraire, il leur commande de prendre l'un & l'autre: Que chacun s'eprouve soy-même, & qu'ainsi il mange de ce Pain & boive de cette Coupe? Vôtre Eglise oseroit-elle chanter ces paroles, qui renferment sa condamnation, dans l'Epître de la Messe du Saint Sacrement, si le Peuple entendoit la Langue Latine? Le Pauvre Peuple ne s'apperceveroit-il pas aussitôt, qu'on le prive de la Coupe, dont Saint Paul luy commande de boire, pour annoncer la mort du Seigneur? Pourquoy, Monsieur, nous obligez vous encore icy à vous donner du chagrin? Que peut on dire de vous & de vos semblables, en vous voyant passer les yeux sur vôtre condamnation écrite du doit de Dieu, & dictée par son Esprit dans tous les chapîtres de l'Ecriture où vous cherchez des armes pour vousdéfendre? Comment n'avez vous pas encore aprehendé de nuire à [Page 54]la Transubstantiation en nous obligeant de jetter les yeux sur l'11. de la premiere aux Corinthiens, où Saint Paul nomme trois ou quatre fois Pain, le Pain Consacré: Est-ce là le langage d'un Papiste ou d'un Protestant? Quoy, Monsieur, selon Saint Paul le Pain consacré, est du Pain, & vous croyez que ce n'en est pas? Il faut manger ce Pain pour annoncer la mort du Seigneur jusqu'à ce qu'il vienne, & vous croyez qu'il vient tous les jours sur la terre? Pensez y bien, Monsieur, si vous m'en croyez, vous ne parlerez jamais de ce chapître, il vous fait tort.
Enfin nous voicy, au, beuvez en tous, sur lequel vous faites des raisonnemens qui font grand pitié. Est-il possible que les personnes d'esprit qui sont dans vôtre Religion, se payent de si pauvres défaites? En disant que Jesus Christ donnant la Communion, separa les Apôtres des Laïques, vous avouez qu'il pouvoit y avoir des Laïques à la Cene de Jesus Christ. Cela n'est pas sans conjecture, car il falloit plus du 13. personnes pour manger l'Agneau Pascal; mais pour éluder la force du commandement que fait Jesus Christ à tous les assistans de boire de la Coupe, vous dites que ce Commandement ne s'adresse qu'aux Apôtres, qu'il separa des Laïques. Où trouvezvous cette separation? Cela est facile à voir. Comme ils mangeoient, Jesus prit le Pain, & aprés qu'il l'ût benit, il le rompit & le donna à ses Disciples, & dit, prenez, mangez, cecy est mon Corps. Puis ayant pris la Coupe & ayant rendu graces, il la leur donna, disant, Beuvez en tous. * Voila l'Histoire de l'institution de la Cene. [Page 55]Ouvrez vos yeux & lisez. Jesus Christ ne donne-t-il pas la Coupe à ceux à qui il venoit de donner le Pain, & ne leur ordonne t-il pas d'en boire tous? Il n'en exclut personne, le texte vous le prouve si vous sçavez lire.
Vous sautez ensuite de la question du fait à celle du droit; & vous pretendez que si ce passage, beuvez en tous, prouve que tous les hommes doivent boire du Calice, cét autre passage, faites cecy, prouve qu'ils sont tous Prêtres. Pitoyable raisonnement! C'est une question à part de sçavoir si Jesus Christ a ordonné ses Apôtres dans la Cene ou ailleurs. Il y va de vôtre interêt de soûtenir la Negative: Car où est l'Huille de la Consecration des Prêtres, dont les quatre doigts qui touchent l'Hostie doivent être Oincts? Cela vous regarde. D'ailleurs si Jesus Christ donna aux Apôtres la Coupe, parce qu'ils étoient Prêtres: Pourquoy vôtre Eglise ne la donnet-elle pas aux Prêtres qui Communient sans dire la Messe? Pour vous tirer d'affaire, je vous donne avis de dire avec nous, que par ces paroles, faites cecy en memoire de moy, Jesus Christ ordonne à toute l'Eglise, representée par ceux qu'il fait Communier, de celebrer l'Eucharistie de la maniere qu'il venoit de la celebrer, commandant à ceux qui representeroient sa place, de l'administrer, & au peuple de la recevoir. Cela ne souffre aucune difficulté.
Concluez donc, qu'il n'y a rien dans l'Ecriture, qui insinüe le moins du monde, que les Conciles de Constance & de Trente, se soient trompez, lors qu'ils ont dit que Jesus Christ avoit administré l'Eucharistie sous les deux especes, & que le Peuple les reçevoit [Page 56]dans la Primitive Eglise. Voyons à present, si dans l'Antiquité vous avez fait quelque découverte, qui puisse convaincre de mensonge vos Historiens, qui nous enseignent que les Fidelles ont Communié sous les deux especes pendant 12. cens ans.
Faut-il, Mr. que vous me donniez toûjours la peine de vous redresser, & de vous avertir que pour défendre le retranchement de la Coupe, vous faites tort à vos plus grands mysteres. Il s'agit de la pratique generale de l'Eglise, & vous citez un fait particulier, & encore il vous est contraire en toute maniere. Il faut pourtant vous pardonner, vous ne donnez dans ce Piege qu'aprés Bellarmin, du Perron, Monsieur de Meaux, & toute la bande de vos fameux Missionnaires Controversistes. Mais il faut que vous ayez part à la mortification qu'ils en ont dèja receüe, puis que vous avez part à leur demangeaison de chicaner. Voicy comment Eusebe raporte le fait de Serapion selon Monsieur de Meaux luy même. Le Prêtre donna à un jeune garçon une petite parcele de l'Eucharistie, qu'il luy ordonna de tremper, & de la mettre ainsi dans la bouche du Viellard. Le jeune homme retourna dans sa maison, trempa la parcelle de l'Eucharistie, & en même temps la fit couler dans la bouche de Serapion. A Dieu ne plaise que j [...]attaque icy Monsieur de Meaux, je ne suis pas un Controversiste d'assez haut étage; & quand je serois plus que je ne suis, je laisserois à Monsieur de la Roque, de glorieuse memoire, tout l'honneur d'avoir confondu un si sin & si subtil adversaire. Si donc je me sers icy de la Version de Monsieur de Meaux, aprés Monsieur [Page 57]de la Roque, * c'est seulement pour vous apprendre que vous ne gagnez rien en suivant les traces de ce celebre Controversiste, & que dans sa propre Version on peut trouver dequoy vous confondre, mais non pas dequoy vous défendre. Que jugez vous, Monsieur, de la conduite de ce Prêtre qui envoye par un jeune garçon une parcelle de l'Eucharistie à Serapion moribond? Croyoit-il que cette parcelle étoit Dieu, ou ne le croyoit-il pas? Si vous dites qu'il ne le croyoit pas, il étoit donc selon vous Heretique; & s'il étoit un Heretique, pourquoy l'appellez vous à vôtre secours? Un homme qui n'a point crû la Transubstantiation, ne peut-il pas aussi avoir crû qu'il n'étoit pas necessaire de Communier les Laïques sous les deux especes? Celuy qui erre dans la Doctrine de l'Eucharistie, ne peut-il pas aussi errer dans la maniere de l'administrer? Si vous dites qu'il a crû la Transubstantiation, que dites vous de son procedé? N'est-ce pas celuy d'un profane? Un de vos Prêtres qui envoyeroit aujourd'huy l'Hostie à un malade par un jeune enfant sans Etole, sans Surplis, sans Chandelle, ne seroit-il pas sacrifié aux flammes de l'Inquisition? Sans contredit. De plus, cette liqueur dans laquelle ce Prêtre ordonne de tremper la parcelle, est-elle du vin consacré, ou du vin commun? Si c'est du vin consacré, voila ce que je cherche, Serapion a Communié sous les deux especes; Si c'est du vin commun, voila encore un nouveau sacrilege, de tremper ce qu'il a crû être Dieu, dans du vin commun, [Page 58]sans se mettre en peine s'il n'en restera point quelque goute dans le vaisseau où on le trempera? Ce Prêtre est donc en toute maniere un Profane & un sacrilege. Et s'il est tel, quel honneur avez vous d'opposer sa conduite à la pratique generale de l'Eglise de son temps? Alors toute l'Eglise Communioit sous les deux especes au raport de tous vos Historiens, & parce qu'un Prêtre Sacrilege & Profane, se sera avisê de Communier un malade sous une espece, à ce que vous pretendez, vous voulez conclure de là, que tous vos Historiens ont menti, & qu'ils sont Ignorants dans l'Antiquité! Je sens bien que ce raisonnement vous presse, mais il faut vous parler François. Sauvez vôtre Transubstantiation comme vous pourez. Je ne suis pas cause du tort que vous luy faites.
Monsieur le Faucheur, dites vous, a avoüé que Sarapion avoit Communié sous la seule espece du Pain. Il ne la, ni nié, ni avoüé, il suppose le fait, & il raisonne ainsi dans le même lieu que vous citez: En Conscience, dit ce grand homme, ce qui fût fait alors par ce Prêtre, fût ce selon l'ordre & l'usage commun de l'Eglise? Que si c'est un fait singulier, comment peut-on montrer par là l'usage commun de l'Eglise d'alors? Que n'imputera-t-on point à l'Eglise Ancienne, si on luy impute tout ce que peuvent avoir fait des particuliers? Par exemple, Alexandre Evêque d'Alexandrie, confirma & declara valable, le Batême donné par i [...]n, à certains Enfans, non encore Baptisez, par Athanase encore jeune Enfant; De là dirons-nous que ce fût la Pratique ordinaire de l'Eglise, & que selon les Anciens Canons, un tel Batême ait été valable & legitime? Le Pape Theodore voulant signer la Deposition de Pyrrhus Monothelite, se fait [Page 59]apporter le Calice & verse du vin Consacrè dans l'ancre dont il écrit sa Sentence; Et neanmoins Baronius ne dit-il pas, que ce n'étoit pas l'usage & la pratique de l'Eglise?
Voila ce que dit Monsieur le Faucheur, il n'est pas besoin de commentaire, son raisonnement est également clair & juste. Vous auriez bien fait de n'en point parler. Je vous ferai bien, si vous voulez, le même aveu qu'il a fait. Je dirai fort bien comme il a dit: Quand il seroit vrai, que ce Prêtre auroit envoyé le Pain seul à Serapion, en conscience étoit ce là la pratique & l'usage commun de l'Eglise d'alors? Que fait ce cas singulier contre la pratique universelle de l'Eglise de son Siecle? Que ne peut on point Imputer à vôtre l'Eglise, si on lui Impute les faits des particuliers? Il y eut autrefois, selon beaucoup de vos Historiens, une fille assize sur le Siege Romain, peut-on conclure de là, que c'étoit alors l'usage commun de l'Eglise Romaine de n'avoir que des filles pour Papes?
Boniface 8. traitoit autrefois l'Evangile de Fable; peut-on conclure de là que ce fut alors l'usage commun de l'Eglise Romaine de ne choisir que des Athées & des Impies pour Papes? Il y a 5 ou 6 ans que les Cordeliers du Grand Couvent de Paris se froterent, & qu'il en resta un sur la place; peut-on conclure de là que c'est l'usage commun de l'Eglise Romaine que les Moines s'entregorgent? Oüi, on le peut, s'il est permis d'imputer à toute une Eglise les faits des particuliers, & de faire passer pour une pratique generale, une action singuliere, comme vous le voulez faire en voulant prouver que toute l'Ancienne Eglise Communioit le Peuple sous une espece, parce qu'un Prêtre, selon [Page 60]vos Principes, Sacrilege & Profane, a envoyé la Communion à Serapion sous une seule espece. Que diriez vous de moy, Monsieur, si en blamant toutes les Ceremonies que l'on observe dans vôtre Eglise, lors qu'on porte l'Eucharistie aux malades, je voulois la convaincre par l'exemple de ce Prêtre, que ce n'étoit pas là, la pratique de l'Ancienne Eglise, & qu'elle l'envoyoit seulement par des jeunes garçons sans aucune Ceremonie? Ne vous écririez vous pas aussitôt, qu'il n'y a rien de plus injuste, que d'imputer à toute l'Eglise l'action d'un particulier? Quoy donc? Vous ne voulez pas que toute l'Ancienne Eglise ait envoyé l'Eucharistie aux malades par de jeunes garçons, quoy que le Prêtre de Serapion la luy ait envoyée de la sorte; & vous voulez pourtant que toute l'Ancienne Eglise ait Communié le Peuple sous une espece, quoy qu'il ni ait eu que ce même Prêtre qui en ait agi de même?
Mais il y a plus, il n'est pas même certain que Serapion n'ait Communié que sous une espece; au contraire. Il est plus probable qu'il a Communié sous les deux especes. Car, Monsieur, Eusebe ne dit pas positivement que le Prêtre ne donna point de vin consacré au jeune garçon? On peut même inferer de ce qu'il dit, qu'il luy en donna. N'y a-t-il pas plus d'apparence qu'en luy Commandant de tremper le Pain pour faciliter la Communion du malade, il luy donna du Vin Consacré pour le tremper, de la maniere que cela se pratiquoit dans la Communion des Petits Enfans, comme Monsieur de la Roque l'a fort bien fait remarquer * à Monsieur de Maux? Est-il croyable [Page 61]que ce Prêtre eût fait Communier autretrement, que toute l'Eglise ne Communioit alors? Croyez moy, cessez de copier cette objection, elle vous condamne, car comme l'a judicieusement remarqué Cassander, Ceux là même qui trempoient le Pain dans le Vin, ne faisoient-ils pas voir combien ils croyoient necessaire à une Communion legitime, l'usage de deux Symboles. * J'ajoûteray même une Reflection qui peut m'être particuliere. Je suppose que le Prêtre n'ait point donné au jeune garçon de Vin Consacré pour y tremper le Pain: Peut être a il crû que la partie consacrée, consacreroit celle qui ne l'étoit pas, étant mêlées ensemble. Quand dans vos Eglises on répand plusieurs Cruches d'eau commune dans les Benitiers, lors qu'on s'apperçoit qu'il y a à peine un verre d'Eau Benite, ne croit-on pas que le verre d'Eau Benite, communique sa vertu à toutes les Cruches d'eau commune, étant mêlées ensemble? Que sçavez-vous si le Prêtre qui, selon vous, envoya la Communion à Serapion, sous une espece, n'avoit pas la même opinion du Pain Consacré? Mais venons à Saint Ambroise.
On diroit à vous entendre parler, que ce Pere affecta de Communier sous une seule espece pour confondre par avance les Protestans. Je vous ay de l'obligation de m'avoir donné avis de lire sa Vie dans Paulin, mais vous devez vous en repentir. Ce Paulin ne m'a rien apris qui favorise vos chicanes. Il dit, que Saint Honorat Evêque de Verceil, qui étoit venu pour assister Saint Ambroise à la mort, durant le repos de la nuit, entendit par trois fois cette voix: Leve toy, ne tarde pas, il va mourir: Il décendit, il [Page 62]luy presenta le Corps de nôtre Seigneur; & le Saint ne l'eut pas plûtôt reçû qu'il rendit l'esprit. Il faut avoir une terrible passion de trahir la verité, pour chercher là dedans le retranchement du Calice. Qu'entendez-vous par le Corps du Seigneur, que reçût Saint Ambroise? N'entendez-vous que l'espece du Pain? Comment auriez vous voulu luy donner l'espece du Vin, puis qu'il n'eût pas plûtôt reçû la premiere espece, qu'il rendit l'esprit? Eussiez vous voulu faire avaler le vin Consacré à un mort? Entendez vous par le Corps du Seigneur, la Sainte Eucharistie toute entiere? Nous voila d'accord, Saint Ambroise aura Communié sous les deux especes, & ensuite il aura rendu l'esprit. Pour moy je croy que le dernier sens est plus naturel, cela est assez ordinaire dans les Anciens, de nommer toute l'Eucharistie, le Corps de Jesus Christ, comme il est ordinaire aux Ecrivains Sacrez, de la nommer, la Fraction du Pain. Mais que fait cela à nôtre question? Il s'agit de la pratique ordinaire de l'Eglise, & non pas d'un cas particulier. Que Saint Ambroise ait Communié comme il ait pù, s'il a manqué à quelque formalité, c'est parce que la mort l'a surpris. Toûjours est il vray que l'Eglise Communioit alors le Peuple sous les deux especes.
Ce que vous dites de Tertulien, ne fait encore rien contre le témoignage de vos Conciles & de vos Historiens. Si les Docteurs des Conciles de Constance & de Trente, si Fra-Polo, & Mezeray vivoient encore, ils vous donneroient le dementir que vous meritez. Il n'est pas vray que Tertulien ait dit que l'Eglis [...]de son temps donnoit la Communion au Peuple sous une seule espece. Pourquoy faites [Page 63]vous mentir les morts? Dire que les Fidelles portoient l'Eucharistie en leurs Maisons & qu'ils l'y gardoient assez long-temps, est-ce là dire que l'Eglise ne les faisoit Communier que sous une espece? Le mot d'Eucharistie ne comprend-il pas les deux Simboles? Pensez un peu mieux à ce que vous dites. Ne voyez vous pas que cette Ancienne coûtume détruit encore l'Antiquité de la Transubstantiation aussi bien que celle d'enterrer l'Eucharistie avec les morts, ou d'en faire des emplatres, ce qui se pratiquoit autrefois parmy les Chrêtiens? Pensez-vous que tous ces gens là, crussent que c'étoit leur Dieu qu'ils traitoient de la sorte? Cela soit encore dit en passant.
Ce que vous citez du Pape Leon fait encore contre vous. Il condamne les Manicheens de ce qu'ils ne Communient que sous une espece, il exhorte les Fidelles, à ne pas les imiter, & à Communier toûjours sous les deux especes, & cela dites vous quatre cens ans avant le Concile de Constance, c'est à dire dans l'11. ou 12. Siecle. A quoy pensez-vous, Monsieur? Vous me donné cause gagnée un peu trop grossierement. Vous avoüez que le Peuple Fidelle Communioit encore sous les deux especes dans l'11. Siecle, qu'un Pape même leur ordonne de perseverer dans cette pratique! Nous ne devons plus disputer, nous voila d'accord. Ne vous étes vous point trompé au Chifre? N'avez vous point mis un 4. avec deux 00. pour un 1. & trois 000? Ne voulez-vous point plûtôt parler de Leon Premier, qui vivoit 1000. ans avant le Concile de Constance, & qui commença l'Empire Anti-Chrêtien dans le cinquiéme Siecle, en se faisant établir Juge des autres Evêques, par l'Empereur Valentinien? [Page 64]Lisez bien vos Missionnaires, & voyez si vous ne vous étes point trompé.
Quand vous m'aurez dit en quel Livre & en quels Chapitres Saint Cyprien, Saint Basile, & Tertulien, disent qu'on Communioit autrefois les petits Enfans sous la seule espece du Vin, j'examineray ce qui en est. En attendant je vous soûtiens que cela n'est pas vray, & qu'en cas que cela fut vray, je dirois que la Communion des Enfans sous l'espece du Vin auroit été un abus, comme la Communion des Enfans, telle qu'elle ait été, en étoit un, que vous ne voudriez pas aujourd'huy pratiquer. Je veux pourtant avoir le plaisir de vous faire avoüer malgré que vous en ayez, que les Enfans Communioient aussi sous les deux especes. Je ne vous citeray qu'un seul passage. Vous avoüez qu'ils Communioient sous l'espece du Vin, vous le prouvez par les Peres, voila deja une espece: Or l'ordre Romain nous aprend, qu'ils Commnioient aussi sous l'espece du Pain: Qu'on prenne bien garde, dit-il, que les Enfans ne prennent aucun aliment, qu'ils ne succent pas même la Mamelle, sans une extreme necessité, avant que d'avoir reçû le Sacrement du Corps de Jesus Christ. * Voila l'espece du Pain bien exprimée, ou plûtôt voila deux Simboles marqués par ces termes, le Sacrement du Corps du Seigneur, selon le langage ordinaire des Peres, & selon le nôtre même.
Le reste de vôtre Lettre sort de l'état de la question. Vous pretendez prouver que l'Eglise Romaine a autant de droit de retrancher la Coupe au Peuple, que la petite Secte des Calvinistes en a d'en dispenser ceux qui ont une [Page 65]aversion insurmontable pour le Vin. Il ne s'agissoit point entre nous du droit, mais du fait. Nôtre dispute n'étoit pas de sçavoir si on peut Communier sous une seule espece, ou si on doit faire Chisme avec une Eglise qui défend la Coupe au Peuple; Il s'agissoit de sçavoir seulement, si Jesus Christ, les Apôtres & la Primitive Eglise ont fait Communier le Peuple sous l'espece du Pain seulement. J'ay pris la Negative, vous avez pris l'Affirmative contre les témoignages de vos Conciles & de vos Historiens. J'ay fait l'Apologie de leur sentiment en faisant le mien. Je laisse à tout homme raisonnable, à juger qui de vous ou de moy a raison.
De la question du fait voicy comment, selon les principes que j'ay établis, je passe à celle du droit.
On doit prendre le party le plus assuré en matiere de Religion, le party le plus assuré est celuy dont la pratique est la plus conforme à celle de Jesus Christ, des Apôtres, & de la Primitive Eglise: Or la pratique de faire également Communier le Clergé & le Peuple sous les deux especes, est plus conforme à la pratique de Jesus Christ, des Apôtres, & de la Primitive Eglise, (nous l'avons prouvé) donc imiter cette pratique, c'est suivre le party le plus assuré: L'Eglise Reformée l'imite, donc elle est le party le plus assuré, donc on doit se ranger dans son Sein. Il me semble que ce raisonnement est juste, il decide en deux mots la question du droit. Il n'y a point de voye plus abregée.
Rendez vous donc, Monsieur, ayez honte d'avoir fait de si vains & de si honteux efforts pour dementir vos Conciles & vos Historiens. [Page 66]Demandez pardon à Dieu d'avoir falsifié sa parole, pour soûtenir le mensonge. Reparez l'honneur des grands hommes que vous avez voulu faire passer pour Ignorans dans l'Ecriture & dans l'Antiquité. Faites moy passer pour tel tant qu'il vous plaira, je vous pardonne; Mais du moins épargnez ceux à qui vôtre Eglise à tant d'obligation. Ne rougissez pas de confesser avec eux, que Jesus Christ a institué & administré ce Venerable Sacrement, sous les deux especes, que dans la Primitive Eglise les Fidelles recevoient les deux especes, que cette pratique a duré douze cens ans, & de là concluez avec moy sans crainte de vous tromper, que le party le plus sur, est celuy qui imite cette pratique Apostolique.
Est il besoin de vous faire sentir la foiblesse du raisonnement par lequel vous terminez vôtre Ecrit? La petite Secte des Calvinistes, dites vous, dispense de la Coupe ceux qui ne peuvent boire de Vin, donc le Corps de l'Eglise Catholique a droit de la défendre à tout de Peuple sous peine de l'Inquisition. Il me semble qu'il n'est pas besoin d'avoir étudié en Logique, pour s'apercevoir que cét Argument n'est guere en forme. La petite Secte des Calvinistes dispense de la Coupe ceux qui ont une impossibilité absolüe de boire de Vin! Elle a raison. Pourquoy? C'est parce que Dieu les en dispense le premier: De sorte que la dispense que leur en donne l'Eglise, n'est à proprement parler, qu'une declaration authentique de la dispense Divine. Une personne déclare à l'Eglise, qu'il luy est absolument impossible de boire du Vin sans qu'il luy en arrive d'étranges inconveniens. Là dessus l'Eglise luy declare que le precepte de Communier sous les deux especes, ne la [Page 67]regarde pas, non plus que le precepte de Prêcher l'Evangile donné à tous les Ministres, n'oblige pas celuy qui par accident perd l'osage de la parole; Non plus que le Commandement d'écouter la Predication de l'Evangile, n'oblige pas les sourds.
Vôtre Eglise croit que tout pecheur est obligé de confesser verbalement fes pechez à un Prêtre. Elle pretend que Jesus Christ a fait ce Commandement à tous les hommes. Cependant n'en dispense-t-elle pas les müets, ou ceux qui tombent dans des convulsions, qui leur ôtent, & la parole, & la raison? Pourquoy les en dispense-t-elle? Parce que Dieu les en dispense luy même par l'infirmité dont il les afflige. Voila justement le cas de la petite Secte des Calvinistes. Elle croit que chaque Fidelle doit Communier sous les deux especes, comme tout le corps de l'Eglise Catholique croit que chaque pecheur doit se confesser verballement: Mais celle là dispense de la Coupe ceux qui ne peuvent boire de Vin, comme cellecy dispense de la confession verbale, ceux qui ne peuvent parler & pour la même raison, sçavoir, parce que Dieu les en dispense luy même, suivant ce principe que vous établissez vous même, Dieu ne commande rien d'impossible.
Que diriez vous de moy, si pour vous prouver que l'Eglise Reformée à droit d'abolir la Confession Auriculaire, j'argumentois ainsi: L'Eglise Romaine dispense de la Confession Auriculaire les müets; donc l'Eglise REformée à droit, non seulement d'en dispenser ceux qui peuvent parler, mais même de brûler tous vivans ceux qui voudroient se Confesser? Si je n'avois pas d'autres preuves pour [Page 68]justifier le retranchement de la Confession Auriculaire, ce foroit pour lors que vous auriez raison de cacher mon nom par pitié & par charité. Voila pourtant vôtre raisonnement, il n'est pas moins pitoyable. La petite Secte des Calvinistes dispense de la Coupe ceux qui ne peuvent boire de Vin; donc (c'est vôtre consequence) tout le Corps de l'Eglise Catholique a droit, nonseulement d'en dispenser tous ceux qui peuvent en boire, mais même de leur défendre d'y participer sous peine d'être livrez aux Inquisiteurs de la méchanceté Heretique.
Nous ne finirions jamais s'il falloit relever toutes vos beveües. Ce que vous imposez aux Ministres de Charenton est faux. Ils n'ont pas dit que le retranchement de la Coupe ne fût de nolle consequence, mais ils ont seulement dit que de faire la recherche des raisons qui ont obligé l'Eglise Romaine à retrancher la Coupe au Peuple, est une chose de si peu de consequence, qu'il faut que le Concile de Trente ait été animé d'un genie bien crüel, pour avoir Anathematifé ceux qui rechercheront ou critiqueront ces raisons, vû qu'il ne peut y avoir de crime dans cette recherche ni dans cette critique. Je ne doute pas que vous n'en imposiez aussi à Luther & à ses Sectateurs. Je laisse aux Lutheriens la gloire de vous confondre: Cela, & tout le reste de vôtre Lettre ne touche pas l'état de la question. En voila plus que vous ne meritez, faites en vôtre profit.
FIN.