LA POLITIQUE Des JESUITES.
Ier. DISCOURS.
Les Iesuites puissans par tout le monde. Autrefois comme à present ils ont gouverné l'Espagne, la France, l'Alemagne, l'Angleterre, la Pologne. Leur puissance dans les Indes & dans l'Amerique.
IL n'est pas possible, Messieurs, que vous n'ayez oui parler de l'ambitieux projet de la Maison d'Austriche, que Charles-quint eut la pensée de se rendre Maitre de toute [Page 2]l'Europe, qu'il laissa à ses successeurs dans l'Empire & dans ses Etats hereditaires, le plan d'une Monarchie universelle; & que les Jesuites ont été accusez d'avoir secondé de leurs voeux, & de leurs services, ce vaste & magnifique projet. En effet comme ce projet a paru, & en ce que l'Alemagne est devenue en quelque façon hereditaire dans la maison d'Austriche, & en ce que le Roi d'Espagne Philippe II. avoit en veuë d'y mettre le Royaume d'Angleterre par le moyen de son mariage avec la Reine Marie, & en ce qu'il ne pensoit pas moins à y reduire la France, par le moyen de la Ligue, au prejudice même du Duc de Guise, qui en étoit le Chef. Il n'a pas moins paru par la conduite des Jesuites, qu'ils ont été soubçonnez avec raison de favoriser & d'avancer de tout leur pouvoir, l'ambition demesurée des Heritiers de Charles-quint, & en ce qu'ils firent dans l'Alemagne & dans l'Angleterre dans le siecle passé, & sur tout en ce qu'ils firent en France, puis que tout l'Esprit de la Ligue étoit renfermé dans le Conseil des Seize, dont le Jesuite Pigenat étoit le President, & que le Jesuite Mathieu alloit en Espagne & [Page 3]en revenoit chargé des dépeches, avec quoy il s'acquit l'infame Sobriquet de Courrier ou de Postillon de la Ligue.
Mais peutétre, Messieurs, n'ouites vous jamais parler, que le feu d'une semblable ambition, se fut pris aux Disciples de S. Ignace Loyola, & qu'ils ayent eu la hardiesse de concevoir pour leur Societé, le prodigieux dessein d'une Monarchie universelle. Je voy bien, que cela vous surprend. Et puis que vous n'avez pû l'ouir sans rire, il faut ou que vous croyez, que ceux de cette Compagnie sont des visionnaires & des fous, de la Profession que nous sçavons qu'ils sont, pour s'entêter d'un dessein si chimerique; ou que je sois un Calomniateur, ou un simple, d'imputer à tout un corps, & à une grande Societé, où il ne se peut qu'il n'y ait des gens bien sensez; de leur imputer dis-je un dessein si extravaguant & si digne des Petites maisons. Vous croirez, Messieurs, de ces Peres tout ce qu'il vous plaira, mon affaire à moy, est de vous faire voir, que je ne suis ni Calomniateur, ni credule, & de vous prouver que non seulement il est possible, que les Superieurs de cette Compagnie [Page 4]ayent conceu le dessein ambitieux, qui vous surprend, mais aussi qu'ils sont parvenus enfin, & depuis longtems à cette Monarchie universelle, que cette Societé jouit presque par tout réélement de cette Souveraineté, & qu'en un mot les Disciples de S. Ignace Loyola ont heureusement trouve, ce que les Heritiers de Charles-quint ont cherché inutilement, & à raison de quoy ils font aujourdhuy pour ainsi dire amande d'hôneur à toute l'Europe.
Premierement la Compagnie des Jesuites n'est pas composée d'Anges: ils sont chair & sang: ils sont hommes sujets aux mêmes passions & aux mêmes vices, qui se remarquent dans le reste des mortels. Vous ne pouvez pas nier, qu'ils ne soient aussi avares qu'il y en ait au monde: j'aurai occasion dans la suite de vous donner des preuves fortes de leur extreme avarice: pour quoy trouverez vous étrange d'ouir les accuser d'une extreme & démesurée Ambition. Y a t'il de l'antipathie entre ces deux passions? Ne peuvent elles loger ensemble en un même lieu? ne void on pas dans l'Histoire des Exemples en grand nombre, qui justifient, que les [Page 5]plus avares ne sont travaillez du desir instiable de richesses, que par ce qu'ils ont à satisfaire une ambition, qui n'a point de bornes.
D'ailleurs, Messieurs, sçavez vous bien, quel homme c'est qu'à été Ignace Loyola, le Pere des Peres, le Chef & le fondateur de la fameuse Societé? c'étoit un homme de guerre de sa premiere profession. Il se trouva même au Siege Pamphlune en qualité de Gouverneur de la Place, & y fut blessé. Il avoit donc de l'ambition, puis qu'il avoit pris le chemin de la gloire & des Conquerans. Il est vray, que trouvant qu'il n'y faisoit pas bon, il changea de toute. Mais quoy n'y a-t-il qu'un chemin, qui conduit à la gloire? Il quite l'Epée, il s'attache à la Lecture de La vie des Saints, il prêche dans les ruës, soubçonné d'étre de la secte qu'on appelloit Alumbrados, il est mis à l'inquisition, il en sort apres avoir justifié son innocence, il luy arrive une nuit, dit Orlandin, de se jêter de son lit en bas, il se met à genoux devant l'Image de la Sainte Vierge, fait voeu d'étre son Chevalier, & dans une Exstase, qui luy dura huit jours, il vid le modele de la Societé qu'il [Page 6]à fondée. Le voilà donc luy & tous ceux de sa Societé Chevaliers de la Vierge. C'est dequoy ils se glorifient eux mêmes. Ecoutez ce qu'en dit leur Historien,Orland. Imago. Saeculi. quels hommes choisis, Dieu immortel! quels foudres de guerre! quelle fleur de Chevalerie! quels appuis, quels genies tutelaires! quels protecteurs de l'Eglise! I'ose dire que l'un d'eux est capable des plus grandes choses, & vaut luy seul une Armée. Ils sont tous des hommes mâles, ou plutôt des lions genereux, qui ne sont étonnez d'aucuns perils, ce sont des Heros. Je croy que tous ceux de cette Societé naissent le casque en tête. Ce sont des Samsons animez de l'esprit de Dieu & revêtus de sa force invincible. Le bon est, qu'avec l'humeur & les vertus guerrieres ils croyent posseder les sciences au plus haut degré.Jansenis me confondu. Et je prens plaisir d'ouir le Pere Brisacier parlant de luy même en ces termes dans un de ses ouvrages. Je vous aprendrai, que la science & la guerre ne sont pas incompatibles, & vous ferai confesser, que je ne suis pas moins expert en la guerre de l'Ecole qu'en celle de la Campagne, ni moins Theologien que Soldat. Tous les Jesuites, dit encore Dandin, sont eminens en Doctrine & en Sagesse; de sorte qu'on peut dire de la Societé, ce que dit Seneque: il y a de l'inegalité où les choses eminentes [Page 7]sont remarquables: mais on n'admire point un arbre quand tous les autres de la forêt sont egalement hauts. Certes de quelque part que vous jêtiez les yeux, vous ne trouverez rien dans la Societé, qui ne peut étre eminent par dessus les autres, s'il n'étoit parmi d'autres qui ont la même eminence. Or cela étant de la sorte, Messieurs, tous ceux de cette Societé, se trouvans tout pleins du merite extraordinaire de leur fondateur, de sa dignité de Chevalier de la St. Vierge, & de l'excellence de ses visions: & eux mêmes se voyant elevez au dessus de tous les mortels, de tous les doctes, & de tous les braves par le seul titre de Pere de la Compagnie de Iesus, que trouvez vous de choquant & contre la vrai-semblance, que leur Societé ait aspiré à la Monarchie universelle, & qu'elle ait eu l'ambition de gouverner tout le monde Chrêtien, voire tout l'Univers.
Mais il ne faut pas contester contre l'experience. Quand vous me prouveriez par des raisons, que je ne pourrois pas soudre, qu'il est du tout impossible, que des gens de Robe & des Religieux ayent roulé un semblable dessein dans leur esprit, sans avoir perdu le sens & la raison, je ferai comme ce Philosophe, [Page 8]qui ne pouvant, ou ne daignant pas, refuter en forme les sophismes, qu'on luy faisoit pour prouver, qu'il n'y a point de mouvement dans la nature, se mit à sauter de toute sa force, & cassa de cette maniere bouffonne tous les argumens, contraires à une verité, qui sautoit aux yeux. Je soutiens, que les Jesuites sont arrivez à leur but, depuis long tems, & qu'ils sont en possession de la Monarchie universelle. Vous sçavez que les Papes sont montez à ce haut faiste de grandeur pour le moins depuis Gregoire. Il n'est point de Docteur Catholique aujourd'huy, qui ne fasse profession de croire, que le Souverain Pontife est le Monarque du Monde & de l'Eglise, en qualité de Vicaire de Jesus Christ, comme il n'est point de Prince Chrêtien, à moins qu'il soit heretique, ou qui ne le reconnoisse pour son Superieur, ou qui malgré luy n'en ressente le pouvoir. J'en dis autant de la Societé des Jesuites, à cette difference prez; qu'on n'a pas fait un Article de foy de la puissance des Jesuites, comme on en a fait un de celle du Pape, & qu'ils n'ont point dans l'Europe un Etat & uno Souveraineté, qui paroisse dans la [Page 9]charte, comme on y voit la Romagne, ou ce qu'on appelle l'Etat Ecclesiastique. Mais il n'y a point de Prince Catholique, où la Societé des Jesuites ne regne, sous le nom du Prince, & comme il n'y a presque point de dignité dans l'Eglise, ou qu'ils n'occupent, ou dont ils ne disposent, ou qui ne soit exercée par leurs creatures. Ce sont des veritez, dont il est aisé de donner des preuves.
Que les Jesuites regnent dans toutes les Cours sous le nom du Prince, cela paroit dans l'Histoire avec evidence, où l'on voit, qu'ils ont fait passer dans le Conseil des Rois & des Empereurs, tout ce qu'ils avoient auparavant resolu, dans les congregations de leur General. Il n'y eut jamais un Roi d'un Esprit, ni plus penetrant, ni plus ferme, ni plus solide que Philippe II. mais il se laissa si fort empaumer par les Jesuites, qu'il ne voyoit que par leurs yeux. Ce fut par leurs pernicieux conseils, dont il ne sçût pas découvrir la malice & la temerité, qu'il fit faire tant de boucheries dans les Païs-bas, & qu'il imposa un si pesant joug à ses peuples, que ces belles Provinces reduites au desespoir leverent l'Etendart de la rebellion, pour se [Page 10]mettre en liberté C'étoit le moins que cela devoit produire: car on voit presque toûjours, que le desespoir inspire le courage, & que le courage, qui vient de cet endroit-là, brise les plus fortes chaines de la servitude. Et qu'est il arrivé ensuite de cette rebellion? C'est que les Etats des Provinces unies se sont rendus si puissans par mer & par terre, qu'elles on conquis les forteresses & les ports d'Espagne, qu'elles ont dissipé ses flottes, pillé les Indes, & mis en deroute ses plus fortes armées. Si Philippe n'eut pas écouté les Jesuites, il n'eut pas perdu sept de ses plus belles Provinces, & si ces Peres n'eussent pas regenté dans sa Cour, s'ils n'y eussent pas eu le pouvoir, qu'ils y avoient, il n'eut pas prêté l'oreille à leurs conseils. Philippe IV. eut le malheur d'éprouver la puissance de ces mêmes Peres aussi bien que son ayeul. Le Marquis de Spinola étoit d'avis, que le Roi son maître secourut la Rochelle, ayant reconnu en passant par la Cour de France, que l'Anglois étoit d'intelligence avec le Cardinal de Richelieu. Comme le vieux Caton quelque affaire qui fut sur le tapis dans le Senat, [Page 11]concluoit toûjours son avis par cerefrain; & que Carthage soit detruite: Ce Seigneur Espagnol de même ne sortoit jamais du Conseil, qu'il n'y eut declaré, qu'il falloit secourir la Rochelle. Tous ceux qui ont leu l'Histoire des Païs-bas, sçavent, quel personnage c'étoit que le Marquis de Spinola, qu'il n'étoit pas moins grand homme d'Etat que grand Capitaine, & qu'il ne payoit pas moins de la tête que du bras: mais il avoit en tête les Jesuites, qui contrecarroient son avis, il n'étoit que Ministre, & les Jesuites é toient les Maîtres: quelque excellent que fut le conseil de ce brave Espagnol, les Reverends l'emporterent sur luy, soit qu'ils fussent gagnez par le Cardinal de Richelieu, soit qu'ils fussent bien aises devoir l'affoiblissement de l'heresie dans la prise d'une place, qui étoit un de ses remparts, ils representerent si bien au Roi, qu'il y alloit & de son honneur & de son salut de se declarer pour une ville heretique, que la Rochelle fut prise, par faute de secours, & que la France devenue fiere de ce succés, fit marcher toutes ses forces contre l'Espagne, la bâtit presque par tout, fit soulever la Catalogne, & revolter [Page 12]le Portugal. Ce furent encore les Jesuites, qui porterent Ferdinand II. à vouloir dépouiller les Princes protestans de leurs revenus: ce qui l'engagea dans une guerre, où peu s'en falut, qu'il ne perdit tous ses Etats avec la Couronne Imperiale. En effet le Cardinal de Richelieu, qui veilloit toûjours pour les interets de la France, fit venir le grand Gustave Adolphe, qui en deux ans conquit toute l'Allemagne, & qui eut chassé l'Empereur de tous ses Etats hereditaires, si un assassin n'eut pas arreté & terminé les victoires avec la vie de ce grand Roi à la bataille de Lutzen. Les Jesuites avoient regardé d'un oeil de convoitise les revenus de l'Eglise, dont les Princes Protestans s'étoient emparez: ces Princes n'étoient pas d'humeur à s'en dessaisir, ils ne pouvoient y étre forcés que par une Armée victorieuse: s'il ne tient qu'à cela, les Jesuites ont assés de credit dans la Cour de l'Empereur, ils gouvernent sa conscience, ils president dans son Conseil ou par eux mêmes ou par leurs creatures: voilà une grande Armée sur pied, qui menace tous les Princes Protestans de les depouiller de leurs propres Etats [Page 13]s'ils ne rendent pas tous les revenus, dont ils avoient depouillé l'Eglise.
Vous avez veu dans l'exemple de Philippe second l'authorité & la puissance des Jesuites sur l'esprit de ce Roi tout absolu qu'il étoit: en voicy un autre de la puissance de ces mêmes Peres, dans la Cour de Portugal. Philippe second pensoit depuis longtems à se rendre Maître du Portugal, rien ne l'accommodoit mieux que ce Royaume, il avoit cherché divers moyens de satisfaire son ambition sur ce sujet, & trouvant par tout des difficultez insurmontables, il s'adresse aux Jesuites, qu'il connoissoit capables de tout entreprendre & de tout surmonter. Il leur propose le dessein qu'il avoit sur ce Royaume, il leur découvre les difficultés, qui l'empechoient de concevoir l'esperance d'un bon succés: ces difficultés consistoient en l'Amour que les peuples avoient pour leur Roi, & dans la valeur de la Noblesse, qu'il n'ignoroit pas étre trés affectionnée à leur Prince. Mais ce qui rebutoit Philippe second, ne fit qu'animer le courage des Peres, ils assûrent le Roi, qu'ils luy donneroient une entiere satisfaction, [Page 14]& qu'ils le mêtroient en possession de tous les Etats qu'il desiroit. Ils luy tinrent ce qu'ils luy avoient promis, & il ne leur fut pas aussi difficile qu'ils se l'étoient imaginé. Comme ces Peres passoient pour de grands Apôtres dans le Portugal, ils gagnent dans peu de tems les bonnes graces du Roi Sebastien, ils s'emparent de son Esprit, & y acquierent un si grand ascendant, qu'ils le menent où ils veulent comme un aveugle. D'abord ils commencent par luy rendre toute sa Cour suspecte, afin qu'il ne pût avoir de confiance qu'en eux. Ils éloignent tous les anciens Ministres, ils renouvellent tout le Conseil, & sous divers pretextes ils accablent de calomnies, tout ce qu'il y avoit d'honêtes gens, & dans sa Cour & dans ses Etats. Ayant éloigné les uns par un commandement absolu de se retirer, & banni les autres par des Ambassades, ils mettent à leur place des personnes affidées, & reduisent le Roi à ne se pouvoir servir, que de leur conseil & de leur ministere. Mais comme ce n'étoit pas assés d'avoir fait un monde nouveau à la Cour du Prince, & que le Prince luy même à cause de sa valeur, & de l'Amour que ses peuples [Page 15]avoient pour luy, étoit le plus grand obstacle au dessein de l'Espagnol: ne pouvant s'en défaire par le poison & moins encore ouvertement, ils s'avisent de lui faire perir par un moyen, où leur perfidie seroit à l'abri, & qui ôteroit tout sujet de les soubçonner. Pour cet effet ils luy mettent en tête de passer en Afrique, & d'aller faire la guerre aux Mores. Le Roi donne là dedans, & ne considerant pas si avec dix ou vingt mille hommes il pouvoit attaquer une Armée de cinquante mille, selon le conseil de J. Christ, il suit aveuglement le conseil des Jesuites, il entreprend la guerre, il passe la mer, il attaque les Mores, il est tué & toute sa Noblesse taillée en pieces. Jugez aprés cela, si le Roi d'Espagne eut grande peine à se rendre Maître du Portugal.
Je reviens encore à l'Auguste Maison d'Autriche, pour vous y faire voir de nouvelles preuves de la puissance, que les Jesuites y exerçoient, il n'y a pas bien longtems. La premiere preuve m'est fournie par les brouilleries de la Cour d'Espagne, durant la minorité du Roi Charles, qui regne aujourdhuy. Le Jesuite Nitard, confesseur de la [Page 16]Reine, possedoit si absolument l'esprit de cette Princesse, & celui du Jeune Roi, qu'il ne se concluoit rien dans le Conseil que ce qui plaisoit à la Societé. Dom Iuan s'ennuya de voir le timon de l'Etat tout entier en la main de ces Religieux, s'en plaignit hautement, & s'éloigna de la Cour: & ce qui arriva de ces brouilleries, c'est premierement, que la France s'en prevalut de la maniere que chacun sçait, c'est en 2 lieu, que le Pere Nitard fut éloigné de la Cour & de tous les Etats Catholiques, & pour couvrir la honte du bannissement de ce Pere, on luy fit donner le chapeau de Cardinal qu'il alla prendre à Rome, où il est mort, & en 3 lieu, que Dom Iuan luy même ne le porta pas loin, étant mort peu de tems apres d'une mániere qui fit soubçonner ses partics, de l'avoir aidé à bien mourir. Mais la Societé n'est pas morte, elle vit encore, & regne toûjours à Madrit aussi bien qu'à Viêne, dont la Cour me fournit une preuve qui saute aux yeux.
Lors que la France declara la guerre aux Provinces-unies, chacun sçait, que l'Empereur ne fasoit autre chose que regarder faire, pour juger des coups & [Page 17]rien plus, comme s'il n'eut eu aucun interêt à l'abaissement & à la ruine de la puissante République, qu'il voyoit attaquée par un Roi aussi redoutable qu'ambitieux. D'où venoit l'insensibilité & la Lethargie de ce Prince, que de l'artifice des Jesuites, ceux de France ayant répandu par tout, que le Roi n'avoit entrepris cette guerre, que pour avancer la Religion Catholique, par la ruine de celle des Protestans, afin de donner lieu à ceux de Viêne d'empecher l'Empereur de s'en emouvoir, pour ne pas s'opposer à un dessein si pieux & si Catholique? L'Empereur s'éveilla enfin, il ouvrit les yeux, il reconnut les veritables interets de sa Maison, & ceux de toute l'Allemagne: sollicité par son Altesse Electorale de Brandebourg, sa Majesté lui envoye une Armée du côté de Cologne, avec ordre à Montecuculi, de se joindre à celle de cet Electeur. La Jonction de ces deux Armées devoit faire une grande operation. Tout le monde étoit en l'attente d'un grand changement dans les affaires du Roi. Car son Altesse Electorale avoit si bien fait, par ses marches & contre-marches, temoignant tantôt vouloir passer [Page 18]le Rhin en differents endroits, tantôt en venant fondre sur les alliez de la France, que l'Armée du Viconte de Turenne fatiguée & en pauvre état eut esté facilement défaite, s'il avoit ainsi plû à la Societé. Mais ces bons Peres ne furent pas de cet avis. Ils avoient dessein de rétablir la Religion Catholique en Angleterre. Le feu Roi Charles II. qui étoit dans leurs interest, venoit dans cette veuë d'accorder aux Non-Conformistes une declaration, qui leur rendoit la liberté de s'assembler, afin que sous cette belle ombre la Messe y fut publiquement rétablie, & que les Jesuites y pûssent planter le piquet. Pour cela il faloit ruïner leurs Hautes Puissances les Etats Generaux, & par consequent il faloit empecher avec soin, qu'il n'arrivât quelque disgrace à l'Armée du Viconte de Turenne. Comment éviter ce malheur, puis que l'Armée de l'Electeur de Brandebourg, étoit déja sur le bord du Rhin, & que celle de Montecuculi, étoit partie avec ordre de joindre celle de l'Electeur? Il faloit un coup de maître, & un commandement de Souverain pour revoquer cet ordre. Les Jesuites firent ce coup-là & agirent [Page 19]en Souverains; puis que sans craindre le juste ressentiment de l'Empereur, ils firent remettre un ordre tout contraire à celuy de sa Majesté Imperiale à Montecuculi: ce qui sauva l'Armée de France, & qui mit de la division entre les Alliez. Ce mystere a été découvert par ceux qui virent aprés la fin de la Campagne, la maniere, dont l'Empereur receut Montecuculi, à qui ayant reproché la faute qu'il avoit faite, de n'avoir pas joint l'Electeur de Brandebourg; ce General justifia hautement sa fidelité, en faisant voir à sa Majesté Imperiale, un ordre tout contraire; mais dans la meilleure forme qu'il se pouvoit donner.
Mais venons en France, pour passer ensuite en Angleterre, afin de considerer l'Authorite Souveraine qu'ils exercent par tout. L'Histoire de la Ligue, Messieurs, vous fera voir, que bien que cette Societé ne fit que commencer de paroitre au Monde en ce tems-là, des lors même pourtant elle commença d'y exercer une puissance Souveraine. Car toutes les affaires des Ligueurs, toutes les resolutions, negotiations, executions, étoient conduites & dirigées par [Page 20]une assemblée composée de Seize, la quelle avoit pour President un Jesuite nommé Pichenat, & laquelle se tenoit dans la maison Professe. C'étoit un fait de notorieté publique en ce temps-là, comme en font foy tous ceux, qui ont écrit l'Histoire de la Ligue. Si cette saction eut eu le succez, dont s'étoit flattée la Maison de Lorraine, le Duc de Guise fut monté sur le Trône au prejudice du Roi de Navarre; mais ce Roi Usurpateur eut dépendu de la Societé, aussi bien que les Rois, qui ont succedé legitimement à Henry III. Je ne croy pas faire tort à la memoire de Henry le Grand, quand je dirai, qu'il n'a pas regné si absolument, & si Souverainement que la Societé n'ait eu beaucoup de part au Gouvernement, durant une bonne partie de son regne, c'est à dire, depuis qu'il eut un Jesuite pour Confesseur, & depuis qu'il commença à les craindre: il vécut tandis qu'il eut de la complaisance pour eux, mais dés qu'il eut resolu une entreprise, qui n'étoit point à leur gré, ils s'en défiront Je suis fort trompé, si je ne puis dire, qu'ils ne regnerent point en France, sous le regne de Louis XIII. horsmis durant la minorité [Page 21]du Roi, & de la Regence de Marie de Medicis, & peut étre durant la faveur du Connêtable de Luines; mais il est constant, qu'il y eut un interregne pour eux, sous le ministere du Cardinal de Richelieu. Ce grand homme les amusa toûjours, & les contenta par tout autre moyen, que par leur faire part de la Regence. Comme il se servoit de toute sorte de gens, il donna de l'employ à un Capucin celebre sous le nom du Pere Joseph, lequel il envoyoit tantôt hors le Royaume, tantôt dans les Armées pour certaines intriguos, où il reussissoit heureusement. Les Jesuites en furent jaloux, & temoignerent l'envie, qu'ils portoient à ce Religieux, par le portrait qu'ils en firent faire, sur une plaisante avanture, qui lui arriva à l'Armée. Comme le Pere Joseph n'étoit pas un Religieux ordinaire, il montoit des plus beaux chevaux, & des chevaux entiers. Un jour celuy qu'il avoit monté sentit une jument, d'abord l'animal se tourne de ce côté; le bon Pere ne songeant point à mal, le laisse aller son grand train; le cheval aborde la jument, luy saute sur la croupe, le Pere se tient ferme, nud tête, le capuçon abbatu, & dans cette [Page 22]posture, il donna de quoy rire aux spectateurs. Les Jesuites ayant oui, qu'on plaisantoit de ce conte, firent faire le portrait du Capucin, ou il étoit representé apres le naturel, sur un cheval du même poil, sur lequel il étoit monté, lors de cette avanture. Ils firent faire plusieurs copies de ce grotesque, & moy qui vous parle, en ay veu plus d'une dans Paris. La malignité des Jesuites ne s'en arrêta pas là. Ils poursuivirent de leur haine le pauvre Capucin jusques dans son tombeau. Ils accuserent ce Religieux d'avoir pretendu au chapeau de Cardinal, en recompense des grands services, qu'il avoit rendus au Roi. Ils firent donc cette Epitaphe, pour flétrir sa memoire, la quelle suppose, comine il est vray, qu'il fut enseveli à Paris dans l'Eglise des Capucins, tout auprés du fameux Capucin Ange de Ioyeuse, lequel sortit du Convent pour reprendre l'epée, apres la bataille de Coutras, oû lé Duc son frere étoit demeuré. Cette Epitaphe, la voici:
Le recit de ces petites particularitez ne m'éloigne pas de mon sujet, puis qu'elles font voir, combien les Jesuites sont jaloux du maniment des affaires d'Etat, ne pouvant soufrir, qu'elles soient mises entre les mains des autres Religieux.
Le Ministere du Cardinal Mazarin, qui succeda au grand Richelieu, se passa à peu prés de même. Il ne paroit pas trop que ce Ministre les ait admis à sa confidance, ni qu'ils se soient aussi trop ingerez dans des affaires brouillées, & qui avoient extremement divisé la Cour, pendant la minorité. Il est apparent de dire, qu'ils eurent l'oeil à l'erte, & l'oreille aux écoutes, durant la mesintelligence entre la Reine & les Princes secondez du Parlement, pour se ranger du parti le plus fort, aprés la fin de la guerre civile. Enfin le Cardinal Mazarin étant mort, il n'y eut point de premier Ministre comme sous la minorité. Il est question maintenant de sçavoir, s'ils ont gouverné la France aprés le mariage du Roi, & depuis qu'il n'y a plus eu de favori. Si l'on doit s'en rapporter aux Epitres dedicatoires de plusieurs ouvrages, & à la voix publique, [Page 24]le Roi a toûjours regné par luy même, & ne s'est reposé à proprement parler sur aucun Ministre de la conduite des grandes affaires. Mais quand je considere premierement la jeunesse du Roi élevé dans les jeux, les divertissements, & tous les plaisirs imaginables, en second lieu ses amourêtes, en 3 lieu la conduite des Jesuites dans les demêléz, que sa Majesté a eu avec quelques Papes depuis Alexandre jusqu'à Innocent onziême, comme quoy ces Peres ont pris effrontement le parti du Roi contre le Pape, à qui ils ont lié leur conscience par le serment d'une obeïssance aveugle; quand je considere en 4 lieu l'avantage, qu'ils ont eu sur les Jansenistes, parti qu'on a veu composé de tout ce qu'il y avoit de plus sçavant & de plus pur dans le Royaume, & qu'on void aujourdhuy entierement ruiné & abbatu sous les pieds des Jesuites: quand en 5 lieu je fais reflexion, sur le credit de ces Peres si grand auprés du Roi, qu'il n'y a Prelat ni beneficier considerable, qui ne tiêne son Prieurê de la faveur & de l'intercession du Pere la Chaise, ou de son predecesseur: quand en 6 lieu je pense à la maniere, dont le Roi a [Page 25]fait ses plus grandes conquêtes, le peu de temps qu'il y a mis, & le peu de sang qu'il y a fait répandre. Enfin quand je considere le coup, qui a été donné au parti Huguenot, parti de la part duquel le Roi n'avoit rien à craindre depuis la reduction de la Rochelle, & sur la fidelité duquel sa Majesté avoit toutes les raisons du monde de se reposer, la maniere dont ce parti a été oprimé, les fourberies, les cruautez, (il faut tout dire) les coyonneries & les impietés qu'on à mis en usage, pour en venir à bout: je conclus de toutes ces considerations, qu'il faut que ce soit les Jesuites, qui s'étant emparez de l'Esprit du Roi, ont surpris sa justice, son equité naturelle, & sa raison, & l'ont porté à une resolution, dont sa Majesté se repentira bien-tôt, si déja elle n'a reconnu sa faute, d'avoir abandonné & sa conscience, & une affaire aussi importante que celle de la ruïne des Huguenots à une Societé de gens, que leur Origine Espagnole, attachée à la maison d'Autriche de plus loin, qu'à celle de Bourbon; leur soumission au Pape, à qui leur conscience est engagée par le plus sacré de tous leurs voeux, & leur conduite passée [Page 26]envers Henry lé Grand, ayeul de sa Majesté, luy devoit avoir rendu plus que suspecte, & le juste objet de son aversion, & de sa vengeance.
Je n'entre donc pas dans le sentiment de l'Auteur du livre intítulé, l'Esprit de Mr. Arnaud, lequel cherchant dans le Conseil & à la Cour de France, le veritable Auteur de la misere des Huguenots, s'arrête uniquement au Roi tres-Chrétien. J'ay creu durant un temps, qu'un Ministre Calviniste étoit l'Auteur de ce livre; mais le support, qu'il a pour les Jesuites en cet endroit, & la haine qu'il y fait paroître contre Mr. Arnaud, me fait soubçonner qu'il est partisan des Jesuites, s'il n'est pas de leur Societé. Il est vray, que le Roi a declaré il y a longtems, qu'il ne vouloit qu'une seule Religion dans son Royaume, & qu'on luy a oui prononcer ces paroles terribles, comme un presage suneste de la ruine de ce parti: Mon ayeul aimoit les Huguenots & les craignoit, mon Pere les craignit & ne les aymoit point. Pour moy je ne les aime ni ne les crains: mais il est seur que ce sont les Jesuites, qui luy ont inspiré cétte haine, en luy representant sans cesse qu'ils avoient [Page 27]un Esprit républiquain, qu'ils n'attendoient que l'occasion favorable pour secouer le joug, & que tout affoiblis & abbatus qu'ils étoient, il avoit paru dans les mouvemens de 1650. qu'ils étoient capables de faire un changement dans l'Etat.
Pour achever de dire toute ma pensée sur ce sujet, je croy que les Jesuites ont eu jusqu'icy, sous Louis le Grand, à peu prés la même Autorité qu'avoit sous Louis le Juste le Cardinal de Richelieu. Ce Prince avoit le titre de Roi, mais son Ministre en avoit toute l'Autorité, & comme parle Balzac, il avoit tant d'estime pour ce Prelat & tant de confiance en sa capacité, qu'il luy avoit cedé tous ses droits, à la reserve de celuy de guerir les Ecrouêles. Je sçay que Louis le Grand a toutes les qualitez Roya [...]es, qu'avec une taille, un port & un air tout plein de Majesté, il a de la penetration, du courage & une grandeur d'ame, qui se void en peu de Princes. Mais enfin il laisse faire les Jesuites, il les croit habiles, puissans & affectionnez au bien de sa famille & de son Etat, il est homme: ce n'est pas merveille, s'il s'est trompé. De Pontis rapporte dans ses Memoires [Page 28]que Louis le juste, qui l'avoit honoré de sa faveur, luy avoit promis la premiere charge, qui seroit vacante dans un certain Regiment. De Pontis avertit le Roi de la mort d'un Officier, dont il seroit bien aise de remplir la place. Le Roi la luy promet de nouveau: il entre dans la chambre du Conseil, luy commande de l'attendre à la Porte; mais le favori fut bien surpris, d'ouir le Roi luy disant à la sortie du Conseil: Depontis, nous avons perdu nôtre affaire, il à éte trouvé bon de donner la charge à un autre. Je suis persuadé, que Louis le Grand n'est pas sujet aux Jesuites, comme Louis le juste l'étoit au Cardinal de Richelieu, & que lors qu'il luy prend envie de faire du bien à un Courtisan, il ne met pas la chose en deliberation, & qu'il ne demande pas au Pere la Chaise son avis: mais à cela prés, je ne doute point, qu'il n'ait donné toute sa puissance à ce bon Pere ou à la Societé, & que ce ne soit les Jesuites, qui font aujourdhuy tout dans le Royaume. Voici un fait, qui met en évidence la toutepuissance des Jesuites à la Cour de France. Il se tint une assemblée Generale du Clergé à Paris, l'an 1655.56.57. durant ce temps-là [Page 29]les Curez de Paris, écrivirent à tous les Curez de France des lettres circulaires au sujet de la Morale relachée des Jesuites, pour en poursuivre la condamnation devant l'assemblée du Clergé. Tous les Curez envoyerent des procurations en bonne forme passées par devant Notaires, à ceux de Paris, pour se joindre à eux dans cette poursuite. Les Curez de Paris presenterent une Requête ou Remonstrance à l'assemblée du Clergé, le 24 Novembre 1656. demandant, que la Morale des Jesuites fut condamnée comme renversant les Divins Preceptes de J. Christ, aprouvant le mensonge, la fornication, l'adultere, le larcin, le meurtre, favorisant l'impenitence, & tendant à troubler le Royaume en exposant la personne sacrée du Roi aux assassins. Qui n'eut pas attendu de cette venerable assemblée, une condamnation authentique de cette Morale, regardée avec horreur par tous les Curez du Royaume? Ce n'est pourtant pas ce qu'elle fit: elle fit seulement deux choses; l'une est, qu'elle ordonna la publication d'un livre de S. Charles Borromée, qui contient des Maximes Saintes & Evangeliques, toutes contraires [Page 30]à celles, dont les supplians poursuivoient la condamnation; l'autre est, qu'elle écrivit une lettre circulaire adressée à tous les Prelats de France, dans laquelle l'assemblée declare, que le manque de loisir pour faire cet Examen, est la seule chose, qui l'ait empechée de prononcer un jugement solomnel, qui eut arreté le cours de cette peste des consciences, & qu'ils l'auroient fait volontiers, si les suplians s'y fussent plutôt adressés. Quoy! Ces Mrs. les Prelats reconnoissent, que la Morale des Jesuites est la peste des consciences, & qu'il est important d'en arrêter le cours par un jugement solemnel: pourquoy donc ne donnent ils pas ce jugement solemnel, pour arrêter le cours de cette peste des consciences? C'est, disent ils, le manque de loisir pour en faire l'Examen. Ce n'est assûrement point cela; car & tous les Curez du Royaume avoient fait cet examen, & eux memes pour la plus part, ou l'avoit déja condamnée dans leurs Dioceses, ou avoient veu les extraits, lesquels ils n'avoient qu'à verifier, ce qui ne demandoit pas beaucoup de tems: d'ailleurs une affaire de cette, importance, où il s'agissoit d'arrêter le cours de la peste des consciences, meritoit bien que les Pasteurs, [Page 31]qui veilloient pour le salut des Ames, demandassent au Roi le tems de faire un examen, qui tendoit au salut éternel de ses sujets & à son propre salut. En un mot la Requête des Curez de France est presentée au Clergé assemblé le 24 Novembre 1656. & une assemblêe ne se separe qu'en 1657. qu'aprés le Mois de Janvier. Et ils disent ces Mrs. que le manque de loisir d'examiner la Morale des Iesuites est la seule chose, qui empêche leur assemblée de la condamner par un jugement solemnel!
Ce n'est point faute de tems; il y auroit de la simplicité à se contenter de cette excuse, ces Mrs. en avoient de reste, ou n'en ayant pas assez, il falloit le demander. La chose le meritoit bien: mais voicy ce qui empêcha leur assemblée de condamner la Morale des Jesuites, par un jugement solemnel. C'est que le Conseil du Roi, leur avoit défendu de le faire, sauf à eux de la condamner d'une maniere, qui ne déplût pas si fort aux Jesuites. L'assemblée obeit, & par ce qu'ils sçavoient bien la réponse des Apôtres au Confeil des Jesuites, [Page 32] il faut obeir à Dieu plutôt qu'aux hommes, ils s'excusent d'obeir à Dieu sur le manque du loisir, & en même tems pour satisfaire au devoir de l'Episcopat, ils font publier le livre de S. Charles Borromée, & envoyent des lettres circulaires par toute la France à tous les Prelats, dans lesquelles ils declarent, qu'ils n'ont pas eu loisir de prononcer un jugement solemnel. Il est clair disje, & de la derniere evidence, que la crainte de desobeir aux ordres de la Cour empêcha ces Mrs. de prononcer le jugement solemnel, que tous les Curez du Royaume leur avoient demandé. Il ne faut qu'ouir les Curez de Rouen, où ils parlent ainsi dans la lettre, qu'ils écrivirent à Messire François de Harlay leur Archevêque, au sujet dé l'Apologie, que les Jesuites eurent l'audace de publier,La Doctrine des Jesuites condamnée. aprez que l'assemblée du Clergé fut separée. Nous estimons, disentils, Monseigneur, qu'il seroit prejudiciable à l'Eglise, au salut des ames & au bien de la Societé publique, d'epargner le livre de l'Apologie, & toutes les mauvaises maximes, qu'il contient, de peur de déplaire aux Iesuites, qui les soutiênent. Nous sçavons bien, qu'en ce siecle de complaisance & de lacheté, où nous vivons, [Page 33]on évite tant que l'on peut de choquer les personnes, que l'on pense avoir quelque credit auprez des Grands, & qu'on se persuade pouvoir servir ou nuire à la fortune; mais si cette complaisance va jusques à abandonner la verité, & à laisser fortifier l'erreur, faute d'y resister, la Religion est perdue, l'Evangile est détruit, les bonnes moeurs sont corrompues, la Discipline est renversée &c. Quoy, Monseigneur! on n'osera pas resister à l'impieté, s'opposer au libertinage, & combâtre les monstres, que la fausse Morale enfante tous les jours, par ce que ce sont des Iesuites, qui en sont les Peres? on n'osera plus dire à l'avenir, que l'on est obligé de produire des actes d'Amour de Dieu. On n'osera plus soutenir, qu'il n'est pas permis de tuer pour un souflet, ou pour un dementi, & les Evêques n'oseront plus condamner, les detestables paradoxes, qui sont contraires à ces verités, par ce qu'il plait aux Jesuites de les soutenir?
Il est clair dis-je, & de la derniere evidence que l'assemblée du Clergé n'osa pas prononcer le jugement solemnel, qui leur étoit demandé par tous les Curez du Royaume, par ce qu'ils ne pouvoient le prononcer sans irriter le Conseil du Roi, qui le leur avoit défendu. Mais d'où vient que le Conseil du Roi [Page 34]leur défend de prononcer ce jugement solemnel, contre une Morale reconnuë pour detestable & pour funeste au salut des ames, contraire à la tranquilité de l'Etat & à la sûreté du Roi? c'est pour ne pas donner du chagrin à la Compagnie de Jesus. Si toute autre Compagnie eut mis au jour cette Morale, fut ce celle des Cordeliers, des Jacobins, des Carmes, des Chartreux, des Peres de l'Oratoire, fut ce l'assemblée même du Clergé, le Conseil du Roi ne l'auroit pas épargnée, il l'auroit condamnée sans remission, & par les censures de la Sorbonne, & par les Arrets du Parlement. Mais ce sont les Jesuites, il ne faut pas facher des gens, qui sont maîtres à Madrid, à Viêne, à Rome & par tout, des gens qui peuvent servir & desservir le Roi & l'Etat: où est celuy qui ne voit pas dans ce fait, que les Jesuites sont tout puissans à la Cour de France? Il est vrai, que lors que la condamnation de leur Morale fut poursuivie à l'assemblée de 1656. le Cardinal Mazarin étoit chef du Conseil, & le Roi trop jeune pour se méler d'une affaire de Morale. Mais depuis que le Roi est devenu l'ame aussi bien que le chef de son Conseil, les Jansenistes [Page 35]ont fait la guerre aux Jesuites avec le Zele, & la vehemence que chacun sçait. Il n'est pas possible que sa Majesté n'ait oui le bruit de cette guerre, & oui dire que tout le monde condamnoit leur Morale relâchée, puis que les Papes même n'ont pas pû s'empecher de la proscrire par leurs bulles: cependant les Jansenistes ont été entierement oprimez, cela n'a pû fe faire à l'insceu de sa Majesté. Il faut donc que les Jesuites s'en soit rendus les Maîtres, puis qu'ils ont eu ce credit que de se servir de l'Autorité Royale, pour oprimer la verité, en la personne de ses defenseurs, quoy que tres bons Catholiques.
Mais je passe en Angleterre, pour y faire voir la toutepuissance des Jesuites, autant qu'elle peut y étre possedée par des gens de ce caractere, & comme elle se trouve en la main de ses Rois. Je ne pailerai que du regne des trois derniers. Charles I. Pere de Jaques II. qui regne à present eut le malheur que chacun sçait. Je ne pense jamais à sa mort tragique sans fremir. Mais tout le monde ne sçait pas que les Jesuites sont les Auteurs de cette tragedie, qui fit voir tomber la tête à ce bon Prince sur un [Page 36]Echaffaud. C'est dit on communement le parti des Presbysteriens, des Anabaptistes & des Independans, animez & conduits par Cromwel, qui se porta à cette horrible extremité. Je ne pretend pas justifier Cromwel de ce parricide, ni les Independans, qui en souillerent leurs mains: mais je soutiens que les Jesuites sont les Autheurs des brouilleries d'Angleterre entre le Roi & le Parlement, & que c'est par leurs pratiques & menées detestables, que ce bon Prince finit ses jours par la main d'un bourreau, tant afin de se rendre Maitres de l'Angleterre, que pour decrier les Protestans, & les rendre odieux à tout le monde. J'espere qu'on verra quolque jour tout le detail de cette tragedie: cependant je prie le Lecteur de remarquer cette circonstance. C'est qu'il y avoit plusieurs hommes masquez sur l'échaffaud où le Roi fut executé, & que c'est une chose tres seure, que le Jesuite Confesseur de la Reine étoit un des masquez, lequel ayant veu sauter la tête du Roi, leva l'Epée haut en s'écriant, nous voilà aujourdhuy delivrez de nôtre plus grand ennemi. C'est une autre verité, que la nouvelle de cette execution [Page 37]barbare étant arrivée dans la ville de Rouen, il se trouva une Compagnie de gens instruits des mysteres de la Societé, où l'un d'eux lâcha ces paroles: Le Roi d'Angleterre à son mariage nous avoit promis le rétablissement de la Religion Catholique en Angleterre, & par ce qu'il differoit de jour à autre, nous l'avons souvent sommé d'accomplir sa promesse: nous sommes venus jusqu'à luy dire, que s'il ne le faisoit pas, nous serions contraints de nous servir de moyens, qui le perdroient. Nous l'en avons bien averti, & par ce qu'il n'a pas prosité de cet avis, nous luy avons tenu nôtre parole, à cause qu'il n'â pas voulu nous tenir la siêne. C'est uné autre verité, que le Secretaire d'état Maurice répondant à une lettre, dont l'Auteur accusoit les Jesuites de la mort du Roi, s'explique en ces termes: Il ne m'est pas permis, ni bien seant de fonder des conjectures, & de tirer des consequences dés Ordres, que sa Majesté me donne à vôtre égard, au dela de ce qu'elle me dit precisement. Vous sçavez la fidelité & l'exactitude avec laquelle jeservois sa Majesté, & ce que je devois taire, ou ce que je devois tenir secret. Mais je puis bien vous dire en confidance, qu'il y a des preuves, qui font un violent soubçon, & presque une entiere conviction, que la Religion des Papistes [Page 38]est la premiere coupable du meurtre commis sur cet excellent Prince: du quel meurtre ils veulent aujourdhuy faire tomber la haine sur les Protestans. C'est une autre verité, qu'un Protestant peu avant la mort du Roi, rencontra une troupe de Jesuites sur le chemin de Roüen à Dieppe, qui le prenant pour un Catholique, luy dirent qu'ils alloient prendre parti dans l'Armée des Independans, & qu'ils y feroient des affaires C'est une autre verité, qu'un Jesuite visitant à Paris peu de tems aprés la mort du Roi une Dame Angloise, qu'il avoit seduite, la trouvant fondant en pleurs à cause de la fin lamentable de son Roi, il luy dit en souriant; Madame, vous n'avez pas raison de vous tant lamenter; les Catholiques sont delivrez de leurs plus grand ennemi, & la Religion Catholique tirera un grand avantage de cette mort. L'Histoire ajoute, que la Dame indignée d'un tel discours fit sauter les degrez au Jesuite, & conceut une telle horreur pour la Religion Romaine, que depuis elle n'en a pas voulu oui parler. C'est une autre verité, qu'un homme extremement adroit visitant les Moines de Dunkerque, pour les faire parler, leur dit au sujet de la mort du Roi, que les [Page 39]Jesuites avoient bien travaillé à ce grand ouvrage. Sur quoy un Moine dit, que les Jesuites s'atribuoient toûjours la gloire de tout ce qui se faisoit de grand, mais que leur Ordre avoit contribué à ce grand oeuvre pour le moins autant qu'eux. C'est une autre verité, qu'une joye universelle se répandit au deça de la Mer dans tous les seminaires Anglois, qu'ils croyoient étre si fort avancez dans leurs affaires, que les Benedictins étoient déja en peine comment ils empecheroient les Jesuites de s'emparer de leurs biens, se souvenant de ceux que ces bons Peres leur avoient enlevez dans la Boheme & ailleurs, sous Ferdinand II. Et que les Religieuses disputoient déja à qui seroit Abbesse. C'est une autre verité, que l'Historien de tous ces faits s'est offert de prouver en justice son accusation contre les Jesuites sur la mort du Roi. C'est l'Auteur de la réponse curieuse au livre intitulé Philanax Anglicus. La verité de tous ces faits est fondée sur un autre fait, c'est que le Roi se mariant avec Henriête de France, avoit promis de laisser élever les enfans, qui proviendroient de ce mariage dans la Religion Catholique, jusqu'à l'âge de 14 ans. Car il paroit par [Page 40]là, que ce Prince s'étoit engagé à favoriser le dessein qu'on avoit de rétablir la Religion Catholique en Angleterre, & qu'ayant changé d'avis, ou que n'allant pas aussi viste, que l'on vouloit, on luy suscita des affaires, qui l'oprimerent. Ce qui fait comprendre au Lecteur sans l'obliger à faire de grands efforts, que la puissance des Jesuites, étoit bien redoutable en Angleterré sous le regne de Charles I. puis qu'ils eurent assés de credit pour le faire passer du Trône sur un Echaffaud, & de l'envoyer en l'autre monde, en faisant soulever contre luy le Parlement & tous les sujets de ses trois Royaumes, par ce qu'ils ne le trouverent pas d'humeur à favoriser tous leurs desseins.
Ils n'ont pas eu moins de puissance sous Charles II. ils l'ont fait voir en quatre tems: Dans le tems de l'exil du Roi, car ce fut alors, qu'ils se saisirent de sa conscience & de celle du Duc d'York, faisant sentir au Duc de Glocester, qu'il n'y va pas de moins que de la vie, quand on ne fait pas tout ce qu'ils veulent. Et comme en ces tems-là ces Princes exilez étoient sans finances & sans ressource, ils se donnerent entierement à ces Peres [Page 41]officieux, qui fournissoient abondamment à leur entretien, & qui les abrûvoient de belles esperances: dans le tems du rétablissement du Roi, lequel ils porterent à se marier avec la Princesse du Portugal contre toutes les regles d'une Politique sage & eclairée; puis que c'étoit une Princesse Catholique, c'est à dire, propre à faire soubçonner qu'il l'étoit aussi, durant tout le tems, qui a coulé depuis son rétablissement: Puis qu'ils l'obligerent à vendre Dunquerque au Roi de France contre ses propres interets, aussi bien que contre ceux du Royaume, à persecuter les Presbyteriens & les animer contre les Episcopeaux, à soufrir, que le Duc d'York se fit Catholique, ou pour mieux dire, qu'il levât le masque, & à faire mourir tant de braves gens, qui n'étoient coupables que d'étre Zelez pour l'Eglise Anglicane & pour le bien de l'Etat. Enfin dans le tems de sa mort: puis qu'ils l'ont fait mourir de poison, par ce qu'il n'alloit pas aussi vite qu'ils vouloient, afin de faire monter sur le trône Jacques II. qui l'occupe à present, & qui peut étre ira plus vite qu'eux mêmes ne voudront. Il est vray, qu'ils firent ouvrir le corps de ce [Page 42]Prince, pour éloigner le soubçon, qu'ils sentoient bien, qu'on auroit contr'eux; mais cela même n'a servi qu'à faire leur conviction, puis qu'ils firent cette ouverture, sans toucher à la tête, où l'on auroit infailliblement trouvé les traces du poison. Pour ce qui est de Jacques II. qui regne aujourdhuy, il seroit inutile de prouver, que les Jesuites sont les Maitres de sa conscience & de son Conseil; toutes les demarches de ce Prince & tout ce qu'il a fait depuis son avenement à la Couronne jusqu'à la naissance de son heritier sent si fort l'esprit de la Societé, ses fourbes, son audace, son ambition & son impudence, qu'il n'y a personne qui sçache ce qui se passe en Angleterre, qui ne s'étonne qu'un Prince, qui a fait voir son esprit & signalé son courage, ait pû se resoudre à subir un joug aussi dangereux & aussi infame que l'est celuy, que les Jesuites imposent à leurs devots. Ils ont entrepris l'abolition du Test, ils ont trouvé presque par tout une resistance invincible, ils ne se sont point rebutez, ni ne se rebuteront, qu'ils n'ayent fait perir le Roy, & qu'ils n'ayent mis le feu aux quatre coins des trois Royaumcs. [Page 43]Ils en veulent à la grande Bretagne: ils l'ont couchée en jouë: ou ils l'auront, ou ils attrapperont la Couronne de Martyr, comme leur P. Garnet: ils font semblant de travailler pour le Pape. C'est une raison specieuse. Mais ce n'est qu'un pretexte, afin qu'ils puissent agir plus secretement sous un nom & sous une Autorité, que tous les Catholiques reverent constamment: ce n'est que pour eux qu'ils travaillent à conquerir cette belle Isle, laquelle, s'ils pouvoient l'envahir sur la Maison Royale, & sur le Successeur de S. Pierre, les rendroit les arbitres Souverains de toute l'Europe. C'est à sçavoir, s'ils reussiront dans un si vaste deslein, & s'ils auront toûjours à faire à des gruës, ou s'ils seront toûjours des meneurs d'ours. En attendant que l'évenement nous éclaircisse ce mystere, faisons un voyage dans l'Amerique.
C'est là qu'ils sont comme des Rois ces bons Peres, puis qu'en effet ils y sont Maîtres absolus du Royaume du Paragnai, qu'on rencontre dans l'Amerique Meridionale en montant la seule riviere de la Plata. Les Espagnols s'y étoient établis, & en avoient chassé, ou reduit au petit pied les naturels [Page 44]habitans. Máis les Jesuites ayant apris par leurs épions, la beauté & les richesses de ce Royaume, entreprirent de l'acquerir pour la Societé, & y reussissent: voicy comment ils obtiênent de la Cour d'Espagne permission, & argent pour l'envoy d'une Mission dans l'Amerique. Ils arrivent à Paragnay, ils montrent leurs Lettres, ils observent le Païs, ils écrivent à Rome, avertissent le General des grandes richesses qu'ils y trouvent. Le General leur envoye un renfort d'autres Jesuites des plus Zelez, des provisions de bouche & de guerre & des presens pour gagner les Indiens: avec cela ils entreprênent de chasser & les Espagnols, & les Dominicains, qui leur avoient pris le devant, se rendant Maitres absolus de ce beau Royaume: de sorte que s'il en faut croire deux relations de ce Païs-là, l'une d'un Capucin, l'autre d'un Evesque Dominicain, il y a trente ans qu'ils y ont douze forteresses, soixante mille hommes de Garnison, & un revenu annuel de plus de cent trente millions. Ils enleverent ces deux relations des qu'elles parurent, pour cacher à l'Europe leur puissance dans l'Amerique, mais [Page 45]ils ne les enleverent pas toutes: ceux qui les virent en publierent, ce que je viens de reciter. Cette Histoire me fait souvenir de la revolution, qui arriva dans la Chine il y a un peu plus de quarante ans, & me fait soubçonner, que les Jesuites, qui y étoient alors, en furent les premiers mobiles. Les relations de ce Païs-là portent; qu'en 1645. deux Factieux se mirent en tête de se rendre Maîtres du vaste Royaume de la Chine. Ils prirent pour cela leurs mesures, ils l'attaquerent l'un du côté du Midy, l'autre du côté du Nort. Au commencement ils n'étoient qu'une poignée de gens, mais leur parti grossit comme un peloton de neige en chemin faisant: tout leur reüssit, ils avancerent toûjours au long, & au large, ajoutant Province à Province, jusqu'à ce qu'ils se rencontrent au coeur de ce grand Empire! Là piquez d'ambition, aucun n'étant content de son Partage, chacun vouloit étre Maitre de tout, ils en viênent aux mains, & comme ils étoient aux prises, le grand Cam averti de tout ce desordre, franchit la muraille, & vient mettre d'accord ces deux rivaux, par un arrêt semblable à celuy, qui fut donné [Page 46]sur le proces au sujet de l'huytre. C'est depuis ce temps-là, que la Chine est au Tartare, & il y a lieu de soubçonner, que les Jesuites étoient ces deux voleurs, qui y firent venir le grand Cam par leur mes-intelligence. Il faut avouër que c'étoit s'y bien prendre pour parvenir à la Monarchie Universelle, qui est leur grande Idole. Ce màuvais succez ne les a point rebutez. Ils poursuivent constamment leur pointe par tout. S'ils ne sont pas montez sur le Trône de la Chine, ils sont ceux qui sont les plus prés dû Trône. Ils y sont Ministres d'Etat, ils y sont du Conseil secret, ils y sont Mandarins, on les y void en equipage de grands Seigneurs. Ils sont precedez & accompagnez de gardes, dans des Carrosses somptueux. Ils lont en grand credit dans tout ce vaste Empire.Morale Prat. 2. Vol. En effet le Theatrum Jesuiticum raconte du P. Martinius, qu'il étoit un Mandarin du premier ordre, élevé au dessus de tous les Vice-Rois, & le represente marchand porte par des hommes à livrée dans une Chaise d'Yvoire, garnie d'or tout devant la Chaise, le seau du Roi dans un cofre doré: luy richement vêtu, avec un Dragon en broderie [Page 47]sur la poitrine, accompagné de ses gardes, Arquebusiers, Lanciers, & Etendarts. Je juge par cette description, que ce Pere étoit Chancelier de la Chine, il y a un peu plus de 40 ans. Car c'étoit peu de tems aprés que cet Empire fut envahi par le Tartare.
De la Chine ils passerent au Japon, d'où ils chasserent les Cordeliers, & les Dominicains, qui avant eux y avoient prêché la Religion Catholique. Ce qui fait voir que le pouvoir, qu'ils avoient dans cette Isle, n'étoit pas peu considerable en ce tems là. Il y a en effet un peu plus de quatre-vingt ans, qu'un celebre Avocat en parloit en ces termes au Parlement de Paris.Maitre Anthoine Arnaud dans son playdoyer contre les, Jesuites. Mais si les Jesuites, dit-il, sont pernicieux à la France, pour le moins ont ils fait de grands miracles aux Indes: oui certainement & fort remarquables pour nous: car ils ont fait mourir avec leurs Castillans par le fer & le feu, vingt millions de ces pauvres Innocens, que leur Histaire même appelle des agneaux. Ils ont bien arraché le Paganisme, non pas en couvertissant les Payens, mais en les faisant soufrir cruellement comme des bourreaux: que font ils dans l'Amerique, poursuit le même Auteur? Au Perou ils ont des gênes publiques [Page 48]dans les Marchez, pour y mettre mille hom [...]nes à la fois, & là les Soldats & les Goviats tourmentent ces pauvres gens, afin de leur faire confesser, où est leur tresor. Aussi quand ils peuvent échapper, ils se vont pendre eux mêmes aux montagnes, & auprez d'eux leurs femmes, & leurs petits enfans à leurs pieds. Ces monstres de tyrannie vont à la chasse aux hommes, ainsi qu'on fait icy aux Cerf, les faisant devorer par leurs Dogues & par les tigres, lors qu'ils les envoyent chercher du miel & de la Cire, & aussi par les Tuberons, quand ils leur font pêcher les perles aux endroits de la Mer les plus dangereux.
Pour revenir dans nôtre continent, si vous n'avez pas oublié l'Histoire de Casimir Roi de Pologne dernier mort, qui fut un veritable Jesuite, & qui sortit de la Societé pour monter sur le Trône, & épouser la Femme de son frere, vous n'aurez pas grande peine à concevoir, qu'ils ont une bonne part aujourdhuy aux affaires de ce grand Royaume, & qu'ils se fortifierent considerablement à la Cour de France, lors que ce Roi Jesuite par une obeïssance aveugle à son General, se demit de la Couronne en faveur de Michel son successeur, dont la veuve a épousé le Duc de Lorraine, [Page 49]qui s'est signalé par tant d'exploits contre le Turc; et se vint renfermer dans une Abaye de France, pour y exercer la Royauté sur les Moines: & si ensuite vous considerez, que le Roi Michel fit bien-tost place au Marechal Sobiesky, qui regne à present; vous conclurrez de là, que le bon Roi Casimir paya de sa Couronne ce que les Jesuites ont obtenu du Roy de France, & que la Societé ne perdit rien par ce changement; mais qu'elle transporta la Couronne de Casimir sur la tête de Sobiesky, afin qu'elle passât d'un Jesuite à un autre. Car ces bons Peres sont trop fins, pour ne point gagner dans tous les marchez qu'ils font, sur tout dans le Negoce de Couronnes: & vous sçavez, Messieurs, qu'il tint à bien peu, que les Jesuites ne s'emparassent de celle de Suede, lors que Sigismond Roi de Pologne en depêcha 40 pour composer à Stocolm le Conseil, qui devoit conduire les affaires de ce Royaume. Il est vray, qu'ils ne furent pas aussi heureux dans ce voyage, qu'ils avoient sujet de l'esperer en y abordant, puis qu'ils y furent receus avec des feux d'artifice & au bruit du canon comme des Rois. Mais soit [Page 50]que le Ciel jugeat la Suede indigne de cet honneur, soit que la Providence eut dessein de preserver la Suede de la plus cruelle tyrannie qui fut jamais, ils firent un triste naufrage au port, ce sacré Senat de quarante Peres ayant disparu à peu prés comme Romulus au bruit du Tonnerre, & à la lueur des éclairs. Ce fut Charles Oncle de Sigismond, qui envoya ces Jesuites en Purgatoire aussi vite qu'un boulet de Canon. Et c'est là qu'ils tiênent maintenant leurs assises à l'abry du froid aspre & rigoureux, qui regne à Stocolm, & qui y fit mourir le grand Descartes.
Tout ce que vous venez d'ouir, Messieurs, justifie à la lettre, que les Jesuites regnent par tout le Monde qui nous est connu. Et tout cela s'ajuste trés bien premierement avec les droits & les Privileges, qu'ils attribuent à leur General, lequel ils revêtent d'une autorité superieure à celle du Pape.Part. 9. Ch. 3. pag. 280. Ils le donnent à entendre nettement dans leurs Constitutions, là où ils disent que leur General peut revoquer les Missionnaires envoyez par le Pape même. Missos etiam per summum Pontificem, nullo Tempore definito, potest revocare. Or vous sçavez, [Page 51]que c'est la Doctrine constante de la Societé, que le Pape est le Monarque de tout le monde en qualité de Vicaire de J. Christ, que de droit tous les Royaumes de la terre luy appartiênent, & qu'il en peut disposer en faveur de qui il luy plait. Puis donc qu'ils pretendent que leur General soit au dessus du Pape, s'ils raisonnent, & s'ils se conduisent consequemment à leurs Principes, il faut qu'ils pretendent que leur General soit le Monarque de tout l'Univers, & qu'ils soient continuellement apliquez à chercher la Monarchie Universelle, puis que c'est à luy qu'apartient le droit de disposer des Septres & des Couronnes. Cela même est confirmé par une autre Regle de leurs Constitutions. Elle porte un voeu particulier, par lequel ils promettent, que s'ils sont élevez aux premieres dignitez de l'Eglise, c'est à dire a celle du Cardinalat ou de la Papauté même, ils ne feront rien que de l'avis de leur General, où dè quelcun de la Compagnie deputé par luy pour cet esset. Qu'arriveroit il donc s'ils étoient si heureux un jour que de voir un Jesuite sur le Siege de S. Pierre, & le College des Cardinaux tout composé de Jesuites? Il arriveroit [Page 52]sans doute, que le General des Jesuites feroit un Monde tout nouveau, que tous les Prelats & tous les Beneficiers, & tous les Princes dépendroient de luy, & que tous les Chrêtiens du Monde seroient ou Jesuites en effet, ou Jesuites in votis. Ils ne manqueroient pas alors de se rendre Maitres de toutes les chaires & de tous les confessionneaux, de sçavoir les secrets de toutes les familles & de toutes les Cours, d'étre les Arbitres de toutes les affaires des Chrêtiens, & de dire alors que tous les Royaumes du Monde étoient reduits à J. Christ, comme les Saints Oracles le font esperer, puis qu'en ce cas-là, ils se seroient veus rangez sous l'obeïssance aveugle, & soumis à la ferule de leur General. Vous auriez donc tort Messieurs, de considerer le General de cette Societé, comme celuy des Jacobins ou des Augustins, qui n'ont que des Religieux à gouverner. Pour en avoir une Idée conforme à la grandeur du sujet, il faut vous le representer comme un Souverain, qui n'est pas moins seculier, qu'Eclesiastique, & qui affecte de gouverner le Monde, & l'Eglise tout comme la Compagnie de Jesus. C'est aussi ce que declare celuy [Page 53]qui occupoit ce supreme rang, lors qu'entretenant à Rome un Seigneur François: Voyez Monsieur, luy dit-il,Moral. pratique des Jesuites Vol. 1. de cette chambre, oui de cette chambre, je gouverne non seulement Paris, mais la Chine; non seulement la Chine, mais tout le monde, sans que personne sçache comme cela se fait. VEDA il Signor, di questa Camera, di questa Camera io Gouverno, non dico Parigi mà la China: non gia la China, ma tutto il mondo, senza chenissuno sappia come sifa.
Tout ce que vous avez oui s'ajuste encore trés bien avec l'esprit remuant, l'esprit d'intrigue, l'esprit de Cour & de Domination, qui anime la Compagnie de Jesus. A ouir parler le P. Coton, il n'y eut jamais de gens plus éloignez de l'ambition que ceux de sa Compagnie. Car quand le Roi Henry IV. luy offre l'Archeveché d'Aix, & le chapeau de Cardinal, il répond:Vie du P. Coton par le P. Joseph d'Orleans. que la Compagnie avoit fait un nouveau voeu de n'accepter jamais aucune dignité dans l'Eglise, sans un commandement exprez du Pape. Et si le Roy luy replique: si j'eusse été Pape je n'eusse permis, qu'aux Ignorans de faire cette sorte de voeu. Le P. Coton luy repart: Sire, Dieu vous donneroit d'autres sentimens si vous étiez Pape, & vous feroit sans doute comprendre, [Page 54]combien il importe aux communautez de fermer cette porte à l'Ambition, & combien celles, qui par leurs engagemens au service de l'Eglise, & du prochain, ont besoin d'avoir de bons sujets, doivent avoir soin de ne se les pas laisser enlever. Dans le même esprit d'humilité íls presenterent au Roi Henry IV. une requête, où ils declarent qu'il n'y a point de Compagnie Religieuse plus éloignée des affaires d'Etat que la leur, mais cela fut relevé d'une maniere extremement forte quelques années aprés,Examen de 4 actes des Jesuites à Paris 1643. par un Auteur trés-connoissant de toutes leurs menées: si cela est aussi veritable, dit il, qu'il est hardiment avancé, j'en appelle à témoin toute la Chrêtienté. Mais laissant à part ce qui regarde les autres Etats, qui voudra rappeller dans sa memoire les troubles excitez en France, depuis l'an 1576. jusqu'à present, il verra que depuis le commencement jusqu'à la fin, ils y ont été melez si avant, qu'il y à dequoy s'étonner, comment ils ont eu le front & l'assurance d'écrire cela au feu Roi, qui sçavoit bien le contraire, & contre la tête duquel ils ont machiné tant de malheureuses entreprises. Quelles allées & venues ne firent point quasi à leur entrcé, le P. Mathieu & le Pere Odo Pichenat pour les faire reussir? &c. Mais les lettres trouvées [Page 55]depuis un peu plus de deux ans chez Oudin leur Secretaire d'Etat, remplies de divers avis & Conseils, qu'ils donnent & reçoivent des plus importantes affaires de tous les Etats Chrêtiens, & nommément de la France, même touchant la personne du Roi, suprimées au grand prejudice de la sûreté du Royaume, ne servent elles pas de preuve & de conviction toute entiere, que non seulement ils se mêlent des affaires d'Etat, voire des plus secretes, & des plus importantes: mais qu'ils s'en mélent de telle sorte, qu'ils établissent un Etat dans un autre, y ont une Police, des reglemens, & des Conseils Politiques touehant la conduite des affaires publiques, & le gouvernement du Royaume. Et si les Jesuites ne se mêlent point des affaires d'Etat, comment ont ils fait prêcher, puis imprimer, qu'ils y sont si sçavants, qu'il se trouve parmi leurs freres Lays, des personnes, Predications de Deza imprimees à Poictiers par les soins de Solier Jesuite. qui pourroient faire la leçon aux Chanceliers de Grenade & de Vailladolid, & à tout le Conseil d'Etat du Roi d'Espagne?
Apres cela, Messieurs, trouvez vous étrange qu'une Compagnie, dont les membres les moins éclairez ont une Politique, qui emporte sur celle des plus habiles Espagnols, ait conceu le dessein de la Monarchie Universelle, & qu'elle soit venu à bout de son dessein? Mais [Page 56]écoutez, je vous prie, ce qu'ajoute à ce que vous venez d'ouir le même Auteur: Ils pensent échapper sous l'Equivoque & la maligne interpretation de ces mots: affaires d'Etat & Temporelles: Car ils soutiênent que de controoller les ordonnances, que fait un Prince pour soutenir son Autorité Souveraine, de juger quand il conclud la guerre ou la paix, mariage ou alliance, si aucune de ces choses est juste ou non, de le traverser en ses Conseils tant qu'ils pourront, s'ils ne sont pas de leur gout, d'informer même contre luy en qualité d'Inquisiteurs secrets, selon les ordres de leur Mission, de le condamner, oû faire condamner à Rome, de brouiller son Etat par toute sorte de menées, d'exciter la revolte de ses sujets pour luy faire tomber la Couronne de dessus la tête, de suborner & corrompre, sous un faux voile de Religion, des esprits melancoliques, pour l'assassiner comme un Jacques Clement, Jean Chastel &c. Ce sont à leur dire des affaires de Religion & de Conscience: car ainsi l'a declaré Bellarmin & tous ceux de leur Societé, qui ont traitté de cette matiere, & c'est cela qu'on nomme en termes d'Inquisition: Negotium fidei, actio fidei, une affaire & un acte de foy dans le Directoire des Inquisiteurs.
Mais, ajoûte le même Auteur, qui ne s'étonneroit, voire jusqu'à se pâmer, de les [Page 57]voir si hardiment écrire ce qui est hautement contredit par la connoissancè generale de tout le monde? qu'ils ne peuvent resider és Cours des Princes. C'est une loi qu'ils gardent aussi bien que la pretenduë défence, qui leur à été faite par leur General, d'enseigner qu'il est permis d'assassiner les Rois. Car l'on sçait que dans les Cours de tous les Princes Chrêtiens, on ne void autre chose que Jesuites: quant à la Cour de France, ils n'en bougent & ne l'abandonnent jamais, si leur trop grande curiosité, & leur importunité trop dangereuse ne les en fait chasser comme il est arrivé à un P. Coton, à un Pere Arnoux, & à un P. Segueran: les maisons des Princes, & des Seigneurs de la Cour en sont perpetuellement assiegées, & les ruelles des Dames en sont toûjours remplies, même lors que par la delicatesse ordinaire à leur sexe, sans aucune indisposition, elles gardent le lict pour y paroitre plus belles, & y étaler tous leurs atraits.
Si ces Peres ne se fussent mélez que de leurs Breviaires & de chanter leurs Litanies comme font les autres Religieux, s'ils n'eussent pas avancé leurs mains temeraires sur le timon des Etats, ils n'eussent pas été chassez, comme ils le furent, de Venise, de France & d'Angleterre. Je sçay qu'ils se font un merite & un [Page 58]hôneur de ce bannissement. Mais cela n'empêche pas, qu'il ne soit notoire à tout le monde, qu'ils ont été chassez de ces deux Royaumes pour leurs crimes, de France, pour avoir enseigné à tuer les Rois, confessé ou instruit trois assassinateurs des Rois: car Barriere confessé par le P. Varade, Jean Chastel instruit par le P. Guignard, & Ravaillac confessé par le P. d'Aubigny, sont des faits, dont tous les Historiens conviênent: d'Angleterre; aprés que le P. Garnet & ses complices eurent été convaincus de la conjuration des poudres, par où ils vouloient faire sauter le Roi, la Reine & le Parlement. Et aprés cela, ils osent dire, qu'ils ne se mêlent point des affaires d'Etat: non seulement ils ont été chassez de Venise, pour y avoir excité des factions, mais cela même avoit été predit par le Patriarche Tarvifius, qui ayant reconnu leur genie Politique & factieux,Imago primi Saeculi. predit 50 ans auparavant en jurant sur les Evangiles, ainsi qu'eux mêmes le reconnoissent dans l'Histoire d'Orlandin, qu'ils seroient un jour chassez de Venise. J'ose dire, que la faculté de parler & de raisonner n'est pas plus de l'essence de l'homme, que l'esprit remuant [Page 59]d'intrigue & de domination est essentiel à la Compagnie de Jesus, & qu'il n'arrive pas de changement considerable dans aucun Etat Chrêtien, sur tout de changement ruineux à l'Etat, du quel on ne puisse dire sans se méprendre, & à coup seur, que c'est l'ouvrage des Jesuites.
Non seulement ils ne bougent de la Cour des Princes, comme je le disois tantôt, mais ils s'y familiarisent & s'y affermissent avec tant de force, qu'il y sont fiers jusqu'à l'insolence. On les a veus souvent donner du coude aux Evêques pour aprocher & se faire place auprez la personne du Roi: on les a veus dans les solemnitez d'éclat, dans l'Eglise nôtre Dame de Paris & ailleurs, lors qu'on y chantoit le Te Deum, Traittez pour la deffense de l'Université de Paris. s'agenouiller tout auprés de l'accoudoir du Roi, au dessus des Evêques & des Archevêques, je parle des simples Jesuites, autres que le Confesseur de sa Majesté: & ne vìd on pas un jour le Pere Segueran faire une injure publique en presence du Roi, dans S. Merry, à un Evêque de France, aussi recommandable par son merite que par la noblesse de sa maison, à qui par une violence extraordinaire il [Page 60]fit quitter la place pour s'y mettre luy même? cela ne sent il pas de cent lieues loin l'esprit d'un courtisan apuyé, craint & redouté: cela ne fournit il pas un soubçon violent, que ceux de cette Compagnie, se sentent apuyez d'une force irresistible, & d'une Autorité Souveraine, dans les Etats gouvernez par la puissance la plus absoluë, & dans les Monarchies despotiques?
Je voy bien, Messieurs, que ce discours est déja trop long. Je n'ai à faire, que deux considerations, pour vous prouver que tous les faits, que j'ay avancez, s'ajustent parfaittement avec le grand dessein de la Monarchie Universelle, dont les Jesuites sont accusez. La premiere est, que ces bons Peres s'attribuent le grand Privilege d'Infaillibilité, que tous les Docteurs Catholiques soit seculiers, soit reguliers, ont attribué à l'Eglise. Il est vray que ces Docteurs, varient sur ce sujet, les uns l'attribuant au Pape, les autres au Concile, les autres au Pape & au Concile conjoinctement: tant y a qu'aucun que je sçache, ne s'étoit avisé, de la chercher en la Compagnie de Jesus. Mais il a pleu à ces bons Peres de decider cette grande [Page 61]controverse, & d'avertir le monde Chrêtien, que c'est chez eux que reside cet Esprit de grace & de lumiere, cet Esprit de sagesse & de verité, qui ne trompe & ne peut étre trompé. En premier lieu ce sont les Curez de Rouen, qui se sont plaints dans une lettre à leur Archevêque, & qui l'est aujourdhuy de Paris, en ces termes:La Doctrine des Jesuites combatue 1. & 2. partie. On n'a que trop soufert que les Jesuites usurpassent sur Mrs. les Prelats la qualité de Docteurs & de Maitres, & qu'ils élevassent une chaire en l'Eglise au dessus des Evêques, d'où ils veulent étre écoutez comme des Oracles, aux resolutions & decisions desquels il ne soit pas permis de contredire, sans passer aussi-tôt pour heretique. C'est la grande pretention des Jesuites, & le comble de leur ambitieuse & insolente presomption, de vouloir établir un Empire absolu, ou pour mieux dire une tyrannie si insupportable sur les Esprits de tous les hommes, que chacun soit contraint de se soumettre à leurs sentimens, & d'embrasser aveuglément toutes leurs maximes, à peine d'étre tenu & decrié par tout comme un impie, & pour un homme qui à renoncé à la foy. C'est ce qu'ils ont osé attenter encore de nouveau dans la refutation, qu'ils ont faitte du factum de Messieurs les Curez de Paris, où ils disent en termes formels page 5; qu'il n'y a que des [Page 62]heretiques, qui contredisent leurs maximes. Ils ne pouvoient mieux peindre que par ce seul trait de plume le caractere de leur genie, & fairê connoitre de quel Esprit ils sont possedez, Esprit d'orgueil, qui fait qu'ils se croyent les Oracles de la science, qu'ils s'imaginent être infaillibles, & que par consequent on ne peut sans crime s'opposer à leurs sentimens.
Cet Auteur,Imago primi Saeculi. Lib. 5. Cap. 5. pag. 622. qui tout Catholique qu'il est, pourroit étre suspect, n'a pourtant rien dit, qui ne soit du gout de leur P. Orlandin, & apuyé sur son temoignage, que voicy: La Societé, dit-il, est le Rational du jugement que le Souverain Pontifè des Juifs portoit sur son Estomac, & que les Grecs ont appellé d'un terme qui signifie l'Oracle. Quand je considere la forme quarrée qu'il avoit, j'y découvre la Societé marquée comme en figure, à cause qu'elle est repandue dans toutes les quatre parties du Monde. Et quand je considere les quatre rangs des Pierres precieuses, je me represente les divers ouvrages de cette precieuse Compagnie, qui bien que surpassant la nature, sont neanmoins confirmez par la Doctrine de verité. Et lors que je regarde, que cet ornement étoit portésur la Poitrine du grand Prêtre des Juifs, il me semble voir cette petite Societé, qui est attachée sur la [Page 63]Poitrine d'un plus Saint Pontife. Idem ubi supra. Surquoy l'Auteur sus allegué fait fort à propos cette reflection: que peut on dire davantage, dit-il, que de dire que la Societé est l'Oracle de la Doctrine de la verité, que le grand Prêtre de J. Christ porte sur sa Poitrine & sur son coeur? ainsi on ne doit plus s'étonner de ce qu'ils soutiênent, que le Pape est infaillible, pourveu qu'il consulte auparavant des Theologiens, parmi lesquels ils estiment à bon droit tenir le premier rang, comme les Maitres du Monde, les plus sçavans des mortels, les Docteurs de toutes les Nations, les Apollons, les Alexandres de la Theologie, les Prophetes descendus du Ciel, qui rendent des Oracles dans les Conciles oecumeniques, partageant ainsi l'infaillibilité avec le Pape, sur le Coeur du quel ils nous aprênent ici que leur Societé repose, comme l'Oracle de la verité, lequel il doit consulter sur les matieres importantes, ainsi que le grand Pretre des Juifs ne consultoit point Dieu, sans étre revêtu de cet ornement. Et de là nous avons sujet de conclurre, qu'il y à lieu de croire tres certainement, que le Pape n'est infaillible que lors qu'il prend les avis de ce fameux Oracle de la verité.
La reflection de cet Auteur est juste: il reconnoit avec raison, que les Jesuites [Page 64]attribuent à leur Societé le Privilege admirable d'étre infaillibles, & les Oracles de la verité. Mais celle que j'y vai faire n'est pas moins juste ni moins naturelle; Vous sçavez, Messieurs, que la conscience de l'homme est l'endroit par où il peut étre pris plus facilement, & par où il se laisse méner là où l'on veut. Il ne s'agit donc que de s'en saisir & de s'en rendre Maitre. Or l'infaillibilité de celuy, qui parle, impose naturellement unjoug à la conscience, par ce qu'elle appartient à Dieu comme les autres atributs, qui font l'eminence de sa nature. Comme c'est une verité universellement connuë, le Pape s'en est servi heureusement, & n'a point conservé la suprême puissance, qu'il à usurpée sur le monde Chrêtien autrement, qu'en faisant croire au monde qu'il étoit inspiré du S. Esprit, & qu'étant sur la chaire de S. Pierre, Dieu prononçoit des Oracles par sa bouche. Les Jesuites ont pris la même voye que le S. Pere, pour parvenir à la Monarchie Universelle. Ils se vantent même d'étre au dessus du Pape à cet égard, puis qu'ils se glorifient de communiquer à ce Pontife tout ce qu'il a de Sainteté & de lumiere, [Page 65]& qu'il ne prononce des Oracles Infaillibles, que lors qu'il a consulté les Theologiens de la Compagnie de Jesus. Où sont donc les Chrêtiens, qui refuseront de se ranger sous le joug de ces Perels Spirituels, puis qu'ils ne peuvent tromper ni étre trompez, & que lors qu'ils parlent, soit des Articles de foy, soit de la Morale, c'est tout comme si Dieu parloit par leur bouche, étant en droit de mettre à la tête de tous les Chapitres des cas de conscience cette Preface ordinaire aux Anciens Prophetes, l'Eternel a parlé disant:
L'autre consideration, que j'ay à faire; c'est que les Jesuites pretendent d'étre en droit, de remplir le Trône quand il est vuide; & de le vuider quand il n'est pas bien occupé, de quoy ils sont les seuls juges. Ils pretendent que ce droit-là leur appartient, comme une possession propre & un inalienable domaine: c'est de quoy ils se vantent par la plume de l'un de leurs Theologiens. C'est le Pere Heissius,Sebast. Heissius in declar. Apologet. dont voicy les propres termes. Cum de rebus politicis & mutandis Regibus agitur, de quo consultare non minus Jesuitarum proprium munus est, quàm grassante lue curare ne desint amuleta [Page 66]necessaria, Theriace proba, aliaque alexipharmaca, c'est à dire, que lors qu'il s'agit d'affaires Politiques, ou de changer les Rois, il n'est pas moins du devoir & de la charge des Jesuites d'y pourvoir, qu'il l'est au Magistrat & au Medecin de donner ordre en tems de pesté, que la ville n'ait point faute de remedes necessaires, de bonne Theriaque & d'autres preservatifs. Il ne se peut desirer rien de plus exprés ni de plus formel que la Declaration de ce Pere, ni qui fasse mieux connoitre leur pretention à la Monarchie Universelle. Il est vray que ce droit n'est connu qu'à eux seuls: tous les peuples de la terre habitable l'ignorent absolument, Chrêtiens, Mahometans, Juifs & Payens. Car ce n'est pas une notion commune, ce n'est pas la lumiere naturelle qui enseigne, qu'il y a sur la terre une Compagnie de Jesus, qui disposé souverainement de toutes les Couronnes de l'Ʋnivers. Mais ils le disent, cela suffit, puis qu'ils sont infaillibles: qu'ils soient les seuls entre les mortels qui le croyent & le sçachent, n'importe, ils ne laissent pas de se servir de ce droit, de le faire valoir par tout, & dans tous les Etats, Royaumes & Empires du Monde, où ils peuvent mettre le pied.
II. DISCOURS. Des moyens par où les Jésuites sont arrivez à la Monarchie Universelle.
La Societé des Iesuites forgée à Montmarte prés de Paris. Loyola leur fondateur visionnaire. Pour quoy ils ne s'appellent pas Loyolites, mais Iesuites. l'Avantage qu'ils tirent de ce nom. Par Politique ils se sont élevez au dessus des Apôtres & des Prophetes. Leurs privileges accordez & usurpez servent à leurs fins. l'Instruction de la jeunesse est un des moyens. Le trafic en est un autre. Ils ont double regle, c'en est un autre. Conte plaisant [Page 68]des Carmes de Paris. Trois sortes de Iesuites. Leur grand but est de regner non d'instruire. Leur General sçait tout ce qui se passe dans le Monde sans peine & sans fraiz. Leurs secrets ne se peuvent sçavoir. Ils sont soubçonnez de Commerce avec le Demon. Preuve de cela. Ils ont par leur subtilité profitê de leur bannissement de France. Le profit qu'ils tirent de leur impudence extreme. Celuy qu'ils ont tiré des affreuses Maximes de leur Morale. Comment ils ontfait passer leurs Maximes. Leurs Confessionneaux se chargent des pechez du penitent. Les Iesuites travestis parmi les Protestans. Ce qu'ils font en Angleterre & en Allemagne. Leur conduite [Page 69]envers les Catholiques pour en retirer du bien. Instruction pour cela. La punition qu'ils font des Iesi [...]ites scelerats. Ils en font des Apotres pour les Indes, où ils sont plus scelerats, & où ils servent à la Societé utilement par le moyen du traffic. Le finde leur Politique ést de n'avoir aucune regle ni d'autre loi que celle de leur interêt.
VOus allez voir, Messieurs, la Politique la plus fine & tout ensemble la plus grossiere, la plus hardie & tout ensemble la plus lache, la plus contraire au bon sens & tout ensemble la plus heureuse, qui ait jamais été mis en usage, depuis Nimrod le premier des Tyrans, jusqu'à nos jours. Ni Tybere, ni le fameux Hildebrand, ni Borgian, ni Machiavel n'y ont rien entendu; ce sont des profondeurs de Satan; c'est en un mot un mystere d'iniquité que je vai étaler à vos yeux. Et afin que rien de [Page 70]ce qui regarde la Po [...]ique des Jesuites, n'échappe à vôtre connoissance, je les considererai depuis la fondation de leur Compagnie, je les [...]uivrai par tout, j'irai dans leurs E [...]les de Theologie les ouir traittant des cas de conscience, j'irai dans lés Eglise ouir leurs sermons, les écouter dans les Confessionneaux, j'irai dans leurs congregations, j'irai dans leurs Cabinets. Je les accompagnerai, quand ils iront dans les Pàis des Heretiques, pour voir [...]a mani [...]re dont ils agissent avec eux, j'irai jusques dans les Indes d'Orient & d'Occident pour observer leur conduite avec les Payens. Et partout je suis assuré, que vous remarquerez des manieres & des Maxmes, qui sont comme un maniféste éclátant, par Iequel ils declarent la guerre au Christianisme, & à tout le genre humain.
Leur Societé fut forgée dans Paris,Apologie pour Jean Chastel. & leurs premiers voeux furent faits à Montmarte dans la Chapelle des Martyrs par Ignigo ou Ignace Loyola, leur fondateur. Il n'étoit rien moins qu'un habile homme capable de donner à son Ordre le plan de cette Politique, qui l'a rendu si redoutable dans le Monde. Il ne faut qu'ouir le simple recit de ses visions [Page 71]pour juger, qu'il étoit un visionnaire & un fou à lier.Maff. Lib. 1. Cap. 2. Maffée rapporte qu'étant été blessé durant le siege de Pampelune, où il commandoit, abandonné des Medecins & des Chirurgiens, S. Pierre en qui il avoit toûjours eu une parfaite confiance, luy apparut, & luy promit de le guerir, ce qui fut fait: comme il eut commencé à sentir du soulagement de ses blessures, il demanda des livres d'amourettes pour se divertir, ne s'en trouvant point, on luy donna la Legende des Saints: cette Lecture le rendit devot, & luy fit prendre la resolution de choisir une autre sorte de vie, sur quoy la St. Vierge, luy apparut avec un visage riant, & tenant son enfant Jefus entre ses bras: vision qui le detacha tellement du Monde, qu'il se fit Chevalier de la Sainte Vierge. En voicy d'autres qui encherissent pardessus celle-là; comme il étoit à genoux devant l'Image de nôtre Dame en Prieres & Oraisons,Ribad. Lib. 1. Cap. 6. il se fit un tremblement de terre dans la maison où il prioit. Le Diable s'apparut à luy, tantôt sous une forme belle & agreable, tantôt sous une forme hideuse & effrayante, employant pour l'amener à son point des promesses & [Page 72]des menaces: aprés cela entrant dans une Eglise des Dominiquains, il fut ravi jusques au Ciel, où il vid la Divinité en trois personnes & une essence, de quoy il composa un livre. Il est grand dommage que ce livre ne soit point parvenu jusques à nous pour juger de l'habileté du personnage.Maff. Lib. 1. Cap. 8. Car le Jesuite Maffée dit, qu'il l'écrivit quoquo modo potuit Stylo, c'est à dire, d'un Stile à faire rire ou à donner de la compassion. Ensuite oyant la Messe dans la même Eglise, comme le Prêtre faisoit l'élevation de l'Hostie, il y vid Jesus Christ en chair & en os, tel qu'il étoit sur la croix. Et pourquoy donter de la verité de toutes ces visions,Ribad. Lib. 1. Cap 10. puis qu'Isabeau Rousset Dame d'honneur luy vid la tête environnée de rayons, comme il étoit attentif à une Predication dans Barcelonne?
Vous jugez bien, Messieurs, par la nature de ces visions quel homme c'étoit qu'Ignace Loyola, & que si un homme aussi fou que celuy-là étoit fort propre à pretendre à la Monarchie Universelle; il étoit pour le moins aussi incapable de bien prendre les mesures, & de bien concerter les moyens propres & suffisans à y conduire sa Societé: aussi [Page 73]fa Compagnie ne luy a pas fait l'honneur que les autres Ordres ont fait à leurs fondateurs. Car les autres Ordres se disent venir des Saints, qui les ont fondez, comme les Benedictins de S. Benoit, les Dominiquains de S. Dominique, & ainsi des autres; c'est pourquoy on les appelle les Ordres de S. Dominique & de S. Benoit. Mais les Jesuites n'ont pas daigné prendre le nom de leur fondateur, pour se dire Ignaciens & Loyolites, ou l'Ordre d'Ignace Loyola: ces bons Peres raisonnent plaisamment là dessus. S. Ignace, Imago pr. Sec, Lib. 1. Cap. 6. dit le Jesuite Orlandin, étoit si humbbe qu'il ne se creut pas digne de donner le nom d'Ignaciens à ses Compagnons, comme ont fait les fondateurs des autres Ordres. En quoy il semble avoir voulu imiter les Apôtres, dont S. Augustin louë l'humilité de ce qu'ils n'avotent pas donné le nom de Pauliens ni de Pierriens, aux premiers fideles, mais celuy de Chrêtiens. Toutefois, ajoûte-t-il, si nous voulons juger saincment des choses, nous pourrons dire que la Societé a pris le nom de son Auteur. Car Ignace atribuant tout à Dieu dans la fondation de sa Gompagnie, & rien a luy, & prononçant que J. Christ en étoit le vray, & le premier Auteur il fit avec grande adresse, que selon qu'il ast ordinaire parmi les [Page 74]Philosophes, dans la Religion Chrêtienne, & dans les Ordres Religioux, la Societé portât le nom de son Auteur, sans qu'on entendit parler de celuy d'Ignace qu'il desiroit étre caché.
Avouez, Messieurs, que ces Peres connoissent bien l'humilité, & qu'il ne faut pas s'étonner, s'ils pratiquent si bien cette vertu, puis qu'ils croyent qu'Ignace Loyola en fit un acte memorable, en ne voulant pas que sa Compagnie fut appellée de son nom, parce que c'est Dieu luy même, qui en est l'Auteur. A ce conte qui sera l'Auteur des Ordres de S. Benoit & de S. Domique, & de S. François? c'est de quoy ils ne s'embarassent pas beaucoup l'Esprit, qu'on en croye ce qu'on voudra. Mais si vous ne les en croyez point, ils vous payeront d'abord d'une vision, qui vaut argent contant, ils disent donc, que S. Ignace se porta principalement à prendre le nom de Compagnie de Jesus, en l'année 1538. aprez une vision qu'il eut dans une Eglise deserte, sur le chemin de Rome, ou Dieu le Pere luy apparut recommandant Ignace, & ses deux Compagnons Pierre le Fevre, & Jacques Lainez, à J. Christ son fils portant sa croix, lequel se tournant vers eux [Page 75]leur dit: je vous serai favorable à Rome. C'est là dit le Jesuite Maffée, le veritable fondement de ce nom, Compagnie de Jesus. Quoy qu'il en soit, j'estime qu'ils ont tiré parti de l'usage de ce nom Auguste, puis que selon moy, c'est le premier fondement, sur le quel ils ont bati le grand projet de la Monarchie Universelle: car Jesus étant le vray Monarque de l'Univers, le Roi des Rois, & le Seigncur des Seigneurs, de par qui les Rois regnent, & les Grands administrent la Justice, qui pourra revoquer en doute, que la venerable Compagnie de Jesus ne soit saisie du sublime droit de la Monarchie de tout le Monde, en vertu de ce nom sacré & redoutable, qui attire le respect, & qui fait ployer les genoux à toutes les creatures, depuis les Cieux les plus hauts, jusqu'aux plus profonds abismes?
Pour soutenir leur projet touchant la Monarchie Universelle, il falloit publier dans le Monde, qu'ils étoient au dessus de tous les autres Ordres, au dessus des Evêques, égaux & même superieurs aux Apôtres & à Moïse. C'est aussi ce qu'ils n'ont pas manque de faire. Je dis au dessus de tous les autres Ordres, car ils disent que tous les autres [Page 76]Ordres ont toújours éte, Imago primi Saeculi Lib. 5. Cap. 5. & sont encore aujourdhuy dans l'Eglise, ce qu'étoit dans l'Arche de l'Alliance les deux Tables; la Manne & la Verge, les trois instrumens de tant de prodiges, & que la Compagnie de Jesus est l'Ʋrim & lc Tumin, c'est à dire l'Oracle de la Doctrine & de la verité. C'est ainsi que parle leur Pere Orlandin. Je suis assuré, que le plus humble de tous les autres Ordres n'a leu ce passage sans depit, fut ce le Capucin le plus mortifié, puis qu'ils y sont grossierement jouez: car ces trois choses n'ayant point été des Oracles, & ayant été renfermées dans le lieu tres Sainct, il est visible, que par cette comparaison, tous les autres Ordres sont reduits à demeurer renfermez dans leurs Monastere, comme des Reliques dans leurs chasses, & que leur Societé étant comparée à l'Oracle, qui étoit sur l'estomac du grand Pontife, sans quoy il ne pouvoit faire aucune fonctien du Sacerdocé, cela veut dire nettement, que toutes les dignitez de l'Eglise leur appartiênent.
Je dis, qu'ils s'élevent au dessus des Evêques. Ils rapportent sur cela eux mmes la declaration d'un Saint Evêque mourant, ce qui est plus que suffifant pour persuader un bon Catholique. [Page 77] Ʋn Evêque, Imago primi Saeculi Lib. 5. Cap. 10. dit le même Historien, dans le Royaume de Naples, qui durant sa vie avoit plus aimé sa Mitre que la Societé, s'écria dans l'agonie: ô Sainte Societé, que je n'ay pas assés connuë jusques à present, & que je n'avois pas merité de connoitre, tu surpasses les Crosses Pastorales, les Mitres, les Pallium, la Pourpre, & les Couronnes.
Je dis qu'ils se font égaux aux Apôtres: car ils disent, que S. Ignace. Ibidem Lib. 1. Cap. 6. a tenu le lieu de S. Pierre, S. Xavier celuy de S. Paul, les dix premiors Peres avec S. Ignace, & S. Xavier celuy des douze Apôtres, & les LX. premiers Jesuites accordez par la premiere bulle du Pape, Paul. 3. celuy des septante Disciples de nôtre Seigneur. Vous remarquez bien le méconte dans cette enumeration, puis que S. Paul fut ajouté au Sacré College des douze: mais le peuple n'y regarde pas de si prés Ad populum phaleras. Ils parlent même plus clairement par la plume de leur Historien fidele,Ibidena Lib. 1. Cap. 1. il n'y a point d'autre difference, dit-il, que celle du tems entre l'institut de leur Societé, & celuy des Apôtres, & que ce n'est pas un Ordre nouveau, mais un espece de rétablissement de cette premiere Religion, dont J. Christ seula été l'Auteur.
Je dis,Un Sermon prononcé sur la beatification de S. Ignace, traduit de l'Espagnol par le Pere Soulier. qu'ils s'élevent au dessus des Apôtres. Ce n'est pas merveille, dit un de [Page 78]leurs graves Auteurs, que les Apôtres fissent tant de miracles, puis que c'étoit tout au nom de Dieu, par la vertu & le pouvoir, qu'il leur avoit donné en les marquant de son Cachet: vous chasserez les Diables en mon nom &c. Mais qu'Ignace avec son nom écrit en papier fasse autant de miracles que les Apôtres, que son seing ait autant d'autorité sur les creatures, qu'elles luy obeissent soudain, e'est ce qui nous le rend souverainement admirable.
Mais comme les miracles des Apôtres étoient bienfaisans & salutaires, ils élevent ceux de S. Ignace sur ceux de Moïse,Idem ubi Supra. qui étoient terribles & destructifs, afin de jetter la terreur dans les ames, pour aller plus viste à leur projet. Nous sçavons bien que Moïse portant sa baguête en main, faisoit de tres grands miracles en l'air, sur la terre, sur l'eau, sur les Rochers, & sur tout ce que bon luy sembloit, jusqu'à submerger Pharaon, avec toute son Armée dans la Merrouge. Mais c'étoit le nom ineffable de Dieu, que le Docte Evêque d'Avila dit avoir été gravé en cette baguette, lequel operoit toutes ces merveilles: ce n'étoit pas si grand cas, que les creatures, voyant les ordonnances de Dieu leur Souverain Roi & Seigneur, luy rendissent obeissance: mais que S. Ignace, ait fait plus de miracles, que Moïse avec son seul nom [Page 79]écrit en papier, c'est ce qui passe toute admiration.
Ils n'ont pas été contens de s'élever au dessus de Moïse & des Apôtres. Ils ont cherché une idée plus convenable au projet de la Monarchie Universelle, & ils l'ont trouvée en élevant leurs fondateurs au dessus des plus illustres Conquerans, qui font le plus de bruit dans les Histoires. l'Epitaphe de S. Ignace y répond fort bien. Qui que tu sois, qui te representes dans ton esprit l'Image du grand Pompée, de Caesar, & d'Alexandre, ouvres les yeux à la verité, & tu liras sur ce marbre qu'Ignace à été plus grand que tous ces grands Conquerans. Celle de S. Xavier y répond encore mieux: demeurez Heros, Morale pratique 1 Vol. grandes Ames, & amoureuses de la vertu, vous ne devez plus rien faire, ni rien entreprendre, puis que Xavier est enseveli sous ce tombeau. Mais je me trompe, il n'y a ici quasi rien de ce grand Apôtre de l'Orient, courageux au dela de la nature, illustre au de là de l'imitation, admirable au delà de l'envie; de ce Compagnon de Iesus, de ce fils d'Ignace, de-cet Ange immortel en un corps mortel. Il n'y a disje, quasi de luy rien icy, qui ait pû se corrompre, n'y ayant eu'rien de luy qui ait pû étre corrompu, il a plus soumis de peuples à l'Eglise, que les Romains, [Page 80]& les Grecs ensemble n'en ont soumis à leurs Empires en beaucoup de siecles. Que dites vous à cela Messieurs? Se peut il desirer rien de plus clair, ni de plus fort que ces temoignages? Ce sont les Pierres même qui parlent des exploits miraculeux des fondateurs de la Compagnie de Jesus: à moins que d'avoir une ame Calviniste ou Lutherienne, il est impossible de ne s'y rendre pas.
Ce que je viens de vous dire, Messieurs, n'a pas peu servi au grand projet de la Monarchie Universelle; mais ce que vous allez ouir est ce qu'il y a de plus fin dans leur Politique. Ce sont les Privileges accordez, ou ceux qu'ils ont attribuez eux mêmes à leur Societé. Ils ont tant fait à la Cour de Rome, qu'ils ont obtenu plus de vingt bulles, & chacune renferme un ou plusieurs Privileges. Je n'en toucherai que quelques uns. Par ces bulles ils ont le Privilege d'exercer la Medicine, ils ont droit de donner absolution de tous les pechez; sans excepter même ceux qui sont reservez au S. Siege, celuy de chanter la Messe avant jour & apres midy, celuy d'avoir avec eux en voyage des Autels portatifs, afin de celebrer la Messe [Page 81]en tous lieux, même en ceux, qui sont interdits par le S. Pere, celuy de pardonner toutes sortes de crimes à celuy qui ira tous les ans faire ses devotions, un jour entier dans leurs Eglises, quand il ne dira qu'un Pate nôtre, & un Ave Maria. Ceux qu'ils se sont attribuez eux mêmes, c'est premierement qu'ils sont dispensez de tous les Canons, soit Eclesiastiques soit Reguliers: car ils n'estiment pas qu'il puisse y avoir aucune loi capable de les obliger, s'ils n'y sont expressement nommez: & comment y seroient ils nommez? puis qu'ils sont depuis trois jours, c'est à dire, qu'ils n'ont paru au Monde, que longtems apres le droit Canon? en 2 lieu, ils ne sont ni seculiers ni reguliers,Recherches de Pasquier. ils sont tales quales: c'est ainli qu'ils se qualifierent dans la réponse, qu'ils firent au Parlement de Paris, qui vouloit sçavoir quel Ordre de gens est ce qu'ils étoient: réponse, qui fit tant de bruit, que Pasquier rapporte, que de son tems on ne les designoient point autrement, que par les tequels: par ce moyen ils sont Religieux sans Cloture, & ils sont seculiers sans étre laiques. Ils professent un genre de vie, qui doit étre éloigné des [Page 82]occupations laiques, & cependant fondez sur des dispenses, dont ils sont eux mêmes les Auteurs. Il n'y a point d'employ seculier, qu'ils ne croyent pouvoir embrasser innocement, & qu'ils n'excercent en effet pour avancer les affaires de leur Societé. Or tous ces Privileges les mettant bien haut audessus de tous les Religieux, & même audessus de tout le Clerge, vous voyez bien, Messieurs, que leur Societe en est rendue venerable plus que toute autre Societé, & qu'elle s'est mise sur un pied à se faire aimer, à se faire estimer, à se faire suivre, à se faire craindre, & cela combien a-t-il favorisé leur projet de la Monarchie Universelle?
Mais tous ces Privileges ne sont rien, ce me semble, en comparaison de celui de ne pouvoir étre damné: cela vous paroit incroyable, je le reconnois, Messieurs; mais vous le croirez, s'ils vous plait, sur la foy d'un Historien, qui ne peut dire que la verité, puis que c'est le Jesuite Orlandin.Imago primi Saeculi Lib. 5. Cap. 8. Alphonse Rodriguez Jesuite Espagnol, ne vit pas seulement ses compagnons, qui étoient alors vivans; mais aussi, que ceux qui les suivroient durant une longue suite d'années vivroient avec luy eternellement dans la [Page 83]felicité du Ciel. François Borgia un autre Jesuite dit à son Compagnon nommé Marc: Sçachez, mon frere Marc, Idem ubi supra. que Dieu aime souverainement la Societé, & qu'il luy a accordé le privilege qu'il accorda autresois à l'Ordre do S. Benoist, sçavoir que les cent trois premieres annces, aucun de ceux qui perseverera dans la Societé jusques à la fin, ne sera damné. Un Saint Religieux d'un autre Ordre, qui n'est pas nommé, étant sur le point de rendre l'Esprit, envoya querir le P. Matrez Jesuite Confesseur du Vice-Roi de Barcelonne, pour luy annoncer cette grande nouvelle: ô mon Pere, que vous estes heureux, Idem ubi supra. d'étre d'un Ordre, dans lequel quiconque meurt, jouit de la felicité éternelle. Dieu vient de me montrer cela, & m'a ordouné de le declarer publiquement devant tout le Monde. Et ce Jesuite tout confus d'admiration, & de Modestie, luy ayant demandé, si ceux de son Ordre ne seroient pas aussi tous sauvez, le mourant luy répondit avec gemissement que plusieurs le seroient, mais non pas tous; mais que tous ceux de la Societé de Jesus tant en general qu'en particulier, sans excepter aucun, qui persevereroit dans l'Ordre jusques à la mort, seroient tous sauvez. Un Privilege si admirable ne vous semble-t-il pas infiniment propre, [Page 84]pour faire venir l'envie à tous les Catholiques de se faire Iesuite pour le moins in voto, & quand vous seriez Rois & Empereurs, ne donneriez vous pas vôtre Couronne, pour un bonnet à trois cornes, pour éviter la damnation éternelle, & le feu des Enfers? & cela quel credit & quelles richesses, & quelle puissance n'a-t-il pas acquis à cette heureuse & benite Societé?
Voici un autre Privilege, qui n'a pas eu moins de vertu. C'est que Jesus Christ vient au devant de chaque Jesuite mourant pour le recevoir, & que ce Jesuite delivre du Purgatoire tous ceux qui le suivent. Une vision Celeste me sera le guarant de la verité du Privilege. Nous avons apris dit un Historien non suspect, de la relation du Pere Crisoel Jesuite de l'année 1616.Idem ubi supra. que dans une vision de Sainte Therese une ame bien heureuse, allant dans le Ciel avec d'autres, dit à cette Sainte: un Frere de la Societé de Iesus est nôtre conducteur: nous nous rejoüissons d'avoir un tel chef, à la vertu & aux prieres duquel nous sommes redevables de ce que nous sommes aujourdhuy delivrées du Purgatoire: à quoy la Sainte répondit: ne vous étonnez point de ce que le Tout-puissant vient au devant de vous, il [Page 85]n'y a rien de nouveau en cela. Les freres de la Societé de Iesus ont ce Privilege, que lors qu'un d'eux est mort, Iesus vient au devant de luy pour le recevoir. Oh! Messieurs, si vous étiez bien persuadés, comme le sont le General de nos Catholiques, que vous avez à demeurer je ne sçay combien d'années, dans un feu plus ardent mille fois, que celuy dont nous nous chauffons, que ne donneriez vous pas, ou pour en étre exemt tout à fait, ou pour en étre dans peu de tems delivrez? Imaginez vous donc, quels legats, quels heritages, quelles richesses reviênent à la Societé de ce privilege, & combien cela a servi à la rendre acreditée, & puislante dans le Monde.
Ce n'étoit pas assés que d'avoir trouvé les moyens de se mettre en ce grand credit, où ils sont parvenus, il en falloit imaginer de tout nouveaux pour s'y maintenir. Ils ont donc en premier lieu abandonné les regles de leurs Fondateurs; en voicy un exemple, c'est une des constitutions de S. Ignace, que ceux de la Societé ne tiendront point de Pensionaires. Tout le Monde sçait que leurs Colleges en sont remplis. Le Pere Raynaud allegue les raisons sur quoy [Page 86]la constitution estoit fondée,In Hipparcho de Religioso negotiatore, sous le nom de Renatus à valle. afin de corriger cet abus. Il represente à sa Compagnie, que la hantise étant l'Origine du Mepris, les Religieux doivent s'éloigner de la vie des seculiers, que chacun de leurs pensionnaires est un epion, qui examine leurs deportemens avec une curiosité accompagnée de foiblesse, que les mauvaises inclinations de ces jeunes gens peuvent étre contagieuses aux jeunes Jesuites, qui les dirigent; & qu'il est à craindre, qu'ils ne se corrompeut avec ceux dont ils surveillent les actions. Mais tout ce que ce Pere gagna par ses plaintes, c'est qu'il fut écouté comme un vieillard qui radote, son zele fut pris pour une foiblesse, ses lumieres pour des songes creux, son dessein de reforme pour une extravaguance & un égarement: en un mot il fut persecuté, & mourut dans la disgrace de ses Freres. Cependant vous remarquerez, Messieurs, que la conduite de la jeunesse, dont les Jesuites se sont chargez, n'est pas un des moindres avantages de leur Politique. Car dans la Coutume qu'ils observent, de tirer les noms de chacun de leurs Ecoliers, leur Païs, leur naissance, leur condition, leur inclination, & les alliances [Page 87]de leur famille, ils ne buttent à autre dessein, qu'à entretenir une correspondance universelle, & tous ces memoires étant rendus entre les mains de leur General, cette connoissance generale des personnes de tous les Païs, luy est un des plus assurez moyens d'avancer la haute Monarchie, dont la Societé a conceu l'idée des sa naissance. Que si les Romains connoissoient leurs forces par la reveuë, & le denombrement de tout l'Empire, les Jesuites sçachant exactement les personnes liées à leur Compagnie, en conçoivent tant de confiance, qu'il ne faut pas s'étonner de la grandeur de leurs entreprises. C'est un negoce que de tenir des Pensionnaires & un negoce public: car les habitans des villes, où ils ont des Colleges, voyent le profit qu'ils en tirent; mais ils ne s'arêtent pas à si peu de chose en apparence, quoy qu'au fond c'est un des plus seurs moyens de leur agrandissement. Ils exercent le negoce dans toute son étendue par tout le Monde. Ceux qui sont informez du secret de leur trafic sçavent, que dans les lieux, où les maisons se louent bien cher, les Jesuites en ont la meilleure partie, principalement à la [Page 88]Cour de tous les Princes. Les Hollandois, qu'on peut appeller les Maitres Marchands, aprendroient à l'Ecole de ces Peres. Les Genois n'entendent rien au prix d'eux dans les changes & les rechanges. Leur gain est toûjours grand & toûjours assuré. 1. par ce qu'étant épandus par tout le Monde, ils sçavent mieux que tous autres Marchands, le haussement & le rabbay des Marchandises, & qu'ils ne peuvent étre trompez par leurs correspondans, par ce qu'ils sont tous animez d'un même esprit, qu'ils ont tous une même caisse & un même contoir. 2. Par ce qu'ils ont la Conscience plus large que celle des Juifs, & qu'en eux la foy de Marchand doit étre entendue dans toute la force de la signification qu'on luy donne communement. En 3 lieu, par ce qu'ils traffiquent de tout, aussi bien des petites choses que des grandes, des merceries, des babioles & jouets d'enfans.
Constamment les Jesuites ont plus d'une regle. l'Une paroit, c'est celle de S. Ignace. l'Autre est cachée, c'est celle de leurs Superieurs. Comme ils sont tales quales, reguliers & seculiers, ils se servent de la premiere comme Reguliers [Page 89]& Religieux, & mettent l'autre en usage comme seculiers, & par ce que travailler pour la gloire de la Societé, c'est toute la même chose, que de travailler pour la plus grande gloire de Dieu, qui est leur devise & leur étoile polaire, ne doutez nullement, Messieurs, qu'ils ne fuivent constamment & avec une grande devotion la seconde de leurs regles. Ils ont fait vocu de pauvreté conformement à la premiere, mais s'attachant à la seconde pour la plus grande gloire de Dieu, ils ne cessent d'accumuler, d'ajouter champ à champ & tresor sur trefor, non seulement à la ruine des Heretiques, mais aussi à la ruine des Catholiques, sans même epargner les Religieux. Car l'Allemagne fume encore des effets de leur avarice, & de l'invasion qu'ils ont faitte des benefides de S. Benoist. Ils ont fait voeu d'obeïssance aveugle au S. Pere, mais pour la plus grande gloire de Dieu, ils violent hautement cette regle pour s'attacher à celle qui sert à l'avantage de la Societé. Ils ont jugé qu'il leur étoit avantageux dans le demelé, que le Roi trés-Chrêtien a eu avec le S. Pere, au sujet des privileges dont le S. Siege est en possession, depuis [Page 90]plusieurs siecles, de se ranger du parti le plus fort: ils l'ont fait hautement & ont obligé leur P. Maimbourg à écrire contre le Pape en faveur du Roi. S'ils n'ont pas fait voeu d'abstinence ils ont fait voeu, pour le moins d'obeir à la Sainte Mere Eglise, c'est la plus inviolable aussi bien que la plus anciêne de toutes les Regles; mais pour la plus grande gloire de Dieu, ils mangent de la viande le carême & le vendredi, & même la semaine Sainte. Je sçay là dessus une petite Histoire, qui est assez plaisante, & que je tiens d'une personne digne de foy & temom oculaire du fait. Il y a environ quarante ans, lors que la chambre de l'Edit étoit dans la ville d'Agen, & que le Duc d'Espernon Gouverneur de Guiene y faisoit son sejour, comme le Jesuite Pourvoyeur passoit un jour de la semaine Sainte, par la place à une heure qu'elle étoit pleine de Monde, chargé de provisions, un gentilhomme, qui s'appelloit Dalot Catholique, mais qui aimoit à se divertir ôta le manteau au Jesuite, lequel fut veu avec une ceinture garnie de orochets, où pendoit des gigots & des longes, des becasses, des chappons, & des perdrix, & qui fut contraint de se [Page 91]cacher, dans une maison, confus d'étre veu en cette posture par l'éclat de rire de tous les assistans.
Si le Fondateur des Carmes eut laissé une semblable liberté à ses Disciples, le Docteur Patin n'eut pas eu sujet de faire ce plaisant conte à leurs dépens, écrivant à un de ses amis:Lettre 70. vous sçaurez pour nouvelles, dit-il, que depuis peu les Exems s'étant transportez au Convent des Carmes à deux heures aprez minuit, à la requête du Superieur, ils en enleverent douze qu'ils amenerent au For l'Evêque. C'étoit des Compagnons, qui se mocquoient de leur Regle & de leur Superieur: qui faisoient grand chere là dedans en depit du Carême. On a trouvé dans une de leurs chambres 22 bonnes perdrix, des patez, des Jambons, & force bouteilles de vin. Voila comment ces Maitres Moines Jeunent le Carême, tandis que les gens de bièn mangent du ris & des pruneaux: je pense que de tout tems on a trompé le Monde sous pretexte de Religion. C'est un grand manteau, qui affuble bien de sots animaux. Ily en a un entr'eux qui regrette plus son or & son argent, qu'il ne se soucie de sa prison.
Mais pour revenir à l'abstinence & au Jûne des Jesuites, il est bon d'ouir sur ce sujet un de leurs Historiens Pensionnaires. [Page 92] Tout ce que leurs ennemis, Dupleix. ditil, ont inventé touchant leur bonne chere, n'est qu'imposture, étant tres certain qu'ils vivent avec une tres grande frugalité, & ne mangent ordinairement, que de la chair de la boucherie, sept onces par tête à chaque repas: & à disner une petite escuelle de bouillon sans souppe. Nul n'est avantagé en la portion de sa viande: mais le pain & le vin leur est fourni selon leur appetit à suffisance. Eh! les pauvrets, ne sont ils pas bien à plaindre ces Tartuffes?
Vous voyez donc, Messieurs, que les Jesuites ont une double regle aussi bien qu'un double coeur, ce qui a extremement servià poursuivre leur projet de la Monarchie Universelle, & qui sert encore aujourdhuy tres utilement à se maintenir sur le pied, où ils en sont venus. Mais outre cela, vous sçaurez, qu'il y a trois sortes de Jesuites: la premiere est de seculiers de l'un & de l'autre sexe, qui étant agregez ou associez à la Compagnie, vivent sous sa direction dans la pratique d'une obeïssance aveugle, se reglant en toutes leurs actions suivant le Conseil des Jesuites, prets & prompts à executer tout ce qui leur est ordonné de la part de ces Peres. Ce sont [Page 93]pour la plus part des gentilshommes, des Dames, des Demoiselles, qui passent le reste de leurs jours dans le veuvage, de gros Bourgeois, de riches Marchands, lesquels tous sont autant de vaches à lait pour la Societé. La seconde espece de Jesuites est toute d'hommes, dont les uns sont Prêtres, & les autres laiques. Ceux-cy vivent dans le siecle, mais comme ils obtiênent par l'intercession des Jesuites des pensions, des Chanoinies, des abbayes, des prieurez, ils ont fait voeu de prendre l'habit de S. Ignace au premier mandement qui leur en sera fait. Ce sont ceux, qui sont appellez Jesuites in voto, & dont les Peres se servent utilement pour l'agrandissement & affermissement de leur Monarchie. Car ils en ont dans toutes les Cours des Princes, dans toutes les Provinces, dans toutes les villes considerables, dans toutes les Compagnies les plus celebres. La 3 sorte de Jesuites sont ceux, qui ayant passé par le Novitiat, sont effectivement vrais membres de la Compagnie de Jesus.
Vous sçaurez de plus, que l'employ le plus considerable de cette venerable Societé, n'est pas la Profession de la [Page 94]Theologie, comme la raison & la bienseance le voudroit bien: comme ils ont toute autre veuë que celle d'éclaircir les mysteres du Ciel, & d'avancer le Royaume de Dieu, quand ils rencontrent un esprit de grande penetration, ils l'obligent à s'attacher aux affaires de la Societé, & à se donner tout entier à la. Politique: ce qui ne leur est pas difficile d'obtenir, par ce que les beaux emplois, les charges de Provincial, de Superieur, & autres ne sont destinées, que pour ceux qui prênent cette route-là. De là vient qu'on void rarement de grands Theologiens parmi eux, que ceux qu'on y voit ne font que se copier les uns les autres, jusqu'à copier les livres des Heretiques. Maldonat passe pour un grand Theologien parmi eux, mais il est seur qu'il n'a rien avancé de bon qu'il ne l'ait pris de Calvin & autres: & la marque assurée des endroits où il à pillé, o'est precisement où il affecte d'injurier celuy qu'il pille. Il y la donc bien de la subtilité dans la Politique de ces Peres. Ils font profession d'enseigner la science du salut: c'est pour cela qu'ils ont par tout des Colleges rentez; mais tout cela n'est que finesse. Ils ont bien [Page 95]d'autres veuës que celles d'instruire: tout leur but est de regner: ils font triage des esprits capables du gouvernement, de sorte qu'il ne reste pour la Sainte Theologie que des esprits de rebut, lesquels ne sont propres qu'a criailler dans les chaires, qu'a prêcher la controverse sur le plan de la Methode de leur Pere Veron, & à s'acquiter assés bien des fonctions de Missionaire.
Vous remarquerez aussi, Messieurs, qu'ils ont à Rome leur General, y residant toûjours, que chaque Provincial de toute la Chrêtienté luy écrit tous les couriers ce qui se passe dans chaque Province; comme le Provincial reçoit des depêches de tous les Recteurs de chaque Maison & de chaque College, & qu'ainsi il n'échappe rien à la connoissance du General; car il a toûjours auprez de sa personne des Jesuites, qui s'appellent Affistans, lesquels on void courir sans cesse d'un Palais dans un autre, & de là dans le Vatican, pour sçavoir ce qui se passe, & ce qui se dit chez les Cardinaux & à la Cour du S. Pere. Et d'un autre côté chaque Provincial par le moyen des trois especes des Jesuites, dont je vous ay parlé, aprend certainement [Page 96]tout ce qu'il leur importe de sçavoir, car où est ce qu'il n'y a pas des Jesuites seculiers, & des Jesuites in voto? Il n'y a point de Conseil de Prince, où il n'y en ait, par consequent il ne se met point d'affaire sur le Tapis dans aucun Conseil, il ne s'y prend pas une resolution, qui ne viêne à la connoissance des Jesuites. Et vous jugez bien à quoy leur peut servir cette connoissance, & quel usage ils en font: c'est par là qu'ils traversent les entreprises, qui ne leur reviênent point, c'est par là qu'ils se sont agrandis, & c'est par la qu'ils se maintiênent.
C'est assurément un grand Malheur pour les Princes, dont le regne ne peut étre heureux sans le secret, qui est le fondement & la force de leur Conseil. Si l'on pouvoit sçavoir de même, ce qui se passe dans le Conseil des Jesuites, si l'on pouvoit découvrir leur secret, la pareille leur pourroit étre renduë, on pourroit soutenir & accomplir les entreprises malgré eux, on pourroit enfin demonter leur machine & deconcerter leurs projets. Mais ils sont trop fins pour n'y avoir pas bien pourveu: car ils n'admettent dans leur congregations [Page 97]les plus secretes que les Jesuites, dont la fidelité à la Compagnie est éprouvée, & d'une fermeté inebranlable: leur Compagnie est si nombreuse, qu'il est fort possible d'en trouver de la trempe qu'ils veulent, & de ne se tromper pas dans le choix qu'ils en font: ce sont ceux-là que le Jesuite Larrige appelle, les Jesuites au grand Collier.
Mais ce n'est pas tout que cela: pour s'assûrer de ceux qui ont part aux affaires les plus importantes, & qui demandent le plus de secret, ils ont pris une voye, que peu de personnes sçavent, que j'ay aprise d'un Conseiller au Parlement de Paris, lequel étoit luy même un Jefuite in voto, & qui fait voir le plus fin de leur Politique; C'est que ces Jesuites au grand Collier, qui sont du Cabinet & du Sanctuaire, sont lės épions les uns des autres sans le sçavoir; par exemple le P. Maimbourg avoit pour ses épions le Pere la Chaise, & le P: Bourdalou sans qu'il le sçût, & ces deux Peres en ont deux autres chacun qu'ils ignorent avoir l'ordre d'épier leurs demarches, & de bien prendre garde à ce qu'ils disent dans le tête à tête, ou autrement.
De sorte que dans leur Societé il y a [Page 98]une espece d'Inquisition, semblable à celle qu'on exerce dans la République de Venise, & qui ne regarde que le gouvernement & la Sureté de l'Etat. Par ce moyen ces fins Politiques, à qui rien des Conseils les plus secrets ne peut étre caché, cachent si bien tous les mysteres de leur cabale, qu'il est moralement impossible qu'ils soient jamais découverts. Ils me font souvenir de l'anneau de Gygez si celebre dans l'Histoire. Cet homme avec son anneau en tournant la pierre en dedans de la main étoit invisible à tous ceux qu'il voyoit luy même, & à qui il parloit: cela sent un peu la magie; mais mon dessein n'est pas d'en accuser ces Peres, que je n'en aye des preuves en main.
Je ne sçay pourtant, si je n'en trouverai pas une dans le balet des Jesuites de l'an 1663, là où
Si l'on n'a point de liaison avec les [Page 101]Soreiers, pourquoy en representer les actions publiquement & sur le Theatre?
D'ailleurs j'ay trouvé dans le T. Live François, je veux dire dans l'Histoire du President de Thou, une avanture du fameux P. Coton, qui me semble avoir donné lieu à croire, que ce Jesuite n'étoit pas tout à fait éloigné, de vouloir communiquer avec le Diable.Jac. Aug. Thuanus Hist. Lib. 132. Le P. Coton, dit-il, entreprit d'exorciser le Diable, qui s'étoit saisi d'une fille appellée Adriêne du Fresne. La grande curiosité qu'il avoit pour toutes choses, luy fit prendre cette occasion de consulter le Demon, sur bien de sujets, dont il n'esperoit pas avoir la connoissance par une autre voye: ‘Flectere si nequat Superos, Acheronta Movebit:’
Pour cet effet il avoit emprunté d'un de ses amis un livre d'exorcisines, dans lequel il mit un memoire des questions, qu'il avoit dessein de faire au Diable. Ce memoire étoit en Latin écrit de sa propre main & devint public par cet accident: c'est que rendant le livre, il ne se souvint pas d'en retirer le memoire, de sorte que son ami ne connoissant pas son écriture, ne fit pas difficulté d'en [Page 102]faire part à ses amis, ainsi de main en main le memoire tomba entre celles du Marquis de Rosni, lequel en fit part au Roi. Or selon ce memoire le P. Coton demanda au Diable, ce que Dieu luy avoit revelé touchant les R. R: ce qui devoit luy arriver touchant son sejour à la Cour: le fruit de ses exhortations tant secretes que publiques: ce qui devoit luy arriver en chemin durant son voyage, ce qui regarde la Confession, son sejour avec les Peres, les voeux, la Messe, les cas de Conscience, la conversion des ames, la canonisation, la guerre contre l' Espagne & les Heretiques, la Mission vers la nouvelle France & les Antilles, les moyens de persuader efficacement, de s'abstenir de peché. Il y avoit aussi dans ce memoire des questions sçavantes & curieuses; sçavoir si Dieu étoit l' Auteur des langues, quel passage de l' Ecriture étoit le plus clair pour prouver le purgatoire & l'invocation des Saints, comment Noe avoit pû prendre toutes les Bêtes, qui entrerent dans l' Arche, quels étoient les Fils de Dieu, qui se marierent avec les filles des hommes, si le serpent avoit des pieds avant la cheute de l'homme. Combien les Diables avoient demeuré dans le Ciel, & nos premiers parens dans le Paradis terrestre, quels sont les sept Esprits quì sont devant le Trône, si c'est le Roi des Archanges, comment les Isles [Page 103]ont été peuplées d'hommes & de Bêtes, où étoit le Paradis terrestre, quel est le nombre des Anges dechûs, quelle étoit l'adoration qu'on rendoit anciennement à Dieu devant les Cherubins, quel peril menaçoit luy P. Coton, ce qu'il falloit esperer de la Conversion de Rosni, quels Seigneurs de la Cour il étoit plus aisé de convertir. Quel mal les Demons machinoient contre la Societé & contre luy même, qu'est ce qui étoit le plus utile pour la conversion des Heretiques, quand c'est que l' Heresie de Calvin devoit étre éteinte, ce qu'il y avoit à sçavoir touchant son livre Geneve Plagiaire, le voyage du General des Jesuites en Espagne, le moyen le plus aisé pour convertir le Roi, la Reine & le Royaume d' Angleterre, comment on pourroit surprendre le Turc & convertir tous les infidêles, ce qu'il y avoit à sçavoir touchant la conservation de Geneve, la Santé du Roy, la Reconciliation du Roi avec les Grands du Royaume, & les villes d'Otage données aux Huguenots, touchant Lesdiguieres & sa conversion.
Il y auroit bien de reflections à faire, sur ces questions faittes au Demon par un Jesuite, & par un Jesuite Confesseur de Henry le Grand. Il suffira pour l'heure de celles du President de Thou. Les uns, dit-il, rioient de toutes ces questions, les autres alloient jusques à les censurer & à les [Page 104]condamner. Car disoit on, si le P. Coton aime la verité, pourquoy pour l'aprendre, s'adresse-t-il au Pere du mensonge? on ajoutoit, qu'il n'y avoit que ceux qui pensent en mal de la santé du Roy, qui s'ingerent d'aprofoudir l'avenir à cet égard. La Vie du P. Coton. Le P. Joseph d'Orleans, qui vient de mettre au jour la Vie du P. Coton a bien veu, que cette avanture n'est avantageuse ni au P. Coton, ni à la Societé: voilà pourquoy pour sauver l'hôneur du particulier & du general, il prend le parti de dire qu'à la verité le President de Thou étoit un brave juge, estimé de tout le monde pour avoir été tres equitable, mais qu'il étoit un Historien passionné, & que n'aimant point la Compagnie, il n'est pas digne de creance dans les endroits où il parle d'eux. Surquoy je n'ay rien à dire sinon qu'accuser de Thou de partialité & de passion, c'est tout autant que d'accuser le Soleil d'obscurité, & que c'est la coutume des Jesuites de n'estimer aucun Historien, s'il ne remplit son Histoire de leurs louanges, & s'il n'aprouve pas leur conduite en toutes choses. C'est Dupleix, qui est un grand Historien sans passion, & d'une fidelité incontestable au jugement & au gout [Page 105]des Jesuites, par ce qu'étant leur esclave & leur Pensionnaire, il n'a rien écrit qui ne soit à l'avantage de la Societé. Mais il suffira d'opposer au Jugement des Jesuites touchant Dupleix, celuy qu'en a fait le Marechal de Bassompierre, ensuite de cela, dit-il, un autre Coquin, Journal de ma vie tom. 3. p. 342. faux Historiographe s'il en fût jamais nomme, Dupleix, qui a fait l' Histoire de nos Rois, pleine de faussetez & de sottises &c.
Mais la reflection, que j'ay à faire sur l'Histoire du President de Thou, par rapport à mon sujet, c'est qu'il paroit clairement que le P. Coton avoit un sentiment bien avantageux de l'esprit Malin, que de le croire capable de l'instruire de l'avenir, & de decider des poincts de controverse par l'Ecriture. A vôtre avis, Messieurs, si ce Jesuite eut été persuadé de la Doctrine touchant le Purgatoire & l'Invocation des Saints, eut il eu recours au Pere du mensonge, pour s'assûrer de la verité. Qu'avoit il fait, je vous prie de l'infaillibilité de l'Eglise, qui est aujourdhuy le grand retranchement & l'unique ressource des Controversistes & des Convertisseurs? Deplus il paroit par l'Histoire du Grand de Thou, que le P. Coton n'étoit pas aussi éloigné [Page 106]du commerce du Diable, que le doit étre un, qui se dit étre de la Compagnie de Jesus, & que faire de telles avances avec cet esprit de tenebres, c'est luy mêtre le marché en main, & luy dire nettement, voulez vous traitter avec moy.
Enfin je trouve, qu'il est défendu par les loix de s'enquerir du terme de la vie des Rois, & que cette curiosité est punie comme un crime capital. Qui de salute Principis vel summa Reip. Mathematicos, Paulus Lib. 5. Sent. 21. §. 9. Ariolos, Aruspices, Vaticinatores consulit, cum eo qui respondet capite punitur. Tertulien aprouve cette loi parce, dit-il, que celuy là a des pensées contre la vie du Prince, qui fait de telles enquêtes sur sa santé.Apologet. Cui autem opus est scrutarì super Caesaris salute, nisi à quo, adversus illam aliquid cogitatur? Il y avoit donc lieu à faire le proces au P. Coton, convaincu qu'il étoit par son propre écrit d'avoir consulté le Diable touchant le terme de la vie de Henry le Grand. Mais ce bon Pere avoit ensorcelé ce Grand Prince. Il ne pût luy échapper.
Je trouve, Messieurs, dans la Chambre des Meditations, quelque chose de plus fort que tout ce que vous venez d'ouir. Si vous me demandez ce que c'est que [Page 107]la Chambre des Meditations, quand on parle des Jesuites je vous dirai, que c'est là, où l'on void des portraits affreux, qui representent des Diablcs en des figures differentes, & toutes propres à faire dresser les cheveux. Par la veuë de ces horribles peintures, ils ebranlent les esprits & les ameinent à leur point. Le fameux Jean Chastel, dans son interrogatoire, répondit avoir été dans cette chambre infernale. Il y a de l'apparence, que le Diable se trouve-là plus volontiers que dans les enfers, & que se sentant obligé particulierement aux Jesuites, comme les seuls qui luy ont paré une chambre embellie de ses portraits, il n'est point de Compagnie au Monde, à qui il rende ses services avec tant de plaisir.
Enfin ce qui se passe dans la Chambre des Meditations, lors qu'ils y ameinent le malheureux instrument de leur parricide, fait la preuve entiere, ou peu s'en faut, & me convainc parfaitement, que les Jesuites sont de pacte avec le Diable. Quand ils ont introduit la victime de leur fureur dans cette chambre Infernale, ils tirent d'un côfre d'Yvoire couvert d'un Agnus Dei, & environné [Page 108]de caracteres, un couteau qu'ils arrosent d'eau benite, & sur lequel ils mettent certain nombre de grains benits, qui representent, qu'on tirera autant d'ames du Purgatoire, qu'on donnera de coups, & en le donnant au meurtier, ils luy disent: va mignon de Dieu, eleu comme Jephté, le Glaive de Samson, le Glaive de David, du quel il trencha la tête à Goliat, Glaive de Judith, du quel elle trencha la tête à Holopherne, le Glaive des Machabées, & le Glaive de S. Pierre, du quel il coupal Oreille à Malchus, le Glaive du Pape Jules II. avec lequel il arracha des mains des Princes Peruse, Imole, Favence, Fersly, Boulogne, & autres villes avec grande effusion de sang. Va, sois homme robuste, & le Seigneur assures tes pas. Puis toute la Compagnie se mettant à genoux, l'un d'entr'eux fait cette conjuration: Venez Cherubins, venez Serapbins, Trônes & Dominations: Venez Anges bienheureux pour remplir ce vaisseau de gloire eternelle, & luy apportez presentement la Couronne de la Vierge, des Patriarches & des Martyrs. Il n'est pas nôtre, il est vôtre. Et toy, Dieu, qui es redoutable, & qui luy as revelé en ses Meditations, qu'il faloit tuer un tyran & heretique pour donner sa Couronne à un Roi Catholique, [Page 109]etant disposé par nous à cette entreprise, redoubles ses Nerfs, renforces son courage, afin qu'il puisse executer ta volonté. Donnes luy un corselet caché, afin qu'il puisse échaper à la fureur des Sergens; donnes luy des ailes, afin que les lances de ces Barbares n'atteignent ses membres sacrez. Epans tes rayons sur son ame, afin qu'elle anime tell [...]ent son corps, qu'elle se jette à travers tout ce qui s'opposera à son entreprise, sans peur. Cette conjuration finie, ils le mênent devant l'Autel, & luy montrent un Tableau, où les Anges tiênent Jâques Clement Jacobin, Assassin de Henry III. & le presentent devant le Trône de Dieu, disans: Seigneur, voilà ton bras, voilà ta vengeance, & l'execution de ta Justice, & tous les Saints se levent pour luy faire place. Aprez que ces choses sont faites, il n'y a plus que quatre Jesuites, qui parlent à cet homme, & quand ils viênent vers luy, ils luy disent, qu'ils sont ravis en admiration de voir la splendeur, qui est autour de sa personne, ils luy baisent les mains & les pieds: ils ne le tiênent plus pour un homme, & luy portant envie de l'hôneur & de la gloire qu'il possede déja, ils luy disent en soupirant: à la miêne volonté, que Dieu m'eut eleu & choisi [Page 110]en vôtre place, je serois assûré de n'aller point en Purgatoire, mais tout droit en Paradis.
Apres cela, Messieurs, passerai-je pour calomniateur dans vos esprits, si je mets les R. R. Peres Jesuites du nombre des Sorciers? & faut il s'étonner s'ils sont si adroit & si fins dans les affaires du Monde?
C'est une Politique si adroite que la leur, qu'ils sçavent tirer la gloire de l'infamie. Jamais il n'en fut une plus grande que celle de leur bannissement hors de France par arrêt du Parlement de Paris, au sujet du Parricide commis par Jėan Chastel, instruit par le Jesuite Guoret. Cependant ils firent si bien, leur credit fut si puissant & leur adresse si grande qu'ils furent rappellez, & que depuis leur rappel un de leur Societé a eu toûjours la gloire d'étre Confesseur du Roi. Le P. Coton a été le premier, avant luy aucun Jesuite ne l'avoit été. Mais ils n'ont garde de dire, qu'ils ne furent rappellez qu'à condition, qu'il y auroit à la Cour un Jesuite pour Ostage de leur fidelité, de sorte que si c'est une gloire pour leur Compagnie, qu'un de leurs Peres soit Confesseur du Roi trés-Chrêtien, l'Origine en est honteuse [Page 111]& infame, puisque leur P. Coton n'aprocha de la personne sacrée de Henry le Grand, que pour étre un garand, & un ostage public des deportemens de toute la Societé. Il est clair comme le Jour, qu'il n'y auroit aucun Jesuite à la Cour de France, si leur fidelité n'eut été suspecte, & que la precaution inusitée en leur endroit marque avec des Caracteres d'infamie, le Jugement des avantageux que le Conseil en a fait. Mais comment pûrent ils se rélever de cette chûte? le moyen dont ils se servirent est par faittement digne d'eux. Ils connoissoient parfaittement le foible de Henry le Grand. Ils eureut recours au Ministere de ses plaisirs, car ce fut la Varenne, fameux par ce honteux Ministere, qui obtint de sa Majesté leur rappel, que tout le Monde jugeoit avec raison hors de toute apparence; par une voye semblable ils obtinrent, que la Pyramide, sur une des faces de laquelle étoit gravé l'arrêt de la condamnation de Chastel, & de leur bannissement, & sur les trois autres des inscriptions en profe & en vers fort injurieuses, fut abbatue. Pour oster cette fletrisseure de dessus le front de la Societé, il fallut abâtre [Page 112]le monument, qui faisoit detester le Parricide. Ils eussent bien desiré, que cela se fut fait par un arrêt du Parlement; mais quand ils eurent reconnu,Mezeray. que les sentimens de cette auguste Compagnie leur étoient contraires, ils passerent outre sans luy en parler davantage, non pourtant sans donner sujet à tout le monde, d'en parler fort diversement. Cela fut donc fait par toute autre voye que celle de la Justice, il fallut que les Ministres de la volupté s'en mêlassent. On mit à la place de cette Pyramide le refervoir d'une fontaine, dont toutes les eaux, dit Mezerai, ne sçauroient jamais effacer la memoire d'un crime si horrible.
S'ils sçavent retirer de grands avantages des plus grands pilleurs des Ministres infames de la volupté, & des Marchands abominables de la pudicité du Sexe, ils ne sçavent pas moins tirer parti du vice même, & du vice le plus insupportable & le plus odieux, je veux dire l'Impudence: quand je considerè la nature de ce vice, il ne me paroit pas humain: s'il étoit humain, il se fut manifesté en nôtre premier Pere aprez sa chûte; mais vous n'y en voyez pas la moindre [Page 113]trace; au contraire il couvre sa nudité, & s'il n'avouë pas nettement son crime, il ne le nie pas aussi tout à fait: il confesse avoir mangé du fruit défendu quoy qu'il ajoûte que ce fut à la sollicitation de sa femme, & sa femme le confesse de même, quoy qu'elle ajoûte, que ce fut à la suggestion du Serpent: ce vice donc n'étant pas humain ne peut étre que diabolique, & le Diable ne l'a fourré dans le coeur de l'homme, que dans cette lie des siecles. Il a choisi la Compagnie de Jesus, pour l'y faire paroitre avec toute son horreur. C'est en un mot le Caractere indelebile des Jesuites, & ils s'en servent toûjours utilement, parce que n'étant pas humain de nier effrontement des faits de notorieté publique, ceux qui les entendent nier, jugeans des autres par eux mêmes, comme cela est fort naturel, ils se laissent persuader, ils se laissent vaincre & desarmer à l'Impudence: c'est de quoy les Annales de France, nous fournissent un grand nombre d'exemples. Je n'en produirai que quelques un d'entre plusieurs millions.
Le premier est leur conduite; aprez que le P. Guerret, & le P. Guignard [Page 114]eurent été executez en Greve, le premier convaincu d'avoir instruit Jean Chastel, qu'il fairoit une belle action s'il tuoit le Roi, le second pour s'étre trouvé de ses escrits, où il soutenoit, qu'il étoit permis de tuer un Roi tyran & heretique. Apres que ces deux Jesuites eurent été condamnez à la mort par Arrêt du Parlement,Apologie pour Jean Chastel. les Jesuites furent si Impudens, que de louer publiquement ces deux scelerats comme des Martyrs, aussi bien que de mettre Jean Chastel au nombre des Heros, & de comparer son parricide aux plus heroiques exploits.
Le 2. exemple d'impudence est celuy du Pere d'Aubigny, qui avoit confessé Ravaillac, & à qui ce malheureux avoit découvert son execrable dessein: car ce Pere condamné à la question par Arrêt du Parlement, eut l'impudence de répondre, que lors qu'il entra dans l'exercice de la Confession, il avoit demandé à Dieu qu'il luy fit la grace, d'oublier ce qui luy seroit revele par les penitens, que Dieu l'avoit exaucé, & qu'il ne se souvenoit pas que Ravaillac luy eut declare d'avoir resolu d'attenter sur la personne sacrée du Roi. Mais comme le disoit alors tout le Monde, si on eut donné à la corde un autre tour de rouë, il [Page 115]est apparent que la memoire luy fut revenuë.
Le 3. exemple d'Impudence de ces Peres, c'est leur conduite apres la mort de ce grand Roi. Car bien que tout Paris fut plein, que l'assassin infernal n'avoit été que leur instrument; ils eurent l'effronterïe & l'Impudence, d'aller en bon nombre la tête levée dans le Louvre, demander le coeur de ce bon Prince, qu'ils venoient de faire meurtrir, comms s'ils eussent été aussi innocens, que l'enfant qui vient de naitre: oh! les Scelerats! ils avoient bien droit sur ce coeur, puis qu'ils l'avoient percé, comme le chasseur en a sur le lievre, qu'il a blessé, quelque jour qu'il le trouve mort.
Le 4. exemple est l'Impudence du P. Coton, lequel dans sa lettre declaratoire adressée à la Reine Mere 1610. cite effrontement pour Auteurs Orthodoxes de leur Societé, touchant l'obeissance deuë aux Rois, les Cardinaux de Tolede & Bellarmin; Gregoire de Valence, Alphonce Salmeron, Martin Delrio, Seb. Heissius, Mart. Becanus, Jaq. Gretserus, Leonardus Leissius, Nicolas Serrier, Jean Azor, & Louis Richeome, tous lesquels au contraire [Page 116]ont été les trompettes de la Doctrine assassine, & dont les livres, au moins de quelques uns, avoient été censurez par la Sorbonne, condamnez par Arrêt du Parlement, & brulez par la main du Bourreau.
Le 5. exemple est l'Impudence, qui paroit dans le livre intitulé, Apologie pour les P. Jesuites imprimée à Paris chez Cramousy 1625. Il est faux, disent ils, & il y a de l'Impudence à declamer comme fait l'Ʋniversité, que les Jesuites instruisent les peuples, que le Pape peut degrader les Rois & transferer les Couronnes. Et il n'y a rien de si constant qu'en ce tems-là aussi bien qu'aujourdhuy, ils aprenoient cela même à leurs Ecoliers, par l'Epitome de l'Histoire de leur P. Turselin, où il est ainsi écrit en autant d'endroits, qu'il l'a pû écrire, principalement contre les Rois de France, entre autres contre Philippe le Bel: Le Pape Boniface, dit-il, frappe d'Anatheme Philippe le Bel, indigné contre ce Roi, & le dépouilla du droit de regner, par ce qu'il avoit appelle au Concile, comme si le S. Siegé eut été vacant.
Le 6. exemple de leur Impudence se void, dans un Ecrit intitulé, Refutation des Calomnies nouvellement publiées par les [Page 117]Auteurs d'un Factum sous le nom de Mrs. les Curez de Paris. l'Impudence consiste en ce qu'ils ne considerent pas cette piece comme venant des Curez de Paris, car ils les croyent trop sages & trop Catholiques, pour leur imputer une aussr mechante piece que celle-là. Cependant ils ne pouvoient pas pretendre la moindre cause d'ignorance, quē les dits Curez n'en fussent les Auteurs: car il étoit de notorieté publique, que ce Factum avoit eté fait, examiné, & corrigé par huit Curez Deputez à cette fin, qu'il avoit été approuvé dans leur assemblée generale, qu'il avoit été imprimé en leur nom, qu'il avoit été presenté par eux mėmes juridiquement à Mrs. les Vicaires Generaux, qu'il avoit été distribué par eux mêmes dans les Parroisses, & avoué dans toutes les manieres possibles, comme il paroit par les Registres de leur assemblée du 7 Janvier, 4 Février, & 1 Avril 1658. & toutesfois il pleut aux Jesuites de publier, que les Curez de Paris n'y avoient aucune part: & sur cette supposition impudente ils traittent les Auteurs du Factum avec les termes les plus injurieux, dont la verité puisse étre outragée, & leur [Page 118]donnent en même tems les louanges les plus douces, dont la simplicité peusse étre surprise.
Autre exemple d'Impudence dans ce même écrit. Les Prelats de l'assemblée generale de l'année 1656. & 57. avoient adressé une lettre circulaire à tous les Evêques de France, pour preserver leurs Dioceses de la Morale relachée des Jesuites. Comment traitterent ils cette lettre? Ils dirent que c'étoit une piece subreptice, sans aveu, sans ordre, & sans autorité. Cependant ils ne pouvoient ignorer qu'elle n'eut été veritablement publiée, par l'ordre de l'assemblée generale du Clergé, composée par eux mêmes, aprouvée par eux, imprimée par leur commandement chez Vitreé leur imprimeur, avec les instructions de S. Charles & l'extrait du proces verbal du premier de Février 1657. où ces Prelats condamnent les relachemens des Casuistes, & se plaignent fortement, qu'ils avoient avancé des Maximes contraires à celles de l'Evangile, & qui vont à la destruction de la Morale Chretiêne.
Enfin pour ne pas vous fatiguer de l'ouie de tant de preuves de l'Impudence des Jesuites, je finirai cet article par le dernier [Page 119]exemple, qu'ils en ont donné à la face de tout Israël & de toute l'Europe: ils ont eu le front si dur, que d'oser publier par la plume de leur Maimbourg, par celle de Varilas leur Pensionnaire parlant au Roi même, & par Mr. l'Evêque de Meaux, leur creature parlant à son troupeau, que le Roi étoit si heureux & si glorieux, que d'avoir converti tous les Huguenots de'son Royaume, sans avoir employé aucune violence, & sans avoir usé d'aucune contrainte. Outre les Ministres bannis, outre ceux qui sont dans les prisons, ou dans les Galeres, ou ceux qu'on à transportez dans l'Amerique, il y a plus de soixante mille refugiez, qui donnent un dementi authentique capable de faire rougir tous ces écrivains faussaires & effrontez. Mais quand l'Impudence est parvenuë jusqu'aux dernieres extremitez, on n'est plus capable de rougir: cependant c'est un trait des plus fins de la Polititique de ces Peres, car de tous ceux, qui lisent les livres, où ils nient les faits les plus notoires & les plus constans, il y en a plus de la moitié qui les en croyent de bonne foy, & pour l'avenir, ils y pourvoiront si bien, que les [Page 120]livres qui portent témoignage pour la verité contr'eux, seront abolis, & les leurs subsisteront.
Vous avez oui, Messieurs, des preuves de l'Impudence des Jesuites, à nier les faits les plus Constans & les plus notoires, je vai donner une preuve invincible de leur impudence à renverser le droit le plus clair & le plus sacré comme le plus naturel. Je veux parler du relachement de leurs Casuistes, & des Maximes abominables de leur Morale. Apres que tous les Curez de France se furent soûlevez contre ces Maximes, qui renversent la Morale Chretiêne, & qui tendent à éteindre la charité & la pieté, & à entretenir les pecheurs dans l'impenitence, apres que l'assemblée generale du Clergé de l'année 1656. & 57. l'eut condamnée par une lettre circulaire à tous les Prelats du Royaume, afin que chacun preservât son Diocese de cette peste des consciences, comme nous l'avons touché dans nôtre premier discours, que firent ils au lieu ou de nier, que ces Maximes eussent été avancées par leurs Auteurs, ou de déclarer à tout le moins, qu'ils ne les aprouvoient nullement, ils font publier une Apologie [Page 121]de tous leurs Casuistes les plus outrez, laquelle seule contient autant que tous les livres des Casuistes ensemble, & qui renouvelle toutes les Maximes condamnées, avec un scandale & une Impudence, à la quelle il ne se peut rien âjouter: car ce n'est pas avec deguisement qu'ils agissent dans ce livre: Ils y parlent rondement & sans equivoque: on y void en cent endroits ces paroles temeraires: Il est vray, que les Casuistes tiênent ces Maximes, mais il est vray aussi qu'ils ont raison de les tenir. Ils y soutiênent que les blasphemes, les parjures, la fornication, l'adultere, & enfin tous les crimes contre les dix commandemens de la loi de Dieu, ne sont plus pechez, si on les commet par ignorance, ou par emportement, ou par passion. Quelle sorte de gens, & quelle espece d'hommes sont ceux de cette Compagnie? A quoy ont ils pensé, quand ils ont mis au jour une Morale, qui a fait mettre aux champs contre eux tous les Curez, & tous les Prelats de France, aussi bien que les Jansenistes? n'ont ils pas craint d'effaroucher tous les Chrêtiens par leurs abominables Maximes, & de s'attirer la haine publique comme des perturbateurs du repos public, des ennemis de Dieu & [Page 122]du genre humain, en soutenant qu'en dirigeant l'intention, on peut commettre les crimes les plus enormes: que par exemple, une fille, qui se trouve enceinte, peut se deffaire de son fruit, pourveu que son intention ne soit pas de commettre un meurtre, mais seulement de mettre à couvert son honneur. Qu'un sujet peut assassiner son Roi, lorsque deux Auteurs graves ont jugé, qu'il est ou tyran ou Heretique, & que de même un homme ne commet ni fornication ni adultere, lors que la partie y donne son consentement, par ce que c'est le sentiment des Casuistes. Ils connoissent trop bien le penchant du coeur de l'homme, & la force de la corruption originelle, pour avoir craint les facheuses suites de leur Morale. Et c'est encore icy un des plus fins traits de leur Politique. Ils ne pouvoient arriver à leur grand but, qui est la Monarchie Universelle, sans captiver les Esprits & sans se rendre Maitres des consciences. Ils n'ignoroient pas, qu'il est plus aisé d'accommoder la loi de Dieu à la corruption des hommes, que de flêchir lc coeur des hommes à obeir à la loi de Dieu. Ils sçavoient, que le nombre des mêchans excede de beaucoup celuy des bons, qu'il est plus aisé de mettre les [Page 123]gens dans le chemin du vice, par ce qu'il est aisé & agreable, que dans celuy de la vertu, qui est difficile & contraire aux inclinations de la nature corrompuë. Ils ont donc mis au jour une Morale, qui toute detestable qu'elle est, devoit étre suivie de la plus part, & l'a été en effet malgré les oppositions vigoureuses qu'on y a faittes. Et qui ne sçait pas, que les Jesuites ont triomphé de tous les opposans, que le parti des Jansenistes ne paroit plus, que les lettres Provinciales ont été décriées comme l'ouvrage d'un Heretique, & un fruit de Charenton: qu'en un mot tous ces corps, qui avoient osé attaquer la Morale des Jesuites, ont été battus & rompus, & que tout a plié sous leur puissance, le haut comme le menu Clergé?
Si leur entreprise au sujet de leur Morale a été hardie & temeraire, & si elle a passé avec tant de succez contre toutes les apparences, il faut avouër qu'ils s'y sont pris pour la faire reussir, comme elle a fait, d'une maniere digne des Politiques les plus adroits & les plus fins.
Premierement ils se sont erigez en Docteurs infaillibles, jusqu'à declarer [Page 124]que le Pape n'est infaillible que par eux: c'est ce que j'ay remarqué dans mon premier discours. Et qui peut douter de la bonté d'une Maxime, lors qu'on est persuadé, qu'elle emane d'une Compagnie où reside l'infaillibilité?
En 2 lieu, ils n'ont avancé toutes leurs Maximes damnables, que comme leur ayant été dictées, ou inspirées par la Sainte Vierge. Le Jesuite Mascarenhas mit au jour l'année 1656. un livre, où elles sont étalées avec un air Magistral, il dedie son ouvrage à la Vierge, declare qu'il enseigne ce qu'il a apris d'elle, & que c'est elle aussi, qui luy a inspiré de la composer. Et qui pourra soub çonner, qu'il y ait la moindre impureté dans ces Maximes, quand on est prevenu qu'elles sont venuës du Ciel, & que la Sainte Vierge les a inspirées?
En 3 lieu, pour prevenir le tort qu'il étoit à craindre, que fairoit à leurs Maximes le soulevement de tous les Curez, & de tous les Prelats de France, ils se sont plaints hautement dans leur Apologie, qu'il n'y avoit que des Heretiques, qui s'y étoient opposés. Les Curez de Rouen releverent cette injure, & s'en plaignirent à leur Archevêque, qui l'est aujourdhuy [Page 125]de Paris, dans une lettre du 3 May 1658. Mais cette plainte ne produisit aucun effet, de sorte que Monseigneur l'Archevêque, & Mrs. les Curez de Rouen sont censez étre Heretiques par eux, & par consequent par tous ceux, qui leur adherent, puisque nulle Justice ne fut faitte de cette injure.
En 4 lieu, ils se sont plaints, qu'ils étoient persecutez, & même qu'ils étoient persecutez pour le nom de Jesus. Ils se sont apliquez sur ce sujet ces paroles du Sauveur; vous serez haïs de tous à cause de mon nom: bienheureux sont ceux, qui sont persecutez par Justice; car le Royaume des cieux est à eux. Vous serez bienheureux, quand on vous aura injuriez & persecutez, & quand à cause de moy, on aura dit contre vous en mentant quelque mauvaise parole que ce soit. Or où est le Chrêtien qui n'aura pas de la veneration pour des Docteurs, qui soufrent pour le nom de Jesus? Et qui ne recevra pas comme Apostolique, & venante du Ciel, une Doctrine dont les Auteurs font autant de Confesseurs de Christ?
Mais de tous les Moyens que les Jesuites ont mis en usage, pour parvenir à la Monarchie Universelle, la Confession [Page 126]est sans contredit un de ceux, qui leur a servi plus utilement; c'est par ce moyen qu'ils ont sçeu le secret des familles, & qu'ils ont decouvert le secret des Etats: c'est par ce moyen qu'ils se sont rendus Maitres de la Conscience des peuples, & de la Conscience des Rois. Que diriez vous, Messieurs, qu'ont fait ces bons Peres, pour attirer le monde à leurs Confessionneaux? Ils les ont rendus accessibles, doux, attrayans, delicieux; de sorte que les pêcheurs y vont comme à un festin.
Premierement ils ont posé ce Principe, qu'il falloit sauver tout le Monde, & faire que le nombre des predestinez à la gloire, l'emportât de beaucoup sur celuy des damnez: en vertu de quoy ils ont fait le chemin, qui conduit à la vie Eternelle, large & spacieux: Ils ont fait la porte du Paradis large, & celle des Enfers etroite. Car bien que J. Christ ait dit le contraire formellement, ils sçavent à qui ils en content. Ce sont des gens, qui n'ont jamais leu l'Ecriture Sainte: ce sont des aveugles, qui sont ravis d'avoir des conductours indulgens & misericordieux, grands Predicateurs de la grace salutaire à tous les hommes.
En 2 lieu, ils ont posé cet autre Principe, qu'il falloit faire bon marché de l'absolution, & ne la pas refuser au penitent,Apolog. pag. 162. quand même le Confesseur ne sera pas persuadé, que le penitent execute la resolution de ne retourner pas à son peché, & quand même il jugera que le pecheur y retombera. Car, disent ils, où trouvera-t-on des penitens, de qui le Prêtre se puisse assurer, qu'ils ne retomberont point, & si les Confesseurs attendoient cette certitude, & jugeoient de l'avenir par les fautes passées, dont les penitens se Confessent, il ne faudroit plus de Confession. Le Prêtre donc, concluent ils, doit absoudre le penitent, quoy qu'il suppose qu'il retournera à son peché. Apres cela faut il trouver étrange, que les Confessionneaux des Jesuites soient preferez à tous ceux de tous les autres Confesseurs? avec quelle confiance n'y va-t-on pas, & avec quelle consolation n'en revient on pas, quelle que soit la disposition où l'on est, d'en emporter des lettres de grace, ratifiées par cette declaration du Souverain Juge du Monde, à quiconque vous pardonnerez les pechez, ils seront pardonnez?
En 3 lieu, ils ont posé cet autre fondement, [Page 128]qu'il falloit se charger des pechez du penitent, dans quelque abandon qu'il eut vescu. Voyez, Messieurs, la hardiesse & la temerité de ces charitables Confesseurs, de se charger d'un fardeau, qui a fait tomber les Anges du Ciel dans l'abyme, & qui même a fait suer le fils Eternel de Dieu une sueur de sang. Il y avoit, disent-ils, une homme de condition, qui apres avoir passé sa vie dans lè libertinage, tant à la Cour qu'à l'Armée,Morale Pract. 1 Vol.étoit malade à l'extremité, & ne vouloit en aucune façon du monde, entendre parler d'aller à Confesse, par ce qu'il y avoit tant d'années qu'il n'y avoit été, que c'étoit du plus loin qu'il se pût souvenir. Ceux qui étoient aupres de luy, firent tous leurs efforts pour l'y faire resoudre, mais ce fut en vain; car la honte qu'il avoit de ses crimes le surmentoit toûjours, & l'empechoit de les avouër. Cependant il vouloit bien recevoir les autres Sacremens; c'est pourquoy on luy choisit un Prêtre qui fut un Jesuite. Aussi-tôt que le Malade l'apperceut, il s'écria qu'il n'avoit que faire d'aprocher, parce qu'il ne vouloit point se confesser. Le Jesuite luy dit de n'avoir point de peur, qu'il luy promettoit de ne luy point parler de Confession, mais il luy demanda s'il agreoit de faire un échange avec luy, en acceptant ses bonnes oeuvres, & luy donnant ses pechez: [Page 129]Le Malade s'y accorda volontiers. Le Jesuite l'assûra donc, qu'il prenoit sur luy tous ses pechez, & les regarderoit desormais comme siens, & qu'en même tems il luy cedoit le merite de toutes les bonnes oeuvres qu'il avoit pratiquées. Sur cela il luy donna l'absolution & se retira. Mais comme il étoit à la porte, il revint pour dire au Malade, qu'il n'avoit point pensé, qu'il ne sçavoit point quels étoient les pechez, dont il s'étoit chargé, & que cela seroit cause qu'il ne pourroit s'en confesser comme étant à luy, parce qu'il les ignoroit, & que cependant il auroit bien voulu s'en accuser, n'ayant pas envie de se damner. Le Malade ne fit aucune difficulté de luy raconter tous ses crimes sans en avoir honte, par ce qu'il ne les creyoit plus à luy, Le Jesuite luy apporta ensuite le S. Viatique, & il mourut un peu apres, & apparut la nuit au Jesuite pour le remercier du don, qu'il luy avoit fait de ses merites, en consideration desquels Dieu l'avoit mis dans la gloire, quoy qu'il eut merité l'Enfer. Je vous laisse à penser, Messieurs, les avantages infinis qu'apporte à la Compagnie de Jesus, la conduite adroite de leurs Confesseurs, lors qu'ils dirigent la Conscience d'un Prince, qui n'a pas beaucoup de lumieres, mais qui n'est pas tout à fait impie, qui dés son enfance [Page 130]aété elevé par des Jesuites, qui a passé toute sa vie dans la debauche, qui a abusé de sa puissance & de la foiblesse de ses sujets, qui a fait de son Palais un Serrail, & qui apres l'avoir souillé d'adulteres crians, est contraint, pour assouvir des louves insatiables, qui le possedent, d'accabler & d'abymer ses autres sujets. Je vous laisse à penser les mouvemens de reconnoissance que doit avoir un Prince, qui est dans cet état, & qui croit que son Confesseur a le droit, aussi bien que la charité de se charger de tous ses crimes? car où est le penitent, qui se sent redevable à son Confesseur du repos de son ame, & de son salut Eternel, qui puisse luy refuser aucune chose, qui luy viêne en l'esprit de luy demander? Cette Compagnie de Jesus ne pouvoit donc pas manquer de s'enrichir, & de monter à cette haute puissance, où vous la voyez maintenant; puis qu'elle a si bien fait, qu'elle s'est insinuée dans toutes les maisons des Grands, dans toutes les Cours des Princes, & qu'elle s'est saisie de la Conscience des Rois & des Empereurs, par le secours charitable qu'elle leur offre de se charger de tous leurs crimes. Car [Page 131]comme raporte l'Histoire, que vous venez d'ouir, quand une fois le penitent a fait l'échange de ses pechez, avec les oeuvres meritoires du Confesseur, ses pechez ne sont plus à luy, mais à son Confesseur: c'est à son Confesseur à s'en défaire comme il poura: mais pour luy, il est aussi net apres cet échange, que le fut le Roi David apres que Dieu eut exaucé la priere, où il luy disoit: laves moy avec Hyssope, & je serai plus blanc que la neige. Il peut donc se divertir à nouveaux frais, reprendre son train ordinaire, & se replonger dans ses debauches impunement.
Ces Principes & ces Maximes sont infiniment propres comme vous voyez, à attirer le Monde de méchans à leurs Eglises; afin pourtant de mieux faire venir l'eau à leur Moulin, comme l'on dit, & pour attirer les Riches à leurs Confessionneaux au prejudice des autres Ordres: je dis pour attirer les Riches seulement, car il est constant qu'ils ne se soucient point des pauvres, lesquels ils n'admettent point du tout à leurs Confessionneaux, ils empechent les Riches de tout leur pouvoir, de frequenter ou de visiter les Eglises des autres [Page 132]Religieux aux Fêtes qu'ils solemnisent. Pour cet effet ils disent des autres Ordres, tout ce qui en est, & ce qui n'en est pas; que les uns sont des ventres paresseux, les autres des voluptueux, les autres des ignorans, les autres des indiscrets & scandaleux. Ils leur representent, que toutes les indulgences des autres Ordres sont infuses, & comprises dans la regle de leur Societé, sur tout ils leur representent combien leur Ordre est consideré par tout le Monde, combien grand est leur pouvoir par tout, & l'amplitude de leurs Privileges, en ce qu'ils peuvent absoudre des cas reservez, ce que les autres Moines n'ont pas le droit de faire, comme de dispenser de jeuner, de rendre ce qui est deu, de dissoudre les empeschemens du Mariage, & de rompre les liens de toutes sortes de voeux.
Puis que nous sommes dans les Confessionneaux des Jesuites, je pourrois avant que d'en sortir vous faire voir, que les saletez, qui s'y répandent, ne sont pas l'Article le moins important de leur Politique: car les e [...]tretiens impurs, qu'ils y ont avec le sexe, prenant ces ames lubriques par lour foible, ils s'en rendent [Page 133]si bien les maitres, qu'il n'y a point de secret de famille, qu'ils ne découvrent par ce moyen, ni de mesures, qu'ils ne prênent en toute sûreté dans leurs plus grandes entreprises, se pouvant glorifier, qu'ils tiênent dans leur manche tous les maris, dont les femmes leur ont mis leurs Consciences entre les mains, & qu'ils ont de même en leur puissance tous les Galants, dont les jûnes Maitresses leur ont donné leurs ames à garder. Mais il sera plus à propos de remuer les ordures, dans mon dernier discours, où je ferai le proces à cette venerable Compagnie, & la convaincrai par des preuves invincibles, qu'elle ne doit plus subsister dans le Monde, & que tout le genre humain a interêt, qu'elle soit entierement raclée de dessous les Cieux.
Il faut donc que je suive ces Peres artificieux battans l'estrade dans le Monde, & que je vous fasse remarquer comme quoy ils agissent avec les Protestans: car il ne faut pas vous imaginer, qu'ils y ait ville considerable, où il n'y ait quelque Jesuite travestis, ou en habit de negociant, ou en Equipage de Cavalier & de Gentilhomme, suivi d'un valet de [Page 134]chambre, & d'un laquay à livrée, ou sous quelque autre forme & figure, selon le Païs, où il va, & selon les affaires qu'il y doit negocier. Comme il n'y a point de plus grand obstacle à leur Monarchie Ʋniverselle, que celuy qui y apportent les Protestans, c'est aussi ce parti qu'ils ont fait la resolution de détruire. Ils ont reüssi en France, ils font leurs conte que c'est une affaire faite & parfaite dans ce Royaume. Ils voyent pourtant que le moyen, qu'ils ont mis en oeuvre pour achever la ruine des Huguenots, fait un insigne tort à leur Eglise & à leur Societé, & que les Protestans ne sont pas les seuls qui crient, que cette maniere de convertir les gens, n'est rien moins qu'Evangelique, qu'elle n'a pû faire que des Hypocrites, qu'elle n'a pû gagner que la bouche, & laisser le coeur dans un état fort éloigné de Dieu & de sa grace: qu'en un mot il n'y a rien, qui peut faire mieux soubçonner, que l'Eglise Romaine est la grande Babylon, qui s'enyvre du sang des Saints, & qu'elle est ammée de l'Esprit du Dragon, que d'employer une Mission Dragonne, pour s'assujettir les ames. Ce sont les Catholiques mêmes, qui ont [Page 135]crié par tout où ils ont veu la violence de la Mission Jesuitique, les maisons saccagées & ravagées, les personnes tourmentees en toutes les manieres, & celles qui ont eu de la fermeté, ou reduites à sortir du Royaume, ou à se cacher dans les cavernes ou dans les bois, ou à se voir mêtre dans les prisons les plus obscures, ou dans les cachots les plus puans, ou à étre transportez dans l'Amerique. Toute la terre en un mot a crié, que les Auteurs de convertir les gens de cette maniere ne tendoit à rien moins qu'à la gloire du nom de Dieu, & qu'à l'avancement du regne de J. Christ, mais qu'elle devoit aboutir à avancer & à achever le grand projet de la Monarchie Ʋniverselle des Jesuites. Il leur importe donc infiniment pour cacher leur jeu, de détruire les mauvaises impressions, que les Refugiez peuvent avoir données de leur conduite, au sujet de la ruine des Huguenots.
Pour cet effet ils ont envoyé des Jesuites par tout, où il y a des Huguenots Refugiez. Là que font ils? ils nient impudemment, qu'on ait usé d'aucune violence, qu'ils étoient eux mêmes en France en 1685. qu'ils se sont trouvez [Page 136]dans une telle ville, où du soir au matin tous les Huguenots furent Catholiques, & qu'il ne fut pas fait le moindre bruit, ni le moindre excez pour ce changement: qu'il ne faut pas croire ce qu'en ont dit les gazettes, lesquelles se chargent de tout, par ce que cela ne coute rien à l'Auteur, qui les compose, & qu'au contraire il est payé pour cela: qu'il faut moins encore s'en rapporter aux Réfugiez, dont la plus part sont sortis de France, pour tout autre motif que celuy de Religion, que les uns en sont sortis par legereté & par la curiosité de voir le Monde, comme tous les jeunes gens, les autres par fripponnerie, ou pour échaper à la Justice ou à la main de leurs creanciers. Et comme c'est la verité, que parmi les Réfugiez il y en a grand nombre, qui sont dans quclcun de ces cas, & à qui la Religion ne sert que de manteau, ces Jesuites deguisez ne manquent pas de se prevaloir de ces exemples, & de s'en servir tres utilement, un seul bien averé étant capable de produire l'effet, qu'ils se sont proposez dans chaque ville, où ils font leur sejour.
Que si en prenant le parti dernier detroussément [Page 137]le fait, ils voyent qu'ils ne reussissent point, ils prênent celuy de dire, qu'à la verité le Roi envoya des troupes commandées par le Marquis de Bouflers, mais que ce que les troupes ont fait, n'est pas la centiême partie de ce qu'on a dit: qu'il ne faut que connoitre Mr. de Bouflers, pour juger du contraire: qu'il n'y a point de Cavalier au Monde, ni plus honête, ni plus civil, ni plus humain, ni en un mot plus éloigné de l'éprit persecutant, que ce Gentilhomme-là. Ou bien ils disent, que les Huguenots s'étoient attirez cet orage, par leur conduite étourdie, que dans le Dauphiné ils avoient fait des mouvemens, qui marquoient indubitablement, ce qu'ils avoient dessein de faire; outre que quelques Ministres, qui les avoient abandonnez depuis peu d'années, avoient découvert à la Cour leur secretes intelligences avec les étrangers. Ou bien ils disent, que les troupes ne marcherent que pour empecher, que l'exemple du Dauphiné, ne fut suivi dans les autres Provinces, & que la peur que les Huguenots eurent à leur aproche jointe aux remords de leur Conscience, les fit changer par tout presque [Page 138]en un seul jour; Ou qu'cnfin, si les troupes on fait quelques excez dans quelque lieu, ce n'est pas ce qu'on doit imputer ni au Roi tres-Chrêtien, moins encore à son Conseil de Conscience, puis que tout le Monde sçait fort bien, qu'on ne peut pas tenir les gens de guerre dans une telle discipline, qu'ils ne fassent toûjours quelque chose, qui excede le commandement du General, & les Ordres de la Cour.
Si ces Jesuites travestis découvrent quelques livres, où la manicre dont on a fait les conversions de France, est racontée, comme sont les plaintes des Protestans de France, l'Accomplissement des Propheties, les Eclaircissemens sur l'Apocalypse, les lettres Pastorales, la défense de la retraitte des Ministres, & tels autres ouvrages, ils enlevent autant d'exemplaires qu'ils en peuvent trouver. Ils ne s'arrêtent pas aux Libraires qui les debitent, ils sondent les personnes de qualité chez qui ils ont de l'accez, pour sçavoir s'ils ont de ces livres, & s'ils ont sait quelque effet sur leur Esprit: lors que cela se trouve ainfi, ils tachent de les guerir des mauvaises impressions, que ces livres leur ont données: lors qu'ils rencontrent [Page 139]des Consciences tendres, ils leur representent, qu'ils ne peuvent ni lire, ni garder de semblables libelles, sans tomber dans un peché mortel, entant que la Sainte Merc l'Eglise s'y trouve grievement offensée & la verité outragée: Et s'ils se rencontrent avec des Esprits fermes & assurez, ils traittent ces livres de bagatelles, & d'impostures, & tachent de leur inspirer de la honte, & de leur donner du remords, de s'étre amusez à une telle Lecture.
De plus ces Jesuites travestis observent soigneusement les moeurs & le Naturel des Refugiez. Ils prênent garde si parmi eux, il n'y en a pas quelqu'un de plus dangereux que les autres, par son esprit, par son adresse, & par la force de ses discours. S'ils en trouvent quelcun de ce caractere, ils ont les yeux sur toutes ses demarches, ils luy donnent des épions, qui leur rapportent tout ce qu'il dit & tout ce qu'il fait, & eux envoyent tout à leurs Superieurs, lesquels sur ces avis travaillent aux moyens de les rendre suspects: pour cet effet les Superieurs s'informent de ce Refugié, de sa famille, de ses moeurs, de sa vie, ils envoyent ces memoires aux [Page 140]Jesuites travestis, lesquels batissent dessus l'Histoire de sa vie, telle qu'il leur plait, afin que rendant sa personne suspecte, on puisse aussi tenir leurs discours pour suspects. Et comme il n'est aucun de si grand merite, qui comme les plus parfaites beautez n'ait son défaut, ils recherchent avec soin le défaut d'un tel, par ce qu'ils auront lieu & la facilité de le faire passer pour un grand vice apres qu'ils l'auront découvert. Ce que je vous dis-là, Messieurs, est arrivé à la lettre dans plus d'un endroit, où l'on a veu des personnes, dont le merite reconnu fut d'abord recompensé, mais qui quelque tems apres un établissement honête, lcs uns ont commencé à décheoir, les autres sont tombez tout à fait: ce que je ne puis attribuer qu'à l'artifice des Jesuites. Et d'où peut étre venu le bruit, qui court aujourdhuy en France, que Mr. Jurieu a perdu le sens, sinon de ces Jesuites coureurs & épions, qui voyant Mr. Jurieu à la Haye, pour quelque incommodité, que la continuation de ses occupations ordinaires, pourroit entretenir ou augmenter, & sçachant d'ailleurs, que ce Ministre fait plus de bruit & de fracas par ses ouvrages, que n'en [Page 141]faisoit le Viconte de Turenne, avec une Armée de quarante mille hommes, luy ont fait cette malice pour diminuer la force de ses ouvrages, & en détruire le succez en décriant sa personne, que d'écrire en France, qu'il ne travailleroit plus, & qu'il avoit perdu le sens?
Vous sçavez, Messieurs, ce que les Jesuites travestis firent en Angleterre, sous le regne de Charles II. ils se fourrerent dans toutes les Sectes, ils embrasserent tous les partis. Comme S. Paul se faisoit Juif agissant avec les Juifs, gentil en traittant avec les Gentils, se faisant toutes choses afin de gagner tous à J. Christ, les Jesuites en userent de même; ils se firent Episcopaux, ils se firent Presbyteriens, ils se firent Quakers, ils furent du parti du Roi, ils furent Parlementaires, par ce moyen ils sceurent le fort & le foible de chaque Secte & de chaque parti, & brouillerent tellement les affaires, qu'ils y firent perir le Roi dans cette confusion, afin d'en mettre un autre à sa place, qui fut selon leur coeur, & qui suivit leur passion. Ils agissent autrement aujourdhuy, quoy qu'animez d'un même esprit sous Jacques II. ils tachent d'unir toutes les [Page 142]sectes par l'Abolition du Test: pour cet effet ils sont répandus dans toutes les Provinces, les uns agissent comme du parti des Episcopaux, les autres comme du parti des Presbyteriens: par tout ils ne font que prôner la liberté de Conscience, & improuver la conduite du Conseil du Roi trés-Chrêtien; mais tout cela dans la veuë d'obtenir de tous leur consentement à l'abolition du Test, ce qu'ayant une fois obtenu, on les verra agir d'une maniere bien differente, & prendre d'autres mesures pour parvenir à leur grand but, qui est de se rendre Maitres de la Grand Bretagne. Ces mesures seront premierement d'accabler, & de détruire entierement le parti Protestant, en 2 lieu d'abolir le Parlement pour rendre le Roi absolu, & en 3 lieu de se défaire de la famille Auguste de Stuart, s'ils n'en trouvent point qui se resolve, à se mettre de leur congregation, & à leur rendre une obeïssance aveugle.
Dans l'Allemagne, & dans tout le Nort, ils sont répandus dans toutes les villes, & dans toutes les Cours, pour y traverser tous les desseins des Protestans. Leur anciêne resolution, dont [Page 143]ils ne demordent point, est d'empêcher l'union des Calvinistes avec les Lutheriens: cette union a été entreprise diverse fois, mais les Jesuites l'ont autant de fois traversée. Ils ont mis tout en usage pour cela, ils n'ont ricn épargné, ils n'ont rien oublié. Ils sçavoient l'animosité des Lutheriens contre les Calvinistes, non seulement ils l'ont entretenuë, ils l'ont deplus augmentée. Pour cet effet ils ont contrefait les Lutheriens, & sous cet habit ils ont dit, que si Calvin n'eut jamais écrit sur le point de la predestination & de la providence, toute l'Europe seroit Protestante aujourdhuy; mais que les grandes erreurs des Calvinistes ont fait rejetter generalement tous les sentimens des Lutheriens, comme s'ils avoient été Heretiques. Ils ont dit en un mot, tout ce qu'ils ont jugé propre à entretenir le feu de la division. Et quand ils ont veu, que les mesures étoient prises, & que l'accord d'union étoit sur le point de se conclurre, ils ont corrompu avec leur argent non seulement des Princes, mais aussi les Theologiens; tous avides & insatiables qu'ils sont, ils sont liberaux & magnifiques sur cette affaire & ses semblables.
C'est par ce moyen qu'ils sçavent tout ce qu'il leur importe de sçavoir des affaires des Réfugiez. Ils connoissent que le caractere ineffaçable des François c'est d'étre credules & legers. Il est donc fort apparent qu'un Jesuite travestis feignant d'étre Calviniste ou Lutherien, venant à se familiariser avec quelques uns, apres leur avoir donné mille preuves de la compassion, qui les fait prendre part à leurs maux, & de l'horreur qu'il a pour la conduite de l'Eglise Romaine, qui avec son esprit persecutant détruit sa Religion Romaine, aussi bien que l'Etat où elle persecute, il s'insinue si bien dans l'esprit de ces Refugiez, qu'il entre bien avant dans leur confidance, & aprend d'eux tout ce qu'il faut que la Societé sçache, pour achever leur ruine.
Voilà comment les Jesuites travestis se conduisent, quand ils sont envoyez vers les Protestans pour sçavoir ce qu'ils font & ce qu'ils pensent. Si vous voulez sçavoir comme ils se conduisent envers les Catholiques mêmes, un livret intitulé le Cabinet Jesuitique, est assez propre pour contenter vôtre curiosité. J'yay veu une instruction secrête, qui fut [Page 145]trouvée parmi les Memoires du P. Recteur du College de Paderborne, aprés que le Duc de Brunsvic Evêque d'Halberstat se fut saisi de leur College. J'en ay retenu quelques articles, qui font voir qu'il n'y a rien dont leur Politique ne s'avise, & qu'elle ne mette en oeuvre pour venir a bout de leur grand projet de la Monarchie Universelle.
Comme les Princes n'aiment pas à étre repris, & que les flatteurs leur sont plus agreables que les censeurs, l'Instruction porte expressement, que lors que le Prince reconnoitra que ses actions sont odieuses, le Pere Directeur ne l'en reprendra point, mais qu'il les expliquera favorablement, & leur donnera le meilleur sens qu'il se pourra. l'Exemple des mariages est proposé. Comme les Princes se marient ordinairement parraison d'Etat, ils portent leur pensée sur des Princesses, qu'ils ne peuvent épouser, sans scandaliser leurs sujets, qui ont l'inceste en horreur. Il faudra, dit l'Instruction, aplanir toutes les difficultés, par des raisons, par des exemples, par l'authorité du S. Siege, où leur Societé peut tout, & par le droit des Souverains, à qui tout est permis pour la [Page 146]plus grande gloire de Dieu.
Il faudra gagner ceux, qui sont bien auprés du Prince, par des visites frequentes, par des soumissions, par des presens, afin de connoitre par eux l'humeur & les inclinations du Prince, & agir ensuite conformement à ses inclinations & à son humeur.
Pour regir la conscience des Grands, il saut suivre les sentimens de nos Casuistes, & ne pas les rebuter par une Doctrine severe, afin que trouvant leur conte avec nous, ils ne nous quittent pas pour d'autres, & qu'ils dépendent entierement de nous.
Il faut tacher que nous ayons part aux Legations & Ambassades, afin qu'il ne se conclue pas une affaire sans nôtre participation: & qu'ainsi nôtre Compagnie se rende necessaire, en faisant voir tant son habilité dans les affaires d'Etat, que le credit qu'elle a dans toutes les Cours.
Celuy qui dirigera les riches veuves, leur permettra tout ce qui se pourra, pour satisfaire à leur sensualité: les visiter souvent, les entretenir de contes divertissans, d'Histoires agreables, les maintenir dans la gayeté, & ne les traitter [Page 147]jamais rigoureusement en Confession.
Il faudra les porter d'aller souvent à confesse, afin que dans la consolation qu'elles recevront de nous, elles se confient entierement en nous, & nous remettent tous leurs biens.
Il faudra ou pour gagner, ou pour conserver leur bonne volonté envers nôtre Compagnie, leur donner le Privilege d'entrer dans nos Colleges aux actes solemnels, Tragedies & autres pieces, les empêcher de sortir durant la rigueur de l'hyver, les dispenser du jûne & du cilice, leur faire compenser cette dispense par des Aumosnes, afin qu'elles comprênent que nous n'avons pas moins de soin de leur santé que de leur salut.
Quand il s'agira de la disposition de leur revenu, il faudra leur representer l'état parfait des Saints, qui ont quitté Ieurs Parens & renoncé à tous les engagemens du sang, & de l'amitié pour assister les pauvres membres de J. Christ, & leur mettre devant les yeux les Couronnes qu'elles emporteront, si elles resignent & leurs personnes, & leurs biens entre les mains de nôtre Societé: que si [Page 148]la douceur & l'esperance n'ont pas assés de vertu pour les émouvoir, il faudra employer la crainte du Purgatoire & de l'Enfer, les traitter avec rigueur selon les loix d'une Discipline severe: c'est où le Confesseur usera de grande prudence, aprés qu'il aura donné avis du tout au Superieur.
Quand il paroitra qu'elles songent à se remarier, il faudra les detourner de ce dessein par toutes les raisons imaginables, leur faire esperer d'étre un jour canonisées, si elles vivent en viduité, & sur tout, si elles donnent leurs biens à nôtre Compagnie, les assurant sous le seau de la Confession, qu'aprés leur mort la Compagnie employera tout son credit aupres du S. Siege, pour leur obtenir un rang entre Sainte Agathe, & Sainte Therese, & les autres Saintes, qui sont dans le Paradis, pour avoir fait des oeuvres pies.
Que si la veuve a des filles, il faudra faire en sorte qu'elle les mette en Religion, les degoutant du monde, & du Mariage, pour cet effet elle leur dira, qu'elle se répent de s'étre mariée, quoy qu'elle eut un mari tres honête homme, & de qui elle avoit toûjours été aimée [Page 149]fort tendrement: que si elle a un fils ou deux il faudra les porter avec soin a embrasser nôtre Societé, & engager la Mere, & les Parens à leur inspirer ce dessein, & les envoyer dans un Noviciat éloigné, afin qu'on ne les en puisse detourner, & qu'ils soient entierement devouez à nôtre Compagnie.
Que s'il n'y a pas moyen de porter les filles à prendre le voile, ni les fils à embrasser nôtre Religion, le Superienr ne cessera d'en attribuer la faute au Confesseur, pour en mettre un autre à sa place, qui fasse de nouveaux efforts sur l'esprit de ces jeunes gens, & si ces efforts sont inutiles, il faudra induire la Mere à leur laisser quelque petite pension de ses propres biens, & laisser tout le fond à la Societé, ou si cela ne se peut, vendre tout ce qu'elle pourra, & nous en remettre l'argent pour obtenir l'expiation de ses pechez & de ceux de son mari:
Quand on aura mené la veuve au point que nous souhaitons, il faudra empêcher que par l'induction des Parens, elle ne viêne à revoquer ses liberalitez; pour eviter ce malheur, il faudra l'envoyer vivre le réste de ses jours dans [Page 150]quelque lieu éloigné, lui faisant entendre, que cette sorte de vie est la plus humble & la plus meritoire de toutes, étant une imitation de celle des Heremites, tels qu'ont été un Moïse, un Elie, & un S. Jean Baptiste.
Afin que nous puissions tirer bon parti de nos devots, il faut leur parler sans cesse de nôtre pauvreté, & afin qu'ils n'en doutent point, il faudra que nôtre Superieur emprunte par des actes devant Notaire. Il est à esperer qu'étant dans le lict de la mort, ils ordonneront au Notaire, pour le salut de leur ame, de nous remettre en main les actes de nôtre obligation; car il est plus facile de donner du papier, que de l'argent.
Il sera bon aussi de demander à nos devots une notable somme à rente & assigner cette rente ailleurs, afin qu'un revenu soit pour un autre revenu; car si nos devots étant sur le point de mourir ne nous donnent point la somme entiere, ils nous en donneront pour le moins une partie.
Il faudra se procurer l'amitié des Medecins, afin que nous puissions voir les malades, & procurer à la Societé quelque Leg.
On tachera par toutes sortes de voyes d'engager les jeunes gens à embrasser nôtre Regle, quand il s'en rencontrera de bien faits, nobles, & riches: pour les attirer les prefets des Classes les traitteront avec toute sorte de douceur, ils ordonneront aux Regens de les favoriser, ils parleront souvent d'eux avec éloge, ils leur donneront des prix, on les ameinera divertir dans nos maisons de Campagne: quand ils seront en âge d'entrer dans le Novitiat, il leur faudra dire, qu'on n'y reçoit que des gens de naissance, de grande qualité, & d'un merite distingué, les envoyer faire leur Noviciat à Rome, pour les retirer du païs de leur naissance, où ils pourroient étre détournez par les considerations du rang elevé, qu'ils y ont, d'un si bon dessein.
Au reste, les Jesuites ayant preveu, ce qui est arrivé, que cette Instruction Secrete pourroit bien devenir publique, ils ont prevenu ce malheur, & ont pretendu y remedier par ce dernier article, qui porte que s'il arrive que ces avis tombent entre les mains des personnes étrangeres, on assurera qu'ils n'ont point été donnez de la part de la Societé, ce qu'on assurera par ceux [Page 152]des nôtres qu'on sçait certainement n'y avoir aucune part. Ainsi par l'extreme finesse de leur Politique, leur Instruction secrete est devenuë publique, sans avoir perdu rien de sa vertu; leur mine est eventée, & ne laisse pas de produire son effet.
J'avois presque oublié un Chapitre de cette Instruction, qui est des plus memorables: c'est celuy qui contient les raisons pourquoy les Jesuites sont mis hors de leur Societé, & chassez hors de leur Synagogues; Ces raisons sont: avoir detourné quelcun de leurs devots ou amis de leur faire du bien, avoir porté à embrasser une autre Religion, que celle de leur Societé, avoir temoigné quelque froideur ou mollesse, lors qu'il s'agissoit de la resignation de quelque bien à la Compagnie, ou avoir exhorté de resigner ce lieu-la a quelque autre Ordre, & ceux, qui tombent dans cette faute, l'Instruction porte, qu'il leur sera defendu pour quelque tems d'entendre les Confessions, qu'ils seront mortifiez par des offices bas & abjets, qu'ils enseigneront les plus basses classes, qu'on ne leur accordera point lagarde de la Theologie, que pendant le repas il seront gourmandez, qu'ils seront chassez des promenades & recreations, & qu'ainsi par les degouts qu'on leur donnera, on les obligera à se retirer sans peine [Page 153]de la Societé. Mais je n'ay veu rien dans cette Instruction, contre les Jesuites, qui sont autrement vicieux & scandaleux, touchant la punition qu'on en doit faire: il n'en est pas même dit un seul mot dans le Chapitre, dont le titre est des rigueurs & disciplines de nôtre Societé. Certes il faut, ou que l'Auteur de l'Instruction fut un homme bien simple & par consequent mal propre à soutenir le Caractere de Jesuite, de supposer qu'il n'y eut point de Jesuite vicieux, ou qu'il fut entierement gaté du poison de leur Morale, pour laisser impunies les actions scandaleuses, qui se commettroient par ceux de la Compagnie, dans le même lieu, où il denonce des peines contre la mollesse de ceux, qui en abandonneroient les interets, & qui n'en procureroient pas l'avancement.
Cependant il est constant, que la Compagnie de S. Ignace, n'a pas été moins accessible au crime que celle de S. François, & que le vice ne regne pas avec moins d'empire dans la maison des Jesuites, que dans le Convent des Cordeliers. Ils peuvent vivre avec plus de precaution, garder mieux le dehors, & sauver mieux les apparences, mais leur [Page 154]vie n'est pas ni plus chaste, ni plus irreprehensible, que celles des autres Religieux. Ils peuvent étre plus fins & plus resez, mais vraysemblablement ils ne sont pas, ni plus regenerez, ni plus retenus. Que font ils donc de ces Peres, qui tombent dans les excés, qui ont rendu si fameux les Cordeliers de Provins, & contre lesquels on vid il n'y a pas bien long tems un Factum le plus scandaleux, qu'on ait jamais veu dans le Parlement de Paris? Quelle punition font ils des forfaits commis par ceux de leur Societé? vous pouvez croire, Messieurs, que le subtil Demon de leur Politique, ne les abandonne pas dans cette occasion non plus qu'ailleurs. Tout le Monde sçait & leur Mariana même en demeure d'accord, que c'est une coutume parmieux,Moral. Pract. 1 Vol. quand on craint que la faute de quelque Pere, qui est encore cachée, n'éclate, de l'envoyer aussitôt dans une autre Province: c'est-là toute la peine des Peres de la petite manche comme ils parlent, c'est à dire, des Peres qui ne sont pas élevez aux charges du gouvernement. Mais lors que quelque dereglement arrive à un Superieur, dont il est important de maintenir l'estime [Page 155]dans le Monde, & à qui pourtant ils n'oseroient plus se confier, il luy suggerent de demander la liberté d'aller au Nouveau Monde, à quoy il n'a pas plutôt consenti, qu'ils font passer ce desir forcé, pour un Zele extraordinaire de la foy, & cet exil necessaire & inevitable, pour une Mission Apostolique. Cependant cette Politique fait une espece de miracle, qui ressemble à celuy que fit le Sauveur, en la conversion de S. Paul. Car s'il fit un Apôtre des Gentils d'un blasphemateur en la personne de Saul, les Jesuites sçavent convertir tous les jours en Apôtre des Indiens un Jesuite, qui aura été un paillard un adultere & un Sodomite. Mais ce ne sont que de faux Apôtres qu'ils sçavent faire. Ils sont dans la Chine, au Japon, & dans Canada le même, qu'ils étoient à Rome, & à Naples, & à Paris.
En effet pour avoir changé de Climat, ils ne deviênent pas meilleurs. Au contraire ils y deviênent pires qu'auparavant. Ils y deviênent blasphemateurs, persecuteurs, opresseurs, & Apostats. [Page 156]Car ils s'accommodent fort bien & sans scrupule de la Religion des Chinois & des Japonois. Ils s'habillent comme leurs Prêtres, ils assistent à leurs sacrifices, ils adorent leurs Idoles. Ce sont les Catholiques mêmes, qui ont décrié ces nouveaux Apôtres des Indiens, qui ont publié les persecutions, qu'ils ont faites au Japon, & par tout ailleurs aux Chrêtiens, aux Jacobins, aux Cordedeliers, & aux Evêques, & qu'ils y ont Apostasié, en y cachant le mystere de la croix, & en se prosternant devant l'objet que les Idolatres adorent.
La lettre, que Jean de Palafox de Mendoza Evêque d'Angelopolis dans l'Amerique écrivit au Pape Innocent X. represente amplement la conduite scandaleuse des Jesuites parmi les Idolatres, Je n'en rapporterai que deux Articles. Le premier vous fera voir leur vie desbordée, c'est le 127. où ce Prelat parle ainsi: J'ay connu en ces quartiers un Provincial des Jesuites, qui dans l'espace de trois ans, a chassé de sa Compagnie trente huit Prêtres, quoy que dans toute l'étenduë de cette grande Province, il n'y en eut gueres plus de trois cens. Ʋn autre Provincial nommé Alphonse de Castro en chassa jusques à quatre vingt dans la [Page 157]même Province: on ne void, adjoute-t-il, rien de semblable dans les autres Religions: ce qui rend suspecte ou la facilité avec la quelle on chasse ainsi les Religieux, ou la multitude des crimes, qui oblige à les chasser. Et quel besoin al'Eglise des personnes Religieuses, dont la maniere de vie & la conduite sont si étranges, elle dont les moeurs & la Doctrine doivent étre plus pures que le Crystal, & plus éclatante que les rayons du soleil? Le 2 Article vous fera voir leur prevarication, & leur Apostasie. C'est l'Article 133. où ce Prelat parle en ces termes: Toute l'Eglise de la Chine gemit, & se plaint publiquement de ce qu'elle n'a pas tant été instruite que seduite, par les instructions, que les Jesuites luy ont données, touchant la pureté de nôtre creance; de ce qu'ils l'ont privée de toute la Jurisdiction Eclesiastique, de ce qu'ils ont caché la croix de nôtre Sauveur, & autorisé des coutumes toutes Payênes, de ce qu'ils ont plutôt corrompu, qu'ils n'ont introduit celles qui sont veritablement Chrétiênes, de ce qu'en faisant Christianizer les Idolatres, ils ont fait Idolatrer les Chrêtiens; de ce qu'ils ont uni Dieu & Belial en même Table, en mème Temple, en mêmes autels, & en mêmes sacrifices: Et enfin cette nation void avec une douleur inconcevable, que sous le masque du Christianisme, on revere les [Page 158]Idoles, ou pour mieux dire, que sous le masque du Paganisme ou souille la pureté de nôtre Sainte Religion. Ils se glorifient jusqu'à lasser les plus endurans de leurs beaux exploits dans les Indes d'Orient & d'occident, des conversions qu'ils y ont faites, & de l'étenduë des Païs, où ils ont arboré la croix de Christ, & qu'ils ont éclairé de la lumiere de l'Evangile; mais le celebre Evêque d'Angelopolix vient de nous mettre en main des preuves invincibles de leur insuportable vanité, & que jamais reproche n'a été mieux apliqué, que l'est aux Jesuites celuy, que fait le Sauveur dans l'Evangile aux Pharisiens:Math. 23. Malheur à vous Pharisiens Hypocrites; car vous faites le tour de la terre & de la mer pour faire un proselyte, & quand vous l'avez trouvé, vous le rendez au double coupable de la Gehenne.
Ecoutez encore, Messieurs, ce même Prelat se plaignant de la sorte dans les Articles suivans. Comme je suis un des Prelats les plus proches de ces peuples, que je n'ay pas seulement receu des lettres de ceux, qui les instruisent dans la foy, mais que je sçay au vray tout ce qui s'est passé dans cette dispute, que j'en ay eu dans ma Bibliotheque les actes & les écrits; & qu'en qualité d'Evêque, Dieu [Page 159]m'a appellé au gouvernement de son Eglise, j'aurois sujet de trembler au jour de son redoutable jugement, si étant commis à la conduite de ses brebis Spirituelles, j'avois été un chien muet, qui n'eut osé aboyer pour faire sçavoir à tout le monde, combien de scandales peuvent naitre de cette Doctrine des Jesuites, dans les lieux, où l'on doit travailler pour l'augmentation de la foy. Car leur puissance est si redoutable, que si les Evêques manquent à defendre la cause publique de l'Eglise, la peur fera demeurer les autres dans le silence: & ils se contenteront de deplorer en secret le malheur des ames par des larmes & des soupirs. J'ay un volume tout entier des Apologies des Jesuites, par lesquelles non seulement ils confessent avec ingenuité cette tres pernicieuse maniere de catechiser, & d'instruire les Neophytes Chinois, dont les Religieux de S. Dominique, & de S. François les ont accusez devant le S. Siege: Mais même Didaque de Moralez, Recteur de leur College de S. Joseph de la ville de Manile, qui est Metropolitaine des Philippines, combat opiniatrement par un ouvrage de 300 feuilles presque toutes les choses, que V. S. a tres justement condamnées le 12 Septembre 1645. par dix sept decrets de la congregation de propaganda fide.
Je le repete encore, continuë ce Prelat, [Page 160] quel autre Ordre Eclesiastique, s'est jamais si fort éloigné des Principes de la veritable Religion Chretiêne & Catholique, qu'en voulant instruire une nation nombreuse, d'un esprit assés penetrant & propre à étre éclairée, & rendue feconde en vertus, par la lumiere de la foy, au lieu d'enseigner comme de bons Maitres les regles Saintes du Christianisme à ces Neophytes: il se trouve au contraire, que ces Neophytes ont attiré leurs Maitres dans l'Idolatrie, & leur ont fait embrasser un culte & des coutumes detestables; en sorte qu'on peut dire avec raison, que ce n'est pas le poisson, qui a été pris par le Pescheur, mais que le Pescheur a été pris par le poisson.
A la plainte de ce Prelat il ne sera pas hors de propos de joindre, celle de l'Auteur de la Morale Pratique.Preface du 2 Vol. Si, dit-il, on examine de prés la conduite des Jesuites en Europe & aux Indes, on les verra toûjours les mêmes, & on ne sera pas surpris s'ils ont des Maximes si relachées dans la Chine & au Iapon, où ils sont les Maitres; puis que l'on a veu un d'eux, Missionnaire dans la Ville de Viane en Hollande, prêcher publiquement dans son Oratoire, qu'on avoit beau aller où l'on voudroit, chez des Prêtres ou des Religieux, qu'on n'en trouveroit jamais aucun, qui donnât le Paradis à si bon marché que les Iesuites.
Vous voyez donc, Messieurs, que la Mission des Jesuites à la Chine, au Japon & ailleurs, est une Mission d'Apostats plutôt que d'Apôtres, & qu'ils n'y font rien moins que d'y établir ou étendre l'Empire de J. Christ, puis qu'au lieu d'y épandre la bonne odeur de l'Evangile, ils font par leur prevarication, par leur vie débordée, & par leur Idolatrie, que l'Evangile de J. Christ y est de mauvaise odeur, & que le Christianisme n'y a aucun avantage sur le Paganisme le plus tenebreux. Mais ne vous imaginez pas, que la Politique leur ait manqué en cet endroit, ni qu'elle leur ait fait un faux bond. Car premierement ils nettoyent leurs maisons par ces Missions Apostoliques, ou pour mieux parler Apostatiques, de tous les vices d'éclat & scandaleux, & conservent à leur Compagnie ce dehors, & ces apparences de Sainteté, qui imposent aux yeux du Monde, en rejettant bien loin des garnemens, dont la vie scelerate eut pû la décrier. Et de plus ils se servent utilement de ces bons Compagnons, pour avancer les affaires & la gloire de la Compagnie. C'étoit la Politique du Cardinal de Richelieu, d'employer [Page 162]dans ses affaires toutes sortes de gens, jusqu'aux faux monoyeurs, & aux coupe jarrets, jusqu'aux putains & aux macquereaux, dont il retiroit de grands services. C'a été aussi celle des Jesuites d'avoir à la Chine, où Japon & ailleurs des Jesuites vicieux & debordez, comme tres propres à se familiariser avec les Payens, en vivant comme eux & en adorant leurs Idoles; & par ce moyen se rendre Maitres du commerce de ce Païslà, comme ils ont fort bien fait, en plusieurs endroits. Et vous n'ignorez pas, Messieurs, que le commerce est la source des Richesses, comme les Richesses sont la voye la plus courte, & la plus sûre pour arriver à la puissance Souveraine, & le moyen le plus efficace de s'y maintenir, quand une fors on y est parvenu. Ce sont eux qui les premiers ont debité le Thé, & le Quinquina, je pense aussi le Tabac, puis que durant quelque tems on appella cette Herbe la Nicotiane du nom de leur Pere Nicot. Commercè d'où ils tirerent des sommes immenses, parce que durant quelques années ils furent Maitres du debit de ces Marchandises par tout le Monde.
Jusques icy, Messieurs, vous avez [Page 163]oui des Maximes en grand Nombre de la Politique des Iesuites. Il en reste une que j'ay reservée la derniere tout exprez pour vous en faire conserver le gout. C'est que ces bons Peres n'ont point de regle fixe & sûre de leur conduite. Car par les Bulles du Pape Paul 3. & Jules troisiême, il leur est permis de changer toute la forme de leur institut, & de fabriquer des regles toutes nouvelles, contraires aux anciênes, quand leur General le trouvera bon pour l'avantage de la Societé: de sorte que leur grande & unique Regle, c'est de n'en avoir point du tout. Car pour celle de leur Fondateur, ils la traittent tout de même qu'ils traittent l'Ecriture Sainte, dont ils ont fait une regle de plomb, un nez de cire, un couteau à deux trenchans, & dont ils ont aneanti toute l'Autorité en la faisant dépendre de l'Autorité de l'Eglise. Ils font dire de même à leur Fondateur tout ce qu'ils veulent, & s'il parle trop clairement, ils ont rendu son tribunal subalterne à celuy de leur General. En vertu de cette regle, ils ont plusieurs poids & plusieurs balances, ils soufflent le froid & le chaud, ils agissent selon les tems, les personnes & les lieux, [Page 164]ils étoient hier Espagnols, aujourdhuy ils sont François, autrefois ils étoient tout entier au Pape contre la France, aujourdhuy ils sont tout pour la France contre le Pape, tout prets à se reconcilier avec le Pape, & faire à la France le pis qu'ils pourront, quand ils en seront requis par leur interêt. On dit ordinairement, que les Jesuites sont toûjours du parti le plus fort. Cela est vray; mais on ne dit pas tout, c'est qu'ils rendent le parti qu'ils veulent le plus fort, en suivant tousjours leur interêt, qui est la grande Regle de leur conduite, & l'étoile Polaire, qui gouverne leur navigation.
L'Année 1684. ils obtinrent une Bulle du Pape Greg. XIII. par la quelle il est défendu à toutes personnes, sans excepter même les Cardinaux, de prendre aucune connoissance des secrets de la Regle des Jesuites, & de les a profondir, quand même on n'auroit d'autre but que de contenter sa curiosité. Mais ou cette Bulle étoit la chose du Monde la plus inutile, puis qu'elle défendoit la connoissance de ce qui n'est pas, ou il faut qu'au tems de Greg. XIII. les Jesuites fissent profession de suivre la regle [Page 165]de leur Fondateur; mais qu'ayant reconnu par experience, qu'elle ne s'accordoit pas assez bien avec leur projet de la Monarchie Ʋniverselle, ils ont conclu, que le meilleur pour parvenir à leur but, étoit de n'en avoir point du tout. Et en effet, puis qu'il s'agit d'une Monarchie Ʋniverselle, d'une puissance despotique & la plus absoluë, qui fut jamais, il n'est besoin ni de regles ni de loix, il ne faut qu'une obeissance aveugle de la part des peuples & des Rois, qui sont de leur dependance, leur General étant en droit de dire à tous: ‘Sic volo, sic jubeo, sit pro ratione voluntas.’
III. DISCOURS.
Les Iesuites haissables pour leur orgueil, vanité chatiée quelquefois. Contes plaisans sur ce sujet. Pour étre Courtisans & Galants, Marchands, banquiers, faux [Page 166]mônoyeurs, d'une avarice insatiable, cruelle, & inhumaine. Tout le Monde a interêt que leur Societé soit abolie: tout les Ordres des Religieux, les Evêques, le Pape, tous les Rois, particulierement le Roi de France, le Roid' Angleterre, & la Nation Angloise: les Marchands, les Pauvres, les Riches, les Peres & les enfans, les Maris & les Femmes. Les devots à la Vierge. Les vrais Chrêtiens, les Mahometans. Les Iuifs, les Payens. Tocsin sonné contr'eux par trois Archevêques, par toutes les Universitez, par leur General, par Mariana, par l'Auteur de la Morale pratique, par les Evêques de Canarie, [Page 167]de Calbastro, par S. Paul, par S. Hildegarde, par le Cardinal Borromée, par l' Auteur qui donne quatre presages de leur prochaine ruine, & qui propose deux moyens tres justes, & tres faciles, pour en dicharger la France.
JE viens, Messieurs, au dernier point de mon sujet. Il s'agit premierement de faire voir que les Jesuites sont dignes de la haine & de l'aversion publique, Il se trouve quelque fois des personnes assez malheureuses, que de n'étre pas aimées & d'étre en butte au mépris, & à la haine de tout le-monde; mais cette haine est censée par le faux Zele, que produit la Religion: tels sont les Protestans, par tout où la Religion Catholique est sur le Trône. Il n'en va pas de même des Jesuites. Ils sont haïs partout, en Espagne aussi bien qu'en Angleterre, en Italie aussi bien qu'en France, mais c'est par tout autre Principe, que celuy de la Religion, puis que les [Page 168]Catholiques mêmes ne leur font pas plus de quartier que les Protestants. Il y a de plus cette difference, que les hônêtes gens ne haïssent pas les Protestans, au contraire ils en ont pitié, quand ils les voyent traittez avec riguer, & leur rendent secretement toutes sortes de bons offices. Il n'est presque point de refugié qui n'en ait trouvé, qui ont compati à sa misere. Mais au contraire il est seur, que si les Jesuites ont des amis, ils ne les trouvent gueres parmi les gens de bien. Ce sont ou des Esprits interessez, ou des ames affamées, ou des coeurs gatez & pourris, ou des Consciences en desordre, qui cherchent des gens qui les-bercent, & qui les endorment. Un Roi d'Espagne c'est si je ne me trompe, Philippe II. disoit: todos contra mi, y contra todos mi, tout le Monde est contre moy, & je suis contre tout le Monde. Les Jesuites sont sur le même pied, & animez du même Esprit: comme avec la Monarchie Universelle, dont ils sont entêtez, ils se sont declarez contre tous les hommes, il n'y en a point aussi, qui ne craigne ces Tyrans, & qui par consequent ne les haisse,Genese 16. veritables Ismaëls semblables à des ânes sauvages, leurs mains sont [Page 169]contre tous, & les mains de tous sont contr'eux.
Il y'a plusieurs causes tres legitimes & tres justes de cette aversion generale.Orgueil. Il n'y a point de gens moins aimez, ni plus generalement haïs, que ceux qui bouffis d'Orgueil sont en perpetuelle admiration d'eux mêmes, ne parlent que d'eux, ne prêchent que leurs provesses & ne celebrent que leurs exploits. Or c'est là un des Caracteres des Jesuites. Ils disent de leur Societé: qu'elle est ce chariot de feu d'Israél, qui faisoit pleurer autrefois Elisée, de ce qu'il avoit été enlevé, Imago primi Saeculi. & que maintenant par une particuliere grace de Dieu, l'un & l'autre Monde se réjouit de voir ramené du Ciel, dans les necessitez de l'Eglise, dans le quel si vous cherchez des Armées & des Soldats, qui multiplient tous les jours leurs triomphes par de nouvelles victoires, vous trouverez une troupe choisie d'Anges. Cesont des Anges semblables à S. Michel dans leurs combats, contre les Heretiques, semblables à S. Gabriel dans la conversion des infideles, semblables à S. Raphaël dans la consolation des ames, & la conversion des pecheurs. Oui un seul de cette Societé est quelquefois victorieux de tant d'ennemis, que vous jureriez qu'une grande Armée, n'en pourroit pas aisément autant vaincre, qu'il [Page 170]en surmonte luy seul. Jugez par là ce que peut toute cette Societé, en joignant toutes ces forces ensemble. Cette Societe, dirai-je, d'hommes ou d'Anges, quelles ruines & quels carnages d'erreurs & de vices ne procurera-t-elle point! Quand ils parlent d'écrivains sur quelque matiere que ce soit, il n'y a selon eux que ceux de leur Societé, qui excellent en tout, & qui ont emporté l'echele aprez eux. Ils disent de Lessius, qu'il a acquis une reputation Eternelle, non seulement par les ouvrages de son Esprit, mais aussi par l'éclat de ses vertus, & qu'il a été consulté comme un Oracle de toutes les parties du monde. Lors que Lainez parla dans le Concile de Trente, pour la conception de la Vierge sans peché Originel, tout le Concile, disent-ils, l'écouta non comme un homme, qui eut parlé dans une chaire, mais comme un Prophete descendu du Ciel, qui prononçoit des Oracles. Lors qu'ils parlent des Jesuites Espagnols: c'est principalement de l'Espagne, que sont sortis ces grands Hommes, qui par l'Excellence de leur Esprit, & de leur Doctrine ont étendu les bornes de la science sacrée, qui ont éte les ornemens de nôtre siecle, & qui seront l'admiration de toute la posterité. Ils appellent Vasquez le rampart de la Doctrine Sainte, Suarez, le [Page 171]Maitre Ʋniversel de son siecle, le Jesuite Caramuel parlant du Jesuite Diana dit: que ceux qui murmurent contre ses decisions, sont des ignorans. Le Jesuite Zergol parlant de Caramuel dit: qu'on doit étre couvert de honte, d'avoir osé condamner une opinion défendue par le grand Caramuel, lequel tous ceux de l'ordre appellent le grand flambeau. Et Caramuel parlant de luy même, & de tous ceux de son Ordre, a été si sottement vain que de dire: nous autres doctes, nous jugeons tous, que l'opinion, qui permet aux Religieux, de tuer ceux qui mediroient de leur Ordre, est la seule soutenable.
Enfin, ce qui est pousser la Vanité & l'Orgueil au de là de toute imagination. si vous leur reprochiez, comme ils font aux Protestans, que leurs Fondateurs, non plus que Luther & Calvin, n'ont point fait de miracles, ils répondroient d'un air fanfaron & avec une fierté de Capitaine, que la Societé est elle même un Miracle comme le Monde. Le premier & le plus grand miracle de la Societé est la Societé même. Ubi supra. Il n'y a point de plus grand miracle que le Monde: on peut dire la même chose de la Compagnie de Jesus, qui est comme un petit Monde. Ce grand corps de la Sccieté tourne, & roule par la volonté d'un seul homme, [Page 172]qui est nôtre General. Tant de personnages excelens en Esprit, illustres en sçavoir, sont conduits & gouvernez, depuis tant de tems dans la carriere de la vertu & de ta Doctrine, pour le service & le bien des autres, sans que leur course soit jamais interrompue: qui peut ouir sans indignation des vanteries si extravaguantes? Ils ne font pas difficulté de dire que dogma Jesuiticum & Catholicum convertuntur, c'est à dire, qu'une Doctrine avancée par un Jesuite, & une Doctrine Catholique, d'une verité indubitable, sont une seule & même chose. Qui est si patient, que de ne se pas emporter à l'ouie d'une vanité si ridicule? Ils n'ont pas honte de donner à leur Societé le beau titre de Vierge, & qui est ce qui l'oyant se pourra empêcher de lui dire: n'avez vous pas honte, que vos Casuistes font parler cette Vierge avec tant d'effronterie, avec des paroles si peu Vierges, & qui expriment des sentimens si capables, & de corrompre les Maitres, qui les enseignent, & les Disciples qui seroient assez malheureux pour les suivre? Ces reverends Peres ne font point paroitre leur vanité dans leurs paroles seulement, ils la font éclater aussi dans leurs actions. Et vous ne serez pas [Page 173]fachez, Messieurs, je m'assûre, que je vous fasse icy deux Histoires, où leur vanité fut mortifiée, quoy que non pas tout à fait comme elle le meritoit.
Un de ces Peres prêchant un jour,Morale Pract. 1 Vol. & faisant le Panegyrique de la Societé, la compara à une Horologe qui est bien reglée, & qui regle toutes choses. Mais comme il étendoit cette matiere le plus magnifiquement qu'il pouvoit,Vanité chatiée. l'Horologe de leur maison vint par malheur à sonner plus de cent coups, & par son déreglement causa un tel desordre dans tout l'Auditoire, qu'on ne pût s'empecher de se mocquer & du Predicateur & de la Societé, la quelle on disoit publiquement étre à peu prez juste & reglée comme leur Horologe.
L'autre Histoire, que j'ay à vous faire, & où la Vanité des Jesuites fut chatiée, c'est un fait, qui se passa dans la Ville de Goa: pour celebrer leur année seculiere, ils firent trainer un char de triomphe, où la Societé étoit representée avec toute la Pompe & l'Eclat, dont ils se pûrent aviser. Il est vray que ce char ne fut pas enlevé dans l'air comme celuy d'Elie, mais en recompense, il fut veu d'un plus grand nombre de personnes, [Page 174]& roula par toute la ville avec l'aclamation de tous ceux, qui le virent promener.
Ils n'allerent point chercher des Anges au Ciel pour le conduire. Cela eut été trop penible; ils les choisirent parmi leurs Ecoliers, qui devinrent des Anges en changeant d'habits. Alors ces jeunes Anges parez de Robes blanches, & d'ailes de toutes couleurs, furent employez à tirer quelques uns de ces bons Peres, qui étoient dans ce char & qui furent le spectacle de toute la ville.
Ce triomphe étoit accompagné d'une Musique fort delicate, qui ne cessoit que par une autre plus male, composée de Tambours & de Trompettes, qui sonnoient l'alarme & la charge, quand on arrivoit à quelque carrefoux: car alors, il falloit combâtre des Demons, qui pretendoient arrêter le chariot, & empêcher la Societé triomphante, d'achever sa carriere. Mais comme elle se vante d'étre toûjours victorieuse de ses ennemis, ces combats aussi se terminoient toûjours à son avantage, & les Demons choisis, aussi bien que les Anges du nombre de leurs Ecoliers, étoient d'intelligence avec eux pour ne resister pas long [Page 175]tems. Pendant qu'ils ne songeoient qu'à se divertir agreablement, un accident que toute leur prudence infaillible n'avoit pû prevoir, troubla toute la fête, & fut d'un tres mauvais augure. Une des rouës du char triomphant s'engagea dans un trou, d'où toute la vertu des Elies, qui y étoient conduits, & des Anges, qui le tiroient, ne le peurent faire sortir. Il n'y eut point d'effort que ces pauvres Anges ne fissent, mais toute leur puissance active ne pût jamais retirer le char triomphant du trou où il étoit engagé. Alors comme dans les grandes necessitez on se sert de tout, il fallut invoquer l'aide des Diables pour sortir d'un si mauvais pas: ce qui reüssit heureusement: mais ce ne fut pas sans donner à rire aux Spectateurs, & causer même du scandale à la pluspart, qui commencerent à dire publiquement, que les Diables avoient pour le moins autant de part à la conduite & au triomphe des Jesuites, que les Anges.
Comme il n'y a rien, dont les personnes vaines & fanfarones ne se mêlent. les Jesuites se mêlent aussi de Prophetrzer. On fut étonné autrefois, quand on vid Saul fils de Kis entre les Prophetes, 1 Sam. on [Page 176]fit même un Proverbe de cette avanture en Israël. Je voy aussi, Messieurs, que vous étes surpris d'aprendre que les Disciples de Loyola ayent tenu rang entre les Prophetes: cependant je puis vous assûrer la chose, ce n'est pas un conte, mais une Histoire: ils predirent à l'Empereur Ferdinand II. que le Grand Gustave, qui avoit déja fait quelques progrez dans l'Alemagne, seroit battu & entierement défait, par le Comte de Tilly.Adolph Ant. Garrissol. Et comme l'Esprit de Dieu commandoit quelque fois aux Prophetes de mettre devant les yeux des Israëlites des images, qui representassent les evenemens, qu'ils leur predisoient, les Jesuites receurent apparemment un ordre semblable au Genie familier qui les inspire. Ils representerent la chose à l'Empereur, & à toute sa Cour par une Tragicomedie: mais par malheur pour eux, & pour l'Empereur la chofe tourna tout autrement qu'ils ne l'avoient projettée; car le Comte de Tilly, devoit combâtre le Roi de Suede sur le Theatre, & le devoit vaincre. Pour cet effet, le plus petit de leurs Ecoliers avoit été choisi pour representer le Comte de Tilly, qui étoit aussi de petite taille [Page 177]pour un Alemand, & comme le Roi étoit d'une taille aussi haute que Majestueuse, celuy de leurs Ecoliers, qui se trouva le plus grand, fut choisi pour representer ce Prince. Ils vinrent donc aux mains ces deux personnages. Le Roi attaque le Comte de Tilly. Ils battent le fer, durant quelque tems, & apres avoir disputé quelques momens la victoire, le Roi recule, Tilly le pousse, le desarme, le prend au corps, & tout petit qu'il étoit, le jette par terre, mais je ne sçay, si Tilly luy fit mal, en le pressant trop, ou si le Roi n'eut pas quelque honte de se voir battu, étant d'une taille si avantageuse, par un, qui aupres de lui paroissoit un enfant, tant y a qu'il se leve plein d'une noble fureur, prend Tilly au Collet, le jette par terre, luy met les pieds sur la gorge, & le fait crier si haut qu'il fallut que les Peres, qui étoient sur le Theatre, sortissent de derriere la Tapisserie, pour arracher le pauvre Tilly, d'entre les mains du Roi. Je ne sçay comme quoy le Roi sut receu des Peres, apres la fin de l'Opera. Apparemment il paya cherement l'affront, qu'il leur avoit fait sur le Theatre. Mais vous sçavez que [Page 178]le veritable Roi, malgré les Propheties des Jesuites, deffit entierement Tilly à la bataille de Leipsic, & que ce General fut aussi mal traitté en Campagne, qu'il l'avoit été sur le Theatre, malgré les bonnes intentions, & les Saintes inspirations de ces bons Peres.
Mais, Messieurs, que pensez vous de ces mêmes Peres, lors que vous les voyez sans cesse aupres des riches & des grands, dans les ruelles aupres des Dames, & à la Cour des Princes aupres des Ministres d'Etat, se melans de toutes les affaires, mettant le nez partout, & s'intriguans dans toutes les alliances & les traittez, qui sont sur le Tapis, quand il s'agit de la guerre & de la paix? Qui pourra aimer,Galanterie. qui pourra s'empêcher de hair, qui pourra souffrir que des Chrêtiens, qui s'appellent Jesuites, pour un caractere de distinction, qui les met au dessus de tous les Chrêtiens les plus parfaits, fassent à la veuë & au sçeu de tout le monde, ce qu'on void faire tous les jours aux Galants, & aux Courtisants? Ne sentez vous pas émouvoir vôtre bile, toutes les fois que vous oyez prononcer les mots de Jesuite Courtisan, & de Jesuite Galant? car pour me servir de [Page 179]la pensée de Salomon, le beau nom de Jesuite apliqué à un homme de ruelle, & de Cour n'est il pas comme une bague d'or sur le groin d'une truye? Prover. Ch. 11.
Vous me direz peut étre, que vous étes fort surpris, que je parle de Jesuites Galans: qu'à la verité vous avez oui parler des Jesuites Confesseurs des Princes, & d'autres Jesuites, qui étoient sans cesse aupres les Ministres d'Etat, pour des affaires Politiques, à quoy ils étoient aussi attachez, qu'à l'étude de la Theologie: mais qu'il y ait eu, ou qu'il y puisse avoir des Jesuites Courtisans des Dames, c'est une nouvelle pour vous, & dont vous n'étes pas peu surpris. Si yous me faites cette objection, je vous répondrai, que vous n'avez pas donc fait du sejour dans les grandes villes, où ces Peres regnent, & où on les void entrer tous les jours dans les maisons des Grands des Officiers de Justice, & des riches Bourgeois. Sur cela, Messieurs, il me souvient d'avoir leu dans une Preface de Maimbourg sur une de ses Histoires, qu'il ne falloit pas, que le Lecteur s'étonnât, de ce qu'il écrivoit des Histoires en si grand nombre en si peu de tems, puis qu'il n'employoit pas ses journées, [Page 180]comme d'autres à faire des voyage de divertissement, à se trouver dans des parties de réjoüissance, & à visiter les Dames: mais un Auteur relevant cela, a observé judicieusement, que c'étoit une botte franche portée contre le Jesuite Bouhours, lequel fait valoir son talent de bien parler dans la conversation des Belles, aussi bien que dans ses écrits. Je pris plaisir à voir le Jesuite Maimbourg reprocher à un autre Jesuite d'étre un Courtisan & un Galant. Mais voicy une preuve d'une grande force de la Galanterie du P. Coton. Il s'est vanté, dit un Auteur,Anti [...]oton. non suspect, en presence de plusieurs Seigneurs de la Cour, qui vivent encore, de n'avoir fait aucun peché mortel, depuis vingt deux ans, & cependant Mr. l'Abbé du Bois luy a soutenu & luy soutiendra, qu'il y a moins que cela, que sentence a été donnée contre luy à Avignon, pour avoir engrossé une Nonain. Mr. des Bordes, Sr. de Grigny, homme à qui rien ne defaut, sinon que d'étre Catholique, a encore en son pouvoir des lettres du P. Coton à Mademoiselle de Claransae de Nismes, écrites de sa propre main, par lesquelles apres force Protestations d'amitié il luy dit: qu'il espere la voir bien-tôt, pour luy payer le principal, & les interets de son absence. [Page 181]Et que I affection, qu'il luy porte, est telle, qu'il nese promet point d'avoir en Paradis une joye accomplie, s'il ne la trouve-là. La fureur d'amour avoit tellement saisi l'ame de ce bon Pere, que de pousser la Galanterie jusques dans le Paradis.
Mais vous pourriez étre convaincus de la galanterie de ces bons Peres, suffisamment par les seuls ouvrages du Jesuite le Moine. Car son livre intitulé la devotion aisée vous eut apris, qu'il y a une devotion pour les Dames de toute autre espece, que celle qui est connuë du commun des Chrêtiens. Il y fait voir, que le chemin du Paradis est jonché de Roses & bordé de Jasmin: écrivant à Delphine sa Maitresse, il celebre la couleur incarnate, par ce que c'étoit ce qui faisoit la plus grande beauté, & il faut avouer que pour un Poëte de soixante ans il y a bien du feu dans les vers que voicy:
Ne me [...]lites pas, je vous prie, que le Pere le Moine, n'est qu'un membre de cette Compagnie contre laquelle je parle, & que je ferois une injustice trop grossiere, si je chargeois toute la Compagnie du vice de l'un de ses membres; car je vous répondrois d'abord, que toute la Compagnie demeure chargée du vice du Pere le Moine, & du scandale que le public a receu de ses ouvrages, entant qu'elle n'a ni condamné l'ouvrage, ni retranché, ni même censuré l'Auteur, sur tout un Auteur, qui avoit plus de soixante ans, & en qui l'Esprit de Galanterie paroit, & plus ridicule, & plus scandaleux. Je vous répondrai de plus que toute la Compagnie des Jesuites de Paris, commit un excez aussi scandaleux par l'Enigme, qui fut exposé dans leur Eglise de Clermont le 1. Juillet [Page 183]1663. Je ne sçaurois mieux vous dire, ce que c'étoit que l'a fait l'excellent Auteur de l'Onguant pour la brûlure, en parlant à eux mêmes:
L'Auteur veut dire que l'explication de cette Enigme se fit un Dimanche, & qu'on ne chanta point de Vêpres; apres quoy il leur parle avec cette juste indignation:
J'avouë, Messieurs, que c'est la une Satyre contre la Galanterie impudique & profane de ces Peres: mais je soutiens qu'il n'en fut jamais, ni de mieux écrite ni de plus juste. Voulez vous maintenant ouir un Jesuite même des plus celebres [Page 186]condamnant les Jesuites Courtifans en la personne des Evêques de Cour, vous l'allez ouir de la bouche du P. Maimbourg:Hist. de 'Arianisme. Lib. 6. On ne peut nier que comme tout avoit été dans un effroyable desordre sous l'Empire de Valens, il n'y eut dans ce nombre de 150 Evêques, beaucoup moins de vieux & de Saints Prelats, que de ces jeunes Evêques, qui étans de la Cour & du Monde, & n'ayant en veuë que l'établissement de leur fortune, s'accommodoient au tems, & trouvoient toûjours, que la croyance du Prince étoit la meilleure: jusques là il me semble qu'on peut fort bien definir un Jesuite de Cour, selon le Pere Maimbourg, celuy qui est de la Cour & du Monde, qui n'a en veuë que l'établissement de sa fortune, & l'avantage de sa Societé, qui s'accommode au tems, & qui trouve toûjours, que la croyance du Prince est la meilleure.
Mais c'est là aussi le veritable portrait des Jesuites Confesseurs des Princes, qui approuvent leurs défauts, qui aplaudissent à leurs vices, qui suivent en tout leurs sentimens, quelques contraires qu'iss soient aux pretentions de l'Evêque de Rome. Le même Pere parle avec la même force ailleurs au sujet de l'Archevêque Nicetas, sous l'Empereur [Page 187]Leon Armenien:Hill. des Iconoclaste [...]s Lib. [...]. c'étoit un malheureux Eunuque, qui dans la verité n'étoit que le dernier Esclave de la Cour, sous le nom & sous l'habit de Patriarche, il avoit peur que son Maitre ne le raittât, comme il avoit fait ses deux derniers predecesseurs. Mais on a toûjours veu, que c'étoit la destinée de ces laches Evéques, qui trahissent leur Caractere pour se rendre Esclaves des Princes, dont ils devroient étre les Peres, d'étre obligez de faire des bassesses, qui leur attirent le mépris qu'ils en font, & qui fait qu'effectivement ils leur deplaisent, & qu'apres tout on ne leur tient conte de rien. Ne semble-t-il pas, que ce Jesuite en parlant des Evêques de Cour, a eu dessein de censurer la lacheté des Jesuites Confesseurs des Rois, puis qu'il est constant, que ces Jesuites de Cour trahissent leur Caractere pour se rendre Esclaves des Princes, & qu'ils sont obligez de faire mille bassesses indignes, je ne dirai pas d'un Chrêtien, mais d'un Payen, qui n'a point d'autre Morale, ni d'autre lumiere que celle de la Nature?
Eden, ou l'Ancien Serpent est toûjours en embuches, occupé toûjours à tendre des pieges à l'infirmitè humaine. Le beau Sexe n'est pas aujourdhuy plus en force de resister aux tentations, [Page 188]que l'étoit la Mere de tous les Vivans, ni les hommes n'ont, ni plus de fermeté, ni plus de prudence, que n'avoit Adam pour n'étre pas seduit par des Beautez, qui étalent tout ce qu'elles ont de charmes pour les seduire. Quelle figure pensez vous que font les Jesuites dans cet Eden. Vous eussiez attendu, qu'ils fussent là comme des Anges Cherubins, avec l'epée de la parole, pour fortifier l'un & l'autre Sexe, contre les attaques du Serpent, leur découvrir ses pieges, & leur tendre la main pour les en retirer. Rien moins que cela: Au contraire ils sont eux mêmes des Serpens, & des Tentateurs, qui poussent dans le crime, & par leur exemple, & par leurs écrits. Il n'y a pas long tems que j'ay leu un livre assés curieux, il est intitulé l'Evêque de Cour, opposé à l'Evêque Apostolique, C'est assurement l'ouvrage d'un bon Catholique Romain, mais qui n'est point satisfait de la conduite des Evêques d'àpresent. Là, apres avoir reproché aux Prelats leur conduite scandaleuse, marque comme quoy six d'entr'eux, qu'il ne nomme point, avoient passé toute une nuit à jouer aux Cartes, où ils jurerent des morts D .... & des [Page 189]Testes D ...... selon leurs louables coutumes, où ils rompirent les jeux de Cartes par impatience, & par rage: apres s'étre emporté justement contre l'Abbé de la Perouse, qui dans une raison Synodale avoit dit, parlant de l'Archevêque de Paris: Enfin nous n'avons qu'à nous rendre les imitateurs de ce grand Prelat, comme il est dans toute sa vie imitateur de I. Christ. Il ne nous reste qu'une chose à dire de nôtre grand Prelat, c'est de dire de luy, comme autrefois de I. Christ, Bene omnia fecit, il a bien fait tout ce qu'il afait. Apres avoir dit là dessus: n'est ce pas la derniere des flatteries, la plus honteuse, & la plus puante à la presence de la quelle il faut, que celle que Dieu punit sur le champ par la mort d'Herode, disparoisse, vû la vie publique Monsieur l'Archevêque, telle que nous la connoissons, qui n'est point assurement copiée sur cet Original. Il parle ensuite d'un livre de devotion contenant des Chansons Spirituelles, il est intitulé Cantiques de la vie illuminative. Il remarque que l'un de ces cantiques se chante, sur l'air d'une Chanson Gaud-nette, je vous aime tant. Un autre sur l'air des Enfarinez. Un autre sur l'air: ha! ha qu'il est doux mon bel oeil de mourir pour vous. Un autre qui est l'entrée de l'ame juste dans [Page 190]le Ciel sur l'air, Daïe d'en Daïe. Un autre en forme de Dialogue entre l'homme & Satan, sur l'air, Vous ne perdez que vos pas, Nicolas. Ainsi Satan dans le Cantique de la vie purgative a nom Nicolas. Un autre quand il vient quelque bon Pere Religieux, sur l'air: Dieu soit ceans; voicy Colin: de sorte que les Peres Religieux sont des Colins Spirituels: Un autre qui contient les Amoureux propos du delaissement de toutes choses, pour vivre plus parfaitement, sur l'air d'une chanson dont le refrein est celui-ci: Il fait tout ce que défend l'Archevêque de Rouen. Il dit que ce livre se vend à Paris, chez Florentin Lambert ruë S. Jacques à l'image S. Paul, & enfin que c'est l'ouvrage d'un Iesuite: cela, Messieurs, ne vous surprend il pas?
J'ay déja remarqué, Messieurs, que les Jesuites pretendent étre des Apôtres; car ils disent que l'institution de leur Ordre est un renouvellement de College Apostolique, & que c'est pour cette raison, qu'ils s'appellent la Compagnie de Iesus, par ce que J. Christ avoit choisi les Apôtres, pour luy tenir Compagnie dans les voyages, qu'il faisoit dans la Judée, & le suivre par tout pour étre les [Page 191]temoins de ses miracles, & de sa Resurrection par tout le Monde. Quoy donc de plus choquant, que d'entendre dire, qu'il y a aujourdhuy des Apôtres Courtisants, des Apôtres Esclaves des Princes, des Apôtres Flatteurs des Grands, des Apôtres Galants, complaisans envers les Dames, & qui ont fait pour le Sexe une devotion toute de miel, & qui s'accorde merveilleusement bien avec le penchant des femmes pour les jeux, & tous les divertissemens du siccle?
Je ne sçay,Marchands. si vous pourrez ouir dire avec plus de patience, qu'il y a des Apôtres Marchands & Banquiers. Car je trouve pour moy, que c'est un renversement de l'institution des S. Apôtres, puis qu'au lieu que J. Christ prit des marchands de poissons pour en faire des Apôtres, on fait dans le rétablissement du College Apostolique, des Apôtres envoyez pour prêcher l'Evangile, des Banquiers & des Marchands. C'est la Profession, qu'ils exercent dans les Indes.Morale prat. 1 Vol, L'Auteur du Theatre Jesuitique, nous en fournit des preuves convaincantes. Ils voulurent, dit l'Auteur, se rendre Maitres, de toutes les voitures, dont on a besoin, pour porter les marchandises depuis [Page 192]Carthagene jusqu'à la Province de Quito; & il est certain, que s'ils fussent venus à bout de leur dessein, ils se seroient rendus Maitres de tout ce Païs-là. Les Marchands de Quito & du nouveau Royaume descendent à Carthagene pour acheter les Marchandises, qu'y aportent les Gallions d'Espagne, & ils y viênent dans des canots par la grande riviere de la Magdelaine. Les Jesuites, qui ont une banque publique à Carthagene & à Quito, jugeant, que s'ils avoient quelques canots, & quelques bêtes de charge, ils se rendroient Maitres de tout ce territoire, s'établirent sur le bord de ce grand fleuve, sous pretexte de confesser & dire la Messe à ceux qui demeurent dans les Magasins ou boutiques, dans lesquelles on serre les Marchandises, jusqu'à ce que l'on les vienne querir sur des mules, pour les porter plus avant dans le Païs. Ils s'introduifirent tout doucement dans les ports d' Onda & de Mompox, où sous le pretexte du service divin, ils batirent des maisons & des chapelles. Peu de tems apres ils batirent des magasins, & sollicitoient dés Quito les Marchands d'y desembarquer les marchandises, sous ombre qu'ils [Page 193]leur donnoient de l'argent à Carthagene, en change pour étre payez à Quito, & ainsi ils obtenoient ce qu'ils souhaittoient. Le profit qu'ils faisoient en cela, les mit en appetit pour entreprendre de plus grandes choses, afin de faire un plus grand gain. Ils acheterent quantité de mules pour voiturer les marchandises jusqu'au port de Barranca, où on les embarque dans des canots. Ceux qui avoient accoutumé de faire ces voitures, commencerent à reconnoitre le prejudice, que les Jesuites leur faisoient; mais comme ils n'avoient pas assés de credit, pour s'opposer à des ennemis si puissans, il les laissoient faire, les Maitres des Magasins & des voitures perdant tous les jours de plus en plus leur gain accoutumé.
Les Jesuites n'en demeurerent pas là neanmoins, ils entreprirent encore davantage, ils ôterent tout le profit à tous ceux qui trafiquoient pour cela, ils firent batir soixante canots dans la grande riviere, & un vaisseau à Carthagene, qu'ils envoyerent en Espagne, fournissant à la depense de l'Equipage, par l [...] profit des marchandises qu'ils y embarquerent: deplus ils donnerent ordre [Page 194]aux gens de ce Vaisseau de passer au retour d'Espagne à Angola, & s'y charger de Negres, pour servir à ramer dans leurs canots: ce dessein leur reüssit; car en moins d'un an le Vaisseau retourna à Carthagene chargé de six cent Esclaves. Ils en vendirent une partie & mirent le reste dans des canots. Par le plaisir qu'ils faisoient aux marchands en leur pretant de l'argent, ils les engageoient à se servir de leurs canots, & de leurs mules; en sorte que les Jesuites étoient fort satisfaits de ce que rien ne leur échappoit, ni par terre, ni par eau.
Le même Auteur nous fait une autre Histoire du traffic, que les Jesuites exercent dans les Indes d'Orient: ayant apris à Goa, qu'il y avoit à Cochin un Lac où l'on peschoient les perles, ils jugerent qu'il étoit bon de s'en rendre les Maitres: au commencement ils demanderent seulement aux Indiens, qu'ils leur vendissent les perles au même prix, & par preference aux Portugais. Les Portugais vinrent au tems, qu'ils avoient accoutumé de venir tous les ans, mais il n'y eut plus de perles pour eux, si bien qu'ils furent contraints de s'en retourner, perdant beaucoup sur les marchandises, [Page 195]qu'ils avoient apportées pour donner en échange, & n'y retournerent plus. Les Jesuites voyant que les Cochinois ne sçauroient plus à qui vendre leurs perles, les Portugais s'étant tout à fait retirez, ils se firent prier & obligerent les Indiens à diminuer le prix des perles, disant que les Portugais ne retournoient plus, par ce qu'ils n'avoient pas trouvé leur conte dans ce negoce, de sorte qu'enfin ces pauvres miserables donnerent, & eux & leurs perles à discretion à ces Apôtres Marchands.
Les voilà donc voituriers, Banquiers & Marchands aux Indes Occidentales, & mêmes Marchands d'Esclaves, puis qu'apres avoir achêté des Negres ils les vendirent. Les voilà Marchands des perles dans les Indes d'Orient: mais voilà un autre renversement de l'Institution des Apôtres; car J. Christ appellant les douze, il leur dit: je vous ferai pêcheurs d'hommes, au lieu que ces nouveaux Apôtres sont pêcheurs de perles. J. Christ envoyant les douze, les chargea de convertir les hommes par la predication de l'Evangile, au lieu que ces nouveaux Apôtres achetent les hommes, & les vendent: enfin J. Christ [Page 196]envoyant ses Apôtres, ne les chargea de faire la guerre qu'au vice, à l'erreur & à l'idolatrie; mais ces nouveaux Apôtres des Indes, font la guerre aux hommes mêmes ni plus ni moins que les Souverains. Car le même Auteur du Theatre ajoute: que l'Evêque de Cochin n'ayant pas pû obliger les Jesuites à abandonner la pesche des perles, dont ils avoient depossedé les pauvres Indiens, assembla quelques Espagnols & plusieurs Indiens, portant la croix de J. Christ dans ses étendars, il marcha vers le Lac, où les Jesuites l'attendoient avec une Armée plus nombreuse que la sienne, qui avoit le nom de Iesus dans ses drapeaux: & qu'il y eut bataille, dans laquelle les Jesuites furent battus sont ce là le marchand de la Parabole de l'Evangile, lequel cerchant de bonnes perles en trouve une de grand prix, pour l'aquisition de laquelle, il vend tout ce qu'il a pour l'acheter? Cela n'est il pas odieux? Cela n'est il pas scandaleux? Cela n'est il pas horrible?
Ce fut l'Avarice, qui porta Judas à se faire Marchand du sang de son Divin Maitre. C'est aussi l'Avarice, qui a porté les Apôtres nouveaux à profaner [Page 197]leur Caractere Jesuitique, en se faisans Marchands du Thé, du Quinquina, de Perles, & de Negres. Je pretens, Messieurs, vous faire voir que ce que S. Paul a dit en general de la passion des richesses, qu'elle est la racine de tous les maux, on est en droit de le dire en particulier de l'Avarice de ces Peres Reverends, par ce qu'il n'y a ni forfait, ni crime, ni excez, à quoy ils ne se portent, pour s'enrichir.
Battre de la Monoye est une occupation hônête, quand cela est pardonné ou permis par le Souverain; mais il n'est pas hônête, que des Apôtres demandent cette permission au Souverain, & moins encore d'exceder les bornes, qui ont été prescrittes par cette permission.Theatrum Jesuit. Or c'est ce que les Jesuites ont fait autrefois à Salamanque. Ils avoient obtenu permission du Roi Philippe III. de faire de la Monoye de la valeur d'un Million, afin de s'en servir à batir ce magnifique College, qu'ils ont fondé dans cette ville. Mais ils ne se contenterent pas d'un Million, ils en firent plus de trois, & les pieces de quatre maravedis étoient si petites, qu'on les appelloient communement, la Monoye des Jesuites. Ce [Page 198]qui est de plaisant, ajoute l'Auteur, est que si le Roi étant informé de leur insolence, ne les eut point empechez, ils auroient toûjours continué, & jusqu'au jour du Jugement ils auroient toûjours fabriqué à bon conte de ces millions. De là vint cette abondance de Monoye en Espagne, & qu'on fut obligé de la rabaisser plusieurs fois, ce qui causa beaucoup de perte à tout le Royaume.
Ils font bien pis, puis qu'ils se mêlent de faire la fausse Monoye.Faux Monoyeux. J'avouë que pour le present je ne puis alleguer d'autre Auteur que leur P. Jarrige, contre le temoignage duquel ils opposeront pour l'infirmer, que Jarrige a revoqué par une retractation publique tout ce qu'il a avancé dans son Jesuite sur léchaffaud. Mais l'air dont il fait le recit de ce qui se passa à Engoulesme, fera que tout Lecteur, qui sera un peu judicieux, & non preoccupé, jugera que si l'Auteur a menti dans l'un des deux ouvrages, il a commis ce forfait dans la retractation, plûtôt que dans le livre qu'il retracte, veu sur tout qu'il a été forcé de se retracter d'un livre, qu'il avoit fait avec une parfaite liberté: voicy donc le recit de Jarrige.
L'Année 1641. il y avoit dans le College d'Engoulesme un Predicateur Jesuite nommé Cluniac, & un Regent de la seconde Classe nommé Marsan, qui ayant trouvé les vieilles caves, qui sont sous la quatriême & troisiême, qui sont tres favorables à leur dessein, se levoient la nuit, quand leurs freres étoient dans le premier sommeil, & passans par une fenêtre du Refutoire descendoient dans la cour, de là se ghssoient dans la cinquiême Classe, & d'une fenêtre encore, qui regarde sur un Jardin, entroient par une mêchante porte, dans ces lieux souterrains, & là ils faisoient la fausse mônoye fort secretement. Qui des Engoumois eut pensé, que lors que les Cordeliers, & les Capucins vont à Matines sur la minuit, pour prier nôtre Seigneur, deux Jesuites eussent été dans ces caves delaissées, au milieu de leur ville, pour une occupation, qui interesse si fort le public, & qui fait pendre & brusler les ouvriers? Ce crime n'est pas nouveau parmi eux. Mais quoy qu'ils ayent des pendus dans leur Ordre, pour toute sorte de crimes, ils n'ont point encore de Martyrs pour avoir fait la fausse Mônoye; si la Justice leur fait [Page 200]droit, ils en pourront bien-tôt ajouter la leur Martyrologe.
Il m'est avis qu'en une accusation si atroce & de telle importance vous demandez, comment ce forfait a été découvert: quelques Regens s'étant aperceus, que ces deux Jesuites susnommez, employoient un certain grand Ecolier, à preparer dans son logis certains materiaux, & à les faire bouillir jusques à tant qu'ils étoient diminuez de la moitié, ils soubçonnerent premierement, qu'ils faisoient l'Alchimie, & du depuis ayant veu entre les mains du P. Marsan un petit lingot d'argent, & des pieces arrondies, & non encore marquées, ils furent convaincus qu'ils étoient coupables, de les marquer au coin du Roi. Ajoutez à cela que le Pere Becherel Coadjuteur de leur Compagnie, trouva que le P. Cluniac avoit passé tout un jour dans l'Abaye de la Couronne, à tirer les figures de diverses pieces d'argent dans le sable, & l'un & l'autre furent trouvez saisis de plusieurs pieces toutes neuves, semblables à celles, qui ne font que sortir du moule.
Je vous suplie de noter, que je ne marque pas icy simplement des conjectures [Page 201]suffisantes, pour mettre des criminels à la Gesne; mais des preuves certaines, & convainquantes pour faire & parfaire le procez à des Barons & à des Marquis, s'ils étoient prevenus de pareil crime. L'Ecolier du travail & de la simplicité duquel ils abusoient pour preparer les matieres, étoit un jeune homme nommé Ville neuve, natif de la Rochefoucand, & étudioit alors à la seconde Classe 1641. Celuy qui fut le principal instrument pour eventer l'affaire, & qui les défera au P. Pitard alors Provincial, fut un Michel Brunet lors Regent du Cinquiême College d'Engoulesme, & aujourdhuy Conseiller du Roi au Siege Presidial de la Rochelle, qu'on nomme autrement Monsieur de Bonsay, le quel ne pouvant soufrir un crime de cette nature en des gens, qui font profession de vertu, jugea le devoir reveler en conscience. Ce personnage est trop homme d'honneur, pour refuser de donner témoignage à la verité, supposant qu'il soit interrogé juridiquement & devant Dieu. Mr. Guilhen, qui étoit Regent du troisiême, me fit voir, & à plusieurs autres le charbon & les linges, que ces faux mônoyeurs tenoient [Page 202]cachez sur la seconde Classe, ayant pour cet effet decloué un air du plancher. Etiêne du Noyer lors Recteur, & Bertrand Valade deterrerent les instrumens, comme marteaux, souflets & autres utensiles, qu'ils avoient enfouis dans la terre, afin d'ensevelir un crime, que Dieu a voulu ressusciter à la confusion d'un corps, qui ordonne les penitences pour avoir parlé le soir aprez les Litanies, & nourrit dans son sein des faux Monoyeurs.
La fausse Monoye n'est pas le seul excés, ou l'Avarice a porté ces R. R. Peres: vous allez voir, Messieurs, d'autres excez qu'ils ont commis pour enlever les biens des autres Religieux.Les faits suivans se trouvent dans deux ouvrages intitulez l'un Astrum in extinctum. l'autre. Ferdinand 2 aprez la bataille de Prague fit un Edit general, par lequel il ordonna, que toutes les Abayes & autres biens Eclesiastiques, qui avoient été usurpez sur les Catholiques par les Protestans, seroient rendus à ceux, à qui ils appartenoient selon les fondations. Les Jesuites chagrins de ce qu'ils n'avoient point de part à cette restitution, qui se faisoit aux Anciens Ordres, delibererent pour trouver quelque moyen de s'enrichir du bien d'autruy, & enlever [Page 203]quelqu'une de ces Abayes.Hortus Crusianas. Ils se servirent pour cet effet selon leur maniere d'agir ordinaire, du credit que le P. Lamorman avoit à la Cour de l'Empereur Ferdinand, dont il étoit Confesseur. Ce Jesuite animé par ses confreres, s'avisa de faire de grandes instances envers deux Abbez, l'un de S. Benoist, & l'autre de Cisteaux, Deputez de leurs Ordres, pour presser l'execution de l'Edit de l'Empereur, voulant leur persuader de quitter à la Societé toutes les Abayes de Filles,Avarice. que les Protestans devoient rendre, & quelques unes des moins celebres d'entre les Abayes d'hommes. Et quoy que ces Abbez, qui n'avoient pas même pouvoir de consentir à une demande si injuste contre leur propre conscience, se fussent contentez de luy faire quelques compliments en general, luy témoignant, que hors cet interêt de leur Ordre, ils le serviroient autant qu'ils pourroient, le P. Lamorman les voyant partir de la Cour supposa aussi-tôt, que ces deux Abbez avoient cedé volontairement ces Abayes à leur Compagnie, & sur ce Mensonge, dont il a été convaincu depuis par des actes publics & authentiques, il presenta [Page 204]luy même un Memoire à l'Empereur, dans lequel il demandoit, qu'en suite de cette cession volontaire de ces deux Abbez, sa Majesté Imperiale envoyât des Commissaires en diverses Provinces de l'Empire, pour mettre la Societé en possession de ces Abayes: ce qui fut executé. Les Abbez protesterent solemnelement contre cette insigne supposition, & par les lettres qu'ils en écrivirent au P. Lamorman, & par des actes publics, soutenant qu'ils n'avoient pas même pensé à promettre de consentir à cette translation de leurs Abayes à la Societé des Jesuites, comme aussi n'en avoient ils aucun pouvoir. Et un celebre Abbé Benedictin, qui étoit du Conseil de l'Empereur, & qui en ce tems-là fut créé Evêque & Prince de Vienne, ayant été pris pour témoin par le Pere Lamorman, il declara tout le contraire, air si qu'il est justifié par un écrit rapporté par le P. Hay.
A ce premier excéz ils en ajousterent un autre pour soutenir leur premiere usurpation: ils attaquerent de front l'Edit même de l'Empereur, & le droit des Anciens Ordres. C'est ce qu'ils firent par deux Ecrits, dans lesquels les [Page 205]Instructions de l'empecher à son Ambassadeur à Rome, conformes à son Edit déja executé en plusieurs Abayes, dont les Benedictins & autres étoient en possession, étoient deshonorées comme contenant des choses contraires a la verité, & aux Saints Canons, & a l'immunité Eclesiastique: & l'Empereur étoit accusé luy même d'avoir excedé son pouvoir dans la restitution de ces Abayes aux Anciens Ordres.
Ce second excez fut suivi d'un troisiême; quoy que ces Abayes eussent été adjugees aux Ordres Religieux par un Edit de l'Empereur aprouvé du Pape, les Jesuites s'élevant au dessus & du Pape & de l'Empereur, ne craignirent point de publier, que cette affaire étoit du nombre de celles, dont on devoit dire, qu'il y a plusieurs choses qu'on soufre par tolerance, lesquelles si on les mettoit en jugement, on ne devroit pas tolerer selon les regles de la justice, voulant faire à croire, que le rétablissement, qui avoit été fait des Religieux dans les Abayes, c'est à dire, la simple execution du droit des gens, & de la nature étoit un Abus intolerable, & qu'au contraire la plus injuste usurpation, qu'ils vouloient faire du bien d'autruy, & qu'ils devoroient par esperance, [Page 206]étoit le vray droit & la vraye justice.
Ce troisiême excez fut suivi d'un quatriême: quoy qu'il n'y eut rien de plus formel, & de plus expres que l'Edit de l'Empereur en faveur des Ordres Religieux, les Jesuites répondent avec une Impudence, qui ne se pourroit concevoir, si elle n'étoit ordinaire à leur Compagnie, qu'il ne se trouvoit pas un seul mot dans l'Edit de sa Majesté Imperiale, qui marquât, que les Abayes dûssent étre restituées aux Ordres pour lesquels elles avoient été fondées.
Pour soutenir ce quatriême excez, ils en commirent un cinquiême, qui se pourroit appeller une extravaguance, s'il eut été commis par d'autres, que par des Jesuites; car cette extravaguance, ce n'est autre chose qu'une Impudence outrée, & plus qu'humaine: ils répondirent donc d'une maniere, qui rendoit l'Empereur ridicule dans son Edit, sçavoir, que ce Prince vouloit qu'on rendit ces Abayes aux mêmes personnes individuelles, aux quelles elles avoient appartenu, avant qu'elles eussent été occupées par les Heretiques, il y avoit 80 ans: c'est à dire, que l'Empereur avoit envoyé ses Commissaires, pour rendre ces Abbayes à des personnes [Page 207]mortes & enterrées, il y avoit 40 & 50 ans, & non pour les rendre aux Religieux de ces Ordres, qui ne meurent point.
Tous ces excez furent soutenus, je ne sçay par combien d'Impostures. Car si les Benedictins opposoient aux Jesuites, que l'Empereur avoit expressement ordonné par son Edit, que les Fondations des Abayes seroient conservées, & qu'on en pourvoiroit des personnes propres selon la fondation, legitimement appellées & qualifiées. Les Jesuites répondoient, que cela étoit vray, mais qu'on ne pouvoit pas montrer qu'eux P. de la Societé ne fussent des Personnes legitimement appellées, & qualifiées selon les Fondations de ces Abayes, lors que le Pape avec le consentement de sa Majesté Imperiale les leur avoit données. Mais il ne s'agissoit pas de sçavoir si les Peres de la Societé étoient legitimement appellez par la donnation qu'ils avoient surprise dans le Conseil Imperial, il s'agissoit de sçavoir si ces Abayes avoient été fondées pour les Jesuites 7 ou 8 cent ans, avant que les Jesuites ne vinsent au monde.
Si les Benedictins leur opposoient, que ces Abayes avoient été établies pour des Moines, & qu'il est ordonné par le droit Canonique, [Page 208]que les Monasteres demeurent toûjours Monasteres. Les Jesuites répondoient, que dans les choses favorables, (telles qu'étoient de s'accommoder des biens des Moines,) les Jesuites etoient compris sous le nom de Moines. Vous remarquerez cependant, s'il vous plait que les Jesuites reprochent à Aurichus, comme une erreur de vouloir que Religieux & Moine soit la même chose: si bien qu'en France, lors qu'il n'y a rien à gagner, c'est une erreur digne de censure de prendre les Jesuites pour des Moines: mais en Alemagne, lors qu'il y avoit des Abayes de Moines à enlever, c'étoit une erreur digne de censure, de ne prendre pas les Jesuites pour des Moines.
Si les Benedictins leur opposoient, que les Papes, par les Concordats faits avec la nation Germanique, s'étoient obligéz de conserver chacun dans ses droits, & dans ses biens, & que même le P. Filiutius Jesuite soutenoit, que les Papes étoient obligez a cela par la Loi divine & naturelle. Les Jesuites répondoient, que le Pape ne pouvoit pas ordinairement deroger aux Concordats, mais qu'il le pouvoit extraordinairement, pour le bien public de l'Eglise, lors que la necessité le demandoit; c'est à dire, lors qu'il s'agissoit d'établir [Page] [Page] [Page 209]de grands, & riches Colleges pour les Jesuites, pour la plus grande gloire de Dieu.
Si les Benedictins opposoient, que l'Empereur étoit obligé, par le serment, qu'il avoit fait venant à l'Empire, & comme le supreme protecteur des Eglises, de conserver les anciens Ordres dans leurs droits, & dans leurs biens: & que l'Empereur luy même avoit declaré, & confirmé de nouveau par son Edit particulier donné en faveur des Benedictins le 28 Mars 1629. les Jesuites répondoient, que cela étoit vray, mais par une illusion, qui autorisoit le parjure d'un Prince, ils ajoutoient, que l'Empereur étant devenu fondateur, & Maitre de ces Abayes, à cause des frais de la Guerre, & devant même étre consideré comme achêteur, les Ordres Religieux luy devoient cette reconnoissance, de luy en laisser la disposition libre, & de n'y prétendre plus rien, de peur de se rendre coupables d'ingratitude envers sa Majesté Imperiale.
Si les Benedictins leur opposoient, que trois Jesuites (dont le P. Lamorman même Confesseur de l'Empereur étoit un.) étant consultez touchant une Abaye, qui avoit été long tems en la possession des Heretiques, [Page 210]ques, où d'autres personnes seculieres, que l'Archevêque de Prague Cardinal, vouloit se faire donner par l'Empereur, avoient répondu par écrit, que cela ne se pouvoit en Conscience, & que cette Abaye Benedictine devoit étre rendue à l'Ordre de S. Benoist. Les Jesuites répondoient, que ces trois Jesuites avoient changé d'avis. Car ces excellens Casuistes ont ce rare privilege, de changer de sentiment & de Conscience, quand il arrive quelque occasion, où ce changement leur est utile & avantageux.
Quand les Benedictins leur reprocherent, que tout le trouble, qu'on leur avoit suscité, pour leur ravir ces Abayes contre l'Edit de l'Empereur, ne venoit que de leur Pere Lamorman, qui avoit osé écrire à sa Majesté Imperiale, que son Edit, & ses inflructions données à son Ambassadeur, contenoient des choses, qui ne s'accordoient pas avec les Principes de la foy Catholique; & qu'il étoit à propos que sa Majesté nommât quelques personnes, qui examinassent de nouveau toute cette affaire avec luy son Confesseur. Les Jesuites repondirent, que le prudent, sage, & devot Lecteur, remarquera sans doute, ayant bien consideré toutes choses, que le Confesseur ne s'est point precipité dans une si grande affaire, mais qu'il a long tems deliberé comment il apporteroit [Page 211]remede, à ce mal (ce mal étoit que toutes ces Abayes fussent renduës chacune à son Ordre, sans que les Jesuites y eussent aucune part) & qu'il avoueroit, que le Pere Lamorman avoit bien agi, & qu'il ne devoit point agir autrement; & que s'il n'eut pas averti sa Majesté Imperiale, il auroit merité reprehension, comme ne s'étant pas acquité du devoir d'un bon Confesseur, selon la lumiere de la raison naturelle, & les regles de nôtre Societé. De là vous voyez bien, ce qu'il faut conclurre.
Ne le. voyez vous pas Messieurs? il n'y à rien de si evident. C'est premierement, que le devoir d'un Confesseur Jesuite est, d'empecher, que chacun n'ait le sien. 2. Que la lumiere naturelle demande, que ce qui est injuste passe pour juste. Et en 3 lieu, que les regles de la Societé portent, que pour l'enrichir, il est permis de tout faire jusqu'à se jouer des Edits les plus solemnels des Souverains.
Voilà bien des Exces, que l'Avarice a fait commettre aux P. P. R. R. mais vous n'avez remarqué en tout cela, que des fourberies, des faussetez & des Impudences pour attraper les Abbayes des Benedictins.
Quand il faut employer la violence & la vive force, ces bons Peres n'ont garde d'y manquer, pour ne perdre pas les biens, qui ont emeu leur convoitise. Il y a dans la basse Saxe une Abaye, qui appartenoit à l'Ordre des Bernardines. C'est l'Abaye de Voltigerode. Les Commissaires de l'Empereur les en mirent en possession, en execution de l'Edit de l'année 1629. Les Jesuites eurent le credit par le moyen du P. Lamorman, d'obtenir de l'Empereur une commission, qui leur en accordoit la possession: pour executer leur entreprise heureusement, ils tenterent la voye de la douceur premierement, c'est à dire la fourberie: car ils persuaderent les Religieuses de se retirer dans une ville voisine, pour y étre en sûreté contre les courses des Soldats. Ensuite de quoy les Jesuites, s'étant emparez de l'Abaye, les Filles trouverent moyen d'y rentrer secretement: les Peres fâchez de leur retour, tenterent de les faire sortir, soit par promesses, soit par menaces, resolus de les faire mourir de faim; ce qui seroit arrivé sans quelques païsanes voisines, qui par compassion leur aportoient en cachete du lait: mais voyant que tout cela [Page 213]ne pouvoit pas les obliger à se retirer, ils en vinrent à la violence. Pour cet effet la veille des Rameaux, ils firent venir des Soldats, qui les entrainerent hors de l'Église, & d'auprez de l'Autel, où elles s'étoient retranchées: elles firent des cris: il faut penser de quoy des Filles outrées de depit, & qui ont de la fermeté, sont capables en matiere de lamentations & de gemissemens. Un Pere Benedictin apres avoir fait ce recit y fait cette reflection & cette doleance: Autrefois dans la vieille loi, les criminels, Le P. Hay. qui s'enfuyoient dans le temple, lequel n'étoit purifié que par le sang des boucs & des veaux, trouvoient leur sûreté dans cet asyle, s'ils pouvoient prendre la corne de l'Autel. Et aujourdhuy dans la loi nouvelle, les Peres de la Societé ne font point de Conscience de se servir des Sergeans & des Soldats, pour s'emparer avec Insolence des Temples dediez au Dieu vivant, consacrez par les redoutables mysteres de J. Christ, & d'en arracher par force d'Innocentes Religieuses. Quelle honte! Quelle infamie! Le bon endroit de l'Histoire est que les Jesuites ne jouirent pas long tems de l'Abaye usurpée: car l'Abbé de Cesarée ayant poursuivi aupres de l'Empereur le rétablissement de ces Religieuses, il obtint [Page 214]un arrêt authentique, lequel il fit executer, & contraindre les Jesuites de degrepir comme on parle, c'est à dire, de rendre l'Abaye à qui elle appartenoit.
Il faut voir l'Histoire celebre de l'enorme tromperie faitte par le Recteur des Jesuites de Mets, aux Religieuses Ursulines, dans la vente d'une maison pour leur nouvel établissement dans cette même ville, confirmée par l'arrêt du Parlement rendu l'année 1661. où l'on void les Equivôques, les mensonges, le dol & la fourberie mis en pratique par ce Recteur à l'egard de ces Religieuses, dont il étoit Directeur Spirituel & Temporel.
Il faut voir l'Histoire de la fameuse banqueroute de Seville, faite par les Jesuites de plus de quatre cent cinquante mille ducats, dont un grand nombre de personnes, & même de familles entieres ont été entierement ruinées, comme elle se trouve inserée dans le livre Espagnol intitulé le. Theatre Jesuitique, pour faire comprendre, qu'il n'y a ni hôneur, ni charité, ni humanité, mais une dureté d'ame, & une cruauté infinie dans cette Societé, quand il s'agit d'une occasion trouvée pour amasser des richesses. [Page 215]Ce sont des Histoires trop diffuses: si quelcun les veut voir dans leur étenduë, pour voir en même tems jusques où l'Avarice des Jesuites pousse leur insatiable avidité, il peut se satisfaire en lisant le 1. Volume de la Morale pratique des Jesuites, qui est un livre, qui se trouve partout.
Je veux vous reciter deux faits, qui ne laissent pas d'étre dignes de foy, pour n'étre pas couchez dans l'Histoire. Le premier s'est passé dans la ville de Lion: on donna au commencement dans cette ville une fort petite maison aux Jesuites, mais elle ne fut pas plûtôt achevée, que la trouvant trop petite pour eux, ils y mirent eux mêmes le feu, qui ne brûla pas seulement la leur, mais aussi celles qui étoient voisines, & qui formoient une grande Isie, laquelle faisoit face à quatre ruës, de sorte qu'apres cet incendie, voyant une belle & grande place, dont ils avoient envie, ils la demanderent au Gouverneur, & aux Magistrats de la Ville; lesquels se trouvant disposez à les favoriser, la leur accorderent, c'est là qu'ils ont fait batir une des plus superbes maisons, qu'ils ayent en France. Et comme ils en sont redevables [Page 216]au feu, ils ont bien voulu, que la posterité sceut, qu'ils ne sont pas ingrats; car on void dans un des tableaux de la Cour, où leur maison est depeinte, cette devise en Italien; Dopo il fuoco piu bella; mais ils pouvoient ajouter, qu'elle étoit aussi plus Riche & mieux rentée, puis qu'il est certain, que depuis l'incendie, ils obtinrent sous pretexte du dedommagement, que cet accident funeste leur avoit causé, un droit, qui s'appelle subvention, lequel se prend à la douane sur toutes les marchandises, & lequel a continué depuis comme un droit inalienable. La tradition porte, qu'ils mirent eux mêmes le feu à leur premiere maison, pour en avoir une plus grande à meilleur marché, par ce qu'autrement il leur auroit fallu acheter les maisous voisines, dont l'incendie les exempta: ce qui n'accommoda pas les particuliers, comme chacun se le peut imaginer; mais c'est bien de quoy ces Peres Spirituels & celestes se mettent en peine.
Ils en firent autant pour leur maison [Page 217]professe de Bordeaux, laquelle ils brulerent eux mêmes avec celles de leurs voisins, de quoy on étoit si generalement persuadé, qu'on appelloit communement le feu, qui les consuma un feu d'artifice. En effet ils ne perdirent rien dans cet accident, ils y gagnerent, les habitans les ayant dedommagez par les liberalitez, qu'ils leur firent. Toute la perte fut pour les voisins, dont quelques uns furent entierement ruinez.
L'Autre fait est, que le Prieuré de S. Macaire auprez de Bordeaux, ne portoit que cinq cent écus de revenu, avant que les Jesuites ne l'eussent; mais qui depuis qu'ils l'ont, vaut douze ou quatorze mille livres de bonne rente. Il faut avouer, que les Peres sont de grands oeconomes, qu'ils ont un levain d'une grande vertu, & qui enfle la pate prodigieusement: mais croyez moy, c'est Le levain de malice dont parle S. Paul. Ils n'ont pû faire monter si haut le revenu de leur Prieuré, sans avoir saccagé & ruiné plusieurs familles, sans avoir reduit les veuves à l'aumosne, & les orphelins à l'Hôpital. Il n'est pas tems encore neanmoins de s'écrier.
L'Avarice des Jesuites est une Avarice cruelle,Avarice inhumaine. barbare, inhumaine, qui ne fait cartier à personne, & qui fait bon marché du sang humain. Lors qu'ils trouvent une occasion d'augmenter les rentes de la Societé, ils n'ont aucun respect, ni d'âge, ni de sexe, ni de Religion. Dans le Japon ils ont persecuté les Dominicains & les Cordeliers, & y ont allumé des guerres, où ils ont fait perir des Payens & des Chrêtiens en grand nombre, & cela pour un interêt temporel, & des raisons prises de leur commerce. Ils ne le pardonnent pas à un des leurs, s'il luy arrive de detourner par sa negligence ou autrement les biens, qu'il pouvoit faire venir à la Societé. Ils sont persuadez, qu'il n'y a personne au monde, qui merite si bien qu'eux les heritages, & les leg [...] testamentaires. Le fondement de cette vaine persuasion, & de cette pretention folle, est une Maxime detestable, laquelle se trouve dans le dernier Paragraphe de leurs avis secrets, que toute l'Eglise militante jointe ensemble [Page 219]ne fait pas de si grands biens par tous les Ordres Religieux, comme ils en font eux seuls.
C'est pourquoy ils s'introduisent par tout pour se procurer des donations, & ils chatient severement ceux, qui ne travaillent pas à cela, les considerant comme des destructeurs de la Societé. l'Auteur du Theatre Jesuitique nous fournit de cela une preuve convainquante dans une Histoire arrivée à Madrid. Une Femme riche & malade fut sollicitée, par un Jesuite son Confesseur de faire testament en faveur des Jesuites, sans y faire mention de ses Parens proche, puis que c'étoit des Neveux. Cette Femme se laisse gagner: le Testament se fait: le Confesseur s'en retourne à la maison pleine de Joye & d'Esperance, qu'il seroit recompensé pour le service signalé, qu'il venoit de rendre à la Compagnie; puis qu'il luy avoit procuré une grande succession. Par malheur un autre Jesuite d'une naissance illustre, touché de l'injustice, qu'on faisoit aux proches Parens de la Malade, s'en va la trouver pour défaire ce que l'autre avoit fait. Il y va avec Notaire, il luy fait faire un autre Testament, qui revôque le premier, & par lequel elle donne tous ses [Page 220]biens à ses neveux. La Femme meurt, le Confesseur se met en possession de la maison & de tous les biens: mais les Parens s'étant presentez avec un Testament, qui revoquoit l'autre, le Jesuite fut confus, & contraint de quitter la place. Mais le Jesuite Auteur de ce dernier Testament en paya la façon. Les Jesuites le regarderent comme coupable de haute trahison, & mirent le lendemain sous la serviete un billet, par lequel ils luy ordonnoient de se retirer, par ce que la Compagnie n'avoit pas besoin de luy. Il alla se jêter aux pieds du Roy, au quel il conta toute l'Histoire, & le Roi le prit en sa protection contre la fureur des Jesuites. L'Auteur de cette Histoire ajoute, que ce Jesuite, qui fut chassé, avoit un exemple Domestique en la personne du P. Ximinez, que les Jesuites de Madrid firent mourir l'an 1633. par ce qu'étant Confesseur d'une veuve, il ne luy avoit pas conseillé de leur donner tout son bien. Il faut bien, que l'Avarice de ces Peres soit extraordinairement inhumaine, puis qu'elle exclud de leur Compagnie, ceux qui ont quelques restes d'équité & de pudeur, & qu'il n'y va pas de moins que de la vie, si l'on perd l'occasion de faire venir à eux le bien d'autruy.
Ceux qui connoissent Bordeaux, sçavent que sur la grande rue des fossez non loin de la maison de ville, il y a un Hôpital, destiné pour recevoir les Pelerins de S. Jâques, & pour recueillir, nourrir & élever les enfans exposez, & qu'on appelle vulgairement à Paris les Enfants trouvez. Cet Hôpital est d'un revenu tres considerable, & a été donné aux Jesuites avec toutes ses charges, en sorte qu'ils ne peuvent refuser justement la nouriture à ces malheureux enfants, non plus que le couvert, & les aumones ordonnées aux Pelerins. Les Magistrats de la ville, qu'on appelle Jurats, sont obligez de voir de quelle façon les Hôpitaux sont gouvernez. Je ne sçay s'ils ont encore examiné, où sont ces enfans trouvez, qui sont en grand nombre, qui les nourrit, comment ils sont nourris, jusqu'à quel âge, de quoy ils deviênent, les filles, lors qu'elles sont nubiles, & les garçons, quand ils sont capables de quelque art ou métier. Il y a grande apparence qu'ils s'en remettent à la bonne foy, & à la charité des R. R. P. P. mais étant avares, avides, & insatiables, comme toute la terre sçait, il est aisé de penser, [Page 222]qu'ayant les moyens non seulement de griveller sur les revenus destinez aux enfans trouvez, mais aussi de s'en dépecher sans bruit, ils ne manquent pas de le faire. Dire précisément les divers moyens, qu'ils tiênent pour faire perir ces pauvres innocens, est une chose, qui n'est pas aisée; car comme ces crimes sont monstrueux, aussi les voyes de les commettre sont aussi diverses qu'elles sont cachées, & n'en fient la connoissance qu'à ceux de la Compagnie, qu'ils sont bien assurez étre capables de garder le secret.
Si là dessus je vous allegue pour témoin le Jesuite Jarrige, je sçay qu'on m'opposera la retractation, qu'il a faite de son livre, mais je répondrai aussi, comme je l'ay déja fait sur l'Article de la fausse mônoye, que le livre est d'un caractere bien different de celuy de la retractation, puis que le livre est l'ouvrage d'un Esprit libre, au lieu que la retractation est la production d'un Esprit forcé, par une Compagnie, qui fait mourir sans pitié, aussi bien que sans scrupule ceux qui luy sont rebelles. Je dirai encore avec l'Auteur de la Morale pratique, que le Livre du Pere Jarrige ne peut pas [Page 223]étre rejetté comme suspect.Preface du 1 Vol. Il est vrai dit l'Auteur, que Jarrige le fit pendant fon Apostasie; mais il est remarquable, qu'étant depuis retourné à l'Eglise, & ayant publié chez les Jesuites même d'Anvers les causes de son retour, & parlé au long de ce livre; il s'accuse bien luy même d'y avoir apporté trop de chaleur, mais il ne desavouë en particulier aucune des Histoires scandaleuses, qu'il y a rapportées: ce qui est une preuve indubitable de leur verité, puis que les Jesuites n'auroient pû luy donner l'absolution, d'avoir avancé contr'eux tant de calomnies, sans l'obliger à en reconnoitre publiquement la fausseté, si les faits qu'il avoit rapportez n'avoient pas été veritables. Je dirai de plus, que son temoignage est trop bien circonstancié, pour y avoir lieu de le soubçonner de fausseté. Je n'ay jamais eté employé qu'une fois, dit-il, pour donner sepulture a un de ces enfans. Car pour cacher le mal & ôter tout soubçon, un Prêtre revêtu d'un surplis, & d'une étole les ensevelit avec les ceremonies ordinaires. Mais je depose en Conscience, & aux pieds de J. Christ, que je vis cette fois-la le petit suaire de ce mort sanglant, & m'étant informé, attendris de compassion, d'ou venoit que [Page 224]ce petit corps, qui rendoit du sang: un certain Huguet Maitre Cordonnier, qui étoit leur Hospitalier, & qui assistoit à la ceremonie, avec un frere lay nommé Philolau me répondit, que la Femme, qui le nourrissoit, & qui étoit corrigée de ses debauches depuis peu de jours, ayant voulu resister vertueusement à des frippons, qui en vouloient abuser, Pirritation de se voir rebutez, avoit été si grande, qu'ils en étoient venus à cette fureur, que de rompre les Jambes à cette creature, pour se vanger du refus de la nourrice. Cette réponse ne me contenta pas, dit ce Jesuite (en effet il faudroit étre bien simple, pour s'en contenter & bien aveugle pour n'entrevoir pas au travers plus d'une demi preuve du crime) car apres avoir rendu les derniers hôneurs à ce petit Chrêtien, j'allay trouver François Irat, Recteur du College, & luy racontay fidelement, ce que je venois de voir de mes yeux, ajoutant, que le Procureur Syndic étoit obligé en conscience d'informer de ce crime, & poursuivre en justice le coupable du meurtre commis en la personne d'un Enfant trouvé, du quel nous devions rendre conte; ce Pere Recteur me répondit à peu prez: Nous aurions trop à faire. Cet enfant est en Paradis, & ne requiert pas que l'argent du College soit employé, pour le vanger d'un forfait, qui l'a tiré de la misere. [Page 225]J'avois fait trop de bruit pour étre appellé une seconde fois à un pareil service, je parlois trop haut, on défendit au Frere de m'appeller plus, ils employerent ensuite pour ce ministere, un vieillard nommé Ignace Lentillac, qui depuis est mort d'Apoplexie.
Ce témoignage, Messieurs, ne vous paroit il pas étre trop bien circonstancié, & avoir un air de naiveté trop grand pour le revôquer en doute, quoy qu'en general le livre où il est porté ait été retracté par son Auteur? mais ayez patience, je vous prie, pour ouir la reflection, qu'il fait sur son recit: Ce que je viens de dire, dit-il, est à peser, & il n'est point de Bourgeois zelé & de bon sens, qni ne crie, que les Magistrats sont obligez de voir ce qui se passe dans la conduite de cet Hôpital. J'ose bien promettre, que si la justice fait les perquisitions & les examens requis en une affaire de cette consequence, il se trouvera que de trente innocens, qui sont receus dans cette maison, il n'en reste pas trois au bout de l'an, qui soient en vie. J'appelle icy la bonne conscience, si sans une mortalité generale, tant d'enfans peuvent perir, sans étre ou tuez cruellement, ou aidez à mourir par quelque secrete voye, qui les faisant languir quelques jours les ôte du monde. Ce qui doit étre consideré est, que ces enfans trouvez [Page 226]ont evitéle peril de la mort aux couches de leur Mere, & si quelques uns d'eux agonizoient, on ne les exposeroit pas dans la rue, on laisseroit faire la nature. Et je ne sçay pas, qu'il s'en soit trouvé de morts. Les cris perçans de plusieurs, qui eveillent ceux qui ont leurs cellules dans la rue, montrent clairement, qu'ils sont vigoureux. Les drapeaux dans les quels on les trouves proprement envelopez, leur nom écrit pendu au col, où du sel s'il n'ont pas été baptizez; & les autres petit soins, que les Peres & les Meres, ont apporté, pour les ajuster, declarent assez, qu encore qu'ils les abandonnent, ils croyent les mêtre en assùrance dans une bonne maison. D'où vient donc qu'ils meurent en si grand nombre, & qu'aujourdhuy les Jesuites, si on les recherche, n'en puissent montrer quasipas un, si ce n'est par hazard quelcun de ceux, qui ont envoyé de l'argent par un fidele Mediateur au Procureur, ou au Frere Philolau, & les ont fait prier en secret de recueillir, l'enfant qu'on apporteroit avec telles marques. Car ceux-cy voulant simplement cacher leurs amours, & sauver l'hôneur des filles, qu'ils ont debauchées, s'offrent d'entretenir de toutes les choses necessaires le fruict de leurs entrailles.
Vous voyez bien, Messieurs, que ceux qui envoyent de l'argent pour [Page 227]l'entretien de ces enfans, ne se fient pas en la charité des Jesuites, & que s'ils ne les soubçonnoient pas étre capables de faire mourir ces creatures, ils n'useroient pas de cette precaution. En effet, Jarrige remarque, que l'un des moyens, dont ces Peres avides & cruels se servent pour ôter du monde ces innocents est, de choisir des Femmes tres pauvres, qui étant obligées par la pauvreté de chercher de l'argent, prênent le soin de nourrir ces enfans à tres bas prix, si bien qu'il faut, ou que les enfans, ou que les nourrices meurent: d'où il arrive, qu'on void à quêque tems de là, que par faute de nourriture, le front de ces malheureux se charge de terre, leurs yeux s'enfoncent, leurs jouës s'avalent, les os leur percent la peau, & un matin les nourrices les aportent roides morts, secs comme des squeletes. Un autre moyen de s'en défaire, selon le même Auteur, est de les donner à des Coquines, demi pourries de Verole, afin que ces pauvres innocens succent du poisoin plutôt que du lait: outre qu'apres les avoir laissez long tems crier, sur le pavé, ou dans la Niche sans les recueillir, ils pourvoient si tard [Page 228]à les faire allaiter par quelque Femme charitable, qu'il est aisé de conjecturer, voire d'affirmer, qu'ils ont plus de volonté de les faire mourir, que de les assister.
Enfin le même Auteur remarque une circonstance, qui me semble bien digne de vous étre raportée: c'est que ces R. R. P. P. ont fait evôquer les causes de cet Hôpital, au Parlement de Grenoble, pourquoy cela je vous prie? c'est sans doute premierement, pour se soutraire de la Jurisdiction du Parlement de Bordeaux, ce qui seroit trop commode à leurs parties: & en 2 lieu, pour saigner plus copieusement les bourses, de ceux qui sont soubçonnez ou convaincus d'avoir exposé les enfans. Car la crainte de faire un long voyage avec de grands frais, oblige les coupables, ou les accusez de se redimer par argent. A cela il ajoute qu'il avoit oui dire à Philolau, qui menageoit alors ces affaires, qu'il avoit receu plus d'argent depuis un an, que les causes étoient evôquées à Grenoble, qu'il n'en avoit receu en vingt auparavant. Et quand ils rencontrent quelque marchand, qui n'ose pas faire le voyage pour se défendre, [Page 229]ces bons Peres le traittent si rudement, & luy mettent si bien la peur au ventre, qu'il donne bien pour un, ce qu'ils employeroient pour six.
Juste Ciel! est il possible que le sang de tant de creatures innocentes, qui crie aussi haut que celuy d'Abel, ne soit point parvenu encore jusques à vous! faut il qu'à la honte du Christianisme, il y ait des Religieux d'une Avarice si outrée, & si desesperée, qu'ils fassent mourir tant de creatures de faim & de misere, pendant que leurs meurtriers vivent à leurs depens, & s'engraissent de leurs revenus?
Une Societé animée de cet Esprit, toute composée de gens fourbes & menteurs? une Societé, où il n'est pas sûr d'y étre homme de bien, une Societé qui veut étre distinguée de tous les Religieux, par une profession particuliere de Sainteté, nourrit dans son sein des Ambitieux, des Politiques, des Galans, des Marchands, des Banquiers, des Usuriers, des Larrons, des Briguands, & des Meurtriers! A vôtre avis, Messieurs, [Page 230]une Societé de gens faits comme ceuxlà doit elle étre tolerée parmi les Chrêtiens? doit elle étre soufferte dans le Monde? Il est de l'Interêt de tous les humains sans exception, que cette Societé soit abolie.
Il est de l'Interêt de tous les Ordres Religieux, Tout le Monde a in [...]eret à leur ruine, tous les Moines. que cette Societé ne soit plus Ils n'ignorent pas, que les Jesuites ont un extreme mépris pour tous les autres Ordres, qu'ils les traittent d'ignorans, qu'ils sont inutiles à l'Eglise, qu'ils ne sont que ‘— Numerus fruges consumere nati.’ que tous les Privileges & toutes les indulgences accordées aux autres Ordres, ont été transfus dans leur Societé par les Souverains Pontifes, prevoyant que leur Societé suffiroit pour tous.Alphonse de Villegas. Il n'est rien de mieux imaginé que la comparaison d'un Jesuite Espagnol. Tous les autres Ordres de Religieux sont comme la pluralité des concubines, que David avoit, mais la Soeieté des R. R. P. P. Jesuites ressemble à cette jeune fille Abisag, que le Roi prit pour sa femme legitime, dans sa vieillesse, afin d'en étre échauffé. Ainsi nos Peres sont considerez pour [Page 231]ceux, que la Sainte Mere Eglise Catholique a choisis pour la rechauffer dans sa grande vieillesse, comme denuée de chaleur naturelle. Ceux d'entr'eux qui sont rentez, sçavent que les Jesuites ont faits tous leurs efforts pour les déposseder, & que s'ils les laissent en repos ce n'est que dans l'attente d'une occasion semblable à celle, que produisit la bataille de Prague: qu'ils ne s'abusent pas: les Jesuites ne dorment point: le Privilege d'anciêneté, & le droit d'ainesse, qu'ils ont sur les Jesuites, ne leur servira de rien: ces Peres n'ont pas pris en vain cet Auguste nom de Jesuite. Il servira un jour à prouver invinciblement, que leur Societé est la plus anciêne de toutes, puis qu'ils sont depuis Jesus leur Fondateur, & qu'en vertu des droits, que les ainez doivent avoir sur-leurs freres, ils doivent étre les Heritiers, & par consequent posseder toutes les maisons & tous les benefices des autres Religieux. Tous les Moines esperent de voir bien-tôt tous les Heretiques exterminez, c'est un ouvrage, qui a été heureusement commencé, il se poursuit avec vigueur partout, principalement en Angleterre, dont la reduction doit produire celle de tous les Etats [Page 232]Protestans. C'est l'esperance generalement épanduë dans tous les Convents, & dans tous les Ordres: mais si cela arrive, qu'ils se preparent de bonne heure à une exclusion generale dans tous les endroits, où l'Eglise répendra la domination, de toutes les fondations, de tous les revenus, de tous les Privileges qu'ils y ont possedez autrefois: ce sera un Monde nouveau; qu'ils fassent bien leur conte, que pas un Moine n'aura part au gasteau. Comme les Jesuites seuls auront la gloire d'avoir rétabli les affaires du S Pere & du S. Siege, ce seront eux seuls aussi, qui en seront considerez étre les restaurateurs, & comme ils auront seuls semé, il n'y auroit point de justice, que les autres Ordres eussent part à la Moisson.
Ne croyez pas, Messieurs, que je vous dise cecy en l'air. Le Theatre Jesuitique m'en fournit une preuve, qui saute aux yeux. Le Jesuite Person fit autrefois un livre en Anglois, qu'il intitula Réformation d'Angleterre, dans lequel, apres avoir remarqué plusieurs fautes, & manquemens dans le Concile de Trente, il conclud, en disant, que si l'Angleterre retourne jamais à la Religion Romaine, [Page] [Page] [Page 233]il faut la reduire à la forme de la primitive Eglise, mettant en commun tous les biens Eclesiastiques, & donner le soin de cette Eglise à sept personnes sages, qui soient tirez de la Compagnìe, pour distribuer ces biens, selon qu'ils le jugeront à propos. Il declare même nettement, & sans détour, qu'il faut empêcher, qu'il ne passe en Angleterre aucun Religieux d'un autre Ordre; à quoy il ajoute, qu'au moins pandant cinq ans, sa Sainteté ne doit pourvoir à aucun benefice, mais s'en raporter aux sept sages pris de la Societé. Que tous les Moines donc se le tiênent pour dit. S'ils font des voeux pour la reduction de l'Angleterre au S. Siege, les Jesuites & le Pape leur seront obligez, mais il ne leur en reviendra aucun profit.
Il n'est pas moins de l'interêt de Messeigneurs les Evêques,C'est aussi l'interêt des Evêques, que cette Societé soit abolie, par ce qu'ils tachent eux mêmes à abolir l'Episcopat. Le dessein des Jesuìtes contre les Evêques, a paru premierement dans le Projet du Jesuite Person, lequel ne veut pas, qu'il y ait aucun Evêque en Angleterre, non plus qu'aucun Ordre de Religieux: en 2 lieu dans le livre du Jesuite Floydus, où il est prouvé, que l'Episcopat n'est point necessaire en France, en Espagne, [Page 234]& en Angleterre, pourveu qu'en quelque endroit de l'Europe, il y eut suffifant nombre d'Evêques pour consacrer des Prêtres: en 3 lieu dans le Livre du Jesuite Celot, composé par le commandement de la Compagnie, où il soutient qu'un Religieux se presentant à un Evêque, pour luy demander la permission de confesser, pouvoit prendre le refus de ce Prelat pour une aprobation suffisante: en 4 lieu dans le Livre du Jesuite Sirmond contre la Confirmation, dans ceux de Smith, de Daniel a Jesu, & de Rabardeau contre les Evêques: en 5 lieu dans les remarques de l'Auteur de la Morale Prat, où il fait voir,1 Vol. que les Jesuites se sont opposez de toutes leurs forces à l'établissement des Evêques dans les Indes Orientales: que dans le Japon ils ne vouloient point entendre parler, qu'il y eut d'autre Evêque, que celuy qu'ils y faisoient mettre, qui étoit toûjours de leur Compagnie, & dont ils étoient grands Vica [...]res nez, en cas d'absence, ou de vacance du Siege; de sorte que toute la puissance Episcopale étoit toûjours entre les mains de leurs Visiteurs, ou de leurs Provinciaux; par ce qu'ils faisoient si bien, que cet Evêque ne l'étoit quc de nom, n'étant presque jamais sur [Page 235]les lieux, & faisant sa residence à Macao. Voilà comme ils avoient trouvé moyen au Japon, de n'étre point incommodez de l'Episcopat. Mais pour la Chine, ils croyoient, qu'il leur étoit encore plus avantageux, qu'il n'y en eut point du tout, afin d'y pouvoir faire plus librement, & avec plus d'independence tout ce qu'ils voudroient.
On n'est pas surpris,Morale prat. 1 Vol. que les Jesuites ayent ces pensées, dit l'Auteur. Ils se sont faits assez connoitre sur cela, par la maniere, dont ils ont traitté Mr. l'Evêque de Calcedoine, pour empêcher que l'Eglise d'Angleterre, n'eut la consolation d'avoir un Evêque, que le Clergé avoit demandé au Pape avec tant d'instance, & par les libelles, qu'ils firent en même tems contre la necessité du gouvernement Episcopal, que le Clergé de France se creut obligé de censurer. Mais ce qui est étonnant, est qu'ils n'ayent pû cacher un sentiment si peu Chretien, & qu'ils l'ayent fait sçavoir à tout le monde par leurs propres Histoires.Histoire de la Chine. C'est cependant ce qu'a fait le Jesuite Bartoli en peu de mots, mais bien significatifs, dans l'endroit où il parle du Pere Nicolas Trigault. Apres [Page 236]s'étre plaint de ce que ce Pere avoit aporté à la Chine des Privileges plus honorables qu'utiles, sans le consentement du Visiteur & du Provincial ses superieurs, qui en écrivirent diverses lettres en Europe pour s'en plaindre: il ajoute d'un air encore plus chagrin; Q'eut-ce été s'il y eut emmené un Evêque, comme il en avoit le dessein, qu'il n'eut pas pû y introduire? Ce peu [...]de paroles, comme vous voyez, signifient, que ce Jesuite consideroit comme un grand malheur pour la Compagnie, & une lourde faute en ce P. Trigault, s'il eut emmené un Evêque à la Chine, non seulement cela, mais que s'il y eut emmené effectivement un Evêque, ils auroient donné bon ordre pour empêcher qu'il y entrât. Messieurs les Evêques ignorent ils le discours du Jesuite Portugais aux Evêques François, qui alloient prêcher aux Indes & à la Chine: Quelle necessité leur dit-il, ont les Chrêtiens Chinois d'avoir des Evêques? posé que vous entriez dans la Chine, ce que j'ay de la peine à croire, de quelle utilité sera le sejour que vous y ferez? Pren i [...]rement les deux Sacrements, qui peuvent étre conferez par les seuls Evêques, sçavoir, l'Ordre & la Confirmation, ne se peuvent donner dans la Chine, [Page 237]qu'avec de tres grands perils & inconveniens celuy de la Confirmation, par ce qu'il y va de la vie de toucher une femme de quelque maniere, & de quelque âge qu'elle soit: celuy de l'Ordre, par oe que les Chinois sont tres inconstans dans lours affaires, & par consequent dans la foy, & comme tels incapables de Sacrement. Les autres Sacremens sont administrez par les Peres Missionaires. Pour donner la Confirmation aux hommes & aux enfans, c'étoit une chose plus aisée à sa Sainteté d'accorder ce pouvoir aux Religieux, qui sont sur les lieux, que d'envoyer poúr cela des Evêques. Ce ne seroit pas une nouveauté, que le Pape donnât ce poúvoir à d'autres qu'aux Evêques. Innocent VI. l'ayant accordé aux Dominicains, Jean XXII. & Leon X. aux Cordeliers. Gregoire XIII. & d'autres aux Peres de la Compagnie dans le Japon. On dit, & je le croy, comme on le dit, que vous rendez de grands services à Dieu étant dans vôtre Païs, mais le Diable a voulu empêcher co [...] fervices certains & effectifs par ces apparences d'un plus grand bien. Il faut bien, qu'il y eut du chagrin dans l'ame de ce Jesuite contre les Evêques; puis que non content de prouver par des raisonnemens, qu'ils étoient inutiles dans la Chine, puis que les Jesuites y étoient, mais qu'il s'emporte jusqu' [...] dire, [Page 238]que c'étoit le Diable qui avoit envoyé ces Evêques dans ce Païs-là. Mrs. les Evêques ignorent ils les persecutions, que les Jesuites ont faites à leurs Confreres dans les Indes, à l'Archevêque de Sainte foy, à Dom. Mathieu de Castro, lequel ils firent aller trois fois à Rome, se môquant des bulles & censures qu'il en aportoit, & à l'Archevêque de Manille dans les Philippines: & peuvent ils avoir oublié les cruels traittemens, que plusieurs Evêques ont receus de la part des Jesuites? Je me souviens d'avoir leu un écrit, qui a pour titre: Relation de ce qui s'est pussé sur le differend entre Monseigneur l'Evêque de Pamiers, & les Jesuites du College de la même ville. Cet écrit fut imprimé lors que ce Prelat fut obligé d'excommunier publiquement trois Jesuites, par ce qu'ils ne voulurent jamais se soumettre à ses ordonnances touchant l'aprobation des Confesseurs, de la quelle excommunication ils n'ont point été absous, s'étant retirez du Diocese de Pamiers, & ayant continué à faire leurs fonctions comme auparavant. Voicy ce que porte cette Relation. Mr. de Pamiers reconnoit tous les jours de plus en plus la verité des avis, que feu Mr. l'Evêque [Page 239]de Cahors, dont la memoire est en odeur de Sainteté, luy fit donner quatre mois avant sa mort, par un Eclesiastique de suffisance & de pieté, qui setrouva present à une attaque de maladie, dont ce Prelat fut presque reduit à l'extremité, & qui luy en écrivit le 22 Aoust 1659. en ces termes: au reste, Monseigneur de Cahors est tellement persuadé, que les Peres Jesuites sont un fleau & une ruine à l'Eglise, qu'ilcroit que vous, Monseigneur, & tous les Evéques, qui vont solidement a Dieu, ne leur devez donner aucun employ, & m'a chargé de vous le dire, & à Messeigneurs, qui cherchent le salut & l'avantage de leurs Dioceses, ni même entrer jamais chez eux.
Enfin, Messieurs, les Evêques peuvent ils avoir oublié le mépris, que les Jesuites firent de leur lettre circulaire, lors qu'ils étoient assemblez à Paris l'année 1656. & 57. & ne sentent ils pas tous les jours la pesanteur du joug Jesuitique en France, puis qu'il n'y a pas peutétre deux Prelats dans ce grand Royaume, qui ne soient obligez aux Jesuites de leur Prelature, & qui ne soient obligez à leur faire la Cour, afin de s'avancer, ou de se maintenir. Il faut donc qu'ils reconnoissent qu'il est de leur interêt, que la Societé des Jesuites [Page 240]soit exterminée. Il n'est pas moins de l'interêt du Pape. J'avouë, que cela semble un paradoxe: car jamais il n'y eut une plus grande intelligence, que celle qui est entre le Pape & les Jesuites. Car si le Pape d'un côté les considere comme ses favoris, comme les plus fermes apuis du Saint Siege, comme ses yeux, qui font la reveue de toute la terre, & ses mains, qui agissent par tout; d'un autre côté les Jesuites ont fait du Pape leur Idole, ils l'ont élevé au dessus des Rois & des Empereurs,C'est l'interêt du Pape. soit dans le temporel, soit dans le Spirituel, ils l'ont élevé en un mot dans le Ciel, & l'ont placé dans le Trône même du fils de Dieu. Cependant c'est une chose claire & evidente, qu'il est de l'interêt du Pape, qu'il n'y ait plus de Compagnie de Jesus dans le Monde: & cela pour deux raisons; la premiere, par ce que ces favoris du Pape sont devenus l'aversion de toute la terre, par les Maximes surprenantes de leur Politique, par la singularité de leur Theologie, & par l'énormité de leur Morale pratique: la seconde, par ce qu'ils sont maintenant sur un pied, à se môquer du Pape, quand ils voudront, à lever le talon contre sa [Page 241]Sainteté, & à s'opposer à ses intèntions les plus droites & les plus convenables aux interets du S. Siege, comme il a paru par les demelez, qui ont éclaté depuis quelques années entre la Cour de France & celle de Rome. Il y a de la force dans ces deux raisons plus qu'il n'y en paroit avoir: celle de la premiere consiste en ce qu'il est de l'interêt du Pape, de sauver l'hôneur & la gloire du Siege Apostolique: cette gloire depend de la croyance qu'en ont les peuples, que c'est un Siege Saint & vrayment Apostolique. Mais comment les peuples en auront ils à l'avenir la croyance, qu'ils en ont eu par le passé, si maintenant, que l'iniquité de cette Compagnie est connuë de toute la terre, le Pape d'aujourdhuy les apuye de la même protection, dont ils ont été favorisez par ses predecesseurs depuis Paul 3. n'est il pas de la bienseance & de son honneur, aussi bien que de son interêt, de se declarer contre une Compagnie toute composée d'ouvriers d'iniquité? La force de la seconde raison consiste, en ce que les Jesuites sont montez à une puissance, qui doit donner de l'ombrage aux Souverains Pontifes. C'est la Maxime de tous les [Page 242]sages Politiques d'abaisser & de détruire leurs favoris, lors qu'ils sont devenus si puissans, qu'ils ont bien l'audace de s'opposer aux volontez de leurs Souverains. Les Jesuites sont maintenant montez à ce point-là. Il est de la Sagesse des Papes de les abaisser & de les détruire entierement. Comme Tybere ruina Sejan, Honorius Stilicon, Elizabeth le Comte d'Essex, Henry IV. le Marechal de Biron, & Louis XIII. le Marechal d'Ancre. La faute des Papes, est d'avoir accordé aux Jesuites des Privileges zu dessus du Clergé seculier, & regulier, des droits presque insinis & sans. bornes. Ils avoient leurs veuës, quand ils firent ces concessions. Les Protestans avoient fait une terrible breche à l'Eglise, & ébranlé le S. Siege. Ils creurent qu'en munissant les Jesuites de tant & de si grands Privileges, ils seroient propres à raffermir le S. Siege, & à reparer les breches de l'Eglise. Mais les Papes n'étant pas infaillibles dans le fait comme dans le droit, n'étant point Prophetes, & n'ayant pas pû prevoir ce qui devoit arriver dans la suite, on leur doit pardonner cette faute: mais maintenant qu'ils voyent & qu'ils sentent le [Page 243]mal, que leurs predecesseurs ont fait, ils ne seront pardonnez ni dans ce siecle, ni dans celuy qui est à venir, s'ils ne mettent pas au plutôt la main à l'oeuvre, pour exterminer une Societé, qui se disant l'apuy du S. Siege, le deshonore, luy fait la guerre & le menace de ruine.
C'est encore plus l'ínterêt de tous les Souverains,C'est l'interêt de tous les Souverains. que cette Societé soit en tierement dissipée. Les raisons en sont connues à tout le Monde: car premierement ils détruisent, ou reduisent presque à rien l'Authorité des Souverains par trois Maximes de leur Morale que voicy. 1. Les sujets ne pêchent point en refusant sans aucune raison de recevoir une Loi, Escobar. dans la Doctr. des Jesuites combattue. 1. Par [...]. qui a été legitimement publiée par le Prince. 2. Les Clercs ne sont point sujets des Princes seculiers, & ne sont point soumis à leurs Loix, encore même qu'elles ne soient pas contraires à celles de l'Etat Eclesiastique. 3. Qu'un homme proscrit par un Prince temporel, ne peut point étre tué hors de son territoire, mais que celuy qui est proscrit par le Pape, peut étre tué par toute la terre, par ce que sa Jurisdiction s'étend par tout. En second lieu, il n'y a personne qui ne sçache, que la Doctrine des Jesuites fait autant des sujets du Pape, qu'il y a de Souverains, qu'elle soumet les [Page 244]Rois au Souverain Pontife tant pour le Temporel que pour le Spirituel. C'est la Theologie de tous les Ultramontains de quelque Ordre qu'ils soient, tant reguliers que seculiers: mais les Jesuites se sont tellement apliquez à la défendre & à la soutenir, qu'on peut dire, que c'est proprement leur Theologie. Ce n'est pas un ni deux Jesuites, mais tous sans exception dans quelque Païs, qu'ils vivent. Cela posé, les Souverains ne sont pas Souverains: car il y a un Souverain au dessus d'eux, qui leur ôte la realité de ce titre. Le Pape est Souverain en France, au regard du Spirituel; selon les Jesuites, le Pape donc est au dessus du Roi, autant que le Spirituel est au dessus du Teinporel. Et quand le Pape n'auroit aucun droit sur le Temporel, toûjours se pourroit il vanter de tenir ce Royaume par le meilleur bout, & par le côté le plus fort, comme le plus noble. En 3 lieu c'est encore la Theologie des Jesuites, qu'un Roi Tyran & Heretique n'est plus Roi quand au droit, & les sujets ne sont plus tenus de luy obeir, ils sont déchargez par cela même du serment de fidelité: & qui est ce qui jugera ce grand point, sçavoir si [Page 245]le Roi est un Tyran ou Heretique, ou bien s'il ne l'est pas. C'est aù Pape à le juger selon les Jesuites: & même si le Pape ne le fait pas, ou par negligence, ou par indulgence, ou par crainte, deux Auteurs graves ont ce droit-là, c'est à dire, deux Jesuites. Or il est assûré, qu'il se trouvera plus de cinquante Jesuites de soixante, qui prononceront hardiment qu'un tel Roi est, ou Tyran, ou Heretique, s'il n'est point savorable à leur Compagnie. Voilà donc les Souverains, qui sont non seulement dependans des Papes, mais aussi des Jesuites. En 4 lieu, c'est la Doctrine des Jesuites, que tout sujet a droit de poignarder ou d'empoisonner, en un mot de faire perir, par toutes sortes de voyes, ce Roi Heretique ou Tyran; & que celuy qui commettra cet attentat, meritera une place dans l'Histoire parmi les plus grands Heros, & dans le Ciel parmi les plus Saints Martyrs. Enfin c'estla Pratique des Jesuites, de se mêler des affaires d'Etat, de s'emparer de l'Esprit des Souverains dés leur plus tendres années, de celuy de leurs Maitresses, de celuy de leurs favoris, de sorte que par ces moyens ils ont autant, ou plus de part [Page 246]au Ministere, qu'aucun Ministre d'Etat. Eh! qu'est ce que les Princes n'ont pas à craindre & pour leurs personnes, & pour leurs Etats d'une Compagnie, qui n'est qu'une Cabale proprement; puis qu'elle est toute composée de gens, qui reconnoissent plus d'un Souverain dans chaque Etat, qui s'ingerent dans les affaires du Conseil, qui ont l'audace de juger si un Souverain est Tyran ou Heretique, & qui sur le jugement temeraire d'un seul ou de deux Auteurs graves, livrent le Souverain à un empoisonneur ou à un assassin? Il est done clair qu'il importe à chaque Souverain de ne pas soufrir dans leurs Etats une Compagnie si dangereuse & si pernicieuse.
Entre les Souverains,C'eft l'interêt du Roi de France. il est sur tout de l'interêt du Roi tres-Chrêtien, & de Sa Majesté Britannique de les chasser de leurs Royaumes. Je dis premierement qu'il est de l'interêt du Roi tres-Chrêtien: car vous n'ignorez pas les trois attentats commis contre le Roi Henry le Grand de triumphante memoire, ni que les malheureux, scelerats qui les commirent, avoient aiguisé leurs poignards dans la maison des Jesuites, & dans la [Page 247]chambre des meditations, Le premier Presid. de Harlay, dans ses Remon. strances au Roi au nom du Parlement. laquelle en mechancetez est plusqu'une image de l'Enfer, Barriere s'étant adressé au Jesuite Varade, Chastel aux Jesuites Gueret & Guignard, & Ravaillac au Jesuite d'Aubigny. Toute la France sçait cela. Ce sont des faits de notorieté publique. Les Arrets du Parlement de Paris & les Histoires conservent le triste souvenir de ces Parricides execrables. Eh! que faut il davantage, pour que le Conseil du Roi tres-Chrêtien se sente indispensablement obligé, à bannir pour jamais cette malheureuse Societé du Royaume? Est ce qu'ils ont changé de sentiment & qu'ils sont aujourdhuy animez d'un autre Esprit? Non Messieurs, le More ne change pas de peau, ni le Leopard ses taches. Je sçay que cela est possible au Createur, qui a un pouvoir absolu sur le coeur de l'homme: mais je soutiens que cela n'est point arrivé, que les Jesuites ont aujourdhuy la même Morale & la même Politique, qu'ils avoient sous le regne de Henry le Grand. Ils n'ont pas condamné ni les Livres de Sanctarel, de Bellarmin, de Richesme, de Mariana, ni l'Apologie pour Jean Chastel, où les Jesuites Gueret & Guignard sont [Page 248]mis avec ce garnement, au rang des He ros & des Martyrs: mais quand vous verriez aujourdhuy une condamnation de tous ces Livres detestables, signée de tous les Jesuites du Monde, depuis le plus vieux profez jusqu'au plus jûne Novice, oseriez vous bien vous y fier, vous qui sçavez, leur retentum & leur porte de derriere, je veux dire leur Doctrine perfide des Equivôques, avec quoy ils sauvent toûjours le chou avez la chevre comme on dit? Aprez tout, un sage Conseil ne hazardera jamais nide Roi ni l'Etat: quand il seroit douteux & problematique de dire, que les Jesuites sont autres, qu'ils ont été il y a cent ou quatre vingt ans, il est de la prudence de supposer, que s'ils ont changé, c'est de mal en pis plûtôt qu'en bien, qu'ils sont aujourdhuy plus audacieux, par ce qu'ils sont plus puissans, & qu'ils sont plus dangereux, par ce qu'ils sont plus redoutez & plus redoutables que jamais. On les void aujourdhuy attachez à la France, contre le Pape & la maison d'Austriche. Mais croyez moy, Messieurs, c'est une grimace & une feinte, c'est un vray stratageme de guerre pour me servir d'un terme, convenable au [Page 249]genie d'une Compagnie, qui est toute Martiale. Tandis qu'il y aura un Pape, un Roi d'Espagne, & un Archiduc d'Austriche Empereur, que la France se le tiêne pour dit, les Jesuites ne seront jamais bons François: ils seront toûjours du parti du Pape, & de la Maison d'Austriche. On dit communement, que les Jesuites seront toûjours du parti le plus fort. C'est un abus: ce sont les Jesuites même, qui font la force d'un parti. Et la France n'a eu cette force de son côté depuis vingt ans, que par ce que les Jesuites l'ont bien voulu ainsi; & ils l'ont ainsi voulu, parce qu'il falloit cacher leur dessein, & comment le pouvoient ils mieux cacher, qu'en se declarant pour le Roi tres-Chrêtien, contre la Maison d'Austriche, & contre le Pape même? Ce dessein commence à paroitre maintenant: ils ont voulu reduire la France au point où elle est, c'est à dire à ne pouvoir plus faire de conquêtes, & à les perdre plutôt qu'à les augmenter. Ils ont donc commencé à affoiblir la France, & donné une belle occasion au Pape de recouvrer ses droits, & à la Maison d'Austriche de remonter là, d'où elle est descenduë. Je [Page 250]ne sçay, si Mrs. les Ministres d'Etat ne sentent pas cette decadence par les desertions continuelles des Officiers & des matelots, & par un notable deperissement du commerce. Je ne sçay s'ils ont encore ouvert les yeux, pour reconnoitre, que les Jesuites sont des serpens, que la France a receus dans son sein & dans son Conseil, & qui commencent à picquer le sein qui les a échauffez.
Pour retourner encore une fois à Henry le Grand, qu'est ce je vous prie, qui porta les Jesuites à cet excés de rage, que d'armer le bras d'un assasin pour se défaire d'un si grand Prince? Est ce que le Roi ne leur avoit pas témoigné sa bienvueillance? Il les avoit comblés de ses bienfaits. Est ce que le P. Coton en particulier n'en étoit pas satisfait? Il s'étoit vanté luy même, que le Roi luy avoit offert l'Archeveché d'Aix, & même le chapeau de Cardinal, lequel il avoit refusé par cet Esprit d'humilité, qui regne dans la Compagnie de Jesus. Est ce qu'ils ne le croyoient pas bon Catholique, pour avoir donné l'Edit de Nantes aux Protestans? Maís cet Edit étoit aussi necessaire aux Catholiques qu'aux Protestans. Il avoit éteint le feu de la [Page 251]guerre civile, qui avoit mis l'Etat en langueur. Il avoit établi une paix si profonde, que chacun mangeoit son pain sans trouble, dans sa vigne & sous son figuier. Mais que leur avoit fait Henry III? Ils ne pouvoient pas le soubçonner d'Heresie, puis qu'il avoit persecuté avec autant de chaleur que Charles IX. les Huguenots? Cependant ils se declarerent contre ce pauvre Roi en faveur du Duc de Guise, si publiquement, qu'il n'y a point de ville, où ils fussent, où ils ne fissent des souslevemens, & où ils n'allumassent le feu de la rebellion. Jusques là qu'on fut contraint à Bordeaux de les bannir de la ville, pour la retenir dans l'obeissance du Roy. Et quand ils écrivirent à leur General pour se plaindre de leur bannissement, ils firent paroitre dans leur Lettre l'Esprit seditieux, dont ils étoient possedez d'une maniere à donner de l'horreur. Car Henry III. plus Catholique, que tous les Jesuites ensemble, ayant été assassiné en ce tems-là par la main d'un Jacobin suborné & empoisonné de la Doctrine Jesuitique,Annuae litterae Societ. Jesu. ils en firent par leurs Lettres un miracle, & en chanterent leur triomphe. Le même [Page 252]jour, dirent ils, qu'on nous chassoit par Edit du Roi de la Ville de Bordeaux, le Roi a été chassé du Monde & de la vie, envoyé à S. Machaire pour étre tué, si luy même auparavant n'eut été tué.
Voicy donc la raison de ce coup de ces Pere contre Henry IV. Le Roi avoit resolu de reduire la maison d'Austriche à rendre à chacun, les biens qu'elle avoit usurpez sur ses voisins. Il devoit commander luy même en personne l'Armée, qui étoit déja sur la frontiere. Il étoit sur le point de son départ & de prendre congé de la Reine, lors que les Jesuites decouplent un enragé, pour luy percer le coeur. On sçout à Madrid, à Rome, & à Viêne, que ce coup devoit étre donné environ ce jourlà. On s'en étoit rejoui par avance. Il falloit donc, que le General des Jesuites eut ordonné ce parricide, & qu'étant assûré qu'il seroit obei par ceux, qui sont obligez par voeu à une obeissance aveugle, eut averti toutes les Cours, qui prênoient interêt à cette mort, qu'elle arriveroit infailliblement ce jour-là. Les Jesuites sont toûjours Jesuites, toûjours dependans de leur Superieur, toûjours prets à luy obeir en toutes choses. S'il [Page 253]prend envie a leur General de faire un semblable coup aujourdhuy, il trouvera sans difficulté une obeissance aussi temeraire. Le P. la Chaise n'est pas seulement Jesuite, il est deplus petit neveu d'un fameux Jesuite, qu'on ne peut nier d'avoir eu beaucoup de part au furieux assassinat de Henry le Grand. C'est le P. Coton dont je veux parler, Confesseur du Grand Henry comme le P. la Chaise, est Confesseur de Louis le Grand. C'est à Messieurs les Ministres du Roi tres-Chrêtien à examiner si tout ce que je viens de dire, & qu'ils ne peuvent pas ignorer, n'est pas assez important & assez fort, pour les obliger à y faire des reflections serieuses, & à bannir pour jamais du Royaume une Compagnie si suspecte au Roi, aussi bien qu'à l'Etat.
Ils furent bannis par le même Arrêt, qui condamna Chastel & les Jesuites Gueret & Guignard, & une pyramide fut érigée dans Paris, sur les faces de la quelle l'Arrêt du Parlement étoit tout du long. Pourquoy a-t'on permis qu'ils soient rentrez dans le Royaume? Pourquoy pour le moins ne pas conserver la Pyramide? Il ne tint pas au Parlement que la Pyramide ne subsistât, & [Page 254]que la Porte du Royaume ne fut toûjours fermée aux exilez. Quand le Roi leur commanda de verifier leurs Lettres de Rappel, cet Auguste corps fit son devoir, & prevoyant le malheur qui arriva peu de tems aprez, ils presenterent des Remonstrances à sa Majesté, dans lesquelles ils luy mettoient devant les yeux le peril, qu'il avoit couru, & le peu de sûreté, qu'il y avoit pour son Etat, & la perfonne de sa Majesté, à rappeller une Compagnie manifestement coupable du dernier attentat. Mais toutes ces Remonstrances quelques vives & animées qu'elles fussent, furent inutiles. Le Roi de son Authorité permit aux Jesuites de rentrer en France, & d'abâtre la Pyramide, ce qu'ils firent.
Si l'on considere bien les moeurs de l'Auteur du Rappel des Jesuites, on conclurra, qu'il étoit alors fort aisé aux sages de juger du fruit que ce Rappel devoit produire, comme il fut aisé de juger du fruit, que devoit produire leur [Page 255]introduction dans le Royaume. Qu'on ne m'oppose pas icy que ce fut le celebre Cardinal de Lorraine, qui employa tout son grand credit, pour les introduire afin de conclurre de là, que je raisonne sur de faux Memoires: car cela même, que ce fut un Cardinal, qui les introduisit, devoit, selon moy, faire regarder leur introduction, comme d'un tres mechant augure. Que pensez vous en effet, Messieurs, que soient les eminentissimes Cardinaux de la Sainte Mere Eglise Romaine, j'ose dire, que leur pourpre ne les distingue pas plus du commun des Pretres, que les excés & les enormitez de leur vie les distinguent du commun des pecheurs. Il ne s'en est point veu en France de plus grand merite, que le Cardinal du Perron, & le Cardinal de Richelieu; ni qui ait laissé une plus belle reputation de grand Personnage apres sa mort. L'un passe encore aujourdhuy pour le plus grand Theologien de son siecle, l'autre pour le plus solide, & le plus excellent de tous les Politiques, & c'est de ce côté qu'on les regarde pour les admirer. Mais il est bon d'ouir là dessus, ce qu'on sçavoit mieux qu'aucun de nous: le Docteur [Page 256]Patin. Voicy ce qu'il en dit dans ses Lettres: l'Evêque de Riez, dit-il, se reduit à ne faire que la vie des Cardinaux, qui ont vêcu avec quelque opinion de Sainteté. Je nesçay s'il mettra parmi ces gens-là, le Cardinal du Perron, qui étoit un grand fourbe, & que je sçay de bonne part étre mort de la verolle. Lettrê 19. Pour le Cardinal de Richelieu, c'étoit une bonne bête & un Franc Tyran. Et pour marque de sa Sainteté, je me souviens de ce qu'un Courtisan me conta l'autre jour, que ce Cardinal, deux ans avant que de mourir, avoit encore trois maitresses qu'il entretenoit. La premiere étoit sa Niêce Marie de Vignerot, autrefois Madame de Combalet, aujourdhuy la Duchesse d'Aiguillon: la seconde étoit la Picarde, femme du Marechal de Claunes, Frere du Conêtable de Luynes: la 3. étoit une certaine Parisiêne, Marion de l'Orme, que Mr. de Cinqmars avoit entretenue, comme aussi le Marechal de la Meilleraye. Tant y a, conclud il, que ces Mrs. les Bonnets rouges sont de bonnes bêtes. Vere Cardinales isti sunt Carnales. Il ne faut pas avoir meilleure opinion du Cardinal de Lorraine, s'il en faut juger comme il est juste, par la maniere, dont il mourut. Il mourut d'une maniere si epouventable dans la Ville d'Avignon, qu'on pourroit [Page 257]douter de ce qu'on en dit,Invent. de Serres. si des Historiens de reputation ne l'assûroient: une tempête si étrange s'éleva au moment, qu'il rendit l'Esprit, que de memoire d'homme on n'en avoit pas veu de pareille; quelque chose de plus violent que les tourbillons, enleva les barreaux de sa chambre, & laissa de grands soubçons à tous ceux, qui sçavoient que ce Cardinal ayant un commerce particulier avec les Diables, ils étoient venus chercher à son terme, une ame qui s'étoit donnée à eux. Je le redis encore, l'introduction des Jesuites en France par un personnage fait comme ce Cardinal, ne pouvoit étre que de mauvais presage. Les suites ne répondirent que trop à ce presage malheureux. Le Cardinal de Lorraine fut le Pere de la Ligue, & les Jesuites en furent les Parrains & les Fauteurs. Ligue, qui oprima Henry III. & qui pour dernier effort fit perir Henry le Grand. Car Ravaillac étoit d'Angoulesme la Ville de France la plus possedée de l'Esprit & de la fureur de la Ligue.
Je raisonne de même sur le Rappel des Jesuites. Que pouvoit promettre de bon ce Rappel procuré & obtenu [Page 258]par un Fouquet,Mezerai abre. Chronol. St. de la Varenne, Controolleur General des Postes, la Varenne, qui étoit un sale Ministre des Plaisirs du Roi, un Marchand infame de l'hôneur du sexe, un courtier abominable des Filles debauchées & des Femmes impudiques? l'Evenement n'a que trop soutenu la prediction, que les Sages en firent des lors. Un troisiême parricide suivit de prez ce funeste Rappel. Les Jesuites ont tenu depuis la même route & la tienent encore. C'est par là, qu'ils se sont accreditez à la Cour de France. On en sent tous les jours les funestes effets. Les Jansenistes en ont été oprimez, Messeigneurs les Eveques en ont perdu leur liberté; la dignité de leur Mitre dépend absolument du bonnet triangulaire de la Societé, les grands Seigneurs en ont été ruinez, la Noblesse est à l'extremité, le menu Clergé crie misere, le Paysan est à la faim, le commerce ne va plus, les ennemis de la France prênent Coeur, ne respirant que la guerre pour sevanger, & les affaires du Roi ont commencé de prendre un mauvais train. Lorsque d'un côté, je considere toutes ces choses, & que je voy de l'autre, que ceux qui sont au timon [Page 259]de l'Etat, ne vont pas viste à la source du mal, qui n'est autre que le Rappel des Jesuites, je ne puis que je ne m'écrie ô Tempora! ô Mores! & que je ne concluë, qu'il faut que les Jesuites ayent usé de sorsilege, qu'ils ont charmé les Ministres du Roi tres-Chrêtien, & qu'ils ont la vertu de la tête de Meduse, puis que par leur charme ils ont rendu insensibles & comme petrifié tous les Ministres de sa Majesté.
Ce que je viens de dire de la France a la même force au regard de l'Angleterre.C'est l'interêt des Anglois. Il est de l'interêt & de sa Majesté Britannique, & de tous ses Sujets, que les Jesuites ne s'établissent jamais dans la grande Bretagne, & il seroit bon, qu'ils n'y eussent jamais mis le pied. Comme le malheur de ce Royaume est si deplorable aujourdhuy, qu'autre est l'interet du Roi & autre celuy de ses Sujets, il est de necessité de les considerer separement. Il n'y a nulle difficulté, que l'établissement des Jesuites en Angleterre, ne menace tous les Anglois, Ecossois, & Irlandois, d'un joug d'airain & pour le Temporel & pour le Spirituel, qu'ils ne pourront pas secouer, si une fois ils l'ont subi. Premierement il faut que l'Eglise [Page 260]Anglicane se dispose, à n'avoir plus d'Evêques. C'est le dessein des Jesuites d'y éteindre entierement l'Episcopat. Cela a paru dans le projet du Jesuite Person dont je vous ay parlé cydessus. S'ils s'établissent dans la Grande Bretagne, tout le gouvernement de l'Eglise sera entre les mains de sept Jesuites, qui disposeront de l'Eglise Anglicane, comme ils voudront. En 2 lieu Mrs. les Mylors, qui jouissent de gras benefices de plusieurs Ordres de Moines doivent se resoudre à les voir passer de leurs mains dans celles des Jesuites; car c'est apres quoy ils tendent avec la gueule beante, & ils renonceroient plûtôt au Christianisme, qu'à ces grands & prodigieux revenus, qu'ils ont tant de mal au coeur de voir entre des mains laïques & profanes. En 3 lieu ils ont promis au Pape de luy restituer le Denier de S. Pierre, c'est ainsi qu'on appelloit autrefois le tribut annuel, que le Pape retiroit de la grande Bretagne, & qui alloit bien loin au delà de la hacquenée & des quarante, ou cinquante mille ducats, que le Roi d'Espagne luy paye tous les ans, comme un tribut pour le Royaume de Naples, & sçavez vous [Page 261]bien, ce que deviendra ce Denier de S. Pierre, si une fois les Jesuites sont Maitres du gouvernement? C'est qu'étant aussi habiles qu'affamez, ils feront monter ce Denier de S. Pierre, à une livre Sterling pour le moins; mais le Pape y sera trompé; il est sûr, que ce denier sera pour la Societé, non pas pour le Pape; par ce qu'ils ont toûjours en veuë la plus grande gloire de Dieu. Enfin leur grand dessein est d'éteindre en Angleterre, aussi bien que par tout, la Religion Protestante: cette Religion est trop contraire à leurs desseins pour la soufrir; c'est pour cela qu'ils ont conseillé au Roi à poursuivre avec tant d'instance & de fermeté l'abolition des loix Penales & du Test. Ils sçavent, que ces loix sont comme le Palladium de l'Etat, & le bouclier de la Religion. Ces Loix abolies, la liberté est perdue, & la Religion Protestante éteinte. Les Anglois ne peuvent ignorer cela, que d'une ignorance affectée. Leur grand interêt est donc que ces Loix soient conservées & maintenues en leur entier, comme l'unique rempart de la Religion & de la liberté. Mais l'unique moyen qui paroisse aux lumieres de la raison & du bon sens, [Page 262]c'est de chasser les Jesuites au plûtôt, comme des perturbateurs du repos public. Ils ont déja mis le pied dans l'Angleterre; c'est ce qui me fait trembler pour cette Nation: car j'ay veu une des Emblemes de la Societé,Imago primi Saeculi. où un Ange est representé enlevant le globe de la Terre attaché avec une corde, à des Machines semblables, à la vis d'Archimede, avec cette devise qui accompagne cette image: Fac pedem figat & terram movebit. Ils ont déja mis le pied dans la grande Bretagne, ils ont commencé à faire jouer leur Machine, le Royaume en a déja reçeu quelques secousses, si les Anglois les laissent agir davantage, ils l'ebranleront & le bouleverseront.
Il n'est pas si aisé de faire voir,C'est l'interêt du Roi d'Angleterre. que c'est aussi l'interêt du Roi, que les Jesuites soient chassez de toute la grande Bretagne, puis que le Roi se sert des Jesuites même, pour l'execution de ses grands desseins. Cela pourtant n'est pas difficile à démontrer, & même en peu de mots. Le Roi, autant qu'il a paru par sa conduite, depuis qu'il est monté sur le Trône, a deux desseins; le premier est d'éteindre la Religion Protestante, l'autre est de se rendre absolu, [Page 263]& d'établir un gouvernement despotique & arbitraire: de ces deux fins que le Roi s'est proposées, il y a lieu de croire, que celle qui regarde le gouvernement arbitraire & absolu, est la premiere & principale, & que celle qui concerne la Religion n'est que subalierne & un moyen pour arriver à la premiere. Car il arrive rarement, que les Rois cherchent le Royaume de Dieu premierement & avant tout autre chose. Or il est seur, que les Jesuites ont les mêmes veuës: ils en veulent à la Religion Protestante, mais ils pretendent, que la Religion ruinée leur servira de degré pour monter au dessus de tout & se rendre Maitres absolus de la Grande Bretagne. Voilà donc la Societé des Jesuites Rivale de sa Majesté. Deux rivaux peuvent se soufrir l'un l'autre durant quelque tems, mais cela ne peut pas durer. Il faut rompre enfin, & que l'un de deux l'emporte: car l'Empire absolu & arbitraire ne peut point se partager, c'est un point indivisible, on ne peut l'avoir sans l'avoir tout entier. Mais comment le Roi se peut il promettre, que la Religion Protestante une fois éteinte, il sera maitre absolu de ses trois Royaumes? est il [Page 264]à sçavoir, que les Jesuites veulent dominer par tout. Et combien il en coute à ceux, qui osent, de ne faire pas tout ce qu'ils veulent? Ignore t-il qu'il en a couté la vie aux deux Rois ses predecesseurs?
Au Roi son Pere, pour n'avoir pas executé ce qu'il avoit promis dans son contract de mariage? & au Roi son Frere, pour n'avoir pas voulu aller aussi vite qu'ils le desiroient? Ou il est Jesuite in voto, ou il ne l'est pas. S'il ne l'est pas, puis qu'il s'est mis entre leurs mains, il faudra qu'il y viêne. Et s'il l'est une fois il faut qu'il obeisse à ses Maitres. Où sera donc cette puissance absolue a la quelle il aspire? Comment gouvernera t-il à son plaisir ses Sujets, puis qu'il ne sera pas luy même maitre de sa propre volonté? Si sa Majesté ne sçait pas l'entreprise des Poudres, qui tendoient à faire sauter le Roi Jâques I. sa famille & le Parlement, c'est une chose étonnante, mais si elle sçait, que les Jesuites avoient formé ce dessein horrible, que les Jesuites Garnet & Hall furent executez à mort, convaincus de cette haute trahison, c'est une chose, qui est encore plus étonnante, que sa Majesté puisse se fier [Page 265]à des gens capables d'une entreprise si noire. Si sa Majesté ignore la Conspiration d'Oates dans laquelle l'on avoit resolu de se défaire du feu Roi son Frere, c'est une chose, qui me surpasse; mais si elle sçait, que des Jesuites en grand nombre avoient part à cette conjuration, je ne puis comprendre comment il peut se confier en des gens, qui en feront autant contre sa Majesté, s'ils découvrent qu'elle n'aille pas droit à leur but. Enfin si sa Majesté ne reconnoit pas maintenant les mauvais pas, que les Jesuites luy ont fait faire, & le peril, où ils l'ont engagée, elle est à plaindre, & tout le Monde est obligé à la secourir de leurs voeux; mais si sa Majesté le reconnoit, & n'y pourvoit pas promtement, en s [...] rangeant du parti de son peuple pou [...] en étre le Pere, & se défaisant elle & son Royaume pour jamais de la pernicieuse Compagnie des Jesuites, il y aura lieu de dire qu'elle ne connoit par ses veritables interets, & conclurre, que le Roi des Rois las de la laisser regner, & vivre, entre les mains des Jesuites pour executer contr'elle ses justes jugements. Quos Deus vult perdere, illos dementat. Dieu, qui [Page 266]tient les Coeurs des Rois en sa main, veuille donner à ce Grand Prince sa Celeste Onction, afin qu'il deviêne le Pere de ses peuples & le Défenseur de la Foy.
Apres ce que je viens de dire, Messieurs, il semble, que je pourrois icy finir cet Article: car si j'ay bien prouvé, comme je le pretens, qu'il est de l'interêt de tous les Moines, de tous les Evêques, du Pape & de tous les Rois, que la Societé des Jesuites ne subsiste plus, il ne semble pas fort necessaire de l'étendre plus loin. Il ne sera pas pourtant inutile à mon avis de vous prouver, qu'il est aussi de l'interêt des Marchands, des Pauvres & des Riches, des Femmes & des Maris, des Peres & des enfans, que cette Societé soit abolie.
C'est l'interêt des Marchands,C'est l'interêt des Marchands. par ce qu'ils sont Banqueroutiers de Professions. La fameuse banqueroute de Seville en fut le signal, & la declaration solemnelle, qu'ils firent alors que leur but étoit, d'execer le trafic & la banque,Theatrum Jesuiticum. afin de tromper le Monde. Voicy comme elle est racontée dans une Histoire non suspecte. Le Frere André de Villar Jesuite & Procureur du College [Page 267]des Jesuites de Seville communement appellé de S. Hermenigilde, pensa à en accroitre le bien, & pour cet effet emprunta à interet, à rente & à autres titres plus de 450 mille Ducats, dont il se servit pour trafiquer dans Seville. Il embarqua pour les Indes diverses sortes de Marchandises, des toiles, du fer, du saffran, de la canelle. Il fit batir des maisons & des moulins. Il acheta des Terres, des Jardins, & plusieurs differens troupeaux. Il emprunta cet argent des personnes les plus affectionnées à leur College, & qui dependoient plus d'eux, & encore de quelques autres; Les plus graves Peres de la Compagnie luy aidant à faire ces emprunts, dont il vint enfin à bout par sa patience, & par son adresse, autorisé par les pouvoirs & les Ordres, qu'il avoit reçeus de ses Superieurs; ce qui se justifie par plusieurs contes, qui luy furent saisis, & par plusieurs memoires, & registres dans lesquels il faisoit mention de tout.
Le P. d'Avilez, Provincial d'Andalousie, & le Recteur du College considerant l'Etat de leur bien, resolut avec la Compagnie de maintenir leur Maison dans la grandeur, où elle se trouva par [Page 268]cet emprunt & cherchant les moyens pour y reussir, ils n'en trouverent point de plus salutaire, que de disposer les choses de telle sorte, que leurs Creanciers perdissent la moitié de leur dette, se servant d'un de leurs confidans pour en proposer les moyens. Ils delibererent donc s'il étoit à propos de faire un procez aux Creanciers, & toutes les raisons que Villar leur Procureur leur representoit, ne furent point capables de les detourner de ce dessein, qu'ils avoient déja pris, se mettant fort peu en peine de sa perte de leur credit: c'est ce qui fut justifié par une Lettre du Provincial Avilez, conceue en ces termes écrivant au dit Procureur: Jay leu les raisons, que vous alleguez pour nous détourner de la Resolution prise de faire procez aux Creanciers. Je les ay considerées avec attention; mais je croi qu'en conduisant sage vent cette affaire, qui est en nôtre disposition, no [...]s ferons cesser la plus part des inconveniens, qui en pourroient naitre. La perte de nôtre credit ne nes fait aucune peine; par ce comme dit le Proverbe: Le corbeau ne peut pas étre plus noir que ses ailes. Plus de 50 mille Ducats, ou au moins 40 mille, ne nous ont pas suffi l'année passée, pour appaiser les cris des Creanciers: Ils [Page 269]suffiroient encore moins à present: nous n'avons plus rien, que nous puissions vendre, & ce n'est pas un bon moyen d'éviter ces pertes, que de reduire les interêts à des rentes. Le 8 Mars 1645. qui étoit le jour, où ils devoient executer, ce qu'ils avoient premedité si long tems, étant arrivé, la premiere chose, qu'ils firent, fut d'arreter Villar leur Procureur, sous pretexte d'une assemblée & consultation qu'ils. vouloient faire, & luy ôterent tous les Livres des contes, Papiers, Registres, qu'il avoit dans sa chambre. Le jour suivant le Provincial & le Recteur assemblerent tous leurs Creanciers dans leur maison Professe, & en presence des personnes les plus considerables, & les plus qualifiées de la ville, le Provincial declara le desir qu'ils avoient de donner satisfaction à tout le Monde, tachant neanmoins en même tems de les resoudre à perdre la moitié de ce qui leur étoit dû. Et, quoy qu'ils eussent fait venir un Notaire, afin que ceux qu'ils pourroient faire consentir à une resolution si inique, la signassent devant luy, il ne s'en trouva pas un seul, qui le voulut faire. Le peu de disposition qu'ils virent à reussir dans leur dessein, fut cause [Page 270]que le jour suivant, le Recteur supposa un Creancier, qui ayant accepté la proposition faite par le Provincial, appelle les autres Creanciers, pour l'accepter comme luy, & entrer tous de concert en payement. Et sur cette demande un juge Conservateur, que le College même avoit nommé, proceda au sequestre des biens du College. Il fut si avantageux aux Jesuites d'avoir un Conservateur tout à eux, qu'en luy assûrant pour recompense une pension de mille Ducats par an, ils l'eurent pour Protecteur au lieu de l'avoir pour vengeur de tant de fourberies si artificieuses & si criminelles. Mais cet artifice ne leur ayant pas reussi, ils en inventerent un autre, qui fut de faire intervenir des Creanciers porteurs de fausses promesses & obligations supposées: ce qui fut aisé de connoitre, par ce que la plus part de ces promesses étoient des Religieux de la Compagnie même sous le nom des seculiers, & d'autres en faveur du Procureur Villar, sans le nom des seculiers aussi supposez. Ils leur sont passer un compromis à soixante dix d'entr'eux la plus part des veuves. Les Creanciers consentent par ce compromis à perdre [Page 271]au pro rato de leur dette, telle quantité, que jugeront cinq d'entr'eux, qu'ils deputent, qui sont des plus attachez aux Jesuites: & ce qui est remarquable, c'est que l'un d'eux est Villar leur Procureur, lequel ils avoient fait sortir de leur Compagnie pour cela en habit de seculier. Enfin pour ne pas vous ennuyer par un trop long recit, les Jesuites vinrent à bout de leur dessein: ils ruinerent une partie des familles de Seville. Ces pauvres gens ne pûrent avoir nulle justice au Conseil, par ce qu'ils y avoient remedié par leurs fourberies & faussetez.
Il est ajouté, que Villar étant sorti de la prison des Jesuites, & mis en dépôt dans le Convent de S. François, il luy fut permis de rendre conte de sa conduite, & il fit connoitre à tout le Monde, qu'il n'avoit rien fait en tout cela, que par ordre de ses Superieurs, dont il produisit les Lettres Originales, pour se mettre à couvert des Calomnies de ces Peres: Villar craignit apres cela, que s'il rentroit parmi les Jesuites, ils ne pratiquassent à son egard la Doctrine de leur P. l'Ami, qui permet à un Religieux de tuer celuy qui public les choses scandalouses. [Page 272]de son Ordre, comme ils l'ont pratiqué en plusieurs remontres, & particulierement en la personne du Docteur Jean d'Espind, qu'ils ont empoisonné jusqu'a trois fois, ce qui est si public, qu'il n'y a personne en Espagne & aux Indes, qui ne craigne leur poison & leurs violences. Villar donc quitta la robbe de Jesuite, il prit le manteau & l'épée, & se maria en paix apres avoir toutefois obtenu dispense de ses voeux. Les Jesuites disent presentement, que la Banqueroute est arrivée par la friponnerie de Villar, qui triomphe maintenant & fait bonne chere de ce qu'il a derobé. Il répond qu'ils ont menti, qu'il s'en remet à ce qui est écrit, & que les hommes se doivent taire quand les Papiers parlent.
Cette Histoire fait voir, que les Jesuites ne sont aucun scrupule de tromper, de n'épargner ni la veuve ni l'Orphelin, qu'ils mettent si bien a couvert le bien, qu'ils ont surpris, qu'il n'est pas possible à la Justice la plus severe d'y mordre, qu'ils n'ont aucune honte du titre de safraniers & de Banqueroutiers, que par consequent ils sont capables de gater le commerce de toute une [Page 273]ville, & de toute la terre même. Il est donc de l'interêt des Marchands, que cette Societé ne subsiste & ne paroisse plus dans le Monde.
C'est aussi l'interêt des Riches:C'est l'interêt des Riches. car l'experience de tous les jours nous aprend, qu'il n'y a point de Riche, qui leur échappe: ils en ont infailliblement ou pied ou esle comme on dit, ou par presents, ou par donations, ou par legs testamentaires, ou par des procez, qu'ils trouvent toûjours matiere de faire à ceux, dont ils ne peuvent avoir rien par des soumissions, par des frequentes visites, par des cajolleries. Cela est si vrai, qu'on dit communement: importun aussi bien que fourbe, & diffimulé comme un Jesuite. Les Riches donc non seulement se passeroient facilement de cette Compagnie, quand il n'y en auroit plus; mais il leur seroit aussi avantageux, par ce qu'ils n'auroient rien à craindre pour leurs biens, delivrez des gens, qui sous le manteau de Loyola, & sous le nom auguste de Compagnie de Jesus, sçavent si bien s'emparer du bien d'autruy sans qu'on ose s'en plaindre ni crier au voleur. Il faut pourtant excepter les méchans Riches. J'avoue, que ceux-cy [Page 274]ont interêt que la Societé subsiste, & qu'elle domine par ce que c'est par leur protection & leur credit, & qu'ils s'avancent dans le Monde, & qu'ils evitent les peines, qu'ils ont meritées par leurs crimes.
C'est l'interêt des Pauvres;C'est l'interêt des l'auvres. par ce que les Jesuites affoiblissent comme sangsues la plus part des maisons, où ils trouveroient sans eux des aumônes, & par ce qu'ils augmentent tous les jours le nombre des Pauvres, en s'enrichissant du bien d'autrui, sans qu'il en revienne aucun profit aux Pauvres. Enfin les Pauvres ne reçoivent aucun secours des Jesuites, ni par aumônes ni autrement: car ce n'est pas aux Pauvres, qu'ils rendent des visites, puis qu'il n'y a rien à gagner. Ils peuvent mourir sans consultation, & sans Sacremens, ce n'est pas dequoy les Jesuites se soucient. Un Gouverneur de la ville d'Evora sçachant cela, donna ordre d'aller chercher un Jesuite à minuit pour voir un malade,Morale prat. 1 Vol. qui étoit à la mort, & lequel n'étoit pas loin du College: le portier répond, que les Peres ne sortoient point la nuit du College, & ainsi ce pauvre mourent sans Consolation & sans Sacremens. Le [Page 275]Gouverneur prend occasion de là de faire connoitre les Jesuites, & desabuser bien des gens, qui en ont bonne opinion: une nuit il envoye un valet aux Jesuites pour leur demander un de leur Compagnie, souhaittant d'étre confessé: aussi-tôt deux Jesuites partent & courent au Chateau, mais ils rencontrerent le Gouverneur assés pres du Chateau, où il les attendoit. Il leur demanda, qui ils étoient, & où ils alloient, ils luy répondirent qu'ils étoient Jesuites, & qu'ils s'en alloient confesser le Gouverneur, qui se mouroit. Tout cela est faux, leur repliqua-t-il, je suis moi même le Gouverneur, je me porte fort bien; mais vous n'estes point des Jesuites, vous estes des voleurs. Il les envoya en prison, où il les fit passer toute la nuit. Il fallut prouver, qu'ils étolent vrayment Jesuites, il fallut ouir plusieurs témoins, il se passa quelques jours, & les Peres demeurent en prison plus qu'ils n'avoient pensé; mais non pas plus qu'ils l'avoient merité: cependant comme il paroit, que les Jesuites sont inutiles aux Pauvres, & qu'il est constant, que les Pauvres sont en plus grand nombre sans comparaison que [Page 276]les Riches, je ne doute nullement, que si la question étoit jugée par l'assemblée de tous les Pauvres & de tous les Riches, il ne fut ordonné par pluralité de voix, que les Jesuites fussent bannis de la Societé civile, comme étant absolument inutiles à plus de la moitié du genre humain, & pernicieux à la plus part du reste.
C'est l'interêt des Peres & des Enfans:C'est l'interêt des Peres. car il n'y a point de Pere riche, dont les enfans ne soient la proye des Jesuites, la quelle ils chassent & poursuivent si bien, que c'est un miracle, quand elle leur échappe. Le Pere a beau s'adresser aux Jesuites pour les conjurer de toute sa force de détourner son Fils de se faire Jesuite, il perd sa peine, & ses prieres, & son tems, il trouve des ames inexorables & des coeurs de rocher. Ce pauvre Pere n'a que cet objet de son amour & de sa tendresse, c'est un fils unique, son dessein est de le marier dans une famille hônête. Il espere d'avoir des Successeurs & des heritiers par cette voye, & il n'en a point d'autre. Tout cela est oui par ces Religieux charitables sans compassion, & sans la moindre emotion. Si c'est un jeune homme d'un [Page 277]beau naturel d'un esprit vif, & d'une memoire heureuse, l'affection du Pere en est plus forte & plus raisonnable: c'est ce qui luy fait redoubler ses prieres, mais tout cela est inutile. Il s'adresse à son fils, il l'embrasse, il pleure sur son cou, le prie de ne le pas quitter & d'avoir pitié de luy, mais il se trouve avoir à faire à un fils, que les Jesuites ont charmé, & [...]ui est aussi impitoyable, & aussi denaturé, que les Jesuites. Et que font ils enfin de ce fils unique, lequel ils ont enlevé par un veritable rapt à son pauvre Pere? S'il est doué d'un excellent naturel, d'un esprit vaste & capable de grandes choses, fut il le plus propre du Monde à la Theologie, ils tournent & plient son esprit aux affaires du Monde, ils en font un Courtisan, & un Politique, & ordinairement un scelerat. Apres tout, qu'est ce que l'Ecole des Jesuites, qu'un Ecole de souillure d'impureté & d'impieté? Et que peut on esperer des enfans élevez par un Jesuite, qui enseigne qu'on peut dérober, qu'on peut se souler de vin, qu'on peut étre fornicateur, & adultere qu'on peut en un mot commettre les crimes les plus enormes sans interesser son salut en dirigeant l'intention?
Malheur donc aux Enfans, qui tombent entre les mains de ces Pedagogues. Il seroit bon pour eux, & pour leurs Peres, qu'il n'y en eut jamais eu de semblables. C'est donc leur interêt que cette Societé soit exterminée.
C'est l'interët des semmes & des maris.C'est l'intetêt des Femmes & des Maris. Vous comprenez Messieurs, que je m'en va tout droit aux Confessioneaux des Jesuites. En effet c'est là que le Confesseur fait des questions si curieuses, si sales, si impudiques, aux Femmes, que si le Mari les entendoient, à moins qu'il fut insensible, comme un rocher, il ne pourroit s'empecher de s'emporter, & de se jetter sur le Confesseur sans avoir égard à la Sainteté du lieu. Ce sont des questions si contraires à la pudeur, que si une Femme y retourne plus apres avoir apris par experience la maniere, dont les Jesuites confessent les pe nitens, elle ne peut que donner de tres violens soubçons, qu'elle a pris plaisir à l'impudicité de ces questions, & qu'elle ne vaut pas plus que le Confesseur. [Page 279]Quelque secrete qu'on tiêne la Confession, on sçait neanmoins en general par les Livres que les Jesuites ont fait, pour instruire les Confesseurs, qu'il n'y a point de bordel, où il se tiêne des discours plus sales & plus puans: on y descend jusqu'aux dernieres particularitez, & ce que la Malice de l'Enfer peut concevoir de plus horrible, ce qu'ont ignoré les siecles, les plus depravez du Paganisme, toutes les ordures, & toutes les saletez, qui peuvent faire rougir l'effronterie même, se trouvent en abregé dans le Livre d'un Jesuite. Je sçay, qu'il y a eu des Caligules, des Nerons & des Heliogabales, qui ont fait des affrons à la pudeur, & des outrages à la nature: l'impudicité a été l'ame de ces Monstres, & ils ont fait de leurs corps une boutique d'Infamie. Mais quoy qu'ils ayent raffiné sur les plus grandes enormitez, je puis dire, que l'ouvrage du Pere Sanchez pourroit aujourdhuy leur aprendre, ce qu'on n'eut pas trouvé dans les Elephantiaques, les Livres du Paganisme les plus impures & les plus outrez. Que peuvent donc gagner les Femmes & les Filles auprez de ces Peres, qui leur parlent sans doute, [Page 280]lors qu'ils les confessent des mêmes choses, qu'ils ont écrites & publiées, & qui ont écrit & publié des saletés, des ordures, & des infamies, que quand tous les esprits Impurs & de tenebres s'en mêleroient, ils n'y pourroient ajouter rien de nouveau? Les Confessionneaux des Jesuites doivent donc étre suspect aux Maris, dont les Femmes ont un Jesuite pour Directeur: ce sont des lieux, où des pieges sont tendus à la pudeur: ce sont des récueils, où il est impossible d'eviter le naufrage. Les Femmes doivent regarder ces Confessionneaux, comme des lieux imfames, comme des fumiers & des cloaques d'une mortelle puanteur. Celles, qui y ont été, en ont senti les puantes halenées, & si elles ont de la vertu, elles doivens les avoir en horreur. Il leur importe souverainement aussi bien qu'a leur maris, que ces boutiques d'impuretez soient fermées pour jamais, & qu'il n'y ait point de ces Directeurs dans le Monde.
C'est l'interêt de tous les Catholiques,C'est l'interêt des devots à la Vierge. qui se sont devouez au service de la Sainte Vierge, qui dans le sentiment de leurs pechez & de leur misere ont recours à son intercession, l'invoquent [Page 281]comme la Reine des Cieux, comme la dispensatrice de toutes les graces, comme la Maitresse du Paradis; c'est dîje l'interêt de tous ces Catholiques, que la Societé des Jesuites soit entierement abolie, par ce que les Jesuites deshonorent & outragent cet objet de leur culte & de leur devotion: premierement en disant que leur Societé est Vierge, c'est le titre, qui luy est donné par Orlandin son Panegyriste. Et que veut dire ce titre de Vierge, sinon que leur Societé est pure sans tache & irreprehensible. Car S. Paul l'entend ainsi, lorsque parlant de l'Eglise des Corinthiens, il leur dit: qu'il les a attachez à J. Christ, comme une Vierge chaste à son mari, & que parlant aux Ephesiens de l'Eglise de J. Christ, il la represente irreprehensible sans ride & sans tache. Comme donc ils ont pris le nom de Jesuite ou de Compagnie de Jesus, pour faire entendre au Monde, que J. Christ est tout à eux, & eux tous à J. Christ; de même en prenant le titre de Societé Vierge, ils pretendent qu'on les considere comme une Societé, qui est toute à la St. Vierge, & à qui la St. Vierge est toute reciproquement. Mais les Catholiques, qui sçauront, que cette [Page 282]Societé est une école d'impureté, aussi bien qu'une boutique, où se vendent les Indulgences, & l'impunité de tous les crimes, & où se forgent les poignards, & où se preparent les poisons pour envoyer les Rois, & tous ceux, qui les incommodent en l'autre Monde, les Catholiques dîje, qui se sont devouez à la St. Vierge, n'auront ils pas horreur de voir une Societé si impure & si opposée à la Sainteté de la Mere du Redemteur, se glorifier d'un titre, qui la rend participante de son impureté, en la mettant dans sa communion? Il y a quelque chose de plus fort. Le Jesuite Mascharenas, dont j'ay déja parlé met au jour un Livre chez Cramoysi l'an 1656. où se trouve cette proposition generale: que tout ce que l'Eglise soufre étre enseigné & publié par les Casuistes doit étre censé permis. Or les Casuistes enseignent dans leurs Livres, qu'il est permis de venger une injure par un meurtre, de se souler de vin, d'étre fornicateur & adultere en dirigeant l'intention &c. Il se trouve d'autres propositions particulieres dans le même Livre; comme que celuy qui va à la Messe pour voir impudiquement une Femme, & qui sans cela n'y iroit pas, satisfait au precepte [Page 283]d'entendre la Messe, encore qu'il n'eut pas intention expresse d'y satisfaire. Il y en a d'autres de même caractere. Or ce Jesuite dedie ce Livre infame à la Sainte Vierge, declare qu'il n'enseigne que ce qu'il a apris d'elle comme de sa Maitresse, & que c'est elle aussi, qui luy a inspiré de le composer. Je vous laisse à penser, Messieurs, s'il est possible d'étre devoué au service de la St. Vierge, comme sont la plus part des Catholiques, & soufrir en même tems que des Jesuites, qui se disent une Societé Vierge, attribuent à cette Sainte des propositions, qui font horreur, & qu'on feroit conscience d'attribuer à un Docteur de Sorbonne? Je vous laisse à juger, si ces Catholiques, apres avoir fait reflection, sur la conduite contradictoire des Jesuites, soutenant d'un côté que la Vierge est venue au Monde sans peché Originel, & luy attribuant de l'autre, maintenant qu'elle est glorieuse aussi bien que Sainte, une Doctrine, dont un Auteur mortel auroit honte, ne condamneront pas ces Docteurs bisarres & malins à un silence éternel, & leur Societé à étre abolie pour jamais?
C'est l'interêt de tous les Chrêtiens', [Page 284]qui adorent J. Christ d'un vrai coeur,C'est l'interêt des vrais Chrêtiens. comme le fils Eternel de Dieu, & le Saint des Saints; par ce qu'ils ne peuvent voir qu'avec un extreme déplaisir le Nom auguste, & venerable de Jesus horriblement profanê par les Jesuites. Je n'ay parlé qu'en passant, Messieurs, des Maximes affreuses de la Morale de ces Reverends. Il faut que je les expose icy sommairement à vos yeux, afin que vous jugiez, si j'ay raison, ou non de dire que les Jesuites profanent lé venerable nom de Jesus.
1. Un juge en regardant la justice en elle même, peut prendre de l'argent, pour faire gagner celuy, qu'il luy plait de deux personnes, qui auroient egalement bon droit.
2. Un Fils, qui est en la maison de son Pere, peut exiger le Salaire des services, qu'il luy rend, & le voler en Conscience, s'il ne le luy donne.
3. Un homme n'est point irregulier, c'est à dire incapable des Ministeres Eclesiastiques, pour avoir procuré un avortement, s'il doute que le fruit étoit encore animé.
4. Un homme surpris en adultere, qui tue le mary, en se défendant, n'est point irregulier.
[Page 285] 5. En vertu de la Bulle appellée Cruciata, on peut dispenser du voeu, & du serment qu'on auroit fait de ne point commêtre fornication, ou quelque autre peché.
6. Un homme, qui est en reputation d'étre fort debauché, ne peche pas mortellement, en sollicitant une Femme sans intention d'executer ce qu'il propose.
7. Un homme, qui a deviné par une invocation expresse du Diable, n'est point obligé de se confesser d'autre chose, sinon qu'il a deviné.
8. Ce n'est pas un peché mortel de prêcher principalement pour la gloire ou pour l'argent.
9. Les reglemens contre les blasphemes sont abrogés par une coutume contraire.
10. Un homme ne peche point, & ne commet aucune irreverence envers Dieu, lors qu'il ose s'adresser à luy, pour luy faire des prieres, ayant la volonté actuelle de l'offenser mortellement.
11. Ce n'est point faire tort à la puissance paternelle, que de persuader à une fille, de s'enfuir pour se marier [Page 286]contre la volonté de son Pere.
12. Un Mari peut sans aucun scrupule de pecher, tuer sa Femme surprise en adultere & un-Pere sa Fille.
13. Un homme qui est prêt de mourir, n'a pas besoin pour recevoir de Dieu la remission de ses pechez, d'avoir un vrai desir de changer de vie, si Dieu le laissoit plus longtems au Monde; & qu'il la peut obtenir par l'absolution du Prêtre, quoy qu'il soit en telle disposition, que s'il sçavoit devoir vivre plus longtems, il ne se confesseroit point, & ne quitteroit point ses pechez.
14. On ne doit, ni differer ni refuser l'absolution à un penitent, qui est dans l'habitude de pecher, contre la Loi de Dieu, de la nature où de l'Eglise, encore qu'on n'y voye aucune esperance d'un futur amandement, pourveu qu'il dise de bouche, qu'il a regret, & propose de s'en corriger.
15. Abuser d'une Femme mariée n'est pas un adultere, si le Mari y consent.
16. Il semble probable, que le fruit, tandis qu'il est dans le ventre de la Mere est encore privé de l'ame raisonnable, & qu'il ne commence à avoir cette ame, [Page 287]que lors qu'il vient au Monde; & consequemment il faut dire, qu'on ne commet point d'homicide, en procurant un avortement.
17. Appeller Dieu à témoin d'un mensonge leger, n'est pas une si grande irreverence, qu'il veuille ou qu'il puisse pour cela damner un homme.
18. Ce n'est pas un peché mortel d'accepter un duel pour défendre son hôneur, & de tuer celuy qui l'appelle.
19. On n'est pas tenu sous peine de peché mortel de restituer ce qu'on a pris par de petits larcins, quelque grande que soit la somme totale.
20. Il est permis à un homme d'hôneur & de qualité de tuer un agresseur, qui s'efforce de luy donner un coup de baton, ou un souflet, ou de le charger d'une calomnie, s'il ne peut pas éviter cette calomnie par une autre voye.
21. Il est permis de tuer un calomniateur, des témoins & un juge injuste, pour conserver sa vie, son honneur & ses biens.
22. Il est permis de derober non seulement lors que la necessité est extreme, mais aussi lors qu'elle est notable.
23. Les Serviteurs peuvent derober [Page 288]à leurs Maitres, pour se recompenser de leurs peines, en jugeant qu'elles meritent plus de salaire qu'il n'a été convenu.
24. Celuy qui a fait Banqueroute, peut retenir autant de bien qu'il en a besoin pour soutenir sa famille, & vivre honorablement, encore que les dettes pour lesquelles il fait Banqueroute, soient cantractées avec injustice, & par une faute toute notoire.
25. Ce n'est qu'un peché veniel de se remplir sans aucune utilité de viandes & de vin jusqu'à vomir.
26. Un homme, qui est fatigué par quelque travail que ce soit, ou licite ou illicite, comme par exemple, de s'étre corrompu avec des Femmes, est delivré de la Loi du jeune.
27. En parlant avec rigueur, il semble que l'homme n'est jamais obligé en toute sa vie de faire un acte d'amour de Dieu.
Voilà,Ces Maximes sont recueillies dans la Messieurs, ce que les Jesuites ont publié dans leurs Livres, ce qu'ils enseignent dans leurs Confessioneaux, & ce qu'ils pratiquent dans le Monde & dans l'Eglise. Je vous demande maintenant, si ce n'est pas outrager le fils de [Page 289]Dieu,Mora le prat. & les Jesuites les ont soutenues dans leur Apologie que de publier & de pratiquer une Morale si detestable, sous l'auguste & Sacré nom de Jesus? Si ce n'est pas supposer & vouloir faire entendre, que c'est de Jesus, dans son Ecole, & dans sa Compagnie, qu'ils ont apris ces affreuses Maximes, en se qualifiant Jesuites & la Compagnie de Jesus? Car si on entend par les Molinistes, ceux qui professent la Doctrine de Molines, par les Jansenistes ceux qui suivent la Doctrine de S. Augustin, expliquée par Jansenius, que peut on entendre par les Jesuites, que ceux qui font Profession de la Doctrine de Jesus? Ils font donc Jesus le Saint des Saints, Auteur de leur Morale impure. Et les Chrêtiens, qui adorent J. Christ comme le Createur & Redemteur, peuvent ils voir cette profanation & ce blaspheme sans s'écrier: tolle tolle, qu'on extermine une Compagnie, qui fait un si grand outrage à celuy, que nous adorons, & duquel il est dit, que les Anges du Ciel l'adorent?
Mais il faut joindre à tout cela la grande regle de la probabilité, dont les Jesuites se servent ordinairement dans la decision des cas de Conscience: cette regle consiste dans I'union de ces quatre [Page 290]Maximes,LaDoctrine des Jesuites combattue 1 Vol. & qui servent de fondement à toute leur Morale: La 1. que lors qu'il y a de differentes opinions probables sur quelque point, & que quelques uns soutiênent, que quelque chose est défendue, les autres au contraire, qu'elle est permise, toutes ces deux opinions sont egalement sûres en Conscience: & quoy que par necessité il y en ait une des deux, qui soit fausse, & contraire à la Loi de Dieu, on ne laisse pas neanmoins d'aller au Ciel par toutes les deux, & aussi bien par la sausse que par la veritable. La 2. qu'il est permis de choisir la moins problable de deux opinions, & la moins seure: c'est à dire que lors qu'on est en doute, s'il y a peche dans une action, ou s'il n'y en a point, & que l'opinion, qui soutient qu'il y en a, nous paroit plus probable, en sorte que tout consideré, nous sommes de ce sentiment, il nous est neanmoins permis & seur en Conscienee de faire cette action, que nous croyons plus probablement étre un peché. La 3. qu'une opinion est probable, lors qu'elle est apuyée d'une raison, ou d'une Autorité considerable: & qu'il n'est pas necessaire, que ces deux opinions soient jointes ensemble, l'une [Page 291]ou l'autre suffisant: ils appellent la premiere sorte de probabilité intrinseque & la seconde extrinseque. La 4. que selon le sentiment general des Casuistes une opinion est probable, & peut étre communement suivie sans crainte, lors qu'elle est soutenue par quatre Auteurs graves; & que plusieurs enseignent que l'Autorité d'un seul suffit. Or les Jesuites pretendent, que toutes leurs Maximes les plus choquantes & les plus affreuses doivent passer à la faveur de cette regle de la probabilité, qu'on n'y doit faire aucune difficulté, ni plus ni moins que si Jesus Christ avoit parlé du Ciel, & les eut prononcées de sa bouche. Car ce sont des Jesuites qui les ont aprises dans son Ecole. Et cela n'est ce pas une injure atroce faite à la personne adorable du Redemteur.
Eustache du Bellay Evêque de Paris avoit connu, que les Jesuites seroient de francs profanateurs du nom Sacré de Jesus. Car ayant demandé dans l'assemblée de toute l'Eglise Gallicane tenue à Poissi par ordre du Roi en 1561. que s'ils étoient receus, ils le fussent par forme de Societé & de Compagnie seulement, & non de Religion nouvelle, [Page 290] [...] [Page 291] [...] [Page 292]& qu'ils seroient tenus de prendre un autre nom, que celuy de Compagnie de Jesus, ou de Jesuites: cela fut trouvé si raisonnable par toute l'assemblée generale de l'Eglise de France, qu'elle ne les receut qu'à la charge expresse, qu'ils seroient tenus de prendre un autre titre que de Societé de Jesus ou de Jesuites, & sous plusieurs autres conditions, aux quelles ils se soumirent alors par finesse, mais qu'ils n'executerent point depuis; n'ayant pour but alors, que de s'établir dans le Royaume, sçachant bien qu'aussi-tôt qu'ils y auroient mis le pied, ils pourroient s'en rendre les Maitres, comme il n'est que trop malheureusement arrivé.
Ce n'est pas tout.De Justitia & jure. Lib. 2. C. 4. N. 47. Les Jesuites vont plus avant. Ils attribuent effrontement à J. Christ leur Doctrine Diabolique des Equivôques. Car le Jesuite Lessius enseigne, que non seulement nôtre Seigneur J. Christ a pû user d'Equivôques en parlant aux hommes, mais qu'en effet il en a usé, voire en niant une proposition de foy; car nous croyons, qu'il a sçeu le jour du jugement, il a dons usé d'Equivôque, dit Lessius, lors qu'en S. Marc Ch. 13. v. 32. il a dit Or quand à çe jour-là, nul ne le sçait, non pas les Anges, [Page 293]qui sont au Ciel, ni aussi le fils.
Le Jesuite Personius enseigne de même, qu'au seul Ch. 8. de S. Jean J. Christ a usé par huit fois d'Equivôques: quand il a dit; Je ne juge personne, je ne cherche point ma gloire, qui garde ma Parole, ne verna point la mort. Abraham a veu mon jour & s'en est réjoui: avant qu' Abraham fut je suis &c. Les Jesuites sont les premiers, qui ont attribué à J. Christ de s'étre servi des Equivôques. Depuis les Apôtres jusques aux Disciples de Loyola aucun Docteur de l'Eglise, aucun Heretique ne s'étoit avisé de dire, que les Equivôques fussent autorisées dans l'Ecriture. Ce blaspheme étoit reservé pour les derniers tems. Il n'y avoit que les Jesuites, qui fussent capables de les mettre en credit par leur Doctrine & par leur pratique, & qui fussent si impies, que d'en faire Auteur le Temoin fidele & veritable, & qui étant la verité même ne peut mentir. Mais où sont les vrais Chrêtiens, qui oyant ce blaspheme, ne concluent pas que des gens, qui ont perdu tout le respect, qu'ils doivent à J. Christ, en luy attribuant une Doctrine de mensonges & de fraudes, sont absolument indignes d'étre supportez dans le Monde?
Les Jesuites non contents d'étre appellez Chrêtiens, ont voulu étre appellez Jesuites pour paroitre au dessus de tous les Chrêtiens. La verité est, qu'ils ne sont pas même Chrêtiens. Je ne suis pas le premier, qui en ai parlé en ces termes: cela a été dit à Rome même avant que vous ni moy fussions nez: cela a été prononcé par un Cardinal habile & hôneste homme, s'il en fut jamais: non seulement ce Cardinal l'a dit, mais il l'a écrit, & l'a écrit à un celebre Ministre d'Etat, sous le regne de Henry le Grand; c'est le Grand Cardinal d'Ossat, qui a écrit nettement à Mr.Lettre 7. de Villeroi, que les Iesuites ne croyoient pas en I. Christ. Ce ne fut ni ressentiment, ni prejugé, qui luy fit faire ce jugement: c'est la Doctrine & la pratique des Jesuites au sujet de l'assassinat de Jean Chastel, qui le luy firent faire. Il sçavoit, que ceux, qui rejettent J. Christ ne sont pas Chrêtiens, & que ceux, qui rejettent sa Doctrine le rejettent luy même: apliquant ces maximes de J. Christ aux Jesuites, il avoit trouvé que par l'établissement de leur Morale, ils avoient rejetté celle de J. Christ: de là il conclut, qu'ils ne croyoient point [Page 295]en J. Christ. La conclusion n'est elle pas legitime? Pour les convaincre de rejetter la Doctrine de J. Christ par leur Morale, il ne faut que faire un Parallele de leur Morale avec celle du Sauveur, comme elle se void dans l'Evangile selon S. Math. Ch. 5. depuis le 27 verset jusques à la fin. Tant s'en faut que J. Christ aprouve, ni le meurtre, ni l'adultere, ni le larcin, ni le mensonge, ni aucune sorte de serment; au contraire il declare coupable de la gehenne, celuy qui aura dit la moindre injure à son frere; il condamne comme adultere celuy, qui aura regardé seulement une Femme pour la convoiter: si quelcun nous ôte le manteau, il veut que nous luy laissions le saye, s'il nous frappe en une joue, il veut, que nous luy presentions l'autre; il veut que nous nous abstenions de tout jurement, & que nous n'employons que l'oui & le nom; & qu'enfin nous soyons si éloignez de rendre injure pour injure, que nous benissions plûtôt ceux, qui nous maudissent, & que nous prions Dieu pour ceux, qui nous persecutent. Ceux donc, qui comparerent ces derniers versets du Chap. 5. de S. Math. aux 27 Maximes; que je [Page 296]vous ay produites de la part de la Compagnie de Jesus, se pourront ils empêcher de conclurre, que la Morale des Jesuites est aussi opposée à celle du Sauveur, que les tenebres le sont à la lumieres, & que par consequent ils sont plûtôt les Disciples & les enfans de Belial, qu'enfans & Disciples de J. Christ, & que n'étant rien moins que Chrêtiens, & de la Compagnie de Jesus, les veritables Disciples de Jesus doivent consentir, à ce que cette Compagnie soit exterminée?
Je dis que les Jesuites ne sont rien moins que Chrêtiens. En effet s'ils ont quelque Religion, je suis persuadé qu'ils ont fait choix de la Payêne. Ils en donnerent une preuve concluante le 20 May 1685. dans leur Procession triomphante de Luxembourg. Ils l'ont eux mêmes publiée sous le titre de: La Sainte Vierge Patrone Honorée & Bienfaisante dans la France, & dans le Luxembourg, dessein de la Procession, qui se fera par les Ecoliers du College de la Compagnie de Iesus à Luxembourg le 29 May 1685. Iour auquel l'image miraeuleuse de Nôtre Dame de Consolation [...] one du Duché de Luxembourg, & Comté de Chiny sera rapportée de la Capitale de [Page 297]la Province dans sa Chapelle. On aprit dans cette procession quelle est la Religion de ces Peres. Car d'une part on y vid l'image de la S. Vierge portée en triomphe, & même le S. Sacrement: & de l'autre, toute sorte de divinitez profanes, le Dieu Mars, Vulcain, les Cyclopes, les Najades, Ceres, Flore, Pomone & autres Divinitez rustiques, sous le nom même de Dieu & de Divinitez.
Pendant que la Procession marcha avec le Saint Sacrement, on rencontra trois Theatres. Le 2 Theatre étoit pour le Dieu Mars, qui commanda à ses guerriers, à Vulcain, Bronte, Sterope, Pyracmon & autres anciens Bombardiers, de prendre garde de ne plus faire aucune insulte à la Chapelle de Nôtre-Dame de Consolation.
Sur le 3 Theatre on vid paroitre Ceres, Flore, Pomone, les Najades, les Nymphes des prairies & des bois, se réjouir du retour de Nôtre. Dame de Consolation à la Campagne. Tout le reste se ressemble & se répond tres bien. On ne void que des Genies, c'est à dire, des Demons Familiers, car c'est ce que signifie ce terme dans la langue Latine, des Genies de la France, de Luxembourg, [Page 298]des Genies même de l'Eglise & du Christianisme. Apres cela, Messieurs, ferez vous difficulté de conclurre, ou que les Jesuites sont Payens, ou qu'ils ne sont rien moins que Chrêtiens; puis qu'ils en profanent si publiquement & si effrontement les Mysteres? Le bon est, qu'un an auparavant la S. Vierge comme Patrone de Luxembourg devoit empecher les François d'y entrer, dequoy les Jesuites furent caution. Pour cet effet ils demanderent à la ville, qu'on mit entre les mains de la Vierge une clef d'or, pour leur en fermer l'entrée. La fin de tout cela; c'est que les François n'ont pas laissé d'entrer dans Luxembourg; mais la clef d'or a demeuré aux Jesuites.
Autre preuve du Paganisme des Jesuites, ou du moins d'un esprit de profaneté, qui regne dans leur Compagnie, c'est un imprimé, qui a pour titre: Ballet dansé l'an 1686. à la reception de Monseigneur l'Archevêque d'Aix. Premierement, que les Jesuites dansent ou fassent danser un Ballet, est quelque chose de ridicule, & qui choque le bon sens aussi bien que la gravité d'une Compagnie, qui se reclame du nom de Iesus. [Page 299]En second lieu, que ce Ballet soit dansé à la reception d'un Evêque, & d'un Pasteur, c'est une profanation toute visible de la Mitre & de l'Episcopat. Mais ce qui comble la mesure de la profaneté, c'est qu'on ne vid partout que de Divinitez Payênes: Jupiter, Hercule, Orphée, Apollon, Esculape, Argus, Mercure, des Genies, des Zephirs, des Songes; la Renommée, la Discorde, les Furies, en sont les principaux Acteurs: l'Innocence, la Verité, la Religion n'y paroissent que pour étre deshonorées.
Quelques années auparavant, les Jesuites de la Fleche firent danser le S. Esprit sous le nom d'Amour divin avec les divinitez fabuleuses. Car pour montrer le peu de pouvoir qu'a le S. Esprit sur le Coeur de l'homme, ils luy firent employer Vulcain, les Najades & Morphée pour domter un coeur rebelle sans en pouvoir venir à bout. N'est ce pas prouver la puissance du Libre arbitre contre les efforts de la Grace d'une maniere à faire fremir une ame, qui a quelque etincelle de pieté? N'est ce pas un Sacrilege digne du fouet, du pilory, & de la corde?
C'est l'interêt des Juifs,C'est l'intelêt des Juifs. Mahometans & Payens. des Mahometans, des Payens, en un mot de tous les hommes du Monde; par ce que par leurs Maximes ils ruinent, autant qu'en eux est, la Societé civile, & toute sorte de commerce en ruinant la sincerité & la bonne foy. Voicy les Maximes par lesquelles ils ruinent la bonne foy, & aneantissent la sincerité.Escobar. Theol. Moral. Tom. L. 1.10. Dans les contracts civils celuy, qui s'est obligé exterieurement de parole, ou par écrit, & qui interieurement n'a pas voulu s'obliger, ne l'est point en conscience, & peut reprendre en cachette ce qu'il auroit vendu en rendant le prix. Idem tr. 1. exam. 3. C. 7. Dans une opinion probable, que la taxe des Marchandises n'est pas juste, on peut user de faux poids pour gagner davantage, & le nier avec serment en usant d'equivôques, lors qu'on en est interrogé par le juge. Idem Tom. 1. L. 1. S. 11. C. 7. Censure des Casuistes pan sa faculté del ou [...] vain. Il n'y a aucun peché à contracter un mariage par feinte, en usant d'Equivôque devant l'Eglise, lors qu'on y est poussé par une grande crainte.
Celuy qui est élevé à une Magistrature, ou à un office public, par une recommendation, ou par un present, pourra avec une restriction [Page 301]mentale prêter le serment, qu'on a accoutumé de requerir par ordre du Roi de semblables personnes, sans avoir aucun égard à l'intention de celuy qui exige ce serment; par ce qu'un homme n'est pas tenu de confesser un crime caché.
Supposez, Messieurs, que ces Maximes soient receuës des Juifs, des Mahometans, des Payens, aussi bien que des Chrêtiens, qui ont été haleinez par les Jesuites, quelle communication & correspondance y pourra-t-il avoir des uns avec les autres, quel contract pourront ils passer, quel traitté pourront ils faire, quel commerce pourront ils avoir entr'eux, puis qu'ayant adopté les Maximes de la Morale Jesuitique, il n'y peut avoir aucune sûreté, mais plûtôt que toute raison de défiance; la bonne foy étant ruinée & la sincerité étant bannie de tous les coeurs? Il faut donc, puis que les Maximes de la Morale des Jesuites, rompent tous les liens de la Societé civile, & qu'elles sont un manifeste contre tout le genre humain, que les Juifs,Tocsin sonné contre les Jesuites. les Mahometans, les Payens, & tout ce qu'il y a de Chrêtiens & d'hommes sur la terre, sonnent le tocsin contre les Jesuites pour détruire & abolir cette Societé:
Ce Tocsin a été déja sonné contr'eux par trois grands Archevêques de Malines,Morale prat. 1 Vol. qui ont possedé cette dignité l'un apres l'autre, & qui sont morts en reputation de Sainteté. Car le plus ancien de ces trois Prelats a dit des Jesuites;Tocsin sonné contre les Jesuites par 3. Archevêques de Malines. Isti homines in principio florebunt, sed postea erunt execratio omni Populo, c'est à dire, cette Societé fleurira au commencement, mais dans la suite, elle sera en execration à tous les peuples du Monde. Son Successeur a predit d'eux; Isti homines turbabunt Eclesiam, c'est à dire; Cette Societé troublera l'Eglise. Et le troisiême a prophetisé; Isti homines fient ut stercus terrae, c'est à dire, cette Societé deviendra comme la fiente de la terre.
Toutes les Universitez de l'Europe,Par toutes les Universitez de l'Europe. celle de Cracovie, de Louvain, de Padoue, celle d'Espagne & de France, les Evêques, le Clergé, tous les Ordres Religieux & les Parlemens ont sonné contr'eux le Tocsin, lors que prevoyant les maux, que leur Societé causeroit à l'Eglise, & aux Etats, on s'est quasi opposé par tout à leur établissement. La Faculté de Theologie de Paris en particulier dans ce fameux Decret, dont on ne sçauroit trop parler, sonna bien hautement le Tocsin contre [Page 303]eux en disant; que cette Societé sembloit perilleuse en ce qui regarde la foy, propre à troubler la paix de l'Eglise, à renverser. la Religion Monastique, & née plûtôt pour détruire, que pour edifier.
Il n'y a pas jusqu'aux Jesuites mêmes,Par le Jesuite Viteleschi. qui ne s'en soient mêlez: le fameux Mariana a fait un traitté exprez, où il découvre les defauts, qu'il avoit remarquez dans leur gouvernement, & il fait voir que dés le tems, qu'il écrivoit, leur Societé étoit tellement defigurée, que S. Ignace même ne l'auroit pas reconnue, s'il étoit venu au Monde. Et Mutius Viteleschi leur sixiême General, faisant reflection sur la facilité criminelle, avec laquelle ceux de sa Congregation embrassoient toutes les nouvelles opinions, qui alloient (ce sont ses termes) à corrompre & à ruiner la pieté des fideles, dit dans une Lettre aux Superieurs de toutes leurs Maisons, qu'il est bien à craindre, que les opinion trop libres de quelques uns de la Societé, principalement dans les matieres des moeurs, non seulement ne la renversent elle même de fond en comble, mais encore ne causent de tres grands maux dans toute l'Eglise de Dieu.
Je reviens à Mariana,Par Mariana. qui sonne le [Page 304]Tocsin contre la Societé d'une terrible force: Que quelcun, dit-il, soit seulement bien hardy, quelque faute qu'il ait commise, on en demeurera là, pourveu qu'il sçache user de quelque défaite, & trouver quelque couverture. Ie laisse à part les crimes les plus grossiers, dont on pourroit faire un grand denombrement, & qui se dissimulent, sous couleur qu'il n'y a pas de preuves fuffisantes, ou de peur de faire du bruit, & que ce bruit ne viêne à éclatter. Car il semble, que tout nôtre gouvernement n'ait point d'autre but, que de couvrir les fautes, & de jetter de la cendre dessus, comme si le feu pouvoit manquer tôt ou tard de jetter de la fumée. Si l'on exerce quelque rigueur, c'est sur de pauvres malheureux, qui n'ont ni force ni protection, de quoy on a assés d'exemples: les autres feront de tres grands maux, sans qu'on touche seulement à leur Robe. Ʋn Provincial, ou un Recteur renversera tout, violera les Regles, & les Constitutions, dissipera les biens, ou même les donnera à ses Parens: le chatiment qu'on luy imposera apres plusieurs années, sera de luy ôter sa charge, & encore le plus souvent on rendra sa condition meilleure. Y-a-t-il quclcun, qui connoisse quelque Superieur, qui ait été chatié par ces sortes d'excez, pour mei je n'en ai aucune connoissance. Ensuite, apres avoir dit, qu'il seroit [Page 305]à souhaiter, qu'il y eut dans la Societé des recompenses pour les bons, & des chatimens pour les vicieux, il ajoute: C'est une chose deplorable, & que Dieu permet pour nos pechez, qu'on fasse le plus souvent tout le contraire: car parmi nous les bons sont affligez, & même mis à mort sans cause, ou pour des causes tres legeres, par ce qu'on est assûré, qu'ils ne parleront, & ne resisteront point, de quoy l'on pourroit rapporter plusieurs exemples tres funestes: & les mechans sont supportés, par ce qu'on les craint, ce qui est une conduite capable, conclud il, de faire que Dieu abyme la Compagnie.
Lors que l'Auteur de la Morale Pratique parle en ces termes dans la Preface du 1. Volume:l'Auteur de la Morale Pratique. On ne parlera pas icy d'un tres grand nombre d'Histoires, dont on a entre les mains des memoires tres amples, & tres certains, où les noms & les surnoms des particuliers, les maisons & les Provinces, & les circonstances des crimes sont spcifiées, d'une mamere qui ne laisse pas le moindre doute dans l'Esprit, sur les faits, qui y sont rapportez; & qui feront voir, si ces Peres nous forcent de les publier, qu'il n'y a point d'excez, qui ne se commette parmi eux: qu'ils abusent de leurs Missions, dans les païs Etrangers, pour tendre des pieges à la chasteté: de la conversation, de la [Page 306]Parole de Dieu, & de la direction des Monasteres pour corrompre les Vierges consacrées à Dieu, les filles & les Femmes: de la penitence pour pervextir les consciences, de leurs congregations & de leurs Colleges pour des êxcez qu'on n'oseroit nommer.
Lors, dis-je, que ce discret Auteur s'explique en ces termes de moderation, il sonne le Tocsin contre la Societé d'une terrible maniere, puis qu'il donne à entendre que toutes les enormitez des Jesuites, & qui sont étalées dans la Morale pratique, ne sont rien à comparaison de celles, qu'il reserve dans les Memoires, certains & indubitables, qu'il a par devers luy, & qu'il publiera, s'il y est contraint. S'il y est contraint? Je suis faché de cette parole, car l'interêt de l'Eglise & de tout le genre humain sont des motifs assez puissans, pour obliger un Chrêtien à ne pas detenir la verité en injustice. Il en a dit pourtant assez dans ce peu de paroles contre les Reverends pour obliger tout le Monde à leur courre sus.
Melchior Canus,Par l'Evêquc des Canaries. Evêque des Canaries, une des plus grandes lumieres de l'Espagne, a aussi sonné le Tocsin contre cette Societé, d'une maniere aussi [Page 307]forte que l'auroit pû faire un Protestant. Ce Prelat illustre ne les vid pas plûtôt paroitre, qu'il crût, que la fin du Monde approchoit, & que l'Ante-Christ paroitroit bien-tôt, par ce que ses Precurseurs & ses Emissaires (c'est ainsi qu'il designoit les Jesuites) commençoient à paroitre. Il publioit par tout, non seulement dans les Conversations & les Conferences particulieres, mais dans ses sermons & ses leçons publiques, qu'il voyoit en eux toutes les marques, que S. Paul a declaré, qu'auroient les sectateurs de l'Ante-Christ. Et lors que Turrien, qui étoit de ses amis, & qui s'étoit fait Jesuite, le prioit de eesser de persecuter son Ordre; & qu'il alleguoit pour cela l'aprobation que le S. Siege luy avoit donné, il ne luy répondoit autre chose, sinon qu'il se croyoit obligé en conscience d'avertir les peuples, comme il faisoit, qu'ils ne se laissassent pas seduire par eux. C'est le Jesuite Orlandin, le Panegyriste de la Societé, qui nous aprend cette particularité, vrayment memorable dans l'Image du 1. siecle Lib. 4. Chap. 5. Pag. 496.Par S. Paul. Quand au passage de S. Paul, que le sçavant Evêque des Canaries apliquoit aux Jesuites, [Page 308]c'est le commencement du Chap. 3. de la 2. Epitre à Timothée jusqu'au 13 Verset! Or sçachez, que dans les derniers jours il viendra des tems facheux. 2. Car ily aura des hommes amoureux d'eux mêmes, avares, orgueilleux, medisans, desobeissans à leurs Peres, ingrats, impies. 3. Denaturez, sans foy, & sans loyauté, calomniateurs, intemperants, inhumains, sans affection pour les gens de bien. 4. Traitres, insolens, & plus amateurs de la volupté, que de Dieu. 5. Qui auront ane apparence de pieté, mais qui en ruineront la vertu & l'Esprit. Fuy donc ces gens là. 6. Car de ce nombre sont ceux, qui s'introduisent dans les maisons, & qui trainent apres eux comme captives des femmes chargées de pechez, & possedées de diverses passions. 7. Lesquelles apprenent toûjours, & qui n'arrivent jamais jusqu'à la connoissance de la verité. 8. Mais comme Iannes & Mambres resisterent à Moïse, ceux-cy de même resistent à la verité. Ce sont des hommes corrompus, dans l'Esprit & pervertis dans la foy. 9. Mais le progrez, qu'ils feront, auua ses bornes; car leur folie sera connue de tout le Monde, comme le fut alors celle des Magiciens. 12. Tous ceux qui veulent vivre selon pieté en I. Christ, seront persecutez. 13. Mais les Mêchans & les imposteurs se fortifieront de plus en plus dans le [Page 309]mal, seduisans les autres & étant seduits eux mêmes. Plus j'ay consideré ces Paroles de S. Paul, plus j'ay demeuré persuadé, que l'Evêque des Canaries avoit raison, de les apliquer comme il a fait à la Compagnie de Jesus; car il n'y a pas un seul trait dans ce tableau, qui ne luy conviêne parfaitement: de sorte que selon le sentiment de ce Prelat S. Paul est le premier, qui a sonné le Tocsin contre les Jesuites.
Il n'y a pas jusqu'aux Religieuses qui ne s'ensoient mêlées.Par S. Hildegarde. S. Hildegarde sonna le Tocsin, contre cette Societé sous le Pape Jean XXIII. 1415. par cette Prophetie memorable, que voicy, comme elle est rapporté par Sovius au Tom. XV. de fes Annales Eclesiastiques: Il s'élevera des gens, qui s'engraisseront & se nourriront des pechez du peupte; ils feront Profession d'étre du nombre des mendians; ils se conduiront, comme s'ils n'avoient ni honte ni pudeur: ils s'étudieront à inventer de nouveaux moyens de faire le mal: de sorte que cet ordre pernicieux sera maudit des sages, & de ceux qui seront fideles à J. Christ. Le Diable enracinera dans leurs coeurs quatre vices principaux: la flatterie, dont ils se serviront pour attirer le Monde à leur faire de grandes largesses: l'envie; [Page 310]qui fera qu'ils ne pourront soufrir qu'on fasse du bien aux autres: l'Hypocrisie, qui les portera à user de dissimulation pour plaire aux autres: & la medisance, à la quelle, ils auront recours pour se rendre plus recommendables en blamant tous les autres. Ils prêcheront sans cesse aux Princes de l'Eglise sans devotion, & sans qu'ils puissent pretendre aucun exemple d'un veritable martyre, afin de s'attirer les louanges des hommes, & de seduire les simples. Ils raviront aux veritables Pasteurs le droit d'administrer les Sacremens aux peuples. Ils enleveront les aumônes aux pauvres, aux miserables & infirmes. Ils se mêleront pour cela parmi la populace; ils contracteront familiarité avec les Femmes, & leur aprendront à tromper leurs maris, & à leur donner leur bien en cachete: ils recevront librement toutes sortes de biens mal acquis, en promettant de prier pour ceux, qui les leur donneront; voleurs de grands chemins, larrons, concussionaires, usuriers, fornicateurs, adulteres, Heretiques, schismatiques, apostats, soldats dereglez, marchands, qui se parjurent, enfans des veuves, Princes, qui vivent contre la Loi de Dieu, & generalement tous ceux, que le Demon engage dans une vie molle & libertine, & conduit à la damnation Eternelle: tout leur sera bon.
Or le peuple commencera peu à peu à se refroidir pour eux; & ayant reconnu par experience, que ce sont des seducteurs, il cessera de leur donner; & alors ils courront autour des maisons comme des chiens affamez & enragez, les yeux baissez, retirant le cou comme des vautours, cherchant du pain pour se rassasier. Mais le peuple leur criera; malheur à vous enfans de desolation; le Monde vous a seduits; le Diable s'est emparé de vos coeurs & de vos bouches, vôtre Esprit s'est egaré dans vaines speculations: vos yeux se sont pleu dans les vanitez du siecle; vos pieds été vite, & legers pour courir à toute sorte de maux. Souvenez vous, que vous ne pratiquiez aucun bien, & que vous faisiez les pauvres, & que cependant vous étiez riches; les simples & que vous étiez puissans; que vous étiez de devots flatteurs, de Saints Hypocrites, des mendians superbes, des suplians effrontez, des Docteurs legers & inconstans, d'humbles Orgueilleux, de pieux endurcis sur les necessitez des autres, de doux calomniateurs, de pacifiques persecuteurs, des amateurs du Monde, des ambitieux d'hôneur, des vendeurs d'indulgences, des semeurs de discorde, des martyrs delicats, des Confesseurs à gage, des gens, qui disposoient toutes choses à leur commodite, qui aimoient les ayses & la bonne chere, qui achetoient sans cesse des maisons, & [Page 312]qui travailloient sans cesse à les élever; de sorte que ne pouvant plus monter plus haut, vous étes tombez comme Simon le Magicien, dont Dieu brisa les os, & qu'il frappa d'une playe mortelle à la priere des Apôtres. C'est ainsi que vôtre Ordre sera détruit à cause de vos seductions & de vos iniquitez. Allez Docteurs de peché & de desordre, Peres de corruption, Enfans d'iniquité: nous ne voulons plus écouter vos Maximes, ni suivre vôtre conduite.
Un autre sonneur du Tocsin contre cette Societé;Par l'Evêque de Balbastro. c'est Don Jerôme Batiste de la Nuza de l'Ordre de S. Dominique, Evêque premierement d'Albarazin, & ensuite de Balbastro, lequel à fait un ample commentaire sur la Prophetie de Sainte Hildegarde, & qui fait voir, que tout ce qui est dit, convient parfaittement aux Jesuites.
Un autre sonneur de Tocsin contre la Societé,Par le Cardinal Borromée. c'est S. Charles Borromée Archevêque de Milan, qui ôta aux Jesuites le seminaire qu'ils y avoient établi: car ce Prelat étoit trop charitable & trop bon de son naturel, pour avoir fait ce déplaisir à cette Compagnie, s'il n'eut pas connu sensiblement le danger, qu'il y avoit de leur confier la jeunesse; mais il étoit aussi trop zelé pour ne [Page 313]point avertir toute l'Eglise par son exemple, qu'il ne falloit plus soufrir des gens, qui pensoient plus à leurs interets qu'à ceux de l'Eglise, & à l'agrandissement de leur Societé, qu'a l'avancement du Regne de J. Christ.
Vous ne trouverez pas mauvais,Par l'Auteur. Messieurs, qu'étant animé par tant d'exemples, & des exemples d'un si grand eclat, je me mêle aussi de sonner le Tocsin contre la Societé: mais n'attendez de moy rien d'extraordinaire. Je n'ay ni songé des songes, ni veu des visions, ni n'ay jamais rien sceu de l'Astrologie Judiciaire: j'irai seulement mon grand chemin: je poserai des principes, dont tout le Monde tombera d'accord, d'où je tirerai des conclusions, qui seront pour le moins des conjectures vrai-semblables, que cette Societé ne peut pas le porter gueres loin, & qu'elle est proche de sa fin. Le premier Principe est un Proverbe du plus sage de tous les Rois,1. Presage l'Orgueil. l'Orgueil va devant la ruine & precede l'ecrasement. C'est un Oracle d'un Prophete: il y a un jour assigné de la part du Dieu des Armées contre toute Montagne, & contre tout cote haut & élevé, contre les cedres du Liban h uts & élevez, & contre les chesnes [Page 314]du Bacan. C'est un arrêt du fils de Dieu: quiconque s'éleve, sera abaissé. Maintenant considerez je vous prie jusques où les Jesuites se sont élevez, le point d'arrogance, ou ils sont montez, l'Esprit d'Orgueil, dont ils sont possedez. Ils se sont élevez au dessus de tous les Chrêtiens, par le nom de Jesuites: ils veulent par là qu'on croye, qu'ils sont attachez plus étroitement à J. Christ, que tous les autres Chrêtiens, qu'ils ont une communion plus intime avec. luy, qu'ils sont de la confidence & du Cabinet, & qu'ils ont le Privilege, ou un semblable à celuy de l'Apôtre favori, qui s'apuyoit sur le sein de Jesus. Ils ont fait imprimer l'Image du premier siecle, qui est le Panegyrique de leur Societé avec cette image au frontispice, de laquelle la Societé est representée comme une jeune Fille, qui a au dessus de sa tête trois Anges, qui la couronnent de trois Couronnes, l'une, de la Virginité, l'autre de la Doctrine, l'autre du Martyre. Tous les titres glorieux, & tous les éloges, que l'Ecriture donne à l'Eglise, sont attribuez dans ce Livre à la Compagnie de Jesus: c'est l'Epouse de Dieu, son heritage, son jardin de delices, son precieux joyau, sa nation [Page 315]Sainte: de sorte que ces paroles du Pseaume, Cité de Dieu, on a dit des choses glorieuses de toy, car le tres Saint t'a fondée, se doivent entendre de la Compagnie de Jesus. Ils sont la lumiere du Monde, le sel de la terre, le fleau des heresies, la terreur du vice, le modele de la vertu. Il n'y a qu'eux qui sont vraiment infaillibles, ils sont l'Urim & le Tummin du Nouveau Testament. Ce sont eux qu'il faut consulter. Ils ne font pas scrupule de dire,Morale prat. 1. Vol. que Dieu ayant parlé à plusieurs fois, & en plusieurs manieres à nos Peres par les Prophetes, il a parlé en ces derniers jours par S. Ignace, lequel il a établi heritier de toutes choses. Ils se sont élevez au dessus des Loix de leur fondateur, lesquelles ils n'observent point, au dessus des Bulles du Pape, dont ils se môquent, au dessus de celles de l'Eglise, au dessus de celles du fils de Dieu. Car les Jesuites donnent la permission de tuer pour éviter la honte d'avoir receu un souflet, & Jesus veut qu'apres avoir receu un souflet, on en attende patiemment un autre. Les Jesuites disputent, & cherchent des raisons, afin qu'apres avoir enduré le souflet, on poursuive & l'on tue celuy, qui l'a donné. Et Jesus au contraire [Page 316]met le bonheur de ses Disciples dans les soufrances. J. Christ veut qu'on baille même la tunique à celuy, qui nous ôté la robe, & les Jesuites veulent qu'on tue un homme, qui s'enfuit, quand même nous serions en doute, si nous le pourrions recouvrer par une voye plus douce. Ils s'élevent donc au dessus du Fils de Dieu: ils poussent donc l'Orgueil plus loin que Lucifer; car lors que le Tentateur seduisit nos premiers Parens, il ne leur fit pas esperer, qu'en mangeant du fruit défendu, ils seroient au dessus de Dieu, mais seulement, qu'ils luy seroient semblables. Les Jesuites sont allez plus avant, non contents d'étre semblables & conformes à J. Christ, en obeissant à ses Loix, ils ont eu l'audace de s'élever au dessus en renversant ses Loix les plus sacrées.
Que dites vous à cela, Messieurs? Croyez vous, que les Jesuites puissent demeurer longtems dans ce degré d'Orgueil, où ils sont montez, apres avoir oui l'éclat du tonnerre, qui menace tous les superbes d'abaislement, de ruine & d'écrasement? Vous me direz peut étre, que je ne raisonne pas juste, puis que l'experience est contre moy, [Page 317]me faisant voir, que les Jesuites sont montez à ce degré d'Orgueil, dés qu'ils ont paru au Monde, & que cependant ils n'ont jamaïs tant fleuri qu'à present. Mais cela même, qu'il y a longtems, que les Jesuites sont animez du même Esprit d'Orgueil, qui nous étonne si fort aujourdhuy, me persuade, que la ruine, qui les menace, est sur le point de fondre sur eux; puis qu'il n'est pas possible, que les arrets de la justice divine soient, ni éludez, ni revoquez, ni retardez.
Le second principe,2 Presage, la souveraine prosperité. que je pose est qu'une grande & parfaitte prosperité ne dure pas. Et que le même moment, qui arrete son acroissement & sa montée, commence sa descente & son deperissement. Il en va justement de la grande prosperité des Societez humaines, comme de la santé du corps humain. Les Medecins tiênent que lors qu'elle est arrivée au plus haut point de sa vigueur, c'est un état dangereux, par ce qu'il ne dure pas, & qu'il est toujours suivi de grandes maladies, & le plus souvent de la mort. C'est ce qui se pourroit prouver par l'induction de toutes les Societez, qui ont fait le plus de bruit dans le Monde, je veux dire les Republiques, & les Royaumes, [Page 318]& mieux encore par l'exemple des Societés moins nombreuses, comme sont les familles des grands & des Souverains, qu'on a veu descendre du faiste le plus élevé de la Fortune, les unes peu à peu, les autres tout d'un coup, comme emportées par un tourbillon, ou consumées par le feu du Ciel. Or je soutiens, que la prosperité de la Compagnie de Jesus est aujourdhuy au plus haut degré, où elle puisse monter. Je croy bien que les Jesuites ne m'accorderont pas cette proposition; par ce qu'ils ont l'Ambition d'Alexandre le Grand, qui ayant poussé ses conquêtes jusques aux Indes, fut affligé de ne trouver plus de Païs à conquerir: mais il n'est pas juste que des insatiables en soient creus. Il n'y a point de prosperité, qui n'ait ses bornes & sa durée, il n'y en peut avoir d'infinie ni d'éternelle. C'est sur ce piedlà qu'il faut juger de la prosperité des Jesuites. Je soutiens encore une fois, ue le degré d'élevation, où ils paroissent aujourdhuy, est le supreme & le dernier; qu'il faut qu'ils prênent maintenant la peine de descendre; puis qu'ils ne peuvent demeurer en repos, & qu'ils ne peuvent plus monter. Car que leur faut il pour [Page 319]pouvoir dire, qu'il manque encore quelque chose à leur prosperité? N'ont ils pas des richesses immenses? n'en ont ils pas assez pour conter parmi leurs Pensionnaires des Princes & des Rois. N'offrirent il pas aux Venitiens cinq cens mille Ducats pour les recevoir dans leur Republique? S'ils ne sont pas investis personnellement de toutes les Dignitez de l'Eglise, n'en disposent ils pas presque partout? Y a-t-il presque ou Evêque, ou Archevêque, ou Cardinal, qui ne soient leurs Creatures. Ne sont ils pas les Maitres des Conseils de presque tous les Rois? Ne font ils pas les Edits & les declarations, d'où depend la destinée des peuples. Ne sont ils pas les distributeurs en recompenses, les arbitres de la guerre & de la paix? Ils ne sont pas contents encore, me direz vous. Je le voy bien, qu'ils ne sont pas contents, & je dis de plus, qu'ils ne le seroient pas, quand il y auroit un Jesuite sur le S. Siege, quand tout le College des Cardinaux ne seroient que Jesuites, quand il y auroit un Jesuite sur le Trône d'Angleterre, un autre sur celuy de France, un autre sur celuy d'Espagne, un autre sur celuy de l'Empire, un autre [Page 318] [...] [Page 319] [...] [Page 320]sur celuy de Constantinople, ce qui ne se verra jamais, quelques folles que soient leurs esperances. Mais leur mécontentement ne procedant que de leur avidité insatiable, n'empeche pas, que leur prosperité ne soit au plus haut point de grandeur, où dés gens de robe & de petit collet puissent monter, & que je ne sois en droit de sonner le Tocsin une seconde fois contr'eux, & de les assûrer de la part de la raison, qu'un revers equitable de la Providence, les culbutera bien-tôt. Vous riches, pleurez maintenant, hurlant pour les miseres, qui vont tomber sur vous. Vos richesses sont pourries, vos vestemens sont devenus tous rongez de tignes, vôtre or & vôtre argent est enrouillé, & leur rouille vous sera en temoignage, & mangera vôtre chair comme le feu. Vous avez amassé un tresor pour les derniers jours.
Le 3.3. Presage, l'extreme superstition. Principe est l'Idolatrie, que les Jesuites ont portée à son comble. Car il n'y a rien que Dieu regarde avec tant d'horreur, qu'une superstition outrée, & qu'une Idolatrie qui ne garde point de mesures, & qui n'a point de bornes. Que les Jesuites soient coupables de cet excez, je ne veux que le seul livre de leur Pere Crasset, répondant aux avis [Page 321]salutaires. C'est un Prelat, qui avoit donné ces salutaires avis pour reprimer les excez, qu'il voyoit commettre par les Catholiques dans leurs devotions envers la St. Vierge. Le Jesuite Crasset sontient, qu'on n'en sçauroit trop faire, & pour cet effet il entasse fable sur fable. Il est bon, Messieurs, que vous en entendiez quelques-unes, afin qu'il vous prêne envie de sonner le Tocsin contre cette Societé. Les pecheurs, dit ce Jesuite, étant les sujets de la Sainte Vierge, ce sont eux, qui luy forment une Couronne, & c'est pour cela qu'elle les aime d'une amour de tendresse, & de compassion, quelques mêchans qu'ils puissent étre, comme une Mere a pitié de ses enfans.Crasset part. 1. traitté 1 C'est ce qu'elle a revelé à S. Brigitte: sçachez, dit elle, ma fille, qu'il n'y a point d'homme si mêchant & si maudit de Dieu, qui soit entierement abandonné de sa misericerde. Il n'y a pas de pecheur si desesperé, qui ne retourne à Dieu, & ne trouve misericorde, po [...]veu qu'il ait recours à moy. S. Bonaventure est dans le même sentiment, & le declare par ces paroles consolantes: ô Marie, quelque Miserable, que soit un pecheur, vous avez pour luy des tendresses de Meres, vous l'embrassez, vous le serrez [Page 322]contre vôtre sein virginal, & vous ne l'abandonnez point, que vous ne l'ayez reconcilié à son juge formidable. En voicy des preuves convainquantes.Idem. Theophile d'Adanas, ville de Cilicie, ayant été deposé de sa charge d'Archidiacre, accusé d'y avoir mal versé, de rage s'alla donner au Diable, par l'entremise d'un Juif Magicien, dont il se servit, il renonça à Marie & à son fils Jesus, & en donna cedule au Demon signée de sa main: il revint de la desesperé de ce qu'il avoit fait; mais dans ces agitations de coeur & d'esprit, il luy vint quelque moyen d'esperance, que la Sainte Vierge le pourroit tirer de ce malheur. Il va donc dans son Eglise, il se prosterne devant son image, il implore son secours, la Vierge l'exauça, elle le reconcilia à Dieu, & obligea le Diable à luy rendre sa Cedule. Un Jeune Gascon, Soldat de Profession, aprez avoir mangé son bien s'étoit donné à Satan & avoit renoncé à J. Christ; mais n'ayant pas voulu renoncer à la Sainte Vierge, quelque instance que luy en fit le Demon, cela luy valut le pardon de son Apostasie. Car s'étant allé prosterner devant l'image de la Vierge, qui tenoit l'image de Jesus entre ses bras, il entendit ce Dialogue entre ces deux images de la Mere & du Fils. La Mere dit à Jesus: [Page 323] ô mon Fils tres doux, ayez pitié de cet homme. Le Fils répondit: que voulez vous, que je fasse à ce miserable, qui m'a renoncé. Le jeune homme vit apres cela la S. Vierge, c'est à dire son image, qui se prosternoit aux pieds de son Fils, c'est à dire son image, elle luy demandoit sa grace; & aussi-tôt le Fils relevant la Mere, luy dit: Ma Mere, je ne vous ay jamais rien refusé, je le veux: bien je luy pardonne, pour l'amour de vous.
Une Fille appellée Beatrix servante d'un Convent, s'étant debauchée avec un Prêtre, & étant sortie du Convent, courut les bordels quinze ans, pendant lesquels la Vierge prit sa figure & servit le Convent, afin qu'on ne s'aperceut point de l'absence de Boatrix, & que son hôneur ne receut aucune atteinte. Et cela par ce qu'elle avoit prié la Vierge en sortant, & luy avoit dit, en luy remettant les clefs du Convent en main: Madame je vous ai servie le plus devotement que j'ai pû; je vous remets vos clefs; je ne puis plus supporter les tentations de la chair.
Une Femme commettoit adultere avec un de ses voisins, la Femme de celuy, qui faisoit cette infidelité, pria la Sainte Vierge de confondre cette malheureuse [Page 324]creature, qui luy debauchoit son mari; mais il se trouva, que cette impudique disoit son Ave Maria sept fois par jour. Et c'est pourquoy l'image de la Vierge répondit à la Femme, & luy dit: celle dont tu parles, m'offre des Louanges, qui me sont tres agreables: pendant qu'elle fait cela, je ne puis pas travailler à sa confusion; au contraire, je la preserverai de honte, toutefois je la convertiras.
Un voleur de grand chemin ayant jûn'e les sammedis à l'hôneur de la Vierge, un jour qu'il fut pris & decapité sur le lieu même, sa tête en volant de dessus le corps se mit à crier par trois fois Confession, Confession, Confession. On alla chercher un Prêtre, le Prêtre venu remit la tête qui avoit été coupée, les Demons s'étoient jettez sur son ame pour l'entrainer aux Enfers; mais que la Sainte Vierge avoit empeché, qu'elle ne se separât de son corps jusqu'à ce qu'il se fut confesse, & qu'elle luy avoit obtenu cette grace pour avoir jûné les sammedis à son hôneur.
Tous ces recits alleguez par le Jesuite Crasset, & plusieurs autres de même estoffe, que je laisse, justifient ce que j'ay avancé, que les Jesuites ont outré la superstition, [Page 325]& pousse l'Idolatrie au delà de toutes les bornes: car que peut on desirer d'avantage en fait de preuves; puis que ces recits font voir nettement, que ce n'est rien de fouler aux pieds les commandemens de Dieu, pourveu qu'on soit devot à la Vierge, que pourveu qu'on ait recours à la Vierge, quand on auroit renoncé J. Christ, & qu'on se seroit engagé avec le Diable par ecrit, on sort facilement de cet abime; & qu'en un mot dans quelque impieté, où l'on soit tombé, on evite les suplices éternels, pourveu qu'on soit devot à la Vierge! N'est ce pas élever la Sainte Vierge au dessus de Dieu le Pere & de son Fils Eternel? N'est ce pas la faire maitresse absoluë des pecheurs? N'est ce pas faire du Paradis & du grand Conseil de Dieu, une Cour semblable aux Cours des Rois de la terre, où ordinairement les Femmes peuvent tout, & où les plus enormes crimes trouvent de la tolerance, & de l'impunité par la faveur des Femmes? Eh quelles Femmes, Juste Ciel! Je fremis, quand je voy, que la Sainte Vierge fait l'office de ces Femmes-là, dans les recits que je vous ai faits. Apres cela, je ne puis m'empecher [Page 326]de sonner le Tocsin, contre la Societé une troisiême fois: car voyant d'un côté la superstition outrêe des Jesuites, & leur extreme Idolatrie, dans le livre de leur Pere Crasset, & d'un autre voyant que Dieu menace dans sa loi de Visiter l'iniquité des Peres sur les enfans jusqu'à la troisiême & quatriême generation, sur ceux qui le haissent. Estant seur que cette iniquité, dont la Loi parle, c'est l'Idolatrie défendue dans les premiers Articles, & que ceux qui le haissent, sont les Idolatres, violateurs de cette Loi, je ne me puis empecher de conclurre, que le Dieu fort & jaloux ne peut tarder guere plus à détruire cette Societé adultere.
Je ne voy pas, Messieurs, que vous puissiez opposer à ce que je viens de dire, que deux choses: l'une, que ces fables étoient repanduës & cette Idolatrie autorisée dans l'Eglise Catholique Romaine avant la Naissance de Loyola, & que par consequent, je ne puis tirer contre la Societé aucun presage, ni aucune conclusion de mon principe: l'autre, que ce n'est que le Pere Crasset, qui paroit coupable de cette Idolatrie, & qu'il n'est pas juste d'envelopper tout le [Page 327]corps dans la condamnation d'un seul membre. Mais ces deux objections n'ôtent rien de la force de mon presage, non la presniere; car Dieu traitte bien differemment l'Idolatrie commise dans un temps de tenebres, & celle qui est commise dans un temps de lumieres. Celui qui sçait la volonté du Maitre, & qui ne lafait pas, sera battu de plus de coups. Le Jesuite Crasset avoit été averti de la volonté du Maitre, par les avis Salutaires de la Vierge à ses devots indiscrets. C'est un Evêque Catholique Romain, qui est l'Auteur de cet ouvrage, ou qui du moins en a éte l'aprobateur. Ces avis ont retenti par tout: le Jesuite Crasset les a ouis; mais il n'en a pas profité: bien loin de là refuté ces avis Salutaires. Dieu n'aura donc pas en ce tems pour l'Idolatrie des Jesuites, le même support qu'il a eu, avant la naissance de Loyola, qui étoit un tems d'ignorance & de tenebres: Non la seconde; car il n'en est pas des livres des Jesuites comme de ceux de tous les autres Auteurs. Tous les Jesuites Auteurs dependent si absolument de leurs Superieurs, qu'ils ne peuvent avoir ni encre ni papier sans une expresse permission: ils ne peuvent pas [Page 328]donc mêtre au jour un livre, qu'on ne puisse, & qu'on ne doive imputer à toute la Compagnie. Et ignorez vous, Messieurs, l'obcissance aveugle qu'ils doivent à tous les Superieurs depuis le General jusques aux Recteurs des Colleges? D'ailleurs, si apres que le Livre du Jesuite Crasset eut veu le jour, il eut été censuré & condamné, la Compagnie seroit disculpée; mais ne l'ayant point fait, elle demeure toute entiere enveloppée dans la même condamnation. Enfin le Livre du P. Crasset n'a-t'il pas été imprimé à Paris avec aprobation de sa Compagnie, avec celle de l'Archevêque de Paris, & par permission du Roi? je ne puis donc, que je ne sonne le Tocsin contre cette Societé plus fort que jamais, & que je ne conclue, que bien-tôt on en verra la fin.
Le 4. Presage, l'extreme persecution. Principe est la Persecution: car il n'y a rien de si opposé au genie de la grace Evangelique, que l'esprit persecutant, ni apres le blaspheme & l'Idolatrie rien que Dieu ait tant en horreur, ni qu'il ait puni d'une maniere plus terrible. Les exemples de la justice vengeresse de Dieu sur les persecuteurs sont en si grand nombre, qu'il s'en feroit un [Page 329]Livre assez épais. Le Livre intitulé, Presages de la decadence des Empires, en fait un de ses plus grands Articles, c'est un Livre digne de vôtre curiosité. Or deux choses sont constantes, l'une que les Jesuites n'ont été autorisez par les Papes, qu'à la charge, qu'ils s'employeroient de tout leur pouvoir, à la propagation de la foy, & qu'un des moyens de cette propagation est la guerre contre les Heretiques, jusques à les exterminer; l'autre, qu'il ne s'est pas fait une persecution contre les Lutheriens & les Calvinistes, en un mot contre ceux qu'on appelle du titre general Pretestans, ou Heretiques, dont les Jesuites ne soient coupables, ou pour l'avoir conseillé, ou pour avoir fourni les moyens de l'executer. Je suis assuré qu'ils ne se plaindront pas que je leur impose, & qu'ils ne se recrieront pas, que c'est une calomnie: car c'est une affaire dont ils se font un grand merite & un honneur. Mais cela posé, ils sont coupables de tout le sang, qui a été épandu depuis plus de cent ans, de tous les massacres faits en Hollande, en Ecosse, en Angleterre, en France, dans le Païs-bas, dans [Page 330]la Savoye, dans l'Alemagne, dans la Hongrie, dans la Pologne, de tous ceux qu'on a fait mourir par tout, ou sur les Echafauts, ou dans les prisons, ou dans les galeres, ou sur la mer. Et si le sang d'un seul Abel crie si fort contre Cain, que Dieu estemeu de ce cri, & prend connoissance de co parricide pour le punir, quel cri ne fait pas tant de sang répandu par tout de tant de Chrêtiens, contre qui on n'a autre sujet de haine, que celui, que Cain crût avoir contre son frere, c'est d'avoir offert des sacrifices, qui avoient été plus agreables à Dieu que le sien? Cain ne le porta pas loin, il fut bien-tôt puni pour avoir épandu le sang de son frere. Quelle apparence y a-t-il que Dieu laisse plus long tems impunie la mort tragique d'un si grand nombre de Chrêtiens, dont la Compagnie de Jesus est notoirement coupable? Puis que cette Compagnie subsiste, & regne encore par tout, il faut que sou iniquité ne soit pas encore accomplie, comme celle des Amorrheens, & qu'elle n'ait pas encore comblé la mesure. Mais il est fort vraisemblable de dire, qu'elle est plus qu'à demi pleine, & qu'elle est [Page 331]fort avancée. On m'a assûré qu'en Espagne ils ont depossedé depuis peu les Dominicains de l'Office de l'Inquisition. Voilà pour eux une belle occasion de faire perir tous les jours bien d'Innocens. Il n'y a pas long tems qu'ils ont fait mourir trois Princes, s'il en faut croire la voix publique, le Roi d'Angleterre Charles II. le dernier Electeur Palatin, Frere de Madame la Duchesse d'Orleans, & le Prince de Conty gendre du Roi tres-Chrêtien, par ce qu'il avoit obtenu de sa Majesté, la revocation de la permission de faire main basse sur les Huguenots, que le P. la Chaise avoit obtenue. Vous voyez, Messieurs, qu'ils pressent extremement les affaires par tout, & qu'en Angleterre, ils ne laissent pas quasi à sa Majesté Britannique, la liberté de respirer. Leurs pieds n'ont jamais été si legers à répandre le sang, qu'ils le sont aujourdhuy. Croyez moy, c'est une marque, qu'ils sont fort prez de leur ruine, ils y courent, & s'y precipitent. Les plus grands maux, qu'ils avoient à faire sont faits. Leur Orgueil s'est élevé jusques au Ciel, La Morale ne sçauroit étre plus corrompuë [Page 332]qu'elle l'est: l'Idolatrie ne sçauroit étre plus grossiere: l'esprit de persecution ne sçauroit étre ni plus cruel, ni plus profane & impie, qu'il l'est à present; puis que l'on fait prendre par force la S. Hostie aux nouveaux convertis, c'est à dire, à ceux qui sont les plus mal disposez, & qui sont les plus indignes de s'aprocher de leurs Autels, & de participer à leurs Sacrez Mysteres. En un mot, ils ne sçauroient épandre un sang plus noble que celuy qu'ils ont versé. Le sacré sang de Bourbon, & de Stuart, crie vengeance, & presse la Justice de Dieu contre cette Societé meurtriere. Le jour approche, au quel on verra contr'eux accomplie la prediction du Fils de Dieu contre les Pharisiens: tout le sang, qui a été épandu depuis Abel le juste, viendra sur vous jusques au sang de Zacharie Fils de Barachie, que vous avez mis à mort entre le Temple & l'Autel. Ils n'épargnent pas le sang de leurs Catholiques mêmes, lors qu'ils ne sont pas à leur gré, & qu'ils ne peuvent pas les faire venir à leur point. Les Jesuites de Tholose massacrerent impitoyablement le President Duranti. Les Seize [Page 333]de Paris, le P. Pichenat à leur tête, firent pendre le President Brisson. Ils firent mourir de poison le Pape Sixte V. par ce qu'il avoit découvert le fin de leur Politique. Et le traittement,Miroir dutems passé. qu'ils firent au Duc d'Espernon, Pere du Cardinal de la Valette fut pire que la mort. Ils publierent par toute la France, qu'il étoit un Heretique, un Athée, qui avoit été au sabath avec les sorciers, & qui avoit fait la Cene de nuit avec les Huguenots: ils en vinrent à cette fureur, que de le peindre avec des Cornes, hideux comme un Diable, qui tente S. Antoine aux deserts, & que de rendre ces portraits si à la mode & si communs, qu'on en voyoit dans toutes les boutiques. Toutes ces violences commises indifferemment partout sans distinction de Catholiques & d'Huguenots, & aujourdhuy aussi bien qu'autrefois, contribuent à remplir la mesure fortifient mon presage, & me font conclurre, que la Societé n'a gueres plus de chemin à faire, & qu'elle sera bien-tôt au bout. On a veu la fin de quelques autres Ordres Religieux, pour quoy ne pourroit en pas voir celle des Jesuites?
Mais de quel côté,Moyens de détruire la Societé. & par où viendra cette fin tant desirée & si avantageuse au Monde & à l'Eglife? il est fort apparent de dire, que leur ruine commencera en France, comme ce fut en France, que leur Societé prit naissance, & qu'elle jetta ses premiers fondemens, comme je l'ai déja remarqué dans mon 2. discours. D'ailleurs elle a fait en France plus de desordres, elle y a commis plus de parricides, elle y a versé plus de sang, que partout ailleurs. Vraiscmblablement ce sera en France, que la vengeance divine commencera de leur demander conte de leur Politique violente sanguinaire & imple. Toutes les apparences sont contraires à ma conjecture, je le voi bien. La Compagnie de Jesus est aujourdhuy la favorite en France. Toutes les autres Compagnies soit seculieres, soit Religieuses, quelques anciênes qu'elles soient, & quelques services qu'elles ayent rendu à l'Etat, sont aujourdhuy dans le rebut. Les Jesuites seuls possedent la faveur du Prince. Ils sont les dispensateurs de ses graces. Ils tiênent le haut bout dans son Conseil. Mais l'experience nous a fait voir que [Page 335]le titre de favori est un mauvais guarant de la bonne fortune, & la faveur une possession mal assûrée.
Une petite reflection, que le Roi pourra faire sans un grand effort, suffira pour donner du dessous à cette fiere Compagnie, & pour prendre une ferme resolution, d'en purger son Oratoire, d'en nettoyer son Conseil, & d'en delivrer pour jamais le Royaume par un second arrêt de bannissement.
Si justice étoit faite à ces Reverends Peres, ils n'en seroient pas quittes à si bon marché. Ils seroient traittez pour le moins comme les Templiers, lesquels Philippe le Bel fit passer de ce Monde en l'autre, par un feu plus réel que celuy du Purgatoire. Quel tort leur feroit on puis qu'en qualité de Jesuites, il n'y a point d'Enfer pour eux, comme je l'ai déja remarqué, & puis qu'ils trouvent apres cette vie, un lieu plein de delices, rempli de fleurs & d'odeurs tres douces, où l'on n'est point affligé de ce que l'entrée du Paradis est differée, une prison noble & honorable selon Bellarmin, ce ne sont que de Jardins & de champs fleuris, où tous les sens sont charmez. Quel tort dis-je leur feroit on, [Page 336]quand on les envoyeroit dans un lieu si charmant, & qu'ils soutiênent étre tel, qu'ils le décrivent, par des revelations. J'ay eu la curiosité de voir l'Histoire de la condamnation des Templiers composée par feu Mr. Dupui Bibliothecaire du Roi, il paroit par le proces, qui leur fut fait & parfait, qu'ils aprouvoient le larcin, la fornication, la Sodomie, qu'ils ne croyoient point le Mystere de la Redemption, qu'ils adoroient la tête d'un mort, & que dans la forme de recevoir les nouveaux Religieux, ils leur faisoient baiser le derriere au Superieur & telles autres ceremonies, qui font voir, que Dieu les avoit livrez à un sens reprouvé. Je vous ai fait voir aussi, Messieurs, que les Jesuites autorisent le larcin, & toutes les souilleures imaginables, que dans la Chine ils supriment la Croix de Christ, & adorent les Idoles des Chinois. Et pour ce qui est des ceremonies, il n'y a rien de si affreux que leur chambre de Meditations, ni de si sale que le Livre de leur P. Sanchez. Mais il y a deux choses, qui rendent les Jesuites plus coupables, que les Templiers: l'une, que les Templiers ne [Page 337]commettoient leurs vilainies & impietez qu'en secret, leur conviction n'ayant pû se faire sans beaucoup de peine, au lieu que les Jesuites ont publié leurs horribles Maximes appellées avec raison par l'assemblée du Clergé de 1656. la peste des Consciences: l'autre, que les Templiers n'entreprirent jamais sur la vie des Rois, au lieu que les Jesuites ont été plusieurs fois atteints, & convaincus de cet abominable attentat. Je conclus donc, que si on les traittoit dans la rigueur de la justice, ils subiroient un arrêt semblable à celui, qui fut donné contre les Templiers sous Philippe le bel du consentement du Pape Clement. V.
Je ne voudrois pourtant pas, qu'on exercât envers eux toute la rigueur du droit, par ce que je ne cherche que la tranquilité de l'Etat, & la seureté de la personne du Roi; laquelle se pourroit trouver dans un bannissement perpetuel, ou dans quelque autre voye. C'est une chose étonnante, que le Roi ait pû se resoudre à accabler les Protestans de son Royaume, sans en avoir jamais receu aucun sujet de mécontentement, & [Page 338]qu'il puisse soufrir des gens, qui se sont ingerez dans les affaires de son Conseil, qui sont si fortement engagez envers le Pape, & qui enseignent & pratiquent des Maximes de Morale si contraires à la pureté de l'Evangile, au bien de l'Etat, & à la sûreté de la personne de sa Majesté. C'est une chose étonnante, qu'on ait veu finir vers la fin du siecle passé l'Ordre des Humiliez, par ce que l'un d'eux assassina le Cardinal Borromée, & que la Societé des Jesuites subsiste encore convaincue de tant de parricides. L'Ordre des Humiliez fut aboli par le Pape Pie. V. suivant la resolution de l'Assemblée des Cardinaux, quelque instance que le Roi d'Espagne fit au contraire. Mais les Papes n'ont pas fait la moindre demarche contre l'Ordre des Jesuites avec son sacré College, aprez avoir veu quatre Jesuites Varade, Gueret, Guignard & d'Aubigny atteins, & convaincus du crime de Leze Majesté au premier chef. Si est ce que le Roi Henry le grand valoit cent mille fois plus, & que le Cardinal Borromée, & que tous les Papes, & que tous les Cardinaux, qui ont été, & apparemment [Page 339]qui seront. Cela fait voir & sentir, que ce n'est pas de la Cour de Rome qu'on doit attendre, la punition, que meritent les Jesuites. Il faut que le Roi la fasse luy même pour sa propre sûreté; & si sa Majesté reconnoit ses veritables interets, elle ne tardera pas long tems.
C'est une affaire, où sa Majesté ne trouvera pas lamoindre difficulté. Car il ne s'agit pas de forcer les Jesuites à abjurer les Maximes affreuses de leur Morale, ni à changer de Religion. Elle sçait maintenant qu'il y a dans cette entreprise, des difficultez sans comparaison plus grandes, qu'à prendre des places bien défendues, & qu'à conquerir des Provinces; la Conscience ne relevant que de Dieu, qui est le Maitre absolu des coeurs, quand on entreprend de faire changer de creance, & de faire embrasser un culte, contre lequel on est prevenu, par un principe aussi fort que l'est la Parole de Dieu, on trouve une resistance plus forte infiniment, que toute la puissance des Monarques les plus absolus, par ce que c'est Dieu luy même à qui l'on a affaire. Mais dans le [Page 340]bannissement des Jesuites, sa Majesté sera secondée de Dieu, qui benira son dessein, & de dix parties de ses sujets, il est seur que les noeuf se rejouiront, & beniront Dieu de voir le Royaume déchargé d'une Compagnie, qui est regardée depuis long tems, comme pernicieuse à la Societé civile, aussi bien qu'à la Religion de J. Christ.
Que s'il étoit à craindre, que les Jesuites bannis, outrez de depit & remplis de rage, instruits, comme ils le sont, dans les affaires, ne fussent capables de causer un grand prejudice au Royaume, par le moyen des habitudes, qu'ils y laisseroient, sa Majesté peut prendre une voye, qui produira le même bien, que le bannissement perpetuel, & qui ne sera pas suivi du même inconvenient. C'est de donner ordre, de prendre tous les Jesuites par un coup de filet en un seul jour, de les constituer tous prisonniers, faire de leurs maisons & de leurs Colleges autant de prisons, murer les portes & les fenetres, & faire si bien qu'aucun ne peut sortir, les faire garder à veuë, chacun dans sa cellule aux dépens de leurs revenus, & leur donner [Page 341]à manger tout leur saoul, comme on le donne aux Chartre eux, & cela durant toute leur vie. Par ce moyen le Roi delivrera son Etat d'une Compagnie, qui ne pense qu'à s'agrandir aux dépens des sujets & des Souverains, & qui est plus au Pape & à la Maison d'Austriche, qu'à l'auguste Maison de Bourbon, la quelle ils n'aiment point du tout, quelque semblant qu'ils en fassent. Le Roi sçaura par leurs papiers saisis, mille choses, qui regardent son Etat, & celuy de ses voisins, il trouvera des tresors & des revenus, dont sa Majesté pourra recréer la pauvre Noblesse, recompenser ceux qui l'ont servi utilement, soit dans les Armées, soit ailleurs, elle en pourra même soulager ses peuples, qui sont foulez, & augmenter considerablement ses finances.
C'est un bien, que j'espere autant que je le desire. Et dans cette esperance, Messieurs, je prendrai icy congé de vous, & le donnerai à la Compagnie de Jesus, par ce Rondeau, que j'ai veu autrefois avec plaisir à la tête des Lettres Provinciales, & qui pourra faire fort à propos la fin de la Politiques des Jesuites: [Page 342]
Addition immediatement avant celui qui parle de l'interêt de la France.
C'Est l'interêt de la Hollande.C'est l'interêt de la Hollande. Car comme ce beau Païs est le centre du commerce, il faut que les Hollandois fassent leur conte, que les Jesuites y ont leur bonne part, & qu'ils y sont engagez plus avant qu'on ne pense. Ce qui leur est d'autant plus aisé que les Papistes y vont publiquement à la Messe & à la Ville & aux champs, & que même en quelques-unes de leurs plus belles villes, il y a plus d'une Maison de Jesuites. Que ne fairont ils pas contre ce florissant Etat, s'ils trouvent l'occasion qu'ils cherchent avec ce zele ardent dont la fureur a produit par tout le Monde de si tragiques effets? Et que ne doit on pas craindre d'une Compagnie terriblement puissante, qui est repandue par toute la terre, qui fait profession ouverte de travailler à detruire l'Heresie du Nort, qui enseigne à ses devots, [Page 344]vots, qu'il ne faut point tenir la foy aux Heretiques, & qui par sa pratique constante a fait voir, que ce manque de foy est la plus inviolable maxime de sa Morale, & le point fondamental de sa Religion?