LA POLITIQUE DES JESUITES.

LA POLITIQUE DES JESUITES.

à LONDRES, 1688.

AVERTISSEMENT.

LA Politique des Jesuites doit étre jointe à la Politique du Clergé de France, afin qu'on connoisse de bout en bout, & l'esprit qui anime tout le corps de l'Eglise Romaine, & toutes les sources des guerres, qui ont troublé les Etats & des persecutions, que les Protestans ont soufertes & qu'ils soufrent encore aujourdhuy.

Cet ouvrage a tout l'air d'une Saty­re; ce n'est pourtant rien moins que cela dans le sens qu'on donne au mot de Satyre communement, puis qu'on n'y avance rien, qui ne soit appuyé sur des temoignagnes d'Auteurs non su­spects dans la matiere, n'en étant pas un seul, qui ne soit Catholique Ro­main.

C'est proprement le hazard, qui a donné la naissance à cet ouvrage. L'Auteur étant un jour dans une Compagnie, dont la conversation rou­loit sur les affaires d'Angleterre, elle tomba sur la conduite des P. P. La Chaise & Peters, & quelqu'un a­yant dit, qu'il seroit important, de faire connoitre l'Esprit des Jesuites, par [Page]un ouvrage qui decouvrit les mysteres de leur Politique, l'Auteur se chargea de cet Employ à condition qu'on luy com­muniquât certains livres qu'il nomma, & d'autres, s'il y en avoit sur la matiere. Il fut pris au mot, on ne laissa pas re­froidir le fer chaud, on le battit, si bien que le lendemain, il se vid porter dans le cabinet 32 volumes tant grands que petits. Il les lût, il en fit ses Extraits, & en a composé la Politique des Jesuites, qui n'est autre chose proprement, qu'un recueil & un precis de tout ce qui a été écrit pour & contre la Societé depuis son établissement. Sa premiere pensée fut de luy donner la forme de Dialogue, ou bien celle de Lettres; mais ses amis luy ayant témoigné, qu'il seroit mieux de diversifier, & de luy donner la forme de discours, la quelle n'est pas si com­mune, il s'est tenu à cet avis.

Le Lecteur donc trouvera ici 3 dis­cours: dont le 1. traite de la puissance des Jesuites par tout le monde. Le 2. des moyens, par lesquels ils sont parvenus à cette puissance & s'y maintiênent. Et le 3 des predictions & presages, qui les menacent d'une prochaine ruine, & des moyens, qui peuvent & doivent étre [Page]employez pour les exterminer, ou du moins, pour dissiper leur Compagnie, comme on fit autrefois de celle des Hu­miliez & des Templiers.

TABLE. Des Auteurs, qui apuyent les faits avancez dans la Politique des Jesuites.

  • LA 2. Apologie pour l'Ʋniversité de Paris.
  • Apologie pour Jean Chastel.
  • Balsac.
  • Le Catechisme des Jesuites.
  • Le Cabinet Jesuitique.
  • Les Censures, Decrets d'Ʋniversitez, Arrets &c. Contre la morale des Jesuites.
  • La Doctrine des Jesuites condamnée par les Cu­rez de France. 2 Vol.
  • L'Empereur & l'Empire trahis par qui & comment.
  • L'Histoire de Thou.
  • L'Histoire & Abregé Chronol. de Mezeray.
  • L'Histoire de Serres.
  • L'Histoire des Templiers.
  • Les Jesuites sur l'échaffaut.
  • [Page]Le Jesuite Secularizé.
  • Le Journal du Marechal de Bassompierre.
  • Les Lettres du Cardinal d'Ossat.
  • Les Lettres du Docteur Patin.
  • Les Lettres Provinciales.
  • Playdoyé d'Anth. Arnaud Avocat au Parle­ment de Paris.
  • Playdoyé de la Marteliere Avocat au Parle­ment de Paris.
  • Procedures des Curez de France contre la Mo­rale des Nouveaux Casuistes.
  • Le Mercure Jesuite.
  • Les Memoires de Depontis.
  • Le Miroir du tems passé.
  • La Morale pratique des Jesuites. 2 Vol.
  • Onguent pòur la brulure.
  • Le Rappel des Jesuites.
  • Les Recherches de Pasquier.
  • Requêtes, Procés verbeaux, avertissemens de l'Ʋniversité de Paris pour faire condam­ner la Doctrine des Jesuites, pernicieuse à la Societé humaine, & particulierement à la vie des Rois.
  • La Theologie Morale des Jesuites.
  • Traittez pour l'Ʋniversité de Paris contre les Jesuites.
  • La Vie du P. Coton par le P. Joseph d'Orleans.

LA POLITIQUE Des JESUITES.

Ier. DISCOURS.

Argument.

Les Iesuites puissans par tout le monde. Autrefois comme à pre­sent ils ont gouverné l'Espagne, la France, l'Alemagne, l'Angle­terre, la Pologne. Leur puis­sance dans les Indes & dans l'A­merique.

IL n'est pas possible, Mes­sieurs, que vous n'ayez oui parler de l'ambitieux projet de la Maison d'Austriche, que Charles-quint eut la pensée de se rendre Maitre de toute [Page 2]l'Europe, qu'il laissa à ses successeurs dans l'Empire & dans ses Etats heredi­taires, le plan d'une Monarchie univer­selle; & que les Jesuites ont été accu­sez d'avoir secondé de leurs voeux, & de leurs services, ce vaste & magnifique projet. En effet comme ce projet a pa­ru, & en ce que l'Alemagne est deve­nue en quelque façon hereditaire dans la maison d'Austriche, & en ce que le Roi d'Espagne Philippe II. avoit en veuë d'y mettre le Royaume d'Angleterre par le moyen de son mariage avec la Reine Marie, & en ce qu'il ne pensoit pas moins à y reduire la France, par le moyen de la Ligue, au prejudice même du Duc de Guise, qui en étoit le Chef. Il n'a pas moins paru par la conduite des Jesuites, qu'ils ont été soubçonnez avec raison de favoriser & d'avancer de tout leur pouvoir, l'ambition deme­surée des Heritiers de Charles-quint, & en ce qu'ils firent dans l'Alemagne & dans l'Angleterre dans le siecle passé, & sur tout en ce qu'ils firent en France, puis que tout l'Esprit de la Ligue étoit renfermé dans le Conseil des Seize, dont le Jesuite Pigenat étoit le President, & que le Jesuite Mathieu alloit en Espagne & [Page 3]en revenoit chargé des dépeches, avec quoy il s'acquit l'infame Sobriquet de Courrier ou de Postillon de la Ligue.

Mais peutétre, Messieurs, n'ouites vous jamais parler, que le feu d'une sem­blable ambition, se fut pris aux Disci­ples de S. Ignace Loyola, & qu'ils ayent eu la hardiesse de concevoir pour leur Societé, le prodigieux dessein d'une Monarchie universelle. Je voy bien, que cela vous surprend. Et puis que vous n'avez pû l'ouir sans rire, il faut ou que vous croyez, que ceux de cette Compagnie sont des visionnaires & des fous, de la Profession que nous sçavons qu'ils sont, pour s'entêter d'un dessein si chimerique; ou que je sois un Calom­niateur, ou un simple, d'imputer à tout un corps, & à une grande Societé, où il ne se peut qu'il n'y ait des gens bien sensez; de leur imputer dis-je un dessein si extravaguant & si digne des Petites maisons. Vous croirez, Mes­sieurs, de ces Peres tout ce qu'il vous plaira, mon affaire à moy, est de vous faire voir, que je ne suis ni Calomnia­teur, ni credule, & de vous prouver que non seulement il est possible, que les Superieurs de cette Compagnie [Page 4]ayent conceu le dessein ambitieux, qui vous surprend, mais aussi qu'ils sont parvenus enfin, & depuis longtems à cette Monarchie universelle, que cette Societé jouit presque par tout réélement de cette Souveraineté, & qu'en un mot les Disciples de S. Ignace Loyola ont heureusement trouve, ce que les Heri­tiers de Charles-quint ont cherché inu­tilement, & à raison de quoy ils font aujourdhuy pour ainsi dire amande d'hôneur à toute l'Europe.

Premierement la Compagnie des Je­suites n'est pas composée d'Anges: ils sont chair & sang: ils sont hommes su­jets aux mêmes passions & aux mêmes vices, qui se remarquent dans le reste des mortels. Vous ne pouvez pas nier, qu'ils ne soient aussi avares qu'il y en ait au monde: j'aurai occasion dans la suite de vous donner des preuves fortes de leur extreme avarice: pour quoy trouverez vous étrange d'ouir les accu­ser d'une extreme & démesurée Ambi­tion. Y a t'il de l'antipathie entre ces deux passions? Ne peuvent elles loger ensemble en un même lieu? ne void on pas dans l'Histoire des Exemples en grand nombre, qui justifient, que les [Page 5]plus avares ne sont travaillez du desir in­stiable de richesses, que par ce qu'ils ont à satisfaire une ambition, qui n'a point de bornes.

D'ailleurs, Messieurs, sçavez vous bien, quel homme c'est qu'à été Igna­ce Loyola, le Pere des Peres, le Chef & le fondateur de la fameuse Societé? c'étoit un homme de guerre de sa pre­miere profession. Il se trouva même au Siege Pamphlune en qualité de Gou­verneur de la Place, & y fut blessé. Il avoit donc de l'ambition, puis qu'il avoit pris le chemin de la gloire & des Conquerans. Il est vray, que trouvant qu'il n'y faisoit pas bon, il changea de toute. Mais quoy n'y a-t-il qu'un che­min, qui conduit à la gloire? Il quite l'Epée, il s'attache à la Lecture de La vie des Saints, il prêche dans les ruës, soubçonné d'étre de la secte qu'on ap­pelloit Alumbrados, il est mis à l'inquisi­tion, il en sort apres avoir justifié son in­nocence, il luy arrive une nuit, dit Or­landin, de se jêter de son lit en bas, il se met à genoux devant l'Image de la Sain­te Vierge, fait voeu d'étre son Chevalier, & dans une Exstase, qui luy dura huit jours, il vid le modele de la Societé qu'il [Page 6]à fondée. Le voilà donc luy & tous ceux de sa Societé Chevaliers de la Vierge. C'est dequoy ils se glorifient eux mê­mes. Ecoutez ce qu'en dit leur Histo­rien,Orland. Imago. Saeculi. quels hommes choisis, Dieu immortel! quels foudres de guerre! quelle fleur de Che­valerie! quels appuis, quels genies tutelaires! quels protecteurs de l'Eglise! I'ose dire que l'un d'eux est capable des plus grandes choses, & vaut luy seul une Armée. Ils sont tous des hommes mâles, ou plutôt des lions genereux, qui ne sont étonnez d'aucuns perils, ce sont des Heros. Je croy que tous ceux de cette Societé naissent le casque en tête. Ce sont des Samsons animez de l'esprit de Dieu & revêtus de sa force invinci­ble. Le bon est, qu'avec l'humeur & les vertus guerrieres ils croyent posse­der les sciences au plus haut degré.Janse­nis me con­fondu. Et je prens plaisir d'ouir le Pere Brisacier par­lant de luy même en ces termes dans un de ses ouvrages. Je vous aprendrai, que la science & la guerre ne sont pas incompatibles, & vous ferai confesser, que je ne suis pas moins expert en la guerre de l'Ecole qu'en celle de la Campagne, ni moins Theologien que Soldat. Tous les Jesuites, dit encore Dandin, sont eminens en Doctrine & en Sagesse; de sorte qu'on peut dire de la Societé, ce que dit Sene­que: il y a de l'inegalité où les choses eminentes [Page 7]sont remarquables: mais on n'admire point un arbre quand tous les autres de la forêt sont ega­lement hauts. Certes de quelque part que vous jêtiez les yeux, vous ne trouverez rien dans la Societé, qui ne peut étre eminent par dessus les autres, s'il n'étoit parmi d'autres qui ont la mê­me eminence. Or cela étant de la sorte, Messieurs, tous ceux de cette Societé, se trouvans tout pleins du merite extra­ordinaire de leur fondateur, de sa digni­té de Chevalier de la St. Vierge, & de l'ex­cellence de ses visions: & eux mêmes se voyant elevez au dessus de tous les mor­tels, de tous les doctes, & de tous les braves par le seul titre de Pere de la Com­pagnie de Iesus, que trouvez vous de cho­quant & contre la vrai-semblance, que leur Societé ait aspiré à la Monarchie universelle, & qu'elle ait eu l'ambition de gouverner tout le monde Chrêtien, voire tout l'Univers.

Mais il ne faut pas contester contre l'experience. Quand vous me prouve­riez par des raisons, que je ne pourrois pas soudre, qu'il est du tout impossible, que des gens de Robe & des Religieux ayent roulé un semblable dessein dans leur esprit, sans avoir perdu le sens & la raison, je ferai comme ce Philosophe, [Page 8]qui ne pouvant, ou ne daignant pas, refu­ter en forme les sophismes, qu'on luy fai­soit pour prouver, qu'il n'y a point de mouvement dans la nature, se mit à sauter de toute sa force, & cassa de cet­te maniere bouffonne tous les argu­mens, contraires à une verité, qui sau­toit aux yeux. Je soutiens, que les Je­suites sont arrivez à leur but, depuis long tems, & qu'ils sont en possession de la Monarchie universelle. Vous sça­vez que les Papes sont montez à ce haut faiste de grandeur pour le moins depuis Gregoire. Il n'est point de Docteur Catholique aujourd'huy, qui ne fasse profession de croire, que le Souverain Pontife est le Monarque du Monde & de l'Eglise, en qualité de Vicaire de Je­sus Christ, comme il n'est point de Prince Chrêtien, à moins qu'il soit he­retique, ou qui ne le reconnoisse pour son Superieur, ou qui malgré luy n'en ressente le pouvoir. J'en dis autant de la Societé des Jesuites, à cette differen­ce prez; qu'on n'a pas fait un Article de foy de la puissance des Jesuites, comme on en a fait un de celle du Pape, & qu'ils n'ont point dans l'Europe un Etat & uno Souveraineté, qui paroisse dans la [Page 9]charte, comme on y voit la Romagne, ou ce qu'on appelle l'Etat Ecclesiastique. Mais il n'y a point de Prince Catholique, où la Societé des Jesuites ne regne, sous le nom du Prince, & comme il n'y a presque point de dignité dans l'Eglise, ou qu'ils n'occupent, ou dont ils ne dis­posent, ou qui ne soit exercée par leurs creatures. Ce sont des veritez, dont il est aisé de donner des preuves.

Que les Jesuites regnent dans toutes les Cours sous le nom du Prince, cela paroit dans l'Histoire avec evidence, où l'on voit, qu'ils ont fait passer dans le Conseil des Rois & des Empereurs, tout ce qu'ils avoient auparavant resolu, dans les congregations de leur General. Il n'y eut jamais un Roi d'un Esprit, ni plus penetrant, ni plus ferme, ni plus solide que Philippe II. mais il se laissa si fort empaumer par les Jesuites, qu'il ne voyoit que par leurs yeux. Ce fut par leurs pernicieux conseils, dont il ne sçût pas découvrir la malice & la temeri­té, qu'il fit faire tant de boucheries dans les Païs-bas, & qu'il imposa un si pesant joug à ses peuples, que ces bel­les Provinces reduites au desespoir leve­rent l'Etendart de la rebellion, pour se [Page 10]mettre en liberté C'étoit le moins que cela devoit produire: car on voit pres­que toûjours, que le desespoir inspire le courage, & que le courage, qui vient de cet endroit-là, brise les plus fortes chaines de la servitude. Et qu'est il ar­rivé ensuite de cette rebellion? C'est que les Etats des Provinces unies se sont rendus si puissans par mer & par terre, qu'elles on conquis les forteresses & les ports d'Espagne, qu'elles ont dissipé ses flottes, pillé les Indes, & mis en deroute ses plus fortes ar­mées. Si Philippe n'eut pas écouté les Jesuites, il n'eut pas perdu sept de ses plus belles Provinces, & si ces Peres n'eussent pas regenté dans sa Cour, s'ils n'y eussent pas eu le pouvoir, qu'ils y avoient, il n'eut pas prêté l'oreille à leurs conseils. Philippe IV. eut le mal­heur d'éprouver la puissance de ces mê­mes Peres aussi bien que son ayeul. Le Marquis de Spinola étoit d'avis, que le Roi son maître secourut la Rochel­le, ayant reconnu en passant par la Cour de France, que l'Anglois étoit d'intelligence avec le Cardinal de Ri­chelieu. Comme le vieux Caton quel­que affaire qui fut sur le tapis dans le Se­nat, [Page 11]concluoit toûjours son avis par ce­refrain; & que Carthage soit detruite: Ce Seigneur Espagnol de même ne sortoit jamais du Conseil, qu'il n'y eut decla­ré, qu'il falloit secourir la Rochelle. Tous ceux qui ont leu l'Histoire des Païs-bas, sçavent, quel personnage c'étoit que le Marquis de Spinola, qu'il n'étoit pas moins grand homme d'Etat que grand Capitaine, & qu'il ne payoit pas moins de la tête que du bras: mais il avoit en tête les Jesuites, qui contrecarroient son avis, il n'étoit que Ministre, & les Jesuites é toient les Maîtres: quelque excellent que fut le conseil de ce brave Espagnol, les Reverends l'emporterent sur luy, soit qu'ils fussent gagnez par le Cardinal de Richelieu, soit qu'ils fussent bien aises devoir l'affoiblissement de l'heresie dans la prise d'une place, qui étoit un de ses remparts, ils represente­rent si bien au Roi, qu'il y alloit & de son honneur & de son salut de se decla­rer pour une ville heretique, que la Rochelle fut prise, par faute de secours, & que la France devenue fiere de ce suc­cés, fit marcher toutes ses forces con­tre l'Espagne, la bâtit presque par tout, fit soulever la Catalogne, & revolter [Page 12]le Portugal. Ce furent encore les Je­suites, qui porterent Ferdinand II. à vouloir dépouiller les Princes prote­stans de leurs revenus: ce qui l'engagea dans une guerre, où peu s'en falut, qu'il ne perdit tous ses Etats avec la Couronne Imperiale. En effet le Car­dinal de Richelieu, qui veilloit toû­jours pour les interets de la France, fit venir le grand Gustave Adolphe, qui en deux ans conquit toute l'Allemagne, & qui eut chassé l'Empereur de tous ses Etats hereditaires, si un assassin n'eut pas arreté & terminé les victoires avec la vie de ce grand Roi à la bataille de Lutzen. Les Jesuites avoient regardé d'un oeil de convoitise les revenus de l'Eglise, dont les Princes Protestans s'étoient emparez: ces Princes n'étoient pas d'humeur à s'en dessaisir, ils ne pou­voient y étre forcés que par une Armée victorieuse: s'il ne tient qu'à cela, les Je­suites ont assés de credit dans la Cour de l'Empereur, ils gouvernent sa con­science, ils president dans son Conseil ou par eux mêmes ou par leurs creatu­res: voilà une grande Armée sur pied, qui menace tous les Princes Protestans de les depouiller de leurs propres Etats [Page 13]s'ils ne rendent pas tous les revenus, dont ils avoient depouillé l'Eglise.

Vous avez veu dans l'exemple de Philippe second l'authorité & la puis­sance des Jesuites sur l'esprit de ce Roi tout absolu qu'il étoit: en voicy un au­tre de la puissance de ces mêmes Peres, dans la Cour de Portugal. Philippe se­cond pensoit depuis longtems à se ren­dre Maître du Portugal, rien ne l'ac­commodoit mieux que ce Royaume, il avoit cherché divers moyens de satis­faire son ambition sur ce sujet, & trou­vant par tout des difficultez insurmon­tables, il s'adresse aux Jesuites, qu'il connoissoit capables de tout entrepren­dre & de tout surmonter. Il leur pro­pose le dessein qu'il avoit sur ce Royau­me, il leur découvre les difficultés, qui l'empechoient de concevoir l'esperance d'un bon succés: ces difficultés con­sistoient en l'Amour que les peuples avoient pour leur Roi, & dans la va­leur de la Noblesse, qu'il n'ignoroit pas étre trés affectionnée à leur Prince. Mais ce qui rebutoit Philippe se­cond, ne fit qu'animer le courage des Peres, ils assûrent le Roi, qu'ils luy donneroient une entiere satisfaction, [Page 14]& qu'ils le mêtroient en possession de tous les Etats qu'il desiroit. Ils luy tin­rent ce qu'ils luy avoient promis, & il ne leur fut pas aussi difficile qu'ils se l'é­toient imaginé. Comme ces Peres pas­soient pour de grands Apôtres dans le Portugal, ils gagnent dans peu de tems les bonnes graces du Roi Sebastien, ils s'emparent de son Esprit, & y acquierent un si grand ascendant, qu'ils le menent où ils veulent comme un aveugle. D'a­bord ils commencent par luy rendre toute sa Cour suspecte, afin qu'il ne pût avoir de confiance qu'en eux. Ils éloignent tous les anciens Ministres, ils renouvellent tout le Conseil, & sous di­vers pretextes ils accablent de calom­nies, tout ce qu'il y avoit d'honêtes gens, & dans sa Cour & dans ses Etats. Ayant éloigné les uns par un commandement absolu de se retirer, & banni les autres par des Ambassades, ils mettent à leur place des personnes affidées, & redui­sent le Roi à ne se pouvoir servir, que de leur conseil & de leur ministere. Mais comme ce n'étoit pas assés d'avoir fait un monde nouveau à la Cour du Prince, & que le Prince luy même à cause de sa valeur, & de l'Amour que ses peuples [Page 15]avoient pour luy, étoit le plus grand obstacle au dessein de l'Espagnol: ne pouvant s'en défaire par le poison & moins encore ouvertement, ils s'avi­sent de lui faire perir par un moyen, où leur perfidie seroit à l'abri, & qui ôteroit tout sujet de les soubçonner. Pour cet effet ils luy mettent en tête de passer en Afrique, & d'aller faire la guerre aux Mores. Le Roi donne là dedans, & ne considerant pas si avec dix ou vingt mille hommes il pouvoit attaquer une Armée de cin­quante mille, selon le conseil de J. Christ, il suit aveuglement le conseil des Jesui­tes, il entreprend la guerre, il passe la mer, il attaque les Mores, il est tué & toute sa Noblesse taillée en pieces. Ju­gez aprés cela, si le Roi d'Espagne eut grande peine à se rendre Maître du Por­tugal.

Je reviens encore à l'Auguste Maison d'Autriche, pour vous y faire voir de nouvelles preuves de la puissance, que les Jesuites y exerçoient, il n'y a pas bien longtems. La premiere preuve m'est fournie par les brouilleries de la Cour d'Espagne, durant la minorité du Roi Charles, qui regne aujourd­huy. Le Jesuite Nitard, confesseur de la [Page 16]Reine, possedoit si absolument l'esprit de cette Princesse, & celui du Jeune Roi, qu'il ne se concluoit rien dans le Conseil que ce qui plaisoit à la Societé. Dom Iuan s'ennuya de voir le timon de l'Etat tout entier en la main de ces Reli­gieux, s'en plaignit hautement, & s'éloi­gna de la Cour: & ce qui arriva de ces brouilleries, c'est premierement, que la France s'en prevalut de la maniere que chacun sçait, c'est en 2 lieu, que le Pere Nitard fut éloigné de la Cour & de tous les Etats Catholiques, & pour couvrir la honte du bannissement de ce Pere, on luy fit donner le chapeau de Cardinal qu'il alla prendre à Rome, où il est mort, & en 3 lieu, que Dom Iuan luy même ne le porta pas loin, étant mort peu de tems apres d'une mániere qui fit soubçonner ses partics, de l'avoir aidé à bien mourir. Mais la Societé n'est pas morte, elle vit encore, & re­gne toûjours à Madrit aussi bien qu'à Viêne, dont la Cour me fournit une preuve qui saute aux yeux.

Lors que la France declara la guerre aux Provinces-unies, chacun sçait, que l'Empereur ne fasoit autre chose que re­garder faire, pour juger des coups & [Page 17]rien plus, comme s'il n'eut eu aucun interêt à l'abaissement & à la ruine de la puissante République, qu'il voyoit at­taquée par un Roi aussi redoutable qu'ambitieux. D'où venoit l'insensi­bilité & la Lethargie de ce Prince, que de l'artifice des Jesuites, ceux de Fran­ce ayant répandu par tout, que le Roi n'avoit entrepris cette guerre, que pour avancer la Religion Catholique, par la ruine de celle des Protestans, afin de donner lieu à ceux de Viêne d'empe­cher l'Empereur de s'en emouvoir, pour ne pas s'opposer à un dessein si pieux & si Catholique? L'Empereur s'éveilla enfin, il ouvrit les yeux, il reconnut les veritables interets de sa Maison, & ceux de toute l'Allemagne: sollicité par son Altesse Electorale de Brandebourg, sa Majesté lui envoye une Armée du côté de Cologne, avec ordre à Monte­cuculi, de se joindre à celle de cet Elec­teur. La Jonction de ces deux Armées devoit faire une grande operation. Tout le monde étoit en l'attente d'un grand changement dans les affaires du Roi. Car son Altesse Electorale avoit si bien fait, par ses marches & contre-mar­ches, temoignant tantôt vouloir pas­ser [Page 18]le Rhin en differents endroits, tan­tôt en venant fondre sur les alliez de la France, que l'Armée du Viconte de Turenne fatiguée & en pauvre état eut esté facilement défaite, s'il avoit ainsi plû à la Societé. Mais ces bons Peres ne furent pas de cet avis. Ils avoient dessein de rétablir la Religion Catholique en Angleterre. Le feu Roi Charles II. qui étoit dans leurs interest, venoit dans cette veuë d'accorder aux Non-Con­formistes une declaration, qui leur ren­doit la liberté de s'assembler, afin que sous cette belle ombre la Messe y fut publiquement rétablie, & que les Je­suites y pûssent planter le piquet. Pour cela il faloit ruïner leurs Hautes Puissan­ces les Etats Generaux, & par conse­quent il faloit empecher avec soin, qu'il n'arrivât quelque disgrace à l'Armée du Viconte de Turenne. Comment évi­ter ce malheur, puis que l'Armée de l'Electeur de Brandebourg, étoit déja sur le bord du Rhin, & que celle de Montecuculi, étoit partie avec ordre de joindre celle de l'Electeur? Il faloit un coup de maître, & un commandement de Souverain pour revoquer cet ordre. Les Jesuites firent ce coup-là & agirent [Page 19]en Souverains; puis que sans craindre le juste ressentiment de l'Empereur, ils firent remettre un ordre tout contraire à celuy de sa Majesté Imperiale à Mon­tecuculi: ce qui sauva l'Armée de France, & qui mit de la division entre les Alliez. Ce mystere a été découvert par ceux qui virent aprés la fin de la Campagne, la maniere, dont l'Empe­reur receut Montecuculi, à qui ayant reproché la faute qu'il avoit faite, de n'avoir pas joint l'Electeur de Brande­bourg; ce General justifia hautement sa fidelité, en faisant voir à sa Majesté Imperiale, un ordre tout contraire; mais dans la meilleure forme qu'il se pouvoit donner.

Mais venons en France, pour passer ensuite en Angleterre, afin de conside­rer l'Authorite Souveraine qu'ils exer­cent par tout. L'Histoire de la Ligue, Messieurs, vous fera voir, que bien que cette Societé ne fit que commencer de paroitre au Monde en ce tems-là, des lors même pourtant elle commença d'y exercer une puissance Souveraine. Car toutes les affaires des Ligueurs, toutes les resolutions, negotiations, execu­tions, étoient conduites & dirigées par [Page 20]une assemblée composée de Seize, la quelle avoit pour President un Jesuite nommé Pichenat, & laquelle se tenoit dans la maison Professe. C'étoit un fait de notorieté publique en ce temps-là, comme en font foy tous ceux, qui ont écrit l'Histoire de la Ligue. Si cette saction eut eu le succez, dont s'étoit flat­tée la Maison de Lorraine, le Duc de Guise fut monté sur le Trône au preju­dice du Roi de Navarre; mais ce Roi Usurpateur eut dépendu de la Societé, aussi bien que les Rois, qui ont succedé legitimement à Henry III. Je ne croy pas faire tort à la memoire de Henry le Grand, quand je dirai, qu'il n'a pas re­gné si absolument, & si Souveraine­ment que la Societé n'ait eu beaucoup de part au Gouvernement, durant une bonne partie de son regne, c'est à dire, de­puis qu'il eut un Jesuite pour Confesseur, & depuis qu'il commença à les craindre: il vécut tandis qu'il eut de la complai­sance pour eux, mais dés qu'il eut reso­lu une entreprise, qui n'étoit point à leur gré, ils s'en défiront Je suis fort trompé, si je ne puis dire, qu'ils ne regne­rent point en France, sous le regne de Louis XIII. horsmis durant la mino­rité [Page 21]du Roi, & de la Regence de Marie de Medicis, & peut étre durant la fa­veur du Connêtable de Luines; mais il est constant, qu'il y eut un interregne pour eux, sous le ministere du Cardinal de Richelieu. Ce grand homme les a­musa toûjours, & les contenta par tout autre moyen, que par leur faire part de la Regence. Comme il se servoit de tou­te sorte de gens, il donna de l'employ à un Capucin celebre sous le nom du Pere Joseph, lequel il envoyoit tantôt hors le Royaume, tantôt dans les Armées pour certaines intriguos, où il reussissoit heu­reusement. Les Jesuites en furent ja­loux, & temoignerent l'envie, qu'ils portoient à ce Religieux, par le portrait qu'ils en firent faire, sur une plaisante avanture, qui lui arriva à l'Armée. Com­me le Pere Joseph n'étoit pas un Religieux ordinaire, il montoit des plus beaux chevaux, & des chevaux entiers. Un jour celuy qu'il avoit monté sentit une jument, d'abord l'animal se tourne de ce côté; le bon Pere ne songeant point à mal, le laisse aller son grand train; le cheval aborde la jument, luy saute sur la croupe, le Pere se tient ferme, nud tête, le capuçon abbatu, & dans cette [Page 22]posture, il donna de quoy rire aux spe­ctateurs. Les Jesuites ayant oui, qu'on plaisantoit de ce conte, firent faire le portrait du Capucin, ou il étoit repre­senté apres le naturel, sur un cheval du même poil, sur lequel il étoit monté, lors de cette avanture. Ils firent faire plusieurs copies de ce grotesque, & moy qui vous parle, en ay veu plus d'une dans Paris. La malignité des Jesuites ne s'en arrêta pas là. Ils poursuivirent de leur haine le pauvre Capucin jusques dans son tombeau. Ils accuserent ce Reli­gieux d'avoir pretendu au chapeau de Cardinal, en recompense des grands services, qu'il avoit rendus au Roi. Ils firent donc cette Epitaphe, pour flétrir sa memoire, la quelle suppose, comine il est vray, qu'il fut enseveli à Paris dans l'Eglise des Capucins, tout auprés du fameux Capucin Ange de Ioyeuse, lequel sortit du Convent pour reprendre l'epée, apres la bataille de Coutras, oû lé Duc son frere étoit demeuré. Cette Epita­phe, la voici:

Icy dedans cette Eglise
Git son Eminence Grise,
C'est une chose bien étrange,
Qu'un Demon soit aupres d'un Ange.

Le recit de ces petites particularitez ne m'éloigne pas de mon sujet, puis qu'elles font voir, combien les Jesuites sont jaloux du maniment des affaires d'Etat, ne pouvant soufrir, qu'elles soient mises entre les mains des autres Reli­gieux.

Le Ministere du Cardinal Mazarin, qui succeda au grand Richelieu, se passa à peu prés de même. Il ne paroit pas trop que ce Ministre les ait admis à sa confidance, ni qu'ils se soient aussi trop ingerez dans des affaires brouillées, & qui avoient extremement divisé la Cour, pendant la minorité. Il est apparent de dire, qu'ils eurent l'oeil à l'erte, & l'o­reille aux écoutes, durant la mesintel­ligence entre la Reine & les Princes se­condez du Parlement, pour se ranger du parti le plus fort, aprés la fin de la guerre civile. Enfin le Cardinal Ma­zarin étant mort, il n'y eut point de premier Ministre comme sous la mino­rité. Il est question maintenant de sçavoir, s'ils ont gouverné la France aprés le mariage du Roi, & depuis qu'il n'y a plus eu de favori. Si l'on doit s'en rapporter aux Epitres dedicatoires de plusieurs ouvrages, & à la voix pu­blique, [Page 24]le Roi a toûjours regné par luy même, & ne s'est reposé à proprement parler sur aucun Ministre de la conduite des grandes affaires. Mais quand je considere premierement la jeunesse du Roi élevé dans les jeux, les divertisse­ments, & tous les plaisirs imaginables, en second lieu ses amourêtes, en 3 lieu la conduite des Jesuites dans les demê­léz, que sa Majesté a eu avec quelques Papes depuis Alexandre jusqu'à Inno­cent onziême, comme quoy ces Peres ont pris effrontement le parti du Roi contre le Pape, à qui ils ont lié leur con­science par le serment d'une obeïssance aveugle; quand je considere en 4 lieu l'avantage, qu'ils ont eu sur les Janse­nistes, parti qu'on a veu composé de tout ce qu'il y avoit de plus sçavant & de plus pur dans le Royaume, & qu'on void aujourdhuy entierement ruiné & abbatu sous les pieds des Jesuites: quand en 5 lieu je fais reflexion, sur le credit de ces Peres si grand auprés du Roi, qu'il n'y a Prelat ni beneficier conside­rable, qui ne tiêne son Prieurê de la fa­veur & de l'intercession du Pere la Chai­se, ou de son predecesseur: quand en 6 lieu je pense à la maniere, dont le Roi a [Page 25]fait ses plus grandes conquêtes, le peu de temps qu'il y a mis, & le peu de sang qu'il y a fait répandre. Enfin quand je considere le coup, qui a été donné au parti Huguenot, parti de la part du­quel le Roi n'avoit rien à craindre de­puis la reduction de la Rochelle, & sur la fidelité duquel sa Majesté avoit toutes les raisons du monde de se reposer, la maniere dont ce parti a été oprimé, les fourberies, les cruautez, (il faut tout dire) les coyonneries & les impietés qu'on à mis en usage, pour en venir à bout: je conclus de toutes ces considera­tions, qu'il faut que ce soit les Jesuites, qui s'étant emparez de l'Esprit du Roi, ont surpris sa justice, son equité natu­relle, & sa raison, & l'ont porté à une resolution, dont sa Majesté se repentira bien-tôt, si déja elle n'a reconnu sa fau­te, d'avoir abandonné & sa conscience, & une affaire aussi importante que celle de la ruïne des Huguenots à une Socie­té de gens, que leur Origine Espagno­le, attachée à la maison d'Autriche de plus loin, qu'à celle de Bourbon; leur soumission au Pape, à qui leur con­science est engagée par le plus sacré de tous leurs voeux, & leur conduite pas­sée [Page 26]envers Henry lé Grand, ayeul de sa Majesté, luy devoit avoir rendu plus que suspecte, & le juste objet de son a­version, & de sa vengeance.

Je n'entre donc pas dans le senti­ment de l'Auteur du livre intítulé, l'E­sprit de Mr. Arnaud, lequel cherchant dans le Conseil & à la Cour de France, le veritable Auteur de la misere des Huguenots, s'arrête uniquement au Roi tres-Chrétien. J'ay creu durant un temps, qu'un Ministre Calviniste étoit l'Auteur de ce livre; mais le sup­port, qu'il a pour les Jesuites en cet en­droit, & la haine qu'il y fait paroître contre Mr. Arnaud, me fait soubçon­ner qu'il est partisan des Jesuites, s'il n'est pas de leur Societé. Il est vray, que le Roi a declaré il y a longtems, qu'il ne vouloit qu'une seule Religion dans son Royaume, & qu'on luy a oui prononcer ces paroles terribles, comme un presage suneste de la ruine de ce par­ti: Mon ayeul aimoit les Huguenots & les crai­gnoit, mon Pere les craignit & ne les aymoit point. Pour moy je ne les aime ni ne les crains: mais il est seur que ce sont les Je­suites, qui luy ont inspiré cétte haine, en luy representant sans cesse qu'ils avoient [Page 27]un Esprit républiquain, qu'ils n'atten­doient que l'occasion favorable pour se­couer le joug, & que tout affoiblis & abbatus qu'ils étoient, il avoit paru dans les mouvemens de 1650. qu'ils étoient capables de faire un changement dans l'Etat.

Pour achever de dire toute ma pen­sée sur ce sujet, je croy que les Jesuites ont eu jusqu'icy, sous Louis le Grand, à peu prés la même Autorité qu'avoit sous Louis le Juste le Cardinal de Ri­chelieu. Ce Prince avoit le titre de Roi, mais son Ministre en avoit toute l'Autorité, & comme parle Balzac, il avoit tant d'estime pour ce Prelat & tant de confiance en sa capacité, qu'il luy avoit cedé tous ses droits, à la reserve de celuy de guerir les Ecrouêles. Je sçay que Louis le Grand a toutes les qualitez Roya [...]es, qu'avec une taille, un port & un air tout plein de Majesté, il a de la penetra­tion, du courage & une grandeur d'a­me, qui se void en peu de Princes. Mais enfin il laisse faire les Jesuites, il les croit habiles, puissans & affectionnez au bien de sa famille & de son Etat, il est hom­me: ce n'est pas merveille, s'il s'est trom­pé. De Pontis rapporte dans ses Memoires [Page 28]que Louis le juste, qui l'avoit honoré de sa faveur, luy avoit promis la pre­miere charge, qui seroit vacante dans un certain Regiment. De Pontis aver­tit le Roi de la mort d'un Officier, dont il seroit bien aise de remplir la place. Le Roi la luy promet de nouveau: il en­tre dans la chambre du Conseil, luy commande de l'attendre à la Porte; mais le favori fut bien surpris, d'ouir le Roi luy disant à la sortie du Conseil: Depon­tis, nous avons perdu nôtre affaire, il à éte trouvé bon de donner la charge à un autre. Je suis persuadé, que Louis le Grand n'est pas sujet aux Jesuites, comme Louis le juste l'étoit au Cardinal de Richelieu, & que lors qu'il luy prend envie de faire du bien à un Courtisan, il ne met pas la chose en deliberation, & qu'il ne de­mande pas au Pere la Chaise son avis: mais à cela prés, je ne doute point, qu'il n'ait donné toute sa puissance à ce bon Pere ou à la Societé, & que ce ne soit les Jesuites, qui font aujourdhuy tout dans le Royaume. Voici un fait, qui met en évidence la toutepuissance des Jesuites à la Cour de France. Il se tint une assemblée Generale du Clergé à Pa­ris, l'an 1655.56.57. durant ce temps-là [Page 29]les Curez de Paris, écrivirent à tous les Curez de France des lettres circulaires au sujet de la Morale relachée des Jesui­tes, pour en poursuivre la condamnation devant l'assemblée du Clergé. Tous les Curez envoyerent des procurations en bonne forme passées par devant No­taires, à ceux de Paris, pour se joindre à eux dans cette poursuite. Les Curez de Paris presenterent une Requête ou Re­monstrance à l'assemblée du Clergé, le 24 Novembre 1656. demandant, que la Morale des Jesuites fut condamnée comme renversant les Divins Preceptes de J. Christ, aprouvant le mensonge, la fornication, l'adultere, le larcin, le meurtre, favorisant l'impenitence, & tendant à troubler le Royaume en ex­posant la personne sacrée du Roi aux assassins. Qui n'eut pas attendu de cet­te venerable assemblée, une condam­nation authentique de cette Morale, re­gardée avec horreur par tous les Curez du Royaume? Ce n'est pourtant pas ce qu'elle fit: elle fit seulement deux cho­ses; l'une est, qu'elle ordonna la pu­blication d'un livre de S. Charles Bor­romée, qui contient des Maximes Sain­tes & Evangeliques, toutes contraires [Page 30]à celles, dont les supplians poursui­voient la condamnation; l'autre est, qu'elle écrivit une lettre circulaire a­dressée à tous les Prelats de France, dans laquelle l'assemblée declare, que le manque de loisir pour faire cet Examen, est la seule chose, qui l'ait empechée de prononcer un jugement solomnel, qui eut arreté le cours de cette peste des consciences, & qu'ils l'auroient fait volontiers, si les suplians s'y fussent plutôt adressés. Quoy! Ces Mrs. les Prelats re­connoissent, que la Morale des Jesui­tes est la peste des consciences, & qu'il est important d'en arrêter le cours par un jugement solemnel: pourquoy donc ne donnent ils pas ce jugement solemnel, pour arrêter le cours de cette peste des consciences? C'est, disent ils, le manque de loisir pour en faire l'Examen. Ce n'est assûrement point cela; car & tous les Curez du Ro­yaume avoient fait cet examen, & eux memes pour la plus part, ou l'avoit déja condamnée dans leurs Dioceses, ou avoient veu les extraits, lesquels ils n'avoient qu'à verifier, ce qui ne de­mandoit pas beaucoup de tems: d'ail­leurs une affaire de cette, importance, où il s'agissoit d'arrêter le cours de la peste des consciences, meritoit bien que les Pasteurs, [Page 31]qui veilloient pour le salut des Ames, de­mandassent au Roi le tems de faire un examen, qui tendoit au salut éternel de ses sujets & à son propre salut. En un mot la Requête des Curez de France est pre­sentée au Clergé assemblé le 24 No­vembre 1656. & une assemblêe ne se separe qu'en 1657. qu'aprés le Mois de Janvier. Et ils disent ces Mrs. que le manque de loisir d'examiner la Morale des Ie­suites est la seule chose, qui empêche leur assem­blée de la condamner par un jugement solemnel!

Credat Iudaeus Apella.
Non Ego.

Ce n'est point faute de tems; il y au­roit de la simplicité à se contenter de cette excuse, ces Mrs. en avoient de reste, ou n'en ayant pas assez, il falloit le demander. La chose le meritoit bien: mais voicy ce qui empêcha leur assemblée de condamner la Morale des Jesuites, par un jugement solemnel. C'est que le Conseil du Roi, leur avoit défendu de le faire, sauf à eux de la con­damner d'une maniere, qui ne déplût pas si fort aux Jesuites. L'assemblée obeit, & par ce qu'ils sçavoient bien la réponse des Apôtres au Confeil des Je­suites, [Page 32] il faut obeir à Dieu plutôt qu'aux hommes, ils s'excusent d'obeir à Dieu sur le manque du loisir, & en même tems pour satisfaire au devoir de l'Episco­pat, ils font publier le livre de S. Charles Borromée, & envoyent des lettres cir­culaires par toute la France à tous les Prelats, dans lesquelles ils declarent, qu'ils n'ont pas eu loisir de prononcer un jugement solemnel. Il est clair disje, & de la derniere evidence, que la crainte de desobeir aux ordres de la Cour em­pêcha ces Mrs. de prononcer le juge­ment solemnel, que tous les Curez du Royaume leur avoient demandé. Il ne faut qu'ouir les Curez de Rouen, où ils parlent ainsi dans la lettre, qu'ils é­crivirent à Messire François de Harlay leur Archevêque, au sujet dé l'Apolo­gie, que les Jesuites eurent l'audace de publier,La Doctri­ne des Jesuites con­dam­née. aprez que l'assemblée du Cler­gé fut separée. Nous estimons, disent­ils, Monseigneur, qu'il seroit prejudiciable à l'Eglise, au salut des ames & au bien de la Societé publique, d'epargner le livre de l'A­pologie, & toutes les mauvaises maximes, qu'il contient, de peur de déplaire aux Iesuites, qui les soutiênent. Nous sçavons bien, qu'en ce siecle de complaisance & de lacheté, où nous vi­vons, [Page 33]on évite tant que l'on peut de choquer les personnes, que l'on pense avoir quelque credit auprez des Grands, & qu'on se persuade pou­voir servir ou nuire à la fortune; mais si cette complaisance va jusques à abandonner la verité, & à laisser fortifier l'erreur, faute d'y resister, la Religion est perdue, l'Evangile est détruit, les bonnes moeurs sont corrompues, la Discipli­ne est renversée &c. Quoy, Monseigneur! on n'osera pas resister à l'impieté, s'oppo­ser au libertinage, & combâtre les monstres, que la fausse Morale enfante tous les jours, par ce que ce sont des Iesuites, qui en sont les Pe­res? on n'osera plus dire à l'avenir, que l'on est obligé de produire des actes d'Amour de Dieu. On n'osera plus soutenir, qu'il n'est pas permis de tuer pour un souflet, ou pour un de­menti, & les Evêques n'oseront plus condamner, les detestables paradoxes, qui sont contraires à ces verités, par ce qu'il plait aux Jesuites de les soutenir?

Il est clair dis-je, & de la derniere evidence que l'assemblée du Clergé n'o­sa pas prononcer le jugement solemnel, qui leur étoit demandé par tous les Cu­rez du Royaume, par ce qu'ils ne pou­voient le prononcer sans irriter le Con­seil du Roi, qui le leur avoit défendu. Mais d'où vient que le Conseil du Roi [Page 34]leur défend de prononcer ce jugement solemnel, contre une Morale reconnuë pour detestable & pour funeste au salut des ames, contraire à la tranquilité de l'Etat & à la sûreté du Roi? c'est pour ne pas donner du chagrin à la Compa­gnie de Jesus. Si toute autre Compa­gnie eut mis au jour cette Morale, fut ce celle des Cordeliers, des Jacobins, des Carmes, des Chartreux, des Peres de l'Oratoire, fut ce l'assemblée même du Clergé, le Conseil du Roi ne l'auroit pas épargnée, il l'auroit condamnée sans remission, & par les censures de la Sor­bonne, & par les Arrets du Parlement. Mais ce sont les Jesuites, il ne faut pas facher des gens, qui sont maîtres à Ma­drid, à Viêne, à Rome & par tout, des gens qui peuvent servir & desservir le Roi & l'Etat: où est celuy qui ne voit pas dans ce fait, que les Jesuites sont tout puissans à la Cour de France? Il est vrai, que lors que la condamnation de leur Morale fut poursuivie à l'assemblée de 1656. le Cardinal Mazarin étoit chef du Conseil, & le Roi trop jeune pour se méler d'une affaire de Morale. Mais depuis que le Roi est devenu l'ame aussi bien que le chef de son Conseil, les Janse­nistes [Page 35]ont fait la guerre aux Jesuites avec le Zele, & la vehemence que chacun sçait. Il n'est pas possible que sa Majesté n'ait oui le bruit de cette guerre, & oui dire que tout le monde condamnoit leur Morale relâchée, puis que les Papes mê­me n'ont pas pû s'empecher de la pro­scrire par leurs bulles: cependant les Jansenistes ont été entierement oprimez, cela n'a pû fe faire à l'insceu de sa Ma­jesté. Il faut donc que les Jesuites s'en soit rendus les Maîtres, puis qu'ils ont eu ce credit que de se servir de l'Autori­té Royale, pour oprimer la verité, en la personne de ses defenseurs, quoy que tres bons Catholiques.

Mais je passe en Angleterre, pour y faire voir la toutepuissance des Jesuites, au­tant qu'elle peut y étre possedée par des gens de ce caractere, & comme elle se trouve en la main de ses Rois. Je ne pailerai que du regne des trois derniers. Charles I. Pere de Jaques II. qui regne à present eut le malheur que chacun sçait. Je ne pense jamais à sa mort tra­gique sans fremir. Mais tout le monde ne sçait pas que les Jesuites sont les Au­teurs de cette tragedie, qui fit voir tomber la tête à ce bon Prince sur un [Page 36]Echaffaud. C'est dit on communement le parti des Presbysteriens, des Anaba­ptistes & des Independans, animez & conduits par Cromwel, qui se porta à cette horrible extremité. Je ne pretend pas justifier Cromwel de ce parrici­de, ni les Independans, qui en souille­rent leurs mains: mais je soutiens que les Jesuites sont les Autheurs des brouil­leries d'Angleterre entre le Roi & le Parlement, & que c'est par leurs prati­ques & menées detestables, que ce bon Prince finit ses jours par la main d'un bourreau, tant afin de se rendre Mai­tres de l'Angleterre, que pour de­crier les Protestans, & les rendre odieux à tout le monde. J'espere qu'on verra quolque jour tout le detail de cette tra­gedie: cependant je prie le Lecteur de remarquer cette circonstance. C'est qu'il y avoit plusieurs hommes masquez sur l'échaffaud où le Roi fut executé, & que c'est une chose tres seure, que le Je­suite Confesseur de la Reine étoit un des masquez, lequel ayant veu sauter la tête du Roi, leva l'Epée haut en s'é­criant, nous voilà aujourdhuy delivrez de nô­tre plus grand ennemi. C'est une autre verité, que la nouvelle de cette execu­tion [Page 37]barbare étant arrivée dans la ville de Rouen, il se trouva une Compagnie de gens instruits des mysteres de la So­cieté, où l'un d'eux lâcha ces paroles: Le Roi d'Angleterre à son mariage nous avoit promis le rétablissement de la Religion Catholi­que en Angleterre, & par ce qu'il differoit de jour à autre, nous l'avons souvent sommé d'ac­complir sa promesse: nous sommes venus jusqu'à luy dire, que s'il ne le faisoit pas, nous serions contraints de nous servir de moyens, qui le per­droient. Nous l'en avons bien averti, & par ce qu'il n'a pas prosité de cet avis, nous luy avons tenu nôtre parole, à cause qu'il n'â pas voulu nous tenir la siêne. C'est uné au­tre verité, que le Secretaire d'état Mau­rice répondant à une lettre, dont l'Au­teur accusoit les Jesuites de la mort du Roi, s'explique en ces termes: Il ne m'est pas permis, ni bien seant de fonder des conjectu­res, & de tirer des consequences dés Ordres, que sa Majesté me donne à vôtre égard, au dela de ce qu'elle me dit precisement. Vous sçavez la fidelité & l'exactitude avec laquelle jeservois sa Majesté, & ce que je devois taire, ou ce que je devois tenir secret. Mais je puis bien vous dire en confidance, qu'il y a des preu­ves, qui font un violent soubçon, & presque une entiere conviction, que la Religion des Papistes [Page 38]est la premiere coupable du meurtre commis sur cet excellent Prince: du quel meurtre ils veu­lent aujourdhuy faire tomber la haine sur les Protestans. C'est une autre verité, qu'un Protestant peu avant la mort du Roi, rencontra une troupe de Jesuites sur le chemin de Roüen à Dieppe, qui le pre­nant pour un Catholique, luy dirent qu'ils alloient prendre parti dans l'Ar­mée des Independans, & qu'ils y feroient des affaires C'est une autre verité, qu'un Jesuite visitant à Paris peu de tems aprés la mort du Roi une Dame Angloise, qu'il avoit seduite, la trouvant fondant en pleurs à cause de la fin lamentable de son Roi, il luy dit en souriant; Mada­me, vous n'avez pas raison de vous tant lamen­ter; les Catholiques sont delivrez de leurs plus grand ennemi, & la Religion Catholique tire­ra un grand avantage de cette mort. L'Hi­stoire ajoute, que la Dame indignée d'un tel discours fit sauter les degrez au Jesuite, & conceut une telle horreur pour la Religion Romaine, que de­puis elle n'en a pas voulu oui parler. C'est une autre verité, qu'un homme extremement adroit visitant les Moines de Dunkerque, pour les faire parler, leur dit au sujet de la mort du Roi, que les [Page 39]Jesuites avoient bien travaillé à ce grand ou­vrage. Sur quoy un Moine dit, que les Jesuites s'atribuoient toûjours la gloire de tout ce qui se faisoit de grand, mais que leur Ordre avoit contribué à ce grand oeuvre pour le moins autant qu'eux. C'est une autre verité, qu'une joye universelle se répandit au deça de la Mer dans tous les seminaires Anglois, qu'ils croyoient étre si fort avancez dans leurs affaires, que les Be­nedictins étoient déja en peine comment ils empecheroient les Jesuites de s'empa­rer de leurs biens, se souvenant de ceux que ces bons Peres leur avoient enlevez dans la Boheme & ailleurs, sous Ferdi­nand II. Et que les Religieuses dispu­toient déja à qui seroit Abbesse. C'est une autre verité, que l'Historien de tous ces faits s'est offert de prouver en justice son accusation contre les Jesuites sur la mort du Roi. C'est l'Auteur de la réponse curieuse au livre intitulé Phi­lanax Anglicus. La verité de tous ces faits est fondée sur un autre fait, c'est que le Roi se mariant avec Henriête de France, avoit promis de laisser élever les enfans, qui proviendroient de ce ma­riage dans la Religion Catholique, jus­qu'à l'âge de 14 ans. Car il paroit par [Page 40]là, que ce Prince s'étoit engagé à favo­riser le dessein qu'on avoit de rétablir la Religion Catholique en Angleterre, & qu'ayant changé d'avis, ou que n'al­lant pas aussi viste, que l'on vouloit, on luy suscita des affaires, qui l'oprimerent. Ce qui fait comprendre au Lecteur sans l'obliger à faire de grands efforts, que la puissance des Jesuites, étoit bien re­doutable en Angleterré sous le regne de Charles I. puis qu'ils eurent assés de credit pour le faire passer du Trône sur un Echaffaud, & de l'envoyer en l'au­tre monde, en faisant soulever contre luy le Parlement & tous les sujets de ses trois Royaumes, par ce qu'ils ne le trou­verent pas d'humeur à favoriser tous leurs desseins.

Ils n'ont pas eu moins de puissance sous Charles II. ils l'ont fait voir en quatre tems: Dans le tems de l'exil du Roi, car ce fut alors, qu'ils se saisirent de sa conscience & de celle du Duc d'York, faisant sentir au Duc de Glocester, qu'il n'y va pas de moins que de la vie, quand on ne fait pas tout ce qu'ils veulent. Et comme en ces tems-là ces Princes exilez étoient sans finances & sans ressource, ils se donnerent entierement à ces Peres [Page 41]officieux, qui fournissoient abondam­ment à leur entretien, & qui les abrû­voient de belles esperances: dans le tems du rétablissement du Roi, lequel ils porte­rent à se marier avec la Princesse du Por­tugal contre toutes les regles d'une Po­litique sage & eclairée; puis que c'é­toit une Princesse Catholique, c'est à dire, propre à faire soubçonner qu'il l'étoit aussi, durant tout le tems, qui a cou­lé depuis son rétablissement: Puis qu'ils l'o­bligerent à vendre Dunquerque au Roi de France contre ses propres interets, aussi bien que contre ceux du Royau­me, à persecuter les Presbyteriens & les animer contre les Episcopeaux, à sou­frir, que le Duc d'York se fit Catholi­que, ou pour mieux dire, qu'il levât le masque, & à faire mourir tant de bra­ves gens, qui n'étoient coupables que d'étre Zelez pour l'Eglise Anglicane & pour le bien de l'Etat. Enfin dans le tems de sa mort: puis qu'ils l'ont fait mourir de poison, par ce qu'il n'alloit pas aussi vite qu'ils vouloient, afin de faire mon­ter sur le trône Jacques II. qui l'occu­pe à present, & qui peut étre ira plus vite qu'eux mêmes ne voudront. Il est vray, qu'ils firent ouvrir le corps de ce [Page 42]Prince, pour éloigner le soubçon, qu'ils sentoient bien, qu'on auroit contr'eux; mais cela même n'a servi qu'à faire leur conviction, puis qu'ils firent cette ou­verture, sans toucher à la tête, où l'on auroit infailliblement trouvé les traces du poison. Pour ce qui est de Jacques II. qui regne aujourdhuy, il seroit inu­tile de prouver, que les Jesuites sont les Maitres de sa conscience & de son Con­seil; toutes les demarches de ce Prince & tout ce qu'il a fait depuis son avene­ment à la Couronne jusqu'à la naissance de son heritier sent si fort l'esprit de la Societé, ses fourbes, son audace, son ambition & son impudence, qu'il n'y a personne qui sçache ce qui se passe en Angleterre, qui ne s'étonne qu'un Prince, qui a fait voir son esprit & sig­nalé son courage, ait pû se resoudre à subir un joug aussi dangereux & aussi infame que l'est celuy, que les Jesuites imposent à leurs devots. Ils ont entre­pris l'abolition du Test, ils ont trouvé presque par tout une resistance invinci­ble, ils ne se sont point rebutez, ni ne se rebuteront, qu'ils n'ayent fait perir le Roy, & qu'ils n'ayent mis le feu aux quatre coins des trois Royaumcs. [Page 43]Ils en veulent à la grande Bretagne: ils l'ont couchée en jouë: ou ils l'auront, ou ils attrapperont la Couronne de Mar­tyr, comme leur P. Garnet: ils font sem­blant de travailler pour le Pape. C'est une raison specieuse. Mais ce n'est qu'un pretexte, afin qu'ils puissent agir plus se­cretement sous un nom & sous une Au­torité, que tous les Catholiques reverent constamment: ce n'est que pour eux qu'ils travaillent à conquerir cette belle Isle, laquelle, s'ils pouvoient l'envahir sur la Maison Royale, & sur le Succes­seur de S. Pierre, les rendroit les arbitres Souverains de toute l'Europe. C'est à sçavoir, s'ils reussiront dans un si vaste deslein, & s'ils auront toûjours à faire à des gruës, ou s'ils seront toûjours des meneurs d'ours. En attendant que l'é­venement nous éclaircisse ce mystere, faisons un voyage dans l'Amerique.

C'est là qu'ils sont comme des Rois ces bons Peres, puis qu'en effet ils y sont Maîtres absolus du Royaume du Paragnai, qu'on rencontre dans l'A­merique Meridionale en montant la seule riviere de la Plata. Les Espa­gnols s'y étoient établis, & en avoient chassé, ou reduit au petit pied les naturels [Page 44]habitans. Máis les Jesuites ayant apris par leurs épions, la beauté & les ri­chesses de ce Royaume, entreprirent de l'acquerir pour la Societé, & y reussis­sent: voicy comment ils obtiênent de la Cour d'Espagne permission, & ar­gent pour l'envoy d'une Mission dans l'Amerique. Ils arrivent à Paragnay, ils montrent leurs Lettres, ils obser­vent le Païs, ils écrivent à Rome, aver­tissent le General des grandes richesses qu'ils y trouvent. Le General leur en­voye un renfort d'autres Jesuites des plus Zelez, des provisions de bouche & de guerre & des presens pour gagner les Indiens: avec cela ils entreprênent de chasser & les Espagnols, & les Domini­cains, qui leur avoient pris le devant, se rendant Maitres absolus de ce beau Royaume: de sorte que s'il en faut croi­re deux relations de ce Païs-là, l'une d'un Capucin, l'autre d'un Evesque Dominicain, il y a trente ans qu'ils y ont douze forteresses, soixante mille hommes de Garnison, & un revenu an­nuel de plus de cent trente millions. Ils enleverent ces deux relations des qu'el­les parurent, pour cacher à l'Europe leur puissance dans l'Amerique, mais [Page 45]ils ne les enleverent pas toutes: ceux qui les virent en publierent, ce que je viens de reciter. Cette Histoire me fait sou­venir de la revolution, qui arriva dans la Chine il y a un peu plus de quarante ans, & me fait soubçonner, que les Je­suites, qui y étoient alors, en furent les premiers mobiles. Les relations de ce Païs-là portent; qu'en 1645. deux Fa­ctieux se mirent en tête de se rendre Maîtres du vaste Royaume de la Chine. Ils prirent pour cela leurs mesures, ils l'attaquerent l'un du côté du Midy, l'au­tre du côté du Nort. Au commence­ment ils n'étoient qu'une poignée de gens, mais leur parti grossit comme un peloton de neige en chemin faisant: tout leur reüssit, ils avancerent toûjours au long, & au large, ajoutant Province à Province, jusqu'à ce qu'ils se rencon­trent au coeur de ce grand Empire! Là piquez d'ambition, aucun n'étant con­tent de son Partage, chacun vouloit étre Maitre de tout, ils en viênent aux mains, & comme ils étoient aux prises, le grand Cam averti de tout ce desor­dre, franchit la muraille, & vient met­tre d'accord ces deux rivaux, par un arrêt semblable à celuy, qui fut donné [Page 46]sur le proces au sujet de l'huytre. C'est depuis ce temps-là, que la Chine est au Tartare, & il y a lieu de soubçonner, que les Jesuites étoient ces deux voleurs, qui y firent venir le grand Cam par leur mes-intelligence. Il faut avouër que c'étoit s'y bien prendre pour parvenir à la Monarchie Universelle, qui est leur grande Idole. Ce màuvais succez ne les a point rebutez. Ils poursuivent constamment leur pointe par tout. S'ils ne sont pas montez sur le Trône de la Chine, ils sont ceux qui sont les plus prés dû Trône. Ils y sont Ministres d'Etat, ils y sont du Conseil secret, ils y sont Mandarins, on les y void en e­quipage de grands Seigneurs. Ils sont precedez & accompagnez de gardes, dans des Carrosses somptueux. Ils lont en grand credit dans tout ce vaste Em­pire.Morale Prat. 2. Vol. En effet le Theatrum Jesuiticum ra­conte du P. Martinius, qu'il étoit un Mandarin du premier ordre, élevé au dessus de tous les Vice-Rois, & le re­presente marchand porte par des hom­mes à livrée dans une Chaise d'Yvoire, garnie d'or tout devant la Chaise, le seau du Roi dans un cofre doré: luy riche­ment vêtu, avec un Dragon en brode­rie [Page 47]sur la poitrine, accompagné de ses gardes, Arquebusiers, Lanciers, & Etendarts. Je juge par cette description, que ce Pere étoit Chancelier de la Chi­ne, il y a un peu plus de 40 ans. Car c'étoit peu de tems aprés que cet Empi­re fut envahi par le Tartare.

De la Chine ils passerent au Japon, d'où ils chasserent les Cordeliers, & les Dominicains, qui avant eux y avoient prêché la Religion Catholique. Ce qui fait voir que le pouvoir, qu'ils a­voient dans cette Isle, n'étoit pas peu considerable en ce tems là. Il y a en ef­fet un peu plus de quatre-vingt ans, qu'un celebre Avocat en parloit en ces termes au Parlement de Paris.Maitre An­thoine Arnaud dans son playdo­yer contre les, Je­suites. Mais si les Jesuites, dit-il, sont pernicieux à la Fran­ce, pour le moins ont ils fait de grands miracles aux Indes: oui certainement & fort remarqua­bles pour nous: car ils ont fait mourir avec leurs Castillans par le fer & le feu, vingt mil­lions de ces pauvres Innocens, que leur Histai­re même appelle des agneaux. Ils ont bien ar­raché le Paganisme, non pas en couvertissant les Payens, mais en les faisant soufrir cruelle­ment comme des bourreaux: que font ils dans l'Amerique, poursuit le même Au­teur? Au Perou ils ont des gênes publiques [Page 48]dans les Marchez, pour y mettre mille hom­ [...]nes à la fois, & là les Soldats & les Goviats tourmentent ces pauvres gens, afin de leur fai­re confesser, où est leur tresor. Aussi quand ils peuvent échapper, ils se vont pendre eux mê­mes aux montagnes, & auprez d'eux leurs femmes, & leurs petits enfans à leurs pieds. Ces monstres de tyrannie vont à la chasse aux hommes, ainsi qu'on fait icy aux Cerf, les fai­sant devorer par leurs Dogues & par les tigres, lors qu'ils les envoyent chercher du miel & de la Cire, & aussi par les Tuberons, quand ils leur font pêcher les perles aux endroits de la Mer les plus dangereux.

Pour revenir dans nôtre continent, si vous n'avez pas oublié l'Histoire de Casimir Roi de Pologne dernier mort, qui fut un veritable Jesuite, & qui sor­tit de la Societé pour monter sur le Trô­ne, & épouser la Femme de son frere, vous n'aurez pas grande peine à conce­voir, qu'ils ont une bonne part aujourd­huy aux affaires de ce grand Royaume, & qu'ils se fortifierent considerable­ment à la Cour de France, lors que ce Roi Jesuite par une obeïssance aveugle à son General, se demit de la Couronne en faveur de Michel son successeur, dont la veuve a épousé le Duc de Lorraine, [Page 49]qui s'est signalé par tant d'exploits con­tre le Turc; et se vint renfermer dans une Abaye de France, pour y exercer la Royauté sur les Moines: & si ensuite vous considerez, que le Roi Michel fit bien-tost place au Marechal Sobiesky, qui regne à present; vous conclurrez de là, que le bon Roi Casimir paya de sa Couronne ce que les Jesuites ont obtenu du Roy de France, & que la Societé ne perdit rien par ce changement; mais qu'elle transporta la Couronne de Ca­simir sur la tête de Sobiesky, afin qu'el­le passât d'un Jesuite à un autre. Car ces bons Peres sont trop fins, pour ne point gagner dans tous les marchez qu'ils font, sur tout dans le Negoce de Couronnes: & vous sçavez, Messieurs, qu'il tint à bien peu, que les Jesuites ne s'emparassent de celle de Suede, lors que Sigismond Roi de Pologne en de­pêcha 40 pour composer à Stocolm le Conseil, qui devoit conduire les affai­res de ce Royaume. Il est vray, qu'ils ne furent pas aussi heureux dans ce vo­yage, qu'ils avoient sujet de l'esperer en y abordant, puis qu'ils y furent re­ceus avec des feux d'artifice & au bruit du canon comme des Rois. Mais soit [Page 50]que le Ciel jugeat la Suede indigne de cet honneur, soit que la Providence eut dessein de preserver la Suede de la plus cruelle tyrannie qui fut jamais, ils firent un triste naufrage au port, ce sa­cré Senat de quarante Peres ayant dis­paru à peu prés comme Romulus au bruit du Tonnerre, & à la lueur des é­clairs. Ce fut Charles Oncle de Sigis­mond, qui envoya ces Jesuites en Pur­gatoire aussi vite qu'un boulet de Ca­non. Et c'est là qu'ils tiênent mainte­nant leurs assises à l'abry du froid aspre & rigoureux, qui regne à Stocolm, & qui y fit mourir le grand Descartes.

Tout ce que vous venez d'ouir, Mes­sieurs, justifie à la lettre, que les Jesui­tes regnent par tout le Monde qui nous est connu. Et tout cela s'ajuste trés bien premierement avec les droits & les Privileges, qu'ils attribuent à leur Ge­neral, lequel ils revêtent d'une autori­té superieure à celle du Pape.Part. 9. Ch. 3. pag. 280. Ils le don­nent à entendre nettement dans leurs Constitutions, là où ils disent que leur General peut revoquer les Missionnai­res envoyez par le Pape même. Missos etiam per summum Pontificem, nullo Tempo­re definito, potest revocare. Or vous sça­vez, [Page 51]que c'est la Doctrine constante de la Societé, que le Pape est le Monar­que de tout le monde en qualité de Vi­caire de J. Christ, que de droit tous les Royaumes de la terre luy appartiênent, & qu'il en peut disposer en faveur de qui il luy plait. Puis donc qu'ils pre­tendent que leur General soit au dessus du Pape, s'ils raisonnent, & s'ils se con­duisent consequemment à leurs Princi­pes, il faut qu'ils pretendent que leur General soit le Monarque de tout l'U­nivers, & qu'ils soient continuellement apliquez à chercher la Monarchie Uni­verselle, puis que c'est à luy qu'apar­tient le droit de disposer des Septres & des Couronnes. Cela même est con­firmé par une autre Regle de leurs Con­stitutions. Elle porte un voeu parti­culier, par lequel ils promettent, que s'ils sont élevez aux premieres dignitez de l'E­glise, c'est à dire a celle du Cardinalat ou de la Papauté même, ils ne feront rien que de l'avis de leur General, où dè quelcun de la Compagnie deputé par luy pour cet esset. Qu'ar­riveroit il donc s'ils étoient si heureux un jour que de voir un Jesuite sur le Sie­ge de S. Pierre, & le College des Car­dinaux tout composé de Jesuites? Il ar­riveroit [Page 52]sans doute, que le General des Jesuites feroit un Monde tout nouveau, que tous les Prelats & tous les Benefi­ciers, & tous les Princes dépendroient de luy, & que tous les Chrêtiens du Monde seroient ou Jesuites en effet, ou Jesuites in votis. Ils ne manqueroient pas alors de se rendre Maitres de toutes les chaires & de tous les confessionneaux, de sçavoir les secrets de toutes les famil­les & de toutes les Cours, d'étre les Ar­bitres de toutes les affaires des Chrêtiens, & de dire alors que tous les Royaumes du Monde étoient reduits à J. Christ, comme les Saints Oracles le font esperer, puis qu'en ce cas-là, ils se seroient veus rangez sous l'obeïssance aveugle, & soumis à la ferule de leur General. Vous auriez donc tort Messieurs, de considerer le General de cette Societé, comme celuy des Jacobins ou des Augustins, qui n'ont que des Religieux à gouverner. Pour en avoir une Idée conforme à la gran­deur du sujet, il faut vous le represen­ter comme un Souverain, qui n'est pas moins seculier, qu'Eclesiastique, & qui affecte de gouverner le Monde, & l'Eglise tout comme la Compagnie de Jesus. C'est aussi ce que declare celuy [Page 53]qui occupoit ce supreme rang, lors qu'entretenant à Rome un Seigneur François: Voyez Monsieur, luy dit-il,Moral. prati­que des Jesuites Vol. 1. de cette chambre, oui de cette chambre, je gouverne non seulement Paris, mais la Chine; non seulement la Chine, mais tout le monde, sans que personne sçache comme cela se fait. VEDA il Signor, di questa Camera, di questa Camera io Gouverno, non dico Parigi mà la China: non gia la China, ma tutto il mon­do, senza chenissuno sappia come sifa.

Tout ce que vous avez oui s'ajuste encore trés bien avec l'esprit remuant, l'esprit d'intrigue, l'esprit de Cour & de Domination, qui anime la Compagnie de Jesus. A ouir parler le P. Coton, il n'y eut jamais de gens plus éloignez de l'ambition que ceux de sa Compagnie. Car quand le Roi Henry IV. luy offre l'Archeveché d'Aix, & le chapeau de Cardinal, il répond:Vie du P. Co­ton par le P. Joseph d'Or­leans. que la Compagnie avoit fait un nouveau voeu de n'accepter jamais aucune dignité dans l'Eglise, sans un com­mandement exprez du Pape. Et si le Roy luy replique: si j'eusse été Pape je n'eusse per­mis, qu'aux Ignorans de faire cette sorte de voeu. Le P. Coton luy repart: Sire, Dieu vous donneroit d'autres sentimens si vous étiez Pape, & vous feroit sans doute com­prendre, [Page 54]combien il importe aux communau­tez de fermer cette porte à l'Ambition, & combien celles, qui par leurs engagemens au ser­vice de l'Eglise, & du prochain, ont besoin d'a­voir de bons sujets, doivent avoir soin de ne se les pas laisser enlever. Dans le même esprit d'humilité íls presenterent au Roi Hen­ry IV. une requête, où ils declarent qu'il n'y a point de Compagnie Reli­gieuse plus éloignée des affaires d'Etat que la leur, mais cela fut relevé d'une maniere extremement forte quelques années aprés,Exa­men de 4 actes des Je­suites à Paris 1643. par un Auteur trés-con­noissant de toutes leurs menées: si cela est aussi veritable, dit il, qu'il est hardiment avancé, j'en appelle à témoin toute la Chrê­tienté. Mais laissant à part ce qui regarde les autres Etats, qui voudra rappeller dans sa me­moire les troubles excitez en France, depuis l'an 1576. jusqu'à present, il verra que de­puis le commencement jusqu'à la fin, ils y ont été melez si avant, qu'il y à dequoy s'étonner, comment ils ont eu le front & l'assurance d'écri­re cela au feu Roi, qui sçavoit bien le contrai­re, & contre la tête duquel ils ont machiné tant de malheureuses entreprises. Quelles al­lées & venues ne firent point quasi à leur entrcé, le P. Mathieu & le Pere Odo Pichenat pour les faire reussir? &c. Mais les lettres trou­vées [Page 55]depuis un peu plus de deux ans chez Ou­din leur Secretaire d'Etat, remplies de divers avis & Conseils, qu'ils donnent & reçoivent des plus importantes affaires de tous les Etats Chrê­tiens, & nommément de la France, même touchant la personne du Roi, suprimées au grand prejudice de la sûreté du Royaume, ne servent elles pas de preuve & de conviction toute en­tiere, que non seulement ils se mêlent des affai­res d'Etat, voire des plus secretes, & des plus importantes: mais qu'ils s'en mélent de telle sorte, qu'ils établissent un Etat dans un autre, y ont une Police, des reglemens, & des Conseils Politiques touehant la conduite des affaires pu­bliques, & le gouvernement du Royaume. Et si les Jesuites ne se mêlent point des affaires d'E­tat, comment ont ils fait prêcher, puis impri­mer, qu'ils y sont si sçavants, qu'il se trouve parmi leurs freres Lays, des personnes, Predi­cations de Deza impri­mees à Poi­ctiers par les soins de Solier Jesuite. qui pourroient faire la leçon aux Chanceliers de Grenade & de Vailladolid, & à tout le Con­seil d'Etat du Roi d'Espagne?

Apres cela, Messieurs, trouvez vous étrange qu'une Compagnie, dont les membres les moins éclairez ont une Po­litique, qui emporte sur celle des plus habiles Espagnols, ait conceu le dessein de la Monarchie Universelle, & qu'elle soit venu à bout de son dessein? Mais [Page 56]écoutez, je vous prie, ce qu'ajoute à ce que vous venez d'ouir le même Auteur: Ils pensent échapper sous l'Equivoque & la ma­ligne interpretation de ces mots: affaires d'E­tat & Temporelles: Car ils soutiênent que de controoller les ordonnances, que fait un Prin­ce pour soutenir son Autorité Souveraine, de juger quand il conclud la guerre ou la paix, ma­riage ou alliance, si aucune de ces choses est juste ou non, de le traverser en ses Conseils tant qu'ils pourront, s'ils ne sont pas de leur gout, d'infor­mer même contre luy en qualité d'Inquisiteurs secrets, selon les ordres de leur Mission, de le condamner, oû faire condamner à Rome, de brouiller son Etat par toute sorte de menées, d'exciter la revolte de ses sujets pour luy faire tomber la Couronne de dessus la tête, de subor­ner & corrompre, sous un faux voile de Reli­gion, des esprits melancoliques, pour l'assassi­ner comme un Jacques Clement, Jean Chastel &c. Ce sont à leur dire des affaires de Reli­gion & de Conscience: car ainsi l'a declaré Bellarmin & tous ceux de leur Societé, qui ont traitté de cette matiere, & c'est cela qu'on nom­me en termes d'Inquisition: Negotium fidei, actio fidei, une affaire & un acte de foy dans le Directoire des Inquisiteurs.

Mais, ajoûte le même Auteur, qui ne s'étonneroit, voire jusqu'à se pâmer, de les [Page 57]voir si hardiment écrire ce qui est hautement contredit par la connoissancè generale de tout le monde? qu'ils ne peuvent resider és Cours des Princes. C'est une loi qu'ils gardent aussi bien que la pretenduë défence, qui leur à été faite par leur General, d'enseigner qu'il est permis d'assassiner les Rois. Car l'on sçait que dans les Cours de tous les Princes Chrêtiens, on ne void autre chose que Jesuites: quant à la Cour de France, ils n'en bougent & ne l'aban­donnent jamais, si leur trop grande curiosité, & leur importunité trop dangereuse ne les en fait chasser comme il est arrivé à un P. Coton, à un Pere Arnoux, & à un P. Segueran: les maisons des Princes, & des Seigneurs de la Cour en sont perpetuellement assiegées, & les ruelles des Dames en sont toûjours remplies, même lors que par la delicatesse ordinaire à leur sexe, sans aucune indisposition, elles gardent le lict pour y paroitre plus belles, & y étaler tous leurs atraits.

Si ces Peres ne se fussent mélez que de leurs Breviaires & de chanter leurs Lita­nies comme font les autres Religieux, s'ils n'eussent pas avancé leurs mains te­meraires sur le timon des Etats, ils n'eus­sent pas été chassez, comme ils le furent, de Venise, de France & d'Angleterre. Je sçay qu'ils se font un merite & un [Page 58]hôneur de ce bannissement. Mais ce­la n'empêche pas, qu'il ne soit notoire à tout le monde, qu'ils ont été chassez de ces deux Royaumes pour leurs crimes, de France, pour avoir enseigné à tuer les Rois, confessé ou instruit trois assassi­nateurs des Rois: car Barriere confessé par le P. Varade, Jean Chastel instruit par le P. Guignard, & Ravaillac con­fessé par le P. d'Aubigny, sont des faits, dont tous les Historiens conviênent: d'Angleterre; aprés que le P. Garnet & ses complices eurent été convaincus de la conjuration des poudres, par où ils vouloient faire sauter le Roi, la Rei­ne & le Parlement. Et aprés cela, ils osent dire, qu'ils ne se mêlent point des affaires d'Etat: non seulement ils ont été chassez de Venise, pour y avoir exci­té des factions, mais cela même avoit été predit par le Patriarche Tarvifius, qui ayant reconnu leur genie Politique & factieux,Imago primi Saeculi. predit 50 ans auparavant en jurant sur les Evangiles, ainsi qu'eux mêmes le reconnoissent dans l'Histoire d'Orlandin, qu'ils seroient un jour chassez de Venise. J'ose dire, que la faculté de parler & de raisonner n'est pas plus de l'essence de l'homme, que l'esprit re­muant [Page 59]d'intrigue & de domination est essentiel à la Compagnie de Jesus, & qu'il n'arrive pas de changement consi­derable dans aucun Etat Chrêtien, sur tout de changement ruineux à l'Etat, du quel on ne puisse dire sans se méprendre, & à coup seur, que c'est l'ouvrage des Je­suites.

Non seulement ils ne bougent de la Cour des Princes, comme je le disois tan­tôt, mais ils s'y familiarisent & s'y af­fermissent avec tant de force, qu'il y sont fiers jusqu'à l'insolence. On les a veus souvent donner du coude aux E­vêques pour aprocher & se faire place auprez la personne du Roi: on les a veus dans les solemnitez d'éclat, dans l'Egli­se nôtre Dame de Paris & ailleurs, lors qu'on y chantoit le Te Deum, Trait­tez pour la deffen­se de l'Uni­versité de Pa­ris. s'agenouil­ler tout auprés de l'accoudoir du Roi, au dessus des Evêques & des Archevê­ques, je parle des simples Jesuites, autres que le Confesseur de sa Majesté: & ne vìd on pas un jour le Pere Segueran fai­re une injure publique en presence du Roi, dans S. Merry, à un Evêque de France, aussi recommandable par son merite que par la noblesse de sa maison, à qui par une violence extraordinaire il [Page 60]fit quitter la place pour s'y mettre luy même? cela ne sent il pas de cent lieues loin l'esprit d'un courtisan apuyé, craint & redouté: cela ne fournit il pas un soubçon violent, que ceux de cette Compagnie, se sentent apuyez d'une force irresistible, & d'une Autorité Sou­veraine, dans les Etats gouvernez par la puissance la plus absoluë, & dans les Monarchies despotiques?

Je voy bien, Messieurs, que ce dis­cours est déja trop long. Je n'ai à faire, que deux considerations, pour vous prouver que tous les faits, que j'ay a­vancez, s'ajustent parfaittement avec le grand dessein de la Monarchie Univer­selle, dont les Jesuites sont accusez. La premiere est, que ces bons Peres s'attri­buent le grand Privilege d'Infaillibilité, que tous les Docteurs Catholiques soit seculiers, soit reguliers, ont attribué à l'Eglise. Il est vray que ces Docteurs, varient sur ce sujet, les uns l'attribuant au Pape, les autres au Concile, les au­tres au Pape & au Concile conjoincte­ment: tant y a qu'aucun que je sçache, ne s'étoit avisé, de la chercher en la Compagnie de Jesus. Mais il a pleu à ces bons Peres de decider cette grande [Page 61]controverse, & d'avertir le monde Chrê­tien, que c'est chez eux que reside cet Esprit de grace & de lumiere, cet E­sprit de sagesse & de verité, qui ne trom­pe & ne peut étre trompé. En premier lieu ce sont les Curez de Rouen, qui se sont plaints dans une lettre à leur Arche­vêque, & qui l'est aujourdhuy de Paris, en ces termes:La Doctri­ne des Jesuites comba­tue 1. & 2. partie. On n'a que trop soufert que les Jesuites usurpassent sur Mrs. les Prelats la qualité de Docteurs & de Maitres, & qu'ils élevassent une chaire en l'Eglise au dessus des Evêques, d'où ils veulent étre écoutez comme des Oracles, aux resolutions & decisions des­quels il ne soit pas permis de contredire, sans passer aussi-tôt pour heretique. C'est la gran­de pretention des Jesuites, & le comble de leur ambitieuse & insolente presomption, de vouloir établir un Empire absolu, ou pour mieux dire une tyrannie si insupportable sur les Esprits de tous les hommes, que chacun soit contraint de se soumettre à leurs sentimens, & d'embrasser aveuglément toutes leurs maximes, à peine d'é­tre tenu & decrié par tout comme un impie, & pour un homme qui à renoncé à la foy. C'est ce qu'ils ont osé attenter encore de nouveau dans la refutation, qu'ils ont faitte du factum de Messieurs les Curez de Paris, où ils disent en termes formels page 5; qu'il n'y a que des [Page 62]heretiques, qui contredisent leurs maxi­mes. Ils ne pouvoient mieux peindre que par ce seul trait de plume le caractere de leur genie, & fairê connoitre de quel Esprit ils sont possedez, Esprit d'orgueil, qui fait qu'ils se cro­yent les Oracles de la science, qu'ils s'i­maginent être infaillibles, & que par con­sequent on ne peut sans crime s'opposer à leurs sentimens.

Cet Auteur,Imago primi Saeculi. Lib. 5. Cap. 5. pag. 622. qui tout Catholique qu'il est, pourroit étre suspect, n'a pour­tant rien dit, qui ne soit du gout de leur P. Orlandin, & apuyé sur son temoi­gnage, que voicy: La Societé, dit-il, est le Rational du jugement que le Souverain Pontifè des Juifs portoit sur son Estomac, & que les Grecs ont appellé d'un terme qui signifie l'Oracle. Quand je considere la forme quarrée qu'il avoit, j'y découvre la Societé marquée comme en figure, à cause qu'elle est repandue dans toutes les quatre parties du Monde. Et quand je considere les quatre rangs des Pierres precieuses, je me represente les divers ouvrages de cette precieuse Compagnie, qui bien que surpassant la nature, sont neanmoins confirmez par la Doctrine de verité. Et lors que je re­garde, que cet ornement étoit portésur la Poi­trine du grand Prêtre des Juifs, il me semble voir cette petite Societé, qui est attachée sur la [Page 63]Poitrine d'un plus Saint Pontife. Idem ubi su­pra. Surquoy l'Auteur sus allegué fait fort à propos cette reflection: que peut on dire davan­tage, dit-il, que de dire que la Societé est l'O­racle de la Doctrine de la verité, que le grand Prêtre de J. Christ porte sur sa Poitrine & sur son coeur? ainsi on ne doit plus s'étonner de ce qu'ils soutiênent, que le Pape est infaillible, pourveu qu'il consulte auparavant des Theo­logiens, parmi lesquels ils estiment à bon droit tenir le premier rang, comme les Maitres du Monde, les plus sçavans des mortels, les Docteurs de toutes les Nations, les Apollons, les Alexandres de la Theolo­gie, les Prophetes descendus du Ciel, qui rendent des Oracles dans les Conci­les oecumeniques, partageant ainsi l'infail­libilité avec le Pape, sur le Coeur du quel ils nous aprênent ici que leur Societé repose, com­me l'Oracle de la verité, lequel il doit consul­ter sur les matieres importantes, ainsi que le grand Pretre des Juifs ne consultoit point Dieu, sans étre revêtu de cet ornement. Et de là nous avons sujet de conclurre, qu'il y à lieu de croire tres certainement, que le Pape n'est infail­lible que lors qu'il prend les avis de ce fameux Oracle de la verité.

La reflection de cet Auteur est juste: il reconnoit avec raison, que les Jesui­tes [Page 64]attribuent à leur Societé le Privilege admirable d'étre infaillibles, & les Ora­cles de la verité. Mais celle que j'y vai faire n'est pas moins juste ni moins na­turelle; Vous sçavez, Messieurs, que la conscience de l'homme est l'endroit par où il peut étre pris plus facilement, & par où il se laisse méner là où l'on veut. Il ne s'agit donc que de s'en saisir & de s'en rendre Maitre. Or l'infailli­bilité de celuy, qui parle, impose natu­rellement unjoug à la conscience, par ce qu'elle appartient à Dieu comme les autres atributs, qui font l'eminence de sa nature. Comme c'est une verité uni­versellement connuë, le Pape s'en est servi heureusement, & n'a point con­servé la suprême puissance, qu'il à usur­pée sur le monde Chrêtien autrement, qu'en faisant croire au monde qu'il étoit inspiré du S. Esprit, & qu'étant sur la chaire de S. Pierre, Dieu prononçoit des Oracles par sa bouche. Les Jesui­tes ont pris la même voye que le S. Pe­re, pour parvenir à la Monarchie Uni­verselle. Ils se vantent même d'étre au dessus du Pape à cet égard, puis qu'ils se glorifient de communiquer à ce Pon­tife tout ce qu'il a de Sainteté & de lu­miere, [Page 65]& qu'il ne prononce des Oracles Infaillibles, que lors qu'il a consulté les Theologiens de la Compagnie de Jesus. Où sont donc les Chrêtiens, qui refu­seront de se ranger sous le joug de ces Perels Spirituels, puis qu'ils ne peu­vent tromper ni étre trompez, & que lors qu'ils parlent, soit des Articles de foy, soit de la Morale, c'est tout com­me si Dieu parloit par leur bouche, é­tant en droit de mettre à la tête de tous les Chapitres des cas de conscience cette Preface ordinaire aux Anciens Prophe­tes, l'Eternel a parlé disant:

L'autre consideration, que j'ay à faire; c'est que les Jesuites pretendent d'étre en droit, de remplir le Trône quand il est vuide; & de le vuider quand il n'est pas bien occupé, de quoy ils sont les seuls juges. Ils pretendent que ce droit-là leur appartient, comme une pos­session propre & un inalienable domai­ne: c'est de quoy ils se vantent par la plume de l'un de leurs Theologiens. C'est le Pere Heissius,Sebast. Heis­sius in declar. Apolo­get. dont voicy les propres termes. Cum de rebus politicis & mutandis Regibus agitur, de quo consultare non minus Jesuitarum proprium munus est, quàm grassante lue curare ne desint amuleta [Page 66]necessaria, Theriace proba, aliaque alexiphar­maca, c'est à dire, que lors qu'il s'agit d'af­faires Politiques, ou de changer les Rois, il n'est pas moins du devoir & de la charge des Je­suites d'y pourvoir, qu'il l'est au Magistrat & au Medecin de donner ordre en tems de pesté, que la ville n'ait point faute de remedes neces­saires, de bonne Theriaque & d'autres preser­vatifs. Il ne se peut desirer rien de plus exprés ni de plus formel que la Declara­tion de ce Pere, ni qui fasse mieux con­noitre leur pretention à la Monarchie Universelle. Il est vray que ce droit n'est connu qu'à eux seuls: tous les peu­ples de la terre habitable l'ignorent ab­solument, Chrêtiens, Mahometans, Juifs & Payens. Car ce n'est pas une notion commune, ce n'est pas la lumie­re naturelle qui enseigne, qu'il y a sur la terre une Compagnie de Jesus, qui disposé sou­verainement de toutes les Couronnes de l'Ʋni­vers. Mais ils le disent, cela suffit, puis qu'ils sont infaillibles: qu'ils soient les seuls entre les mortels qui le croyent & le sçachent, n'importe, ils ne laissent pas de se servir de ce droit, de le faire va­loir par tout, & dans tous les Etats, Ro­yaumes & Empires du Monde, où ils peuvent mettre le pied.

II. DISCOURS. Des moyens par où les Jésui­tes sont arrivez à la Mo­narchie Universelle.

Argument.

La Societé des Iesuites forgée à Montmarte prés de Paris. Lo­yola leur fondateur visionnaire. Pour quoy ils ne s'appellent pas Loyolites, mais Iesuites. l'Avan­tage qu'ils tirent de ce nom. Par Politique ils se sont élevez au dessus des Apôtres & des Pro­phetes. Leurs privileges accor­dez & usurpez servent à leurs fins. l'Instruction de la jeunesse est un des moyens. Le trafic en est un autre. Ils ont double regle, c'en est un autre. Conte plaisant [Page 68]des Carmes de Paris. Trois sortes de Iesuites. Leur grand but est de regner non d'instruire. Leur Ge­neral sçait tout ce qui se passe dans le Monde sans peine & sans fraiz. Leurs secrets ne se peuvent sçavoir. Ils sont soubçonnez de Commerce avec le Demon. Preuve de cela. Ils ont par leur subtilité profitê de leur bannissement de France. Le profit qu'ils tirent de leur impudence extreme. Celuy qu'ils ont tiré des affreuses Ma­ximes de leur Morale. Comment ils ontfait passer leurs Maximes. Leurs Confessionneaux se char­gent des pechez du penitent. Les Iesuites travestis parmi les Pro­testans. Ce qu'ils font en Angle­terre & en Allemagne. Leur con­duite [Page 69]envers les Catholiques pour en retirer du bien. Instruction pour cela. La punition qu'ils font des Iesi [...]ites scelerats. Ils en font des Apotres pour les Indes, où ils sont plus scelerats, & où ils ser­vent à la Societé utilement par le moyen du traffic. Le finde leur Politique ést de n'avoir aucune regle ni d'autre loi que celle de leur interêt.

VOus allez voir, Messieurs, la Poli­tique la plus fine & tout ensemble la plus grossiere, la plus hardie & tout ensemble la plus lache, la plus contrai­re au bon sens & tout ensemble la plus heureuse, qui ait jamais été mis en usa­ge, depuis Nimrod le premier des Ty­rans, jusqu'à nos jours. Ni Tybere, ni le fameux Hildebrand, ni Borgian, ni Machiavel n'y ont rien entendu; ce sont des profondeurs de Satan; c'est en un mot un mystere d'iniquité que je vai étaler à vos yeux. Et afin que rien de [Page 70]ce qui regarde la Po [...]ique des Jesuites, n'échappe à vôtre connoissance, je les considererai depuis la fondation de leur Compagnie, je les [...]uivrai par tout, j'irai dans leurs E [...]les de Theologie les ouir traittant des cas de conscience, j'irai dans lés Eglise ouir leurs sermons, les écouter dans les Confessionneaux, j'irai dans leurs congregations, j'irai dans leurs Cabinets. Je les accompagnerai, quand ils iront dans les Pàis des Heretiques, pour voir [...]a mani [...]re dont ils agissent avec eux, j'irai jusques dans les Indes d'Orient & d'Occident pour observer leur conduite avec les Payens. Et par­tout je suis assuré, que vous remarque­rez des manieres & des Maxmes, qui sont comme un maniféste éclátant, par Iequel ils declarent la guerre au Chri­stianisme, & à tout le genre humain.

Leur Societé fut forgée dans Paris,Apo­logie pour Jean Cha­stel. & leurs premiers voeux furent faits à Montmarte dans la Chapelle des Mar­tyrs par Ignigo ou Ignace Loyola, leur fondateur. Il n'étoit rien moins qu'un habile homme capable de donner à son Ordre le plan de cette Politique, qui l'a rendu si redoutable dans le Monde. Il ne faut qu'ouir le simple recit de ses vi­sions [Page 71]pour juger, qu'il étoit un vision­naire & un fou à lier.Maff. Lib. 1. Cap. 2. Maffée rappor­te qu'étant été blessé durant le siege de Pampelune, où il commandoit, aban­donné des Medecins & des Chirurgiens, S. Pierre en qui il avoit toûjours eu une parfaite confiance, luy apparut, & luy promit de le guerir, ce qui fut fait: com­me il eut commencé à sentir du soula­gement de ses blessures, il demanda des livres d'amourettes pour se divertir, ne s'en trouvant point, on luy donna la Legende des Saints: cette Lecture le rendit devot, & luy fit prendre la resolu­tion de choisir une autre sorte de vie, sur quoy la St. Vierge, luy apparut avec un visage riant, & tenant son enfant Je­fus entre ses bras: vision qui le detacha tellement du Monde, qu'il se fit Cheva­lier de la Sainte Vierge. En voicy d'autres qui encherissent pardessus celle-là; comme il étoit à genoux devant l'Ima­ge de nôtre Dame en Prieres & Orai­sons,Ribad. Lib. 1. Cap. 6. il se fit un tremblement de terre dans la maison où il prioit. Le Diable s'apparut à luy, tantôt sous une forme belle & agreable, tantôt sous une forme hideuse & effrayante, employant pour l'amener à son point des promesses & [Page 72]des menaces: aprés cela entrant dans une Eglise des Dominiquains, il fut ravi jusques au Ciel, où il vid la Divinité en trois personnes & une essence, de quoy il composa un livre. Il est grand dom­mage que ce livre ne soit point parvenu jusques à nous pour juger de l'habileté du personnage.Maff. Lib. 1. Cap. 8. Car le Jesuite Maffée dit, qu'il l'écrivit quoquo modo potuit Stylo, c'est à dire, d'un Stile à faire rire ou à donner de la compassion. Ensuite o­yant la Messe dans la même Eglise, com­me le Prêtre faisoit l'élevation de l'Ho­stie, il y vid Jesus Christ en chair & en os, tel qu'il étoit sur la croix. Et pour­quoy donter de la verité de toutes ces vi­sions,Ribad. Lib. 1. Cap 10. puis qu'Isabeau Rousset Dame d'honneur luy vid la tête environnée de rayons, comme il étoit attentif à une Predication dans Barcelonne?

Vous jugez bien, Messieurs, par la nature de ces visions quel homme c'é­toit qu'Ignace Loyola, & que si un homme aussi fou que celuy-là étoit fort propre à pretendre à la Monarchie Uni­verselle; il étoit pour le moins aussi in­capable de bien prendre les mesures, & de bien concerter les moyens propres & suffisans à y conduire sa Societé: aussi [Page 73]fa Compagnie ne luy a pas fait l'hon­neur que les autres Ordres ont fait à leurs fondateurs. Car les autres Or­dres se disent venir des Saints, qui les ont fondez, comme les Benedictins de S. Benoit, les Dominiquains de S. Do­minique, & ainsi des autres; c'est pour­quoy on les appelle les Ordres de S. Do­minique & de S. Benoit. Mais les Je­suites n'ont pas daigné prendre le nom de leur fondateur, pour se dire Ignaciens & Loyolites, ou l'Ordre d'Ignace Loyola: ces bons Peres raisonnent plaisamment là dessus. S. Ignace, Imago pr. Sec, Lib. 1. Cap. 6. dit le Jesuite Orlan­din, étoit si humbbe qu'il ne se creut pas digne de donner le nom d'Ignaciens à ses Compagnons, comme ont fait les fondateurs des autres Ordres. En quoy il semble avoir voulu imiter les Apô­tres, dont S. Augustin louë l'humilité de ce qu'ils n'avotent pas donné le nom de Pauliens ni de Pierriens, aux premiers fideles, mais celuy de Chrêtiens. Toutefois, ajoûte-t-il, si nous voulons juger saincment des choses, nous pour­rons dire que la Societé a pris le nom de son Auteur. Car Ignace atribuant tout à Dieu dans la fondation de sa Gompagnie, & rien a luy, & prononçant que J. Christ en étoit le vray, & le premier Auteur il fit avec grande adresse, que selon qu'il ast ordinaire parmi les [Page 74]Philosophes, dans la Religion Chrêtienne, & dans les Ordres Religioux, la Societé portât le nom de son Auteur, sans qu'on entendit parler de celuy d'Ignace qu'il desiroit étre caché.

Avouez, Messieurs, que ces Peres connoissent bien l'humilité, & qu'il ne faut pas s'étonner, s'ils pratiquent si bien cette vertu, puis qu'ils croyent qu'Ignace Loyola en fit un acte me­morable, en ne voulant pas que sa Com­pagnie fut appellée de son nom, parce que c'est Dieu luy même, qui en est l'Auteur. A ce conte qui sera l'Auteur des Ordres de S. Benoit & de S. Domi­que, & de S. François? c'est de quoy ils ne s'embarassent pas beaucoup l'E­sprit, qu'on en croye ce qu'on voudra. Mais si vous ne les en croyez point, ils vous payeront d'abord d'une vision, qui vaut argent contant, ils disent donc, que S. Ignace se porta principalement à prendre le nom de Compagnie de Jesus, en l'année 1538. aprez une vision qu'il eut dans une Eglise deserte, sur le chemin de Rome, ou Dieu le Pere luy apparut recommandant Ignace, & ses deux Compagnons Pierre le Fevre, & Jac­ques Lainez, à J. Christ son fils portant sa croix, lequel se tournant vers eux [Page 75]leur dit: je vous serai favorable à Rome. C'est là dit le Jesuite Maffée, le verita­ble fondement de ce nom, Compagnie de Jesus. Quoy qu'il en soit, j'estime qu'ils ont tiré parti de l'usage de ce nom Au­guste, puis que selon moy, c'est le pre­mier fondement, sur le quel ils ont bati le grand projet de la Monarchie Univer­selle: car Jesus étant le vray Monarque de l'Univers, le Roi des Rois, & le Seigncur des Seigneurs, de par qui les Rois regnent, & les Grands administrent la Justice, qui pour­ra revoquer en doute, que la venerable Compagnie de Jesus ne soit saisie du su­blime droit de la Monarchie de tout le Monde, en vertu de ce nom sacré & re­doutable, qui attire le respect, & qui fait ployer les genoux à toutes les crea­tures, depuis les Cieux les plus hauts, jusqu'aux plus profonds abismes?

Pour soutenir leur projet touchant la Monarchie Universelle, il falloit pu­blier dans le Monde, qu'ils étoient au dessus de tous les autres Ordres, au des­sus des Evêques, égaux & même su­perieurs aux Apôtres & à Moïse. C'est aussi ce qu'ils n'ont pas manque de fai­re. Je dis au dessus de tous les autres Ordres, car ils disent que tous les autres [Page 76]Ordres ont toújours éte, Imago primi Saeculi Lib. 5. Cap. 5. & sont encore aujourd­huy dans l'Eglise, ce qu'étoit dans l'Arche de l'Alliance les deux Tables; la Manne & la Verge, les trois instrumens de tant de prodiges, & que la Compagnie de Jesus est l'Ʋrim & lc Tumin, c'est à dire l'Oracle de la Doctrine & de la verité. C'est ainsi que parle leur Pere Orlandin. Je suis assuré, que le plus humble de tous les autres Ordres n'a leu ce passage sans depit, fut ce le Capucin le plus mortifié, puis qu'ils y sont gros­sierement jouez: car ces trois choses n'ayant point été des Oracles, & ayant été renfermées dans le lieu tres Sainct, il est visible, que par cette comparai­son, tous les autres Ordres sont reduits à demeurer renfermez dans leurs Mo­nastere, comme des Reliques dans leurs chasses, & que leur Societé étant com­parée à l'Oracle, qui étoit sur l'estomac du grand Pontife, sans quoy il ne pou­voit faire aucune fonctien du Sacerdocé, cela veut dire nettement, que toutes les dignitez de l'Eglise leur appartiênent.

Je dis, qu'ils s'élevent au dessus des Evêques. Ils rapportent sur cela eux mmes la declaration d'un Saint Evê­que mourant, ce qui est plus que suf­fifant pour persuader un bon Catholi­que. [Page 77] Ʋn Evêque, Imago primi Saeculi Lib. 5. Cap. 10. dit le même Histo­rien, dans le Royaume de Naples, qui durant sa vie avoit plus aimé sa Mitre que la Societé, s'écria dans l'agonie: ô Sainte Societé, que je n'ay pas assés connuë jusques à present, & que je n'avois pas merité de connoitre, tu surpasses les Crosses Pastorales, les Mitres, les Pallium, la Pourpre, & les Couronnes.

Je dis qu'ils se font égaux aux Apô­tres: car ils disent, que S. Ignace. Ibidem Lib. 1. Cap. 6. a tenu le lieu de S. Pierre, S. Xavier celuy de S. Paul, les dix premiors Peres avec S. Ignace, & S. Xavier celuy des douze Apôtres, & les LX. premiers Jesuites accordez par la premiere bulle du Pape, Paul. 3. celuy des septante Disciples de nôtre Seigneur. Vous remarquez bien le méconte dans cette enumeration, puis que S. Paul fut ajouté au Sacré College des douze: mais le peuple n'y regarde pas de si prés Ad populum phaleras. Ils parlent même plus clairement par la plume de leur Hi­storien fidele,Ibidena Lib. 1. Cap. 1. il n'y a point d'autre differen­ce, dit-il, que celle du tems entre l'institut de leur Societé, & celuy des Apôtres, & que ce n'est pas un Ordre nouveau, mais un espece de rétablissement de cette premiere Religion, dont J. Christ seula été l'Auteur.

Je dis,Un Ser­mon pro­noncé sur la beatifi­cation de S. Ignace, traduit de l'Es­pagnol par le Pere Sou­lier. qu'ils s'élevent au dessus des Apôtres. Ce n'est pas merveille, dit un de [Page 78]leurs graves Auteurs, que les Apôtres fissent tant de miracles, puis que c'étoit tout au nom de Dieu, par la vertu & le pouvoir, qu'il leur avoit donné en les marquant de son Cachet: vous chasserez les Diables en mon nom &c. Mais qu'Ignace avec son nom écrit en pa­pier fasse autant de miracles que les Apôtres, que son seing ait autant d'autorité sur les creatu­res, qu'elles luy obeissent soudain, e'est ce qui nous le rend souverainement admirable.

Mais comme les miracles des Apô­tres étoient bienfaisans & salutaires, ils élevent ceux de S. Ignace sur ceux de Moïse,Idem ubi Su­pra. qui étoient terribles & destruc­tifs, afin de jetter la terreur dans les a­mes, pour aller plus viste à leur projet. Nous sçavons bien que Moïse portant sa baguê­te en main, faisoit de tres grands miracles en l'air, sur la terre, sur l'eau, sur les Rochers, & sur tout ce que bon luy sembloit, jusqu'à sub­merger Pharaon, avec toute son Armée dans la Merrouge. Mais c'étoit le nom ineffable de Dieu, que le Docte Evêque d'Avila dit avoir été gravé en cette baguette, lequel operoit tou­tes ces merveilles: ce n'étoit pas si grand cas, que les creatures, voyant les ordonnances de Dieu leur Souverain Roi & Seigneur, luy ren­dissent obeissance: mais que S. Ignace, ait fait plus de miracles, que Moïse avec son seul nom [Page 79]écrit en papier, c'est ce qui passe toute admira­tion.

Ils n'ont pas été contens de s'élever au dessus de Moïse & des Apôtres. Ils ont cherché une idée plus convenable au projet de la Monarchie Universelle, & ils l'ont trouvée en élevant leurs fon­dateurs au dessus des plus illustres Con­querans, qui font le plus de bruit dans les Histoires. l'Epitaphe de S. Ignace y répond fort bien. Qui que tu sois, qui te representes dans ton esprit l'Image du grand Pompée, de Caesar, & d'Alexandre, ouvres les yeux à la verité, & tu liras sur ce marbre qu'Ignace à été plus grand que tous ces grands Conquerans. Celle de S. Xavier y répond encore mieux: demeurez Heros, Morale prati­que 1 Vol. grandes Ames, & amoureuses de la vertu, vous ne de­vez plus rien faire, ni rien entreprendre, puis que Xavier est enseveli sous ce tombeau. Mais je me trompe, il n'y a ici quasi rien de ce grand Apôtre de l'Orient, courageux au dela de la nature, illustre au de là de l'imitation, admi­rable au delà de l'envie; de ce Compagnon de Iesus, de ce fils d'Ignace, de-cet Ange immor­tel en un corps mortel. Il n'y a disje, quasi de luy rien icy, qui ait pû se corrompre, n'y ayant eu'rien de luy qui ait pû étre corrompu, il a plus soumis de peuples à l'Eglise, que les Romains, [Page 80]& les Grecs ensemble n'en ont soumis à leurs Empires en beaucoup de siecles. Que dites vous à cela Messieurs? Se peut il desirer rien de plus clair, ni de plus fort que ces temoignages? Ce sont les Pierres même qui parlent des exploits miraculeux des fondateurs de la Compagnie de Jesus: à moins que d'avoir une ame Calviniste ou Lutherienne, il est impossible de ne s'y rendre pas.

Ce que je viens de vous dire, Mes­sieurs, n'a pas peu servi au grand pro­jet de la Monarchie Universelle; mais ce que vous allez ouir est ce qu'il y a de plus fin dans leur Politique. Ce sont les Privileges accordez, ou ceux qu'ils ont attribuez eux mêmes à leur Societé. Ils ont tant fait à la Cour de Rome, qu'ils ont obtenu plus de vingt bulles, & chacune renferme un ou plusieurs Privileges. Je n'en toucherai que quel­ques uns. Par ces bulles ils ont le Pri­vilege d'exercer la Medicine, ils ont droit de donner absolution de tous les pechez; sans excepter même ceux qui sont reservez au S. Siege, celuy de chan­ter la Messe avant jour & apres midy, celuy d'avoir avec eux en voyage des Autels portatifs, afin de celebrer la Messe [Page 81]en tous lieux, même en ceux, qui sont interdits par le S. Pere, celuy de par­donner toutes sortes de crimes à celuy qui ira tous les ans faire ses devotions, un jour entier dans leurs Eglises, quand il ne dira qu'un Pate nôtre, & un Ave Ma­ria. Ceux qu'ils se sont attribuez eux mêmes, c'est premierement qu'ils sont dispensez de tous les Canons, soit Ecle­siastiques soit Reguliers: car ils n'esti­ment pas qu'il puisse y avoir aucune loi capable de les obliger, s'ils n'y sont ex­pressement nommez: & comment y se­roient ils nommez? puis qu'ils sont de­puis trois jours, c'est à dire, qu'ils n'ont paru au Monde, que longtems a­pres le droit Canon? en 2 lieu, ils ne sont ni seculiers ni reguliers,Re­cherches de Pas­quier. ils sont ta­les quales: c'est ainli qu'ils se qualifierent dans la réponse, qu'ils firent au Parle­ment de Paris, qui vouloit sçavoir quel Ordre de gens est ce qu'ils étoient: ré­ponse, qui fit tant de bruit, que Pas­quier rapporte, que de son tems on ne les designoient point autrement, que par les tequels: par ce moyen ils sont Re­ligieux sans Cloture, & ils sont secu­liers sans étre laiques. Ils professent un genre de vie, qui doit étre éloigné des [Page 82]occupations laiques, & cependant fon­dez sur des dispenses, dont ils sont eux mêmes les Auteurs. Il n'y a point d'em­ploy seculier, qu'ils ne croyent pouvoir embrasser innocement, & qu'ils n'ex­cercent en effet pour avancer les affaires de leur Societé. Or tous ces Privileges les mettant bien haut audessus de tous les Religieux, & même audessus de tout le Clerge, vous voyez bien, Mes­sieurs, que leur Societe en est rendue venerable plus que toute autre Societé, & qu'elle s'est mise sur un pied à se faire aimer, à se faire estimer, à se faire suivre, à se faire craindre, & cela combien a-t-il favorisé leur projet de la Monarchie Universelle?

Mais tous ces Privileges ne sont rien, ce me semble, en comparaison de celui de ne pouvoir étre damné: cela vous paroit incroyable, je le reconnois, Messieurs; mais vous le croirez, s'ils vous plait, sur la foy d'un Historien, qui ne peut dire que la verité, puis que c'est le Jesuite Orlandin.Imago primi Saeculi Lib. 5. Cap. 8. Alphonse Rodriguez Jesuite Es­pagnol, ne vit pas seulement ses compagnons, qui étoient alors vivans; mais aussi, que ceux qui les suivroient durant une longue suite d'an­nées vivroient avec luy eternellement dans la [Page 83]felicité du Ciel. François Borgia un au­tre Jesuite dit à son Compagnon nommé Marc: Sçachez, mon frere Marc, Idem ubi su­pra. que Dieu aime souverainement la Societé, & qu'il luy a accordé le privilege qu'il accorda au­tresois à l'Ordre do S. Benoist, sçavoir que les cent trois premieres annces, aucun de ceux qui perseverera dans la Societé jusques à la fin, ne sera damné. Un Saint Religieux d'un autre Ordre, qui n'est pas nommé, é­tant sur le point de rendre l'Esprit, en­voya querir le P. Matrez Jesuite Con­fesseur du Vice-Roi de Barcelonne, pour luy annoncer cette grande nouvel­le: ô mon Pere, que vous estes heureux, Idem ubi su­pra. d'é­tre d'un Ordre, dans lequel quiconque meurt, jouit de la felicité éternelle. Dieu vient de me montrer cela, & m'a ordouné de le declarer publiquement devant tout le Monde. Et ce Jesuite tout confus d'admiration, & de Mo­destie, luy ayant demandé, si ceux de son Or­dre ne seroient pas aussi tous sauvez, le mou­rant luy répondit avec gemissement que plusieurs le seroient, mais non pas tous; mais que tous ceux de la Societé de Jesus tant en general qu'en particulier, sans excepter aucun, qui perse­vereroit dans l'Ordre jusques à la mort, seroient tous sauvez. Un Privilege si admirable ne vous semble-t-il pas infiniment pro­pre, [Page 84]pour faire venir l'envie à tous les Catholiques de se faire Iesuite pour le moins in voto, & quand vous seriez Rois & Empereurs, ne donneriez vous pas vôtre Couronne, pour un bonnet à trois cornes, pour éviter la damnation éter­nelle, & le feu des Enfers? & cela quel credit & quelles richesses, & quelle puis­sance n'a-t-il pas acquis à cette heureuse & benite Societé?

Voici un autre Privilege, qui n'a pas eu moins de vertu. C'est que Jesus Christ vient au devant de chaque Jesui­te mourant pour le recevoir, & que ce Jesuite delivre du Purgatoire tous ceux qui le suivent. Une vision Celeste me sera le guarant de la verité du Privilege. Nous avons apris dit un Historien non suspect, de la relation du Pere Crisoel Jesuite de l'année 1616.Idem ubi su­pra. que dans une vi­sion de Sainte Therese une ame bien heureuse, allant dans le Ciel avec d'autres, dit à cette Sainte: un Frere de la Societé de Iesus est nôtre conducteur: nous nous rejoüissons d'avoir un tel chef, à la vertu & aux prieres duquel nous sommes redevables de ce que nous sommes au­jourdhuy delivrées du Purgatoire: à quoy la Sainte répondit: ne vous étonnez point de ce que le Tout-puissant vient au devant de vous, il [Page 85]n'y a rien de nouveau en cela. Les freres de la Societé de Iesus ont ce Privilege, que lors qu'un d'eux est mort, Iesus vient au devant de luy pour le recevoir. Oh! Messieurs, si vous étiez bien persuadés, comme le sont le General de nos Catholiques, que vous avez à demeurer je ne sçay combien d'années, dans un feu plus ardent mille fois, que celuy dont nous nous chauf­fons, que ne donneriez vous pas, ou pour en étre exemt tout à fait, ou pour en étre dans peu de tems delivrez? Imaginez vous donc, quels legats, quels herita­ges, quelles richesses reviênent à la So­cieté de ce privilege, & combien cela a servi à la rendre acreditée, & puislante dans le Monde.

Ce n'étoit pas assés que d'avoir trou­vé les moyens de se mettre en ce grand credit, où ils sont parvenus, il en falloit imaginer de tout nouveaux pour s'y maintenir. Ils ont donc en premier lieu abandonné les regles de leurs Fonda­teurs; en voicy un exemple, c'est une des constitutions de S. Ignace, que ceux de la Societé ne tiendront point de Pen­sionaires. Tout le Monde sçait que leurs Colleges en sont remplis. Le Pe­re Raynaud allegue les raisons sur quoy [Page 86]la constitution estoit fondée,In Hip­parcho de Re­ligioso nego­tiatore, sous le nom de Rena­tus à valle. afin de corriger cet abus. Il represente à sa Compagnie, que la hantise étant l'Origine du Mepris, les Religieux doivent s'éloigner de la vie des seculiers, que chacun de leurs pen­sionnaires est un epion, qui examine leurs deportemens avec une curiosité accom­pagnée de foiblesse, que les mauvaises inclinations de ces jeunes gens peuvent étre contagieuses aux jeunes Jesuites, qui les dirigent; & qu'il est à craindre, qu'ils ne se corrompeut avec ceux dont ils surveillent les actions. Mais tout ce que ce Pere gagna par ses plaintes, c'est qu'il fut écouté comme un vieillard qui radote, son zele fut pris pour une foi­blesse, ses lumieres pour des songes creux, son dessein de reforme pour une extravaguance & un égarement: en un mot il fut persecuté, & mourut dans la disgrace de ses Freres. Cependant vous remarquerez, Messieurs, que la conduite de la jeunesse, dont les Jesui­tes se sont chargez, n'est pas un des moindres avantages de leur Politique. Car dans la Coutume qu'ils observent, de tirer les noms de chacun de leurs E­coliers, leur Païs, leur naissance, leur condition, leur inclination, & les allian­ces [Page 87]de leur famille, ils ne buttent à au­tre dessein, qu'à entretenir une corres­pondance universelle, & tous ces me­moires étant rendus entre les mains de leur General, cette connoissance ge­nerale des personnes de tous les Païs, luy est un des plus assurez moyens d'avan­cer la haute Monarchie, dont la Socie­té a conceu l'idée des sa naissance. Que si les Romains connoissoient leurs for­ces par la reveuë, & le denombrement de tout l'Empire, les Jesuites sçachant exactement les personnes liées à leur Compagnie, en conçoivent tant de con­fiance, qu'il ne faut pas s'étonner de la grandeur de leurs entreprises. C'est un negoce que de tenir des Pensionnaires & un negoce public: car les habitans des villes, où ils ont des Colleges, voyent le profit qu'ils en tirent; mais ils ne s'a­rêtent pas à si peu de chose en apparen­ce, quoy qu'au fond c'est un des plus seurs moyens de leur agrandissement. Ils exercent le negoce dans toute son éten­due par tout le Monde. Ceux qui sont informez du secret de leur trafic sça­vent, que dans les lieux, où les maisons se louent bien cher, les Jesuites en ont la meilleure partie, principalement à la [Page 88]Cour de tous les Princes. Les Hollan­dois, qu'on peut appeller les Maitres Marchands, aprendroient à l'Ecole de ces Peres. Les Genois n'entendent rien au prix d'eux dans les changes & les re­changes. Leur gain est toûjours grand & toûjours assuré. 1. par ce qu'étant épandus par tout le Monde, ils sçavent mieux que tous autres Marchands, le haussement & le rabbay des Marchandi­ses, & qu'ils ne peuvent étre trompez par leurs correspondans, par ce qu'ils sont tous animez d'un même esprit, qu'ils ont tous une même caisse & un même contoir. 2. Par ce qu'ils ont la Con­science plus large que celle des Juifs, & qu'en eux la foy de Marchand doit étre entendue dans toute la force de la signi­fication qu'on luy donne commune­ment. En 3 lieu, par ce qu'ils traffi­quent de tout, aussi bien des petites cho­ses que des grandes, des merceries, des babioles & jouets d'enfans.

Constamment les Jesuites ont plus d'une regle. l'Une paroit, c'est celle de S. Ignace. l'Autre est cachée, c'est celle de leurs Superieurs. Comme ils sont ta­les quales, reguliers & seculiers, ils se servent de la premiere comme Regu­liers [Page 89]& Religieux, & mettent l'autre en usage comme seculiers, & par ce que travailler pour la gloire de la Societé, c'est toute la même chose, que de tra­vailler pour la plus grande gloire de Dieu, qui est leur devise & leur étoile polaire, ne doutez nullement, Messieurs, qu'ils ne fuivent constamment & avec une grande devotion la seconde de leurs re­gles. Ils ont fait vocu de pauvreté con­formement à la premiere, mais s'atta­chant à la seconde pour la plus grande gloire de Dieu, ils ne cessent d'accumuler, d'a­jouter champ à champ & tresor sur tre­for, non seulement à la ruine des Here­tiques, mais aussi à la ruine des Catho­liques, sans même epargner les Reli­gieux. Car l'Allemagne fume encore des effets de leur avarice, & de l'inva­sion qu'ils ont faitte des benefides de S. Benoist. Ils ont fait voeu d'obeïssance aveugle au S. Pere, mais pour la plus gran­de gloire de Dieu, ils violent hautement cette regle pour s'attacher à celle qui sert à l'avantage de la Societé. Ils ont jugé qu'il leur étoit avantageux dans le demelé, que le Roi trés-Chrêtien a eu avec le S. Pere, au sujet des privileges dont le S. Siege est en possession, depuis [Page 90]plusieurs siecles, de se ranger du parti le plus fort: ils l'ont fait hautement & ont obligé leur P. Maimbourg à écrire contre le Pape en faveur du Roi. S'ils n'ont pas fait voeu d'abstinence ils ont fait voeu, pour le moins d'obeir à la Sain­te Mere Eglise, c'est la plus inviolable aussi bien que la plus anciêne de toutes les Regles; mais pour la plus grande gloire de Dieu, ils mangent de la viande le ca­rême & le vendredi, & même la semai­ne Sainte. Je sçay là dessus une petite Histoire, qui est assez plaisante, & que je tiens d'une personne digne de foy & temom oculaire du fait. Il y a environ quarante ans, lors que la chambre de l'Edit étoit dans la ville d'Agen, & que le Duc d'Espernon Gouverneur de Guiene y faisoit son sejour, comme le Jesuite Pourvoyeur passoit un jour de la semaine Sainte, par la place à une heu­re qu'elle étoit pleine de Monde, char­gé de provisions, un gentilhomme, qui s'appelloit Dalot Catholique, mais qui aimoit à se divertir ôta le manteau au Je­suite, lequel fut veu avec une ceinture garnie de orochets, où pendoit des gigots & des longes, des becasses, des chappons, & des perdrix, & qui fut contraint de se [Page 91]cacher, dans une maison, confus d'étre veu en cette posture par l'éclat de rire de tous les assistans.

Si le Fondateur des Carmes eut lais­sé une semblable liberté à ses Disciples, le Docteur Patin n'eut pas eu sujet de faire ce plaisant conte à leurs dépens, écrivant à un de ses amis:Lettre 70. vous sçaurez pour nouvelles, dit-il, que depuis peu les Exems s'étant transportez au Convent des Carmes à deux heures aprez minuit, à la requête du Su­perieur, ils en enleverent douze qu'ils amene­rent au For l'Evêque. C'étoit des Compagnons, qui se mocquoient de leur Regle & de leur Su­perieur: qui faisoient grand chere là dedans en depit du Carême. On a trouvé dans une de leurs chambres 22 bonnes perdrix, des patez, des Jambons, & force bouteilles de vin. Voi­la comment ces Maitres Moines Jeunent le Ca­rême, tandis que les gens de bièn mangent du ris & des pruneaux: je pense que de tout tems on a trompé le Monde sous pretexte de Religion. C'est un grand manteau, qui affuble bien de sots animaux. Ily en a un entr'eux qui regrette plus son or & son argent, qu'il ne se soucie de sa pri­son.

Mais pour revenir à l'abstinence & au Jûne des Jesuites, il est bon d'ouir sur ce sujet un de leurs Historiens Pen­sionnaires. [Page 92] Tout ce que leurs ennemis, Du­pleix. dit­il, ont inventé touchant leur bonne chere, n'est qu'imposture, étant tres certain qu'ils vivent avec une tres grande frugalité, & ne mangent ordinairement, que de la chair de la bou­cherie, sept onces par tête à chaque re­pas: & à disner une petite escuelle de bouillon sans souppe. Nul n'est avantagé en la portion de sa viande: mais le pain & le vin leur est fourni selon leur appetit à suffisance. Eh! les pauvrets, ne sont ils pas bien à plaindre ces Tartuffes?

Vous voyez donc, Messieurs, que les Jesuites ont une double regle aussi bien qu'un double coeur, ce qui a ex­tremement servià poursuivre leur pro­jet de la Monarchie Universelle, & qui sert encore aujourdhuy tres utilement à se maintenir sur le pied, où ils en sont ve­nus. Mais outre cela, vous sçaurez, qu'il y a trois sortes de Jesuites: la pre­miere est de seculiers de l'un & de l'au­tre sexe, qui étant agregez ou associez à la Compagnie, vivent sous sa direction dans la pratique d'une obeïssance aveu­gle, se reglant en toutes leurs actions suivant le Conseil des Jesuites, prets & prompts à executer tout ce qui leur est ordonné de la part de ces Peres. Ce sont [Page 93]pour la plus part des gentilshommes, des Dames, des Demoiselles, qui passent le reste de leurs jours dans le veuvage, de gros Bourgeois, de riches Marchands, lesquels tous sont autant de vaches à lait pour la Societé. La seconde espece de Jesuites est toute d'hommes, dont les uns sont Prêtres, & les autres laiques. Ceux-cy vivent dans le siecle, mais comme ils obtiênent par l'intercession des Jesuites des pensions, des Chanoi­nies, des abbayes, des prieurez, ils ont fait voeu de prendre l'habit de S. Ignace au premier mandement qui leur en sera fait. Ce sont ceux, qui sont appellez Jesuites in voto, & dont les Peres se ser­vent utilement pour l'agrandissement & affermissement de leur Monarchie. Car ils en ont dans toutes les Cours des Prin­ces, dans toutes les Provinces, dans toutes les villes considerables, dans tou­tes les Compagnies les plus celebres. La 3 sorte de Jesuites sont ceux, qui ayant passé par le Novitiat, sont effectivement vrais membres de la Compagnie de Je­sus.

Vous sçaurez de plus, que l'employ le plus considerable de cette venerable Societé, n'est pas la Profession de la [Page 94]Theologie, comme la raison & la bien­seance le voudroit bien: comme ils ont toute autre veuë que celle d'éclaircir les mysteres du Ciel, & d'avancer le Ro­yaume de Dieu, quand ils rencontrent un esprit de grande penetration, ils l'o­bligent à s'attacher aux affaires de la So­cieté, & à se donner tout entier à la. Po­litique: ce qui ne leur est pas difficile d'obtenir, par ce que les beaux emplois, les charges de Provincial, de Superieur, & autres ne sont destinées, que pour ceux qui prênent cette route-là. De là vient qu'on void rarement de grands Theologiens parmi eux, que ceux qu'on y voit ne font que se copier les uns les autres, jusqu'à copier les livres des He­retiques. Maldonat passe pour un grand Theologien parmi eux, mais il est seur qu'il n'a rien avancé de bon qu'il ne l'ait pris de Calvin & autres: & la mar­que assurée des endroits où il à pillé, o'est precisement où il affecte d'injurier ce­luy qu'il pille. Il y la donc bien de la subtilité dans la Politique de ces Pe­res. Ils font profession d'enseigner la science du salut: c'est pour cela qu'ils ont par tout des Colleges rentez; mais tout cela n'est que finesse. Ils ont bien [Page 95]d'autres veuës que celles d'instruire: tout leur but est de regner: ils font tria­ge des esprits capables du gouverne­ment, de sorte qu'il ne reste pour la Sainte Theologie que des esprits de re­but, lesquels ne sont propres qu'a criail­ler dans les chaires, qu'a prêcher la con­troverse sur le plan de la Methode de leur Pere Veron, & à s'acquiter assés bien des fonctions de Missionaire.

Vous remarquerez aussi, Messieurs, qu'ils ont à Rome leur General, y re­sidant toûjours, que chaque Provincial de toute la Chrêtienté luy écrit tous les couriers ce qui se passe dans chaque Province; comme le Provincial reçoit des depêches de tous les Recteurs de chaque Maison & de chaque College, & qu'ainsi il n'échappe rien à la connois­sance du General; car il a toûjours au­prez de sa personne des Jesuites, qui s'appellent Affistans, lesquels on void courir sans cesse d'un Palais dans un au­tre, & de là dans le Vatican, pour sça­voir ce qui se passe, & ce qui se dit chez les Cardinaux & à la Cour du S. Pere. Et d'un autre côté chaque Provincial par le moyen des trois especes des Jesui­tes, dont je vous ay parlé, aprend cer­tainement [Page 96]tout ce qu'il leur importe de sçavoir, car où est ce qu'il n'y a pas des Jesuites seculiers, & des Jesuites in voto? Il n'y a point de Conseil de Prince, où il n'y en ait, par consequent il ne se met point d'affaire sur le Tapis dans aucun Conseil, il ne s'y prend pas une resolu­tion, qui ne viêne à la connoissance des Jesuites. Et vous jugez bien à quoy leur peut servir cette connoissance, & quel usage ils en font: c'est par là qu'ils traversent les entreprises, qui ne leur reviênent point, c'est par là qu'ils se sont agrandis, & c'est par la qu'ils se maintiênent.

C'est assurément un grand Malheur pour les Princes, dont le regne ne peut étre heureux sans le secret, qui est le fondement & la force de leur Conseil. Si l'on pouvoit sçavoir de même, ce qui se passe dans le Conseil des Jesuites, si l'on pouvoit découvrir leur secret, la pareille leur pourroit étre renduë, on pourroit soutenir & accomplir les en­treprises malgré eux, on pourroit en­fin demonter leur machine & deconcer­ter leurs projets. Mais ils sont trop fins pour n'y avoir pas bien pourveu: car ils n'admettent dans leur congregations [Page 97]les plus secretes que les Jesuites, dont la fidelité à la Compagnie est éprouvée, & d'une fermeté inebranlable: leur Com­pagnie est si nombreuse, qu'il est fort possible d'en trouver de la trempe qu'ils veulent, & de ne se tromper pas dans le choix qu'ils en font: ce sont ceux-là que le Jesuite Larrige appelle, les Jesui­tes au grand Collier.

Mais ce n'est pas tout que cela: pour s'assûrer de ceux qui ont part aux affai­res les plus importantes, & qui deman­dent le plus de secret, ils ont pris une voye, que peu de personnes sçavent, que j'ay aprise d'un Conseiller au Parlement de Paris, lequel étoit luy même un Je­fuite in voto, & qui fait voir le plus fin de leur Politique; C'est que ces Jesuites au grand Collier, qui sont du Cabinet & du Sanctuaire, sont lės épions les uns des autres sans le sçavoir; par exemple le P. Maimbourg avoit pour ses épions le Pere la Chaise, & le P: Bourdalou sans qu'il le sçût, & ces deux Peres en ont deux autres chacun qu'ils ignorent a­voir l'ordre d'épier leurs demarches, & de bien prendre garde à ce qu'ils disent dans le tête à tête, ou autrement.

De sorte que dans leur Societé il y a [Page 98]une espece d'Inquisition, semblable à celle qu'on exerce dans la République de Venise, & qui ne regarde que le gou­vernement & la Sureté de l'Etat. Par ce moyen ces fins Politiques, à qui rien des Conseils les plus secrets ne peut étre caché, cachent si bien tous les mysteres de leur cabale, qu'il est mo­ralement impossible qu'ils soient jamais découverts. Ils me font souvenir de l'anneau de Gygez si celebre dans l'Hi­stoire. Cet homme avec son anneau en tournant la pierre en dedans de la main étoit invisible à tous ceux qu'il voyoit luy même, & à qui il parloit: cela sent un peu la magie; mais mon dessein n'est pas d'en accuser ces Peres, que je n'en aye des preuves en main.

Je ne sçay pourtant, si je n'en trou­verai pas une dans le balet des Jesuites de l'an 1663, là où

L'on vid une troupe enflammée,
De l'esprit d'enfer animée,
Qui sortant des plus sombres lieux
Tout d'un coup vint sauter aux yeux.
Et par des efforts impudiques,
l'On guant pour la brû­lure.
Des sauts frizez, des pas lubriques,
Fit un épouventable ebat,
Qu'on n'a jamais fait au Sabat,
[Page 99]
Là le Sorcier & la Sorciere,
Tant du devant que du derriere,
Montroient d'horribles passions
Par d'affreuses convulsions,
Et deshonoroient la nature,
Par une honteuse figure.
Dans leurs sauts donplez & triplez
S'étant salement accouplez,
Ils se donnoient des embrassades
Aussi rudes que des ruades;
Et dans ce funeste embarras,
Faisoient l' Amour à tour de bras:
De plus en plus croissoient les flammes,
Les hommes excitoient les Femmes,
Et tous ennemis du repos,
Pied contre pied, dos contre dos
Paroissoient dans ces sales fêtes
Bien moins des hommes que des bêtes,
Et l'on ne voyoit rien d'inhumain
Sous ce masque indigne & vilain.
L'homme n'étoit plus connoissable,
Sous cette image abominable,
Et l'on ne voyoit pas un trait
De cet adorable portrait,
Par qui la bonté souveraine
S'est peinte en la nature humaine
Ce n'étoit que feu, que fureur,
Que dereglement & qu'horreur,
Et dans ce malheureux orage,
[Page 100]
Ʋne lùxurieuse rage
Poussoit ces horribles mommons
A contrefaire les Demons:
Là se donnant mille tortures,
Ils pechoient en mille postures,
Et faisoient dans ces faux appas
Autant de crimes que de pas.
De haut, de bas, à droite, à gauche
Tout leur corps étoit en debauche,
Et dans ces transports si brulans,
Dans ces efforts si violens,
Ils faisoient tant de pirouettes
Tant d'écarts, d'élans, de courbettes,
Et tant de sauts preoipitez,
Qu'on eut dit qu'ils s'étoient frottez
De cette graisse ensorcelée,
Qui donne une haute volée:
Car enfin ces sorciers voloient
Plus haut qu'ils ne caprioloient:
Enfin ces monstres detestables
Dans les erimes insatiables,
Apres tant d'efforts & de coups
Etoient las & n'étoient pas souls.
Dans leurs detours & leurs entorses
La rage leur donnant des forces,
Ils firent par un dernier coup,
Tout ce qu'ils font au tour du bouc.

Si l'on n'a point de liaison avec les [Page 101]Soreiers, pourquoy en representer les actions publiquement & sur le Thea­tre?

D'ailleurs j'ay trouvé dans le T. Live François, je veux dire dans l'Histoire du President de Thou, une avanture du fameux P. Coton, qui me semble avoir donné lieu à croire, que ce Jesuite n'é­toit pas tout à fait éloigné, de vouloir communiquer avec le Diable.Jac. Aug. Thua­nus Hist. Lib. 132. Le P. Co­ton, dit-il, entreprit d'exorciser le Diable, qui s'étoit saisi d'une fille appellée Adriêne du Fresne. La grande curiosité qu'il avoit pour toutes cho­ses, luy fit prendre cette occasion de consulter le Demon, sur bien de sujets, dont il n'esperoit pas avoir la connoissance par une autre voye: ‘Flectere si nequat Superos, Acheronta Movebit:’

Pour cet effet il avoit emprunté d'un de ses amis un livre d'exorcisines, dans lequel il mit un memoire des questions, qu'il avoit dessein de faire au Diable. Ce memoire étoit en Latin écrit de sa pro­pre main & devint public par cet acci­dent: c'est que rendant le livre, il ne se souvint pas d'en retirer le memoire, de sorte que son ami ne connoissant pas son écriture, ne fit pas difficulté d'en [Page 102]faire part à ses amis, ainsi de main en main le memoire tomba entre celles du Marquis de Rosni, lequel en fit part au Roi. Or selon ce memoire le P. Co­ton demanda au Diable, ce que Dieu luy a­voit revelé touchant les R. R: ce qui devoit luy arriver touchant son sejour à la Cour: le fruit de ses exhortations tant secretes que publiques: ce qui devoit luy arriver en chemin durant son voyage, ce qui regarde la Confession, son sejour avec les Peres, les voeux, la Messe, les cas de Conscience, la conversion des ames, la canoni­sation, la guerre contre l' Espagne & les Here­tiques, la Mission vers la nouvelle France & les Antilles, les moyens de persuader efficace­ment, de s'abstenir de peché. Il y avoit aussi dans ce memoire des questions sçavantes & cu­rieuses; sçavoir si Dieu étoit l' Auteur des lan­gues, quel passage de l' Ecriture étoit le plus clair pour prouver le purgatoire & l'invocation des Saints, comment Noe avoit pû prendre toutes les Bêtes, qui entrerent dans l' Arche, quels étoient les Fils de Dieu, qui se marierent avec les filles des hommes, si le serpent avoit des pieds avant la cheute de l'homme. Combien les Dia­bles avoient demeuré dans le Ciel, & nos pre­miers parens dans le Paradis terrestre, quels sont les sept Esprits quì sont devant le Trône, si c'est le Roi des Archanges, comment les Isles [Page 103]ont été peuplées d'hommes & de Bêtes, où étoit le Paradis terrestre, quel est le nombre des Anges dechûs, quelle étoit l'adoration qu'on rendoit anciennement à Dieu devant les Cheru­bins, quel peril menaçoit luy P. Coton, ce qu'il falloit esperer de la Conversion de Rosni, quels Seigneurs de la Cour il étoit plus aisé de conver­tir. Quel mal les Demons machinoient con­tre la Societé & contre luy même, qu'est ce qui étoit le plus utile pour la conversion des Hereti­ques, quand c'est que l' Heresie de Calvin de­voit étre éteinte, ce qu'il y avoit à sçavoir tou­chant son livre Geneve Plagiaire, le voyage du General des Jesuites en Espagne, le moyen le plus aisé pour convertir le Roi, la Reine & le Royaume d' Angleterre, comment on pourroit surprendre le Turc & convertir tous les infidê­les, ce qu'il y avoit à sçavoir touchant la con­servation de Geneve, la Santé du Roy, la Re­conciliation du Roi avec les Grands du Royau­me, & les villes d'Otage données aux Hugue­nots, touchant Lesdiguieres & sa conversion.

Il y auroit bien de reflections à faire, sur ces questions faittes au Demon par un Jesuite, & par un Jesuite Confesseur de Henry le Grand. Il suffira pour l'heure de celles du President de Thou. Les uns, dit-il, rioient de toutes ces questions, les autres alloient jusques à les censurer & à les [Page 104]condamner. Car disoit on, si le P. Coton ai­me la verité, pourquoy pour l'aprendre, s'adres­se-t-il au Pere du mensonge? on ajoutoit, qu'il n'y avoit que ceux qui pensent en mal de la san­té du Roy, qui s'ingerent d'aprofoudir l'avenir à cet égard. La Vie du P. Coton. Le P. Joseph d'Orleans, qui vient de mettre au jour la Vie du P. Coton a bien veu, que cette avantu­re n'est avantageuse ni au P. Coton, ni à la Societé: voilà pourquoy pour sau­ver l'hôneur du particulier & du gene­ral, il prend le parti de dire qu'à la ve­rité le President de Thou étoit un bra­ve juge, estimé de tout le monde pour avoir été tres equitable, mais qu'il étoit un Historien passionné, & que n'ai­mant point la Compagnie, il n'est pas digne de creance dans les endroits où il parle d'eux. Surquoy je n'ay rien à di­re sinon qu'accuser de Thou de partia­lité & de passion, c'est tout autant que d'accuser le Soleil d'obscurité, & que c'est la coutume des Jesuites de n'esti­mer aucun Historien, s'il ne remplit son Histoire de leurs louanges, & s'il n'a­prouve pas leur conduite en toutes cho­ses. C'est Dupleix, qui est un grand Historien sans passion, & d'une fidelité incontestable au jugement & au gout [Page 105]des Jesuites, par ce qu'étant leur escla­ve & leur Pensionnaire, il n'a rien écrit qui ne soit à l'avantage de la Societé. Mais il suffira d'opposer au Jugement des Jesuites touchant Dupleix, celuy qu'en a fait le Marechal de Bassompier­re, ensuite de cela, dit-il, un autre Coquin, Journal de ma vie tom. 3. p. 342. faux Historiographe s'il en fût jamais nomme, Dupleix, qui a fait l' Histoire de nos Rois, plei­ne de faussetez & de sottises &c.

Mais la reflection, que j'ay à faire sur l'Histoire du President de Thou, par rapport à mon sujet, c'est qu'il paroit clairement que le P. Coton avoit un sentiment bien avantageux de l'esprit Malin, que de le croire capable de l'in­struire de l'avenir, & de decider des poincts de controverse par l'Ecriture. A vôtre avis, Messieurs, si ce Jesuite eut été persuadé de la Doctrine touchant le Purgatoire & l'Invocation des Saints, eut il eu recours au Pere du mensonge, pour s'assûrer de la verité. Qu'avoit il fait, je vous prie de l'infaillibilité de l'Eglise, qui est aujourdhuy le grand retranchement & l'unique ressource des Controver­sistes & des Convertisseurs? Deplus il paroit par l'Histoire du Grand de Thou, que le P. Coton n'étoit pas aussi éloigné [Page 106]du commerce du Diable, que le doit étre un, qui se dit étre de la Compagnie de Jesus, & que faire de telles avances avec cet esprit de tenebres, c'est luy mêtre le marché en main, & luy dire nette­ment, voulez vous traitter avec moy.

Enfin je trouve, qu'il est défendu par les loix de s'enquerir du terme de la vie des Rois, & que cette curiosité est pu­nie comme un crime capital. Qui de sa­lute Principis vel summa Reip. Mathematicos, Paulus Lib. 5. Sent. 21. §. 9. Ariolos, Aruspices, Vaticinatores consulit, cum eo qui respondet capite punitur. Tertulien aprouve cette loi parce, dit-il, que ce­luy là a des pensées contre la vie du Prin­ce, qui fait de telles enquêtes sur sa san­té.Apolo­get. Cui autem opus est scrutarì super Caesaris salute, nisi à quo, adversus illam aliquid co­gitatur? Il y avoit donc lieu à faire le pro­ces au P. Coton, convaincu qu'il étoit par son propre écrit d'avoir consulté le Diable touchant le terme de la vie de Henry le Grand. Mais ce bon Pere a­voit ensorcelé ce Grand Prince. Il ne pût luy échapper.

Je trouve, Messieurs, dans la Cham­bre des Meditations, quelque chose de plus fort que tout ce que vous venez d'ouir. Si vous me demandez ce que c'est que [Page 107]la Chambre des Meditations, quand on par­le des Jesuites je vous dirai, que c'est là, où l'on void des portraits affreux, qui representent des Diablcs en des figures differentes, & toutes propres à faire dresser les cheveux. Par la veuë de ces horribles peintures, ils ebranlent les esprits & les ameinent à leur point. Le fameux Jean Chastel, dans son interro­gatoire, répondit avoir été dans cette chambre infernale. Il y a de l'apparen­ce, que le Diable se trouve-là plus vo­lontiers que dans les enfers, & que se sentant obligé particulierement aux Je­suites, comme les seuls qui luy ont pa­ré une chambre embellie de ses por­traits, il n'est point de Compagnie au Monde, à qui il rende ses services avec tant de plaisir.

Enfin ce qui se passe dans la Chambre des Meditations, lors qu'ils y ameinent le malheureux instrument de leur parri­cide, fait la preuve entiere, ou peu s'en faut, & me convainc parfaitement, que les Jesuites sont de pacte avec le Diable. Quand ils ont introduit la vic­time de leur fureur dans cette chambre Infernale, ils tirent d'un côfre d'Yvoi­re couvert d'un Agnus Dei, & environné [Page 108]de caracteres, un couteau qu'ils arro­sent d'eau benite, & sur lequel ils met­tent certain nombre de grains benits, qui representent, qu'on tirera autant d'ames du Purgatoire, qu'on donnera de coups, & en le donnant au meurtier, ils luy disent: va mignon de Dieu, eleu com­me Jephté, le Glaive de Samson, le Glaive de David, du quel il trencha la tête à Goliat, Glaive de Judith, du quel elle trencha la tête à Holopherne, le Glaive des Machabées, & le Glaive de S. Pierre, du quel il coupal Oreil­le à Malchus, le Glaive du Pape Jules II. avec lequel il arracha des mains des Princes Peruse, Imole, Favence, Fersly, Bou­logne, & autres villes avec grande effu­sion de sang. Va, sois homme robuste, & le Seigneur assures tes pas. Puis toute la Compagnie se mettant à genoux, l'un d'entr'eux fait cette conjuration: Venez Cherubins, venez Serapbins, Trônes & Do­minations: Venez Anges bienheureux pour remplir ce vaisseau de gloire eternelle, & luy apportez presentement la Couronne de la Vier­ge, des Patriarches & des Martyrs. Il n'est pas nôtre, il est vôtre. Et toy, Dieu, qui es redoutable, & qui luy as revelé en ses Me­ditations, qu'il faloit tuer un tyran & hereti­que pour donner sa Couronne à un Roi Catholi­que, [Page 109]etant disposé par nous à cette entreprise, redoubles ses Nerfs, renforces son courage, afin qu'il puisse executer ta volonté. Donnes luy un corselet caché, afin qu'il puisse échaper à la fureur des Sergens; donnes luy des ailes, afin que les lances de ces Barbares n'atteignent ses membres sacrez. Epans tes rayons sur son ame, afin qu'elle anime tell [...]ent son corps, qu'elle se jette à travers tout ce qui s'opposera à son en­treprise, sans peur. Cette conjuration fi­nie, ils le mênent devant l'Autel, & luy montrent un Tableau, où les An­ges tiênent Jâques Clement Jacobin, Assassin de Henry III. & le presentent devant le Trône de Dieu, disans: Sei­gneur, voilà ton bras, voilà ta vengeance, & l'execution de ta Justice, & tous les Saints se levent pour luy faire place. Aprez que ces choses sont faites, il n'y a plus que quatre Jesuites, qui parlent à cet homme, & quand ils viênent vers luy, ils luy disent, qu'ils sont ravis en admi­ration de voir la splendeur, qui est au­tour de sa personne, ils luy baisent les mains & les pieds: ils ne le tiênent plus pour un homme, & luy portant envie de l'hôneur & de la gloire qu'il possede déja, ils luy disent en soupirant: à la miêne volonté, que Dieu m'eut eleu & choisi [Page 110]en vôtre place, je serois assûré de n'aller point en Purgatoire, mais tout droit en Paradis.

Apres cela, Messieurs, passerai-je pour calomniateur dans vos esprits, si je mets les R. R. Peres Jesuites du nom­bre des Sorciers? & faut il s'étonner s'ils sont si adroit & si fins dans les affai­res du Monde?

C'est une Politique si adroite que la leur, qu'ils sçavent tirer la gloire de l'in­famie. Jamais il n'en fut une plus gran­de que celle de leur bannissement hors de France par arrêt du Parlement de Paris, au sujet du Parricide commis par Jėan Chastel, instruit par le Jesuite Guo­ret. Cependant ils firent si bien, leur credit fut si puissant & leur adresse si grande qu'ils furent rappellez, & que depuis leur rappel un de leur Societé a eu toûjours la gloire d'étre Confesseur du Roi. Le P. Coton a été le premier, avant luy aucun Jesuite ne l'avoit été. Mais ils n'ont garde de dire, qu'ils ne furent rappellez qu'à condition, qu'il y auroit à la Cour un Jesuite pour Osta­ge de leur fidelité, de sorte que si c'est une gloire pour leur Compagnie, qu'un de leurs Peres soit Confesseur du Roi trés-Chrêtien, l'Origine en est honteu­se [Page 111]& infame, puisque leur P. Coton n'aprocha de la personne sacrée de Hen­ry le Grand, que pour étre un garand, & un ostage public des deportemens de toute la Societé. Il est clair comme le Jour, qu'il n'y auroit aucun Jesuite à la Cour de France, si leur fidelité n'eut été suspecte, & que la precaution inusi­tée en leur endroit marque avec des Ca­racteres d'infamie, le Jugement des a­vantageux que le Conseil en a fait. Mais comment pûrent ils se rélever de cette chûte? le moyen dont ils se servirent est par faittement digne d'eux. Ils con­noissoient parfaittement le foible de Henry le Grand. Ils eureut recours au Ministere de ses plaisirs, car ce fut la Varenne, fameux par ce honteux Mi­nistere, qui obtint de sa Majesté leur rappel, que tout le Monde jugeoit avec raison hors de toute apparence; par une voye semblable ils obtinrent, que la Py­ramide, sur une des faces de laquelle étoit gravé l'arrêt de la condamnation de Chastel, & de leur bannissement, & sur les trois autres des inscriptions en profe & en vers fort injurieuses, fut ab­batue. Pour oster cette fletrisseure de dessus le front de la Societé, il fallut a­bâtre [Page 112]le monument, qui faisoit detester le Parricide. Ils eussent bien desiré, que cela se fut fait par un arrêt du Par­lement; mais quand ils eurent reconnu,Meze­ray. que les sentimens de cette auguste Compagnie leur étoient contraires, ils passerent outre sans luy en parler da­vantage, non pourtant sans donner sujet à tout le monde, d'en parler fort diver­sement. Cela fut donc fait par toute autre voye que celle de la Justice, il fal­lut que les Ministres de la volupté s'en mêlassent. On mit à la place de cette Pyramide le refervoir d'une fontaine, dont toutes les eaux, dit Mezerai, ne sçauroient jamais effacer la memoire d'un crime si horrible.

S'ils sçavent retirer de grands avan­tages des plus grands pilleurs des Mi­nistres infames de la volupté, & des Marchands abominables de la pudicité du Sexe, ils ne sçavent pas moins tirer parti du vice même, & du vice le plus insupportable & le plus odieux, je veux dire l'Impudence: quand je considerè la nature de ce vice, il ne me paroit pas hu­main: s'il étoit humain, il se fut mani­festé en nôtre premier Pere aprez sa chû­te; mais vous n'y en voyez pas la moin­dre [Page 113]trace; au contraire il couvre sa nu­dité, & s'il n'avouë pas nettement son crime, il ne le nie pas aussi tout à fait: il confesse avoir mangé du fruit défendu quoy qu'il ajoûte que ce fut à la sollicita­tion de sa femme, & sa femme le con­fesse de même, quoy qu'elle ajoûte, que ce fut à la suggestion du Serpent: ce vi­ce donc n'étant pas humain ne peut étre que diabolique, & le Diable ne l'a four­ré dans le coeur de l'homme, que dans cette lie des siecles. Il a choisi la Com­pagnie de Jesus, pour l'y faire paroitre avec toute son horreur. C'est en un mot le Caractere indelebile des Jesuites, & ils s'en servent toûjours utilement, parce que n'étant pas humain de nier ef­frontement des faits de notorieté publi­que, ceux qui les entendent nier, ju­geans des autres par eux mêmes, com­me cela est fort naturel, ils se laissent persuader, ils se laissent vaincre & des­armer à l'Impudence: c'est de quoy les Annales de France, nous fournissent un grand nombre d'exemples. Je n'en produirai que quelques un d'entre plu­sieurs millions.

Le premier est leur conduite; aprez que le P. Guerret, & le P. Guignard [Page 114]eurent été executez en Greve, le pre­mier convaincu d'avoir instruit Jean Chastel, qu'il fairoit une belle action s'il tuoit le Roi, le second pour s'étre trouvé de ses escrits, où il soutenoit, qu'il étoit permis de tuer un Roi tyran & he­retique. Apres que ces deux Jesuites eurent été condamnez à la mort par Ar­rêt du Parlement,Apolo­gie pour Jean Cha­stel. les Jesuites furent si Impudens, que de louer publiquement ces deux scelerats comme des Martyrs, aussi bien que de mettre Jean Chastel au nombre des Heros, & de comparer son parricide aux plus heroiques exploits.

Le 2. exemple d'impudence est ce­luy du Pere d'Aubigny, qui avoit con­fessé Ravaillac, & à qui ce malheureux avoit découvert son execrable dessein: car ce Pere condamné à la question par Arrêt du Parlement, eut l'impudence de répondre, que lors qu'il entra dans l'exer­cice de la Confession, il avoit demandé à Dieu qu'il luy fit la grace, d'oublier ce qui luy seroit revele par les penitens, que Dieu l'avoit exau­cé, & qu'il ne se souvenoit pas que Ravaillac luy eut declare d'avoir resolu d'attenter sur la personne sacrée du Roi. Mais comme le di­soit alors tout le Monde, si on eut don­né à la corde un autre tour de rouë, il [Page 115]est apparent que la memoire luy fut re­venuë.

Le 3. exemple d'Impudence de ces Peres, c'est leur conduite apres la mort de ce grand Roi. Car bien que tout Paris fut plein, que l'assassin infernal n'avoit été que leur instrument; ils eu­rent l'effronterïe & l'Impudence, d'al­ler en bon nombre la tête levée dans le Louvre, demander le coeur de ce bon Prince, qu'ils venoient de faire meur­trir, comms s'ils eussent été aussi inno­cens, que l'enfant qui vient de naitre: oh! les Scelerats! ils avoient bien droit sur ce coeur, puis qu'ils l'avoient percé, comme le chasseur en a sur le lievre, qu'il a blessé, quelque jour qu'il le trou­ve mort.

Le 4. exemple est l'Impudence du P. Coton, lequel dans sa lettre declaratoi­re adressée à la Reine Mere 1610. cite effrontement pour Auteurs Orthodoxes de leur Societé, touchant l'obeissance deuë aux Rois, les Cardinaux de Tolede & Bellarmin; Gregoire de Valence, Alphon­ce Salmeron, Martin Delrio, Seb. Heissius, Mart. Becanus, Jaq. Gretserus, Leonardus Leissius, Nicolas Serrier, Jean Azor, & Louis Richeome, tous lesquels au contrai­re [Page 116]ont été les trompettes de la Doctrine assassine, & dont les livres, au moins de quelques uns, avoient été censurez par la Sorbonne, condamnez par Arrêt du Parlement, & brulez par la main du Bourreau.

Le 5. exemple est l'Impudence, qui paroit dans le livre intitulé, Apologie pour les P. Jesuites imprimée à Paris chez Cramousy 1625. Il est faux, disent ils, & il y a de l'Impudence à declamer comme fait l'Ʋniversité, que les Jesuites instruisent les peu­ples, que le Pape peut degrader les Rois & trans­ferer les Couronnes. Et il n'y a rien de si constant qu'en ce tems-là aussi bien qu'aujourdhuy, ils aprenoient cela mê­me à leurs Ecoliers, par l'Epitome de l'Histoire de leur P. Turselin, où il est ainsi écrit en autant d'endroits, qu'il l'a pû écrire, principalement contre les Rois de France, entre autres contre Philippe le Bel: Le Pape Boniface, dit-il, frappe d'Anatheme Philippe le Bel, indigné contre ce Roi, & le dépouilla du droit de regner, par ce qu'il avoit appelle au Concile, comme si le S. Siegé eut été vacant.

Le 6. exemple de leur Impudence se void, dans un Ecrit intitulé, Refutation des Calomnies nouvellement publiées par les [Page 117]Auteurs d'un Factum sous le nom de Mrs. les Curez de Paris. l'Impudence consiste en ce qu'ils ne considerent pas cette piece comme venant des Curez de Paris, car ils les croyent trop sages & trop Catho­liques, pour leur imputer une aussr me­chante piece que celle-là. Cependant ils ne pouvoient pas pretendre la moin­dre cause d'ignorance, quē les dits Cu­rez n'en fussent les Auteurs: car il étoit de notorieté publique, que ce Factum avoit eté fait, examiné, & corrigé par huit Curez Deputez à cette fin, qu'il avoit été approuvé dans leur assemblée generale, qu'il avoit été imprimé en leur nom, qu'il avoit été presenté par eux mėmes juridiquement à Mrs. les Vicaires Generaux, qu'il avoit été di­stribué par eux mêmes dans les Parrois­ses, & avoué dans toutes les manieres possibles, comme il paroit par les Regi­stres de leur assemblée du 7 Janvier, 4 Février, & 1 Avril 1658. & toutes­fois il pleut aux Jesuites de publier, que les Curez de Paris n'y avoient aucune part: & sur cette supposition impuden­te ils traittent les Auteurs du Factum avec les termes les plus injurieux, dont la verité puisse étre outragée, & leur [Page 118]donnent en même tems les louanges les plus douces, dont la simplicité peusse étre surprise.

Autre exemple d'Impudence dans ce même écrit. Les Prelats de l'assem­blée generale de l'année 1656. & 57. a­voient adressé une lettre circulaire à tous les Evêques de France, pour preserver leurs Dioceses de la Morale relachée des Jesuites. Comment traitterent ils cet­te lettre? Ils dirent que c'étoit une piece subreptice, sans aveu, sans ordre, & sans au­torité. Cependant ils ne pouvoient igno­rer qu'elle n'eut été veritablement pu­bliée, par l'ordre de l'assemblée gene­rale du Clergé, composée par eux mê­mes, aprouvée par eux, imprimée par leur commandement chez Vitreé leur im­primeur, avec les instructions de S. Charles & l'extrait du proces verbal du premier de Février 1657. où ces Pre­lats condamnent les relachemens des Casuistes, & se plaignent fortement, qu'ils avoient avancé des Maximes contraires à celles de l'Evangile, & qui vont à la destruc­tion de la Morale Chretiêne.

Enfin pour ne pas vous fatiguer de l'ouie de tant de preuves de l'Impudence des Jesuites, je finirai cet article par le der­nier [Page 119]exemple, qu'ils en ont donné à la face de tout Israël & de toute l'Europe: ils ont eu le front si dur, que d'oser publier par la plume de leur Maim­bourg, par celle de Varilas leur Pen­sionnaire parlant au Roi même, & par Mr. l'Evêque de Meaux, leur creatu­re parlant à son troupeau, que le Roi étoit si heureux & si glorieux, que d'a­voir converti tous les Huguenots de'son Royaume, sans avoir employé aucune violence, & sans avoir usé d'aucune contrainte. Outre les Ministres ban­nis, outre ceux qui sont dans les prisons, ou dans les Galeres, ou ceux qu'on à transportez dans l'Amerique, il y a plus de soixante mille refugiez, qui donnent un dementi authentique capable de fai­re rougir tous ces écrivains faussaires & effrontez. Mais quand l'Impudence est parvenuë jusqu'aux dernieres extre­mitez, on n'est plus capable de rougir: cependant c'est un trait des plus fins de la Polititique de ces Peres, car de tous ceux, qui lisent les livres, où ils nient les faits les plus notoires & les plus con­stans, il y en a plus de la moitié qui les en croyent de bonne foy, & pour l'ave­nir, ils y pourvoiront si bien, que les [Page 120]livres qui portent témoignage pour la verité contr'eux, seront abolis, & les leurs subsisteront.

Vous avez oui, Messieurs, des preu­ves de l'Impudence des Jesuites, à nier les faits les plus Constans & les plus no­toires, je vai donner une preuve invin­cible de leur impudence à renverser le droit le plus clair & le plus sacré comme le plus naturel. Je veux parler du re­lachement de leurs Casuistes, & des Maximes abominables de leur Morale. Apres que tous les Curez de France se furent soûlevez contre ces Maximes, qui renversent la Morale Chretiêne, & qui tendent à éteindre la charité & la pieté, & à entretenir les pecheurs dans l'impe­nitence, apres que l'assemblée genera­le du Clergé de l'année 1656. & 57. l'eut condamnée par une lettre circulaire à tous les Prelats du Royaume, afin que chacun preservât son Diocese de cette peste des consciences, comme nous l'a­vons touché dans nôtre premier dis­cours, que firent ils au lieu ou de nier, que ces Maximes eussent été avancées par leurs Auteurs, ou de déclarer à tout le moins, qu'ils ne les aprouvoient nul­lement, ils font publier une Apologie [Page 121]de tous leurs Casuistes les plus outrez, laquelle seule contient autant que tous les livres des Casuistes ensemble, & qui renouvelle toutes les Maximes condam­nées, avec un scandale & une Impuden­ce, à la quelle il ne se peut rien âjouter: car ce n'est pas avec deguisement qu'ils agissent dans ce livre: Ils y parlent ron­dement & sans equivoque: on y void en cent endroits ces paroles temeraires: Il est vray, que les Casuistes tiênent ces Maxi­mes, mais il est vray aussi qu'ils ont raison de les tenir. Ils y soutiênent que les blasphe­mes, les parjures, la fornication, l'adultere, & enfin tous les crimes contre les dix comman­demens de la loi de Dieu, ne sont plus pechez, si on les commet par ignorance, ou par empor­tement, ou par passion. Quelle sorte de gens, & quelle espece d'hommes sont ceux de cette Compagnie? A quoy ont ils pen­sé, quand ils ont mis au jour une Mo­rale, qui a fait mettre aux champs con­tre eux tous les Curez, & tous les Pre­lats de France, aussi bien que les Janse­nistes? n'ont ils pas craint d'effaroucher tous les Chrêtiens par leurs abomina­bles Maximes, & de s'attirer la haine publique comme des perturbateurs du repos public, des ennemis de Dieu & [Page 122]du genre humain, en soutenant qu'en dirigeant l'intention, on peut commet­tre les crimes les plus enormes: que par exemple, une fille, qui se trouve enceinte, peut se deffaire de son fruit, pourveu que son intention ne soit pas de commettre un meurtre, mais seu­lement de mettre à couvert son honneur. Qu'un sujet peut assassiner son Roi, lorsque deux Au­teurs graves ont jugé, qu'il est ou tyran ou He­retique, & que de même un homme ne com­met ni fornication ni adultere, lors que la partie y donne son consentement, par ce que c'est le sentiment des Casuistes. Ils connoissent trop bien le penchant du coeur de l'homme, & la force de la corruption originelle, pour avoir craint les facheu­ses suites de leur Morale. Et c'est en­core icy un des plus fins traits de leur Politique. Ils ne pouvoient arriver à leur grand but, qui est la Monarchie Uni­verselle, sans captiver les Esprits & sans se rendre Maitres des consciences. Ils n'ignoroient pas, qu'il est plus aisé d'accommoder la loi de Dieu à la cor­ruption des hommes, que de flêchir lc coeur des hommes à obeir à la loi de Dieu. Ils sçavoient, que le nombre des mêchans excede de beaucoup celuy des bons, qu'il est plus aisé de mettre les [Page 123]gens dans le chemin du vice, par ce qu'il est aisé & agreable, que dans celuy de la vertu, qui est difficile & contraire aux inclinations de la nature corrom­puë. Ils ont donc mis au jour une Mo­rale, qui toute detestable qu'elle est, devoit étre suivie de la plus part, & l'a été en effet malgré les oppositions vi­goureuses qu'on y a faittes. Et qui ne sçait pas, que les Jesuites ont triomphé de tous les opposans, que le parti des Jansenistes ne paroit plus, que les let­tres Provinciales ont été décriées com­me l'ouvrage d'un Heretique, & un fruit de Charenton: qu'en un mot tous ces corps, qui avoient osé attaquer la Morale des Jesuites, ont été battus & rompus, & que tout a plié sous leur puissance, le haut comme le menu Clergé?

Si leur entreprise au sujet de leur Mo­rale a été hardie & temeraire, & si elle a passé avec tant de succez contre toutes les apparences, il faut avouër qu'ils s'y sont pris pour la faire reussir, comme elle a fait, d'une maniere digne des Politi­ques les plus adroits & les plus fins.

Premierement ils se sont erigez en Docteurs infaillibles, jusqu'à declarer [Page 124]que le Pape n'est infaillible que par eux: c'est ce que j'ay remarqué dans mon premier discours. Et qui peut douter de la bonté d'une Maxime, lors qu'on est persuadé, qu'elle emane d'une Com­pagnie où reside l'infaillibilité?

En 2 lieu, ils n'ont avancé toutes leurs Maximes damnables, que comme leur ayant été dictées, ou inspirées par la Sainte Vierge. Le Jesuite Mascaren­has mit au jour l'année 1656. un livre, où elles sont étalées avec un air Magi­stral, il dedie son ouvrage à la Vierge, de­clare qu'il enseigne ce qu'il a apris d'el­le, & que c'est elle aussi, qui luy a in­spiré de la composer. Et qui pourra soub çonner, qu'il y ait la moindre im­pureté dans ces Maximes, quand on est prevenu qu'elles sont venuës du Ciel, & que la Sainte Vierge les a inspirées?

En 3 lieu, pour prevenir le tort qu'il étoit à craindre, que fairoit à leurs Maxi­mes le soulevement de tous les Curez, & de tous les Prelats de France, ils se sont plaints hautement dans leur Apolo­gie, qu'il n'y avoit que des Heretiques, qui s'y étoient opposés. Les Curez de Rouen releverent cette injure, & s'en plaigni­rent à leur Archevêque, qui l'est au­jourdhuy [Page 125]de Paris, dans une lettre du 3 May 1658. Mais cette plainte ne pro­duisit aucun effet, de sorte que Mon­seigneur l'Archevêque, & Mrs. les Cu­rez de Rouen sont censez étre Hereti­ques par eux, & par consequent par tous ceux, qui leur adherent, puisque nulle Justice ne fut faitte de cette in­jure.

En 4 lieu, ils se sont plaints, qu'ils étoient persecutez, & même qu'ils étoient persecutez pour le nom de Jesus. Ils se sont apliquez sur ce sujet ces paroles du Sau­veur; vous serez haïs de tous à cause de mon nom: bienheureux sont ceux, qui sont persecutez par Justice; car le Royaume des cieux est à eux. Vous serez bienheureux, quand on vous aura injuriez & persecutez, & quand à cause de moy, on aura dit contre vous en mentant quelque mauvaise parole que ce soit. Or où est le Chrêtien qui n'aura pas de la venera­tion pour des Docteurs, qui soufrent pour le nom de Jesus? Et qui ne rece­vra pas comme Apostolique, & venante du Ciel, une Doctrine dont les Auteurs font autant de Confesseurs de Christ?

Mais de tous les Moyens que les Je­suites ont mis en usage, pour parvenir à la Monarchie Universelle, la Confession [Page 126]est sans contredit un de ceux, qui leur a servi plus utilement; c'est par ce mo­yen qu'ils ont sçeu le secret des familles, & qu'ils ont decouvert le secret des E­tats: c'est par ce moyen qu'ils se sont rendus Maitres de la Conscience des peuples, & de la Conscience des Rois. Que diriez vous, Messieurs, qu'ont fait ces bons Peres, pour attirer le monde à leurs Confessionneaux? Ils les ont rendus accessibles, doux, attrayans, delicieux; de sorte que les pêcheurs y vont comme à un festin.

Premierement ils ont posé ce Princi­pe, qu'il falloit sauver tout le Monde, & faire que le nombre des predestinez à la gloire, l'emportât de beaucoup sur celuy des damnez: en vertu de quoy ils ont fait le chemin, qui conduit à la vie Eternelle, large & spacieux: Ils ont fait la porte du Paradis large, & celle des Enfers etroite. Car bien que J. Christ ait dit le contraire formellement, ils sçavent à qui ils en content. Ce sont des gens, qui n'ont jamais leu l'Ecriture Sainte: ce sont des aveugles, qui sont ravis d'avoir des conductours indulgens & misericordieux, grands Predicateurs de la grace salutaire à tous les hommes.

En 2 lieu, ils ont posé cet autre Prin­cipe, qu'il falloit faire bon marché de l'absolution, & ne la pas refuser au pe­nitent,Apo­log. pag. 162. quand même le Confesseur ne sera pas persuadé, que le penitent exe­cute la resolution de ne retourner pas à son peché, & quand même il jugera que le pecheur y retombera. Car, disent ils, où trouvera-t-on des penitens, de qui le Prêtre se puisse assurer, qu'ils ne retomberont point, & si les Confesseurs attendoient cette certitude, & jugeoient de l'avenir par les fautes passées, dont les penitens se Confessent, il ne faudroit plus de Confession. Le Prêtre donc, con­cluent ils, doit absoudre le penitent, quoy qu'il suppose qu'il retournera à son peché. A­pres cela faut il trouver étrange, que les Confessionneaux des Jesuites soient pre­ferez à tous ceux de tous les autres Confesseurs? avec quelle confiance n'y va-t-on pas, & avec quelle consolation n'en revient on pas, quelle que soit la disposition où l'on est, d'en emporter des lettres de grace, ratifiées par cette declaration du Souverain Juge du Mon­de, à quiconque vous pardonnerez les pechez, ils seront pardonnez?

En 3 lieu, ils ont posé cet autre fon­dement, [Page 128]qu'il falloit se charger des pechez du penitent, dans quelque abandon qu'il eut vescu. Voyez, Messieurs, la har­diesse & la temerité de ces charitables Confesseurs, de se charger d'un fardeau, qui a fait tomber les Anges du Ciel dans l'abyme, & qui même a fait suer le fils Eternel de Dieu une sueur de sang. Il y avoit, disent-ils, une homme de condition, qui apres avoir passé sa vie dans lè libertinage, tant à la Cour qu'à l'Armée,Morale Pract. 1 Vol.étoit malade à l'ex­tremité, & ne vouloit en aucune façon du monde, entendre parler d'aller à Confesse, par ce qu'il y avoit tant d'années qu'il n'y avoit été, que c'étoit du plus loin qu'il se pût souvenir. Ceux qui étoient aupres de luy, firent tous leurs efforts pour l'y faire resoudre, mais ce fut en vain; car la honte qu'il avoit de ses crimes le surmentoit toûjours, & l'empechoit de les a­vouër. Cependant il vouloit bien recevoir les autres Sacremens; c'est pourquoy on luy choisit un Prêtre qui fut un Jesuite. Aussi-tôt que le Malade l'apperceut, il s'écria qu'il n'avoit que faire d'aprocher, parce qu'il ne vouloit point se confesser. Le Jesuite luy dit de n'avoir point de peur, qu'il luy promettoit de ne luy point par­ler de Confession, mais il luy demanda s'il agreoit de faire un échange avec luy, en accep­tant ses bonnes oeuvres, & luy donnant ses pe­chez: [Page 129]Le Malade s'y accorda volontiers. Le Jesuite l'assûra donc, qu'il prenoit sur luy tous ses pechez, & les regarderoit desormais comme siens, & qu'en même tems il luy cedoit le me­rite de toutes les bonnes oeuvres qu'il avoit pra­tiquées. Sur cela il luy donna l'absolution & se retira. Mais comme il étoit à la porte, il revint pour dire au Malade, qu'il n'avoit point pensé, qu'il ne sçavoit point quels étoient les pe­chez, dont il s'étoit chargé, & que cela seroit cause qu'il ne pourroit s'en confesser comme é­tant à luy, parce qu'il les ignoroit, & que ce­pendant il auroit bien voulu s'en accuser, n'a­yant pas envie de se damner. Le Malade ne fit aucune difficulté de luy raconter tous ses cri­mes sans en avoir honte, par ce qu'il ne les cre­yoit plus à luy, Le Jesuite luy apporta ensuite le S. Viatique, & il mourut un peu apres, & apparut la nuit au Jesuite pour le remercier du don, qu'il luy avoit fait de ses merites, en con­sideration desquels Dieu l'avoit mis dans la gloire, quoy qu'il eut merité l'Enfer. Je vous laisse à penser, Messieurs, les avanta­ges infinis qu'apporte à la Compagnie de Jesus, la conduite adroite de leurs Con­fesseurs, lors qu'ils dirigent la Con­science d'un Prince, qui n'a pas beau­coup de lumieres, mais qui n'est pas tout à fait impie, qui dés son enfance [Page 130]aété elevé par des Jesuites, qui a passé tou­te sa vie dans la debauche, qui a abusé de sa puissance & de la foiblesse de ses sujets, qui a fait de son Palais un Ser­rail, & qui apres l'avoir souillé d'adul­teres crians, est contraint, pour assou­vir des louves insatiables, qui le posse­dent, d'accabler & d'abymer ses autres sujets. Je vous laisse à penser les mou­vemens de reconnoissance que doit a­voir un Prince, qui est dans cet état, & qui croit que son Confesseur a le droit, aussi bien que la charité de se char­ger de tous ses crimes? car où est le pe­nitent, qui se sent redevable à son Con­fesseur du repos de son ame, & de son salut Eternel, qui puisse luy refuser aucune chose, qui luy viêne en l'esprit de luy demander? Cette Compagnie de Jesus ne pouvoit donc pas manquer de s'enrichir, & de monter à cette haute puissance, où vous la voyez maintenant; puis qu'elle a si bien fait, qu'elle s'est insinuée dans toutes les maisons des Grands, dans toutes les Cours des Prin­ces, & qu'elle s'est saisie de la Conscien­ce des Rois & des Empereurs, par le secours charitable qu'elle leur offre de se charger de tous leurs crimes. Car [Page 131]comme raporte l'Histoire, que vous venez d'ouir, quand une fois le peni­tent a fait l'échange de ses pechez, avec les oeuvres meritoires du Confesseur, ses pechez ne sont plus à luy, mais à son Con­fesseur: c'est à son Confesseur à s'en dé­faire comme il poura: mais pour luy, il est aussi net apres cet échange, que le fut le Roi David apres que Dieu eut exaucé la priere, où il luy disoit: laves moy avec Hyssope, & je serai plus blanc que la neige. Il peut donc se divertir à nou­veaux frais, reprendre son train ordi­naire, & se replonger dans ses debau­ches impunement.

Ces Principes & ces Maximes sont infiniment propres comme vous voyez, à attirer le Monde de méchans à leurs Eglises; afin pourtant de mieux faire venir l'eau à leur Moulin, comme l'on dit, & pour attirer les Riches à leurs Confessionneaux au prejudice des au­tres Ordres: je dis pour attirer les Ri­ches seulement, car il est constant qu'ils ne se soucient point des pauvres, lesquels ils n'admettent point du tout à leurs Confessionneaux, ils empechent les Riches de tout leur pouvoir, de fre­quenter ou de visiter les Eglises des au­tres [Page 132]Religieux aux Fêtes qu'ils solemni­sent. Pour cet effet ils disent des autres Ordres, tout ce qui en est, & ce qui n'en est pas; que les uns sont des ventres pa­resseux, les autres des voluptueux, les autres des ignorans, les autres des indis­crets & scandaleux. Ils leur represen­tent, que toutes les indulgences des au­tres Ordres sont infuses, & comprises dans la regle de leur Societé, sur tout ils leur representent combien leur Or­dre est consideré par tout le Monde, combien grand est leur pouvoir par tout, & l'amplitude de leurs Privileges, en ce qu'ils peuvent absoudre des cas re­servez, ce que les autres Moines n'ont pas le droit de faire, comme de dispenser de jeuner, de rendre ce qui est deu, de dissoudre les empeschemens du Maria­ge, & de rompre les liens de toutes sor­tes de voeux.

Puis que nous sommes dans les Con­fessionneaux des Jesuites, je pourrois avant que d'en sortir vous faire voir, que les saletez, qui s'y répandent, ne sont pas l'Article le moins important de leur Politique: car les e [...]tretiens impurs, qu'ils y ont avec le sexe, prenant ces ames lubriques par lour foible, ils s'en ren­dent [Page 133]si bien les maitres, qu'il n'y a point de secret de famille, qu'ils ne découvrent par ce moyen, ni de mesures, qu'ils ne prênent en toute sûreté dans leurs plus grandes entreprises, se pouvant glori­fier, qu'ils tiênent dans leur manche tous les maris, dont les femmes leur ont mis leurs Consciences entre les mains, & qu'ils ont de même en leur puissance tous les Galants, dont les jûnes Mai­tresses leur ont donné leurs ames à gar­der. Mais il sera plus à propos de re­muer les ordures, dans mon dernier discours, où je ferai le proces à cette ve­nerable Compagnie, & la convaincrai par des preuves invincibles, qu'elle ne doit plus subsister dans le Monde, & que tout le genre humain a interêt, qu'elle soit entierement raclée de dessous les Cieux.

Il faut donc que je suive ces Peres ar­tificieux battans l'estrade dans le Mon­de, & que je vous fasse remarquer com­me quoy ils agissent avec les Protestans: car il ne faut pas vous imaginer, qu'ils y ait ville considerable, où il n'y ait quel­que Jesuite travestis, ou en habit de ne­gociant, ou en Equipage de Cavalier & de Gentilhomme, suivi d'un valet de [Page 134]chambre, & d'un laquay à livrée, ou sous quelque autre forme & figure, se­lon le Païs, où il va, & selon les affai­res qu'il y doit negocier. Comme il n'y a point de plus grand obstacle à leur Monarchie Ʋniverselle, que celuy qui y apportent les Protestans, c'est aussi ce parti qu'ils ont fait la resolution de dé­truire. Ils ont reüssi en France, ils font leurs conte que c'est une affaire faite & parfaite dans ce Royaume. Ils voyent pourtant que le moyen, qu'ils ont mis en oeuvre pour achever la ruine des Hu­guenots, fait un insigne tort à leur E­glise & à leur Societé, & que les Prote­stans ne sont pas les seuls qui crient, que cette maniere de convertir les gens, n'est rien moins qu'Evangelique, qu'elle n'a pû faire que des Hypocrites, qu'elle n'a pû gagner que la bouche, & laisser le coeur dans un état fort éloigné de Dieu & de sa grace: qu'en un mot il n'y a rien, qui peut faire mieux soubçonner, que l'Eglise Romaine est la grande Ba­bylon, qui s'enyvre du sang des Saints, & qu'elle est ammée de l'Esprit du Dra­gon, que d'employer une Mission Dra­gonne, pour s'assujettir les ames. Ce sont les Catholiques mêmes, qui ont [Page 135]crié par tout où ils ont veu la violence de la Mission Jesuitique, les maisons saccagées & ravagées, les personnes tour­mentees en toutes les manieres, & cel­les qui ont eu de la fermeté, ou reduites à sortir du Royaume, ou à se cacher dans les cavernes ou dans les bois, ou à se voir mêtre dans les prisons les plus obscures, ou dans les cachots les plus puans, ou à étre transportez dans l'A­merique. Toute la terre en un mot a crié, que les Auteurs de convertir les gens de cette maniere ne tendoit à rien moins qu'à la gloire du nom de Dieu, & qu'à l'avancement du regne de J. Christ, mais qu'elle devoit aboutir à avancer & à achever le grand projet de la Monarchie Ʋniverselle des Jesuites. Il leur importe donc infiniment pour cacher leur jeu, de détruire les mauvaises impressions, que les Refugiez peuvent avoir don­nées de leur conduite, au sujet de la rui­ne des Huguenots.

Pour cet effet ils ont envoyé des Je­suites par tout, où il y a des Huguenots Refugiez. Là que font ils? ils nient impudemment, qu'on ait usé d'aucune violence, qu'ils étoient eux mêmes en France en 1685. qu'ils se sont trouvez [Page 136]dans une telle ville, où du soir au matin tous les Huguenots furent Catholiques, & qu'il ne fut pas fait le moindre bruit, ni le moindre excez pour ce change­ment: qu'il ne faut pas croire ce qu'en ont dit les gazettes, lesquelles se char­gent de tout, par ce que cela ne coute rien à l'Auteur, qui les compose, & qu'au contraire il est payé pour cela: qu'il faut moins encore s'en rapporter aux Réfugiez, dont la plus part sont sortis de France, pour tout autre motif que celuy de Religion, que les uns en sont sortis par legereté & par la curiosité de voir le Monde, comme tous les jeunes gens, les autres par fripponnerie, ou pour échaper à la Justice ou à la main de leurs creanciers. Et comme c'est la verité, que parmi les Réfugiez il y en a grand nombre, qui sont dans quclcun de ces cas, & à qui la Religion ne sert que de manteau, ces Jesuites deguisez ne manquent pas de se prevaloir de ces exemples, & de s'en servir tres utile­ment, un seul bien averé étant capable de produire l'effet, qu'ils se sont propo­sez dans chaque ville, où ils font leur sejour.

Que si en prenant le parti dernier de­troussément [Page 137]le fait, ils voyent qu'ils ne reussissent point, ils prênent celuy de dire, qu'à la verité le Roi envoya des troupes commandées par le Marquis de Bouflers, mais que ce que les troupes ont fait, n'est pas la centiême partie de ce qu'on a dit: qu'il ne faut que con­noitre Mr. de Bouflers, pour juger du contraire: qu'il n'y a point de Cavalier au Monde, ni plus honête, ni plus civil, ni plus humain, ni en un mot plus éloi­gné de l'éprit persecutant, que ce Gentil­homme-là. Ou bien ils disent, que les Huguenots s'étoient attirez cet orage, par leur conduite étourdie, que dans le Dauphiné ils avoient fait des mouve­mens, qui marquoient indubitable­ment, ce qu'ils avoient dessein de faire; outre que quelques Ministres, qui les avoient abandonnez depuis peu d'an­nées, avoient découvert à la Cour leur se­cretes intelligences avec les étrangers. Ou bien ils disent, que les troupes ne marcherent que pour empecher, que l'exemple du Dauphiné, ne fut suivi dans les autres Provinces, & que la peur que les Huguenots eurent à leur apro­che jointe aux remords de leur Con­science, les fit changer par tout pres­que [Page 138]en un seul jour; Ou qu'cnfin, si les troupes on fait quelques excez dans quelque lieu, ce n'est pas ce qu'on doit imputer ni au Roi tres-Chrêtien, moins encore à son Conseil de Conscience, puis que tout le Monde sçait fort bien, qu'on ne peut pas tenir les gens de guer­re dans une telle discipline, qu'ils ne fassent toûjours quelque chose, qui ex­cede le commandement du General, & les Ordres de la Cour.

Si ces Jesuites travestis découvrent quelques livres, où la manicre dont on a fait les conversions de France, est ra­contée, comme sont les plaintes des Pro­testans de France, l'Accomplissement des Pro­pheties, les Eclaircissemens sur l'Apocalypse, les lettres Pastorales, la défense de la retraitte des Ministres, & tels autres ouvrages, ils en­levent autant d'exemplaires qu'ils en peuvent trouver. Ils ne s'arrêtent pas aux Libraires qui les debitent, ils son­dent les personnes de qualité chez qui ils ont de l'accez, pour sçavoir s'ils ont de ces livres, & s'ils ont sait quelque effet sur leur Esprit: lors que cela se trouve ainfi, ils tachent de les guerir des mau­vaises impressions, que ces livres leur ont données: lors qu'ils rencontrent [Page 139]des Consciences tendres, ils leur repre­sentent, qu'ils ne peuvent ni lire, ni gar­der de semblables libelles, sans tomber dans un peché mortel, entant que la Sainte Merc l'Eglise s'y trouve grieve­ment offensée & la verité outragée: Et s'ils se rencontrent avec des Esprits fer­mes & assurez, ils traittent ces livres de bagatelles, & d'impostures, & tachent de leur inspirer de la honte, & de leur donner du remords, de s'étre amusez à une telle Lecture.

De plus ces Jesuites travestis obser­vent soigneusement les moeurs & le Naturel des Refugiez. Ils prênent gar­de si parmi eux, il n'y en a pas quelqu'un de plus dangereux que les autres, par son esprit, par son adresse, & par la force de ses discours. S'ils en trouvent quelcun de ce caractere, ils ont les yeux sur toutes ses demarches, ils luy don­nent des épions, qui leur rapportent tout ce qu'il dit & tout ce qu'il fait, & eux envoyent tout à leurs Superieurs, lesquels sur ces avis travaillent aux mo­yens de les rendre suspects: pour cet ef­fet les Superieurs s'informent de ce Re­fugié, de sa famille, de ses moeurs, de sa vie, ils envoyent ces memoires aux [Page 140]Jesuites travestis, lesquels batissent des­sus l'Histoire de sa vie, telle qu'il leur plait, afin que rendant sa personne sus­pecte, on puisse aussi tenir leurs discours pour suspects. Et comme il n'est aucun de si grand merite, qui comme les plus parfaites beautez n'ait son défaut, ils recherchent avec soin le défaut d'un tel, par ce qu'ils auront lieu & la facilité de le faire passer pour un grand vice apres qu'ils l'auront découvert. Ce que je vous dis-là, Messieurs, est arrivé à la let­tre dans plus d'un endroit, où l'on a veu des personnes, dont le merite reconnu fut d'abord recompensé, mais qui quel­que tems apres un établissement honête, lcs uns ont commencé à décheoir, les autres sont tombez tout à fait: ce que je ne puis attribuer qu'à l'artifice des Je­suites. Et d'où peut étre venu le bruit, qui court aujourdhuy en France, que Mr. Jurieu a perdu le sens, sinon de ces Jesuites coureurs & épions, qui voyant Mr. Jurieu à la Haye, pour quelque in­commodité, que la continuation de ses occupations ordinaires, pourroit entre­tenir ou augmenter, & sçachant d'ail­leurs, que ce Ministre fait plus de bruit & de fracas par ses ouvrages, que n'en [Page 141]faisoit le Viconte de Turenne, avec une Armée de quarante mille hommes, luy ont fait cette malice pour diminuer la force de ses ouvrages, & en détruire le succez en décriant sa personne, que d'é­crire en France, qu'il ne travailleroit plus, & qu'il avoit perdu le sens?

Vous sçavez, Messieurs, ce que les Jesuites travestis firent en Angleterre, sous le regne de Charles II. ils se four­rerent dans toutes les Sectes, ils embras­serent tous les partis. Comme S. Paul se faisoit Juif agissant avec les Juifs, gen­til en traittant avec les Gentils, se faisant toutes choses afin de gagner tous à J. Christ, les Jesuites en userent de même; ils se firent Episcopaux, ils se firent Presbyteriens, ils se firent Quakers, ils furent du parti du Roi, ils furent Par­lementaires, par ce moyen ils sceurent le fort & le foible de chaque Secte & de chaque parti, & brouillerent tellement les affaires, qu'ils y firent perir le Roi dans cette confusion, afin d'en mettre un autre à sa place, qui fut selon leur coeur, & qui suivit leur passion. Ils agissent autrement aujourdhuy, quoy qu'animez d'un même esprit sous Jac­ques II. ils tachent d'unir toutes les [Page 142]sectes par l'Abolition du Test: pour cet effet ils sont répandus dans toutes les Provinces, les uns agissent comme du parti des Episcopaux, les autres comme du parti des Presbyteriens: par tout ils ne font que prôner la liberté de Con­science, & improuver la conduite du Conseil du Roi trés-Chrêtien; mais tout cela dans la veuë d'obtenir de tous leur consentement à l'abolition du Test, ce qu'ayant une fois obtenu, on les verra agir d'une maniere bien differente, & prendre d'autres mesures pour parvenir à leur grand but, qui est de se rendre Maitres de la Grand Bretagne. Ces me­sures seront premierement d'accabler, & de détruire entierement le parti Pro­testant, en 2 lieu d'abolir le Parlement pour rendre le Roi absolu, & en 3 lieu de se défaire de la famille Auguste de Stuart, s'ils n'en trouvent point qui se resolve, à se mettre de leur congrega­tion, & à leur rendre une obeïssance aveugle.

Dans l'Allemagne, & dans tout le Nort, ils sont répandus dans toutes les villes, & dans toutes les Cours, pour y traverser tous les desseins des Prote­stans. Leur anciêne resolution, dont [Page 143]ils ne demordent point, est d'empêcher l'union des Calvinistes avec les Luthe­riens: cette union a été entreprise di­verse fois, mais les Jesuites l'ont autant de fois traversée. Ils ont mis tout en usage pour cela, ils n'ont ricn épargné, ils n'ont rien oublié. Ils sçavoient l'a­nimosité des Lutheriens contre les Cal­vinistes, non seulement ils l'ont entre­tenuë, ils l'ont deplus augmentée. Pour cet effet ils ont contrefait les Luthe­riens, & sous cet habit ils ont dit, que si Calvin n'eut jamais écrit sur le point de la predestination & de la providence, toute l'Europe seroit Protestante au­jourdhuy; mais que les grandes erreurs des Calvinistes ont fait rejetter genera­lement tous les sentimens des Luthe­riens, comme s'ils avoient été Hereti­ques. Ils ont dit en un mot, tout ce qu'ils ont jugé propre à entretenir le feu de la division. Et quand ils ont veu, que les mesures étoient prises, & que l'accord d'union étoit sur le point de se conclurre, ils ont corrompu avec leur argent non seulement des Princes, mais aussi les Theologiens; tous avides & in­satiables qu'ils sont, ils sont liberaux & magnifiques sur cette affaire & ses sem­blables.

C'est par ce moyen qu'ils sçavent tout ce qu'il leur importe de sçavoir des affaires des Réfugiez. Ils connoissent que le caractere ineffaçable des Fran­çois c'est d'étre credules & legers. Il est donc fort apparent qu'un Jesuite travestis feignant d'étre Calviniste ou Lutherien, venant à se familiariser avec quelques uns, apres leur avoir donné mille preuves de la compassion, qui les fait prendre part à leurs maux, & de l'horreur qu'il a pour la conduite de l'Eglise Romaine, qui avec son esprit persecutant détruit sa Religion Ro­maine, aussi bien que l'Etat où elle per­secute, il s'insinue si bien dans l'esprit de ces Refugiez, qu'il entre bien avant dans leur confidance, & aprend d'eux tout ce qu'il faut que la Societé sçache, pour achever leur ruine.

Voilà comment les Jesuites travestis se conduisent, quand ils sont envoyez vers les Protestans pour sçavoir ce qu'ils font & ce qu'ils pensent. Si vous vou­lez sçavoir comme ils se conduisent en­vers les Catholiques mêmes, un livret intitulé le Cabinet Jesuitique, est assez pro­pre pour contenter vôtre curiosité. J'yay veu une instruction secrête, qui fut [Page 145]trouvée parmi les Memoires du P. Rec­teur du College de Paderborne, aprés que le Duc de Brunsvic Evêque d'Hal­berstat se fut saisi de leur College. J'en ay retenu quelques articles, qui font voir qu'il n'y a rien dont leur Politique ne s'avise, & qu'elle ne mette en oeuvre pour venir a bout de leur grand projet de la Monarchie Universelle.

Comme les Princes n'aiment pas à étre repris, & que les flatteurs leur sont plus agreables que les censeurs, l'Instruc­tion porte expressement, que lors que le Prince reconnoitra que ses actions sont odieuses, le Pere Directeur ne l'en reprendra point, mais qu'il les expli­quera favorablement, & leur donnera le meilleur sens qu'il se pourra. l'Exem­ple des mariages est proposé. Comme les Princes se marient ordinairement parraison d'Etat, ils portent leur pensée sur des Princesses, qu'ils ne peuvent é­pouser, sans scandaliser leurs sujets, qui ont l'inceste en horreur. Il faudra, dit l'Instruction, aplanir toutes les difficul­tés, par des raisons, par des exemples, par l'authorité du S. Siege, où leur So­cieté peut tout, & par le droit des Sou­verains, à qui tout est permis pour la [Page 146]plus grande gloire de Dieu.

Il faudra gagner ceux, qui sont bien auprés du Prince, par des visites fre­quentes, par des soumissions, par des presens, afin de connoitre par eux l'hu­meur & les inclinations du Prince, & a­gir ensuite conformement à ses inclina­tions & à son humeur.

Pour regir la conscience des Grands, il saut suivre les sentimens de nos Casui­stes, & ne pas les rebuter par une Doc­trine severe, afin que trouvant leur conte avec nous, ils ne nous quittent pas pour d'autres, & qu'ils dépendent entierement de nous.

Il faut tacher que nous ayons part aux Legations & Ambassades, afin qu'il ne se conclue pas une affaire sans nôtre participation: & qu'ainsi nôtre Compagnie se rende necessaire, en fai­sant voir tant son habilité dans les affai­res d'Etat, que le credit qu'elle a dans toutes les Cours.

Celuy qui dirigera les riches veuves, leur permettra tout ce qui se pourra, pour satisfaire à leur sensualité: les vi­siter souvent, les entretenir de contes divertissans, d'Histoires agreables, les maintenir dans la gayeté, & ne les trait­ter [Page 147]jamais rigoureusement en Confes­sion.

Il faudra les porter d'aller souvent à confesse, afin que dans la consolation qu'elles recevront de nous, elles se con­fient entierement en nous, & nous re­mettent tous leurs biens.

Il faudra ou pour gagner, ou pour conserver leur bonne volonté envers nôtre Compagnie, leur donner le Pri­vilege d'entrer dans nos Colleges aux actes solemnels, Tragedies & autres pieces, les empêcher de sortir durant la rigueur de l'hyver, les dispenser du jûne & du cilice, leur faire compenser cette dispense par des Aumosnes, afin qu'elles comprênent que nous n'avons pas moins de soin de leur santé que de leur salut.

Quand il s'agira de la disposition de leur revenu, il faudra leur representer l'état parfait des Saints, qui ont quitté Ieurs Parens & renoncé à tous les enga­gemens du sang, & de l'amitié pour assi­ster les pauvres membres de J. Christ, & leur mettre devant les yeux les Cou­ronnes qu'elles emporteront, si elles re­signent & leurs personnes, & leurs biens entre les mains de nôtre Societé: que si [Page 148]la douceur & l'esperance n'ont pas assés de vertu pour les émouvoir, il faudra employer la crainte du Purgatoire & de l'Enfer, les traitter avec rigueur selon les loix d'une Discipline severe: c'est où le Confesseur usera de grande prudence, aprés qu'il aura donné avis du tout au Superieur.

Quand il paroitra qu'elles songent à se remarier, il faudra les detourner de ce dessein par toutes les raisons imagina­bles, leur faire esperer d'étre un jour ca­nonisées, si elles vivent en viduité, & sur tout, si elles donnent leurs biens à nôtre Compagnie, les assurant sous le seau de la Confession, qu'aprés leur mort la Compagnie employera tout son credit aupres du S. Siege, pour leur obtenir un rang entre Sainte Agathe, & Sainte Therese, & les autres Saintes, qui sont dans le Paradis, pour avoir fait des oeu­vres pies.

Que si la veuve a des filles, il faudra faire en sorte qu'elle les mette en Reli­gion, les degoutant du monde, & du Mariage, pour cet effet elle leur dira, qu'elle se répent de s'étre mariée, quoy qu'elle eut un mari tres honête homme, & de qui elle avoit toûjours été aimée [Page 149]fort tendrement: que si elle a un fils ou deux il faudra les porter avec soin a em­brasser nôtre Societé, & engager la Me­re, & les Parens à leur inspirer ce dessein, & les envoyer dans un Noviciat éloigné, afin qu'on ne les en puisse detourner, & qu'ils soient entierement devouez à nô­tre Compagnie.

Que s'il n'y a pas moyen de porter les filles à prendre le voile, ni les fils à em­brasser nôtre Religion, le Superienr ne cessera d'en attribuer la faute au Confes­seur, pour en mettre un autre à sa pla­ce, qui fasse de nouveaux efforts sur l'e­sprit de ces jeunes gens, & si ces efforts sont inutiles, il faudra induire la Mere à leur laisser quelque petite pension de ses propres biens, & laisser tout le fond à la Societé, ou si cela ne se peut, ven­dre tout ce qu'elle pourra, & nous en re­mettre l'argent pour obtenir l'expia­tion de ses pechez & de ceux de son mari:

Quand on aura mené la veuve au point que nous souhaitons, il faudra empêcher que par l'induction des Pa­rens, elle ne viêne à revoquer ses libera­litez; pour eviter ce malheur, il faudra l'envoyer vivre le réste de ses jours dans [Page 150]quelque lieu éloigné, lui faisant enten­dre, que cette sorte de vie est la plus humble & la plus meritoire de toutes, étant une imitation de celle des Heremi­tes, tels qu'ont été un Moïse, un Elie, & un S. Jean Baptiste.

Afin que nous puissions tirer bon par­ti de nos devots, il faut leur parler sans cesse de nôtre pauvreté, & afin qu'ils n'en doutent point, il faudra que nôtre Superieur emprunte par des actes de­vant Notaire. Il est à esperer qu'étant dans le lict de la mort, ils ordonneront au Notaire, pour le salut de leur ame, de nous remettre en main les actes de nôtre obligation; car il est plus facile de don­ner du papier, que de l'argent.

Il sera bon aussi de demander à nos devots une notable somme à rente & assigner cette rente ailleurs, afin qu'un revenu soit pour un autre revenu; car si nos devots étant sur le point de mou­rir ne nous donnent point la somme en­tiere, ils nous en donneront pour le moins une partie.

Il faudra se procurer l'amitié des Me­decins, afin que nous puissions voir les malades, & procurer à la Societé quel­que Leg.

On tachera par toutes sortes de vo­yes d'engager les jeunes gens à embras­ser nôtre Regle, quand il s'en rencon­trera de bien faits, nobles, & riches: pour les attirer les prefets des Classes les trait­teront avec toute sorte de douceur, ils ordonneront aux Regens de les favori­ser, ils parleront souvent d'eux avec éloge, ils leur donneront des prix, on les ameinera divertir dans nos maisons de Campagne: quand ils seront en âge d'entrer dans le Novitiat, il leur faudra dire, qu'on n'y reçoit que des gens de naissance, de grande qualité, & d'un me­rite distingué, les envoyer faire leur Noviciat à Rome, pour les retirer du païs de leur naissance, où ils pourroient étre détournez par les considerations du rang elevé, qu'ils y ont, d'un si bon dessein.

Au reste, les Jesuites ayant preveu, ce qui est arrivé, que cette Instruction Secrete pourroit bien devenir publique, ils ont prevenu ce malheur, & ont pre­tendu y remedier par ce dernier article, qui porte que s'il arrive que ces avis tom­bent entre les mains des personnes étrangeres, on assurera qu'ils n'ont point été donnez de la part de la Societé, ce qu'on assurera par ceux [Page 152]des nôtres qu'on sçait certainement n'y avoir au­cune part. Ainsi par l'extreme finesse de leur Politique, leur Instruction secrete est devenuë publique, sans avoir perdu rien de sa vertu; leur mine est eventée, & ne laisse pas de produire son effet.

J'avois presque oublié un Chapitre de cette Instruction, qui est des plus memo­rables: c'est celuy qui contient les rai­sons pourquoy les Jesuites sont mis hors de leur Societé, & chassez hors de leur Synagogues; Ces raisons sont: avoir detourné quelcun de leurs devots ou amis de leur faire du bien, avoir porté à embrasser une autre Religion, que celle de leur Societé, avoir temoigné quelque froideur ou mollesse, lors qu'il s'agissoit de la resignation de quelque bien à la Compagnie, ou avoir exhorté de resigner ce lieu-la a quelque autre Ordre, & ceux, qui tombent dans cette faute, l'Instruction porte, qu'il leur sera defendu pour quelque tems d'entendre les Confessions, qu'ils seront mortifiez par des offices bas & abjets, qu'ils enseigneront les plus basses classes, qu'on ne leur accordera point lagarde de la Theologie, que pendant le repas il seront gourmandez, qu'ils seront chassez des promenades & recreations, & qu'ainsi par les degouts qu'on leur don­nera, on les obligera à se retirer sans pei­ne [Page 153]de la Societé. Mais je n'ay veu rien dans cette Instruction, contre les Jesuites, qui sont autrement vicieux & scanda­leux, touchant la punition qu'on en doit faire: il n'en est pas même dit un seul mot dans le Chapitre, dont le titre est des rigueurs & disciplines de nôtre Societé. Certes il faut, ou que l'Auteur de l'In­struction fut un homme bien simple & par consequent mal propre à soutenir le Caractere de Jesuite, de supposer qu'il n'y eut point de Jesuite vicieux, ou qu'il fut entierement gaté du poison de leur Morale, pour laisser impunies les actions scandaleuses, qui se commettroient par ceux de la Compagnie, dans le même lieu, où il denonce des peines contre la mollesse de ceux, qui en abandonneroient les interets, & qui n'en procure­roient pas l'avancement.

Cependant il est constant, que la Compagnie de S. Ignace, n'a pas été moins accessible au crime que celle de S. François, & que le vice ne regne pas avec moins d'empire dans la maison des Jesuites, que dans le Convent des Cor­deliers. Ils peuvent vivre avec plus de precaution, garder mieux le dehors, & sauver mieux les apparences, mais leur [Page 154]vie n'est pas ni plus chaste, ni plus irre­prehensible, que celles des autres Reli­gieux. Ils peuvent étre plus fins & plus resez, mais vraysemblablement ils ne sont pas, ni plus regenerez, ni plus re­tenus. Que font ils donc de ces Peres, qui tombent dans les excés, qui ont rendu si fameux les Cordeliers de Pro­vins, & contre lesquels on vid il n'y a pas bien long tems un Factum le plus scandaleux, qu'on ait jamais veu dans le Parlement de Paris? Quelle punition font ils des forfaits commis par ceux de leur Societé? vous pouvez croire, Mes­sieurs, que le subtil Demon de leur Po­litique, ne les abandonne pas dans cette occasion non plus qu'ailleurs. Tout le Monde sçait & leur Mariana même en demeure d'accord, que c'est une cou­tume parmieux,Moral. Pract. 1 Vol. quand on craint que la faute de quelque Pere, qui est enco­re cachée, n'éclate, de l'envoyer aussi­tôt dans une autre Province: c'est-là toute la peine des Peres de la petite manche comme ils parlent, c'est à dire, des Pe­res qui ne sont pas élevez aux charges du gouvernement. Mais lors que quel­que dereglement arrive à un Superieur, dont il est important de maintenir l'e­stime [Page 155]dans le Monde, & à qui pourtant ils n'oseroient plus se confier, il luy sug­gerent de demander la liberté d'aller au Nouveau Monde, à quoy il n'a pas plu­tôt consenti, qu'ils font passer ce desir forcé, pour un Zele extraordinaire de la foy, & cet exil necessaire & inevita­ble, pour une Mission Apostolique. Ce­pendant cette Politique fait une espece de miracle, qui ressemble à celuy que fit le Sauveur, en la conversion de S. Paul. Car s'il fit un Apôtre des Gentils d'un blasphemateur en la personne de Saul, les Jesuites sçavent convertir tous les jours en Apôtre des Indiens un Jesuite, qui aura été un paillard un adultere & un Sodomite. Mais ce ne sont que de faux Apôtres qu'ils sçavent faire. Ils sont dans la Chine, au Japon, & dans Ca­nada le même, qu'ils étoient à Rome, & à Naples, & à Paris.

Coelum, non animum mutant, qui trans mare currunt.

En effet pour avoir changé de Cli­mat, ils ne deviênent pas meilleurs. Au contraire ils y deviênent pires qu'aupa­ravant. Ils y deviênent blasphemateurs, persecuteurs, opresseurs, & Apostats. [Page 156]Car ils s'accommodent fort bien & sans scrupule de la Religion des Chinois & des Japonois. Ils s'habillent comme leurs Prêtres, ils assistent à leurs sacri­fices, ils adorent leurs Idoles. Ce sont les Catholiques mêmes, qui ont décrié ces nouveaux Apôtres des Indiens, qui ont publié les persecutions, qu'ils ont faites au Japon, & par tout ailleurs aux Chrêtiens, aux Jacobins, aux Corde­deliers, & aux Evêques, & qu'ils y ont Apostasié, en y cachant le mystere de la croix, & en se prosternant devant l'objet que les Idolatres adorent.

La lettre, que Jean de Palafox de Mendoza Evêque d'Angelopolis dans l'Amerique écrivit au Pape Innocent X. represente amplement la conduite scan­daleuse des Jesuites parmi les Idolatres, Je n'en rapporterai que deux Articles. Le premier vous fera voir leur vie des­bordée, c'est le 127. où ce Prelat parle ainsi: J'ay connu en ces quartiers un Provin­cial des Jesuites, qui dans l'espace de trois ans, a chassé de sa Compagnie trente huit Prêtres, quoy que dans toute l'étenduë de cette grande Province, il n'y en eut gueres plus de trois cens. Ʋn autre Provincial nommé Alphonse de Ca­stro en chassa jusques à quatre vingt dans la [Page 157]même Province: on ne void, adjoute-t-il, rien de semblable dans les autres Religions: ce qui rend suspecte ou la facilité avec la quelle on chas­se ainsi les Religieux, ou la multitude des cri­mes, qui oblige à les chasser. Et quel besoin al'Eglise des personnes Religieuses, dont la ma­niere de vie & la conduite sont si étranges, elle dont les moeurs & la Doctrine doivent étre plus pures que le Crystal, & plus éclatante que les rayons du soleil? Le 2 Article vous fera voir leur prevarication, & leur Aposta­sie. C'est l'Article 133. où ce Prelat par­le en ces termes: Toute l'Eglise de la Chine gemit, & se plaint publiquement de ce qu'elle n'a pas tant été instruite que seduite, par les in­structions, que les Jesuites luy ont données, touchant la pureté de nôtre creance; de ce qu'ils l'ont privée de toute la Jurisdiction Eclesiasti­que, de ce qu'ils ont caché la croix de nôtre Sauveur, & autorisé des coutumes toutes Pa­yênes, de ce qu'ils ont plutôt corrompu, qu'ils n'ont introduit celles qui sont veritablement Chrétiênes, de ce qu'en faisant Christianizer les Idolatres, ils ont fait Idolatrer les Chrê­tiens; de ce qu'ils ont uni Dieu & Belial en même Table, en mème Temple, en mêmes autels, & en mêmes sacrifices: Et enfin cette nation void avec une douleur inconcevable, que sous le masque du Christianisme, on revere les [Page 158]Idoles, ou pour mieux dire, que sous le mas­que du Paganisme ou souille la pureté de nôtre Sainte Religion. Ils se glorifient jusqu'à lasser les plus endurans de leurs beaux exploits dans les Indes d'Orient & d'oc­cident, des conversions qu'ils y ont fai­tes, & de l'étenduë des Païs, où ils ont arboré la croix de Christ, & qu'ils ont éclairé de la lumiere de l'Evangile; mais le celebre Evêque d'Angelopolix vient de nous mettre en main des preuves in­vincibles de leur insuportable vanité, & que jamais reproche n'a été mieux apli­qué, que l'est aux Jesuites celuy, que fait le Sauveur dans l'Evangile aux Pha­risiens:Math. 23. Malheur à vous Pharisiens Hypo­crites; car vous faites le tour de la terre & de la mer pour faire un proselyte, & quand vous l'avez trouvé, vous le rendez au double cou­pable de la Gehenne.

Ecoutez encore, Messieurs, ce mê­me Prelat se plaignant de la sorte dans les Articles suivans. Comme je suis un des Prelats les plus proches de ces peuples, que je n'ay pas seulement receu des lettres de ceux, qui les instruisent dans la foy, mais que je sçay au vray tout ce qui s'est passé dans cette dispute, que j'en ay eu dans ma Bibliotheque les actes & les écrits; & qu'en qualité d'Evêque, Dieu [Page 159]m'a appellé au gouvernement de son Eglise, j'au­rois sujet de trembler au jour de son redoutable jugement, si étant commis à la conduite de ses brebis Spirituelles, j'avois été un chien muet, qui n'eut osé aboyer pour faire sçavoir à tout le monde, combien de scandales peuvent naitre de cette Doctrine des Jesuites, dans les lieux, où l'on doit travailler pour l'augmentation de la foy. Car leur puissance est si redoutable, que si les Evêques manquent à defendre la cause pu­blique de l'Eglise, la peur fera demeurer les autres dans le silence: & ils se contenteront de deplorer en secret le malheur des ames par des larmes & des soupirs. J'ay un volume tout entier des Apologies des Jesuites, par lesquelles non seulement ils confessent avec ingenuité cette tres pernicieuse maniere de catechiser, & d'in­struire les Neophytes Chinois, dont les Reli­gieux de S. Dominique, & de S. François les ont accusez devant le S. Siege: Mais même Didaque de Moralez, Recteur de leur Colle­ge de S. Joseph de la ville de Manile, qui est Metropolitaine des Philippines, combat opinia­trement par un ouvrage de 300 feuilles presque toutes les choses, que V. S. a tres justement con­damnées le 12 Septembre 1645. par dix sept decrets de la congregation de propaganda fide.

Je le repete encore, continuë ce Prelat, [Page 160] quel autre Ordre Eclesiastique, s'est jamais si fort éloigné des Principes de la veritable Reli­gion Chretiêne & Catholique, qu'en voulant instruire une nation nombreuse, d'un esprit assés penetrant & propre à étre éclairée, & ren­due feconde en vertus, par la lumiere de la foy, au lieu d'enseigner comme de bons Maitres les regles Saintes du Christianisme à ces Neophy­tes: il se trouve au contraire, que ces Neophytes ont attiré leurs Maitres dans l'Idolatrie, & leur ont fait embrasser un culte & des coutumes de­testables; en sorte qu'on peut dire avec raison, que ce n'est pas le poisson, qui a été pris par le Pescheur, mais que le Pescheur a été pris par le poisson.

A la plainte de ce Prelat il ne sera pas hors de propos de joindre, celle de l'Au­teur de la Morale Pratique.Prefa­ce du 2 Vol. Si, dit-il, on examine de prés la conduite des Jesuites en Europe & aux Indes, on les verra toûjours les mêmes, & on ne sera pas surpris s'ils ont des Maximes si relachées dans la Chine & au Iapon, où ils sont les Maitres; puis que l'on a veu un d'eux, Missionnaire dans la Ville de Viane en Hollande, prêcher publiquement dans son Oratoire, qu'on avoit beau aller où l'on voudroit, chez des Prêtres ou des Religieux, qu'on n'en trouveroit jamais aucun, qui donnât le Paradis à si bon marché que les Iesuites.

Vous voyez donc, Messieurs, que la Mission des Jesuites à la Chine, au Japon & ailleurs, est une Mission d'Apostats plutôt que d'Apôtres, & qu'ils n'y font rien moins que d'y établir ou étendre l'Empire de J. Christ, puis qu'au lieu d'y épandre la bonne odeur de l'Evan­gile, ils font par leur prevarication, par leur vie débordée, & par leur Idolatrie, que l'Evangile de J. Christ y est de mau­vaise odeur, & que le Christianisme n'y a aucun avantage sur le Paganisme le plus tenebreux. Mais ne vous imagi­nez pas, que la Politique leur ait manqué en cet endroit, ni qu'elle leur ait fait un faux bond. Car premierement ils nettoyent leurs maisons par ces Missions Apostoliques, ou pour mieux parler Apostatiques, de tous les vices d'éclat & scandaleux, & conservent à leur Com­pagnie ce dehors, & ces apparences de Sainteté, qui imposent aux yeux du Monde, en rejettant bien loin des gar­nemens, dont la vie scelerate eut pû la décrier. Et de plus ils se servent utile­ment de ces bons Compagnons, pour avancer les affaires & la gloire de la Compagnie. C'étoit la Politique du Cardinal de Richelieu, d'employer [Page 162]dans ses affaires toutes sortes de gens, jusqu'aux faux monoyeurs, & aux coupe jarrets, jusqu'aux putains & aux macquereaux, dont il retiroit de grands services. C'a été aussi celle des Jesuites d'avoir à la Chine, où Japon & ailleurs des Jesuites vicieux & debordez, comme tres propres à se familiariser avec les Pa­yens, en vivant comme eux & en ado­rant leurs Idoles; & par ce moyen se rendre Maitres du commerce de ce Païs­là, comme ils ont fort bien fait, en plu­sieurs endroits. Et vous n'ignorez pas, Messieurs, que le commerce est la sour­ce des Richesses, comme les Richesses sont la voye la plus courte, & la plus sû­re pour arriver à la puissance Souverai­ne, & le moyen le plus efficace de s'y maintenir, quand une fors on y est par­venu. Ce sont eux qui les premiers ont debité le Thé, & le Quinquina, je pense aussi le Tabac, puis que durant quelque tems on appella cette Herbe la Nicotiane du nom de leur Pere Nicot. Commer­cè d'où ils tirerent des sommes immen­ses, parce que durant quelques années ils furent Maitres du debit de ces Mar­chandises par tout le Monde.

Jusques icy, Messieurs, vous avez [Page 163]oui des Maximes en grand Nombre de la Politique des Iesuites. Il en reste une que j'ay reservée la derniere tout exprez pour vous en faire conserver le gout. C'est que ces bons Peres n'ont point de regle fixe & sûre de leur conduite. Car par les Bulles du Pape Paul 3. & Jules troisiême, il leur est permis de changer toute la forme de leur institut, & de fa­briquer des regles toutes nouvelles, con­traires aux anciênes, quand leur General le trouvera bon pour l'avantage de la Societé: de sorte que leur grande & uni­que Regle, c'est de n'en avoir point du tout. Car pour celle de leur Fonda­teur, ils la traittent tout de même qu'ils traittent l'Ecriture Sainte, dont ils ont fait une regle de plomb, un nez de cire, un couteau à deux trenchans, & dont ils ont aneanti toute l'Autorité en la faisant dépendre de l'Autorité de l'Egli­se. Ils font dire de même à leur Fon­dateur tout ce qu'ils veulent, & s'il par­le trop clairement, ils ont rendu son tribunal subalterne à celuy de leur Ge­neral. En vertu de cette regle, ils ont plusieurs poids & plusieurs balances, ils soufflent le froid & le chaud, ils agissent selon les tems, les personnes & les lieux, [Page 164]ils étoient hier Espagnols, aujourdhuy ils sont François, autrefois ils étoient tout entier au Pape contre la France, aujourdhuy ils sont tout pour la France contre le Pape, tout prets à se recon­cilier avec le Pape, & faire à la France le pis qu'ils pourront, quand ils en se­ront requis par leur interêt. On dit or­dinairement, que les Jesuites sont toû­jours du parti le plus fort. Cela est vray; mais on ne dit pas tout, c'est qu'ils ren­dent le parti qu'ils veulent le plus fort, en suivant tousjours leur interêt, qui est la grande Regle de leur conduite, & l'étoile Polaire, qui gouverne leur na­vigation.

L'Année 1684. ils obtinrent une Bulle du Pape Greg. XIII. par la quel­le il est défendu à toutes personnes, sans excepter même les Cardinaux, de pren­dre aucune connoissance des secrets de la Regle des Jesuites, & de les a profon­dir, quand même on n'auroit d'autre but que de contenter sa curiosité. Mais ou cette Bulle étoit la chose du Monde la plus inutile, puis qu'elle défendoit la connoissance de ce qui n'est pas, ou il faut qu'au tems de Greg. XIII. les Je­suites fissent profession de suivre la re­gle [Page 165]de leur Fondateur; mais qu'ayant reconnu par experience, qu'elle ne s'accordoit pas assez bien avec leur pro­jet de la Monarchie Ʋniverselle, ils ont conclu, que le meilleur pour parvenir à leur but, étoit de n'en avoir point du tout. Et en effet, puis qu'il s'agit d'une Monarchie Ʋniverselle, d'une puissance despotique & la plus absoluë, qui fut jamais, il n'est besoin ni de regles ni de loix, il ne faut qu'une obeissance aveu­gle de la part des peuples & des Rois, qui sont de leur dependance, leur Ge­neral étant en droit de dire à tous: ‘Sic volo, sic jubeo, sit pro ratione voluntas.’

III. DISCOURS.

Argument.

Les Iesuites haissables pour leur orgueil, vanité chatiée quelque­fois. Contes plaisans sur ce sujet. Pour étre Courtisans & Galants, Marchands, banquiers, faux [Page 166]mônoyeurs, d'une avarice insa­tiable, cruelle, & inhumaine. Tout le Monde a interêt que leur Societé soit abolie: tout les Ordres des Religieux, les E­vêques, le Pape, tous les Rois, particulierement le Roi de Fran­ce, le Roid' Angleterre, & la Nation Angloise: les Mar­chands, les Pauvres, les Ri­ches, les Peres & les enfans, les Maris & les Femmes. Les de­vots à la Vierge. Les vrais Chrêtiens, les Mahometans. Les Iuifs, les Payens. Tocsin sonné contr'eux par trois Archevêques, par toutes les Universitez, par leur General, par Mariana, par l'Auteur de la Morale pra­tique, par les Evêques de Cana­rie, [Page 167]de Calbastro, par S. Paul, par S. Hildegarde, par le Car­dinal Borromée, par l' Auteur qui donne quatre presages de leur prochaine ruine, & qui propose deux moyens tres justes, & tres faciles, pour en dicharger la France.

JE viens, Messieurs, au dernier point de mon sujet. Il s'agit premierement de faire voir que les Jesuites sont dignes de la haine & de l'aversion publique, Il se trouve quelque fois des personnes as­sez malheureuses, que de n'étre pas ai­mées & d'étre en butte au mépris, & à la haine de tout le-monde; mais cette haine est censée par le faux Zele, que produit la Religion: tels sont les Prote­stans, par tout où la Religion Catholi­que est sur le Trône. Il n'en va pas de même des Jesuites. Ils sont haïs par­tout, en Espagne aussi bien qu'en An­gleterre, en Italie aussi bien qu'en Fran­ce, mais c'est par tout autre Principe, que celuy de la Religion, puis que les [Page 168]Catholiques mêmes ne leur font pas plus de quartier que les Protestants. Il y a de plus cette difference, que les hô­nêtes gens ne haïssent pas les Protestans, au contraire ils en ont pitié, quand ils les voyent traittez avec riguer, & leur rendent secretement toutes sortes de bons offices. Il n'est presque point de refugié qui n'en ait trouvé, qui ont com­pati à sa misere. Mais au contraire il est seur, que si les Jesuites ont des amis, ils ne les trouvent gueres parmi les gens de bien. Ce sont ou des Esprits inte­ressez, ou des ames affamées, ou des coeurs gatez & pourris, ou des Con­sciences en desordre, qui cherchent des gens qui les-bercent, & qui les en­dorment. Un Roi d'Espagne c'est si je ne me trompe, Philippe II. disoit: todos contra mi, y contra todos mi, tout le Monde est contre moy, & je suis contre tout le Monde. Les Jesuites sont sur le même pied, & animez du même Esprit: comme avec la Monarchie Universelle, dont ils sont entêtez, ils se sont declarez contre tous les hommes, il n'y en a point aussi, qui ne craigne ces Tyrans, & qui par con­sequent ne les haisse,Genese 16. veritables Ismaëls semblables à des ânes sauvages, leurs mains sont [Page 169]contre tous, & les mains de tous sont con­tr'eux.

Il y'a plusieurs causes tres legitimes & tres justes de cette aversion generale.Or­gueil. Il n'y a point de gens moins aimez, ni plus generalement haïs, que ceux qui bouffis d'Orgueil sont en perpetuelle admira­tion d'eux mêmes, ne parlent que d'eux, ne prêchent que leurs provesses & ne celebrent que leurs exploits. Or c'est là un des Caracteres des Jesuites. Ils disent de leur Societé: qu'elle est ce cha­riot de feu d'Israél, qui faisoit pleurer autre­fois Elisée, de ce qu'il avoit été enlevé, Imago primi Saeculi. & que maintenant par une particuliere grace de Dieu, l'un & l'autre Monde se réjouit de voir rame­né du Ciel, dans les necessitez de l'Eglise, dans le quel si vous cherchez des Armées & des Sol­dats, qui multiplient tous les jours leurs triom­phes par de nouvelles victoires, vous trouverez une troupe choisie d'Anges. Cesont des Anges semblables à S. Michel dans leurs combats, con­tre les Heretiques, semblables à S. Gabriel dans la conversion des infideles, semblables à S. Ra­phaël dans la consolation des ames, & la con­version des pecheurs. Oui un seul de cette So­cieté est quelquefois victorieux de tant d'enne­mis, que vous jureriez qu'une grande Armée, n'en pourroit pas aisément autant vaincre, qu'il [Page 170]en surmonte luy seul. Jugez par là ce que peut toute cette Societé, en joignant toutes ces forces ensemble. Cette Societe, dirai-je, d'hommes ou d'Anges, quelles ruines & quels carnages d'erreurs & de vices ne procurera-t-elle point! Quand ils parlent d'écrivains sur quel­que matiere que ce soit, il n'y a selon eux que ceux de leur Societé, qui ex­cellent en tout, & qui ont emporté l'e­chele aprez eux. Ils disent de Lessius, qu'il a acquis une reputation Eternelle, non seulement par les ouvrages de son Esprit, mais aussi par l'éclat de ses vertus, & qu'il a été consulté comme un Oracle de toutes les parties du monde. Lors que Lainez parla dans le Concile de Trente, pour la concep­tion de la Vierge sans peché Originel, tout le Concile, disent-ils, l'écouta non com­me un homme, qui eut parlé dans une chaire, mais comme un Prophete descendu du Ciel, qui prononçoit des Oracles. Lors qu'ils par­lent des Jesuites Espagnols: c'est prin­cipalement de l'Espagne, que sont sortis ces grands Hommes, qui par l'Excellence de leur Esprit, & de leur Doctrine ont étendu les bor­nes de la science sacrée, qui ont éte les ornemens de nôtre siecle, & qui seront l'admiration de toute la posterité. Ils appellent Vasquez le rampart de la Doctrine Sainte, Suarez, le [Page 171]Maitre Ʋniversel de son siecle, le Jesuite Ca­ramuel parlant du Jesuite Diana dit: que ceux qui murmurent contre ses decisions, sont des ignorans. Le Jesuite Zergol par­lant de Caramuel dit: qu'on doit étre cou­vert de honte, d'avoir osé condamner une opi­nion défendue par le grand Caramuel, lequel tous ceux de l'ordre appellent le grand flambeau. Et Caramuel parlant de luy même, & de tous ceux de son Ordre, a été si sottement vain que de dire: nous autres doctes, nous jugeons tous, que l'opinion, qui permet aux Religieux, de tuer ceux qui me­diroient de leur Ordre, est la seule soutenable.

Enfin, ce qui est pousser la Vanité & l'Orgueil au de là de toute imagination. si vous leur reprochiez, comme ils font aux Protestans, que leurs Fondateurs, non plus que Luther & Calvin, n'ont point fait de miracles, ils répondroient d'un air fanfaron & avec une fierté de Capitaine, que la Societé est elle même un Miracle comme le Monde. Le pre­mier & le plus grand miracle de la Societé est la Societé même. Ubi supra. Il n'y a point de plus grand mi­racle que le Monde: on peut dire la même cho­se de la Compagnie de Jesus, qui est comme un petit Monde. Ce grand corps de la Sccieté tourne, & roule par la volonté d'un seul hom­me, [Page 172]qui est nôtre General. Tant de personnages excelens en Esprit, illustres en sçavoir, sont con­duits & gouvernez, depuis tant de tems dans la carriere de la vertu & de ta Doctrine, pour le service & le bien des autres, sans que leur course soit jamais interrompue: qui peut ouir sans indignation des vanteries si extra­vaguantes? Ils ne font pas difficulté de dire que dogma Jesuiticum & Catholicum convertuntur, c'est à dire, qu'une Doctri­ne avancée par un Jesuite, & une Do­ctrine Catholique, d'une verité indubi­table, sont une seule & même chose. Qui est si patient, que de ne se pas emporter à l'ouie d'une vanité si ridicule? Ils n'ont pas honte de donner à leur Societé le beau titre de Vierge, & qui est ce qui l'oyant se pourra empêcher de lui dire: n'avez vous pas honte, que vos Casui­stes font parler cette Vierge avec tant d'effronterie, avec des paroles si peu Vierges, & qui expriment des sentimens si capables, & de corrompre les Maitres, qui les enseignent, & les Disciples qui seroient assez malheureux pour les sui­vre? Ces reverends Peres ne font point paroitre leur vanité dans leurs paroles seulement, ils la font éclater aussi dans leurs actions. Et vous ne serez pas [Page 173]fachez, Messieurs, je m'assûre, que je vous fasse icy deux Histoires, où leur vanité fut mortifiée, quoy que non pas tout à fait comme elle le meritoit.

Un de ces Peres prêchant un jour,Morale Pract. 1 Vol. & faisant le Panegyrique de la Societé, la compara à une Horologe qui est bien reglée, & qui regle toutes choses. Mais comme il étendoit cette matiere le plus magnifiquement qu'il pouvoit,Vanité chatiée. l'Ho­rologe de leur maison vint par malheur à sonner plus de cent coups, & par son déreglement causa un tel desordre dans tout l'Auditoire, qu'on ne pût s'empe­cher de se mocquer & du Predicateur & de la Societé, la quelle on disoit publi­quement étre à peu prez juste & reglée comme leur Horologe.

L'autre Histoire, que j'ay à vous fai­re, & où la Vanité des Jesuites fut cha­tiée, c'est un fait, qui se passa dans la Ville de Goa: pour celebrer leur année seculiere, ils firent trainer un char de triomphe, où la Societé étoit represen­tée avec toute la Pompe & l'Eclat, dont ils se pûrent aviser. Il est vray que ce char ne fut pas enlevé dans l'air comme celuy d'Elie, mais en recompense, il fut veu d'un plus grand nombre de per­sonnes, [Page 174]& roula par toute la ville avec l'aclamation de tous ceux, qui le virent promener.

Ils n'allerent point chercher des An­ges au Ciel pour le conduire. Cela eut été trop penible; ils les choisirent par­mi leurs Ecoliers, qui devinrent des Anges en changeant d'habits. Alors ces jeunes Anges parez de Robes blanches, & d'ailes de toutes couleurs, furent em­ployez à tirer quelques uns de ces bons Peres, qui étoient dans ce char & qui furent le spectacle de toute la ville.

Ce triomphe étoit accompagné d'une Musique fort delicate, qui ne cessoit que par une autre plus male, composée de Tambours & de Trompettes, qui son­noient l'alarme & la charge, quand on arrivoit à quelque carrefoux: car alors, il falloit combâtre des Demons, qui pretendoient arrêter le chariot, & em­pêcher la Societé triomphante, d'achever sa carriere. Mais comme elle se vante d'étre toûjours victorieuse de ses enne­mis, ces combats aussi se terminoient toûjours à son avantage, & les Demons choisis, aussi bien que les Anges du nom­bre de leurs Ecoliers, étoient d'intelli­gence avec eux pour ne resister pas long [Page 175]tems. Pendant qu'ils ne songeoient qu'à se divertir agreablement, un acci­dent que toute leur prudence infaillible n'avoit pû prevoir, troubla toute la fête, & fut d'un tres mauvais augure. Une des rouës du char triomphant s'engagea dans un trou, d'où toute la vertu des Elies, qui y étoient conduits, & des An­ges, qui le tiroient, ne le peurent faire sor­tir. Il n'y eut point d'effort que ces pauvres Anges ne fissent, mais toute leur puissance active ne pût jamais re­tirer le char triomphant du trou où il étoit engagé. Alors comme dans les grandes necessitez on se sert de tout, il fallut invoquer l'aide des Diables pour sortir d'un si mauvais pas: ce qui reüssit heureusement: mais ce ne fut pas sans donner à rire aux Spectateurs, & causer même du scandale à la pluspart, qui commencerent à dire publiquement, que les Diables avoient pour le moins autant de part à la conduite & au triom­phe des Jesuites, que les Anges.

Comme il n'y a rien, dont les per­sonnes vaines & fanfarones ne se mêlent. les Jesuites se mêlent aussi de Prophetr­zer. On fut étonné autrefois, quand on vid Saul fils de Kis entre les Prophetes, 1 Sam. on [Page 176]fit même un Proverbe de cette avantu­re en Israël. Je voy aussi, Messieurs, que vous étes surpris d'aprendre que les Disciples de Loyola ayent tenu rang entre les Prophetes: cependant je puis vous assûrer la chose, ce n'est pas un con­te, mais une Histoire: ils predirent à l'Empereur Ferdinand II. que le Grand Gustave, qui avoit déja fait quelques progrez dans l'Alemagne, seroit battu & entierement défait, par le Comte de Tilly.Adolph Ant. Gar­rissol. Et comme l'Esprit de Dieu com­mandoit quelque fois aux Prophetes de mettre devant les yeux des Israëlites des images, qui representassent les evene­mens, qu'ils leur predisoient, les Jesui­tes receurent apparemment un ordre semblable au Genie familier qui les in­spire. Ils representerent la chose à l'Em­pereur, & à toute sa Cour par une Tra­gicomedie: mais par malheur pour eux, & pour l'Empereur la chofe tourna tout autrement qu'ils ne l'avoient pro­jettée; car le Comte de Tilly, devoit combâtre le Roi de Suede sur le The­atre, & le devoit vaincre. Pour cet effet, le plus petit de leurs Ecoliers avoit été choisi pour representer le Comte de Tilly, qui étoit aussi de petite taille [Page 177]pour un Alemand, & comme le Roi étoit d'une taille aussi haute que Maje­stueuse, celuy de leurs Ecoliers, qui se trouva le plus grand, fut choisi pour representer ce Prince. Ils vinrent donc aux mains ces deux personnages. Le Roi attaque le Comte de Tilly. Ils bat­tent le fer, durant quelque tems, & a­pres avoir disputé quelques momens la victoire, le Roi recule, Tilly le pous­se, le desarme, le prend au corps, & tout petit qu'il étoit, le jette par terre, mais je ne sçay, si Tilly luy fit mal, en le pressant trop, ou si le Roi n'eut pas quel­que honte de se voir battu, étant d'une taille si avantageuse, par un, qui aupres de lui paroissoit un enfant, tant y a qu'il se leve plein d'une noble fureur, prend Tilly au Collet, le jette par terre, luy met les pieds sur la gorge, & le fait crier si haut qu'il fallut que les Peres, qui étoient sur le Theatre, sortissent de derriere la Tapisserie, pour arracher le pauvre Tilly, d'entre les mains du Roi. Je ne sçay comme quoy le Roi sut receu des Peres, apres la fin de l'Opera. Apparemment il paya che­rement l'affront, qu'il leur avoit fait sur le Theatre. Mais vous sçavez que [Page 178]le veritable Roi, malgré les Propheties des Jesuites, deffit entierement Tilly à la bataille de Leipsic, & que ce General fut aussi mal traitté en Campagne, qu'il l'avoit été sur le Theatre, malgré les bonnes intentions, & les Saintes inspira­tions de ces bons Peres.

Mais, Messieurs, que pensez vous de ces mêmes Peres, lors que vous les voyez sans cesse aupres des riches & des grands, dans les ruelles aupres des Dames, & à la Cour des Princes aupres des Ministres d'Etat, se melans de tou­tes les affaires, mettant le nez partout, & s'intriguans dans toutes les alliances & les traittez, qui sont sur le Tapis, quand il s'agit de la guerre & de la paix? Qui pourra aimer,Galan­terie. qui pourra s'empê­cher de hair, qui pourra souffrir que des Chrêtiens, qui s'appellent Jesuites, pour un caractere de distinction, qui les met au dessus de tous les Chrêtiens les plus parfaits, fassent à la veuë & au sçeu de tout le monde, ce qu'on void faire tous les jours aux Galants, & aux Cour­tisants? Ne sentez vous pas émouvoir vôtre bile, toutes les fois que vous oyez prononcer les mots de Jesuite Courtisan, & de Jesuite Galant? car pour me servir de [Page 179]la pensée de Salomon, le beau nom de Jesuite apliqué à un homme de ruelle, & de Cour n'est il pas comme une bague d'or sur le groin d'une truye? Prover. Ch. 11.

Vous me direz peut étre, que vous étes fort surpris, que je parle de Jesuites Galans: qu'à la verité vous avez oui par­ler des Jesuites Confesseurs des Princes, & d'autres Jesuites, qui étoient sans cesse aupres les Ministres d'Etat, pour des affaires Politiques, à quoy ils étoient aussi attachez, qu'à l'étude de la Theo­logie: mais qu'il y ait eu, ou qu'il y puisse avoir des Jesuites Courtisans des Dames, c'est une nouvelle pour vous, & dont vous n'étes pas peu surpris. Si yous me faites cette objection, je vous répondrai, que vous n'avez pas donc fait du sejour dans les grandes villes, où ces Peres regnent, & où on les void entrer tous les jours dans les maisons des Grands des Officiers de Justice, & des riches Bourgeois. Sur cela, Messieurs, il me souvient d'avoir leu dans une Preface de Maimbourg sur une de ses Histoires, qu'il ne falloit pas, que le Lecteur s'é­tonnât, de ce qu'il écrivoit des Histoi­res en si grand nombre en si peu de tems, puis qu'il n'employoit pas ses journées, [Page 180]comme d'autres à faire des voyage de divertissement, à se trouver dans des parties de réjoüissance, & à visiter les Dames: mais un Auteur relevant cela, a observé judicieusement, que c'étoit une botte franche portée contre le Jesui­te Bouhours, lequel fait valoir son talent de bien parler dans la conversation des Belles, aussi bien que dans ses écrits. Je pris plaisir à voir le Jesuite Maimbourg reprocher à un autre Jesuite d'étre un Courtisan & un Galant. Mais voicy une preuve d'une grande force de la Ga­lanterie du P. Coton. Il s'est vanté, dit un Auteur,Anti [...]oton. non suspect, en presence de plusieurs Seigneurs de la Cour, qui vivent en­core, de n'avoir fait aucun peché mortel, de­puis vingt deux ans, & cependant Mr. l'Ab­bé du Bois luy a soutenu & luy soutiendra, qu'il y a moins que cela, que sentence a été don­née contre luy à Avignon, pour avoir engros­sé une Nonain. Mr. des Bordes, Sr. de Gri­gny, homme à qui rien ne defaut, sinon que d'étre Catholique, a encore en son pouvoir des lettres du P. Coton à Mademoiselle de Claransae de Nismes, écrites de sa propre main, par les­quelles apres force Protestations d'amitié il luy dit: qu'il espere la voir bien-tôt, pour luy pa­yer le principal, & les interets de son absence. [Page 181]Et que I affection, qu'il luy porte, est telle, qu'il nese promet point d'avoir en Paradis une joye accomplie, s'il ne la trouve-là. La fureur d'amour avoit tellement saisi l'ame de ce bon Pere, que de pousser la Galanterie jusques dans le Paradis.

Mais vous pourriez étre convaincus de la galanterie de ces bons Peres, suffi­samment par les seuls ouvrages du Je­suite le Moine. Car son livre intitulé la devotion aisée vous eut apris, qu'il y a une devotion pour les Dames de toute autre espece, que celle qui est connuë du commun des Chrêtiens. Il y fait voir, que le chemin du Paradis est jonché de Roses & bordé de Jasmin: écrivant à Delphine sa Maitresse, il celebre la cou­leur incarnate, par ce que c'étoit ce qui faisoit la plus grande beauté, & il faut avouer que pour un Poëte de soixante ans il y a bien du feu dans les vers que voicy:

Les Cherubins ces glorieux,
Composez de tête & de plume,
Que Dieu de son Esprit allume
Et qu'il éclaire de ses yeux:
Ces illustres faces volantes,
Sont toûjours rouges & brulantes,
[Page 182]
Soit du feu de Dieu, soit du leur,
Et dans leurs flammes mutuelles
Font du mouvement de leurs ailes,
Ʋn evantail à leur chaleur,
Mais la rougeur éclate en toi,
Delphine avec plus d'avantage,
Quand l'hôneur est sur ton visage
Vêtu de pourpre comme un Roi.

Ne me [...]lites pas, je vous prie, que le Pere le Moine, n'est qu'un membre de cette Compagnie contre laquelle je par­le, & que je ferois une injustice trop grossiere, si je chargeois toute la Com­pagnie du vice de l'un de ses membres; car je vous répondrois d'abord, que tou­te la Compagnie demeure chargée du vice du Pere le Moine, & du scandale que le public a receu de ses ouvrages, entant qu'elle n'a ni condamné l'ouvra­ge, ni retranché, ni même censuré l'Au­teur, sur tout un Auteur, qui avoit plus de soixante ans, & en qui l'Esprit de Galanterie paroit, & plus ridicule, & plus scandaleux. Je vous répondrai de plus que toute la Compagnie des Jesui­tes de Paris, commit un excez aussi scandaleux par l'Enigme, qui fut exposé dans leur Eglise de Clermont le 1. Juil­let [Page 183]1663. Je ne sçaurois mieux vous di­re, ce que c'étoit que l'a fait l'excellent Auteur de l'Onguant pour la brûlure, en par­lant à eux mêmes:

Dans vôtre plus grand College
Vos Peres faits au Sacrilege,
Ont mis Cupidon sur l'Autel
A la place de l'Immortel:
Dans leur Enigme épouventable,
Tous les dieux de l'Anciêne fable
Folatroient sans habillement
A l'Ombre du S. Sacrement.
Jupiter le Maitre des nuës,
Avoit les cuisses toutes nuës,
Et l'on auroit franchement dit,
Qu'il venoit de sortir du lit.
Junon cette Déesse allerte
Estoit librement découverte,
Et montroit de certains appas,
Que la pudeur ne nomme pas.
A côté droit de cette belle
Le Dieu Momus aussi nud qu'elle,
Luy j'étoit un regard brillant,
Et cajoloit tout en raillant:
Cependant Saturne le Pere
Ayant une faux plus legere,
Et rajeuni de la moitié,
Luy coupoit l'herbe sous le pié.
[Page 184]
Parmi ces plaisantes postures,
Et ces chatouilleuses figures,
Cupidon ce petit vilain
Estoit aussi nud que la main,
Impudent comme un petit Singe
Sans habillement & sans linge,
Et cet Amour trop indiscret,
N'avoit rien du tout de secret:
Voila cette adorable image,
Ala quelle on rendit homage,
Et que l'on mit publiquement,
Plus haut que le S. Sacrement.
Voila cet indigne mystere
Qu'ils placent dans le Sanctuaire:
Voila ces Chimeriques Dieux,
Dont ils sont les Religieux.
Pour ces faux Dieux Auteurs des crimes
Ils prênent de jeunes victimes,
Dont le tendre temperament
Peut s'enflammer en un moment.
Ces enfans qu'on leur abandonne,
Et dans qui tout le sang bouillonne,
C'est ce que leur voeu criminel
Destine a ce profane autel.
On appelle a ce sacrifice
Les Ministres de la Justice,
Et pour en augmenter l'hôneur,
On choisit le Jour du Seigneur.
Au lieu des celestes louanges,
[Page 185]
Qui font l'entretien des Anges,
On murmure un certain concer,
Que l'on repete dans l'Enfer.

L'Auteur veut dire que l'explication de cette Enigme se fit un Dimanche, & qu'on ne chanta point de Vêpres; apres quoy il leur parle avec cette juste indig­nation:

C'étoit assés Peres Lubriques,
Que dans ces actions publiques,
Vous fussiez devots de Junon,
Et grands Pretres de Cupidon,
Falloit il que vôtre injustice
Allant encore de vice en vice,
En brulant le juste & le Saint,
Fit un Sacrifice à Vulcain?
Je laisse a tant de Saintes Ames
A juger qu'elles sont ces flâmes,
Et croy que tout bien consulté,
C'est l'Envie & l'Impureté.

J'avouë, Messieurs, que c'est la une Satyre contre la Galanterie impudique & profane de ces Peres: mais je soutiens qu'il n'en fut jamais, ni de mieux écrite ni de plus juste. Voulez vous mainte­nant ouir un Jesuite même des plus ce­lebres [Page 186]condamnant les Jesuites Courti­fans en la personne des Evêques de Cour, vous l'allez ouir de la bouche du P. Maimbourg:Hist. de 'Aria­nisme. Lib. 6. On ne peut nier que com­me tout avoit été dans un effroyable desordre sous l'Empire de Valens, il n'y eut dans ce nom­bre de 150 Evêques, beaucoup moins de vieux & de Saints Prelats, que de ces jeunes Evêques, qui étans de la Cour & du Monde, & n'ayant en veuë que l'établissement de leur fortune, s'ac­commodoient au tems, & trouvoient toûjours, que la croyance du Prince étoit la meilleure: jusques là il me semble qu'on peut fort bien definir un Jesuite de Cour, selon le Pere Maimbourg, celuy qui est de la Cour & du Monde, qui n'a en veuë que l'éta­blissement de sa fortune, & l'avantage de sa So­cieté, qui s'accommode au tems, & qui trouve toûjours, que la croyance du Prince est la meil­leure.

Mais c'est là aussi le veritable portrait des Jesuites Confesseurs des Princes, qui approuvent leurs défauts, qui aplau­dissent à leurs vices, qui suivent en tout leurs sentimens, quelques contraires qu'iss soient aux pretentions de l'Evê­que de Rome. Le même Pere parle avec la même force ailleurs au sujet de l'Archevêque Nicetas, sous l'Empereur [Page 187]Leon Armenien:Hill. des I­cono­claste [...]s Lib. [...]. c'étoit un malheureux Eunuque, qui dans la verité n'étoit que le der­nier Esclave de la Cour, sous le nom & sous l'habit de Patriarche, il avoit peur que son Mai­tre ne le raittât, comme il avoit fait ses deux derniers predecesseurs. Mais on a toûjours veu, que c'étoit la destinée de ces laches Evé­ques, qui trahissent leur Caractere pour se ren­dre Esclaves des Princes, dont ils devroient étre les Peres, d'étre obligez de faire des bassesses, qui leur attirent le mépris qu'ils en font, & qui fait qu'effectivement ils leur deplaisent, & qu'a­pres tout on ne leur tient conte de rien. Ne semble-t-il pas, que ce Jesuite en par­lant des Evêques de Cour, a eu dessein de censurer la lacheté des Jesuites Con­fesseurs des Rois, puis qu'il est constant, que ces Jesuites de Cour trahissent leur Caractere pour se rendre Esclaves des Princes, & qu'ils sont obligez de faire mille bassesses indignes, je ne dirai pas d'un Chrêtien, mais d'un Payen, qui n'a point d'autre Morale, ni d'autre lu­miere que celle de la Nature?

Eden, ou l'Ancien Serpent est toû­jours en embuches, occupé toûjours à tendre des pieges à l'infirmitè humaine. Le beau Sexe n'est pas aujourdhuy plus en force de resister aux tentations, [Page 188]que l'étoit la Mere de tous les Vivans, ni les hommes n'ont, ni plus de fermeté, ni plus de prudence, que n'avoit Adam pour n'étre pas seduit par des Beautez, qui étalent tout ce qu'elles ont de char­mes pour les seduire. Quelle figure pensez vous que font les Jesuites dans cet Eden. Vous eussiez attendu, qu'ils fus­sent là comme des Anges Cherubins, avec l'epée de la parole, pour fortifier l'un & l'autre Sexe, contre les attaques du Serpent, leur découvrir ses pieges, & leur tendre la main pour les en retirer. Rien moins que cela: Au contraire ils sont eux mêmes des Serpens, & des Ten­tateurs, qui poussent dans le crime, & par leur exemple, & par leurs écrits. Il n'y a pas long tems que j'ay leu un livre assés curieux, il est intitulé l'Evêque de Cour, opposé à l'Evêque Apostolique, C'est assurement l'ouvrage d'un bon Catholique Romain, mais qui n'est point satisfait de la conduite des Evê­ques d'àpresent. Là, apres avoir re­proché aux Prelats leur conduite scan­daleuse, marque comme quoy six d'en­tr'eux, qu'il ne nomme point, avoient passé toute une nuit à jouer aux Cartes, où ils jurerent des morts D .... & des [Page 189]Testes D ...... selon leurs louables coutumes, où ils rompirent les jeux de Cartes par impatience, & par rage: a­pres s'étre emporté justement contre l'Abbé de la Perouse, qui dans une rai­son Synodale avoit dit, parlant de l'Ar­chevêque de Paris: Enfin nous n'avons qu'à nous rendre les imitateurs de ce grand Prelat, comme il est dans toute sa vie imitateur de I. Christ. Il ne nous reste qu'une chose à dire de nôtre grand Prelat, c'est de dire de luy, comme autrefois de I. Christ, Bene omnia fecit, il a bien fait tout ce qu'il afait. Apres avoir dit là dessus: n'est ce pas la derniere des flat­teries, la plus honteuse, & la plus puante à la presence de la quelle il faut, que celle que Dieu punit sur le champ par la mort d'Herode, dis­paroisse, vû la vie publique Monsieur l'Ar­chevêque, telle que nous la connoissons, qui n'est point assurement copiée sur cet Original. Il parle ensuite d'un livre de devotion contenant des Chansons Spirituelles, il est intitulé Cantiques de la vie illuminative. Il remarque que l'un de ces cantiques se chante, sur l'air d'une Chanson Gaud-nette, je vous aime tant. Un autre sur l'air des Enfarinez. Un autre sur l'air: ha! ha qu'il est doux mon bel oeil de mourir pour vous. Un autre qui est l'entrée de l'ame juste dans [Page 190]le Ciel sur l'air, Daïe d'en Daïe. Un au­tre en forme de Dialogue entre l'hom­me & Satan, sur l'air, Vous ne perdez que vos pas, Nicolas. Ainsi Satan dans le Canti­que de la vie purgative a nom Nicolas. Un autre quand il vient quelque bon Pere Religieux, sur l'air: Dieu soit ceans; voi­cy Colin: de sorte que les Peres Religieux sont des Colins Spirituels: Un autre qui contient les Amoureux propos du de­laissement de toutes choses, pour vivre plus parfaitement, sur l'air d'une chan­son dont le refrein est celui-ci: Il fait tout ce que défend l'Archevêque de Rouen. Il dit que ce livre se vend à Paris, chez Florentin Lambert ruë S. Jacques à l'i­mage S. Paul, & enfin que c'est l'ouvra­ge d'un Iesuite: cela, Messieurs, ne vous surprend il pas?

J'ay déja remarqué, Messieurs, que les Jesuites pretendent étre des Apôtres; car ils disent que l'institution de leur Ordre est un renouvellement de College Apostolique, & que c'est pour cette raison, qu'ils s'appellent la Compagnie de Iesus, par ce que J. Christ avoit choisi les Apôtres, pour luy tenir Compagnie dans les voyages, qu'il faisoit dans la Ju­dée, & le suivre par tout pour étre les [Page 191]temoins de ses miracles, & de sa Resur­rection par tout le Monde. Quoy donc de plus choquant, que d'entendre dire, qu'il y a aujourdhuy des Apôtres Courti­sants, des Apôtres Esclaves des Princes, des Apôtres Flatteurs des Grands, des Apôtres Ga­lants, complaisans envers les Dames, & qui ont fait pour le Sexe une devotion toute de miel, & qui s'accorde merveil­leusement bien avec le penchant des femmes pour les jeux, & tous les diver­tissemens du siccle?

Je ne sçay,Mar­chands. si vous pourrez ouir dire avec plus de patience, qu'il y a des Apô­tres Marchands & Banquiers. Car je trou­ve pour moy, que c'est un renversement de l'institution des S. Apôtres, puis qu'au lieu que J. Christ prit des marchands de poissons pour en faire des Apôtres, on fait dans le rétablissement du College A­postolique, des Apôtres envoyez pour prêcher l'Evangile, des Banquiers & des Marchands. C'est la Profession, qu'ils exercent dans les Indes.Morale prat. 1 Vol, L'Auteur du Theatre Jesuitique, nous en fournit des preuves convaincantes. Ils voulu­rent, dit l'Auteur, se rendre Maitres, de toutes les voitures, dont on a besoin, pour porter les marchandises depuis [Page 192]Carthagene jusqu'à la Province de Qui­to; & il est certain, que s'ils fussent ve­nus à bout de leur dessein, ils se seroient rendus Maitres de tout ce Païs-là. Les Marchands de Quito & du nouveau Royaume descendent à Carthagene pour acheter les Marchandises, qu'y aportent les Gallions d'Espagne, & ils y viênent dans des canots par la grande riviere de la Magdelaine. Les Jesuites, qui ont une banque publique à Cartha­gene & à Quito, jugeant, que s'ils a­voient quelques canots, & quelques bê­tes de charge, ils se rendroient Maitres de tout ce territoire, s'établirent sur le bord de ce grand fleuve, sous pretexte de confesser & dire la Messe à ceux qui demeurent dans les Magasins ou bouti­ques, dans lesquelles on serre les Mar­chandises, jusqu'à ce que l'on les vien­ne querir sur des mules, pour les porter plus avant dans le Païs. Ils s'introdui­firent tout doucement dans les ports d' Onda & de Mompox, où sous le pretex­te du service divin, ils batirent des mai­sons & des chapelles. Peu de tems apres ils batirent des magasins, & sollicitoient dés Quito les Marchands d'y desembar­quer les marchandises, sous ombre qu'ils [Page 193]leur donnoient de l'argent à Carthage­ne, en change pour étre payez à Quito, & ainsi ils obtenoient ce qu'ils souhait­toient. Le profit qu'ils faisoient en ce­la, les mit en appetit pour entreprendre de plus grandes choses, afin de faire un plus grand gain. Ils acheterent quan­tité de mules pour voiturer les mar­chandises jusqu'au port de Barranca, où on les embarque dans des canots. Ceux qui avoient accoutumé de faire ces voitures, commencerent à recon­noitre le prejudice, que les Jesuites leur faisoient; mais comme ils n'avoient pas assés de credit, pour s'opposer à des en­nemis si puissans, il les laissoient faire, les Maitres des Magasins & des voitures perdant tous les jours de plus en plus leur gain accoutumé.

Les Jesuites n'en demeurerent pas là neanmoins, ils entreprirent encore da­vantage, ils ôterent tout le profit à tous ceux qui trafiquoient pour cela, ils fi­rent batir soixante canots dans la gran­de riviere, & un vaisseau à Carthagene, qu'ils envoyerent en Espagne, fournis­sant à la depense de l'Equipage, par l [...] profit des marchandises qu'ils y embar­querent: deplus ils donnerent ordre [Page 194]aux gens de ce Vaisseau de passer au re­tour d'Espagne à Angola, & s'y char­ger de Negres, pour servir à ramer dans leurs canots: ce dessein leur reüssit; car en moins d'un an le Vaisseau retourna à Carthagene chargé de six cent Esclaves. Ils en vendirent une partie & mirent le reste dans des canots. Par le plaisir qu'ils faisoient aux marchands en leur pretant de l'argent, ils les engageoient à se servir de leurs canots, & de leurs mu­les; en sorte que les Jesuites étoient fort satisfaits de ce que rien ne leur échap­poit, ni par terre, ni par eau.

Le même Auteur nous fait une autre Histoire du traffic, que les Jesuites exercent dans les Indes d'Orient: ayant apris à Goa, qu'il y avoit à Cochin un Lac où l'on peschoient les perles, ils ju­gerent qu'il étoit bon de s'en rendre les Maitres: au commencement ils deman­derent seulement aux Indiens, qu'ils leur vendissent les perles au même prix, & par preference aux Portugais. Les Portugais vinrent au tems, qu'ils avoient accoutumé de venir tous les ans, mais il n'y eut plus de perles pour eux, si bien qu'ils furent contraints de s'en retour­ner, perdant beaucoup sur les marchan­dises, [Page 195]qu'ils avoient apportées pour don­ner en échange, & n'y retournerent plus. Les Jesuites voyant que les Co­chinois ne sçauroient plus à qui vendre leurs perles, les Portugais s'étant tout à fait retirez, ils se firent prier & obligerent les Indiens à diminuer le prix des perles, disant que les Portugais ne retournoient plus, par ce qu'ils n'avoient pas trouvé leur conte dans ce negoce, de sorte qu'enfin ces pauvres miserables donne­rent, & eux & leurs perles à discretion à ces Apôtres Marchands.

Les voilà donc voituriers, Banquiers & Marchands aux Indes Occidentales, & mêmes Marchands d'Esclaves, puis qu'apres avoir achêté des Negres ils les vendirent. Les voilà Marchands des perles dans les Indes d'Orient: mais voilà un autre renversement de l'Insti­tution des Apôtres; car J. Christ appel­lant les douze, il leur dit: je vous ferai pêcheurs d'hommes, au lieu que ces nou­veaux Apôtres sont pêcheurs de perles. J. Christ envoyant les douze, les char­gea de convertir les hommes par la pre­dication de l'Evangile, au lieu que ces nouveaux Apôtres achetent les hom­mes, & les vendent: enfin J. Christ [Page 196]envoyant ses Apôtres, ne les chargea de faire la guerre qu'au vice, à l'erreur & à l'idolatrie; mais ces nouveaux Apô­tres des Indes, font la guerre aux hom­mes mêmes ni plus ni moins que les Sou­verains. Car le même Auteur du Thea­tre ajoute: que l'Evêque de Cochin n'ayant pas pû obliger les Jesuites à a­bandonner la pesche des perles, dont ils avoient depossedé les pauvres Indiens, assembla quelques Espagnols & plu­sieurs Indiens, portant la croix de J. Christ dans ses étendars, il marcha vers le Lac, où les Jesuites l'attendoient avec une Armée plus nombreuse que la sien­ne, qui avoit le nom de Iesus dans ses drapeaux: & qu'il y eut bataille, dans laquelle les Jesuites furent battus sont ce là le marchand de la Parabole de l'E­vangile, lequel cerchant de bonnes perles en trouve une de grand prix, pour l'aquisition de laquelle, il vend tout ce qu'il a pour l'acheter? Cela n'est il pas odieux? Cela n'est il pas scandaleux? Cela n'est il pas hor­rible?

Ce fut l'Avarice, qui porta Judas à se faire Marchand du sang de son Divin Maitre. C'est aussi l'Avarice, qui a porté les Apôtres nouveaux à profaner [Page 197]leur Caractere Jesuitique, en se faisans Marchands du Thé, du Quinquina, de Perles, & de Negres. Je pretens, Mes­sieurs, vous faire voir que ce que S. Paul a dit en general de la passion des richesses, qu'elle est la racine de tous les maux, on est en droit de le dire en parti­culier de l'Avarice de ces Peres Reve­rends, par ce qu'il n'y a ni forfait, ni crime, ni excez, à quoy ils ne se portent, pour s'enrichir.

Battre de la Monoye est une occupa­tion hônête, quand cela est pardonné ou permis par le Souverain; mais il n'est pas hônête, que des Apôtres demandent cette permission au Souverain, & moins encore d'exceder les bornes, qui ont été prescrittes par cette permission.Thea­trum Jesuit. Or c'est ce que les Jesuites ont fait autrefois à Salamanque. Ils avoient obtenu per­mission du Roi Philippe III. de faire de la Monoye de la valeur d'un Million, afin de s'en servir à batir ce magnifique College, qu'ils ont fondé dans cette ville. Mais ils ne se contenterent pas d'un Million, ils en firent plus de trois, & les pieces de quatre maravedis étoient si petites, qu'on les appelloient com­munement, la Monoye des Jesuites. Ce [Page 198]qui est de plaisant, ajoute l'Auteur, est que si le Roi étant informé de leur inso­lence, ne les eut point empechez, ils auroient toûjours continué, & jusqu'au jour du Jugement ils auroient toûjours fabriqué à bon conte de ces millions. De là vint cette abondance de Monoye en Espagne, & qu'on fut obligé de la ra­baisser plusieurs fois, ce qui causa beau­coup de perte à tout le Royaume.

Ils font bien pis, puis qu'ils se mêlent de faire la fausse Monoye.Faux Mono­yeux. J'avouë que pour le present je ne puis alleguer d'au­tre Auteur que leur P. Jarrige, contre le temoignage duquel ils opposeront pour l'infirmer, que Jarrige a revoqué par une retractation publique tout ce qu'il a avancé dans son Jesuite sur léchaf­faud. Mais l'air dont il fait le recit de ce qui se passa à Engoulesme, fera que tout Lecteur, qui sera un peu judicieux, & non preoccupé, jugera que si l'Au­teur a menti dans l'un des deux ouvra­ges, il a commis ce forfait dans la re­tractation, plûtôt que dans le livre qu'il retracte, veu sur tout qu'il a été forcé de se retracter d'un livre, qu'il avoit fait avec une parfaite liberté: voicy donc le recit de Jarrige.

L'Année 1641. il y avoit dans le College d'Engoulesme un Predicateur Jesuite nommé Cluniac, & un Regent de la seconde Classe nommé Marsan, qui ayant trouvé les vieilles caves, qui sont sous la quatriême & troisiême, qui sont tres favorables à leur dessein, se le­voient la nuit, quand leurs freres étoient dans le premier sommeil, & passans par une fenêtre du Refutoire descendoient dans la cour, de là se ghssoient dans la cinquiême Classe, & d'une fenêtre en­core, qui regarde sur un Jardin, en­troient par une mêchante porte, dans ces lieux souterrains, & là ils faisoient la fausse mônoye fort secretement. Qui des Engoumois eut pensé, que lors que les Cordeliers, & les Capucins vont à Matines sur la minuit, pour prier nôtre Seigneur, deux Jesuites eussent été dans ces caves delaissées, au milieu de leur ville, pour une occupation, qui interes­se si fort le public, & qui fait pendre & brusler les ouvriers? Ce crime n'est pas nouveau parmi eux. Mais quoy qu'ils ayent des pendus dans leur Ordre, pour toute sorte de crimes, ils n'ont point encore de Martyrs pour avoir fait la fausse Mônoye; si la Justice leur fait [Page 200]droit, ils en pourront bien-tôt ajouter la leur Martyrologe.

Il m'est avis qu'en une accusation si atroce & de telle importance vous de­mandez, comment ce forfait a été dé­couvert: quelques Regens s'étant aper­ceus, que ces deux Jesuites susnommez, employoient un certain grand Ecolier, à preparer dans son logis certains mate­riaux, & à les faire bouillir jusques à tant qu'ils étoient diminuez de la moitié, ils soubçonnerent premierement, qu'ils faisoient l'Alchimie, & du depuis ayant veu entre les mains du P. Marsan un pe­tit lingot d'argent, & des pieces arron­dies, & non encore marquées, ils furent convaincus qu'ils étoient coupables, de les marquer au coin du Roi. Ajoutez à cela que le Pere Becherel Coadjuteur de leur Compagnie, trouva que le P. Cluniac avoit passé tout un jour dans l'Abaye de la Couronne, à tirer les fi­gures de diverses pieces d'argent dans le sable, & l'un & l'autre furent trouvez saisis de plusieurs pieces toutes neuves, semblables à celles, qui ne font que sor­tir du moule.

Je vous suplie de noter, que je ne marque pas icy simplement des conjec­tures [Page 201]suffisantes, pour mettre des cri­minels à la Gesne; mais des preuves cer­taines, & convainquantes pour faire & parfaire le procez à des Barons & à des Marquis, s'ils étoient prevenus de pa­reil crime. L'Ecolier du travail & de la simplicité duquel ils abusoient pour preparer les matieres, étoit un jeune homme nommé Ville neuve, natif de la Rochefoucand, & étudioit alors à la seconde Classe 1641. Celuy qui fut le principal instrument pour eventer l'af­faire, & qui les défera au P. Pitard alors Provincial, fut un Michel Brunet lors Regent du Cinquiême College d'En­goulesme, & aujourdhuy Conseiller du Roi au Siege Presidial de la Rochelle, qu'on nomme autrement Monsieur de Bonsay, le quel ne pouvant soufrir un crime de cette nature en des gens, qui font profession de vertu, jugea le devoir reveler en conscience. Ce personnage est trop homme d'honneur, pour refu­ser de donner témoignage à la verité, supposant qu'il soit interrogé juridique­ment & devant Dieu. Mr. Guilhen, qui étoit Regent du troisiême, me fit voir, & à plusieurs autres le charbon & les linges, que ces faux mônoyeurs te­noient [Page 202]cachez sur la seconde Classe, ayant pour cet effet decloué un air du plancher. Etiêne du Noyer lors Rec­teur, & Bertrand Valade deterrerent les instrumens, comme marteaux, sou­flets & autres utensiles, qu'ils avoient enfouis dans la terre, afin d'ensevelir un crime, que Dieu a voulu ressusciter à la confusion d'un corps, qui ordonne les penitences pour avoir parlé le soir a­prez les Litanies, & nourrit dans son sein des faux Monoyeurs.

La fausse Monoye n'est pas le seul excés, ou l'Avarice a porté ces R. R. Peres: vous allez voir, Messieurs, d'au­tres excez qu'ils ont commis pour enle­ver les biens des autres Religieux.Les faits suivans se trou­vent dans deux ouvra­ges in­titulez l'un Astrum in ex­tinc­tum. l'autre. Fer­dinand 2 aprez la bataille de Prague fit un Edit general, par lequel il ordonna, que toutes les Abayes & autres biens Eclesiastiques, qui avoient été usurpez sur les Catholiques par les Protestans, seroient rendus à ceux, à qui ils appar­tenoient selon les fondations. Les Je­suites chagrins de ce qu'ils n'avoient point de part à cette restitution, qui se faisoit aux Anciens Ordres, delibere­rent pour trouver quelque moyen de s'enrichir du bien d'autruy, & enlever [Page 203]quelqu'une de ces Abayes.Hortus Crusia­nas. Ils se ser­virent pour cet effet selon leur maniere d'agir ordinaire, du credit que le P. La­morman avoit à la Cour de l'Empereur Ferdinand, dont il étoit Confesseur. Ce Jesuite animé par ses confreres, s'avisa de faire de grandes instances envers deux Abbez, l'un de S. Benoist, & l'au­tre de Cisteaux, Deputez de leurs Or­dres, pour presser l'execution de l'Edit de l'Empereur, voulant leur persuader de quitter à la Societé toutes les Abayes de Filles,Ava­rice. que les Protestans devoient rendre, & quelques unes des moins ce­lebres d'entre les Abayes d'hommes. Et quoy que ces Abbez, qui n'avoient pas même pouvoir de consentir à une de­mande si injuste contre leur propre conscience, se fussent contentez de luy faire quelques compliments en gene­ral, luy témoignant, que hors cet inte­rêt de leur Ordre, ils le serviroient au­tant qu'ils pourroient, le P. Lamorman les voyant partir de la Cour supposa aus­si-tôt, que ces deux Abbez avoient ce­dé volontairement ces Abayes à leur Compagnie, & sur ce Mensonge, dont il a été convaincu depuis par des actes publics & authentiques, il presenta [Page 204]luy même un Memoire à l'Empereur, dans lequel il demandoit, qu'en suite de cette cession volontaire de ces deux Ab­bez, sa Majesté Imperiale envoyât des Commissaires en diverses Provinces de l'Empire, pour mettre la Societé en pos­session de ces Abayes: ce qui fut exe­cuté. Les Abbez protesterent solem­nelement contre cette insigne supposi­tion, & par les lettres qu'ils en écrivi­rent au P. Lamorman, & par des actes publics, soutenant qu'ils n'avoient pas même pensé à promettre de consentir à cette translation de leurs Abayes à la Societé des Jesuites, comme aussi n'en avoient ils aucun pouvoir. Et un ce­lebre Abbé Benedictin, qui étoit du Conseil de l'Empereur, & qui en ce tems-là fut créé Evêque & Prince de Vienne, ayant été pris pour témoin par le Pere Lamorman, il declara tout le contraire, air si qu'il est justifié par un écrit rapporté par le P. Hay.

A ce premier excéz ils en ajousterent un autre pour soutenir leur premiere usurpation: ils attaquerent de front l'Edit même de l'Empereur, & le droit des Anciens Ordres. C'est ce qu'ils fi­rent par deux Ecrits, dans lesquels les [Page 205]Instructions de l'empecher à son Am­bassadeur à Rome, conformes à son Edit déja executé en plusieurs Abayes, dont les Benedictins & autres étoient en pos­session, étoient deshonorées comme con­tenant des choses contraires a la verité, & aux Saints Canons, & a l'immunité Eclesiastique: & l'Empereur étoit accusé luy même d'avoir excedé son pouvoir dans la restitution de ces A­bayes aux Anciens Ordres.

Ce second excez fut suivi d'un troi­siême; quoy que ces Abayes eussent été adjugees aux Ordres Religieux par un Edit de l'Empereur aprouvé du Pa­pe, les Jesuites s'élevant au dessus & du Pape & de l'Empereur, ne craignirent point de publier, que cette affaire étoit du nombre de celles, dont on devoit dire, qu'il y a plusieurs choses qu'on soufre par tolerance, les­quelles si on les mettoit en jugement, on ne de­vroit pas tolerer selon les regles de la justice, voulant faire à croire, que le rétablisse­ment, qui avoit été fait des Religieux dans les Abayes, c'est à dire, la simple execution du droit des gens, & de la na­ture étoit un Abus intolerable, & qu'au contraire la plus injuste usurpation, qu'ils vouloient faire du bien d'autruy, & qu'ils devoroient par esperance, [Page 206]étoit le vray droit & la vraye justi­ce.

Ce troisiême excez fut suivi d'un qua­triême: quoy qu'il n'y eut rien de plus formel, & de plus expres que l'Edit de l'Empereur en faveur des Ordres Reli­gieux, les Jesuites répondent avec une Impudence, qui ne se pourroit conce­voir, si elle n'étoit ordinaire à leur Com­pagnie, qu'il ne se trouvoit pas un seul mot dans l'Edit de sa Majesté Imperiale, qui mar­quât, que les Abayes dûssent étre restituées aux Ordres pour lesquels elles avoient été fondées.

Pour soutenir ce quatriême excez, ils en commirent un cinquiême, qui se pourroit appeller une extravaguance, s'il eut été commis par d'autres, que par des Jesuites; car cette extravaguance, ce n'est autre chose qu'une Impudence outrée, & plus qu'humaine: ils répon­dirent donc d'une maniere, qui rendoit l'Empereur ridicule dans son Edit, sça­voir, que ce Prince vouloit qu'on rendit ces Abayes aux mêmes personnes individuelles, aux quelles elles avoient appartenu, avant qu'el­les eussent été occupées par les Heretiques, il y avoit 80 ans: c'est à dire, que l'Empe­reur avoit envoyé ses Commissaires, pour rendre ces Abbayes à des person­nes [Page 207]mortes & enterrées, il y avoit 40 & 50 ans, & non pour les rendre aux Religieux de ces Ordres, qui ne meu­rent point.

Tous ces excez furent soutenus, je ne sçay par combien d'Impostures. Car si les Benedictins opposoient aux Jesui­tes, que l'Empereur avoit expressement or­donné par son Edit, que les Fondations des A­bayes seroient conservées, & qu'on en pour­voiroit des personnes propres selon la fondation, legitimement appellées & qualifiées. Les Je­suites répondoient, que cela étoit vray, mais qu'on ne pouvoit pas montrer qu'eux P. de la Societé ne fussent des Personnes legitime­ment appellées, & qualifiées selon les Fondations de ces Abayes, lors que le Pape avec le con­sentement de sa Majesté Imperiale les leur a­voit données. Mais il ne s'agissoit pas de sçavoir si les Peres de la Societé étoient legitimement appellez par la donna­tion qu'ils avoient surprise dans le Con­seil Imperial, il s'agissoit de sçavoir si ces Abayes avoient été fondées pour les Jesuites 7 ou 8 cent ans, avant que les Jesuites ne vinsent au monde.

Si les Benedictins leur opposoient, que ces Abayes avoient été établies pour des Moines, & qu'il est ordonné par le droit Ca­nonique, [Page 208]que les Monasteres demeurent toû­jours Monasteres. Les Jesuites répon­doient, que dans les choses favorables, (tel­les qu'étoient de s'accommoder des biens des Moines,) les Jesuites etoient com­pris sous le nom de Moines. Vous remar­querez cependant, s'il vous plait que les Jesuites reprochent à Aurichus, com­me une erreur de vouloir que Religieux & Moine soit la même chose: si bien qu'en France, lors qu'il n'y a rien à gagner, c'est une erreur digne de censure de prendre les Jesuites pour des Moines: mais en Alemagne, lors qu'il y avoit des Abayes de Moines à enlever, c'étoit une erreur digne de censure, de ne prendre pas les Jesuites pour des Moines.

Si les Benedictins leur opposoient, que les Papes, par les Concordats faits avec la nation Germanique, s'étoient obligéz de con­server chacun dans ses droits, & dans ses biens, & que même le P. Filiutius Jesuite soutenoit, que les Papes étoient obligez a cela par la Loi divine & naturelle. Les Jesuites répon­doient, que le Pape ne pouvoit pas ordinai­rement deroger aux Concordats, mais qu'il le pouvoit extraordinairement, pour le bien public de l'Eglise, lors que la necessité le deman­doit; c'est à dire, lors qu'il s'agissoit d'é­tablir [Page] [Page] [Page 209]de grands, & riches Colleges pour les Jesuites, pour la plus grande gloire de Dieu.

Si les Benedictins opposoient, que l'Empereur étoit obligé, par le serment, qu'il avoit fait venant à l'Empire, & comme le supreme protecteur des Egli­ses, de conserver les anciens Ordres dans leurs droits, & dans leurs biens: & que l'Empereur luy même avoit decla­ré, & confirmé de nouveau par son Edit particulier donné en faveur des Bene­dictins le 28 Mars 1629. les Jesuites répondoient, que cela étoit vray, mais par une illusion, qui autorisoit le par­jure d'un Prince, ils ajoutoient, que l'Empereur étant devenu fondateur, & Mai­tre de ces Abayes, à cause des frais de la Guer­re, & devant même étre consideré comme achêteur, les Ordres Religieux luy devoient cette reconnoissance, de luy en laisser la disposi­tion libre, & de n'y prétendre plus rien, de peur de se rendre coupables d'ingratitude envers sa Majesté Imperiale.

Si les Benedictins leur opposoient, que trois Jesuites (dont le P. Lamorman même Confesseur de l'Empereur étoit un.) étant consultez touchant une Abaye, qui avoit été long tems en la possession des Hereti­ques, [Page 210]ques, où d'autres personnes seculieres, que l'Archevêque de Prague Cardinal, vouloit se faire donner par l'Empereur, avoient répondu par écrit, que cela ne se pouvoit en Conscience, & que cette Abaye Benedictine devoit étre ren­due à l'Ordre de S. Benoist. Les Jesuites répondoient, que ces trois Jesuites avoient changé d'avis. Car ces excellens Casui­stes ont ce rare privilege, de changer de sentiment & de Conscience, quand il arrive quelque occasion, où ce change­ment leur est utile & avantageux.

Quand les Benedictins leur reproche­rent, que tout le trouble, qu'on leur avoit suscité, pour leur ravir ces Abayes contre l'E­dit de l'Empereur, ne venoit que de leur Pere Lamorman, qui avoit osé écrire à sa Majesté Imperiale, que son Edit, & ses inflructions données à son Ambassadeur, contenoient des choses, qui ne s'accordoient pas avec les Princi­pes de la foy Catholique; & qu'il étoit à propos que sa Majesté nommât quelques personnes, qui examinassent de nouveau toute cette affaire avec luy son Confesseur. Les Jesuites re­pondirent, que le prudent, sage, & devot Lecteur, remarquera sans doute, ayant bien consideré toutes choses, que le Confesseur ne s'est point precipité dans une si grande affaire, mais qu'il a long tems deliberé comment il apporte­roit [Page 211]remede, à ce mal (ce mal étoit que toutes ces Abayes fussent renduës cha­cune à son Ordre, sans que les Jesuites y eussent aucune part) & qu'il avoueroit, que le Pere Lamorman avoit bien agi, & qu'il ne devoit point agir autrement; & que s'il n'eut pas averti sa Majesté Imperiale, il au­roit merité reprehension, comme ne s'étant pas acquité du devoir d'un bon Confesseur, selon la lumiere de la raison naturelle, & les regles de nôtre Societé. De là vous voyez bien, ce qu'il faut conclurre.

Ne le. voyez vous pas Messieurs? il n'y à rien de si evident. C'est premie­rement, que le devoir d'un Confesseur Jesuite est, d'empecher, que chacun n'ait le sien. 2. Que la lumiere natu­relle demande, que ce qui est injuste passe pour juste. Et en 3 lieu, que les regles de la Societé portent, que pour l'enrichir, il est permis de tout faire jus­qu'à se jouer des Edits les plus solemnels des Souverains.

Voilà bien des Exces, que l'Avarice a fait commettre aux P. P. R. R. mais vous n'avez remarqué en tout cela, que des fourberies, des faussetez & des Im­pudences pour attraper les Abbayes des Benedictins.

Quand il faut employer la violence & la vive force, ces bons Peres n'ont garde d'y manquer, pour ne perdre pas les biens, qui ont emeu leur convoitise. Il y a dans la basse Saxe une Abaye, qui appartenoit à l'Ordre des Bernardines. C'est l'Abaye de Voltigerode. Les Com­missaires de l'Empereur les en mirent en possession, en execution de l'Edit de l'année 1629. Les Jesuites eurent le credit par le moyen du P. Lamorman, d'obtenir de l'Empereur une commis­sion, qui leur en accordoit la possession: pour executer leur entreprise heureuse­ment, ils tenterent la voye de la douceur premierement, c'est à dire la fourberie: car ils persuaderent les Religieuses de se retirer dans une ville voisine, pour y étre en sûreté contre les courses des Sol­dats. Ensuite de quoy les Jesuites, s'é­tant emparez de l'Abaye, les Filles trou­verent moyen d'y rentrer secretement: les Peres fâchez de leur retour, tente­rent de les faire sortir, soit par promes­ses, soit par menaces, resolus de les faire mourir de faim; ce qui seroit arri­vé sans quelques païsanes voisines, qui par compassion leur aportoient en ca­chete du lait: mais voyant que tout ce­la [Page 213]ne pouvoit pas les obliger à se retirer, ils en vinrent à la violence. Pour cet effet la veille des Rameaux, ils firent venir des Soldats, qui les entrainerent hors de l'Église, & d'auprez de l'Autel, où elles s'étoient retranchées: elles fi­rent des cris: il faut penser de quoy des Filles outrées de depit, & qui ont de la fermeté, sont capables en matiere de la­mentations & de gemissemens. Un Pe­re Benedictin apres avoir fait ce recit y fait cette reflection & cette doleance: Autrefois dans la vieille loi, les criminels, Le P. Hay. qui s'enfuyoient dans le temple, lequel n'étoit purifié que par le sang des boucs & des veaux, trou­voient leur sûreté dans cet asyle, s'ils pouvoient prendre la corne de l'Autel. Et aujourdhuy dans la loi nouvelle, les Peres de la Societé ne font point de Conscience de se servir des Sergeans & des Soldats, pour s'emparer avec Insolence des Temples dediez au Dieu vivant, consacrez par les redoutables mysteres de J. Christ, & d'en arracher par force d'Innocentes Religieuses. Quelle honte! Quelle infamie! Le bon en­droit de l'Histoire est que les Jesuites ne jouirent pas long tems de l'Abaye usurpée: car l'Abbé de Cesarée ayant poursuivi aupres de l'Empereur le ré­tablissement de ces Religieuses, il ob­tint [Page 214]un arrêt authentique, lequel il fit executer, & contraindre les Jesuites de degrepir comme on parle, c'est à dire, de rendre l'Abaye à qui elle appartenoit.

Il faut voir l'Histoire celebre de l'e­norme tromperie faitte par le Recteur des Jesuites de Mets, aux Religieuses Ursulines, dans la vente d'une maison pour leur nouvel établissement dans cet­te même ville, confirmée par l'arrêt du Parlement rendu l'année 1661. où l'on void les Equivôques, les menson­ges, le dol & la fourberie mis en prati­que par ce Recteur à l'egard de ces Re­ligieuses, dont il étoit Directeur Spiri­tuel & Temporel.

Il faut voir l'Histoire de la fameuse banqueroute de Seville, faite par les Je­suites de plus de quatre cent cinquante mille ducats, dont un grand nombre de personnes, & même de familles entieres ont été entierement ruinées, comme elle se trouve inserée dans le livre Espa­gnol intitulé le. Theatre Jesuitique, pour faire comprendre, qu'il n'y a ni hôneur, ni charité, ni humanité, mais une du­reté d'ame, & une cruauté infinie dans cette Societé, quand il s'agit d'une oc­casion trouvée pour amasser des riches­ses. [Page 215]Ce sont des Histoires trop diffu­ses: si quelcun les veut voir dans leur étenduë, pour voir en même tems jus­ques où l'Avarice des Jesuites pousse leur insatiable avidité, il peut se satisfai­re en lisant le 1. Volume de la Morale pratique des Jesuites, qui est un livre, qui se trouve partout.

Je veux vous reciter deux faits, qui ne laissent pas d'étre dignes de foy, pour n'étre pas couchez dans l'Histoire. Le premier s'est passé dans la ville de Lion: on donna au commencement dans cette ville une fort petite maison aux Jesuites, mais elle ne fut pas plûtôt achevée, que la trouvant trop petite pour eux, ils y mirent eux mêmes le feu, qui ne brûla pas seulement la leur, mais aussi celles qui étoient voisines, & qui formoient une grande Isie, laquelle faisoit face à quatre ruës, de sorte qu'apres cet incen­die, voyant une belle & grande place, dont ils avoient envie, ils la demande­rent au Gouverneur, & aux Magistrats de la Ville; lesquels se trouvant dispo­sez à les favoriser, la leur accorderent, c'est là qu'ils ont fait batir une des plus superbes maisons, qu'ils ayent en Fran­ce. Et comme ils en sont redevables [Page 216]au feu, ils ont bien voulu, que la poste­rité sceut, qu'ils ne sont pas ingrats; car on void dans un des tableaux de la Cour, où leur maison est depeinte, cet­te devise en Italien; Dopo il fuoco piu bella; mais ils pouvoient ajouter, qu'elle étoit aussi plus Riche & mieux rentée, puis qu'il est certain, que depuis l'incendie, ils obtinrent sous pretexte du dedommage­ment, que cet accident funeste leur avoit causé, un droit, qui s'appelle sub­vention, lequel se prend à la douane sur toutes les marchandises, & lequel a con­tinué depuis comme un droit inaliena­ble. La tradition porte, qu'ils mirent eux mêmes le feu à leur premiere mai­son, pour en avoir une plus grande à meilleur marché, par ce qu'autrement il leur auroit fallu acheter les maisous voisines, dont l'incendie les exemp­ta: ce qui n'accommoda pas les parti­culiers, comme chacun se le peut ima­giner; mais c'est bien de quoy ces Peres Spirituels & celestes se mettent en peine.

Scilicet hoc superis labor est! ea cura quietos
Sollicitat.

Ils en firent autant pour leur maison [Page 217]professe de Bordeaux, laquelle ils bru­lerent eux mêmes avec celles de leurs voisins, de quoy on étoit si generale­ment persuadé, qu'on appelloit com­munement le feu, qui les consuma un feu d'artifice. En effet ils ne perdirent rien dans cet accident, ils y gagnerent, les habitans les ayant dedommagez par les liberalitez, qu'ils leur firent. Toute la perte fut pour les voisins, dont quel­ques uns furent entierement ruinez.

L'Autre fait est, que le Prieuré de S. Macaire auprez de Bordeaux, ne por­toit que cinq cent écus de revenu, avant que les Jesuites ne l'eussent; mais qui depuis qu'ils l'ont, vaut douze ou qua­torze mille livres de bonne rente. Il faut avouer, que les Peres sont de grands oeconomes, qu'ils ont un levain d'une grande vertu, & qui enfle la pate pro­digieusement: mais croyez moy, c'est Le levain de malice dont parle S. Paul. Ils n'ont pû faire monter si haut le revenu de leur Prieuré, sans avoir saccagé & ruiné plusieurs familles, sans avoir re­duit les veuves à l'aumosne, & les or­phelins à l'Hôpital. Il n'est pas tems encore neanmoins de s'écrier.

[Page 218]
— Quid non mortalia pectora cogis
Auri sacra fames!

L'Avarice des Jesuites est une Ava­rice cruelle,Avari­ce in­humai­ne. barbare, inhumaine, qui ne fait cartier à personne, & qui fait bon marché du sang humain. Lors qu'ils trouvent une occasion d'augmen­ter les rentes de la Societé, ils n'ont au­cun respect, ni d'âge, ni de sexe, ni de Religion. Dans le Japon ils ont perse­cuté les Dominicains & les Cordeliers, & y ont allumé des guerres, où ils ont fait perir des Payens & des Chrêtiens en grand nombre, & cela pour un interêt temporel, & des raisons prises de leur commerce. Ils ne le pardonnent pas à un des leurs, s'il luy arrive de detourner par sa negligence ou autrement les biens, qu'il pouvoit faire venir à la Societé. Ils sont persuadez, qu'il n'y a personne au monde, qui merite si bien qu'eux les heritages, & les leg [...] testamentaires. Le fondement de cette vaine persuasion, & de cette pretention folle, est une Maxi­me detestable, laquelle se trouve dans le dernier Paragraphe de leurs avis se­crets, que toute l'Eglise militante jointe en­semble [Page 219]ne fait pas de si grands biens par tous les Ordres Religieux, comme ils en font eux seuls.

C'est pourquoy ils s'introduisent par tout pour se procurer des donations, & ils chatient severement ceux, qui ne tra­vaillent pas à cela, les considerant com­me des destructeurs de la Societé. l'Au­teur du Theatre Jesuitique nous four­nit de cela une preuve convainquante dans une Histoire arrivée à Madrid. U­ne Femme riche & malade fut sollicitée, par un Jesuite son Confesseur de faire testament en faveur des Jesuites, sans y faire mention de ses Parens proche, puis que c'étoit des Neveux. Cette Fem­me se laisse gagner: le Testament se fait: le Confesseur s'en retourne à la maison pleine de Joye & d'Esperance, qu'il se­roit recompensé pour le service signalé, qu'il venoit de rendre à la Compagnie; puis qu'il luy avoit procuré une grande succession. Par malheur un autre Je­suite d'une naissance illustre, touché de l'injustice, qu'on faisoit aux proches Parens de la Malade, s'en va la trouver pour défaire ce que l'autre avoit fait. Il y va avec Notaire, il luy fait faire un autre Testament, qui revôque le pre­mier, & par lequel elle donne tous ses [Page 220]biens à ses neveux. La Femme meurt, le Confesseur se met en possession de la maison & de tous les biens: mais les Pa­rens s'étant presentez avec un Testa­ment, qui revoquoit l'autre, le Jesuite fut confus, & contraint de quitter la place. Mais le Jesuite Auteur de ce dernier Testament en paya la façon. Les Jesuites le regarderent comme cou­pable de haute trahison, & mirent le lendemain sous la serviete un billet, par lequel ils luy ordonnoient de se retirer, par ce que la Compagnie n'avoit pas be­soin de luy. Il alla se jêter aux pieds du Roy, au quel il conta toute l'Histoire, & le Roi le prit en sa protection contre la fureur des Jesuites. L'Auteur de cet­te Histoire ajoute, que ce Jesuite, qui fut chassé, avoit un exemple Domesti­que en la personne du P. Ximinez, que les Jesuites de Madrid firent mourir l'an 1633. par ce qu'étant Confesseur d'une veuve, il ne luy avoit pas conseillé de leur donner tout son bien. Il faut bien, que l'Avarice de ces Peres soit extraor­dinairement inhumaine, puis qu'elle ex­clud de leur Compagnie, ceux qui ont quelques restes d'équité & de pudeur, & qu'il n'y va pas de moins que de la vie, si l'on perd l'occasion de faire venir à eux le bien d'autruy.

Ceux qui connoissent Bordeaux, sçavent que sur la grande rue des fossez non loin de la maison de ville, il y a un Hôpital, destiné pour recevoir les Pe­lerins de S. Jâques, & pour recueillir, nourrir & élever les enfans exposez, & qu'on appelle vulgairement à Paris les Enfants trouvez. Cet Hôpital est d'un revenu tres considerable, & a été don­né aux Jesuites avec toutes ses charges, en sorte qu'ils ne peuvent refuser juste­ment la nouriture à ces malheureux enfants, non plus que le couvert, & les aumones ordonnées aux Pe­lerins. Les Magistrats de la ville, qu'on appelle Jurats, sont obligez de voir de quelle façon les Hôpitaux sont gouvernez. Je ne sçay s'ils ont encore examiné, où sont ces enfans trouvez, qui sont en grand nombre, qui les nour­rit, comment ils sont nourris, jusqu'à quel âge, de quoy ils deviênent, les fil­les, lors qu'elles sont nubiles, & les gar­çons, quand ils sont capables de quel­que art ou métier. Il y a grande appa­rence qu'ils s'en remettent à la bonne foy, & à la charité des R. R. P. P. mais étant avares, avides, & insatiables, com­me toute la terre sçait, il est aisé de pen­ser, [Page 222]qu'ayant les moyens non seulement de griveller sur les revenus destinez aux enfans trouvez, mais aussi de s'en dépe­cher sans bruit, ils ne manquent pas de le faire. Dire précisément les divers moyens, qu'ils tiênent pour faire perir ces pauvres innocens, est une chose, qui n'est pas aisée; car comme ces cri­mes sont monstrueux, aussi les voyes de les commettre sont aussi diverses qu'elles sont cachées, & n'en fient la connoissance qu'à ceux de la Compa­gnie, qu'ils sont bien assurez étre capa­bles de garder le secret.

Si là dessus je vous allegue pour té­moin le Jesuite Jarrige, je sçay qu'on m'opposera la retractation, qu'il a faite de son livre, mais je répondrai aussi, comme je l'ay déja fait sur l'Article de la fausse mônoye, que le livre est d'un caractere bien different de celuy de la retracta­tion, puis que le livre est l'ouvrage d'un Esprit libre, au lieu que la retractation est la production d'un Esprit forcé, par une Compagnie, qui fait mourir sans pitié, aussi bien que sans scrupule ceux qui luy sont rebelles. Je dirai encore avec l'Auteur de la Morale pratique, que le Livre du Pere Jarrige ne peut pas [Page 223]étre rejetté comme suspect.Prefa­ce du 1 Vol. Il est vrai dit l'Auteur, que Jarrige le fit pendant fon Apostasie; mais il est remarquable, qu'étant depuis retourné à l'Eglise, & ayant publié chez les Jesuites même d'Anvers les causes de son retour, & parlé au long de ce livre; il s'accuse bien luy même d'y avoir apporté trop de chaleur, mais il ne desavouë en particu­lier aucune des Histoires scandaleuses, qu'il y a rapportées: ce qui est une preu­ve indubitable de leur verité, puis que les Jesuites n'auroient pû luy donner l'absolution, d'avoir avancé contr'eux tant de calomnies, sans l'obliger à en re­connoitre publiquement la fausseté, si les faits qu'il avoit rapportez n'avoient pas été veritables. Je dirai de plus, que son temoignage est trop bien circonstan­cié, pour y avoir lieu de le soubçonner de fausseté. Je n'ay jamais eté employé qu'u­ne fois, dit-il, pour donner sepulture a un de ces enfans. Car pour cacher le mal & ôter tout soubçon, un Prêtre revêtu d'un surplis, & d'u­ne étole les ensevelit avec les ceremonies ordi­naires. Mais je depose en Conscience, & aux pieds de J. Christ, que je vis cette fois-la le pe­tit suaire de ce mort sanglant, & m'étant infor­mé, attendris de compassion, d'ou venoit que [Page 224]ce petit corps, qui rendoit du sang: un certain Hu­guet Maitre Cordonnier, qui étoit leur Hospi­talier, & qui assistoit à la ceremonie, avec un frere lay nommé Philolau me répondit, que la Femme, qui le nourrissoit, & qui étoit cor­rigée de ses debauches depuis peu de jours, ayant voulu resister vertueusement à des frippons, qui en vouloient abuser, Pirritation de se voir re­butez, avoit été si grande, qu'ils en étoient venus à cette fureur, que de rompre les Jam­bes à cette creature, pour se vanger du refus de la nourrice. Cette réponse ne me contenta pas, dit ce Jesuite (en effet il faudroit étre bien simple, pour s'en contenter & bien aveugle pour n'entrevoir pas au travers plus d'une demi preuve du crime) car apres avoir rendu les derniers hôneurs à ce petit Chrêtien, j'allay trouver François Irat, Rec­teur du College, & luy racontay fidelement, ce que je venois de voir de mes yeux, ajoutant, que le Procureur Syndic étoit obligé en conscien­ce d'informer de ce crime, & poursuivre en justice le coupable du meurtre commis en la personne d'un Enfant trouvé, du quel nous de­vions rendre conte; ce Pere Recteur me répondit à peu prez: Nous aurions trop à faire. Cet enfant est en Paradis, & ne re­quiert pas que l'argent du College soit employé, pour le vanger d'un forfait, qui l'a tiré de la mi­sere. [Page 225]J'avois fait trop de bruit pour étre ap­pellé une seconde fois à un pareil service, je par­lois trop haut, on défendit au Frere de m'ap­peller plus, ils employerent ensuite pour ce mi­nistere, un vieillard nommé Ignace Lentillac, qui depuis est mort d'Apoplexie.

Ce témoignage, Messieurs, ne vous paroit il pas étre trop bien circonstancié, & avoir un air de naiveté trop grand pour le revôquer en doute, quoy qu'en general le livre où il est porté ait été re­tracté par son Auteur? mais ayez pa­tience, je vous prie, pour ouir la reflec­tion, qu'il fait sur son recit: Ce que je viens de dire, dit-il, est à peser, & il n'est point de Bourgeois zelé & de bon sens, qni ne crie, que les Magistrats sont obligez de voir ce qui se passe dans la conduite de cet Hôpital. J'o­se bien promettre, que si la justice fait les per­quisitions & les examens requis en une affaire de cette consequence, il se trouvera que de tren­te innocens, qui sont receus dans cette maison, il n'en reste pas trois au bout de l'an, qui soient en vie. J'appelle icy la bonne conscience, si sans une mortalité generale, tant d'enfans peuvent perir, sans étre ou tuez cruellement, ou aidez à mourir par quelque secrete voye, qui les faisant languir quelques jours les ôte du monde. Ce qui doit étre consideré est, que ces enfans trou­vez [Page 226]ont evitéle peril de la mort aux couches de leur Mere, & si quelques uns d'eux agoni­zoient, on ne les exposeroit pas dans la rue, on laisseroit faire la nature. Et je ne sçay pas, qu'il s'en soit trouvé de morts. Les cris per­çans de plusieurs, qui eveillent ceux qui ont leurs cellules dans la rue, montrent clairement, qu'ils sont vigoureux. Les drapeaux dans les quels on les trouves proprement envelopez, leur nom écrit pendu au col, où du sel s'il n'ont pas été baptizez; & les autres petit soins, que les Peres & les Meres, ont apporté, pour les a­juster, declarent assez, qu encore qu'ils les a­bandonnent, ils croyent les mêtre en assùrance dans une bonne maison. D'où vient donc qu'ils meurent en si grand nombre, & qu'au­jourdhuy les Jesuites, si on les recherche, n'en puissent montrer quasipas un, si ce n'est par ha­zard quelcun de ceux, qui ont envoyé de l'ar­gent par un fidele Mediateur au Procureur, ou au Frere Philolau, & les ont fait prier en secret de recueillir, l'enfant qu'on apporteroit avec telles marques. Car ceux-cy voulant simplement cacher leurs amours, & sauver l'hôneur des filles, qu'ils ont debauchées, s'offrent d'entretenir de toutes les choses necessaires le fruict de leurs entrailles.

Vous voyez bien, Messieurs, que ceux qui envoyent de l'argent pour [Page 227]l'entretien de ces enfans, ne se fient pas en la charité des Jesuites, & que s'ils ne les soubçonnoient pas étre capables de faire mourir ces creatures, ils n'use­roient pas de cette precaution. En ef­fet, Jarrige remarque, que l'un des mo­yens, dont ces Peres avides & cruels se servent pour ôter du monde ces inno­cents est, de choisir des Femmes tres pauvres, qui étant obligées par la pau­vreté de chercher de l'argent, prênent le soin de nourrir ces enfans à tres bas prix, si bien qu'il faut, ou que les en­fans, ou que les nourrices meurent: d'où il arrive, qu'on void à quêque tems de là, que par faute de nourritu­re, le front de ces malheureux se charge de terre, leurs yeux s'enfoncent, leurs jouës s'avalent, les os leur percent la peau, & un matin les nourrices les apor­tent roides morts, secs comme des sque­letes. Un autre moyen de s'en défaire, selon le même Auteur, est de les don­ner à des Coquines, demi pourries de Verole, afin que ces pauvres innocens succent du poisoin plutôt que du lait: outre qu'apres les avoir laissez long tems crier, sur le pavé, ou dans la Niche sans les recueillir, ils pourvoient si tard [Page 228]à les faire allaiter par quelque Femme charitable, qu'il est aisé de conjecturer, voire d'affirmer, qu'ils ont plus de vo­lonté de les faire mourir, que de les as­sister.

Enfin le même Auteur remarque u­ne circonstance, qui me semble bien digne de vous étre raportée: c'est que ces R. R. P. P. ont fait evôquer les cau­ses de cet Hôpital, au Parlement de Gre­noble, pourquoy cela je vous prie? c'est sans doute premierement, pour se sou­traire de la Jurisdiction du Parlement de Bordeaux, ce qui seroit trop commode à leurs parties: & en 2 lieu, pour sai­gner plus copieusement les bourses, de ceux qui sont soubçonnez ou convain­cus d'avoir exposé les enfans. Car la crainte de faire un long voyage avec de grands frais, oblige les coupables, ou les accusez de se redimer par argent. A ce­la il ajoute qu'il avoit oui dire à Philo­lau, qui menageoit alors ces affaires, qu'il avoit receu plus d'argent depuis un an, que les causes étoient evôquées à Grenoble, qu'il n'en avoit receu en vingt auparavant. Et quand ils ren­contrent quelque marchand, qui n'ose pas faire le voyage pour se défendre, [Page 229]ces bons Peres le traittent si rudement, & luy mettent si bien la peur au ventre, qu'il donne bien pour un, ce qu'ils em­ployeroient pour six.

Juste Ciel! est il possible que le sang de tant de creatures innocentes, qui crie aussi haut que celuy d'Abel, ne soit point parvenu encore jusques à vous! faut il qu'à la honte du Christianisme, il y ait des Religieux d'une Avarice si outrée, & si desesperée, qu'ils fassent mourir tant de creatures de faim & de misere, pendant que leurs meurtriers vivent à leurs depens, & s'engraissent de leurs revenus?

Heu! fuge crudeles terras, & littus avarum.

Une Societé animée de cet Esprit, toute composée de gens fourbes & men­teurs? une Societé, où il n'est pas sûr d'y étre homme de bien, une Societé qui veut étre distinguée de tous les Reli­gieux, par une profession particuliere de Sainteté, nourrit dans son sein des Am­bitieux, des Politiques, des Galans, des Marchands, des Banquiers, des Usu­riers, des Larrons, des Briguands, & des Meurtriers! A vôtre avis, Messieurs, [Page 230]une Societé de gens faits comme ceux­là doit elle étre tolerée parmi les Chrê­tiens? doit elle étre soufferte dans le Monde? Il est de l'Interêt de tous les humains sans exception, que cette So­cieté soit abolie.

Il est de l'Interêt de tous les Ordres Re­ligieux, Tout le Monde a in [...]e­ret à leur ruine, tous les Moines. que cette Societé ne soit plus Ils n'ignorent pas, que les Jesuites ont un extreme mépris pour tous les autres Ordres, qu'ils les traittent d'ignorans, qu'ils sont inutiles à l'Eglise, qu'ils ne sont que ‘— Numerus fruges consumere nati.’ que tous les Privileges & toutes les in­dulgences accordées aux autres Ordres, ont été transfus dans leur Societé par les Souverains Pontifes, prevoyant que leur Societé suffiroit pour tous.Al­phonse de Vil­legas. Il n'est rien de mieux imaginé que la comparai­son d'un Jesuite Espagnol. Tous les autres Ordres de Religieux sont comme la pluralité des concubines, que David avoit, mais la So­eieté des R. R. P. P. Jesuites ressemble à cette jeune fille Abisag, que le Roi prit pour sa fem­me legitime, dans sa vieillesse, afin d'en étre échauffé. Ainsi nos Peres sont considerez pour [Page 231]ceux, que la Sainte Mere Eglise Catholique a choisis pour la rechauffer dans sa grande vieil­lesse, comme denuée de chaleur naturelle. Ceux d'entr'eux qui sont rentez, sça­vent que les Jesuites ont faits tous leurs efforts pour les déposseder, & que s'ils les laissent en repos ce n'est que dans l'attente d'une occasion semblable à cel­le, que produisit la bataille de Prague: qu'ils ne s'abusent pas: les Jesuites ne dorment point: le Privilege d'anciê­neté, & le droit d'ainesse, qu'ils ont sur les Jesuites, ne leur servira de rien: ces Peres n'ont pas pris en vain cet Auguste nom de Jesuite. Il servira un jour à prou­ver invinciblement, que leur Societé est la plus anciêne de toutes, puis qu'ils sont depuis Jesus leur Fondateur, & qu'en vertu des droits, que les ainez doivent avoir sur-leurs freres, ils doivent étre les Heritiers, & par consequent posseder toutes les maisons & tous les benefices des autres Religieux. Tous les Moines esperent de voir bien-tôt tous les Here­tiques exterminez, c'est un ouvrage, qui a été heureusement commencé, il se poursuit avec vigueur partout, princi­palement en Angleterre, dont la reduc­tion doit produire celle de tous les Etats [Page 232]Protestans. C'est l'esperance genera­lement épanduë dans tous les Convents, & dans tous les Ordres: mais si cela ar­rive, qu'ils se preparent de bonne heure à une exclusion generale dans tous les endroits, où l'Eglise répendra la domi­nation, de toutes les fondations, de tous les revenus, de tous les Privileges qu'ils y ont possedez autrefois: ce sera un Mon­de nouveau; qu'ils fassent bien leur conte, que pas un Moine n'aura part au gasteau. Comme les Jesuites seuls auront la gloire d'avoir rétabli les affai­res du S Pere & du S. Siege, ce seront eux seuls aussi, qui en seront considerez étre les restaurateurs, & comme ils au­ront seuls semé, il n'y auroit point de justice, que les autres Ordres eussent part à la Moisson.

Ne croyez pas, Messieurs, que je vous dise cecy en l'air. Le Theatre Jesuiti­que m'en fournit une preuve, qui saute aux yeux. Le Jesuite Person fit autre­fois un livre en Anglois, qu'il intitula Réformation d'Angleterre, dans lequel, apres avoir remarqué plusieurs fautes, & manquemens dans le Concile de Trente, il conclud, en disant, que si l'Angleterre retourne jamais à la Religion Ro­maine, [Page] [Page] [Page 233]il faut la reduire à la forme de la pri­mitive Eglise, mettant en commun tous les biens Eclesiastiques, & donner le soin de cette Eglise à sept personnes sages, qui soient tirez de la Compagnìe, pour distribuer ces biens, selon qu'ils le jugeront à propos. Il de­clare même nettement, & sans détour, qu'il faut empêcher, qu'il ne passe en Angle­terre aucun Religieux d'un autre Ordre; à quoy il ajoute, qu'au moins pandant cinq ans, sa Sainteté ne doit pourvoir à aucun bene­fice, mais s'en raporter aux sept sages pris de la Societé. Que tous les Moines donc se le tiênent pour dit. S'ils font des voeux pour la reduction de l'Angleterre au S. Siege, les Jesuites & le Pape leur seront obligez, mais il ne leur en reviendra au­cun profit.

Il n'est pas moins de l'interêt de Mes­seigneurs les Evêques,C'est aussi l'inte­rêt des Evê­ques, que cette Socie­té soit abolie, par ce qu'ils tachent eux mêmes à abolir l'Episcopat. Le des­sein des Jesuìtes contre les Evêques, a paru premierement dans le Projet du Je­suite Person, lequel ne veut pas, qu'il y ait aucun Evêque en Angleterre, non plus qu'aucun Ordre de Religieux: en 2 lieu dans le livre du Jesuite Floydus, où il est prouvé, que l'Episcopat n'est point necessaire en France, en Espagne, [Page 234]& en Angleterre, pourveu qu'en quel­que endroit de l'Europe, il y eut suf­fifant nombre d'Evêques pour con­sacrer des Prêtres: en 3 lieu dans le Li­vre du Jesuite Celot, composé par le commandement de la Compagnie, où il soutient qu'un Religieux se presentant à un Evêque, pour luy demander la permission de confesser, pouvoit prendre le refus de ce Prelat pour une aprobation suffisante: en 4 lieu dans le Livre du Jesuite Sirmond contre la Con­firmation, dans ceux de Smith, de Da­niel a Jesu, & de Rabardeau contre les Evêques: en 5 lieu dans les remarques de l'Auteur de la Morale Prat, où il fait voir,1 Vol. que les Jesuites se sont oppo­sez de toutes leurs forces à l'établisse­ment des Evêques dans les Indes Orien­tales: que dans le Japon ils ne vouloient point entendre parler, qu'il y eut d'au­tre Evêque, que celuy qu'ils y faisoient mettre, qui étoit toûjours de leur Com­pagnie, & dont ils étoient grands Vi­ca [...]res nez, en cas d'absence, ou de va­cance du Siege; de sorte que toute la puissance Episcopale étoit toûjours en­tre les mains de leurs Visiteurs, ou de leurs Provinciaux; par ce qu'ils fai­soient si bien, que cet Evêque ne l'étoit quc de nom, n'étant presque jamais sur [Page 235]les lieux, & faisant sa residence à Macao. Voilà comme ils avoient trouvé moyen au Japon, de n'étre point incommodez de l'Episcopat. Mais pour la Chine, ils croyoient, qu'il leur étoit encore plus avantageux, qu'il n'y en eut point du tout, afin d'y pouvoir faire plus libre­ment, & avec plus d'independence tout ce qu'ils voudroient.

On n'est pas surpris,Morale prat. 1 Vol. que les Jesuites ayent ces pensées, dit l'Auteur. Ils se sont faits assez connoitre sur cela, par la maniere, dont ils ont traitté Mr. l'E­vêque de Calcedoine, pour empêcher que l'Eglise d'Angleterre, n'eut la con­solation d'avoir un Evêque, que le Clergé avoit demandé au Pape avec tant d'instance, & par les libelles, qu'ils fi­rent en même tems contre la necessité du gouvernement Episcopal, que le Clergé de France se creut obligé de cen­surer. Mais ce qui est étonnant, est qu'ils n'ayent pû cacher un sentiment si peu Chretien, & qu'ils l'ayent fait sça­voir à tout le monde par leurs propres Histoires.Histoi­re de la Chine. C'est cependant ce qu'a fait le Jesuite Bartoli en peu de mots, mais bien significatifs, dans l'endroit où il parle du Pere Nicolas Trigault. Apres [Page 236]s'étre plaint de ce que ce Pere avoit a­porté à la Chine des Privileges plus ho­norables qu'utiles, sans le consentement du Visiteur & du Provincial ses supe­rieurs, qui en écrivirent diverses let­tres en Europe pour s'en plaindre: il ajoute d'un air encore plus chagrin; Q'eut-ce été s'il y eut emmené un Evêque, com­me il en avoit le dessein, qu'il n'eut pas pû y in­troduire? Ce peu [...]de paroles, comme vous voyez, signifient, que ce Jesuite consi­deroit comme un grand malheur pour la Compagnie, & une lourde faute en ce P. Trigault, s'il eut emmené un E­vêque à la Chine, non seulement cela, mais que s'il y eut emmené effective­ment un Evêque, ils auroient donné bon ordre pour empêcher qu'il y entrât. Messieurs les Evêques ignorent ils le discours du Jesuite Portugais aux Evê­ques François, qui alloient prêcher aux Indes & à la Chine: Quelle necessité leur dit-il, ont les Chrêtiens Chinois d'avoir des Evêques? posé que vous entriez dans la Chine, ce que j'ay de la peine à croire, de quelle utilité sera le sejour que vous y ferez? Pren i [...]rement les deux Sacrements, qui peuvent étre conferez par les seuls Evêques, sçavoir, l'Ordre & la Con­firmation, ne se peuvent donner dans la Chine, [Page 237]qu'avec de tres grands perils & inconveniens celuy de la Confirmation, par ce qu'il y va de la vie de toucher une femme de quelque manie­re, & de quelque âge qu'elle soit: celuy de l'Or­dre, par oe que les Chinois sont tres inconstans dans lours affaires, & par consequent dans la foy, & comme tels incapables de Sacrement. Les autres Sacremens sont administrez par les Peres Missionaires. Pour donner la Confir­mation aux hommes & aux enfans, c'étoit une chose plus aisée à sa Sainteté d'accorder ce pou­voir aux Religieux, qui sont sur les lieux, que d'envoyer poúr cela des Evêques. Ce ne seroit pas une nouveauté, que le Pape donnât ce poú­voir à d'autres qu'aux Evêques. Innocent VI. l'ayant accordé aux Dominicains, Jean XXII. & Leon X. aux Cordeliers. Gregoire XIII. & d'autres aux Peres de la Compagnie dans le Japon. On dit, & je le croy, comme on le dit, que vous rendez de grands services à Dieu étant dans vôtre Païs, mais le Diable a voulu empêcher co [...] fervices certains & effec­tifs par ces apparences d'un plus grand bien. Il faut bien, qu'il y eut du chagrin dans l'ame de ce Jesuite contre les Evêques; puis que non content de prouver par des raisonnemens, qu'ils étoient inutiles dans la Chine, puis que les Jesuites y étoient, mais qu'il s'emporte jusqu' [...] di­re, [Page 238]que c'étoit le Diable qui avoit envo­yé ces Evêques dans ce Païs-là. Mrs. les Evêques ignorent ils les persecu­tions, que les Jesuites ont faites à leurs Confreres dans les Indes, à l'Archevê­que de Sainte foy, à Dom. Mathieu de Castro, lequel ils firent aller trois fois à Rome, se môquant des bulles & censu­res qu'il en aportoit, & à l'Archevêque de Manille dans les Philippines: & peu­vent ils avoir oublié les cruels traitte­mens, que plusieurs Evêques ont receus de la part des Jesuites? Je me souviens d'avoir leu un écrit, qui a pour titre: Relation de ce qui s'est pussé sur le differend en­tre Monseigneur l'Evêque de Pamiers, & les Jesuites du College de la même ville. Cet écrit fut imprimé lors que ce Prelat fut obligé d'excommunier publiquement trois Je­suites, par ce qu'ils ne voulurent jamais se soumettre à ses ordonnances touchant l'aprobation des Confesseurs, de la quel­le excommunication ils n'ont point été absous, s'étant retirez du Diocese de Pamiers, & ayant continué à faire leurs fonctions comme auparavant. Voicy ce que porte cette Relation. Mr. de Pa­miers reconnoit tous les jours de plus en plus la verité des avis, que feu Mr. l'Evê­que [Page 239]de Cahors, dont la memoire est en odeur de Sainteté, luy fit donner quatre mois avant sa mort, par un Eclesiastique de suffisance & de pieté, qui setrouva pre­sent à une attaque de maladie, dont ce Prelat fut presque reduit à l'extremité, & qui luy en écrivit le 22 Aoust 1659. en ces termes: au reste, Monseigneur de Cahors est tellement persuadé, que les Peres Jesuites sont un fleau & une ruine à l'Eglise, qu'ilcroit que vous, Monseigneur, & tous les Evéques, qui vont soli­dement a Dieu, ne leur devez donner aucun em­ploy, & m'a chargé de vous le dire, & à Messei­gneurs, qui cherchent le salut & l'avantage de leurs Dioceses, ni même entrer jamais chez eux.

Enfin, Messieurs, les Evêques peu­vent ils avoir oublié le mépris, que les Jesuites firent de leur lettre circulaire, lors qu'ils étoient assemblez à Paris l'an­née 1656. & 57. & ne sentent ils pas tous les jours la pesanteur du joug Je­suitique en France, puis qu'il n'y a pas peutétre deux Prelats dans ce grand Royaume, qui ne soient obligez aux Jesuites de leur Prelature, & qui ne soient obligez à leur faire la Cour, afin de s'avancer, ou de se maintenir. Il faut donc qu'ils reconnoissent qu'il est de leur interêt, que la Societé des Jesui­tes [Page 240]soit exterminée. Il n'est pas moins de l'interêt du Pape. J'avouë, que cela semble un paradoxe: car jamais il n'y eut une plus grande intelligence, que celle qui est entre le Pape & les Je­suites. Car si le Pape d'un côté les con­sidere comme ses favoris, comme les plus fermes apuis du Saint Siege, com­me ses yeux, qui font la reveue de toute la terre, & ses mains, qui agissent par tout; d'un autre côté les Jesuites ont fait du Pape leur Idole, ils l'ont élevé au dessus des Rois & des Empereurs,C'est l'inte­rêt du Pape. soit dans le temporel, soit dans le Spi­rituel, ils l'ont élevé en un mot dans le Ciel, & l'ont placé dans le Trône mê­me du fils de Dieu. Cependant c'est une chose claire & evidente, qu'il est de l'in­terêt du Pape, qu'il n'y ait plus de Com­pagnie de Jesus dans le Monde: & cela pour deux raisons; la premiere, par ce que ces favoris du Pape sont devenus l'aver­sion de toute la terre, par les Maximes surprenantes de leur Politique, par la singularité de leur Theologie, & par l'énormité de leur Morale pratique: la seconde, par ce qu'ils sont maintenant sur un pied, à se môquer du Pape, quand ils voudront, à lever le talon contre sa [Page 241]Sainteté, & à s'opposer à ses intèntions les plus droites & les plus convenables aux interets du S. Siege, comme il a pa­ru par les demelez, qui ont éclaté de­puis quelques années entre la Cour de France & celle de Rome. Il y a de la force dans ces deux raisons plus qu'il n'y en paroit avoir: celle de la premiere consiste en ce qu'il est de l'interêt du Pa­pe, de sauver l'hôneur & la gloire du Siege Apostolique: cette gloire depend de la croyance qu'en ont les peuples, que c'est un Siege Saint & vrayment Apo­stolique. Mais comment les peuples en auront ils à l'avenir la croyance, qu'ils en ont eu par le passé, si maintenant, que l'iniquité de cette Compagnie est con­nuë de toute la terre, le Pape d'aujourd­huy les apuye de la même protection, dont ils ont été favorisez par ses prede­cesseurs depuis Paul 3. n'est il pas de la bienseance & de son honneur, aussi bien que de son interêt, de se declarer contre une Compagnie toute composée d'ou­vriers d'iniquité? La force de la seconde raison consiste, en ce que les Jesuites sont montez à une puissance, qui doit donner de l'ombrage aux Souverains Pontifes. C'est la Maxime de tous les [Page 242]sages Politiques d'abaisser & de détrui­re leurs favoris, lors qu'ils sont devenus si puissans, qu'ils ont bien l'audace de s'opposer aux volontez de leurs Souve­rains. Les Jesuites sont maintenant montez à ce point-là. Il est de la Sagesse des Papes de les abaisser & de les détrui­re entierement. Comme Tybere rui­na Sejan, Honorius Stilicon, Elizabeth le Comte d'Essex, Henry IV. le Mare­chal de Biron, & Louis XIII. le Mare­chal d'Ancre. La faute des Papes, est d'avoir accordé aux Jesuites des Privile­ges zu dessus du Clergé seculier, & re­gulier, des droits presque insinis & sans. bornes. Ils avoient leurs veuës, quand ils firent ces concessions. Les Prote­stans avoient fait une terrible breche à l'Eglise, & ébranlé le S. Siege. Ils creu­rent qu'en munissant les Jesuites de tant & de si grands Privileges, ils seroient propres à raffermir le S. Siege, & à re­parer les breches de l'Eglise. Mais les Papes n'étant pas infaillibles dans le fait comme dans le droit, n'étant point Pro­phetes, & n'ayant pas pû prevoir ce qui devoit arriver dans la suite, on leur doit pardonner cette faute: mais mainte­nant qu'ils voyent & qu'ils sentent le [Page 243]mal, que leurs predecesseurs ont fait, ils ne seront pardonnez ni dans ce siecle, ni dans celuy qui est à venir, s'ils ne mettent pas au plutôt la main à l'oeuvre, pour exter­miner une Societé, qui se disant l'apuy du S. Siege, le deshonore, luy fait la guerre & le menace de ruine.

C'est encore plus l'ínterêt de tous les Souverains,C'est l'inte­rêt de tous les Sou­verains. que cette Societé soit en tie­rement dissipée. Les raisons en sont con­nues à tout le Monde: car premierement ils détruisent, ou reduisent presque à rien l'Authorité des Souverains par trois Maximes de leur Morale que voicy. 1. Les sujets ne pêchent point en refusant sans au­cune raison de recevoir une Loi, Esco­bar. dans la Doctr. des Je­suites com­battue. 1. Par [...]. qui a été le­gitimement publiée par le Prince. 2. Les Clercs ne sont point sujets des Princes seculiers, & ne sont point soumis à leurs Loix, encore mê­me qu'elles ne soient pas contraires à celles de l'Etat Eclesiastique. 3. Qu'un homme pros­crit par un Prince temporel, ne peut point étre tué hors de son territoire, mais que celuy qui est proscrit par le Pape, peut étre tué par toute la terre, par ce que sa Jurisdiction s'étend par tout. En second lieu, il n'y a personne qui ne sçache, que la Doctrine des Je­suites fait autant des sujets du Pape, qu'il y a de Souverains, qu'elle soumet les [Page 244]Rois au Souverain Pontife tant pour le Temporel que pour le Spirituel. C'est la Theologie de tous les Ultramontains de quelque Ordre qu'ils soient, tant re­guliers que seculiers: mais les Jesuites se sont tellement apliquez à la défendre & à la soutenir, qu'on peut dire, que c'est proprement leur Theologie. Ce n'est pas un ni deux Jesuites, mais tous sans exception dans quelque Païs, qu'ils vivent. Cela posé, les Souverains ne sont pas Souverains: car il y a un Sou­verain au dessus d'eux, qui leur ôte la realité de ce titre. Le Pape est Souve­rain en France, au regard du Spirituel; selon les Jesuites, le Pape donc est au dessus du Roi, autant que le Spirituel est au dessus du Teinporel. Et quand le Pape n'auroit aucun droit sur le Tem­porel, toûjours se pourroit il vanter de tenir ce Royaume par le meilleur bout, & par le côté le plus fort, comme le plus noble. En 3 lieu c'est encore la Theo­logie des Jesuites, qu'un Roi Tyran & Heretique n'est plus Roi quand au droit, & les sujets ne sont plus tenus de luy obeir, ils sont déchargez par cela même du serment de fidelité: & qui est ce qui jugera ce grand point, sçavoir si [Page 245]le Roi est un Tyran ou Heretique, ou bien s'il ne l'est pas. C'est aù Pape à le juger selon les Jesuites: & même si le Pape ne le fait pas, ou par negligence, ou par indulgence, ou par crainte, deux Auteurs graves ont ce droit-là, c'est à dire, deux Jesuites. Or il est assûré, qu'il se trouvera plus de cinquante Je­suites de soixante, qui prononceront hardiment qu'un tel Roi est, ou Tyran, ou Heretique, s'il n'est point savorable à leur Compagnie. Voilà donc les Sou­verains, qui sont non seulement depen­dans des Papes, mais aussi des Jesuites. En 4 lieu, c'est la Doctrine des Jesui­tes, que tout sujet a droit de poignar­der ou d'empoisonner, en un mot de faire perir, par toutes sortes de voyes, ce Roi Heretique ou Tyran; & que ce­luy qui commettra cet attentat, meri­tera une place dans l'Histoire parmi les plus grands Heros, & dans le Ciel par­mi les plus Saints Martyrs. Enfin c'est­la Pratique des Jesuites, de se mêler des affaires d'Etat, de s'emparer de l'Esprit des Souverains dés leur plus tendres an­nées, de celuy de leurs Maitresses, de ce­luy de leurs favoris, de sorte que par ces moyens ils ont autant, ou plus de part [Page 246]au Ministere, qu'aucun Ministre d'Etat. Eh! qu'est ce que les Princes n'ont pas à craindre & pour leurs personnes, & pour leurs Etats d'une Compagnie, qui n'est qu'une Cabale proprement; puis qu'elle est toute composée de gens, qui reconnoissent plus d'un Souverain dans chaque Etat, qui s'ingerent dans les af­faires du Conseil, qui ont l'audace de juger si un Souverain est Tyran ou He­retique, & qui sur le jugement teme­raire d'un seul ou de deux Auteurs gra­ves, livrent le Souverain à un empoi­sonneur ou à un assassin? Il est done clair qu'il importe à chaque Souverain de ne pas soufrir dans leurs Etats une Compagnie si dangereuse & si perni­cieuse.

Entre les Souverains,C'eft l'inte­rêt du Roi de France. il est sur tout de l'interêt du Roi tres-Chrêtien, & de Sa Majesté Britannique de les chasser de leurs Royaumes. Je dis premierement qu'il est de l'interêt du Roi tres-Chrê­tien: car vous n'ignorez pas les trois at­tentats commis contre le Roi Henry le Grand de triumphante memoire, ni que les malheureux, scelerats qui les commi­rent, avoient aiguisé leurs poignards dans la maison des Jesuites, & dans la [Page 247]chambre des meditations, Le pre­mier Presid. de Har­lay, dans ses Re­mon. stran­ces au Roi au nom du Par­lement. laquelle en me­chancetez est plusqu'une image de l'En­fer, Barriere s'étant adressé au Jesuite Varade, Chastel aux Jesuites Gueret & Gui­gnard, & Ravaillac au Jesuite d'Aubigny. Toute la France sçait cela. Ce sont des faits de notorieté publique. Les Arrets du Parlement de Paris & les Histoires conservent le triste souvenir de ces Par­ricides execrables. Eh! que faut il da­vantage, pour que le Conseil du Roi tres-Chrêtien se sente indispensable­ment obligé, à bannir pour jamais cette malheureuse Societé du Royaume? Est ce qu'ils ont changé de sentiment & qu'ils sont aujourdhuy animez d'un au­tre Esprit? Non Messieurs, le More ne change pas de peau, ni le Leopard ses taches. Je sçay que cela est possible au Createur, qui a un pouvoir absolu sur le coeur de l'homme: mais je soutiens que cela n'est point arrivé, que les Jesui­tes ont aujourdhuy la même Morale & la même Politique, qu'ils avoient sous le regne de Henry le Grand. Ils n'ont pas condamné ni les Livres de Sancta­rel, de Bellarmin, de Richesme, de Ma­riana, ni l'Apologie pour Jean Chastel, où les Jesuites Gueret & Guignard sont [Page 248]mis avec ce garnement, au rang des He ros & des Martyrs: mais quand vous verriez aujourdhuy une condamnation de tous ces Livres detestables, signée de tous les Jesuites du Monde, depuis le plus vieux profez jusqu'au plus jûne Novice, oseriez vous bien vous y fier, vous qui sçavez, leur retentum & leur porte de derriere, je veux dire leur Doc­trine perfide des Equivôques, avec quoy ils sauvent toûjours le chou avez la che­vre comme on dit? Aprez tout, un sa­ge Conseil ne hazardera jamais nide Roi ni l'Etat: quand il seroit douteux & problematique de dire, que les Jesuites sont autres, qu'ils ont été il y a cent ou quatre vingt ans, il est de la prudence de supposer, que s'ils ont changé, c'est de mal en pis plûtôt qu'en bien, qu'ils sont aujourdhuy plus audacieux, par ce qu'ils sont plus puissans, & qu'ils sont plus dangereux, par ce qu'ils sont plus redoutez & plus redoutables que jamais. On les void aujourdhuy attachez à la France, contre le Pape & la maison d'Austriche. Mais croyez moy, Mes­sieurs, c'est une grimace & une feinte, c'est un vray stratageme de guerre pour me servir d'un terme, convenable au [Page 249]genie d'une Compagnie, qui est toute Martiale. Tandis qu'il y aura un Pape, un Roi d'Espagne, & un Archiduc d'Austriche Empereur, que la France se le tiêne pour dit, les Jesuites ne seront jamais bons François: ils seront toû­jours du parti du Pape, & de la Maison d'Austriche. On dit communement, que les Jesuites seront toûjours du parti le plus fort. C'est un abus: ce sont les Jesuites même, qui font la force d'un parti. Et la France n'a eu cette force de son côté depuis vingt ans, que par ce que les Jesuites l'ont bien voulu ainsi; & ils l'ont ainsi voulu, parce qu'il fal­loit cacher leur dessein, & comment le pouvoient ils mieux cacher, qu'en se declarant pour le Roi tres-Chrêtien, contre la Maison d'Austriche, & con­tre le Pape même? Ce dessein commen­ce à paroitre maintenant: ils ont voulu reduire la France au point où elle est, c'est à dire à ne pouvoir plus faire de conquêtes, & à les perdre plutôt qu'à les augmenter. Ils ont donc commen­cé à affoiblir la France, & donné une belle occasion au Pape de recouvrer ses droits, & à la Maison d'Austriche de re­monter là, d'où elle est descenduë. Je [Page 250]ne sçay, si Mrs. les Ministres d'Etat ne sentent pas cette decadence par les de­sertions continuelles des Officiers & des matelots, & par un notable deperisse­ment du commerce. Je ne sçay s'ils ont encore ouvert les yeux, pour reconnoi­tre, que les Jesuites sont des serpens, que la France a receus dans son sein & dans son Conseil, & qui commencent à pic­quer le sein qui les a échauffez.

Pour retourner encore une fois à Henry le Grand, qu'est ce je vous prie, qui porta les Jesuites à cet excés de ra­ge, que d'armer le bras d'un assasin pour se défaire d'un si grand Prince? Est ce que le Roi ne leur avoit pas témoigné sa bienvueillance? Il les avoit comblés de ses bienfaits. Est ce que le P. Coton en particulier n'en étoit pas satisfait? Il s'étoit vanté luy même, que le Roi luy avoit offert l'Archeveché d'Aix, & mê­me le chapeau de Cardinal, lequel il a­voit refusé par cet Esprit d'humilité, qui regne dans la Compagnie de Jesus. Est ce qu'ils ne le croyoient pas bon Catho­lique, pour avoir donné l'Edit de Nan­tes aux Protestans? Maís cet Edit étoit aussi necessaire aux Catholiques qu'aux Protestans. Il avoit éteint le feu de la [Page 251]guerre civile, qui avoit mis l'Etat en langueur. Il avoit établi une paix si profonde, que chacun mangeoit son pain sans trouble, dans sa vigne & sous son figuier. Mais que leur avoit fait Henry III? Ils ne pouvoient pas le soubçonner d'Heresie, puis qu'il avoit persecuté avec autant de chaleur que Charles IX. les Huguenots? Cepen­dant ils se declarerent contre ce pauvre Roi en faveur du Duc de Guise, si pu­bliquement, qu'il n'y a point de ville, où ils fussent, où ils ne fissent des sousle­vemens, & où ils n'allumassent le feu de la rebellion. Jusques là qu'on fut con­traint à Bordeaux de les bannir de la vil­le, pour la retenir dans l'obeissance du Roy. Et quand ils écrivirent à leur General pour se plaindre de leur bannis­sement, ils firent paroitre dans leur Let­tre l'Esprit seditieux, dont ils étoient possedez d'une maniere à donner de l'horreur. Car Henry III. plus Catho­lique, que tous les Jesuites ensemble, ayant été assassiné en ce tems-là par la main d'un Jacobin suborné & empoi­sonné de la Doctrine Jesuitique,Annuae litterae Societ. Jesu. ils en firent par leurs Lettres un miracle, & en chanterent leur triomphe. Le même [Page 252]jour, dirent ils, qu'on nous chassoit par Edit du Roi de la Ville de Bordeaux, le Roi a été chassé du Monde & de la vie, envoyé à S. Machai­re pour étre tué, si luy même auparavant n'eut été tué.

Voicy donc la raison de ce coup de ces Pere contre Henry IV. Le Roi avoit resolu de reduire la maison d'Au­striche à rendre à chacun, les biens qu'elle avoit usurpez sur ses voisins. Il devoit commander luy même en per­sonne l'Armée, qui étoit déja sur la fron­tiere. Il étoit sur le point de son départ & de prendre congé de la Reine, lors que les Jesuites decouplent un enragé, pour luy percer le coeur. On sçout à Madrid, à Rome, & à Viêne, que ce coup devoit étre donné environ ce jour­là. On s'en étoit rejoui par avance. Il falloit donc, que le General des Jesuites eut ordonné ce parricide, & qu'étant assûré qu'il seroit obei par ceux, qui sont obligez par voeu à une obeissance aveugle, eut averti toutes les Cours, qui prênoient interêt à cette mort, qu'elle arriveroit infailliblement ce jour-là. Les Jesuites sont toûjours Jesuites, toûjours dependans de leur Superieur, toûjours prets à luy obeir en toutes choses. S'il [Page 253]prend envie a leur General de faire un semblable coup aujourdhuy, il trouve­ra sans difficulté une obeissance aussi te­meraire. Le P. la Chaise n'est pas seu­lement Jesuite, il est deplus petit neveu d'un fameux Jesuite, qu'on ne peut nier d'avoir eu beaucoup de part au furieux assassinat de Henry le Grand. C'est le P. Coton dont je veux parler, Confes­seur du Grand Henry comme le P. la Chaise, est Confesseur de Louis le Grand. C'est à Messieurs les Ministres du Roi tres-Chrêtien à examiner si tout ce que je viens de dire, & qu'ils ne peuvent pas ignorer, n'est pas assez important & assez fort, pour les obliger à y faire des reflections serieuses, & à bannir pour jamais du Royaume une Compagnie si suspecte au Roi, aussi bien qu'à l'Etat.

Ils furent bannis par le même Arrêt, qui condamna Chastel & les Jesuites Gueret & Guignard, & une pyramide fut érigée dans Paris, sur les faces de la quelle l'Arrêt du Parlement étoit tout du long. Pourquoy a-t'on permis qu'ils soient rentrez dans le Royaume? Pourquoy pour le moins ne pas conser­ver la Pyramide? Il ne tint pas au Par­lement que la Pyramide ne subsistât, & [Page 254]que la Porte du Royaume ne fut toû­jours fermée aux exilez. Quand le Roi leur commanda de verifier leurs Lettres de Rappel, cet Auguste corps fit son devoir, & prevoyant le malheur qui arriva peu de tems aprez, ils presente­rent des Remonstrances à sa Majesté, dans lesquelles ils luy mettoient devant les yeux le peril, qu'il avoit couru, & le peu de sûreté, qu'il y avoit pour son Etat, & la perfonne de sa Majesté, à rappeller une Compagnie manifeste­ment coupable du dernier attentat. Mais toutes ces Remonstrances quel­ques vives & animées qu'elles fussent, furent inutiles. Le Roi de son Autho­rité permit aux Jesuites de rentrer en France, & d'abâtre la Pyramide, ce qu'ils firent.

Heu caecas hominum mentes, & nescia fati pectora!

Si l'on considere bien les moeurs de l'Auteur du Rappel des Jesuites, on conclurra, qu'il étoit alors fort aisé aux sages de juger du fruit que ce Rappel devoit produire, comme il fut aisé de ju­ger du fruit, que devoit produire leur [Page 255]introduction dans le Royaume. Qu'on ne m'oppose pas icy que ce fut le celebre Cardinal de Lorraine, qui employa tout son grand credit, pour les intro­duire afin de conclurre de là, que je rai­sonne sur de faux Memoires: car cela même, que ce fut un Cardinal, qui les introduisit, devoit, selon moy, faire re­garder leur introduction, comme d'un tres mechant augure. Que pensez vous en effet, Messieurs, que soient les emi­nentissimes Cardinaux de la Sainte Me­re Eglise Romaine, j'ose dire, que leur pourpre ne les distingue pas plus du commun des Pretres, que les excés & les enormitez de leur vie les distinguent du commun des pecheurs. Il ne s'en est point veu en France de plus grand merite, que le Cardinal du Perron, & le Cardinal de Richelieu; ni qui ait lais­sé une plus belle reputation de grand Personnage apres sa mort. L'un passe encore aujourdhuy pour le plus grand Theologien de son siecle, l'autre pour le plus solide, & le plus excellent de tous les Politiques, & c'est de ce côté qu'on les regarde pour les admirer. Mais il est bon d'ouir là dessus, ce qu'on sça­voit mieux qu'aucun de nous: le Doc­teur [Page 256]Patin. Voicy ce qu'il en dit dans ses Lettres: l'Evêque de Riez, dit-il, se reduit à ne faire que la vie des Cardinaux, qui ont vêcu avec quelque opinion de Sainteté. Je nesçay s'il mettra parmi ces gens-là, le Car­dinal du Perron, qui étoit un grand fourbe, & que je sçay de bonne part étre mort de la ve­rolle. Lettrê 19. Pour le Cardinal de Richelieu, c'étoit une bonne bête & un Franc Tyran. Et pour marque de sa Sainteté, je me souviens de ce qu'un Courtisan me conta l'autre jour, que ce Cardinal, deux ans avant que de mourir, avoit encore trois maitresses qu'il entretenoit. La premiere étoit sa Niêce Marie de Vignerot, au­trefois Madame de Combalet, aujourdhuy la Duchesse d'Aiguillon: la seconde étoit la Pi­carde, femme du Marechal de Claunes, Frere du Conêtable de Luynes: la 3. étoit une cer­taine Parisiêne, Marion de l'Orme, que Mr. de Cinqmars avoit entretenue, comme aussi le Marechal de la Meilleraye. Tant y a, con­clud il, que ces Mrs. les Bonnets rouges sont de bonnes bêtes. Vere Cardinales isti sunt Carnales. Il ne faut pas avoir meil­leure opinion du Cardinal de Lorraine, s'il en faut juger comme il est juste, par la maniere, dont il mourut. Il mou­rut d'une maniere si epouventable dans la Ville d'Avignon, qu'on pourroit [Page 257]douter de ce qu'on en dit,Invent. de Ser­res. si des Histo­riens de reputation ne l'assûroient: une tempête si étrange s'éleva au moment, qu'il rendit l'Esprit, que de memoire d'homme on n'en avoit pas veu de pa­reille; quelque chose de plus violent que les tourbillons, enleva les barreaux de sa chambre, & laissa de grands soub­çons à tous ceux, qui sçavoient que ce Cardinal ayant un commerce particu­lier avec les Diables, ils étoient venus chercher à son terme, une ame qui s'é­toit donnée à eux. Je le redis encore, l'introduction des Jesuites en France par un personnage fait comme ce Cardi­nal, ne pouvoit étre que de mauvais pre­sage. Les suites ne répondirent que trop à ce presage malheureux. Le Car­dinal de Lorraine fut le Pere de la Li­gue, & les Jesuites en furent les Par­rains & les Fauteurs. Ligue, qui opri­ma Henry III. & qui pour dernier ef­fort fit perir Henry le Grand. Car Ra­vaillac étoit d'Angoulesme la Ville de France la plus possedée de l'Esprit & de la fureur de la Ligue.

Je raisonne de même sur le Rappel des Jesuites. Que pouvoit promettre de bon ce Rappel procuré & obtenu [Page 258]par un Fouquet,Meze­rai abre. Chro­nol. St. de la Varenne, Con­troolleur General des Postes, la Varen­ne, qui étoit un sale Ministre des Plai­sirs du Roi, un Marchand infame de l'hôneur du sexe, un courtier abomina­ble des Filles debauchées & des Fem­mes impudiques? l'Evenement n'a que trop soutenu la prediction, que les Sa­ges en firent des lors. Un troisiême parricide suivit de prez ce funeste Rap­pel. Les Jesuites ont tenu depuis la mê­me route & la tienent encore. C'est par là, qu'ils se sont accreditez à la Cour de France. On en sent tous les jours les fu­nestes effets. Les Jansenistes en ont été oprimez, Messeigneurs les Eveques en ont perdu leur liberté; la dignité de leur Mitre dépend absolument du bonnet triangulaire de la Societé, les grands Seigneurs en ont été ruinez, la Nobles­se est à l'extremité, le menu Clergé crie misere, le Paysan est à la faim, le com­merce ne va plus, les ennemis de la Fran­ce prênent Coeur, ne respirant que la guerre pour sevanger, & les affaires du Roi ont commencé de prendre un mau­vais train. Lorsque d'un côté, je con­sidere toutes ces choses, & que je voy de l'autre, que ceux qui sont au timon [Page 259]de l'Etat, ne vont pas viste à la source du mal, qui n'est autre que le Rappel des Jesuites, je ne puis que je ne m'écrie ô Tempora! ô Mores! & que je ne con­cluë, qu'il faut que les Jesuites ayent usé de sorsilege, qu'ils ont charmé les Ministres du Roi tres-Chrêtien, & qu'ils ont la vertu de la tête de Meduse, puis que par leur charme ils ont rendu insensibles & comme petrifié tous les Ministres de sa Majesté.

Ce que je viens de dire de la France a la même force au regard de l'Angle­terre.C'est l'inte­rêt des An­glois. Il est de l'interêt & de sa Majesté Britannique, & de tous ses Sujets, que les Jesuites ne s'établissent jamais dans la grande Bretagne, & il seroit bon, qu'ils n'y eussent jamais mis le pied. Comme le malheur de ce Royaume est si deplo­rable aujourdhuy, qu'autre est l'interet du Roi & autre celuy de ses Sujets, il est de necessité de les considerer separe­ment. Il n'y a nulle difficulté, que l'éta­blissement des Jesuites en Angleterre, ne menace tous les Anglois, Ecossois, & Irlandois, d'un joug d'airain & pour le Temporel & pour le Spirituel, qu'ils ne pourront pas secouer, si une fois ils l'ont subi. Premierement il faut que l'E­glise [Page 260]Anglicane se dispose, à n'avoir plus d'Evêques. C'est le dessein des Jesui­tes d'y éteindre entierement l'Episco­pat. Cela a paru dans le projet du Je­suite Person dont je vous ay parlé cy­dessus. S'ils s'établissent dans la Gran­de Bretagne, tout le gouvernement de l'Eglise sera entre les mains de sept Je­suites, qui disposeront de l'Eglise An­glicane, comme ils voudront. En 2 lieu Mrs. les Mylors, qui jouissent de gras benefices de plusieurs Ordres de Moines doivent se resoudre à les voir passer de leurs mains dans celles des Je­suites; car c'est apres quoy ils tendent avec la gueule beante, & ils renonce­roient plûtôt au Christianisme, qu'à ces grands & prodigieux revenus, qu'ils ont tant de mal au coeur de voir entre des mains laïques & profanes. En 3 lieu ils ont promis au Pape de luy restituer le Denier de S. Pierre, c'est ainsi qu'on ap­pelloit autrefois le tribut annuel, que le Pape retiroit de la grande Bretagne, & qui alloit bien loin au delà de la hac­quenée & des quarante, ou cinquante mille ducats, que le Roi d'Espagne luy paye tous les ans, comme un tribut pour le Royaume de Naples, & sçavez vous [Page 261]bien, ce que deviendra ce Denier de S. Pierre, si une fois les Jesuites sont Mai­tres du gouvernement? C'est qu'étant aussi habiles qu'affamez, ils feront mon­ter ce Denier de S. Pierre, à une livre Ster­ling pour le moins; mais le Pape y sera trompé; il est sûr, que ce denier sera pour la Societé, non pas pour le Pape; par ce qu'ils ont toûjours en veuë la plus grande gloire de Dieu. Enfin leur grand dessein est d'éteindre en Angleterre, aus­si bien que par tout, la Religion Prote­stante: cette Religion est trop contraire à leurs desseins pour la soufrir; c'est pour cela qu'ils ont conseillé au Roi à pour­suivre avec tant d'instance & de fermeté l'abolition des loix Penales & du Test. Ils sçavent, que ces loix sont comme le Pal­ladium de l'Etat, & le bouclier de la Re­ligion. Ces Loix abolies, la liberté est perdue, & la Religion Protestante é­teinte. Les Anglois ne peuvent igno­rer cela, que d'une ignorance affectée. Leur grand interêt est donc que ces Loix soient conservées & maintenues en leur entier, comme l'unique rem­part de la Religion & de la liberté. Mais l'unique moyen qui paroisse aux lumieres de la raison & du bon sens, [Page 262]c'est de chasser les Jesuites au plûtôt, comme des perturbateurs du repos pu­blic. Ils ont déja mis le pied dans l'An­gleterre; c'est ce qui me fait trembler pour cette Nation: car j'ay veu une des Emblemes de la Societé,Imago primi Saeculi. où un Ange est representé enlevant le globe de la Terre attaché avec une corde, à des Ma­chines semblables, à la vis d'Archimede, avec cette devise qui accompagne cette image: Fac pedem figat & terram movebit. Ils ont déja mis le pied dans la grande Bretagne, ils ont commencé à faire jouer leur Machine, le Royaume en a déja reçeu quelques secousses, si les An­glois les laissent agir davantage, ils l'e­branleront & le bouleverseront.

Il n'est pas si aisé de faire voir,C'est l'inte­rêt du Roi d'An­gleter­re. que c'est aussi l'interêt du Roi, que les Je­suites soient chassez de toute la grande Bretagne, puis que le Roi se sert des Je­suites même, pour l'execution de ses grands desseins. Cela pourtant n'est pas difficile à démontrer, & même en peu de mots. Le Roi, autant qu'il a paru par sa conduite, depuis qu'il est monté sur le Trône, a deux desseins; le pre­mier est d'éteindre la Religion Prote­stante, l'autre est de se rendre absolu, [Page 263]& d'établir un gouvernement despoti­que & arbitraire: de ces deux fins que le Roi s'est proposées, il y a lieu de croi­re, que celle qui regarde le gouverne­ment arbitraire & absolu, est la premie­re & principale, & que celle qui con­cerne la Religion n'est que subalierne & un moyen pour arriver à la premiere. Car il arrive rarement, que les Rois cherchent le Royaume de Dieu premierement & avant tout autre chose. Or il est seur, que les Jesuites ont les mêmes veuës: ils en veulent à la Religion Protestante, mais ils pretendent, que la Religion rui­née leur servira de degré pour monter au dessus de tout & se rendre Maitres absolus de la Grande Bretagne. Voilà donc la Societé des Jesuites Rivale de sa Majesté. Deux rivaux peuvent se sou­frir l'un l'autre durant quelque tems, mais cela ne peut pas durer. Il faut rompre enfin, & que l'un de deux l'em­porte: car l'Empire absolu & arbitraire ne peut point se partager, c'est un point indivisible, on ne peut l'avoir sans l'a­voir tout entier. Mais comment le Roi se peut il promettre, que la Religion Protestante une fois éteinte, il sera mai­tre absolu de ses trois Royaumes? est il [Page 264]à sçavoir, que les Jesuites veulent domi­ner par tout. Et combien il en coute à ceux, qui osent, de ne faire pas tout ce qu'ils veulent? Ignore t-il qu'il en a couté la vie aux deux Rois ses predeces­seurs?

Au Roi son Pere, pour n'avoir pas executé ce qu'il avoit promis dans son contract de mariage? & au Roi son Fre­re, pour n'avoir pas voulu aller aussi vi­te qu'ils le desiroient? Ou il est Jesuite in voto, ou il ne l'est pas. S'il ne l'est pas, puis qu'il s'est mis entre leurs mains, il faudra qu'il y viêne. Et s'il l'est une fois il faut qu'il obeisse à ses Maitres. Où sera donc cette puissance absolue a la quelle il aspire? Comment gouvernera t-il à son plaisir ses Sujets, puis qu'il ne sera pas luy même maitre de sa propre volonté? Si sa Majesté ne sçait pas l'en­treprise des Poudres, qui tendoient à faire sauter le Roi Jâques I. sa famille & le Parlement, c'est une chose étonnan­te, mais si elle sçait, que les Jesuites a­voient formé ce dessein horrible, que les Jesuites Garnet & Hall furent executez à mort, convaincus de cette haute trahi­son, c'est une chose, qui est encore plus étonnante, que sa Majesté puisse se fier [Page 265]à des gens capables d'une entreprise si noire. Si sa Majesté ignore la Conspi­ration d'Oates dans laquelle l'on avoit resolu de se défaire du feu Roi son Frere, c'est une chose, qui me surpasse; mais si elle sçait, que des Jesuites en grand nombre avoient part à cette conjura­tion, je ne puis comprendre comment il peut se confier en des gens, qui en fe­ront autant contre sa Majesté, s'ils dé­couvrent qu'elle n'aille pas droit à leur but. Enfin si sa Majesté ne reconnoit pas maintenant les mauvais pas, que les Jesuites luy ont fait faire, & le peril, où ils l'ont engagée, elle est à plaindre, & tout le Monde est obligé à la secourir de leurs voeux; mais si sa Majesté le recon­noit, & n'y pourvoit pas promtement, en s [...] rangeant du parti de son peuple pou [...] en étre le Pere, & se défaisant el­le & son Royaume pour jamais de la pernicieuse Compagnie des Jesuites, il y aura lieu de dire qu'elle ne con­noit par ses veritables interets, & con­clurre, que le Roi des Rois las de la lais­ser regner, & vivre, entre les mains des Jesuites pour executer contr'el­le ses justes jugements. Quos Deus vult perdere, illos dementat. Dieu, qui [Page 266]tient les Coeurs des Rois en sa main, veuille donner à ce Grand Prince sa Celeste Onction, afin qu'il deviêne le Pere de ses peuples & le Défenseur de la Foy.

Apres ce que je viens de dire, Mes­sieurs, il semble, que je pourrois icy fi­nir cet Article: car si j'ay bien prou­vé, comme je le pretens, qu'il est de l'interêt de tous les Moines, de tous les Evêques, du Pape & de tous les Rois, que la Societé des Jesuites ne subsiste plus, il ne semble pas fort necessaire de l'étendre plus loin. Il ne sera pas pour­tant inutile à mon avis de vous prouver, qu'il est aussi de l'interêt des Marchands, des Pauvres & des Riches, des Femmes & des Maris, des Peres & des enfans, que cette Societé soit abolie.

C'est l'interêt des Marchands,C'est l'inte­rêt des Mar­chands. par ce qu'ils sont Banqueroutiers de Pro­fessions. La fameuse banqueroute de Seville en fut le signal, & la declaration solemnelle, qu'ils firent alors que leur but étoit, d'execer le trafic & la ban­que,Thea­trum Jesui­ticum. afin de tromper le Monde. Voicy comme elle est racontée dans une Hi­stoire non suspecte. Le Frere André de Villar Jesuite & Procureur du Col­lege [Page 267]des Jesuites de Seville commune­ment appellé de S. Hermenigilde, pensa à en accroitre le bien, & pour cet effet emprunta à interet, à rente & à autres titres plus de 450 mille Ducats, dont il se servit pour trafiquer dans Seville. Il embarqua pour les Indes diverses sortes de Marchandises, des toiles, du fer, du saffran, de la canelle. Il fit batir des maisons & des moulins. Il acheta des Terres, des Jardins, & plusieurs diffe­rens troupeaux. Il emprunta cet argent des personnes les plus affectionnées à leur College, & qui dependoient plus d'eux, & encore de quelques autres; Les plus graves Peres de la Compagnie luy aidant à faire ces emprunts, dont il vint enfin à bout par sa patience, & par son adresse, autorisé par les pouvoirs & les Ordres, qu'il avoit reçeus de ses Supe­rieurs; ce qui se justifie par plusieurs contes, qui luy furent saisis, & par plu­sieurs memoires, & registres dans les­quels il faisoit mention de tout.

Le P. d'Avilez, Provincial d'Anda­lousie, & le Recteur du College consi­derant l'Etat de leur bien, resolut avec la Compagnie de maintenir leur Maison dans la grandeur, où elle se trouva par [Page 268]cet emprunt & cherchant les moyens pour y reussir, ils n'en trouverent point de plus salutaire, que de disposer les choses de telle sorte, que leurs Crean­ciers perdissent la moitié de leur dette, se servant d'un de leurs confidans pour en proposer les moyens. Ils delibere­rent donc s'il étoit à propos de faire un procez aux Creanciers, & toutes les raisons que Villar leur Procureur leur representoit, ne furent point capables de les detourner de ce dessein, qu'ils a­voient déja pris, se mettant fort peu en peine de sa perte de leur credit: c'est ce qui fut justifié par une Lettre du Pro­vincial Avilez, conceue en ces termes écrivant au dit Procureur: Jay leu les raisons, que vous alleguez pour nous détourner de la Resolution prise de faire procez aux Cre­anciers. Je les ay considerées avec attention; mais je croi qu'en conduisant sage vent cette af­faire, qui est en nôtre disposition, no [...]s ferons cesser la plus part des inconveniens, qui en pour­roient naitre. La perte de nôtre credit ne nes fait aucune peine; par ce comme dit le Proverbe: Le corbeau ne peut pas étre plus noir que ses ailes. Plus de 50 mille Ducats, ou au moins 40 mille, ne nous ont pas suffi l'année passée, pour appaiser les cris des Creanciers: Ils [Page 269]suffiroient encore moins à present: nous n'avons plus rien, que nous puissions vendre, & ce n'est pas un bon moyen d'éviter ces pertes, que de reduire les interêts à des rentes. Le 8 Mars 1645. qui étoit le jour, où ils de­voient executer, ce qu'ils avoient pre­medité si long tems, étant arrivé, la premiere chose, qu'ils firent, fut d'arre­ter Villar leur Procureur, sous pretex­te d'une assemblée & consultation qu'ils. vouloient faire, & luy ôterent tous les Livres des contes, Papiers, Registres, qu'il avoit dans sa chambre. Le jour suivant le Provincial & le Recteur as­semblerent tous leurs Creanciers dans leur maison Professe, & en presence des personnes les plus considerables, & les plus qualifiées de la ville, le Provincial declara le desir qu'ils avoient de donner satisfaction à tout le Monde, tachant neanmoins en même tems de les resou­dre à perdre la moitié de ce qui leur étoit dû. Et, quoy qu'ils eussent fait venir un Notaire, afin que ceux qu'ils pour­roient faire consentir à une resolution si inique, la signassent devant luy, il ne s'en trouva pas un seul, qui le voulut faire. Le peu de disposition qu'ils vi­rent à reussir dans leur dessein, fut cau­se [Page 270]que le jour suivant, le Recteur sup­posa un Creancier, qui ayant accepté la proposition faite par le Provincial, ap­pelle les autres Creanciers, pour l'ac­cepter comme luy, & entrer tous de concert en payement. Et sur cette de­mande un juge Conservateur, que le College même avoit nommé, proceda au sequestre des biens du College. Il fut si avantageux aux Jesuites d'avoir un Conservateur tout à eux, qu'en luy as­sûrant pour recompense une pension de mille Ducats par an, ils l'eurent pour Protecteur au lieu de l'avoir pour ven­geur de tant de fourberies si artificieuses & si criminelles. Mais cet artifice ne leur ayant pas reussi, ils en inventerent un autre, qui fut de faire intervenir des Creanciers porteurs de fausses promes­ses & obligations supposées: ce qui fut aisé de connoitre, par ce que la plus part de ces promesses étoient des Religieux de la Compagnie même sous le nom des seculiers, & d'autres en faveur du Pro­cureur Villar, sans le nom des seculiers aussi supposez. Ils leur sont passer un compromis à soixante dix d'entr'eux la plus part des veuves. Les Creanciers consentent par ce compromis à perdre [Page 271]au pro rato de leur dette, telle quantité, que jugeront cinq d'entr'eux, qu'ils de­putent, qui sont des plus attachez aux Je­suites: & ce qui est remarquable, c'est que l'un d'eux est Villar leur Procu­reur, lequel ils avoient fait sortir de leur Compagnie pour cela en habit de secu­lier. Enfin pour ne pas vous ennuyer par un trop long recit, les Jesuites vin­rent à bout de leur dessein: ils ruine­rent une partie des familles de Seville. Ces pauvres gens ne pûrent avoir nulle justice au Conseil, par ce qu'ils y avoient remedié par leurs fourberies & fausse­tez.

Il est ajouté, que Villar étant sorti de la prison des Jesuites, & mis en dépôt dans le Convent de S. François, il luy fut permis de rendre conte de sa con­duite, & il fit connoitre à tout le Mon­de, qu'il n'avoit rien fait en tout cela, que par ordre de ses Superieurs, dont il produisit les Lettres Originales, pour se mettre à couvert des Calomnies de ces Peres: Villar craignit apres cela, que s'il rentroit parmi les Jesuites, ils ne pratiquassent à son egard la Doctrine de leur P. l'Ami, qui permet à un Religieux de tuer celuy qui public les choses scandalouses. [Page 272]de son Ordre, comme ils l'ont pratiqué en plusieurs remontres, & particulierement en la personne du Docteur Jean d'E­spind, qu'ils ont empoisonné jusqu'a trois fois, ce qui est si public, qu'il n'y a personne en Espagne & aux Indes, qui ne craigne leur poison & leurs violen­ces. Villar donc quitta la robbe de Je­suite, il prit le manteau & l'épée, & se maria en paix apres avoir toutefois ob­tenu dispense de ses voeux. Les Jesui­tes disent presentement, que la Ban­queroute est arrivée par la friponnerie de Villar, qui triomphe maintenant & fait bonne chere de ce qu'il a derobé. Il répond qu'ils ont menti, qu'il s'en re­met à ce qui est écrit, & que les hom­mes se doivent taire quand les Papiers parlent.

Cette Histoire fait voir, que les Je­suites ne sont aucun scrupule de trom­per, de n'épargner ni la veuve ni l'Or­phelin, qu'ils mettent si bien a couvert le bien, qu'ils ont surpris, qu'il n'est pas possible à la Justice la plus severe d'y mordre, qu'ils n'ont aucune honte du titre de safraniers & de Banquerou­tiers, que par consequent ils sont capa­bles de gater le commerce de toute une [Page 273]ville, & de toute la terre même. Il est donc de l'interêt des Marchands, que cette Societé ne subsiste & ne paroisse plus dans le Monde.

C'est aussi l'interêt des Riches:C'est l'inte­rêt des Riches. car l'experience de tous les jours nous a­prend, qu'il n'y a point de Riche, qui leur échappe: ils en ont infailliblement ou pied ou esle comme on dit, ou par presents, ou par donations, ou par legs testamentaires, ou par des procez, qu'ils trouvent toûjours matiere de faire à ceux, dont ils ne peuvent avoir rien par des soumissions, par des frequentes vi­sites, par des cajolleries. Cela est si vrai, qu'on dit communement: importun aus­si bien que fourbe, & diffimulé comme un Je­suite. Les Riches donc non seulement se passeroient facilement de cette Com­pagnie, quand il n'y en auroit plus; mais il leur seroit aussi avantageux, par ce qu'ils n'auroient rien à craindre pour leurs biens, delivrez des gens, qui sous le manteau de Loyola, & sous le nom auguste de Compagnie de Jesus, sça­vent si bien s'emparer du bien d'autruy sans qu'on ose s'en plaindre ni crier au voleur. Il faut pourtant excepter les méchans Riches. J'avoue, que ceux-cy [Page 274]ont interêt que la Societé subsiste, & qu'elle domine par ce que c'est par leur protection & leur credit, & qu'ils s'a­vancent dans le Monde, & qu'ils evi­tent les peines, qu'ils ont meritées par leurs crimes.

C'est l'interêt des Pauvres;C'est l'inte­rêt des l'au­vres. par ce que les Jesuites affoiblissent comme sangsues la plus part des maisons, où ils trouveroient sans eux des aumônes, & par ce qu'ils augmentent tous les jours le nombre des Pauvres, en s'enrichis­sant du bien d'autrui, sans qu'il en re­vienne aucun profit aux Pauvres. En­fin les Pauvres ne reçoivent aucun se­cours des Jesuites, ni par aumônes ni au­trement: car ce n'est pas aux Pauvres, qu'ils rendent des visites, puis qu'il n'y a rien à gagner. Ils peuvent mourir sans consultation, & sans Sacremens, ce n'est pas dequoy les Jesuites se soucient. Un Gouverneur de la ville d'Evora sça­chant cela, donna ordre d'aller chercher un Jesuite à minuit pour voir un mala­de,Morale prat. 1 Vol. qui étoit à la mort, & lequel n'étoit pas loin du College: le portier répond, que les Peres ne sortoient point la nuit du College, & ainsi ce pauvre mourent sans Consolation & sans Sacremens. Le [Page 275]Gouverneur prend occasion de là de fai­re connoitre les Jesuites, & desabuser bien des gens, qui en ont bonne opi­nion: une nuit il envoye un valet aux Jesuites pour leur demander un de leur Compagnie, souhaittant d'étre confes­sé: aussi-tôt deux Jesuites partent & courent au Chateau, mais ils rencon­trerent le Gouverneur assés pres du Chateau, où il les attendoit. Il leur de­manda, qui ils étoient, & où ils alloient, ils luy répondirent qu'ils étoient Jesui­tes, & qu'ils s'en alloient confesser le Gouverneur, qui se mouroit. Tout ce­la est faux, leur repliqua-t-il, je suis moi même le Gouverneur, je me porte fort bien; mais vous n'estes point des Jesuites, vous estes des voleurs. Il les envoya en prison, où il les fit passer tou­te la nuit. Il fallut prouver, qu'ils é­tolent vrayment Jesuites, il fallut ouir plusieurs témoins, il se passa quelques jours, & les Peres demeurent en prison plus qu'ils n'avoient pensé; mais non pas plus qu'ils l'avoient merité: cepen­dant comme il paroit, que les Jesuites sont inutiles aux Pauvres, & qu'il est constant, que les Pauvres sont en plus grand nombre sans comparaison que [Page 276]les Riches, je ne doute nullement, que si la question étoit jugée par l'assemblée de tous les Pauvres & de tous les Riches, il ne fut ordonné par pluralité de voix, que les Jesuites fussent bannis de la So­cieté civile, comme étant absolument inutiles à plus de la moitié du genre hu­main, & pernicieux à la plus part du reste.

C'est l'interêt des Peres & des En­fans:C'est l'inte­rêt des Peres. car il n'y a point de Pere riche, dont les enfans ne soient la proye des Je­suites, la quelle ils chassent & poursui­vent si bien, que c'est un miracle, quand elle leur échappe. Le Pere a beau s'a­dresser aux Jesuites pour les conjurer de toute sa force de détourner son Fils de se faire Jesuite, il perd sa peine, & ses prieres, & son tems, il trouve des ames inexorables & des coeurs de rocher. Ce pauvre Pere n'a que cet objet de son a­mour & de sa tendresse, c'est un fils uni­que, son dessein est de le marier dans une famille hônête. Il espere d'avoir des Successeurs & des heritiers par cette vo­ye, & il n'en a point d'autre. Tout cela est oui par ces Religieux charita­bles sans compassion, & sans la moindre emotion. Si c'est un jeune homme d'un [Page 277]beau naturel d'un esprit vif, & d'une memoire heureuse, l'affection du Pere en est plus forte & plus raisonnable: c'est ce qui luy fait redoubler ses prieres, mais tout cela est inutile. Il s'adresse à son fils, il l'embrasse, il pleure sur son cou, le prie de ne le pas quitter & d'avoir pi­tié de luy, mais il se trouve avoir à faire à un fils, que les Jesuites ont charmé, & [...]ui est aussi impitoyable, & aussi dena­turé, que les Jesuites. Et que font ils enfin de ce fils unique, lequel ils ont enlevé par un veritable rapt à son pau­vre Pere? S'il est doué d'un excellent naturel, d'un esprit vaste & capable de grandes choses, fut il le plus propre du Monde à la Theologie, ils tournent & plient son esprit aux affaires du Mon­de, ils en font un Courtisan, & un Po­litique, & ordinairement un scelerat. A­pres tout, qu'est ce que l'Ecole des Je­suites, qu'un Ecole de souillure d'im­pureté & d'impieté? Et que peut on esperer des enfans élevez par un Jesui­te, qui enseigne qu'on peut dérober, qu'on peut se souler de vin, qu'on peut étre fornicateur, & adultere qu'on peut en un mot commettre les crimes les plus enormes sans interesser son salut en diri­geant l'intention?

[Page 278]
Quo semel est imbuta recens servabit odorem
Testa diu.

Malheur donc aux Enfans, qui tom­bent entre les mains de ces Pedago­gues. Il seroit bon pour eux, & pour leurs Peres, qu'il n'y en eut jamais eu de semblables. C'est donc leur interêt que cette Societé soit exterminée.

C'est l'interët des semmes & des ma­ris.C'est l'inte­têt des Fem­mes & des Maris. Vous comprenez Messieurs, que je m'en va tout droit aux Confessioneaux des Jesuites. En effet c'est là que le Confesseur fait des questions si curieu­ses, si sales, si impudiques, aux Fem­mes, que si le Mari les entendoient, à moins qu'il fut insensible, comme un rocher, il ne pourroit s'empecher de s'emporter, & de se jetter sur le Confes­seur sans avoir égard à la Sainteté du lieu. Ce sont des questions si contraires à la pudeur, que si une Femme y re­tourne plus apres avoir apris par expe­rience la maniere, dont les Jesuites con­fessent les pe nitens, elle ne peut que don­ner de tres violens soubçons, qu'elle a pris plaisir à l'impudicité de ces questions, & qu'elle ne vaut pas plus que le Con­fesseur. [Page 279]Quelque secrete qu'on tiêne la Confession, on sçait neanmoins en general par les Livres que les Jesuites ont fait, pour instruire les Confesseurs, qu'il n'y a point de bordel, où il se tiêne des discours plus sales & plus puans: on y descend jusqu'aux dernieres particu­laritez, & ce que la Malice de l'Enfer peut concevoir de plus horrible, ce qu'ont ignoré les siecles, les plus depra­vez du Paganisme, toutes les ordures, & toutes les saletez, qui peuvent faire rougir l'effronterie même, se trouvent en abregé dans le Livre d'un Jesuite. Je sçay, qu'il y a eu des Caligules, des Ne­rons & des Heliogabales, qui ont fait des affrons à la pudeur, & des outrages à la nature: l'impudicité a été l'ame de ces Monstres, & ils ont fait de leurs corps une boutique d'Infamie. Mais quoy qu'ils ayent raffiné sur les plus grandes enormitez, je puis dire, que l'ouvrage du Pere Sanchez pourroit au­jourdhuy leur aprendre, ce qu'on n'eut pas trouvé dans les Elephantiaques, les Livres du Paganisme les plus impures & les plus outrez. Que peuvent donc ga­gner les Femmes & les Filles auprez de ces Peres, qui leur parlent sans dou­te, [Page 280]lors qu'ils les confessent des mêmes choses, qu'ils ont écrites & publiées, & qui ont écrit & publié des saletés, des or­dures, & des infamies, que quand tous les esprits Impurs & de tenebres s'en mêleroient, ils n'y pourroient ajouter rien de nouveau? Les Confessionneaux des Jesuites doivent donc étre suspect aux Maris, dont les Femmes ont un Je­suite pour Directeur: ce sont des lieux, où des pieges sont tendus à la pudeur: ce sont des récueils, où il est impossible d'eviter le naufrage. Les Femmes doivent regarder ces Confessionneaux, comme des lieux imfames, comme des fumiers & des cloaques d'une mortelle puanteur. Celles, qui y ont été, en ont senti les puantes halenées, & si el­les ont de la vertu, elles doivens les avoir en horreur. Il leur importe souverai­nement aussi bien qu'a leur maris, que ces boutiques d'impuretez soient fer­mées pour jamais, & qu'il n'y ait point de ces Directeurs dans le Monde.

C'est l'interêt de tous les Catholi­ques,C'est l'inte­rêt des devots à la Vierge. qui se sont devouez au service de la Sainte Vierge, qui dans le sentiment de leurs pechez & de leur misere ont re­cours à son intercession, l'invoquent [Page 281]comme la Reine des Cieux, comme la dispensatrice de toutes les graces, com­me la Maitresse du Paradis; c'est dîje l'interêt de tous ces Catholiques, que la Societé des Jesuites soit entierement abolie, par ce que les Jesuites deshono­rent & outragent cet objet de leur culte & de leur devotion: premierement en disant que leur Societé est Vierge, c'est le titre, qui luy est donné par Orlan­din son Panegyriste. Et que veut dire ce titre de Vierge, sinon que leur Socie­té est pure sans tache & irreprehensible. Car S. Paul l'entend ainsi, lorsque par­lant de l'Eglise des Corinthiens, il leur dit: qu'il les a attachez à J. Christ, comme une Vierge chaste à son mari, & que parlant aux Ephesiens de l'Eglise de J. Christ, il la represente irreprehensible sans ride & sans tache. Comme donc ils ont pris le nom de Jesuite ou de Compagnie de Je­sus, pour faire entendre au Monde, que J. Christ est tout à eux, & eux tous à J. Christ; de même en prenant le titre de Societé Vierge, ils pretendent qu'on les considere comme une Societé, qui est toute à la St. Vierge, & à qui la St. Vierge est toute reciproquement. Mais les Catholiques, qui sçauront, que cet­te [Page 282]Societé est une école d'impureté, aussi bien qu'une boutique, où se ven­dent les Indulgences, & l'impunité de tous les crimes, & où se forgent les poi­gnards, & où se preparent les poisons pour envoyer les Rois, & tous ceux, qui les incommodent en l'autre Monde, les Catholiques dîje, qui se sont devouez à la St. Vierge, n'auront ils pas horreur de voir une Societé si impure & si oppo­sée à la Sainteté de la Mere du Redem­teur, se glorifier d'un titre, qui la rend participante de son impureté, en la met­tant dans sa communion? Il y a quelque chose de plus fort. Le Jesuite Mascha­renas, dont j'ay déja parlé met au jour un Livre chez Cramoysi l'an 1656. où se trouve cette proposition generale: que tout ce que l'Eglise soufre étre enseigné & publié par les Casuistes doit étre censé permis. Or les Casuistes enseignent dans leurs Livres, qu'il est permis de venger une injure par un meurtre, de se souler de vin, d'étre fornicateur & adultere en di­rigeant l'intention &c. Il se trouve d'au­tres propositions particulieres dans le même Livre; comme que celuy qui va à la Messe pour voir impudiquement une Femme, & qui sans cela n'y iroit pas, satisfait au precepte [Page 283]d'entendre la Messe, encore qu'il n'eut pas in­tention expresse d'y satisfaire. Il y en a d'au­tres de même caractere. Or ce Jesuite dedie ce Livre infame à la Sainte Vier­ge, declare qu'il n'enseigne que ce qu'il a apris d'elle comme de sa Maitresse, & que c'est elle aussi, qui luy a inspiré de le composer. Je vous laisse à penser, Messieurs, s'il est possible d'étre devoué au service de la St. Vierge, comme sont la plus part des Catholiques, & soufrir en même tems que des Jesuites, qui se disent une Societé Vierge, attribuent à cette Sainte des propositions, qui font horreur, & qu'on feroit conscience d'attribuer à un Docteur de Sorbonne? Je vous laisse à juger, si ces Catholi­ques, apres avoir fait reflection, sur la conduite contradictoire des Jesuites, soutenant d'un côté que la Vierge est venue au Monde sans peché Originel, & luy attribuant de l'autre, maintenant qu'elle est glorieuse aussi bien que Sain­te, une Doctrine, dont un Auteur mor­tel auroit honte, ne condamneront pas ces Docteurs bisarres & malins à un si­lence éternel, & leur Societé à étre a­bolie pour jamais?

C'est l'interêt de tous les Chrêtiens', [Page 284]qui adorent J. Christ d'un vrai coeur,C'est l'inte­rêt des vrais Chrê­tiens. comme le fils Eternel de Dieu, & le Saint des Saints; par ce qu'ils ne peu­vent voir qu'avec un extreme déplaisir le Nom auguste, & venerable de Jesus horriblement profanê par les Jesuites. Je n'ay parlé qu'en passant, Messieurs, des Maximes affreuses de la Morale de ces Reverends. Il faut que je les expose icy sommairement à vos yeux, afin que vous jugiez, si j'ay raison, ou non de dire que les Jesuites profanent lé venera­ble nom de Jesus.

1. Un juge en regardant la justice en elle même, peut prendre de l'argent, pour faire gagner celuy, qu'il luy plait de deux personnes, qui auroient egale­ment bon droit.

2. Un Fils, qui est en la maison de son Pere, peut exiger le Salaire des ser­vices, qu'il luy rend, & le voler en Con­science, s'il ne le luy donne.

3. Un homme n'est point irregulier, c'est à dire incapable des Ministeres Eclesiastiques, pour avoir procuré un avortement, s'il doute que le fruit étoit encore animé.

4. Un homme surpris en adultere, qui tue le mary, en se défendant, n'est point irregulier.

[Page 285] 5. En vertu de la Bulle appellée Cru­ciata, on peut dispenser du voeu, & du serment qu'on auroit fait de ne point commêtre fornication, ou quelque au­tre peché.

6. Un homme, qui est en reputation d'étre fort debauché, ne peche pas mor­tellement, en sollicitant une Femme sans intention d'executer ce qu'il pro­pose.

7. Un homme, qui a deviné par une invocation expresse du Diable, n'est point obligé de se confesser d'autre cho­se, sinon qu'il a deviné.

8. Ce n'est pas un peché mortel de prêcher principalement pour la gloire ou pour l'argent.

9. Les reglemens contre les blasphe­mes sont abrogés par une coutume con­traire.

10. Un homme ne peche point, & ne commet aucune irreverence envers Dieu, lors qu'il ose s'adresser à luy, pour luy faire des prieres, ayant la vo­lonté actuelle de l'offenser mortelle­ment.

11. Ce n'est point faire tort à la puis­sance paternelle, que de persuader à une fille, de s'enfuir pour se ma­rier [Page 286]contre la volonté de son Pere.

12. Un Mari peut sans aucun scru­pule de pecher, tuer sa Femme surprise en adultere & un-Pere sa Fille.

13. Un homme qui est prêt de mou­rir, n'a pas besoin pour recevoir de Dieu la remission de ses pechez, d'avoir un vrai desir de changer de vie, si Dieu le laissoit plus longtems au Monde; & qu'il la peut obtenir par l'absolution du Prêtre, quoy qu'il soit en telle disposi­tion, que s'il sçavoit devoir vivre plus longtems, il ne se confesseroit point, & ne quitteroit point ses pechez.

14. On ne doit, ni differer ni refu­ser l'absolution à un penitent, qui est dans l'habitude de pecher, contre la Loi de Dieu, de la nature où de l'Egli­se, encore qu'on n'y voye aucune espe­rance d'un futur amandement, pour­veu qu'il dise de bouche, qu'il a regret, & propose de s'en corriger.

15. Abuser d'une Femme mariée n'est pas un adultere, si le Mari y con­sent.

16. Il semble probable, que le fruit, tandis qu'il est dans le ventre de la Mere est encore privé de l'ame raisonnable, & qu'il ne commence à avoir cette ame, [Page 287]que lors qu'il vient au Monde; & con­sequemment il faut dire, qu'on ne com­met point d'homicide, en procurant un avortement.

17. Appeller Dieu à témoin d'un mensonge leger, n'est pas une si grande irreverence, qu'il veuille ou qu'il puisse pour cela damner un homme.

18. Ce n'est pas un peché mortel d'accepter un duel pour défendre son hôneur, & de tuer celuy qui l'appelle.

19. On n'est pas tenu sous peine de peché mortel de restituer ce qu'on a pris par de petits larcins, quelque gran­de que soit la somme totale.

20. Il est permis à un homme d'hô­neur & de qualité de tuer un agresseur, qui s'efforce de luy donner un coup de baton, ou un souflet, ou de le charger d'une calomnie, s'il ne peut pas éviter cette calomnie par une autre voye.

21. Il est permis de tuer un calom­niateur, des témoins & un juge injuste, pour conserver sa vie, son honneur & ses biens.

22. Il est permis de derober non seu­lement lors que la necessité est extreme, mais aussi lors qu'elle est notable.

23. Les Serviteurs peuvent dero­ber [Page 288]à leurs Maitres, pour se recompen­ser de leurs peines, en jugeant qu'elles meritent plus de salaire qu'il n'a été convenu.

24. Celuy qui a fait Banqueroute, peut retenir autant de bien qu'il en a besoin pour soutenir sa famille, & vivre honorablement, encore que les dettes pour lesquelles il fait Banqueroute, soient cantractées avec injustice, & par une faute toute notoire.

25. Ce n'est qu'un peché veniel de se remplir sans aucune utilité de viandes & de vin jusqu'à vomir.

26. Un homme, qui est fatigué par quelque travail que ce soit, ou licite ou illicite, comme par exemple, de s'étre corrompu avec des Femmes, est delivré de la Loi du jeune.

27. En parlant avec rigueur, il sem­ble que l'homme n'est jamais obligé en toute sa vie de faire un acte d'amour de Dieu.

Voilà,Ces Maxi­mes sont re­cueil­lies dans la Messieurs, ce que les Jesui­tes ont publié dans leurs Livres, ce qu'ils enseignent dans leurs Confessioneaux, & ce qu'ils pratiquent dans le Monde & dans l'Eglise. Je vous demande main­tenant, si ce n'est pas outrager le fils de [Page 289]Dieu,Mora le prat. & les Jesuites les ont soute­nues dans leur A­pologie que de publier & de pratiquer une Morale si detestable, sous l'auguste & Sacré nom de Jesus? Si ce n'est pas supposer & vouloir faire entendre, que c'est de Jesus, dans son Ecole, & dans sa Compagnie, qu'ils ont apris ces affreu­ses Maximes, en se qualifiant Jesuites & la Compagnie de Jesus? Car si on entend par les Molinistes, ceux qui professent la Doctrine de Molines, par les Janse­nistes ceux qui suivent la Doctrine de S. Augustin, expliquée par Jansenius, que peut on entendre par les Jesuites, que ceux qui font Profession de la Doc­trine de Jesus? Ils font donc Jesus le Saint des Saints, Auteur de leur Mo­rale impure. Et les Chrêtiens, qui a­dorent J. Christ comme le Createur & Redemteur, peuvent ils voir cette profanation & ce blaspheme sans s'é­crier: tolle tolle, qu'on extermine une Compagnie, qui fait un si grand outra­ge à celuy, que nous adorons, & du­quel il est dit, que les Anges du Ciel l'adorent?

Mais il faut joindre à tout cela la gran­de regle de la probabilité, dont les Je­suites se servent ordinairement dans la decision des cas de Conscience: cette re­gle consiste dans I'union de ces quatre [Page 290]Maximes,LaDoc­trine des Je­suites com­battue 1 Vol. & qui servent de fondement à toute leur Morale: La 1. que lors qu'il y a de differentes opinions proba­bles sur quelque point, & que quelques uns soutiênent, que quelque chose est défendue, les autres au contraire, qu'el­le est permise, toutes ces deux opinions sont egalement sûres en Conscience: & quoy que par necessité il y en ait une des deux, qui soit fausse, & contraire à la Loi de Dieu, on ne laisse pas neanmoins d'aller au Ciel par toutes les deux, & aussi bien par la sausse que par la verita­ble. La 2. qu'il est permis de choisir la moins problable de deux opinions, & la moins seure: c'est à dire que lors qu'on est en doute, s'il y a peche dans une ac­tion, ou s'il n'y en a point, & que l'o­pinion, qui soutient qu'il y en a, nous paroit plus probable, en sorte que tout consideré, nous sommes de ce sentiment, il nous est neanmoins permis & seur en Conscienee de faire cette action, que nous croyons plus probablement étre un peché. La 3. qu'une opinion est probable, lors qu'elle est apuyée d'une raison, ou d'une Autorité considerable: & qu'il n'est pas necessaire, que ces deux opinions soient jointes ensemble, l'une [Page 291]ou l'autre suffisant: ils appellent la pre­miere sorte de probabilité intrinseque & la seconde extrinseque. La 4. que selon le sentiment general des Casuistes une opinion est probable, & peut étre communement suivie sans crainte, lors qu'elle est soutenue par quatre Auteurs graves; & que plusieurs enseignent que l'Autorité d'un seul suffit. Or les Je­suites pretendent, que toutes leurs Maxi­mes les plus choquantes & les plus af­freuses doivent passer à la faveur de cet­te regle de la probabilité, qu'on n'y doit faire aucune difficulté, ni plus ni moins que si Jesus Christ avoit parlé du Ciel, & les eut prononcées de sa bouche. Car ce sont des Jesuites qui les ont aprises dans son Ecole. Et cela n'est ce pas une injure atroce faite à la personne adora­ble du Redemteur.

Eustache du Bellay Evêque de Paris avoit connu, que les Jesuites seroient de francs profanateurs du nom Sacré de Jesus. Car ayant demandé dans l'as­semblée de toute l'Eglise Gallicane te­nue à Poissi par ordre du Roi en 1561. que s'ils étoient receus, ils le fussent par forme de Societé & de Compagnie seu­lement, & non de Religion nouvelle, [Page 290] [...] [Page 291] [...] [Page 292]& qu'ils seroient tenus de prendre un autre nom, que celuy de Compagnie de Jesus, ou de Jesuites: cela fut trouvé si raisonnable par toute l'assemblée gene­rale de l'Eglise de France, qu'elle ne les receut qu'à la charge expresse, qu'ils seroient tenus de prendre un autre titre que de Societé de Jesus ou de Jesuites, & sous plusieurs autres conditions, aux quelles ils se soumirent alors par finesse, mais qu'ils n'executerent point depuis; n'ayant pour but alors, que de s'établir dans le Royaume, sçachant bien qu'aus­si-tôt qu'ils y auroient mis le pied, ils pourroient s'en rendre les Maitres, com­me il n'est que trop malheureusement arrivé.

Ce n'est pas tout.De Justitia & jure. Lib. 2. C. 4. N. 47. Les Jesuites vont plus avant. Ils attribuent effrontement à J. Christ leur Doctrine Diabolique des Equivôques. Car le Jesuite Lessius enseigne, que non seulement nôtre Seigneur J. Christ a pû user d'Equivôques en parlant aux hommes, mais qu'en effet il en a usé, voire en niant une proposition de foy; car nous cro­yons, qu'il a sçeu le jour du jugement, il a dons usé d'Equivôque, dit Lessius, lors qu'en S. Marc Ch. 13. v. 32. il a dit Or quand à çe jour-là, nul ne le sçait, non pas les An­ges, [Page 293]qui sont au Ciel, ni aussi le fils.

Le Jesuite Personius enseigne de mê­me, qu'au seul Ch. 8. de S. Jean J. Christ a usé par huit fois d'Equivôques: quand il a dit; Je ne juge personne, je ne cherche point ma gloire, qui garde ma Parole, ne ver­na point la mort. Abraham a veu mon jour & s'en est réjoui: avant qu' Abraham fut je suis &c. Les Jesuites sont les premiers, qui ont attribué à J. Christ de s'étre servi des Equivôques. Depuis les Apôtres jusques aux Disciples de Loyola aucun Docteur de l'Eglise, aucun Heretique ne s'étoit avisé de dire, que les Equi­vôques fussent autorisées dans l'Ecritu­re. Ce blaspheme étoit reservé pour les derniers tems. Il n'y avoit que les Jesuites, qui fussent capables de les met­tre en credit par leur Doctrine & par leur pratique, & qui fussent si impies, que d'en faire Auteur le Temoin fidele & veritable, & qui étant la verité même ne peut mentir. Mais où sont les vrais Chrêtiens, qui oyant ce blaspheme, ne concluent pas que des gens, qui ont perdu tout le respect, qu'ils doivent à J. Christ, en luy attribuant une Doc­trine de mensonges & de fraudes, sont absolument indignes d'étre supportez dans le Monde?

Les Jesuites non contents d'étre ap­pellez Chrêtiens, ont voulu étre appel­lez Jesuites pour paroitre au dessus de tous les Chrêtiens. La verité est, qu'ils ne sont pas même Chrêtiens. Je ne suis pas le premier, qui en ai parlé en ces ter­mes: cela a été dit à Rome même avant que vous ni moy fussions nez: cela a été prononcé par un Cardinal habile & hôneste homme, s'il en fut jamais: non seulement ce Cardinal l'a dit, mais il l'a écrit, & l'a écrit à un celebre Ministre d'Etat, sous le regne de Henry le Grand; c'est le Grand Cardinal d'Os­sat, qui a écrit nettement à Mr.Lettre 7. de Vil­leroi, que les Iesuites ne croyoient pas en I. Christ. Ce ne fut ni ressentiment, ni prejugé, qui luy fit faire ce jugement: c'est la Doctrine & la pratique des Je­suites au sujet de l'assassinat de Jean Chastel, qui le luy firent faire. Il sça­voit, que ceux, qui rejettent J. Christ ne sont pas Chrêtiens, & que ceux, qui rejettent sa Doctrine le rejettent luy même: apliquant ces maximes de J. Christ aux Jesuites, il avoit trouvé que par l'établissement de leur Morale, ils avoient rejetté celle de J. Christ: de là il conclut, qu'ils ne croyoient point [Page 295]en J. Christ. La conclusion n'est elle pas legitime? Pour les convaincre de rejetter la Doctrine de J. Christ par leur Morale, il ne faut que faire un Parallele de leur Morale avec celle du Sauveur, comme elle se void dans l'Evangile se­lon S. Math. Ch. 5. depuis le 27 verset jusques à la fin. Tant s'en faut que J. Christ aprouve, ni le meurtre, ni l'a­dultere, ni le larcin, ni le mensonge, ni aucune sorte de serment; au contrai­re il declare coupable de la gehenne, ce­luy qui aura dit la moindre injure à son frere; il condamne comme adultere ce­luy, qui aura regardé seulement une Femme pour la convoiter: si quelcun nous ôte le manteau, il veut que nous luy laissions le saye, s'il nous frappe en une joue, il veut, que nous luy presen­tions l'autre; il veut que nous nous ab­stenions de tout jurement, & que nous n'employons que l'oui & le nom; & qu'enfin nous soyons si éloignez de ren­dre injure pour injure, que nous benis­sions plûtôt ceux, qui nous maudissent, & que nous prions Dieu pour ceux, qui nous persecutent. Ceux donc, qui com­parerent ces derniers versets du Chap. 5. de S. Math. aux 27 Maximes; que je [Page 296]vous ay produites de la part de la Com­pagnie de Jesus, se pourront ils empê­cher de conclurre, que la Morale des Jesuites est aussi opposée à celle du Sau­veur, que les tenebres le sont à la lumie­res, & que par consequent ils sont plû­tôt les Disciples & les enfans de Belial, qu'enfans & Disciples de J. Christ, & que n'étant rien moins que Chrêtiens, & de la Compagnie de Jesus, les verita­bles Disciples de Jesus doivent consentir, à ce que cette Compagnie soit exter­minée?

Je dis que les Jesuites ne sont rien moins que Chrêtiens. En effet s'ils ont quelque Religion, je suis persuadé qu'ils ont fait choix de la Payêne. Ils en don­nerent une preuve concluante le 20 May 1685. dans leur Procession triom­phante de Luxembourg. Ils l'ont eux mêmes publiée sous le titre de: La Sain­te Vierge Patrone Honorée & Bienfaisante dans la France, & dans le Luxembourg, des­sein de la Procession, qui se fera par les Eco­liers du College de la Compagnie de Iesus à Luxembourg le 29 May 1685. Iour auquel l'image miraeuleuse de Nôtre Dame de Con­solation [...] one du Duché de Luxembourg, & Comté de Chiny sera rapportée de la Capitale de [Page 297]la Province dans sa Chapelle. On aprit dans cette procession quelle est la Reli­gion de ces Peres. Car d'une part on y vid l'image de la S. Vierge portée en triomphe, & même le S. Sacrement: & de l'autre, toute sorte de divinitez pro­fanes, le Dieu Mars, Vulcain, les Cy­clopes, les Najades, Ceres, Flore, Po­mone & autres Divinitez rustiques, sous le nom même de Dieu & de Divinitez.

Pendant que la Procession marcha avec le Saint Sacrement, on rencontra trois Theatres. Le 2 Theatre étoit pour le Dieu Mars, qui commanda à ses guerriers, à Vulcain, Bronte, Ste­rope, Pyracmon & autres anciens Bom­bardiers, de prendre garde de ne plus faire aucune insulte à la Chapelle de Nôtre-Dame de Consolation.

Sur le 3 Theatre on vid paroitre Ce­res, Flore, Pomone, les Najades, les Nymphes des prairies & des bois, se ré­jouir du retour de Nôtre. Dame de Con­solation à la Campagne. Tout le reste se ressemble & se répond tres bien. On ne void que des Genies, c'est à dire, des Demons Familiers, car c'est ce que signi­fie ce terme dans la langue Latine, des Genies de la France, de Luxembourg, [Page 298]des Genies même de l'Eglise & du Chri­stianisme. Apres cela, Messieurs, fe­rez vous difficulté de conclurre, ou que les Jesuites sont Payens, ou qu'ils ne sont rien moins que Chrêtiens; puis qu'ils en profanent si publiquement & si effrontement les Mysteres? Le bon est, qu'un an auparavant la S. Vierge comme Patrone de Luxembourg de­voit empecher les François d'y entrer, dequoy les Jesuites furent caution. Pour cet effet ils demanderent à la ville, qu'on mit entre les mains de la Vierge une clef d'or, pour leur en fermer l'entrée. La fin de tout cela; c'est que les Fran­çois n'ont pas laissé d'entrer dans Lu­xembourg; mais la clef d'or a demeuré aux Jesuites.

Autre preuve du Paganisme des Je­suites, ou du moins d'un esprit de pro­faneté, qui regne dans leur Compagnie, c'est un imprimé, qui a pour titre: Ballet dansé l'an 1686. à la reception de Mon­seigneur l'Archevêque d'Aix. Premiere­ment, que les Jesuites dansent ou fas­sent danser un Ballet, est quelque cho­se de ridicule, & qui choque le bon sens aussi bien que la gravité d'une Compa­gnie, qui se reclame du nom de Iesus. [Page 299]En second lieu, que ce Ballet soit dan­sé à la reception d'un Evêque, & d'un Pasteur, c'est une profanation toute visible de la Mitre & de l'Episcopat. Mais ce qui comble la mesure de la pro­faneté, c'est qu'on ne vid partout que de Divinitez Payênes: Jupiter, Hercu­le, Orphée, Apollon, Esculape, Argus, Mercure, des Genies, des Zephirs, des Songes; la Renommée, la Discorde, les Furies, en sont les principaux Ac­teurs: l'Innocence, la Verité, la Reli­gion n'y paroissent que pour étre des­honorées.

Quelques années auparavant, les Je­suites de la Fleche firent danser le S. E­sprit sous le nom d'Amour divin avec les divinitez fabuleuses. Car pour mon­trer le peu de pouvoir qu'a le S. Esprit sur le Coeur de l'homme, ils luy firent employer Vulcain, les Najades & Mor­phée pour domter un coeur rebelle sans en pouvoir venir à bout. N'est ce pas prouver la puissance du Libre arbitre contre les efforts de la Grace d'une ma­niere à faire fremir une ame, qui a quel­que etincelle de pieté? N'est ce pas un Sacrilege digne du fouet, du pilory, & de la corde?

[Page 300] Arcum Dola dedit Patribus, de dit alma Sagittam, Gallin, quis funem, quem meruêre, dabit?

C'est l'interêt des Juifs,C'est l'inte­lêt des Juifs. Maho­metans & Pa­yens. des Maho­metans, des Payens, en un mot de tous les hommes du Monde; par ce que par leurs Maximes ils ruinent, autant qu'en eux est, la Societé civile, & toute sor­te de commerce en ruinant la sincerité & la bonne foy. Voicy les Maximes par lesquelles ils ruinent la bonne foy, & aneantissent la sincerité.Esco­bar. Theol. Moral. Tom. L. 1.10. Dans les contracts civils celuy, qui s'est obligé exterieu­rement de parole, ou par écrit, & qui inte­rieurement n'a pas voulu s'obliger, ne l'est point en conscience, & peut reprendre en cachette ce qu'il auroit vendu en rendant le prix. Idem tr. 1. exam. 3. C. 7. Dans une opinion probable, que la taxe des Mar­chandises n'est pas juste, on peut user de faux poids pour gagner davantage, & le nier avec serment en usant d'equivôques, lors qu'on en est interrogé par le juge. Idem Tom. 1. L. 1. S. 11. C. 7. Censu­re des Casui­stes pan sa fa­culté del ou [...] vain. Il n'y a aucun peché à contracter un mariage par feinte, en usant d'E­quivôque devant l'Eglise, lors qu'on y est poussé par une grande crainte.

Celuy qui est élevé à une Magistrature, ou à un office public, par une recommendation, ou par un present, pourra avec une restriction [Page 301]mentale prêter le serment, qu'on a accoutumé de requerir par ordre du Roi de semblables per­sonnes, sans avoir aucun égard à l'intention de celuy qui exige ce serment; par ce qu'un hom­me n'est pas tenu de confesser un crime caché.

Supposez, Messieurs, que ces Maxi­mes soient receuës des Juifs, des Maho­metans, des Payens, aussi bien que des Chrêtiens, qui ont été haleinez par les Jesuites, quelle communication & cor­respondance y pourra-t-il avoir des uns avec les autres, quel contract pourront ils passer, quel traitté pourront ils faire, quel commerce pourront ils avoir entr'­eux, puis qu'ayant adopté les Maximes de la Morale Jesuitique, il n'y peut avoir aucune sûreté, mais plûtôt que toute raison de défiance; la bonne foy étant ruinée & la sincerité étant bannie de tous les coeurs? Il faut donc, puis que les Maximes de la Morale des Jesui­tes, rompent tous les liens de la Societé civile, & qu'elles sont un manifeste con­tre tout le genre humain, que les Juifs,Tocsin sonné contre les Je­suites. les Mahometans, les Payens, & tout ce qu'il y a de Chrêtiens & d'hommes sur la terre, sonnent le tocsin contre les Jesuites pour détruire & abolir cette So­cieté:

Ce Tocsin a été déja sonné contr'eux par trois grands Archevêques de Mali­nes,Morale prat. 1 Vol. qui ont possedé cette dignité l'un apres l'autre, & qui sont morts en re­putation de Sainteté. Car le plus an­cien de ces trois Prelats a dit des Jesui­tes;Tocsin sonné contre les Je­suites par 3. Arche­vêques de Ma­lines. Isti homines in principio florebunt, sed postea erunt execratio omni Populo, c'est à dire, cette Societé fleurira au commencement, mais dans la suite, elle sera en execration à tous les peuples du Monde. Son Successeur a pre­dit d'eux; Isti homines turbabunt Eclesiam, c'est à dire; Cette Societé troublera l'Eglise. Et le troisiême a prophetisé; Isti homi­nes fient ut stercus terrae, c'est à dire, cette Societé deviendra comme la fiente de la terre.

Toutes les Universitez de l'Europe,Par toutes les Uni­versitez de l'Eu­rope. celle de Cracovie, de Louvain, de Pa­doue, celle d'Espagne & de France, les Evêques, le Clergé, tous les Ordres Religieux & les Parlemens ont sonné contr'eux le Tocsin, lors que prevo­yant les maux, que leur Societé cause­roit à l'Eglise, & aux Etats, on s'est quasi opposé par tout à leur établisse­ment. La Faculté de Theologie de Paris en particulier dans ce fameux De­cret, dont on ne sçauroit trop parler, sonna bien hautement le Tocsin contre [Page 303]eux en disant; que cette Societé sembloit perilleuse en ce qui regarde la foy, propre à troubler la paix de l'Eglise, à renverser. la Re­ligion Monastique, & née plûtôt pour détrui­re, que pour edifier.

Il n'y a pas jusqu'aux Jesuites mêmes,Par le Jesuite Vite­leschi. qui ne s'en soient mêlez: le fameux Mariana a fait un traitté exprez, où il découvre les defauts, qu'il avoit remar­quez dans leur gouvernement, & il fait voir que dés le tems, qu'il écrivoit, leur Societé étoit tellement defigurée, que S. Ignace même ne l'auroit pas recon­nue, s'il étoit venu au Monde. Et Mu­tius Viteleschi leur sixiême General, faisant reflection sur la facilité criminel­le, avec laquelle ceux de sa Congrega­tion embrassoient toutes les nouvelles opinions, qui alloient (ce sont ses ter­mes) à corrompre & à ruiner la pieté des fi­deles, dit dans une Lettre aux Superieurs de toutes leurs Maisons, qu'il est bien à craindre, que les opinion trop libres de quel­ques uns de la Societé, principalement dans les matieres des moeurs, non seulement ne la ren­versent elle même de fond en comble, mais en­core ne causent de tres grands maux dans toute l'Eglise de Dieu.

Je reviens à Mariana,Par Ma­riana. qui sonne le [Page 304]Tocsin contre la Societé d'une terrible force: Que quelcun, dit-il, soit seulement bien hardy, quelque faute qu'il ait commise, on en demeurera là, pourveu qu'il sçache user de quelque défaite, & trouver quelque cou­verture. Ie laisse à part les crimes les plus gros­siers, dont on pourroit faire un grand denom­brement, & qui se dissimulent, sous couleur qu'il n'y a pas de preuves fuffisantes, ou de peur de faire du bruit, & que ce bruit ne viêne à éclatter. Car il semble, que tout nôtre gou­vernement n'ait point d'autre but, que de cou­vrir les fautes, & de jetter de la cendre dessus, comme si le feu pouvoit manquer tôt ou tard de jetter de la fumée. Si l'on exerce quelque ri­gueur, c'est sur de pauvres malheureux, qui n'ont ni force ni protection, de quoy on a assés d'exemples: les autres feront de tres grands maux, sans qu'on touche seulement à leur Ro­be. Ʋn Provincial, ou un Recteur renversera tout, violera les Regles, & les Constitutions, dissipera les biens, ou même les donnera à ses Parens: le chatiment qu'on luy imposera apres plusieurs années, sera de luy ôter sa charge, & encore le plus souvent on rendra sa condition meilleure. Y-a-t-il quclcun, qui connoisse quel­que Superieur, qui ait été chatié par ces sortes d'excez, pour mei je n'en ai aucune connoissan­ce. Ensuite, apres avoir dit, qu'il se­roit [Page 305]à souhaiter, qu'il y eut dans la So­cieté des recompenses pour les bons, & des chatimens pour les vicieux, il ajou­te: C'est une chose deplorable, & que Dieu permet pour nos pechez, qu'on fasse le plus sou­vent tout le contraire: car parmi nous les bons sont affligez, & même mis à mort sans cause, ou pour des causes tres legeres, par ce qu'on est assûré, qu'ils ne parleront, & ne resisteront point, de quoy l'on pourroit rapporter plusieurs exemples tres funestes: & les mechans sont sup­portés, par ce qu'on les craint, ce qui est une conduite capable, conclud il, de faire que Dieu abyme la Compagnie.

Lors que l'Auteur de la Morale Pra­tique parle en ces termes dans la Preface du 1. Volume:l'Au­teur de la Mo­rale Prati­que. On ne parlera pas icy d'un tres grand nombre d'Histoires, dont on a entre les mains des memoires tres amples, & tres certains, où les noms & les surnoms des parti­culiers, les maisons & les Provinces, & les cir­constances des crimes sont spcifiées, d'une ma­mere qui ne laisse pas le moindre doute dans l'E­sprit, sur les faits, qui y sont rapportez; & qui feront voir, si ces Peres nous forcent de les pu­blier, qu'il n'y a point d'excez, qui ne se com­mette parmi eux: qu'ils abusent de leurs Mis­sions, dans les païs Etrangers, pour tendre des pieges à la chasteté: de la conversation, de la [Page 306]Parole de Dieu, & de la direction des Mona­steres pour corrompre les Vierges consacrées à Dieu, les filles & les Femmes: de la penitence pour pervextir les consciences, de leurs congre­gations & de leurs Colleges pour des êxcez qu'on n'oseroit nommer.

Lors, dis-je, que ce discret Auteur s'explique en ces termes de moderation, il sonne le Tocsin contre la Societé d'u­ne terrible maniere, puis qu'il donne à entendre que toutes les enormitez des Jesuites, & qui sont étalées dans la Mo­rale pratique, ne sont rien à comparai­son de celles, qu'il reserve dans les Me­moires, certains & indubitables, qu'il a par devers luy, & qu'il publiera, s'il y est contraint. S'il y est contraint? Je suis faché de cette parole, car l'interêt de l'Eglise & de tout le genre humain sont des motifs assez puissans, pour obli­ger un Chrêtien à ne pas detenir la veri­té en injustice. Il en a dit pourtant as­sez dans ce peu de paroles contre les Reverends pour obliger tout le Monde à leur courre sus.

Melchior Canus,Par l'E­vêquc des Ca­naries. Evêque des Cana­ries, une des plus grandes lumieres de l'Espagne, a aussi sonné le Tocsin con­tre cette Societé, d'une maniere aussi [Page 307]forte que l'auroit pû faire un Protestant. Ce Prelat illustre ne les vid pas plûtôt paroitre, qu'il crût, que la fin du Mon­de approchoit, & que l'Ante-Christ pa­roitroit bien-tôt, par ce que ses Precur­seurs & ses Emissaires (c'est ainsi qu'il de­signoit les Jesuites) commençoient à paroitre. Il publioit par tout, non seu­lement dans les Conversations & les Conferences particulieres, mais dans ses sermons & ses leçons publiques, qu'il voyoit en eux toutes les marques, que S. Paul a declaré, qu'auroient les secta­teurs de l'Ante-Christ. Et lors que Turrien, qui étoit de ses amis, & qui s'étoit fait Jesuite, le prioit de eesser de persecuter son Ordre; & qu'il alleguoit pour cela l'aprobation que le S. Siege luy avoit donné, il ne luy répondoit au­tre chose, sinon qu'il se croyoit obligé en conscience d'avertir les peuples, com­me il faisoit, qu'ils ne se laissassent pas seduire par eux. C'est le Jesuite Or­landin, le Panegyriste de la Societé, qui nous aprend cette particularité, vray­ment memorable dans l'Image du 1. siecle Lib. 4. Chap. 5. Pag. 496.Par S. Paul. Quand au passage de S. Paul, que le sçavant Evêque des Canaries apliquoit aux Je­suites, [Page 308]c'est le commencement du Chap. 3. de la 2. Epitre à Timothée jusqu'au 13 Verset! Or sçachez, que dans les der­niers jours il viendra des tems facheux. 2. Car ily aura des hommes amoureux d'eux mêmes, avares, orgueilleux, medisans, desobeissans à leurs Peres, ingrats, impies. 3. Denaturez, sans foy, & sans loyauté, calomniateurs, in­temperants, inhumains, sans affection pour les gens de bien. 4. Traitres, insolens, & plus amateurs de la volupté, que de Dieu. 5. Qui auront ane apparence de pieté, mais qui en ruineront la vertu & l'Esprit. Fuy donc ces gens là. 6. Car de ce nombre sont ceux, qui s'introduisent dans les maisons, & qui trainent apres eux comme captives des femmes chargées de pechez, & possedées de diverses passions. 7. Lesquelles apprenent toûjours, & qui n'arri­vent jamais jusqu'à la connoissance de la verité. 8. Mais comme Iannes & Mambres resiste­rent à Moïse, ceux-cy de même resistent à la verité. Ce sont des hommes corrompus, dans l'Esprit & pervertis dans la foy. 9. Mais le progrez, qu'ils feront, auua ses bornes; car leur folie sera connue de tout le Monde, comme le fut alors celle des Magiciens. 12. Tous ceux qui veulent vivre selon pieté en I. Christ, seront persecutez. 13. Mais les Mêchans & les imposteurs se fortifieront de plus en plus dans le [Page 309]mal, seduisans les autres & étant seduits eux mêmes. Plus j'ay consideré ces Paroles de S. Paul, plus j'ay demeuré persuadé, que l'Evêque des Canaries avoit raison, de les apliquer comme il a fait à la Com­pagnie de Jesus; car il n'y a pas un seul trait dans ce tableau, qui ne luy conviê­ne parfaitement: de sorte que selon le sentiment de ce Prelat S. Paul est le pre­mier, qui a sonné le Tocsin contre les Jesuites.

Il n'y a pas jusqu'aux Religieuses qui ne s'ensoient mêlées.Par S. Hilde­garde. S. Hildegarde son­na le Tocsin, contre cette Societé sous le Pape Jean XXIII. 1415. par cette Prophetie memorable, que voicy, com­me elle est rapporté par Sovius au Tom. XV. de fes Annales Eclesiastiques: Il s'élevera des gens, qui s'engraisseront & se nourriront des pechez du peupte; ils feront Pro­fession d'étre du nombre des mendians; ils se conduiront, comme s'ils n'avoient ni honte ni pudeur: ils s'étudieront à inventer de nouveaux moyens de faire le mal: de sorte que cet ordre pernicieux sera maudit des sages, & de ceux qui seront fideles à J. Christ. Le Diable enra­cinera dans leurs coeurs quatre vices principaux: la flatterie, dont ils se serviront pour attirer le Monde à leur faire de grandes largesses: l'en­vie; [Page 310]qui fera qu'ils ne pourront soufrir qu'on fasse du bien aux autres: l'Hypocrisie, qui les portera à user de dissimulation pour plaire aux autres: & la medisance, à la quelle, ils auront recours pour se rendre plus recommen­dables en blamant tous les autres. Ils prêche­ront sans cesse aux Princes de l'Eglise sans de­votion, & sans qu'ils puissent pretendre aucun exemple d'un veritable martyre, afin de s'atti­rer les louanges des hommes, & de seduire les simples. Ils raviront aux veritables Pa­steurs le droit d'administrer les Sacremens aux peuples. Ils enleveront les aumônes aux pau­vres, aux miserables & infirmes. Ils se mê­leront pour cela parmi la populace; ils contrac­teront familiarité avec les Femmes, & leur aprendront à tromper leurs maris, & à leur donner leur bien en cachete: ils recevront li­brement toutes sortes de biens mal acquis, en promettant de prier pour ceux, qui les leur don­neront; voleurs de grands chemins, larrons, concussionaires, usuriers, fornicateurs, adulte­res, Heretiques, schismatiques, apostats, sol­dats dereglez, marchands, qui se parjurent, enfans des veuves, Princes, qui vivent con­tre la Loi de Dieu, & generalement tous ceux, que le Demon engage dans une vie molle & li­bertine, & conduit à la damnation Eternelle: tout leur sera bon.

Or le peuple commencera peu à peu à se re­froidir pour eux; & ayant reconnu par expe­rience, que ce sont des seducteurs, il cessera de leur donner; & alors ils courront autour des maisons comme des chiens affamez & enragez, les yeux baissez, retirant le cou comme des vau­tours, cherchant du pain pour se rassasier. Mais le peuple leur criera; malheur à vous enfans de desolation; le Monde vous a seduits; le Diable s'est emparé de vos coeurs & de vos bou­ches, vôtre Esprit s'est egaré dans vaines spe­culations: vos yeux se sont pleu dans les vani­tez du siecle; vos pieds été vite, & legers pour courir à toute sorte de maux. Souvenez vous, que vous ne pratiquiez aucun bien, & que vous faisiez les pauvres, & que cependant vous étiez riches; les simples & que vous étiez puissans; que vous étiez de devots flatteurs, de Saints Hypocrites, des mendians superbes, des supli­ans effrontez, des Docteurs legers & inconstans, d'humbles Orgueilleux, de pieux endurcis sur les necessitez des autres, de doux calomnia­teurs, de pacifiques persecuteurs, des amateurs du Monde, des ambitieux d'hôneur, des ven­deurs d'indulgences, des semeurs de discorde, des martyrs delicats, des Confesseurs à gage, des gens, qui disposoient toutes choses à leur com­modite, qui aimoient les ayses & la bonne che­re, qui achetoient sans cesse des maisons, & [Page 312]qui travailloient sans cesse à les élever; de sorte que ne pouvant plus monter plus haut, vous étes tombez comme Simon le Magicien, dont Dieu brisa les os, & qu'il frappa d'une playe mortelle à la priere des Apôtres. C'est ainsi que vôtre Ordre sera détruit à cause de vos se­ductions & de vos iniquitez. Allez Docteurs de peché & de desordre, Peres de corruption, Enfans d'iniquité: nous ne voulons plus écou­ter vos Maximes, ni suivre vôtre conduite.

Un autre sonneur du Tocsin contre cette Societé;Par l'E­vêque de Bal­bastro. c'est Don Jerôme Bati­ste de la Nuza de l'Ordre de S. Domini­que, Evêque premierement d'Albara­zin, & ensuite de Balbastro, lequel à fait un ample commentaire sur la Pro­phetie de Sainte Hildegarde, & qui fait voir, que tout ce qui est dit, convient parfaittement aux Jesuites.

Un autre sonneur de Tocsin contre la Societé,Par le Cardi­nal Bor­romée. c'est S. Charles Borromée Archevêque de Milan, qui ôta aux Je­suites le seminaire qu'ils y avoient éta­bli: car ce Prelat étoit trop charitable & trop bon de son naturel, pour avoir fait ce déplaisir à cette Compagnie, s'il n'eut pas connu sensiblement le danger, qu'il y avoit de leur confier la jeunesse; mais il étoit aussi trop zelé pour ne [Page 313]point avertir toute l'Eglise par son exemple, qu'il ne falloit plus soufrir des gens, qui pensoient plus à leurs interets qu'à ceux de l'Eglise, & à l'agrandisse­ment de leur Societé, qu'a l'avancement du Regne de J. Christ.

Vous ne trouverez pas mauvais,Par l'Au­teur. Mes­sieurs, qu'étant animé par tant d'exem­ples, & des exemples d'un si grand e­clat, je me mêle aussi de sonner le Toc­sin contre la Societé: mais n'attendez de moy rien d'extraordinaire. Je n'ay ni songé des songes, ni veu des visions, ni n'ay jamais rien sceu de l'Astrologie Judiciaire: j'irai seulement mon grand chemin: je poserai des principes, dont tout le Monde tombera d'accord, d'où je tirerai des conclusions, qui seront pour le moins des conjectures vrai-sem­blables, que cette Societé ne peut pas le porter gueres loin, & qu'elle est proche de sa fin. Le premier Principe est un Proverbe du plus sage de tous les Rois,1. Pre­sage l'Or­gueil. l'Orgueil va devant la ruine & precede l'ecra­sement. C'est un Oracle d'un Prophe­te: il y a un jour assigné de la part du Dieu des Armées contre toute Montagne, & contre tout cote haut & élevé, contre les cedres du Liban h uts & élevez, & contre les chesnes [Page 314]du Bacan. C'est un arrêt du fils de Dieu: quiconque s'éleve, sera abaissé. Maintenant considerez je vous prie jusques où les Jesuites se sont élevez, le point d'arro­gance, ou ils sont montez, l'Esprit d'Or­gueil, dont ils sont possedez. Ils se sont élevez au dessus de tous les Chrêtiens, par le nom de Jesuites: ils veulent par là qu'on croye, qu'ils sont attachez plus étroitement à J. Christ, que tous les au­tres Chrêtiens, qu'ils ont une commu­nion plus intime avec. luy, qu'ils sont de la confidence & du Cabinet, & qu'ils ont le Privilege, ou un semblable à ce­luy de l'Apôtre favori, qui s'apuyoit sur le sein de Jesus. Ils ont fait imprimer l'Image du premier siecle, qui est le Pane­gyrique de leur Societé avec cette image au frontispice, de laquelle la Societé est representée comme une jeune Fille, qui a au dessus de sa tête trois Anges, qui la couronnent de trois Couronnes, l'une, de la Virginité, l'autre de la Doctrine, l'autre du Martyre. Tous les titres glorieux, & tous les éloges, que l'E­criture donne à l'Eglise, sont attribuez dans ce Livre à la Compagnie de Jesus: c'est l'Epouse de Dieu, son heritage, son jar­din de delices, son precieux joyau, sa nation [Page 315]Sainte: de sorte que ces paroles du Pseau­me, Cité de Dieu, on a dit des choses glorieu­ses de toy, car le tres Saint t'a fondée, se doi­vent entendre de la Compagnie de Je­sus. Ils sont la lumiere du Monde, le sel de la terre, le fleau des heresies, la terreur du vice, le modele de la vertu. Il n'y a qu'eux qui sont vraiment in­faillibles, ils sont l'Urim & le Tummin du Nouveau Testament. Ce sont eux qu'il faut consulter. Ils ne font pas scru­pule de dire,Morale prat. 1. Vol. que Dieu ayant parlé à plu­sieurs fois, & en plusieurs manieres à nos Pe­res par les Prophetes, il a parlé en ces derniers jours par S. Ignace, lequel il a établi heritier de toutes choses. Ils se sont élevez au des­sus des Loix de leur fondateur, lesquel­les ils n'observent point, au dessus des Bulles du Pape, dont ils se môquent, au dessus de celles de l'Eglise, au dessus de celles du fils de Dieu. Car les Jesuites donnent la permission de tuer pour évi­ter la honte d'avoir receu un souflet, & Jesus veut qu'apres avoir receu un sou­flet, on en attende patiemment un au­tre. Les Jesuites disputent, & cherchent des raisons, afin qu'apres avoir enduré le souflet, on poursuive & l'on tue ce­luy, qui l'a donné. Et Jesus au contraire [Page 316]met le bonheur de ses Disciples dans les soufrances. J. Christ veut qu'on bail­le même la tunique à celuy, qui nous ôté la robe, & les Jesuites veulent qu'on tue un homme, qui s'enfuit, quand même nous serions en doute, si nous le pourrions recouvrer par une voye plus douce. Ils s'élevent donc au dessus du Fils de Dieu: ils poussent donc l'Or­gueil plus loin que Lucifer; car lors que le Tentateur seduisit nos premiers Parens, il ne leur fit pas esperer, qu'en mangeant du fruit défendu, ils seroient au dessus de Dieu, mais seulement, qu'ils luy seroient semblables. Les Jesuites sont allez plus avant, non contents d'é­tre semblables & conformes à J. Christ, en obeissant à ses Loix, ils ont eu l'au­dace de s'élever au dessus en renversant ses Loix les plus sacrées.

Que dites vous à cela, Messieurs? Cro­yez vous, que les Jesuites puissent de­meurer longtems dans ce degré d'Or­gueil, où ils sont montez, apres avoir oui l'éclat du tonnerre, qui menace tous les superbes d'abaislement, de rui­ne & d'écrasement? Vous me direz peut étre, que je ne raisonne pas juste, puis que l'experience est contre moy, [Page 317]me faisant voir, que les Jesuites sont montez à ce degré d'Orgueil, dés qu'ils ont paru au Monde, & que cependant ils n'ont jamaïs tant fleuri qu'à present. Mais cela même, qu'il y a longtems, que les Jesuites sont animez du même Esprit d'Orgueil, qui nous étonne si fort aujourdhuy, me persuade, que la ruine, qui les menace, est sur le point de fon­dre sur eux; puis qu'il n'est pas possible, que les arrets de la justice divine soient, ni éludez, ni revoquez, ni retardez.

Le second principe,2 Pre­sage, la souve­raine prospe­rité. que je pose est qu'une grande & parfaitte prosperité ne dure pas. Et que le même moment, qui ar­rete son acroissement & sa montée, com­mence sa descente & son deperissement. Il en va justement de la grande prospe­rité des Societez humaines, comme de la santé du corps humain. Les Medecins tiênent que lors qu'elle est arrivée au plus haut point de sa vigueur, c'est un état dangereux, par ce qu'il ne dure pas, & qu'il est toujours suivi de grandes maladies, & le plus souvent de la mort. C'est ce qui se pourroit prouver par l'induction de toutes les Societez, qui ont fait le plus de bruit dans le Monde, je veux dire les Republiques, & les Ro­yaumes, [Page 318]& mieux encore par l'exemple des Societés moins nombreuses, comme sont les familles des grands & des Souve­rains, qu'on a veu descendre du faiste le plus élevé de la Fortune, les unes peu à peu, les autres tout d'un coup, com­me emportées par un tourbillon, ou consumées par le feu du Ciel. Or je soutiens, que la prosperité de la Com­pagnie de Jesus est aujourdhuy au plus haut degré, où elle puisse monter. Je croy bien que les Jesuites ne m'accorde­ront pas cette proposition; par ce qu'ils ont l'Ambition d'Alexandre le Grand, qui ayant poussé ses conquêtes jusques aux Indes, fut affligé de ne trouver plus de Païs à conquerir: mais il n'est pas juste que des insatiables en soient creus. Il n'y a point de prosperité, qui n'ait ses bornes & sa durée, il n'y en peut avoir d'infinie ni d'éternelle. C'est sur ce pied­là qu'il faut juger de la prosperité des Je­suites. Je soutiens encore une fois, ue le degré d'élevation, où ils paroissent au­jourdhuy, est le supreme & le dernier; qu'il faut qu'ils prênent maintenant la peine de descendre; puis qu'ils ne peuvent demeurer en repos, & qu'ils ne peuvent plus monter. Car que leur faut il pour [Page 319]pouvoir dire, qu'il manque encore quelque chose à leur prosperité? N'ont ils pas des richesses immenses? n'en ont ils pas assez pour conter parmi leurs Pensionnaires des Princes & des Rois. N'offrirent il pas aux Venitiens cinq cens mille Ducats pour les recevoir dans leur Republique? S'ils ne sont pas in­vestis personnellement de toutes les Di­gnitez de l'Eglise, n'en disposent ils pas presque partout? Y a-t-il presque ou Evêque, ou Archevêque, ou Cardinal, qui ne soient leurs Creatures. Ne sont ils pas les Maitres des Conseils de pres­que tous les Rois? Ne font ils pas les Edits & les declarations, d'où depend la destinée des peuples. Ne sont ils pas les distributeurs en recompenses, les ar­bitres de la guerre & de la paix? Ils ne sont pas contents encore, me direz vous. Je le voy bien, qu'ils ne sont pas con­tents, & je dis de plus, qu'ils ne le se­roient pas, quand il y auroit un Jesuite sur le S. Siege, quand tout le College des Cardinaux ne seroient que Jesuites, quand il y auroit un Jesuite sur le Trô­ne d'Angleterre, un autre sur celuy de France, un autre sur celuy d'Espagne, un autre sur celuy de l'Empire, un au­tre [Page 318] [...] [Page 319] [...] [Page 320]sur celuy de Constantinople, ce qui ne se verra jamais, quelques folles que soient leurs esperances. Mais leur mé­contentement ne procedant que de leur avidité insatiable, n'empeche pas, que leur prosperité ne soit au plus haut point de grandeur, où dés gens de robe & de petit collet puissent monter, & que je ne sois en droit de sonner le Tocsin une se­conde fois contr'eux, & de les assûrer de la part de la raison, qu'un revers equi­table de la Providence, les culbutera bien-tôt. Vous riches, pleurez maintenant, hurlant pour les miseres, qui vont tomber sur vous. Vos richesses sont pourries, vos veste­mens sont devenus tous rongez de tignes, vôtre or & vôtre argent est enrouillé, & leur rouille vous sera en temoignage, & mangera vôtre chair comme le feu. Vous avez amassé un tresor pour les derniers jours.

Le 3.3. Pre­sage, l'extre­me su­persti­tion. Principe est l'Idolatrie, que les Jesuites ont portée à son comble. Car il n'y a rien que Dieu regarde avec tant d'horreur, qu'une superstition outrée, & qu'une Idolatrie qui ne garde point de mesures, & qui n'a point de bornes. Que les Jesuites soient coupables de cet excez, je ne veux que le seul livre de leur Pere Crasset, répondant aux avis [Page 321]salutaires. C'est un Prelat, qui avoit donné ces salutaires avis pour reprimer les excez, qu'il voyoit commettre par les Catholiques dans leurs devotions envers la St. Vierge. Le Jesuite Cras­set sontient, qu'on n'en sçauroit trop faire, & pour cet effet il entasse fable sur fable. Il est bon, Messieurs, que vous en entendiez quelques-unes, afin qu'il vous prêne envie de sonner le Toc­sin contre cette Societé. Les pecheurs, dit ce Jesuite, étant les sujets de la Sainte Vierge, ce sont eux, qui luy forment une Couronne, & c'est pour cela qu'el­le les aime d'une amour de tendresse, & de compassion, quelques mêchans qu'ils puissent étre, comme une Mere a pitié de ses enfans.Crasset part. 1. traitté 1 C'est ce qu'elle a revelé à S. Brigitte: sçachez, dit elle, ma fille, qu'il n'y a point d'homme si mêchant & si mau­dit de Dieu, qui soit entierement abandonné de sa misericerde. Il n'y a pas de pecheur si de­sesperé, qui ne retourne à Dieu, & ne trouve misericorde, po [...]veu qu'il ait recours à moy. S. Bonaventure est dans le même senti­ment, & le declare par ces paroles con­solantes: ô Marie, quelque Miserable, que soit un pecheur, vous avez pour luy des ten­dresses de Meres, vous l'embrassez, vous le ser­rez [Page 322]contre vôtre sein virginal, & vous ne l'a­bandonnez point, que vous ne l'ayez reconci­lié à son juge formidable. En voicy des preuves convainquantes.Idem. Theophile d'Adanas, ville de Cilicie, ayant été de­posé de sa charge d'Archidiacre, accusé d'y a­voir mal versé, de rage s'alla donner au Dia­ble, par l'entremise d'un Juif Magicien, dont il se servit, il renonça à Marie & à son fils Jesus, & en donna cedule au Demon signée de sa main: il revint de la desesperé de ce qu'il avoit fait; mais dans ces agitations de coeur & d'esprit, il luy vint quelque moyen d'esperan­ce, que la Sainte Vierge le pourroit tirer de ce malheur. Il va donc dans son Eglise, il se prosterne devant son image, il implore son se­cours, la Vierge l'exauça, elle le reconcilia à Dieu, & obligea le Diable à luy rendre sa Ce­dule. Un Jeune Gascon, Soldat de Profession, aprez avoir mangé son bien s'étoit donné à Satan & avoit renoncé à J. Christ; mais n'ayant pas voulu renoncer à la Sainte Vierge, quelque instance que luy en fit le Demon, cela luy valut le par­don de son Apostasie. Car s'étant allé prosterner devant l'image de la Vierge, qui te­noit l'image de Jesus entre ses bras, il entendit ce Dialogue entre ces deux images de la Mere & du Fils. La Mere dit à Jesus: [Page 323] ô mon Fils tres doux, ayez pitié de cet homme. Le Fils répondit: que voulez vous, que je fasse à ce miserable, qui m'a renoncé. Le jeune homme vit apres cela la S. Vierge, c'est à dire son image, qui se prosternoit aux pieds de son Fils, c'est à dire son i­mage, elle luy demandoit sa grace; & aussi-tôt le Fils relevant la Mere, luy dit: Ma Mere, je ne vous ay jamais rien refusé, je le veux: bien je luy pardonne, pour l'amour de vous.

Une Fille appellée Beatrix servante d'un Convent, s'étant debauchée avec un Prêtre, & étant sortie du Convent, courut les bordels quinze ans, pendant lesquels la Vierge prit sa figure & servit le Convent, afin qu'on ne s'aperceut point de l'absence de Boatrix, & que son hôneur ne receut aucune atteinte. Et cela par ce qu'elle avoit prié la Vierge en sortant, & luy avoit dit, en luy remet­tant les clefs du Convent en main: Ma­dame je vous ai servie le plus devotement que j'ai pû; je vous remets vos clefs; je ne puis plus supporter les tentations de la chair.

Une Femme commettoit adultere avec un de ses voisins, la Femme de ce­luy, qui faisoit cette infidelité, pria la Sainte Vierge de confondre cette mal­heureuse [Page 324]creature, qui luy debauchoit son mari; mais il se trouva, que cette impudique disoit son Ave Maria sept fois par jour. Et c'est pourquoy l'image de la Vierge répondit à la Femme, & luy dit: celle dont tu parles, m'offre des Louanges, qui me sont tres agreables: pendant qu'elle fait cela, je ne puis pas travailler à sa confusion; au contraire, je la preserverai de honte, toutefois je la convertiras.

Un voleur de grand chemin ayant jû­n'e les sammedis à l'hôneur de la Vierge, un jour qu'il fut pris & decapité sur le lieu même, sa tête en volant de dessus le corps se mit à crier par trois fois Confes­sion, Confession, Confession. On alla cher­cher un Prêtre, le Prêtre venu remit la tê­te qui avoit été coupée, les Demons s'é­toient jettez sur son ame pour l'entrai­ner aux Enfers; mais que la Sainte Vierge avoit empeché, qu'elle ne se se­parât de son corps jusqu'à ce qu'il se fut confesse, & qu'elle luy avoit obtenu cette grace pour avoir jûné les samme­dis à son hôneur.

Tous ces recits alleguez par le Jesuite Crasset, & plusieurs autres de même estoffe, que je laisse, justifient ce que j'ay avancé, que les Jesuites ont outré la su­perstition, [Page 325]& pousse l'Idolatrie au delà de toutes les bornes: car que peut on desirer d'avantage en fait de preuves; puis que ces recits font voir nettement, que ce n'est rien de fouler aux pieds les commandemens de Dieu, pourveu qu'on soit devot à la Vierge, que pour­veu qu'on ait recours à la Vierge, quand on auroit renoncé J. Christ, & qu'on se seroit engagé avec le Diable par ecrit, on sort facilement de cet abime; & qu'en un mot dans quelque impieté, où l'on soit tombé, on evite les suplices éternels, pourveu qu'on soit devot à la Vierge! N'est ce pas élever la Sainte Vierge au dessus de Dieu le Pere & de son Fils Eternel? N'est ce pas la faire maitresse absoluë des pecheurs? N'est ce pas faire du Paradis & du grand Con­seil de Dieu, une Cour semblable aux Cours des Rois de la terre, où ordinai­rement les Femmes peuvent tout, & où les plus enormes crimes trouvent de la tolerance, & de l'impunité par la fa­veur des Femmes? Eh quelles Fem­mes, Juste Ciel! Je fremis, quand je voy, que la Sainte Vierge fait l'office de ces Femmes-là, dans les recits que je vous ai faits. Apres cela, je ne puis m'em­pecher [Page 326]de sonner le Tocsin, contre la Societé une troisiême fois: car voyant d'un côté la superstition outrêe des Je­suites, & leur extreme Idolatrie, dans le livre de leur Pere Crasset, & d'un au­tre voyant que Dieu menace dans sa loi de Visiter l'iniquité des Peres sur les enfans jus­qu'à la troisiême & quatriême generation, sur ceux qui le haissent. Estant seur que cet­te iniquité, dont la Loi parle, c'est l'Ido­latrie défendue dans les premiers Arti­cles, & que ceux qui le haissent, sont les Idolatres, violateurs de cette Loi, je ne me puis empecher de conclurre, que le Dieu fort & jaloux ne peut tarder guere plus à détruire cette Societé adul­tere.

Je ne voy pas, Messieurs, que vous puissiez opposer à ce que je viens de dire, que deux choses: l'une, que ces fables étoient repanduës & cette Idolatrie au­torisée dans l'Eglise Catholique Ro­maine avant la Naissance de Loyola, & que par consequent, je ne puis tirer contre la Societé aucun presage, ni au­cune conclusion de mon principe: l'au­tre, que ce n'est que le Pere Crasset, qui paroit coupable de cette Idolatrie, & qu'il n'est pas juste d'envelopper tout le [Page 327]corps dans la condamnation d'un seul membre. Mais ces deux objections n'ôtent rien de la force de mon presage, non la presniere; car Dieu traitte bien differemment l'Idolatrie commise dans un temps de tenebres, & celle qui est commise dans un temps de lumieres. Ce­lui qui sçait la volonté du Maitre, & qui ne lafait pas, sera battu de plus de coups. Le Je­suite Crasset avoit été averti de la volonté du Maitre, par les avis Salutaires de la Vierge à ses devots indiscrets. C'est un E­vêque Catholique Romain, qui est l'Auteur de cet ouvrage, ou qui du moins en a éte l'aprobateur. Ces avis ont retenti par tout: le Jesuite Crasset les a ouis; mais il n'en a pas profité: bien loin de là refuté ces avis Salutai­res. Dieu n'aura donc pas en ce tems pour l'Idolatrie des Jesuites, le même support qu'il a eu, avant la naissance de Loyola, qui étoit un tems d'ignorance & de tenebres: Non la seconde; car il n'en est pas des livres des Jesuites comme de ceux de tous les autres Auteurs. Tous les Jesuites Auteurs dependent si absolu­ment de leurs Superieurs, qu'ils ne peu­vent avoir ni encre ni papier sans une expresse permission: ils ne peuvent pas [Page 328]donc mêtre au jour un livre, qu'on ne puisse, & qu'on ne doive imputer à toute la Compagnie. Et ignorez vous, Messieurs, l'obcissance aveugle qu'ils doivent à tous les Superieurs depuis le General jusques aux Recteurs des Col­leges? D'ailleurs, si apres que le Livre du Jesuite Crasset eut veu le jour, il eut été censuré & condamné, la Compagnie seroit disculpée; mais ne l'ayant point fait, elle demeure toute entiere enve­loppée dans la même condamnation. Enfin le Livre du P. Crasset n'a-t'il pas été imprimé à Paris avec aprobation de sa Compagnie, avec celle de l'Arche­vêque de Paris, & par permission du Roi? je ne puis donc, que je ne sonne le Tocsin contre cette Societé plus fort que jamais, & que je ne conclue, que bien-tôt on en verra la fin.

Le 4. Pre­sage, l'extre­me perse­cution. Principe est la Persecution: car il n'y a rien de si opposé au genie de la grace Evangelique, que l'esprit per­secutant, ni apres le blaspheme & l'Ido­latrie rien que Dieu ait tant en horreur, ni qu'il ait puni d'une maniere plus ter­rible. Les exemples de la justice ven­geresse de Dieu sur les persecuteurs sont en si grand nombre, qu'il s'en feroit un [Page 329]Livre assez épais. Le Livre intitulé, Presages de la decadence des Empires, en fait un de ses plus grands Articles, c'est un Livre digne de vôtre curiosité. Or deux choses sont constantes, l'une que les Jesuites n'ont été autorisez par les Papes, qu'à la charge, qu'ils s'employe­roient de tout leur pouvoir, à la propa­gation de la foy, & qu'un des moyens de cette propagation est la guerre con­tre les Heretiques, jusques à les exter­miner; l'autre, qu'il ne s'est pas fait une persecution contre les Lutheriens & les Calvinistes, en un mot contre ceux qu'on appelle du titre general Pre­testans, ou Heretiques, dont les Jesuites ne soient coupables, ou pour l'avoir con­seillé, ou pour avoir fourni les moyens de l'executer. Je suis assuré qu'ils ne se plaindront pas que je leur impose, & qu'ils ne se recrieront pas, que c'est une calomnie: car c'est une affaire dont ils se font un grand merite & un honneur. Mais cela posé, ils sont coupables de tout le sang, qui a été épandu depuis plus de cent ans, de tous les massacres faits en Hollande, en Ecosse, en Angle­terre, en France, dans le Païs-bas, dans [Page 330]la Savoye, dans l'Alemagne, dans la Hongrie, dans la Pologne, de tous ceux qu'on a fait mourir par tout, ou sur les Echafauts, ou dans les prisons, ou dans les galeres, ou sur la mer. Et si le sang d'un seul Abel crie si fort con­tre Cain, que Dieu estemeu de ce cri, & prend connoissance de co parricide pour le punir, quel cri ne fait pas tant de sang répandu par tout de tant de Chrêtiens, contre qui on n'a autre sujet de haine, que celui, que Cain crût avoir contre son frere, c'est d'avoir offert des sacrifices, qui avoient été plus agrea­bles à Dieu que le sien? Cain ne le por­ta pas loin, il fut bien-tôt puni pour avoir épandu le sang de son frere. Quel­le apparence y a-t-il que Dieu laisse plus long tems impunie la mort tragique d'un si grand nombre de Chrêtiens, dont la Compagnie de Jesus est notoirement coupable? Puis que cette Compagnie subsiste, & regne encore par tout, il faut que sou iniquité ne soit pas encore accomplie, comme celle des Amorrheens, & qu'elle n'ait pas encore comblé la mesure. Mais il est fort vraisemblable de dire, qu'elle est plus qu'à demi pleine, & qu'elle est [Page 331]fort avancée. On m'a assûré qu'en Espagne ils ont depossedé depuis peu les Dominicains de l'Office de l'Inquisi­tion. Voilà pour eux une belle occa­sion de faire perir tous les jours bien d'Innocens. Il n'y a pas long tems qu'ils ont fait mourir trois Princes, s'il en faut croire la voix publique, le Roi d'Angleterre Charles II. le dernier E­lecteur Palatin, Frere de Madame la Duchesse d'Orleans, & le Prince de Conty gendre du Roi tres-Chrêtien, par ce qu'il avoit obtenu de sa Majesté, la revocation de la permission de faire main basse sur les Huguenots, que le P. la Chaise avoit obtenue. Vous voyez, Messieurs, qu'ils pressent extremement les affaires par tout, & qu'en Angleter­re, ils ne laissent pas quasi à sa Majesté Britannique, la liberté de respirer. Leurs pieds n'ont jamais été si legers à répandre le sang, qu'ils le sont aujourdhuy. Cro­yez moy, c'est une marque, qu'ils sont fort prez de leur ruine, ils y courent, & s'y precipitent. Les plus grands maux, qu'ils avoient à faire sont faits. Leur Orgueil s'est élevé jusques au Ciel, La Morale ne sçauroit étre plus cor­rompuë [Page 332]qu'elle l'est: l'Idolatrie ne sçau­roit étre plus grossiere: l'esprit de per­secution ne sçauroit étre ni plus cruel, ni plus profane & impie, qu'il l'est à present; puis que l'on fait prendre par force la S. Hostie aux nouveaux con­vertis, c'est à dire, à ceux qui sont les plus mal disposez, & qui sont les plus indignes de s'aprocher de leurs Autels, & de participer à leurs Sacrez Mysteres. En un mot, ils ne sçauroient épandre un sang plus noble que celuy qu'ils ont versé. Le sacré sang de Bourbon, & de Stuart, crie vengeance, & presse la Justice de Dieu contre cette Societé meurtriere. Le jour approche, au quel on verra contr'eux accomplie la pre­diction du Fils de Dieu contre les Pha­risiens: tout le sang, qui a été épandu depuis Abel le juste, viendra sur vous jusques au sang de Zacharie Fils de Barachie, que vous avez mis à mort entre le Temple & l'Autel. Ils n'épargnent pas le sang de leurs Catho­liques mêmes, lors qu'ils ne sont pas à leur gré, & qu'ils ne peuvent pas les fai­re venir à leur point. Les Jesuites de Tholose massacrerent impitoyable­ment le President Duranti. Les Seize [Page 333]de Paris, le P. Pichenat à leur tête, fi­rent pendre le President Brisson. Ils firent mourir de poison le Pape Sixte V. par ce qu'il avoit découvert le fin de leur Politique. Et le traittement,Miroir dutems passé. qu'ils firent au Duc d'Espernon, Pere du Car­dinal de la Valette fut pire que la mort. Ils publierent par toute la France, qu'il étoit un Heretique, un Athée, qui a­voit été au sabath avec les sorciers, & qui avoit fait la Cene de nuit avec les Huguenots: ils en vinrent à cette fu­reur, que de le peindre avec des Cor­nes, hideux comme un Diable, qui tente S. Antoine aux deserts, & que de rendre ces portraits si à la mode & si communs, qu'on en voyoit dans toutes les boutiques. Toutes ces vio­lences commises indifferemment par­tout sans distinction de Catholiques & d'Huguenots, & aujourdhuy aussi bien qu'autrefois, contribuent à remplir la mesure fortifient mon presage, & me font conclurre, que la Societé n'a gue­res plus de chemin à faire, & qu'elle se­ra bien-tôt au bout. On a veu la fin de quelques autres Ordres Religieux, pour quoy ne pourroit en pas voir celle des Jesuites?

Mais de quel côté,Mo­yens de détrui­re la So­cieté. & par où viendra cette fin tant desirée & si avantageuse au Monde & à l'Eglife? il est fort apparent de dire, que leur ruine commencera en France, comme ce fut en France, que leur Societé prit naissance, & qu'elle jetta ses premiers fondemens, comme je l'ai déja remarqué dans mon 2. discours. D'ailleurs elle a fait en France plus de desordres, elle y a commis plus de par­ricides, elle y a versé plus de sang, que partout ailleurs. Vraiscmblablement ce sera en France, que la vengeance di­vine commencera de leur demander conte de leur Politique violente sangui­naire & imple. Toutes les apparences sont contraires à ma conjecture, je le voi bien. La Compagnie de Jesus est aujourdhuy la favorite en France. Tou­tes les autres Compagnies soit seculieres, soit Religieuses, quelques anciênes qu'elles soient, & quelques services qu'elles ayent rendu à l'Etat, sont au­jourdhuy dans le rebut. Les Jesuites seuls possedent la faveur du Prince. Ils sont les dispensateurs de ses graces. Ils tiênent le haut bout dans son Conseil. Mais l'experience nous a fait voir que [Page 335]le titre de favori est un mauvais guarant de la bonne fortune, & la faveur une possession mal assûrée.

Une petite reflection, que le Roi pourra faire sans un grand effort, suffi­ra pour donner du dessous à cette fiere Compagnie, & pour prendre une fer­me resolution, d'en purger son Oratoi­re, d'en nettoyer son Conseil, & d'en delivrer pour jamais le Royaume par un second arrêt de bannissement.

Si justice étoit faite à ces Reverends Peres, ils n'en seroient pas quittes à si bon marché. Ils seroient traittez pour le moins comme les Templiers, lesquels Philippe le Bel fit passer de ce Monde en l'autre, par un feu plus réel que celuy du Purgatoire. Quel tort leur feroit on puis qu'en qualité de Jesuites, il n'y a point d'Enfer pour eux, comme je l'ai déja remarqué, & puis qu'ils trou­vent apres cette vie, un lieu plein de deli­ces, rempli de fleurs & d'odeurs tres douces, où l'on n'est point affligé de ce que l'entrée du Para­dis est differée, une prison noble & honorable selon Bellarmin, ce ne sont que de Jardins & de champs fleuris, où tous les sens sont char­mez. Quel tort dis-je leur feroit on, [Page 336]quand on les envoyeroit dans un lieu si charmant, & qu'ils soutiênent étre tel, qu'ils le décrivent, par des revelations. J'ay eu la curiosité de voir l'Histoire de la condamnation des Templiers compo­sée par feu Mr. Dupui Bibliothecaire du Roi, il paroit par le proces, qui leur fut fait & parfait, qu'ils aprouvoient le larcin, la fornication, la Sodomie, qu'ils ne croyoient point le Mystere de la Re­demption, qu'ils adoroient la tête d'un mort, & que dans la forme de recevoir les nouveaux Religieux, ils leur faisoient baiser le derriere au Superieur & telles autres ceremonies, qui font voir, que Dieu les avoit livrez à un sens reprou­vé. Je vous ai fait voir aussi, Messieurs, que les Jesuites autorisent le larcin, & toutes les souilleures imaginables, que dans la Chine ils supriment la Croix de Christ, & adorent les Idoles des Chi­nois. Et pour ce qui est des ceremo­nies, il n'y a rien de si affreux que leur chambre de Meditations, ni de si sale que le Livre de leur P. Sanchez. Mais il y a deux choses, qui rendent les Je­suites plus coupables, que les Tem­pliers: l'une, que les Templiers ne [Page 337]commettoient leurs vilainies & impietez qu'en secret, leur conviction n'ayant pû se faire sans beaucoup de peine, au lieu que les Jesuites ont publié leurs hor­ribles Maximes appellées avec raison par l'assemblée du Clergé de 1656. la peste des Consciences: l'autre, que les Tem­pliers n'entreprirent jamais sur la vie des Rois, au lieu que les Jesuites ont été plusieurs fois atteints, & convaincus de cet abominable attentat. Je conclus donc, que si on les traittoit dans la ri­gueur de la justice, ils subiroient un ar­rêt semblable à celui, qui fut donné contre les Templiers sous Philippe le bel du consentement du Pape Cle­ment. V.

Je ne voudrois pourtant pas, qu'on exercât envers eux toute la rigueur du droit, par ce que je ne cherche que la tranquilité de l'Etat, & la seureté de la personne du Roi; laquelle se pourroit trouver dans un bannissement perpe­tuel, ou dans quelque autre voye. C'est une chose étonnante, que le Roi ait pû se resoudre à accabler les Protestans de son Royaume, sans en avoir jamais re­ceu aucun sujet de mécontentement, & [Page 338]qu'il puisse soufrir des gens, qui se sont ingerez dans les affaires de son Conseil, qui sont si fortement engagez envers le Pape, & qui enseignent & pratiquent des Maximes de Morale si contraires à la pureté de l'Evangile, au bien de l'Etat, & à la sûreté de la personne de sa Maje­sté. C'est une chose étonnante, qu'on ait veu finir vers la fin du siecle passé l'Ordre des Humiliez, par ce que l'un d'eux assassina le Cardinal Borromée, & que la Societé des Jesuites subsiste en­core convaincue de tant de parricides. L'Ordre des Humiliez fut aboli par le Pape Pie. V. suivant la resolution de l'Assemblée des Cardinaux, quelque in­stance que le Roi d'Espagne fit au con­traire. Mais les Papes n'ont pas fait la moindre demarche contre l'Ordre des Jesuites avec son sacré College, a­prez avoir veu quatre Jesuites Varade, Gueret, Guignard & d'Aubigny atteins, & convaincus du crime de Leze Maje­sté au premier chef. Si est ce que le Roi Henry le grand valoit cent mille fois plus, & que le Cardinal Borromée, & que tous les Papes, & que tous les Cardinaux, qui ont été, & apparem­ment [Page 339]qui seront. Cela fait voir & sen­tir, que ce n'est pas de la Cour de Ro­me qu'on doit attendre, la punition, que meritent les Jesuites. Il faut que le Roi la fasse luy même pour sa propre sûreté; & si sa Majesté reconnoit ses veritables interets, elle ne tardera pas long tems.

C'est une affaire, où sa Majesté ne trouvera pas lamoindre difficulté. Car il ne s'agit pas de forcer les Jesuites à ab­jurer les Maximes affreuses de leur Mo­rale, ni à changer de Religion. Elle sçait maintenant qu'il y a dans cette en­treprise, des difficultez sans comparai­son plus grandes, qu'à prendre des pla­ces bien défendues, & qu'à conquerir des Provinces; la Conscience ne re­levant que de Dieu, qui est le Maitre absolu des coeurs, quand on entreprend de faire changer de creance, & de faire embrasser un culte, contre lequel on est prevenu, par un principe aussi fort que l'est la Parole de Dieu, on trouve une resistance plus forte infiniment, que toute la puissance des Monarques les plus absolus, par ce que c'est Dieu luy même à qui l'on a affaire. Mais dans le [Page 340]bannissement des Jesuites, sa Majesté sera secondée de Dieu, qui benira son dessein, & de dix parties de ses sujets, il est seur que les noeuf se rejouiront, & beniront Dieu de voir le Royaume dé­chargé d'une Compagnie, qui est re­gardée depuis long tems, comme per­nicieuse à la Societé civile, aussi bien qu'à la Religion de J. Christ.

Que s'il étoit à craindre, que les Je­suites bannis, outrez de depit & remplis de rage, instruits, comme ils le sont, dans les affaires, ne fussent capables de causer un grand prejudice au Royaume, par le moyen des habitudes, qu'ils y laisseroient, sa Majesté peut prendre une voye, qui produira le même bien, que le bannissement perpetuel, & qui ne sera pas suivi du même inconvenient. C'est de donner ordre, de prendre tous les Jesuites par un coup de filet en un seul jour, de les constituer tous prison­niers, faire de leurs maisons & de leurs Colleges autant de prisons, murer les portes & les fenetres, & faire si bien qu'aucun ne peut sortir, les faire gar­der à veuë, chacun dans sa cellule aux dépens de leurs revenus, & leur donner [Page 341]à manger tout leur saoul, comme on le donne aux Chartre eux, & cela durant toute leur vie. Par ce moyen le Roi delivrera son Etat d'une Compagnie, qui ne pense qu'à s'agrandir aux dépens des sujets & des Souverains, & qui est plus au Pape & à la Maison d'Austriche, qu'à l'auguste Maison de Bourbon, la quelle ils n'aiment point du tout, quel­que semblant qu'ils en fassent. Le Roi sçaura par leurs papiers saisis, mille cho­ses, qui regardent son Etat, & celuy de ses voisins, il trouvera des tresors & des revenus, dont sa Majesté pourra recréer la pauvre Noblesse, recompenser ceux qui l'ont servi utilement, soit dans les Armées, soit ailleurs, elle en pourra même soulager ses peuples, qui sont fou­lez, & augmenter considerablement ses finances.

C'est un bien, que j'espere autant que je le desire. Et dans cette espe­rance, Messieurs, je prendrai icy con­gé de vous, & le donnerai à la Compagnie de Jesus, par ce Rondeau, que j'ai veu au­trefois avec plaisir à la tête des Lettres Provinciales, & qui pourra faire fort à propos la fin de la Politiques des Jesuites: [Page 342]

Retirez vous pechez; l'adresse sans seconde
De la troupe fameuse en Escobars feconde
Nous laisse vos douceurs, sans leur mortel venin:
On les goute sans crime, & ce nouveau che­min
Meine sans peine au Ciel, dans une paix pro­fonde.
L'enfer y perd ses droits; & si le Diable en gronde,
On n'aura qu'à luy dire: allez, esprit im­monde,
De par Bauny, Sanchez, Castro, Gans, Tambourin,
Retirez vous.
Mais ô Peres flateurs, sot, qui sur vous se fonde;
Car l'Auteur inconnu, qui par Lettres vous fronde,
De vôtre Politique â decouvert le fin;
Vos probabilitez sont proches de leur fin:
On en est revenu. Cherchez un nouvea [...] Monde:
Retirez vous.

Addition immediatement avant celui qui parle de l'interêt de la France.

C'Est l'interêt de la Hollande.C'est l'inte­rêt de la Hol­lande. Car comme ce beau Païs est le centre du commerce, il faut que les Hollan­dois fassent leur conte, que les Jesuites y ont leur bonne part, & qu'ils y sont engagez plus avant qu'on ne pense. Ce qui leur est d'autant plus aisé que les Papistes y vont publiquement à la Mes­se & à la Ville & aux champs, & que même en quelques-unes de leurs plus belles villes, il y a plus d'une Maison de Jesuites. Que ne fairont ils pas contre ce florissant Etat, s'ils trouvent l'occa­sion qu'ils cherchent avec ce zele ardent dont la fureur a produit par tout le Monde de si tragiques effets? Et que ne doit on pas craindre d'une Compa­gnie terriblement puissante, qui est re­pandue par toute la terre, qui fait pro­fession ouverte de travailler à detruire l'Heresie du Nort, qui enseigne à ses de­vots, [Page 344]vots, qu'il ne faut point tenir la foy aux Heretiques, & qui par sa pratique constante a fait voir, que ce manque de foy est la plus inviolable maxime de sa Morale, & le point fondamental de sa Religion?

FIN.

TABLE.

De la puissance des Iesuites dans.

  • L' ALlemagne. 17
  • Amerique. 43
  • Angleterre. 36, 37. &c.
  • La Chine. 48. &c.
  • L'Espagne. 9
  • La France. 20, 36
  • Japon. 46
  • Pologne. 48
  • Portugal. 13
  • Suede: la triste avanture qui leur y arri­va. 49, 50
  • Leur general au dessus du Pape gou­verne tout le Monde. 51, 53
  • Leur droit sur tous les Trônes de l'Uni­vers. 65

Des Moyens dont les Iesuites se sont servis pour parvenir à cet­te souveraine puissance.

  • IGnace Loyola lour fondateur. Sa premiere profession. 5, 71
  • [Page 346]Ses visions. Se fait Chevalier de la Sain­te Vierge. 71
  • Premier trait de la Politique des Jesui­tes, de ne se dire pas Loyolites mais Jesuites. 74, 75
  • 2. Trait de leur Politique, ils se sont éle­vez au dessus de tous les Ordres Religieux. 76
  • Au dessus des Apôtres. 77
  • Au dessus de Moïse. 78
  • Au dessus de tous les Conquerans. 79
  • 3. Trait: leurs privileges accordez. 80
  • Leurs privileges usurpez. 81
  • Ils ne peuvent étre damnez. 82
  • Et delivrent du purgatoire ceux qui les suivent. 85
  • 4. Trait de leur Politique: Ils ont aban­donné les regles de leur fondateur. 85
  • 5. Trait: se sont rendus les Maitres de la richesse qui n'est pas le moindre a­vantage de leur Politique. 86
  • 6. Trait: ils ont double regle, l'une pa­roit, l'autre ne paroit pas. Exem­ples de cette Politique. 88
  • Nejunent pas le carême, non pas même la semaine Sainte. Plaisant recit sur ce sujet. 90
  • Conte contre les Carmes sur le mê­me [Page 347]sujet du Docteur Patin. 91
  • 7. Trait de leur Politique: 3 Sortes de Jesuites. 92
  • 8. Trait de leur Politique: d'employer les plus beaux esprits dans les affai­res du Monde. 94
  • 9. Trait: moyens par où leur General est informé de tout ce qui se passe dans le Monde. 95
  • 10. Trait: ils sont secrets & le moyen dont ils s'assurent les uns des au­tres. 97
  • 11. Trait: ils sont soubconnez d'avoir commerce avec le Diable. 98
  • Prouves de cela. 101, 102, 103 104, 105, 106 107, 108
  • 12. Trait de leur Politique ils sçavent tirer avantage de leurs actions les plus infames. 110
  • 13. Trait de leur Politique: est d'étre impudens au Souverain degré: plu­sieurs exemples. 112, 113, &c.
  • 14. Trait de leur Politique: d'avoir corrompu la Morale Chrêtiene. 121, 122, 123
  • 15. Trait de leur Politique: de s'étre saisis de l'Infaillibilité. 62, 63, 64
  • [Page 348]16. Trait de leur Politique: La ma­niere dont ils traittent les pecheurs dans les Confessionneaux. 126
  • 17. Trait de leur Politique: d'attirer le Monde a leur Confessionneaux, & les moyens qu'ils employent pour cela. 132
  • 18. Trait de leur Politique: d'envoyer partout des Jesuites travestis. 133
  • 19. Trait de leur Politique: d'étre flat­teurs & complaisans. 145, 146, &c.
  • 20. Trait de leur Politique: de chasser de leur Societé ceux qui ne sont pas Zelez pour son avancement. 152
  • 21. Trait de leur Politique: de punir les scandaleux de leur Compa­gnie, par les envoyer aux Indes. 155
  • 22. Trait de leur Politique: d'étre Pa­yens avec les Payens. 156, 157 158, 159
  • 23. Trait de leur Politique: n'avoir point de regle fixe de leur condui­te. 163

Des Vices, qui ont rendu les Ie­suites l'aversion de tout le Monde.

  • LEur Vanité & Orgueil insupporta­ble. 169, 171
  • Dequoy ils ont receu des mortifications. Recits plaisans. 173, 174, 175 176, 177
  • Leur Galanterie. 178, 179, 180
  • Leur negoce & traffic. 192
  • Faux monoyeurs. 198
  • Leur Chicane contre les Benedictins. 202, &c.
  • Leur avorice qui les a portez à des excez horribles. 212, 213, 214, 215 216, 217, 218, 219 220, 221, 222 223, 224, 225

Il est de l'interêt de toutes les Societez que celle des Iesuites soit dissipée.

  • CEluy des Moines. 230
  • Celuy des Evêques. 333
  • [Page 350]Celuy du Pape. 240
  • Celuy de tous les Souverains. 243
  • Celuy de la Hollande. 343
  • Celuy du Roi de France. 246
  • Les Jesuites introduits dans le Royau­me par un mechant homme que le Diable emporta. 256
  • Apres leur bannissement du Royaume ils y furent rappellez par un me­chant homme. Ce qui fut un mau­vais presage. 258
  • Celuy de l'Angleterre. 259
  • Celuy du Roi d'Angleterre. 262
  • Celuy des Marchands. 266
  • Par ce que les Jesuites sont Banquerou­tiers. 267
  • Celuy des Riches. 273
  • Celuy des Pauvres. 274
  • Celuy des Peres. 276
  • Celuy des Enfans. 276
  • Celuy des Femmes & des Maris. 278
  • Celuy des devots à la S. Vierge. 280
  • Celuy des vrais-Chrêtiens par ce qu'ils ont renversé la Morale Chrêtiene. 284
  • Et qu'ils ne sont pas Chrêtiens. 296
  • Celuy des Juifs, des Mahometans, des Payens. 300
  • [Page 351]Tocsin sonné sur les Jesuites. 301
  • 1. Par 3 Archevêques de Malines. 302
  • 2. Par toutes les Universitez de l'Eu­rope. 302
  • 3. Par les Jesuites mêmes. 303
  • 4. Par l'Auteur de la Morale pratique. 305
  • 5. Par des Evêques. 306
  • 6. Par S. Paul. 307
  • 7. Par S. Hildegarde. 309
  • 8. Par le Cardinal Borromé. 312
  • 9. Par l'Auteur, qui donne quatre pre­sages de la ruine prochaine de la Societé. 313
  • 1. Presage. 313
  • 2. Presage. 317
  • 3. Presage. 320
  • 4. Presage. 328
  • Et deux Moyens pour en delivrer la France. 334
Fin de la Table
[...]
[...]

Fautes d'impression.

Il y a plusieurs fautes que le Lecteur corrigera de luy même, étant de la nature de celle, où le mot d'Epion est mis par quatrefois pour Espion.

Page 8. ligne 14. Gregoire VII. p. 9. l. 3. Prince lisez Principatue. p. 9 l. 5. effa­cez, & p. 43. l. 10. lisez apres un point. Constamment ce. p. 43. l. 17. sule li­sez, belle. p. 71. l. 3. étant lisez, ayant. p. 112. l. 9. pilleurs lisez, pecheurs. p. 115 l. 17. jour lisez part. p. 127. l. 23. ajoutez, quand on est assûre. p. 136. l. 29. dernier lisez, de nier. p. 141. l. 10. Char­les II. lisez, Charles I. p. 167. l. 17. cen­sée lisez, causée. p. 168. l. 20. y contra todos my, lisez, y my contra todos. p. 171. l. 22. Capitaine lisez, Capitan. p. 176. l. 18. au lisez, du. p. 186. l. 24. lisez, la Cour est un Eden. p. 189. l. 5. raison lisez, Oraison. p. 197. l. 13. pardonné lisez, ordonné, p. 264. l. 26. & vivre, lisez, l'a livrée. p. 274. l. 20. consulta­tion lisez, consolation. p. 280. l. 12. recueils, lisez Ecueils. p. 289. l. 10. Mo­lines, lisez Molina.

AVERTISSEMENT.

L'Auteur ayant consideré les Prévarications du Pere de la Chaise &c. comme une piéce fugi­tive, il l'a jugée digne d'estre conservée avec soin, tant pour la forme que pour la matiére, & il a creu que le Lecteur ne seroit point faché de la voir attachée icy, pour la grande affinité qu'el­le a avec la Politique des Jesuites, sur tout avec l'article, où il est traité des intérests de la France, & du Roy Trés-Chrétien.

Au reste l'Auteur ayant sçû, comme il eut fini son Ouvrage, [Page 354]que S. A. S. Monseigneur le Prin­ce d'Orange se disposoit à passer dans ce Royaume avec une Ar­mée, & pressenti que le change­ment, que la presence de ce grand Prince y fera vray-semblable­ment, donnera lieu à faire des re­flexions importantes à tous les Chrêtiens sur la conduite Jesuiti­que du P. Petters, il a été tenté d'en differer la publication, aprés qu'il auroit vû le grand effet, que produira une expedition qui a surpris & étonné toute l'Euro­pe, afin de joindre la fourberie impudente de ce Jesuite au su­jet de la supposition du Prince de Galles, avec les Prevarications du P. la Chaise. Mais comme cette supposition fausse ou veritable, intéresse l'honneur aussi bien [Page 355]que la liberté de toute la Grand Bretagne, il a craint qu'on ne trouvât à dire à son zele préci­pité, s'il s'ingeroit à écrire sur une affaire qui n'est pas termi­née, ni éclaircie dans les for­mes, & que des plumes mieux taillées que la sienne traiteront & plus légitimement & avec in­comparablement plus de force qu'il n'auroit fait.

AƲ PAPE.

SAint Pere vous voulez faire venir à Rome,
Le bon Pere la Chaise estimant qu'il soit homme,
Un peu trop remuant pour les Droits de son Roy,
Et vous croyez cela, comme article de foy.
Avoir ce sentiment d'un homme si paisi­ble?
Ah! Saint Pere, qui se pourra,
Persuader aprés cela;
Que le Pape soit Infaillible?

PREVARICATIONS DU PERE DE LA CHAISE CONFESSEUR DU ROY,
Au préjudice des Droits & des Interets de Sa Majesté.

LA Perfidie a esté de tout temps en horreur aux gens de bien; mais elle devient encore plus noire & plus odieu­se, quand elle a pour objet des Person­nes d'un Merite, d'une Vertu, & d'u­ne Qualit'e suréminente. Que le Pere de la Chaise ne respondit par aux inten­tions d'un meschant Prince, qui recom­penseroit le vice par les Biens & les Di­gnitez de l'Eglise? il n'y auroit pas lieu de s'en étonner, & son procedé trouve­roit de quoy s'excuser dans la qualité de Confesseur & dans la profession d'un homme qui se dit Religieux de la Com­pagnie de Jesus. Mais que ce Jesuïte par de lasches égards, & pour des Interets particuliers trahisse les Droits & les Inte­rets de Loüis le Grand, c'est-à-dire, du Meilleur, du plus Equitable, & du mieux [Page 358]Intentionné de tous les Roys, qui dans la dispensation des Benefices n'a en veüe que le merite & la vertu. Que ce Je­suïte, dis je, trompe ce grand Prince con­tre la fidelité qu'il luy doit, qu'il ruïne tous les jours ses droits, par des Preva­rications Manifestes: c'est ce qui n'est point du tout excusable & contre quoy tous les fideles sujets de Sa Majesté doi­vent crier, mais crier si haut, que cette trahison aille jusqu'aux oreilles de ce Monarque.

On va donc faire voir à tout le Royau­me, dans le contenu de ce Mémoire, la perfidie, & l'infidelité de cet homme, qui sans aucun égard aux obligations qu'il a au Roy son Maître, ny à celles de son Ministere qui le rend Promoteur des Droits de Sa Majesté détruit & ruïne par une lâche Politique ces mêmes Droits qu'il devroit soûtenir & augmenter au peril de sa vie.

Mais parce qu'on pourroit soupçon­ner de calomnie les faits que l'on va mettre en avant, l'Auteur de ce Memoi­re pour éloigner ce soupçon prie ce grand Dieu qui voit dans le coeur de l'homme, & qui deteste l'imposture & la menterie, de le fraper de tous les traits de sa colere, [Page 359]& l'accabler de tous les fleaux imagina­bles, si dans cet écrit il avance quoy que ce soit, qui ne soit tres-constant & tres­veritable.

Voicy donc les faits que l'on met en avant.

LE Sieur Pinsson Advocat au Parle­ment de Paris, homme intelligent & zelé pour les interets du Roy, a donné depuis long-temps au P. de la Chaise un Mémoire de quatorze Abbayes, six de l'ordre de Clerveaux, & huit de Cîteaux, ausquelles il fait voir que le Roy a droit de nommer, comme à toutes les autres Abbayes de son Royaume; le P. de la Chaise a permis qu'on ait pris des Bre­vetz pour les six de Clerveaux, & n'a jamais voulu (quoy que ce soit le même droit) qu'on ait touché à celles de Cî­teaux, pour des Egards & des Conside­rations qu'il a pour l'Abbé dudit Cî­teaux.

Le Sieur de L'Angeron Maulevrier Comte de Lyon, du depuis Aumônier de Madame la Daufine ayant presenté au P. de la Chaise un Mémoire qui prouve évidemment que le Roy a droit de nom­mer à l'Abbaye du Miroir en Bresse, comme ayant été supprimée contre toute [Page 360]sorte de droit; le Pere de la Chaise luy dit que sa Chambre étoit pleine des Pla­cets qu'il avoit receus pour la même af­faire, mais que personne n'auroit cette Abbaye: sur quoy ledit Sieur de L'An­geron l'ayant prié d'agréer qu'il la de­mandât au Roy, sur l'offre de poursui­vre à ses propres frais le droit de Sa Ma­jesté, vous le pouvez, luy dit le P. de la Chaise mais le Roy vous renvoyera à moi, & je l'empêcheray.

Cette Abbaye du Miroir a été suppri­mée, & ses Revenus unis à Cîteaux, pour fournir à la reparation du dommage que le feu y avoit fait par l'embrasement d'un corps de Logis. On laisse juger s'il est per­mis de supprimer à perpetuité, une Abbaye sous prétexte de semblable accident, qui peut être reparé en peu de temps par la Con­tribution de tous les membres de l'Ordre. Secondement, cette Ʋnion a été faite sans la participation des Fondateurs Laïques qui sont les Seigneurs de Coligni: en troisiéme lieu, la Bulle d'union n'a point été fulmî­née dans le Diocese de Lyon, où l'Abbaye est située; 4. Peut-on supprimer des Pre­latures dont le Roy est le perpetuel Pro­tecteur?

Le Memoire presenté au Pere de la Chaise contenoit toutes ces raisons d duite & prouvées au long, mais le Pere de la Chaise étant Confesseur du Roy & Dire­cteur de sa conscience, veut encore être Moderateur de ses droits.

Le Sieur Dumas Prêtre ayant pro­duit au P. de la Chaise un titre par lequel il conte que l'ancien Comte d'Auvergne au droit duquel le Roy succede, doit nommer au Prieuré de Sauvia, le P. de la Chaise dit que ce titre étoit bon & en fit accorder le Brevet audit Dumas: mais le Sieur de Foudras, Comte de Lyon, a­my du P. de la Chaise ayant du depuis paru avec le droit du pourveu par l'Ab­bé de la Cluse en Piedmont, le P. de la Chaise dit aux Srs. Pinsson & Derieu A­vocats au Parlement de Paris, qu'il se se­roit bien gardé de faire donner le Brevet sur ce Titre, s'il eût sçeu qu'il eût deu faire préjudice audit Sieur de Foudras. En suite de quoy il a fait durer cette af­faire quatre années, pour lasser ledit Du­mas, & l'obliger à tout abandonner, quoy qu'il soûtient le droit du Roy.

On prie le Lecteur de faire un peu de reflexion sur la naîveté ou plûtót la securité de ce Jesuite: on dira sans doute qu'il s'ex­pose [Page 362]bien de parler de la sorte: bagatelle, il faut bien qu'il soit assuré de son baston, puis qu'il dit à ceux qui s'offrent de pour­suivre les droits du Roy à leurs propres frais, qu'il l'empêchera.

On a balotté ledit Sr. Dumas, si long­temps & d'une si étrange maniére qu'on fe­roit par terre le Voyage des Indes, des pas & des courses qu'il a faites pour cette affaire.

Que quelqu'un s'avise aprés cela quand il aura découvert quelque droit pour le Roi, d'en porter les titres au P. de la Chaise.

Le Sieur Pinsson Avocat qui a fait plu­sieurs Ouvrages pour les droits du Roy. ayant decouvert celuy que Sa Majesté a de nommer au Prieuré de S. Felix, com­me étant Conventuel Electif de l'Ordre de S. Augustin, & en ayant obtenu le Bre­vet pour un de ses Fils: un nommé Be­raut ou Bertaut, qui avoit été recom­mandé par les Jesuites de Lyon, ayant par avance les Provisions de l'Abbaye de Saint Ruf. le P. de la Chaise fit donner encor à ce dernier un Brevet pour le même Bene­fice. La même chose a été faite pour le Prieuré d'Anglefort en Bresse, dont le Sr. Reydelet à present Curé de Nantua, étoit premier Brevetaire: ainsi le P. de la Chaise outre l'injustice qu'il fait à ceux qui de­couvrent [Page 363]des droits pour le Roy, enga­ge Sa Majesté à des Variations contraires à cette grande égalité d'Ame, qui éclate en toutes ses actions, & laquelle parmy ses autres grandes qualitez, le distingue de tous les Monarques.

On fait prendre ces seconds Brevetz. a­fin que le dernier Brevetaire, lequel est toûjours appuyé par le P. de la Chaise ait part au gasteau, & tire plume ou aisle du Benefice: Aussi il arrive toûjours que le premier pourveu est ou obligé de ceder le Titre, ou de donner une grosse pension, comme a esté contraint de faire le Curé de Nantua sur le Prieuré d'Anglefort.

Le Sieur de S. George Comte de Lyon, s'entretenant un jour avec le P. de la Chaise & étant venu à parler du Prieuré de S. Marcel-les Châlons qui vaut dix­mille livres de rente, le P. de la Chaise luy dit que le Comte de Varennes qui le possedoit & qui étoit alors dangereuse­ment malade, feroit fort bien d'en dispo­ser, car s'il mouroit sans le resigner, in­failliblement le Roy y nommeroit: en suitte duquel avis ledit Prieuré a été resi­gné. En effet le Roy a droit de nommer à ce benefice comme étant une veritable Abbaye fondée par Gontrand Roy de [Page 364]Bourgogne: Ainsi la Resignation qui en a été faite n'a pû prejudicier au droit du Roy: le Jesuite n'y a point eu d'égard.

Ʋn Jesuite a dit au Sieur de Mailly Re­ligieux de S. Victor lez Paris, que l'on a­voit presenté au P. de la Chaise plus de dou­ze placets pour cette affaire, avec offre de poursuivre le droit du Roy. On laisse à pen­ser si le Pere de la Chaise fait voir ces sortes de Placets à Sa Majesté & s'il ne les fait pas voir, n'est-il pas évident qu'il trahit par cette supression les Intérêts du Roy son Maître?

Le Sieur Chevalier Religieux de S. Victor, ayant fait presenter au P. de la Chaise la fondation du Prieuré de Vieille­brioude, dans laquelle il est porté en ter­mes exprés, que ce benefice est une veri­table Abbaye, & que les Chanoines Ré­guliers qui y doivent être au nombre de vingt, éliront leur Abbé: par où il conte que ce Benefice est Electif, & partant de la nomination du Roy, le Pere de la Chaise n'y a point voulu entendre.

Le bon Homme tient pour maxime & le pratique, que le Roy doit avoir nommé du moins une fois à un Benefice pour y pouvoir établir son droit de nomination. On laisse juger aux habiles gens, des Consequences de cette Maxime.

Le Sieur Chastain ayant mis en lumié­re LA VERITABLE Explication du Concordat, qui fait voir que le Roy a droit de nommer à un trés-grand nombre de Prieurez où Sa Majesté ne nommoit pas, Ouvrage approuvé par dix Avocats du Parlement de Paris, & Sa Majesté ayant nommé des Commissaires pour l'exami­ner, le Pere de la Chaise voyant que ce Livre alloit contre l'Intérêt des princi­paux Collateurs, avec lesquels c'est pour luy un point de Religion de se ménager, il a fait échoüer cette affaire par les cruel­les persécutions qu'il a toûjours faites à l'Auteur, & par de longueurs concertées avec M. de Paris, lesquelles l'ayant épui­sé l'ont enfin obligé de se retirer.

Le Sieur Bocager Professeur de Droit, ayant eu communication de cet Ouvrage, & voyant de même que le Pere de la Chaise donnoit atteinte à la Possession des plus puis­sans Collateurs du Royaume, n'osa point dans cette vûë joindre son Approbation à celles des Srs. Doujat, Patru, Pinsson, Chuberê, Gueret & autres, mais fit dire par le Sieur de Bar audit Chastain que cet­te affaire étoit bonne, & qu'il la poursuivit hardiment & sans relâche.

Deux Religieux Benedictins ayant lû ce [Page 366]Livre quî découvre un grand nom béé d'Abbayes, sous prétexte qu'elles ont êté soûmises à des Abbayes Majeures, se trou­vent à présent contre le propre Titre de leur fondation, & sans le Concours des deux Puissances Ecclesiastique, & Seculiére re­duites en Prieurez: ces deux Religieux ayant penetré les Consequences de cet Ou­vrage qui fait voir que le Concordat donne au Roi la Nomination de ces sortes de Be­nefices, dirent au Sieur Methuras Librai­re: Que si l'Auteur leur eût communiqué son Manuscrit avant que de l'imprimer, ils lui auroyent donné dix mille francs pour ne le pas mettre sous la Presse.

Sur quoy il est important à Sa Majesté de sçavoir que cet Quvrage étant impri­mé, ledit Chastain a été plus d'un an sans pouvoir parvenir à le présenter à Sadite Majesté. Que s'étant pour cela addressé trois fois au Duc de Noailles Capitaine des Gardes avec lettres de Recommanda­tion au Sr. Bouchet amy dudit Duc, il ne voulut jamais le presenter, mais dépêcha l'Abbé de Noailles son frere; du depuis Evêque de Cahors, pour prier ledit Sieur du Bouchet de se départir de la prote­ction qu'il donnoit audit Chastain, & lui dire, que quoy que cet Ecclesiastique pût [Page 367]faire, ou écrire â l'avantage du Roy, que c'étoit peine perduë, parce que le Pere de la Chaise rendoit tous ses travaux inuti­les.

Le Sieur de Serignan Major des Gar­des a dit la même chose audit Sieur du Bou­chet & à Madame sa Femme.

Sur quoy il est important que le Roy sçache, qu'un Jesuite a dit au Sieur le Clerc Chanoine de Belay, résidant à Pa­ris pour affaires, que ledit Chastain avoit par son Ouvrage découvert & étably un droit trés-avantageux à Sa Majesté, mais qu'il s'étoit perdu, ayant attaqué les Puis­sances lesquelles avoient remontré au P. de la Chaise le grand Préjudice que ce Li­vre leur feroit.

Ledit Sieur. le Clerc ayant un jour pre­senté un mémoire à ce Jesuite qu'il n'a pas voulu nommer, par lequel mémoire il pro­posoit de concert avec ledit Chastain quel­que chose d'avantageux pour le Roy; Ne vous joignez point à cet homme-là, luy dit ce Jesuite tout troublé d'entendre nommer ledi [...] Chastain: c'est un homme qui s'est perdu, nous n'oserions ouvrir la bouche pour luy. J'ay vû son Ouvrage, c'est un habile homme, je le plains, il a découvert un Droit trés-avantageux pour le Roy, mais il s'est [Page 368]perdu sans ressource, ayant attaqué les Puis­sances. Ces Messieurs les Collateurs, ces gros Abbez viennent tous les jours crier au P. de la Chaise contre le Livre qu'il a fait, ne me parlez point de cet homme-là, c'est un homme qui s'est perdu.

Avant cela le Sr. Renaud Secretaire de M. de Mascon avoit donné de la part du­dit Chastain au Frere Julien Jesuite, une fondation qui découvroit le Droit du Roy sur un nombre considérable de Prebendes; laquelle fondation ledit Frere Iulien, ayant à la recommandation dudit Sieur Renaud presenté au Pere de la Chaise il luy dit de même qu'il ne luy parlât point de cet hom­me-là, qu'il s'étoit perdu par l'Ouvrage qu'il avoit fait.

Nouvelle & inoüie maniére de se perdre! Louïs le Grand qui a fait de si belles expe­ditions pour ses alliez, sçait-il qu'un de ses susets se soit perdu en écrivant pour ses Droits & pour ses Avantages? Non sans doute il ne le sçait pas.

Il est encore important que le Roy ap­prenne que le Sieur Pommereu, Prévôt des Marchands, étant un jour chez M. de Paris & ayant vû sur la table ce Livre de l'Explication du Concordat, ce Prélat luy dit que cet Ouvrage étoit bon, mais [Page 369]que l'Auteur avoit fait des Vers qui luy faisoient du mal.

C'étoit une requête en Vers que l'Au­teur avoit adressée au Roy, Intitulé Le Mort déterré ou Droit de Nomination à un Benefice Ressuscité. L'Auteur pourvû d'un Benefice considêrab. e auquel il faisoit voir que le Roy avoit Droit de Nommer, ne pouvant obtenir des Commissaires par l'obstacle que le Pere de la Chaise y faisoit, s'avisa de faire cette Requête en vers, qui fut lûë jusques dans la Chambre du Roy: ce qui irrita si fort le Pere de la Chaise qui s'y crût désigné: qu'il a du depuis fait la guer­re à feu & à sang à l'Auteur. On a crû de­voir icy mettre cette Requête tant pour di­ventir le Lecteur, que pour le faire Iugs des ressentimens de ce bon Pere.

MORT DETERRÉ, OU DROIT DE NOMINATION A un Benefice ressuscité.

AU ROY.

JE suis un de vos Droits contre lequel l'on gronde,
De ce qu'il s'en va droit à vôtre Majesté,
Qui depuis peu de temps, étant resluscité,
Vient dire ce qu'on dit, de Vous en l'autre monde.
On y fait un grand bruit, Sire de vos Exploits;
Les bords de l'Acheron en resonnent sans cesse,
Mais on y dit encor, & ce bruit m'interesse,
Qu'aucun Prince ne fut plus Jaloux de ses Droits.
Cet agréable bruit flattant mon Espérance,
M'a fait tout d'un plein saut sortir de mon cercueil,
Et j'ay crû tout enflé d'allegresse & d'orgueil.
Qu'étant un de vos Droits, vous prendrez ma défense.
Je viens donc ô Grand Roy, pour vous representer.
Qu'ayant heureusement recouvert la lumiére.
Je me verray contraint de rentrer dans ma biere.
Si Vôtre Majesté ne daigne m'écouter.
Je ne demande pas une longue Audience.
Je me garderay bien de me rendre ennuyeux,
Je sçay qu'un déterré choque toûjours les yeux,
Et qu'on ne peut souffrir son affreuse presence.
Je voudrois seulement devant vous soûtenir,
Que le tems ne peut point contre vos Droits prescrire.
Et quoy que j'aye été long-temps sans me produire,
Que j'ai toûjours l'honneur de vous appartenir.
Que quand tous les Prelats de la Machine ronde,
Se seroient assemblez pour mon enterrement,
Cela ne me sauroit faire un empêchement,
Et que j'ai toûjours droit de revenir au monde.
Je reviens donc, grand Roi, pour vivre sous vos Loix,
Et pour ne plus entrer dans mon noir Cimetiere,
J'espere de jouïr long-temps de la lumiere,
Si je voy le Soleil seulement une fois.
Que si l'on ne voit point de Morts dans nôtre histoire,
(Quand ils sont enfermez au Cercueil,) huit cent ans
Qu'on ait pu par aprés faire vivre long-temps,
C'est à vous que les Dieux réservoient cette Gloire.
Mais je viens de quitter le fil de mon discours,
(J'ay dit en abordant que je conterois, Sire,
Ce qui se dit de vous dans le funeste Empire,)
Lors qu'un sot interest en a rompu le cours.
L'Interest gâte tout, quelque part qu'il se mêle,
Imputez à lui seul, mon Incivilité,
Je le quitte & vais dire à Vôtre Majesté;
Ce que sur l'Acheron, les passans disent d'elle.
Charon le vieux Nocher, s'il se presente un mort,
Il le fait promptement entrer dans sa Nacelle,
Mais il lui fait conter, toûjours quelque nouvelle,
En attendant qu'il l'ait conduit à l'autre bord.
Ce vieillard curieux, ayant sçû de la Parque,
Que vous étiez dispos, fort, jeune & vigoureux
Et que d'ailleurs icy, tout va selon vos voeux,
Ne croit pas que jamais, Vous entriez dans sa Barque.
Du moins n'esperant pas, de vous voir de long-temps,
Il demande, étonné du bruit de vos conquêtes.
Comme vous étes fait, & quel homme vous étes,
Et si vous n'avez pas, encore quarante ans.
On lui dit que l'on voit en vous un air de maître,
Et d'homme qui n'est né que pour donner la loy.
Et que si par malheur vous n'aviez été Roi.
Tout le monde auroit dit, que vous le deviez être.
Que quand le ciel vous fit, il voulut assembler,
Avec la Majesté, la Douceur & la Grace;
Et faire remarquer dans une méme place;
Quelque chose qui plaît, & qui nous fait trem­bler.
On lui raconte encor que chacun vous admire
Que vous étes Guerrier, Pieux, Galant secret,
Fier, doux, vif, moderé, sage, actif & discret,
Et c'est ce que Charon n'a jamais oüi dire,
Qu'enfin on voit en vous un Abregé des Cieux
Qu'en vous considérant, l'Esprit humain s'étonne,
Et que l'on n'a qu'à voir vôtre Auguste Personne,
Pour se representer l'assemblée des Dieux.
Voilà ce que l'on dit au tenebreux Empire!
Maís comme ce seroit, un imparfait recit,
De parler seulement de ce que l'on y dit:
Et que ce que l'on voit, se doit encore dire,
Je dirai donc qu'on voit là bas pour leurs forfaits,
Trois fameux criminels sans cesse à la torture,
Qui dans les divers maux que chacun d'eux endure,
Sont de vos ennemis, les fidéles portraits.
Un de ces Crimmels roule une lourde roche,
Sans prendre du repos, ni la nuit ni le jour;
Un autre voit son coeur déchiré d'un vautour,
L'autre veut prendre un fruit qui fuit quand on l'ap­proche.
Ces pauvres malheureux font bien tous leurs efforts.
Pour se pouvoir tirer d'une si rude gehenne,
Mais ils verront durer leur supplice & leur peine,
Tant que le noir Pluton régnera sur les morts.
Ainsi vos Ennemis, roulent quelque machine.
Ou courent follement, à quelque fruit trompeur:
Ainsi le repentir, leur déchirant le coeur,
Comme un cruel Vautour les devore & les mine.
On voit encor là bas un ennuyant Tonneau,
Le supplice éternel des pauvres Danaïdes,
Dont les seaux sans repos, tantôt pleins, tantôt vuides,
Versent dans un Poinsson, qui ne pent tenir l'Eau.
C'est là le vrai portrait, des Provinces Unies,
Qui versent à plein seaux, l'or chez vos Ennemis,
Mais cet Or sans effet, le Ciel l'ayant permis,
Se perd tout dans les mains, de ces sales Harpies.
Voilà ce qu'aux Enfers, on void de curieux.
Mais quoy que l'on y voye, & qu'on entende dire,
Agréez qu'instamment, je vous conjure, Sire,
De ne m'envoyer plus dans ces funestes Lieux.
J'aimerai bien mieux voir les beaux jets de Versailles,
Que les mortelles Eaux du fatal Acheron.
Les Barques du Canal. que celles de Charon.
Et pour des noirs Rochers, des plaisantes Roquailles.
J'aimeray bien mieux voir cet aimable séjour,
Que des lieux soûterrains, lugubres & funebres,
Et pour l'affreux manoir du Prince de Tenebres.
Contempler le Palais du bel Astre du jour,
Ah! que je trouverois douce ma destinée?
Que je serois heureux, s'il, mais ô rude sort!
Aprés m'être tiré des griffes de la Mort
Helas! je suis tombé dans les mains d'une Fée.
Une* Fée ô Grand Roi me poursuit en tous Lieux,
Elle m'observe seul, m'observe en compagnie,
Et pour m'inquieter & faire haïr la Vie,
Suscite contre moi Faunes & demi-Dieux.
Quelque part que le sort ou le dessein me mene,
Cette Fée aussi-tôt s'oppose à mes Desirs,
Et sa vûë aux Héros la source des plaisirs,
Est malheureusement, mon supplice & ma peine
Elle a sur tous les Dieux, un pouvoir nompareil.
Mars, Thémis, Appollon, reverent son Genie,
Helas ne dois-je point craindre que sa Magie,
Ne me donne la mort, me privant du Soleil.
Quoi qu'en effet je sois, aussi droit qu'une quille
Cette Fée obtiendra par ses discours charmans,
Par ses Magiques Airs, par ses Enchantemens,
Queje paroîtrai fait tout comme une faucille.
Mais, Grand Roy, comme rien ne peut trompet vos yeux,
Qu'ils pénétrent aisément la plus fine Imposture,
Vous verrez bien d'abord observant mon allure,
Que je ne suis courbé, que pour être fort vieux.
Je le suis sans mentir, & ce qu'on ne voit guéres,
Je n'ai pour m'appuyer, ni crosse ni bâton,
De plus un Medecin, me dit hier tout de bon,
M. le Cardinal de Bouillon.
Que la Calotte m'est extrêmement contraire.
Mais je pourrai marcher le Cerveau découvert,
Sans cr aindre d'être atteint de Rhume & de Caterre,
Sans craindre le serein, ni même le Tonnerre,
Si vôtre Majesté me veut mettre à couvert.
Cependant si vos Droits sont obligez de prendre,
Pour arriver chez vous, un ennuyeux détour,
Croyez que de tous ceux qui sont sur leur retour,
A peine en verrez vous un qui s'y puisse rendre.
Je suis sur mon retour, & je suis seur Grand Roy,
Que si vous ne prenez le soin de me défendre,
Je vai me joindre aux droits que vous avez en Flandre,
Ainsi vous vous mettrez en Campagne pour moy.
Mais si vous vous laissez fléchir à ma priére,
Et que vous promettiez de me donner secours.
Sire, je vous promets que dans moins de huit jours,
Plus d'un cent de droits morts sortiront de leur biere,
*
Mad. de la Fayette, au fils de laquelle M. le Cardinal de Boüillon avoit conféré ce Benefice que l'Autheur faisoit voir dépendre de la Nomination du Roy.

Quelque temps aprés l'Auteur sit paroître une Epitaphe, dans laquelle il indiquoit que ce Droit avoit succombé sous l'autorité de M. le Cardinal de Boüillon, qui par la Collusion du P. de la Chaise avoit empêché que l'Auteur n'eût point de Commis­saires, faute de quoi ce Droit étoit mort: l'Auteur étant trop foible pour le soûtenir contre cette Emi­nence dans une Justice reglée.

EPITAPHE.

CY gît un droit du Roi, qu'on a long-temps cher­ché,
Et qui bien plus long-temps avoit été caché,
Le sort l'a mis à bas, d'un coup de Chapeau Rouge:
Helas le voilà qu'il ne bouge!
Un Prêtre studieux l'avoit Ressuscité,
Et si ce malheureux eût été presenté,
Aux rayons du Soleil l'espace d'un quart d'lieure,
Pour se purger de l'air de sa sombre demeure,
La mort ne l'auroit point soûmis à son pouvoir
Cet Astre l'eût sauvé par sa seule presence,
Mais malheureusement une haute Eminence,
A fair que le Soleil n'a jamais pû le voir.

Voilà donc les vers que M. de Paris dit au Sieur de Pomereu, Prévôt des Marchands, qui faisoient du mal au Livre de l'Explicàtion du Concordat.

Cet évenement doit desormais faire valoir le Parnasse à la Cour, & venger les Poëtes du peu de considération que l'on a pour eux, puis que la Poë­sie dont on fait si peu de cas, a pû empêcher le Iuge­ment d'une affaire de cette conse quence.

Admirons cependant l'Ingenuité & la fidelité tout ensemble de M. l'Archevêque de Paris: il s'a­gissoit dans ce Livre d'un Droit trés-avantageux pour le Roi. Sa Majesté aprés que l'Auteur eût eu l'honneur de le lui presenter, l'auroit donné à ce Prélat pour l'examiner, comme il a dit lui-même à l'Auteur: il avouë que l'Ouvrage est bon, mais l'Auteur a fait des vers qui lui font du mal. On prie le Lecteur de dire de quel nom cela se doit ap­peller. Mais reprenons le fil de nôtre Mémoire.

Il est aussi important de faire sçavoir à Sa Majesté que le Sieur de Villiers-cour­tin ayant esté chez M. de Paris pour ap­prendre son sentiment sur cet Ouvrage, ce Prelat luy dit, qu'il étoit tres-bon, & le Droit du Roy sur quantité de Benefi­ces où Sa Majesté ne nommoit pas, tres­bien établi; de sorte que le Marquis de Villiers au sortir dé-là, dit au Sieur de Seigle Religieux du Temple, que du ton que Mr. de Paris luy avoit parlé, il ne dou­toit pas que cette affaire ne réüssit.

Il importe que Sa Majesté sçache que ce Prelat a dit la même chose à Madame la Marquise de Mailly touchant ce Livre.

Nonobslant tout cela, ce Prélat. (tant est grande la force de la Sympathie qu'il a avec le Pere de la Chaise,) n'a jamais voulu dans le cours d'une an­née, donner le bureau & assemblér les àutres Com­missaires, pour juger une affaire qu'il avoit décla­rée luy-même trés-avantageuse à Sa Majesté.

On est obligé en passant de faire Iustice à M. de Bezons Conseiller Ordinaire d'Etat, & dire qu'il [...] pas tenu à luy qu'on ne l'ait faite au Roy, en jugeant cette affaire, car il a été cinq ou six mois prêt à la rapporter, & a solicité M. l'Archevêque de Paris en presence de l'Auteur de vouloir donner jour pour cela.

Ce Prélat quand il voyoit que M. de Bezons étoit occupé à la Chambre de Iustice, ou que le Roy étoit a la veille d'un voyage, oú le Pere de la Chaise de­voit suivre, il disoit qu'ïl estoit tout prêt, mais lors que ces obstacles estoyent levez, il en faisoit naître d'autres.

Il importe encore à Sa Majesté de sça­voir que l'Auteur a donné plusieurs Pla­cets, par lesquels il offroit d'être mis dans une prison perpétuelle, s'il ne prouvoit par des raisons & des témoignages invin­cibles, ce qu'il avançoit dans son Livre.

Ces Placetz n'ont eu garde d'aller jusqu'au Roi, car la Cour est un pays oú quelque bonne affaire que l'on propose, on ne sçauroit en cent ans avancer d'un pas si l'on n'est conduit par un Patron, comme quoi auroit pû l'Auteur aller à ses fins, lui qui pro­posoit une affaire que les Patrons avoient interest d'éloigner.

Ainsi nonobstant tout ce qui a été dit cy-dessus, c'est-à-dire, nonobstant l'Approbation de dix Avocats en faveur de ce Livre.

Nonobstant l'ordre que Sa Majesté avoit donnée il y avoit déja plus d'un an, à des Commissaires de l'examiner.

Nonobstant l'aveu de M. de Paris & d'un Jesuite qui ont declaré que ce Li­vre étoit bon & avantageux pour Sa Majesté.

Nonobstant les Placets de l'Autheur par où il promettoit sous peine d'u­ne prison perpetuelle de prouver ce qu'il avançoit dans son Livre.

Nonobstant qu'il eût répondu aux Objections que M. de Bezons luy avoit faites, & qu'il fit offre de répondre à tou­tes celles qu'on luy pourroit encore faire.

Nonobstant qu'il ne fallût qu'une ma­tinée pour juger cette affaire, dans la­quelle il s'agissoit d'un Droit que l'Au­theur auroit fait voir s'étendre à un tres­grand nombre de benefices.

Nonobstant que le Pere de la Chaise eût dit luy-même au Sieur Abbé de Te­ligni, Chanoine de la S. Chapelle, que plusieurs l'avoient sondé là dessus à qui il n'avoit point voulu s'ouvrir, mais que [Page 378]Sa Majesté ayant un tres-grand Interest dans cette affaire, elle se jugeroit.

Nonobstant tout cela elle a échoüé par la perfidie & la lacheté de ce Jesuite, qui quoy qu'il soit comme l'Avocat du Roy & le Promoteur de ses Droits dans les Affaires des Benefices, n'a jamais vou­lu qu'elle se jugeât, ayant eu plus d'é­gard aux remonstrances des Personnes qui y étoient interessées, qu'aux avanta­ges du Roy son Maître, & ayant dit lui­même audit Chastain, que le Roy ne vouloit troubler personne & qu'il falloit que ce Droit dormit: ce qui a fait que l'Autheur a abandonné cette affaire & s'est retiré.

Le Lecteur s'attendra, sans doute, à voir icy éclater quelque invective: point du tout, mais comme c'est se moquer des gens de vouloir faire à croire que le Roy soit un Prince à laisser dormir ses Droits, & qu'il y a bien plus d'apparen­ce, qu'ils s'endorment par là mollesse du P. de la Chaise, c'est sur cette veritable cause de leur assoupissement que l'Auteur a fait les Vers suivans.

AU ROY

GRand Roy tout le monde s'étonne,
Et ce n'est pas sans fondement,
De voir que les beaux Droits que l'Eglise vous donne,
Paroissent assoupis, & sont sans mouvement.
La cause dans ces Vers, vous en sera connuë:
Cette Chaize sur quoy le destin les a mis,
Est extrémement molle, & jamais ne remuë:
Ainsi vos Droits s'y sont à la fin endormis.

Il n'y a pas lieu de s'étonner que cette affaire, toute avantageuse qu'elle étoit pour le Roi, ait malheureusement échoüé: le Droit de S. M. avoit trop d'ennemis à combatre, car il s'y trou voit, trop d'in­terets opposez aux interets du P. de la Chaise.

Ce Livre fait voir que le Roy doit, par les termes du Concordat, nommer Absolument & sans Restriction, à tout ce qui est Monastere Abbaye: or il y a en France mille Benefices de cette nature, ausquels les principaux Collateurs sont en possession de Nommer, comme à des Prieurez, de la nomination desquels ils auroient esté privez par le succés de cet Ouvrage.

Le Pere de la Chaise qui doit favo­riser toutes les decouvertes que l'on fait pour les Droits de S. M. particuliere­ment, quand elles se presentent munies d'Aprobations, étoit ennemi de l'Auteur, parce qu'il se pretendoit offensé par ses vers, & parce que le bon Pere, étant, [Page 380]comme tout Paris sçait, un ignorant dans les Droits du Roy & tres-peu habile à les soûtenir, c'est luy faire un mortel de­plaisir de l'engager par des nouvelles dé­couvertes, en des discussions qui peuvent décourir son foible.

D'ailleurs il est Jesuite, c'est-â-dire Politique, si bien que luy presenter quel­que affaire qui choque l'înteret des Puis­sances, c'est luy susciter des querelles con­tre ses amis & l'obliger à faire la guer­re à ses Alliez.

Ainsi le Roy a été sacrifié, mais com­me M. l'Archevéque de Paris est Grand Prêtre & Grand Sacrificateur, il étoit de sa dignité, aussi-bien que du merite de la victime, qu'il presidât au Sacrifice.

Avant que de se retirer, ledit Chastain avoit écrit deux lettres au P. de la Chaise lesquelles on a mises icy comme étant de l'essence & de l'integrité de ce Me­moire.

MON REVEREND PERE,

J'ay sçeû qu'un Jesuite a dit que mon Quvrage étoit bon, & que j'avois decouvert un Droit tres-avantageux pour S. M. mais que je m'étois perdu ayant échoüé par la rencontre des Puis­sances que j'avois attaquées. J'ay encore [Page 381]sçeu que ces mémes puissances, qui pa­roissent si redoutables à ce bon Pere, avoient remonstré à V. R. le grand de­sordre que feroit mon Livre, si l'on y avoit égard; sur quoy mon R. P. je me vois obligé de dire à V. R. que le discours de ce Religieux & les remontrances de ces Puissances interessées, m'ont decou­vert un grand Mystere.

Cela veut donc dire en bon François, que bien que selon la veritable explica­tion du Concordat, le Roy ait Droït de Nommer à un tres-grand nombre de Prieurez où il ne nommoit pas, les Egars & la Politique veulent que ce livre soit étouffé, & qu'il n'y ait point de Justice pour S. M. parce qu'elle a à faire contre des Puissances.

Et cela veut dire aussi, qu'encor que j'aye travaillé avec beaucoup de fatigue & de peine à decouvrir & à établir un Droit tres-avantageux à S. M. je ne dois esperer ni Justice, ni recompense de mon travail, parce que ce Droit va contre l'in­teret de quelques Puissans Collateurs.

Si nous étions, M. R. P. sous le Re­gne d'un Chilperic ou de quelque autre de ces foibles Rois de la premier Race, qui avoient des yeux & ne voyoient pas, [Page 382]des orèilles & qui n'entendoient pas, & qui enfin se laissoient raser & confiner dans un Cloître: je croirois selon le sen­timent de ce bon Religieux de m'être perdu, & j'aurois un juste sujet de crain­dre que le parti des Puissances ne preva­lût sur celuy du Roy, mais par la grace de Dieu, nous vivons sous un Monar­que, qui a des yeux pour voir & des oreil­les pour entendre; & nous sommes sous le Regne d'un Prince, qui étant jaloux de ses Droits, & qui voulant qu'on ren­de la Justice au moindre de ses sujets, n'au­ra garde de souffrir qu'on la luy refuse à luy-même. Ainsi mon R. P. dans l'état où je voy les choses, vôtre Religieux est mal fondé de dire que je me suis perdu en prenant le parti du Roy contre les Puissances, & il y a bien plus de fonde­ment, de dire que l'on est dans un évident danger de se perdre, en prenant le parti contraire. Mais je ne me contente pas de dire que le Roy ne souffrira pas qu'on luy refuse la Justice, & j'ajoûte que si les égards qu'on pourroit avoir pour les Puis­sances y aportent du retardement, je suis resolu d'en porter ma plainte à S. M. & pour y parvenir j'ay un moyen que la pre­caution de toutes les Puissances conju­rées [Page 383]ne sçauroit empêcher. Ainsi mon R. P. il n'y a point à balancer, & puis que je demande Justice pour le Roy, il faut qu'on me la rende, ou S. M. sera immencable­ment informée des considerations qui y font obstacle. Quoy que cette lettre soit un peu forte, V. R. n'en doit point être choquée, par deux raisons: la premiere, parce que le Roy vous ayant commis pour veiller à la conservation de fesdroits V. R. doit être bien aise de voir qu'il 'y ait des gens qui concourent avec elle dans ce glorieux dessein, & qui ayent la résolution de soûtenir ses Droits con­tre toute sorte de Puissances: l'autre rai­son qui vous doit faire excuser la liberté que j'ai prise de m'expliquer de la sorte, est que si Mess. les Collateurs interessez voyent ma lettre, comme il seroit à pro­pos pour la decharge de V. R. qu'ils la vissent, ils jugeront bien, s'ils sont tant soit peu raisonnables, qu'elle n'a pû refu­ser la justice à un homme qui la deman­de pour le Roy, & qui ayant gemi pen­dant trois ans sous la tyrannie des égards, declare hautement, qu'il ira à quel prix que ce soit, faire connoître à S. M. la Ligue qui s'est formée contre les inte­rets de sa Couronne: mais il est à croire [Page 384]qu'il ne sera pas necessaire d'en venir là: & quoy que je ne sois qu'une pauvre sen­tinelle qui demande, qui vive! Que V. R. n'hesitera pas à declarer qu'elle est du parti du Roy. J'espere d'entendre bien-tôt cette juste declaration de V. R. à qui je suis avec un tres-profond res­pect, &c.

MON REVEREND PERE,

J'ay appris que le Memoire que j'a­vois écrit contre V. R. au lieu d'al­ler au Roi, comme je l'avois crû, & comme on me l'avoit fait esperer, est tombé entre vos mains. Il semble­ra sans doute à ceux qui sauront cet ac­cident de me voir étendu sur le Carreau, à n'en jamais relever: En effet quelle au­tre opinion peut-on avoir d'un homme qui ayant déja eu le Confesseur du Roy pour aversaire, s'en est fait par-là un enne­mi irreconciliable? Mais M. R. P. ce coup ne m'a pas tant fait de mal que l'on pour­roit s'imaginer, il m'a, je l'avoüe, un peu étourdy, mais il ne m'a point osté le ju­gement ni la connoissance, & je me sou­viens tout comme auparavant, que je combats pour les Interêts du Roy, & qu'ainsi je n'ay rien à craindre, si bien [Page 385]qu'au lieu de lâcher le pied pour cette petite disgrace, je suis resolu mieux que jamais de poursuivre ma pointe, & d'at­tendre la decision de mon affaire, cepen­dant M. R. P. Ce Memoire doit vous a­voir donné sujet de faire quelques serieu­ses Reflexions: un coup si hardy vous aura sans doute fait connoître qu'une telle resolution n'a pû venir que d'un deses­peré, mais comme vous estes prudent & sage, vous aurez aussi inferé de-là, qu'il ne faut point pousser les gens au defes­poir. Si un miserable qui rampe sur la terre, a bien osé l'adresser & se heriser contre V. R. devant qui toute l'Eglise Gallicane flechit, vous aurés jugé de-là, que les petits opprimés par les Grands, mettent tout en usage quand ils voyent qu'on les veut perdre; Enfin quelque violent que vous ait paru mon procedé, vous aurez conclu en bon Philosophe, que le Droit naturel permet à un cha­cun de se defendre, voila sans doute les Remonstrances que la raison vous aura faites pour la justification de mon me­moire. Mais la Religion vous aura bien representé d'autres choses, si vous avez voulu l'écouter. Sans doute elle vous aura dit, qu'un Religieux élevé par sa [Page 386]vertu & par son merite à cette grande dignité de Confesseur du Roy, ne doit point oprimer un pauvre Ecclesiastique, & l'empêcher d'avoir Justice: que c'est une cruauté de le tenir trois ans à Paris pour le consumer en frais, & que quand même il auroit esté assez imprudent pour déplaire en quelque façon à V. R. il est d'un Chrêtien, sur tout de ceux qui font une particuliere profession de suivre Je­sus-Christ, & qui se disent de sa Compa­gnie, de pardonner les offences. Elle vous aura encore remontré que comme al n'y a point d'acception de Personnes devant Dieu, que vous ne devez point aussi avoir des égars au prejudice de vôtre devoir & de la justice. Qu'il faut secou­rir les foibles quand ils sont dans l'op­pression & qu'il se faut ranger de leur côté quand l'équité se trouve dans leur cause: voila fans doute ce que la Religion vous aura dit en ma faveur. Mais quelque diffe­rence & quelque docilité que vous avez pour elle, je crains que la Politique ne vous ait pas permis de luy prester l'o­reille: cette méchante Conseillere vous aura dit d'un ton sevére & menaçant de vous souvenir de la Leçon qu'elle vous a donnée à l'entrée du Louvre, que pour [Page 387]conserver vôtre poste, il faut absolument complaire aux Grands, & ne les choquer en aucune maniére. Que veritablement il faut soûtenir les interéts du Roy, quand on ne rencontre en son chemin que de petites gens, qu'alors il faut faire grand bruit, & marcher enseignes deployées, mais qu'il faut se detourner & filer doux, quand on rencontre des Puissances. Qu'el­le apparence donc M. R. P. que vous eus­siez voulu soûtenir dans la personne d'un Pauvre Ecclesiastique le droit du Roy, contre des gens, qu'il vous est si impor­tant d'avoir pour amis: que vous eussiez daigné proteger un Livre qui quoy qu'a­vantageux à S. M. choque l'interêt de vos Divinitez tutelaires: certes il ne faut pas s'étonner, si depuis qu'il a veu le jour vous m'avez fait si froide mine, c'est en effet vous avoir rendu un méchant office & c'est vous avoir mis vous mê­me sous la presse, que d'avoir fait Im­primer ce Livre. Mais Mon Reverend Pere cette Politique qui vous recomman­de si fort de vous ménager avec les Puis­sances, pourroit bien peut-être vous don­ner de mauvais conseils. On risque quel­ques fois pour se vouloir trop conserver, & l'on peut se perdre par trop de pre­caution [Page 388]& de conduite: le Fils de Dieu dit que celuy qui n'est pas avec luy est contre luy, le Roy pourroit peut-être bien un jour vous en dire de même. En effet mon ouvrage faisant voir que Sa Majesté a droit de nommer à un tres­grand nombre de Benefices où elle ne nommoit pas, dix Docteurs ou Avocats y ayant donné leur approbation, offrant, comme je fais, de repondre â toutes les objections qui me peuvent être faites. Monsieur de Paris ayant dit à trois per­sonnes de qualité que ce Livre est bon, & Sa M. pouvant par là en être informée, est-ce, je vous prie, aprés cela une bon­ne Politique à vous de vous ménager là­dessus? d'être sans action & sans mouve­ment dans une affaire de cette impor­tance? Et croyez-vous qu'une pareille immobilité soit le vray moyen de con­server vôtre poste? en bonne foy, mon Reverend Pere si le Roy étoit informé d'un procedé si peu conforme au zele qu'il attend de vous, croyez-vous qu'il en fut content? Mais que diroit-il s'il apprenoit qu'un Jesuite a dit que mon ouvrage est bon, que j'ay decouvert un fort beau droit pour Sa Majesté, mais que je me suis perdu en attaquant les Puissan­ces? [Page 389]Je vous demande à vous-même, s'il vous plaist, l'explication de ces pa­roles, n'est-ce pas proprement dire, que le Roy n'a personne qui appuye ses droits, puis que c'est se perdre que de travailler pour ses avantages. Vous me faites bien connoître que la chose est ain­si, puis que du moment que ce Livre a paru, vous m'avez fait une aussi cruëlle guerre que si j'avois voulu détrôner St. Ignace. En verité, mon Reverend Pere, je peus bien vous appliquer ce Vers d'O­vide:

Exerces pretiosa odia & constantia magno, Dido Aeneae

Et vous dire que vous exercez une haine bien precieuse & qui coûte cher, puis que vous me haïssez aux dépens même des intérets du Roy.

Mais on a beau écrire, on a beau prou­ver que ce Jesuite trahit les interets du Roy son Maître: le Pere en sera quitte, en disant aux personnes que l'on a ci­tées, le contraire de ce qu'elles sçavent. Car qui voudroit desobliger le Confes­seur du Roy, le dispensateur des Bene­fices? Ainsi quoi qu'il soit constant & indubitable que le Pere de la Chaise est [Page 390]traître & infidéle à Sa Majesté, il se ti­rera d'affaire, & fera passer ledit Cha­stain pour un Calomniateur & un Vi­sionnaire: Tant il est vrai qu'il ne faut qu'estre dans un poste avantageux pour opprimer les gens! Tant il est vray que les égards régnent dans le milieu du Louvre, & ont placé leur trône vis à vis de celuy du plus Grand & du plus Absolu des Monarques.

AU ROY.

UN de vos Droits, Grand Roy, s'en va perdre la vie,
Par le funeste trait qu'a décoché l'envie,
Ce Droit si bien acquis, si fertile & si beau
Sera bien-tôt reduit-dans un triste tom­beau,
Et soûmis au pouvoir de l'inhumaine Parque;
Mais il vous fait sçavoir, Invincible Monarque,
Qu'il souffre le trépas, avec grande dou­ceur,
Mourant entre les bras de vôtre Confes­seur.

AU PERE DE LA CHAISE Sur ce qu'il se connoist en Medailles, & n'entend point les droits du Roy.

Passage de S. Matthieu, Chap. 22.

ET il leur dit, de qui est cette Image & cette inscription? ils luy disent de Cesar. Mais il leur dit, rendez donc à Cesar ce qui est à Cesar.

Encore que vous soyez un fort grand Antiquaire,
Vous ne sçauriez, Reverend Pere,
Entendre & pratiquer ce que Jesus prescrit,
Dans le Passage sus écrit.
Faire pour vôtre Roy, quelque chose qui vaille,
Chez vous est l'effet du hazard,
Que sert de déchiffrer la plus vieille Medaille,
A qui vole & retient les Droits deûs à Ce­sar.

On joint icy les Fragmens d'une Satyre, que l'Auteur avoit faite contre les Moeurs & les Desordres des Cardi­naux, qui ont beaucoup de rapport aux Mémoires & Piéces qui ont pre­cedé.

STANCES.

JE ne veux point prier les Muses, ni Minerve,
Ni mandier non plus les faveurs qu'Appollon,
Départ à ses Devots dans le sacré valon,
Mon indignation me servira de verve;
A quoi bon, d'invoquer par d'inutiles voeux,
Le secours impuissant de ces Dieux fabuleux,
Dont le culte ne fait que nous rendre coupables:
Arriere & loin d'icy, fausses divinitez?
Que sert-il d'employer vos songes & vos fables,
Quand on veut seulement dire des veritez.
Loin encore d'icy vaines fleurs d'éloquence,
Qui défigurez tout avec vos ornemens,
Mon sujet ne veut point de vos déguisemens,
Il suffit de parler icy comme l'on pense.
Pour pousser bien avant le poignard dans le sein,
Faut-il masquer le fer? Faut-il orner la main?
Est-ce par ces apprêts que l'on ôte la vie?
Ces embellissemens asseurent-ils le coup!
Pourquoy done s'exprimer avecque melodie?
Quand de toute sa voix, on veut crier au loup?
Point encor de respect, & point de flatterie,
On ne doit de l'encens qu'à la seule vertu,
Le vice quoy qu'il soit de pourpre revêtu,
Est l'objet de la haine & de la raillerie,
Il le faut attaquer sous quelque habit qu'il soit,
Ne l'épargner pas plus sous un superbe toit,
Que s'il étoit dessous une pauvre chamiere:
Les Juifs étans si sots, que d'adorer un Veau,
Moyse l'abbatit & le mit en poussiere,
Quoy qu'il fut d'un metal & trés-fin & trés-beau.
Ainsi Peres conscripts, quoy que vos éminences,
Se fassent adorer, & que vos chapeaux plats,
Se soient mis au dessus des Mitres des Prélats,
Et tiennent le haut bout, en toutes les séances,
Quoy que vous prétendiez vous égaler aux Rois
Cette Satyre va vous donner sur les doigts,
Et mettre vos chapeaux en forme encore plus plat­te:
Elle va de vos moeurs faire un hideux tableau,
Et vostre chaperon de soye & d'écarlatte,
Doit estre vergeté comme un autre chapeau.
Vous voyant élevez au faiste de l'Eglise,
Et perchez aussi haut que le coq d'un clocher,
La curiosité m'a pris de rechercher,
D'où vient cette hauteur qui cause ma surprise?
Aprés avoir bien lû, mes Livres m'ont appris,
Qu'autres-fois vos Chapeaux estoient de peu de pris,
Qu'à Rome vous n'estiez, que petits Commissaires,
Qu'on avoit dispersés par quartiers separés,
Que vos Palais d'alors estoient des Presbyteres,
Et qu'enfin vous n'étiez que de simples Curez.
Que quelques-uns de vous conferoient le Baptesme,
D'autres avoient le soin d'ensevelir les morts,
Ah! vous m'allez priver des celestes Tresors?
Vous allez contre moy fulminer Anathême?
Tout beau, ne grondez pas Peres? ces saints explois,
Que vos Predecesseurs s'adonnoient autrefois,
Ne doivent du tout point vous donner de la honte,
Ce recit est mal pris pour un sujet d'ennuy;
Il est bien plus honteux pour vous si je raconte,
A quoy les Cardinaux s'occupent aujourd'huy.
Mais avant que d'entrer dans cette ample matiere,
Il est de la grandeur de vôtre dignité,
Qu'on sçache les travaux qu'elle vous a coûté,
Et combien de circuits elle vous a fait faire,
Il faut dire qu'avant que d'avoir ce chapeau,
Il vous a maintes fois échauffé le cerveau,
Que souvent il vons a fait faire la courbette,
Et l'on peut inferer de vos desirs ardents,
Que vous eustes long-tems ce bonnet rouge en tête
Avant que vous eussiez mis la tête dedans.
Helas! combien de maux, & combien de fatigues?
Cet éclatant chapeau vous-a t-il fait souffrir?
Combien avez vous fait de pas pour découvrir,
De vos competiteurs les secrettes intrigues?
Le sort vous a cent fois suscité des jaloux,
Cent fois se joûant d'eux aussi bien que de vous,
Il vous a tous livrez à la mere d'un Cercle,
Cent fois au Vatican comme dans un Tripot,
On vous a ballotez & pour ce cher couvercle,
Cent fois on vous a fait tourner autour du pot.
Il ne faut pas douter que dans la douce attente,
De vous voir possesseurs de ce Grade éminent,
Vous n'ayez de bien prés du néveu dominant,
Observé quelle étoit & l'humeur & la pente:
Si son coeur pour les biens eût de l'avidité,
Vous avez satisfait à sa cupidité:
Ou bien si quelque amour ocupoit sa pensée,
A Rome on fait tres-bien l'Histoire de Jason,
Et l'on n'ignore pas qu'il faut gagner Medée,
Quand on veut sans faillir emporter la Toison.
O Dieu, que ce seroit une plaisante chose.
Si ce chapeau portoit un signe qui fit voir,
Quels sont les beaux ressorts qui vous l'ont fait avoir,
Et quel en est au fond le motif & la cause!
Comme ce n'est pas là que la vertu conduit,
Et que le chapeau rouge est bien souvent le fruit,
Des doux plaisirs reçûs des Matronnes gentilles,
Ou du deboursement des precieux florins.
En plusieurs on verroit Medailles & Coquilles,
De même qu'on en voit en ceux des Pelerins.
Que si l'on ne voit point de signe qui nous marque,
De quelle intrigue vient cet Illustre chapeau,
Ce qui pend au-dessous, ce cordon, ce cordeau,
Nous fournit le sujet d'une belle remarque.
Je vois avec plaisir cet accompagnement,
Et crois qu'on ne sçauroit trouver d'assortiment,
Dont la justesse soit plus belle & plus complete,
Car vôtre chapeau rouge assorti d'un licou,
Vous servant d'un costé pour ornement de tête,
Fournit en même tems, ce qu'il faudroit au coû.

II. FRAGMENT.

QUand je vois d'un costé cette robe em­pourprée,
De ce rouge sanguin, & que d'ailleurs je voy
L'ardeur que vous avez d'endurer pour la foy,
Il me vient à l'abord une sainte pensée:
Je crois que la rougeur dont vos sens sont sur­pris,
N'est pas le simple effet d'une drogue de prix,
Mais bien que le desir d'endurer le Martyre,
Vous faisant boüillonner le sang par tout le corps.
Fait aussi que ce sang s'exhale & se transpire,
Et va par ce moyen teindre tout le dehors.
Si bien que si l'enfer renouvelloit l'orage
Que l'Eglise a souffert, estant dans le Ber­ceau:
Si l'on voyoit encor le Mystique Vaisseau
Exposé, comme il fut, au danger du naufra­ge,
On vous verroit d'abord paroître sur les rangs,
Pour soûtenir le choc des plus crûels tyrans,
Les supplices seroient vostre plaisir extréme,
Et prevenant les coups qui vous seroient don­nez,
Vous verseriez d'abord vostre sang de vous­mesmes,
J'entends que sur le champ, vous saigneriez du nez.
Mais reprenons un peu vôtre sainte escarlatte,
Dans laquelle, à parler avec sincerité,
Non l'ardeur pour la foy, mais bien-la vanité,
Non la devotion, mais bien le luxe éclatte,
Voulez vous bien sçavoir d'où vient cette couleur
Que l'Eglise sur vous voit avecque douleur?
La cause & la raison n'en sont que trop connuës,
Par là l'on ne veut pas distinguer vôtre rang,
Mais comme asseurement, vous estes des sang­suës,
C'est ce que veut marquer cette Couleur de sang.
Que si vous osez bien faire quelque replique
Et que vous ne vouliez de ce sens convenir,
Si vous pretendez donc contre moy soûtenir
Que ce n'est pas ainsi que ce rouge s'explique.
Disons donc que l'Eglise observant vos façons,
Nous fait dans vostre habit plusieurs belles le­çons,
Qui toutes nous font voir vos défauts & vos vi­ces,
Que vous ayant rougis jusqu'au bout des ta­lons,
C'est pour vous accuser d'estre des écrevices
Qui dans la Loy de Dieu marchez à reculons.
De mesme que l'on voit à Paris l'Archeves­que,
Ce fourbe, ce filou, ce menteur, ce fripon,
Cet homme sans parole, & sans Religion,
Ce Prélat, qui seroit vray Prélat de la Mê­que,
De mesme qu'on le voit tromper obligeam­ment
Tous ceux que leur malheur, ou leur engage­ment
Oblige d'aller voir cet Heliogobale:
De mesme on voit icy la noire trahison,
Sous les fausses douceurs que son dehors étale,
Répandre finement son funeste poison.
De mesme que l'on void ce Prélat adultere,
Ce Pasteur Scandaleux, cet Illustre Vaurien,
Cet Homme Corrompu, ce Sçelerat, ce Chien,
Ce Bouc dont les horreurs ne se peuvent plus taire:
De mesme qu'on le voit soûpirer pour Con­flans,
Ce beau lieu, dans lequel il voit de temps en temps,
Sans craindre Pierre-pont, la belle de Varen­ne,
De mesme icy chacun derestant sa prison,
Soûpire aprés sa vigne, & se void avec pei­ne,
Eloigné des plaisirs de sa belle Maison.

III. FRAGMENT.

DE mesme que l'on void le Pere de la Chaize,
Promettre tout à tous, & puis ne rien tenir,
Amuser cent Abbez & les entretenir,
Dans l'agreable espoir d'estre un jour à leur ai­se:
Comme selon l'esprit de la Societé,
Il fait tromper les gens sous un air de bonté:
Icy on promet tout, on se duppe, on s'attrappe,
On se repaist d'espoir, de fumée, & de vent,
Et tel qu'un bruit commun avoit fait entrer Pape,
Sort d'icy Cardinal, tout comme auparavant.
De mesme que l'on voit ce faquin de Jesuite.
Cet homme qui n'entend ni François, ni Latin,
Par le bizarre effet, d'un aveugle destin,
Avoir presentement, mille gens à sa suite,
De mesme que l'on voit ce fat, ce cheval-là,
Comblé d'autant d'honneurs, qu'en fit Cali­gula,
Au Cheval qu'il voulût faire Consul de Rome;
De méme l'on éleve au supreme pouvoir,
Tel qui n'a seulement que la forme de l'hom­me,
Et dans qui l'on ne voit, ny vertu, ny sçavoir.
De même que l'on voit ce perfide Belître,
Trahir les interets du plus brave des Rois:
Quand quelcun desirant d'en accroistre les droits.
Luy vient à cette fin produire quelque Titre.
De même que l'on voit, que ce lasche Cor­beau,
Condamne ce qu'il a declaré bon & beau,
S'il voit qu'à ses amis il fasse préjudice:
De même l'on trahit les interets de Dieu,
Et l'on tourne toûjours le dos à la Justice,
Où l'interet humain trouve le moindre lieu.
De mesme que l'on voit cet ouvrier d'impo­sture,
Offusquer le Soleil par noires vapeurs,
Et d'un souffle puant ternir les saintes moeurs
De tel que la vertu meine à la Prelature,
Comme pour assouvir sa noire passion;
Ce méchant homme fait donner l'exclusion,
Sur le faux exposé d'une fausse doctrine:
De même on fait icy joûer mille ressors,
Et l'on n'oublie pas le peché d'origine,
Pour exclurre un capable & le mettre de­hors.

IV. FRAGMENT.

EN effet c'est encor du fonds de ce Calice,
De ce sombre scrutin, qui se fait en ce lieu,
Que l'homme de peché sort pour paroî­tre Dieu,
Et se fait adorer de sa rouge milice,
D'icy sort l'Antechrist fils de perdition,
Qui se veut élever à la condition,
De cet être infini, que l'univers adore,
De cette coupe sort le Chef des Cardi­naux,
Coupe qu'on doit nommer la Boëte de Pandore,
D'où vient au genre humain, toute sorte de maux.
De cette coupe vient un Roy de qui l'Empire,
Renverse entierement celuy de Jesus-Christ,
Un Pasteur qui combat contre le Saint Esprit,
Un Tyran sous lequel l'Evangile soûpire.
D'icy sort uu Geant, qui dit que son pouvoir,
Lie & delie tout & qui pretend d'avoir,
Les Mystiques Tresors, dont il se dit la source,
Mais au fond qui seduit les credules hu­mains,
Appliquant tout son art à delier leur bourse,
Et par un rude joug, leur lier pieds & mains.
De cette coupe vient un Monarque de Bulle,
Qui croit avoir sur nous droit de vie & de mort,
Qui pense de tenir en sa main nostre sort,
Comme l'on voit qu'il tient la bride de sa Mule.
De cette coupe sort un Pontife qui croit,
Remuër l'univers avec le bout du doigt,
Et renfermer le Ciel dans sa foible per­sonne,
Qui croit comme le dit à Rome tout précheur,
D'être au dessus des Rois, & que toute Couronne,
Doit passer par le trou de l'anneau du Pêcheur.
De cette coupe enfin, du fond de ce ca­lice,
Sont sortis pour regner, sous des Illu­stres Noms,
Des Scelerats, des Boucs, des Monstres, des Demons,
Des hommes abîmez & noyez dans le vice,
De ce Conclave on a conduit sur les Autels,
Des Prelats scandaleux, des Pasteurs cri­minels,
Des pecheurs plus chargez de crimes que d'années,
Que peut on dire plus, on tire de ce lieu,
Des Voleurs, des Vilains, des Sorciers, des Athées,
Pour être reconnus les Lieutenans de Dieu.

Voicy tout le Mémoire & toutes les Piéces, que l'Auteur avoit com­muniquées manuscrites à beaucoup de personnes en divers lieux. L'on verra encore icy le dernier Placet qu'il auroit bien souhaité qu'il fut tombé entre les mains du Roy, & qui a été le sujet de sa perte: Car l'ayant envoyé à ce dessein de tous côtez, & sans doute aux premiers Ministres de France: Les Bourgue­maîtres de la Ville de Geneve, où il résidoit pour lors, ayant eû con­noissance de cette affaire, crûrent en devoir avertir le Résident de Sa Majesté, lequel souhaita que l'Auteur fût mis en lieu de sûreté, jusques à ce qu'il eût réponse de la Cour, fur l'avis qu'il en donneroit. Bien-tôt aprés le Roy le demanda & il fut remis sur les Limites à des Archers qui le menérent dans un [Page 405]Carosse à Lion, & l'on n'a pas sçû du depuis ce qu'il étoit devenu. Ce misérable souffrit sa prison fans cha­grin, & la quitta de même pour partir, croyant que l'on le faisoit conduire vers Sa Majesté. Mais bien loin de parvenir à ses fins, il est à présumer, qu'il est bien enfermé, si on ne luy a pas fait déja passer le pas.

AU ROY.

SIRE,

Parmy une infinité de Placets ou de Mémoires que l'on a adressé, à V. M. de­puis qu'elle est sur le Trône, on peut dire qu'il n'en a point paru de si singulier & de si extraordinaire que celuy-cy.

On y expose, SIRE, que Monsieur l'Archevêque de Paris & le Pere de la Chaise qui ont la direction des affaires Ecclesiastiques, trahissent les intérêts de V. M. & la trompent de telle maniére, que quelque retenuë que l'on aye, l'on ne peut s'empêcher de dire & de publier que ce sont des fripons.

On sçait, SIRE, qu'un exposé conçû en des termes si forts n'est pas seulement surprenant, mais qu'il est même scanda­leux, on sçait qu'on l'adresse à un grand Roy qui aime la modération & qui ne veut pas que l'on viole la Dignité de ses Ministres, on sçait que ceux-ci sont d'un [Page 407]caractére à être particuliérement respe­ctez, & l'on n'ignore pas le danger qu'il y a de blâmer des personnes de ce rang & de cette autorité: mais bien que toutes ces considérations n'inspirent que des ter­mes soûmis & des expressions fort adou­cies, avec tout cela, SIRE, dans la con­stante & parfaite connoissance que l'on a des infirmitez & fripponneries que ces deux hommes font à V. M. on ne peut encore un coup, s'empêcher de dire, & de publier que ce sont des fripons.

Une accusation si atroce & si déter­minée contre des personnes que leur é­levation fait paroître extremement éloi­gnées de semblables atteintes, deman­dent, sans doute des preuves de la der­niére force, & c'est ce que l'Exposant offre de donner à V. M. Mais parce que ces preuves sont d'une trop grande étendue pour entrer dans un Placet, l'Exposant pour faire voir qu'il n'impo­se point, & qu'il ne veut pas fuïr aprés avoir lâché son coup, déclare qu'il de­meure à Geneve, qu'il y est connu sous le nom de Duparc, qu'il loge chez la Demoiselle Cropet ruë de la Pelisserie, & offre sous peine de la vie, de veri­fier & de maintenir ce qu'il avance.

On sçait bien que ce Prélat & ce Je­suite croiront, que pour se dépetrer d'u­ne accusation si pressante qu'il n'y aura qu'à dire que l'Exposant est un fou, car ces défaites ont cela de bon qu'elles ne coûtent rien, qu'elles sont d'un grand usage; mais outre que ces sortes de moyens font trop foibles pour éluder une accusation si formelle, & trop frivoles pour contenter les gens de bon sens: l'Exposant, SIRE, remontre à V. M. qu'elle a à Geneve son Résident le Sieur Dupré homme d'honneur & d'esprit, par qui elle peut être informée de la validité ou invalidité de cette rêcrimination.

Ainsi, SIRE, l'accusation demeurant jusques-là dans sa force, & l'Exposant é­tant comme il est informé des infidelitez & tromperies que ce Prélat & ce Jesuire font à V. M. dans des affaires de la der­niére consequence, il persiste, sauf le trés-profond respect qu'il doit à V. M. dont il ne se départira jamais, de diro & de publior que ces deux hommes font des fripons.

LA DECADENCE DE L'EM …

LA DECADENCE DE L'EMPIRE PAPAL.

Par laquelle il est menacé d'une prochaine ruïne; pour faire place à la Réformation.

ECLOGUE.

Tirée des Papiers de I. B. M. R. A. H.

A AMSTERDAM, Chez DANIEL DU FRESNE, dans la Porte des vieilles Gens, prés le Heer-Logement.

M.DC.LXXXIX.

A SON ALTESSE ROYALE MADAME LA PRINCESSE D'ORANGE.

GRANDE & généreuse Princesse,
De qui l'Esprit & la Sagesse
Se font admirer en tous lieux;
Si vous daignez jetter les yeux,
Dans la conjoncture presente,
Sur ces Vers que l'on vous presente,
Et dont le Sujet est pieux:
Vous y verrez que c'est du Monarque des Cieux,
Que vient cette belle entreprise,
Que vôtre vertu favorise;
Et dont Vôtre Epoux Généreux,
Pour delivrer enfin le Peuple Britanique
De dessous un joug Tyrannique,
Est l'Executeur Glorieux.
Par lui, Dieu las de l'insolence
Qui nous cause tant de souffrance,
Nous veut tirer d'oppression.
Cette tendre compassion,
Qu'il a pour l'Eglise affligée,
Aujourd'hui se trouve engagée,
Afin de secourir Sion,
D'arrêter les Progrés de cette Ambition,
Que la Superbe Babylone,
Sans aucun égard de personne,
Pousse avec tant de passion.
Ainsi c'est du dessein aussi juste que Sage,
Qu'on voit dans ce petit Ouvrage,
L'importante execution.
Quel plaisir donc pour vôtre Altesse,
Quelle joye, ô quelle Allegresse!
De voir que Dieu, par sa bonté,
Couronne vôtre Piété,
Par le choix qu'il fait du beau zéle,
Dont brûle vôtre Epoux Fidéle,
Pour défendre la verité.
Puisse avec ce Héros en toute seureté,
Vôtre Altesse malgré l'envie,
Régner une trés-longue vie,
Avec toute prospérité,
Afin que le Dragon rentre au fond des Abîmes,
Et qu'on voye cesser les crimes
Des Suppots de sa Cruauté.

AVERTISSEMENT.

ON donne cette Eologue au Public, par­ce qu'on a crû qu'il en pourroit recevoir autant d'utilité que de plaisir. C'est une Prédiction faite il y a plusieurs années, ou plûtôt un pressetiment, sur les Propheties, de la ruïne de Baby lone & de la delivrauce de l'E­glise. Je dis il y a plusieurs années, caron trou­ve à la fin du Manuscrit de cette Eclogue, qu'el­le a été achevée le troisiéme d'Avril 1681. & qu'elle a été vûë peu aprés par le Sieur des M. fameux Ministre, qui conseilloit de la faire im­primer dés-lors, pour l'encouragement des Fi­déles, mais qui depuis n'a pas laissé de changer malheureusement de parti, même sans attendre le fort du combat. Ainsi on verra que comme l'Auteur avoit prévû que les persécutions com­mencées en France devoient aller bien loin; il a en même temps espéré, que la Réformation seroit rétablie dans ce grand Royaume; que mê­me elle y seroit plus fleurissante qu'auparavant, & qu'elle s'étendroit encore dans plusieurs au­tres Etats, qui ne l'ont jamais reçûë. Si les choses arrivent comme il en parle, & com­me plusieurs le croyent à present; puis que lui & les autres fondent leur espérance sur l'Apo­calypse de Saint Jean, l'accomplissement en doit être regardé sans doute comme une mar­que certaine de la Divinité de ce Livre, parce qu'il n'y a que Dieu qui puisse prédire les choses à venir; mais ce ne sera pas aussi une petite preu­ve [Page 414]la verité de la Religion Réformée, & par­ticuliérement de la doctrine & du culte des Egli­ses, qui ont de la conformité avec celles de Fran­ce: & c'est une considération qui dévroit adoucir les Luthériens, & les faire revenir à eux-mêmes pour nous recevoir avec plus de cordialité qu'ils n'ont fait jusqu'à present.

On a mis à la sin quelques éclaircissemens, que l'on croit qui ne déplairont pas à ceux qui veu­lent s'instruire sur ces sortes de matiéres. Ils sont marquez par Paragraphes, sur les sujets que l'on éclaircit, selon l'ordre qui en paroît par les numéro qui se trouvent dans ces Vers.

Au reste, on a jugé à propos de joindre cet­te Eclogue avec la Politique des Jesuites, d'au­tant plus que leur Morale abominable, leurs cruautez, leurs empoisonnemens, & leurs noi­res trahisons, dont on se sert en faveur de l'E­glise Romaine; ne seront pas des moindres moyens pour dégoûter les Peuples & les Princes de cette Communion, dans laquelle cette Secte execrable tient à present le plus haut bout. Car c'est ce qui fait paroître cette Eglise encore plus Antichrêtienne, que dans les Siécles précédens.

LA DECADENCE DE L'EMPIRE PAPAL.
ECLOGƲE.

HERMAS.
AUJOURD'HUI, Philemon, je vous voi tout rêveur.
Quel sujet de tristesse occupe vôtre coeur?
PHILEMON.
Un chagrin inquiet sans cesse me posséde,
Contre quoi je ne peux trouver aucun reméde.
J'y rêve tous les jours; je n'en dors pas les nuits.
HERMAS.
Ne peut-on pas sçavoir d'où viennent vos ennuis?
Dans le sein d'un Ami quand on verse ses plaintes,
On trouve quelquefois du reméde à ses craintes.
Je ne suis pas poussé d'un deslein curieux,
Mais de vous soulager je me tiendrois heureux.
PHILEMON.
J'ai déja d'autrefois, dans ma douleur amére,
Eprouvé ce que vaut vôtre amitié sincére.
Je veux bien vous conter ma peine & mon tourment;
Pour voir si j'en aurai quelque soulagement.
Aussi bien nous avons une même fortune
La cause de mon mal vous doit être commune:
Si vôtre coeur, Hermas, n'en est pas allarmé,
Le mien par vos raisons pourroit être calmé.
HERMAS.
[Page 416]
Quand j'aurai découvert qu'elles sont vos blessures.
Afin de les guérir je prendrai des mesures.
Parlez.
PHILEMON.
Ma douleur vient de mon espoir déçû,
Et d'un temps si facheux qui m'éroit imprévû.
J'avois crû, sous les loix du trés-puissant Alcandre,
Dont on vante les faits comme ceux d'Alexandre,
Que nous pourrions toûjours, à l'ombre des or meaux,
Faire ouïr librement nos tendres chalumeaux.
Et que nos chers Troupeaux, paissant sous nos Hou­lettes,
S'éjouïroient toûjours au son de nos Musettes.
J'avois considéré tant d'Edits faits pour nous,
Comme un puissant rempart pour empêcher les Loups.
Souvent même j'avois sur nôtre subsistance
Etabli le bonheur & la Paix de la France.
Le bonheur du Royaume, ai-je dit plusieurs fois,
Vient de ce qu'aujourd'hui nous vivons sous ses Loix.
Nous contrebalançons l'Autorité Papale:
Ainsi nous soûtenons la Puissance Royale.
Le Pape n'ose plus faire tonner sa voix;
Comme il l'a fait souvent contre nos anciens Rois.
Nos Princes, triomphans malgré sa jalousie,
N'ont plus à redouter le foudre qu'il manie.
Quand même il gagneroit tous les autres Sujets;
Pour le contrequarrer nous sommes toûjours prêts.
Je connois, il est vrai, nôtre foiblesse extrême.
Mais étants soûtenus par le pouvoir suprême;
Nous serons assez forts pour maintenir l'Etat,
Quand le Clergé voudroit commettre un attentat.
L'Espagne qui n'a pas un pareil avantage,
Soûpire sous le joug d'un trés-dur Esclavage.
L'injuste Inquisiteur y donne ses Arrêts.
Rome par ce moyen soûtient ses intérêts.
Lors que son Roi s'oppose aux Bulles du Saint Pere;
Il ressent aussitôt sa terrible colére.
Et, si du Vatican il transgresse la Loi,
[Page 417]
Il n'est plus reconnû pour légitime Roi.
Poursuivi par le Pape, il faut qu'il abandonne
Sceptre, Trône, Tresors, Autorité, Couronne.
Il n'a plus de Soldats, tout son Peuple le fuit,
Et comme un criminel le Clergé le poursuit.
En France, grace au Ciel, nôtre Sainte Réforme
Reprime puissamment cette Puissance énorme;
Qui veut assujettir le Monde sous ses Loix,
Et fouler sous ses pieds l'Empereur & les Rois.
Je croi que désormais nos magnanimes Princes,
Pour la prospérité de leurs belles Provinces;
Pour la gloire & l'appui de leur Autorité;
Nous maintiendront toûjours dans nôtre liberté,
Pour raisonner ainsi j'avois plusieurs pratiques,
Et les sages discours de quelques Politiques.
HERMAS.
Sur le bras de la chair on est toûjours déçû.
PHILEMON.
Il est vrai, sage Hermas, je m'en suis aperçû.
Nos affaires soudain ont pris une autre face:
Sans que nous sçachions bien d'où vient nôtre disgrac [...],
Toutefois j'avois crû, qu'en vers Sa Majesté
Quelqu'un avoit taxé nôtre fi délité.
Sur cela, je disois, le temps fera connêtre
Que nous avons un coeur fidéle à nôtre Maître.
Mais nous avons eu beau faire nôtre devoir,
Ce Maître est un Rocher qu'on ne peut émouvoiz,
Bien que nous le servions avec autant de zéle,
Qu'il en peut souhaiter d'un coeur le plus fidéle;
Ces services rendus le plus fidélement
Ne nous ont pas aquis un meilleur traitement.
Avec tout mon respect je ne puis me contraindre
Jusqu'au point d'empêcher ma douleur de se plaindre.
Pourroit-on faire pis, si par quelque Attentat
Nous nous étions rendus Ennemis de l'Etat.
HERMAS.
Il faut, cher Philemon, considérer les Princes,
Monarques Souverains sur de grandes Provinces
[Page 418]
Comme ces grands flambeaux qui brillent dans les Cieux,
Lors que pour nous punir, il nous vient de ces lieux
Quelque triste Saison, ou quelque autre Inclémence;
Nous sommes insensez, si par impatience,
Nous murmurons contr'eux, comme Auteurs de nos maux.
Les Parthes à mon sens n'étoient pas plus brutaux,
Quand contre le Soleil, Pere de la lumiére,
Ils décochoient leurs traits avec tant de colére.
PHILEMON.
J'y consens, honorons nos Maîtres Rigoureux,
Bien que dessous leur joug nous soyons malheureux.
Mais, Hermas, quand j'entens ces Arrêts si sévéres;
Qui nous causent par tout de si grandes miséres.
Quand je vois en tous lieux tant & tant de malheurs,
Je ne puis m'empêcher de répandre des pleurs.
Les Troupeaux du Seigneur depuis long tems pâtissent.
En quantité de lieux la plûpart dépérissent.
Grand nombre de Brebis demeurent sans Pasteurs,
En danger de tomber dans de grandes erreurs.
Plusieurs de ces Pasteurs fidéles à leur Maître
N'ont plus comme antrefois le pouvoir de les paître.
Ni de les enseigner par leurs doctes Leçons,
Ni de les réjouïr par leurs saintes Chansons.
On en voit sans conduite errer à l'avanture,
Qui ne trouvent qu'à peine une maigre pâture.
Quelle pitié de voir ces foibles Animaux
Hors d'état de fournir du lait à leurs Agneaux!
La sainte Bergerie est exposée en proye
Aux méchans, qui s'en font un grand sujet de joye.
Me blamez-vous d'avoir de la compassion
Pour la calamité des enfans de Sion?
HERMAS.
Qui pourroit vous blâmer d'une telle tristesse?
Qui peut ne pas louër cette belle tendresse?
Qüi, j'aime cette ardeur & ce coeur généreux,
Qui compâtit au sort des Chrêtiens malheureux,
[Page 419]
Je vois avec plaisir la ferveur de ces flammes,
Qui de tous les Chrêtiens doit embraser les ames.
Le zéle pour l'Eglise & le zéle pour Dieu
Doivent toûjours en nous tenir le premier lieu,
Mais, Philemon, je veux qu'on regarde la cause,
Qui fait qu'à nôtre joye un si grand Roi s'oppose.
Nous avons offensé le Monarque des Cieux.
C'est ce qui doit tirer des larmes de nos yeux?
Considérez un peu quelle étoit nôtre vie?
Combien de servir Dieu nous avions peu d'envie?
Comment les vanitez occupoient nôtre coeur?
Comment sur nous le Monde étoit toûjours vainqueur?
Ne disons rien d'Alcandre & de ses grands Ministres,
Qui rendent contre nous des Arrêts si sinistres.
Ils ne sont qu'Instrumens du Maître Souverain,
Qui tient le coeur des Grands dans sa puissante main.
David,* étant maudit d'un cruel
Adversaire,
Disoit, C'est l'Eternel qui lui dit de le faire.
C'est l'Eternel aussi, qui conduit tous les coups,
Dont avec tant d'effort on vient fondre sur nous.
PHILEMON.
Mais on ne pense pas à venger sa querelle.
On s'oppose plûtôt à sa Gloire éternelle.
Si l'on nous fait du mal, c'est pour la vérité,
Qui, nonobstant nos moeurs, est de nôtre côté.
HERMAS.
De nos Persécuteurs laissons là les pensées.
Nos-peines sont toûjours justement dispensées.
N'a-t-on pas vû souvent un Ange destructeur
D'un juste Jugement injuste Executeur?
Les fiers Soldats d'Assur faisoient des injustices,
Quand des Juifs criminels ils punissoient les vices,
Les Rois de Babylone offensoient l'Eternel,
Lors qu'il se servoit d'eux pour punir Israël.
Si nous avions vêcu d'une innocente vie,
Jamais de nous mal faire on n'eût conçû l'envie;
Ou du moins si quelqu'un l'eût entrepris à tort.
[Page 420]
Ce n'eût jamais été qu'avec un vain effort.
N'a-t-on pas au milieu des Loups vû l'Agneau paître;
Par les Ordres sacrez de nôtre Divin Maître?
Souvent n'a-t-on pas vû les plus foibles enfans
Jouër en sûreté sur les trous des Serpens?
Si les temps out changé, c'est que nôtre malice,
A de Dieu, trop de fois, désié la Justice.
C'est pour le grand mépris de ses Divines Loix,
Qu il lâche l'Ennemi pour nous mettre aux abois.
PHILEMON.
Vous me faires bieu-voir, que ma douleur extrême.
Avoi [...] mis mon esprit un pen hors de lui même.
Reconnoislant enfin mes grands égaremens,
J'adore de mon Dieu les justes Jugemens.
Cepeudant, Sage Hermas, oserai, je vous dire,
Que plus je voy Dieu juste, & tant plus j'en soûpire.
Car puis qu'il nous punit en son juste courroux,
S'il laisse l'ennemi frapper tous ses grands coups;
Et permet qu'on poursuive une telle entreprise;
Je veux vous demander que deviendra l'Eglise?
HERMAS.
Philemon, comme Christ ne sçauroit plus mourir,
L'Eglise assurément ne peut jamais périr..
PHILEMON.
Des Suivans de l'Agneau, dans quelque part qu'il aille,
Je n'appréhende pas que la race défaille.
Je ne crains pas de voir le Seigneur fans Troupeaux.
Le grand Pasteur ne peut perdre tous ses Agneaux.
Quand je vous ai marqué ma crainte pour l'Eglise;
Je parlois des Troupeaux, qu'en France l'on méprise.
HERMAS.
Si nous perséverons dans nos vices honteux,
Il faut attendre encor des temps plus malheureux,
Dieu ne peut supporter les ames criminelles.
Sa fureur se tépand sur les Chrêtiens rebelles.
Quand nous nous obstinons de suivre nos erreurs,
Il faut appréhender d'éternelles horreurs,
[Page 421]
Mais quand on se repent, en implorant la grace,
On voit bien-tôt cesser les coups de la disgrace:
Et quoi que nous fussions aux portes de la Mort,
Dieu, fort heureusement, nous fait surgir au Port.
Il ne tient donc qu'à nous d'adoucir nos miséres,
Et d'avoir du reméde à nos douleurs améres.
Changeous l'amour du Monde en un céleste Amour;
Le secours nous poindra, comme l'Aube du jour,
Voilà de nôtre Dieu la conduite ordinaire,
Mais ne sçave [...]-vous rien de tout ce grand Mystére,
Que Dieu doit accomplir à peu prés dans ces temps:
Et dont, pour moi, j'attens tous les jours les moments.
PHILEMON.
Je m'imagine bien ce que vous voulez dire.
Mais fort souvent on croit ce que son coeur desire.
HERMAS.
Philemon autrefois j'en étois dégoûté,
Et pendant un long temps j'en fus fort rebuté.
Mais en examinant de prés cette matiére,
Mon esprit s'est rempli d'une grande lumiére.
PHILEMON.
Sur ce digne sujet n'étant pas bien instruit,
Je voudrois avoir vû la clarté qui vous luit.
Vous me voyez ici tout prêt de vous entendre,
Pour voir si je pourrai nettement le comprendre;
Vous me ferez, Hermas, un extrême plaisir.
HERMAS.
Voici ce qui'd'abord excita mon desir.
Je lûs,* Bienheureux estqui lira dans ce Livre,
Le méditant souvent à dessein de le suivre.
C'est dans l'Apocalypse, où l'Ange en commençant
Parle de cette sorte, & même en finissant.
Ce discours répété me fit dire en moi-même,
Il faut que le Seigneur, dont la bouté suprême
Nous parle en tant de lieux avec tant de clartez,
Ait mis de grands secrets sous ces obscuritez.
Side les pénétrer il est trés-difficile,
Sans doute qu'il nous est infiniment utile.
[Page 422]
Cet encouragement n'est pas sans grand dessein,
Soit au commencement, soit sur tout à la fin.
Dans le commencement c'est pour nous faire suivre
Ce qui se trouve écrit jusqu'à la fin du livre.
Sur la fin ce discours n'est que pour nous porter
A le relire encore; & toûjours répéter
Cette Sainte Lecture avec beaucoup d'instance,
Jusqu'à-ce qu'on en ait reçû l'intelligence,
Et que continuant d'un cours perpétuel,
On sçache ces secrets du Dieu Saint d'Israêl.
PHILEMON.
Cette réflexion que vous venez de faire,
Me paroît à present être fort nécessaire.
Elle m'obligera de lire desormais
Ce beau Livre sacré sans m'en lasser jamais.
HERMAS.
Ce fut donc, Philemon, dans ces bonnes pensées,
Que me refléchissant sur les choses passées,
Pour les bien confronter avec ce bel écrit;
Un rapport merveilleux satisfit mon esprit.
Afin d'y parvenir me furent en grande ayde;
Taffin, Launay, Testard, Bullinger, Joseph Mede,
§ 1. Bernardin de Montreüil Jesuïte sçavant,
Qui dans ces grands secrets pénétre fort avant.
Aydé par ces moyens, j'apperçois la lumiére
Qui découvre à mes yeux cet excellent Mystére.
Et, pénétrant ainsi dans ces obscuritez,
Dieu montre à mon esprit de grandes veritez.
Ce n'est pas toutefois que j'osasse prétendre,
Qu'on puisse sans errer toute chose y comprendre,
Mais un esprit soumis se trouve assez content,
S'il y voit des clartez qui le rendent constant.
Et lui font adorer la Sagesse Divine,
Dont ce Livre sacré tire son Origine.
Je ne parlerai pas de tous ces grands Secrets,
Où l'on fait tous les jours quelques nouveaux Progrés.
Ici je me restreins seulement à vous dire,
Ce qui peut soulager vôtre coeur qui soûpire;
Dans la crainte de voir la Fille de Sion,
Succomber sous le poids de son oppression.
Remarquez bien que l'Ange à l'abord represente,
A nos yeux, le Portrait de l'Eglise naissante.
Et que continuant, il peint, dés son Berceau,
Tous ses divers états, d'un trés-riche pinceau.
On y voit ses combats, comme ils sont dans l'Histo ire;
Ceux des Siécles passez, ceux de fraîche mémoire.
Vous y voyez dépeins ses Travaux glorieux,
Ses périls surmontez par le pouvoir des Cieux.
Vous y voyez sur tout l'éclatante Victoire,
Qui la doit couronner d'une immortelle Gloire.
Vous y voyez enfin, sous ses pieds abattus,
Tous les fiers ennemis de ses grandes Vertus.
PHILEMON.
Je ne vois pas encor jusqu'ici d'assurance,
Que l'Eglise toûjours doive être dans la France.
Dieu lui promt, sans doute, un sort victorieux.
Mais comment pouvons-nous l'espérer en tous lieux?
HERMAS.
J'ai voulu dire en gros ce qu'on voit dans ce Livre.
Prenez, cher Philemon, la peine de me suivre.
Je vais incontinent montrer en peu de mois,
Que nous surmonterons même les plus grands maux.
Et qu'enfin il faudra que nôtre patience,
Triomphe de l'erreur, même dans nôtre France.
PHILEMON.
J'écoute, sage Hermas, vos excellens discours.
HERMAS.
Si l'Eglise doit vaincre, il doit venir des jours,
Ausquels ses ennemis, allant en décadence,
Ne puissent soûtenir le choc de la Vengeance,
Ausquels mêmes avant le dernier point fatal,
Ce qu'ils projetteront leur doit tourner en mal:
§. 2. Ausquels ils forgerontde leurs mains des machines,
Pour se précipiter dans diverses ruïnes;
Jusques à ce qu'enfin, par un dernier effort,
Ils aillent se cherchet une houteuse mort,
Si ce que je vous dis vous paroît admirable,
Il ne faut pas penser qu'il soit moins veritable.
St * quelqu'un, dit Jesus, veut détruire mes Oints,
Qui sont de mes Edits les fidéles Témoins,
Incontinent le seu sortira de leur bouche,
Pour consumer la main, qui rudement les Touche.
Sur ce pied, je suis seur, que tous ces grands travaux,
Par lesquels on prétend nous brasser tant de maux;
Que ces cruels projets (quelques ordres qu'on prenne
Pour exercer sur nous une cruelle gêne
Bt nous envelopper dans d'extrémes malheurs)
Retomberont un jour sur leurs propres Auteurs.
Ne remarquez-vous pas, depuis que la Puissance,
Qui prétend dominer sur nôtre conscience,
A trouvé sur ses bras de saints Réformateurs,
Qu'elle a voulu dompter par ses Persécuteurs;
Ne remarquez-vous pas que toutes ses Pratiques,
Ses desseins criminels, ses Actes si Tragiques,
Bien loin de lui servir, n'ont fait que reculer
Tous ses vastes projets; & son Trône ébranler.
Si nous avons souffert; cependant nôtre Cause
A toûjours triomphé, sans perdre aucune chose.
Toûjours les vrais Témoins, armez de vérité,
Ont fait tomber des Pans de la grande Cité.
PHILEMON.
Ce que vous dites, Hermas, est trés-considérable.
HERMAS.
A mon lens, Philemon, il est incontestable.
Mais je dis encor plus, pour mieux vous faire voir,
Quel succés merveilleux tout ceci doit avoir.
Il faut considérer ces § Phioles terribles,
Qui contiennent de Dieu les jugemens horribles:
Et qu'on doit voir verser, dans le terme préfix,
§. 3. Sur l'Empire marqué, Six Cent Soixante & Six.
C'est pour signifier, qu'en des Saisons diverses
Dieu doit faire venir des Temps pleins de traverses,
Pour la grande Cité, qui tient, dans l'Occident,
La place, que tenoit Babel dans l'Orient.
Temps ausquels on doit voir, à diverses reprises,
Plusieurs contrequarrer ses grandes entreprises.
Et s'opposer si fort à ses vastes projets,
Qu'ils lui détournerout presque tous ses Sujets.
Temps ausquels on doit voir les Villes, les Provinces,
Les Royaumes entiers avec les plus grands Princes,
Etant desen yvrez de son filtre amoureux,
Secouër le fardeau de son joug rigoureux.
§ 4. Temps ausquels les Amans, qui l'au [...]ont maintenuë,
Retirant leurs faveurs, la rendront toute nuë:
Et, par un trés-amer, mais trés-juste revers,
Découvriront sa honte aux yeux de l'Univers.
Si donc ces accidens, ces grandes avantures,
Agréables aux uns, pour les autres trés-dures,
Ne doivent arriver qu'en diverses saisons,
Dieu le voulant ainsi pour de justes raisons;
Par leur description l'Esprit nous fait comprendre,
Que quand quelque Phiole on aura vû répandre,
Et que par ce moyen quelques puistans Etats
Se seront séparez, aprés plusieurs Combats:
§. 5. On ne trouvera plus que la Cité rengage
Aucun d'eux sous le joug de ce dur esclavage.
Elle y tâchera bien, & même quelquefois
Ils sembleront tout prés de rentrer sous ses Loix.
Mais il est trés certain, malgré les apparences,
Qu'on verra succomber ses grandes espérances.
Oüi, ses vastes desseins, injustement tentez,
A sa confusion seront déconcertez.
Ainsi Rome autrefois, qu'on nommoit l'Eternelle,
Dont l'orgueil se vantoit d'une gloire immortelle,
Où les Cesars régnoient d'un air si glorieux,
Et dont l'Empire étoit sans pareil sous les Cieux,
Cette superbe Rome, en merveilles féconde,
Qu'on tenoit en tous lieux pour la Reine du Monde;
Cette Ville n'a pû reprendre son Terrein,
Depuis que l'on a vû commencer son Déclin.
Elle n'a jamais pû regagner les Provinces,
Qu'avoient houteusement laissé perdre ses Princes.
Ou bien si quelquefois, par de puissans Efforts,
Elle reconqueroit quelques-uns de ses Forts;
Elle perdoit bien-tôt sa nouvelle Conquête,
Et les traits de sa main retombant sur sa tête,
Ses projets les plus beaux ne faisoient qu'irriter
Les autres Nations, pour la venir dompter.
Voilà, cher Philemon, la peinture naïve
De cette Babylone, où l'Eglise Captive
Doit être sous le joug mil deux cens soixante ans.
Confrontant à cela tous les événemens;
Lors que j'ai bien pensé sur les choses passées,
J'en ai pour l'avenir d'agréables pensées.
Le present à nos yeux est un objet d'horreur,
Qui nous donne en tous lieux des sujets de terreur.
Mais quand j'ai regardé la fin de chaque chose,
Mon esprit arrêté doucement se repose.
Et je suis assuré de voir évanouïs
Les injustes desseins de nos fiers Ennemis.
Il faut être ignorant des Divines Paroles,
Pour ne comprendre pas que de ces sept Phioles,
Qu'on devoit voir verser sur la grande Cité;
Plusieurs ont de ses murs de grands Pans emporté.
Je ne dis pas ici la Playe, ou nous en sommes,
Et sans trop m'arrêter aux sentimens des hommes,
Dont les uns marquent plus, les autres marquent moins:
L'expérience m'est de suffisans Témoins.
Soit que l'Ange ait déja versé la quatriéme,
Soit que l'on soit venu jusques à la cinquiéme,
Il est clair, que la Ville aux Sept Monts a perdu
Beaucoup plus de Terrein, qu'on ne l'eût attendu.
Vous sçavez que chacun redoutant sa puissance,
Se rangeoit sous ses Loix avec obéïssance.
Vous sçavez que chacun, avec humilité,
Alloit se prosterner devant Sa Sainteté.
De cent Peuples divers elle avoit les hommages.
Ceux qui plus l'honoroient passoient pour les plus sages.
Les plus grands Rois, soûmis à sa vaine grandeur,
D'elle croyoient tenir leur Trône & leur splendeur.
C'étoit à qui feroit les plus grandes largesses,
Pour la rendre splendide, abondante en richesses.
Enfin tout l'Univers sembloit fait à dessein
De verser & tresors & plaisirs dans son sein.
Croissant assez long-temps depuis sa renaissance,
Elle eut assez long-temps sa ferme consistance.
Si donc de nôtre temps elle est sur son déclin,
Pouvons nous plus douter qu'elle est prés de sa fin.
Tant d'Etats, qui faisoient tout ce qu'elle desire,
Détachez aujourd'hui de son superbe Empire;
Tant de Peuples divers si soûmis autrefois,
Qui méprisent son foudre & rejettent ses Loix;
Tant de Princes puissans, tant de fameuses Villes;
Qui contre son pouvoir sont de trés-seurs Azyles;
Son Siége si fameux, presque plus redouté;
Même entre ses Sujets beaucoup décrédité;
Cette lumiére aussi que l'Art d'imprimer donne,
Et qui ternit l'éclat de la triple Couronne;
Ne sont-ce pas pour nous de trés-forts Argumens,
Qu'elle n'a, pour régner, plus que fort peu de temps?
PHILEMON.
Vos raisons, sage Hermas, bannissant ma tristesse,
Remplissent mon esprit d'une sainte allegresse.
Je commence à goûter vos excellens discours.
Ils me font esperer de plus tranquilles jours.
HERMAS.
Considérez encor les estorts & la ruse,
Dont depuis si long temps la Ville aux Sept Monts use,
Pour remettre ses Loix dans les divers Etats,
Qui l'ont abandonnée en différens Climas.
Le grand Flambeau des Cieux, source de la Lumiére,
Bien cent cinquante fois a fourni sa Carriére,
Depuis que ces Sujets de la grande Cité
Ont secoüé le joug de son autorité.
Ne sçait-on pas combien elle s'est efforcée,
De regagner tous ceux qui l'avoient delaissée;
[Page 428]
Inventant tous les jours quelques nouveaux moyens,
Afin de les reprendre encor dans ses liens?
Fort souvent par menace, & souvent par promesses;
Tantôt par les tourmens; tantôt par les caresses:
Tantôt d'un ton altier, parlant ouvertement,
Et rantôt, par finesse, agissant sourdement.
Tantôt à main armée, & tantôt par disputes:
Tantôt par jugement; tantôt par des émûtes:
Tantôt en suscitant de faux Accusateurs,
Tantôt en se servant des feintes des Flateurs.
Tantôt en soûlevant de puissantes Provinces.
Tantôt en attaquant la Personne des Princes;
Qui pourroit reciter tous les moyens divers,
Qu'elle employe toûjours pour dompter l'Univers;
Et ranger sous son joug tous les Peuples fidéles,
Qui parmi ses dévots passent pour des rebelles?
Cependant, Philemon, où voit-on qu'elle ait pû
§. 6. Regaguer pour long temps, ce qu'elle avoit perdu.
Souvent sur l'Angleterre elle a pris des mesures,
Pour la reconquerir, qui lui paroissoient sûres:
Mais nous ne voyons pas que, suivant son desir,
Dans aucune entreprise elle ait pû réüssir.
Admirez bien sur tout la fatale journée,
Qui défit si so udain cette puissante Armée,
Qu'avec tant de dépense, & de si grands efforts,
On envoya* par Mer pour envahir ses Ports.
Le Conseil de l'Espagn & celui de l'Eglise
Avoient bien concerté cette grande entreprise.
Le terrible Armement de cent trente Vaisseaux,
Sans ceux du Parmesan, voguant dessus les caux,
Alloient favoriser les secrettes Pratiques,
Qu'en cette Isle faisoient de rusez Politiques.
Tout étoit de maniére, & dedans & dehors,
Que de se faire voir seulement sur les bords,
On eût dit que c'étoit aslez pour la Conquête,
Que leur ambition sembloit voir toute prête.
Du deslein le succés étoit fort apparent,
[Page 429]
Mais là dessus s'en vient souffler un peu de vent,
Qui fit en un instant faire un triste naufrage,
§. 7. A ceux qui des Anglois machinoient l'esclavage.
Quelques un [...] des Vaisseaux échoüans dés le Port,
Présagérent poor tous un trés-funeste sort.
La plüpart arrivez dans la Mer Britannique,
Ne pûrent seconder la secrette pratique.
Les uns, en moins de rien, par le vent secoüez,
Dans le Pas de Calais se virent échoüez:
Les autres écartez vers l'Irlande & l'Ecosse,
Dans le sein de la Mer rencontrérent leur fosse:
Et de tant de Vaisseaux de ce grand Armement,
A peine en resta t-il vingt & cinq le [...]lement:
Plus de cent demeurant pour servir de curée
Aux grands Monstres marins de cette onde salée.
Le Duc de Medina Général trés-prudent,
Ne pouvant réparer ce facheux accident,
Avec peu de ses gens retourné dans l'Espagne,
Pour y rendre raison de sa triste Campagne,
Se voulut excuser en accusant les Mers,
En accusant les vents, qui souffloient dans les airs;
Accusant la Fortune; accusant la tempête,
Pour détourner les coups qui menaçoient sa tête.
Mais c'est le Tout-Puissant, dont il ne parla pas,
Qui baisse, ou fait monter les degrez des Etats;
Qui présidant toûjours sur lesort de la Guerre,
Soit aux Combats de Mer, soit aux Combats de Terre.
Par ces mauvais succés veut montrer le destin,
Que l'on doit espérer, de l'Empire Latin.
PHILEMON.
L'Escalade en ce lieu me revient en mémoire,
Ainsi que je l'ai lûë autresois dans l'Histoire.
Et que les Génevois la chantent aujourd'hui,
Pour célébrer le nom du Seigneur, leur Appui:
Ici je me remets la Hollande oppressée,
Ses Etats desolez, sa force renversée,
Ses Forts abandonnez par des Soldats sans coeur,
Presque tous ses Païs sous le joug d'un Vainqueur.
[Page 430]
D'un Vainqueur qui marchoit comme un Foudre de Guerre;
D'un Vainquenr qui faisoit trembler toute la Terre;
D'un Vainqueur, sous lequel tout le Parti Romain
Pensoit y voir remis le Service Latin.
Mais le Seigueur, qui fait toutes les destinées,
Aprés un châtiment de deux ou trois années,
Enfin les a remis dans un état plus sain,
Qu'avant qu'on eût porté la Guerre dans leur sein.
HERMAS.
Ceux qui voudront ouvrir les yeux & les oreilles,
§. 8. Poutront trouver ailleurs desemblables merveilles,
Qui montrent, qu'ayant eu son plus haut ascendant,
Rome doit desormais aller en descendant:
Que ce qu'elle entreprend depuis plusieurs années,
Ne fait rien qu'avancer ses tristes destinées.
Heureux cent fois heureux ceux qui la quitteront,
Ses Amans obstinez dans son sein périront.
Encor, cher Philemon, un peu de patience;
Nous serons triomphans, même dans nôtre France.
Et ce qu'en d'autres lieux plusieurs ont entrepris,
Ne fera de nouveau qu'aigrir tous les esprits,
Pour les porter à rendre à Baby lone au double
De ce qu'elle a causé d'amertume & de trouble.
Ne vous étonnez pas de voir, fortabaissez,
Les fidéles qui sont aux Combats exposez.
Quand les* Témoins dévront finir leur Témoignage,
Ce Témoignage au moins qu'ils font dans l'esclavage,
La Bête, en ce temps-là, se trouvant sur ses Fins,
Aura de grands succés dans ses méchans desseins.
Elle leur causera les derniéres disgraces,
Jusqu'à les renverser au milieu de ses places.
Ses fiers adorateurs, en étant tout joyeux,
Triompheront déja commé Victorieux.
Mais l'Esprit qui prédit ces superbes Trophées,
Ne leur donne de temps que trois ou quatre années.
Ces Athlétes bien-tôt, de leurabaissement.
Se verront relevez presques en un moment.
L'Esprit Saint du Dieu Saint viendra rendre la vie,
Aux Témoins, abattus par la haiue & l'envie.
On les verra, sur pieds avec plus de vigueur,
Dans les coeurs ennemis imprimer la terreur.
PHILEMON.
Hermas, je suis tavi d'une leçon si sage;
Vôtre docte discours reléve mon courage.
Et je ne voudrois pas, méme pour un grand gain,
N'avoir eu le bonheur de vous voir ce matin.
HERMAS.
Achevons en deux mots cette riche matiére,
Pour nous encourager à fournir la carriére.
A voir tous les grands maux que l'on nous fait souffrir.
Plusieurs pensent de nous, que nous allons périr.
Mais ces gens, mal instruits, raisonnent selon l'homme.
Tous ces maux, selon Dieu, sont la perte de Rome.
Si nous recherchions bien le Royaume des Cieux,
De souffrir pour Jesus on nous verroit joyeux.
Car si nôtre intérêt périt dans la souftrance;
La vérité pourtant incessamment s'avance.
Remarquons nous l'erreur regagner le dessus,
Et les services faux croître de plus en plus?
Voyons-nous aujourd'hui revenir les tenébres,
Pour nous envelopper de leurs voiles funébres?
Voyons nous s'abaisser la splendeur qui nous luit,
Pour se précipiter dans une obscure nuit?
Plûtôt comme l'on voit, dans sa vaste carriére,
Le Soleil du matin augmenter sa lumiére,
Jusques à ce qu'il soit monté dans son midi:
Ainsi la verité d'un vol prompt & hardi,
Va toûjours élevant sa lumiére éclatante.
Et se montre à nos yeux plus vive & plus brillante.
C'est par-là que l'on voit en plusieurs excité
Le desir de chercher la plus belle clarté:
Un desir, qui, malgré tant de sujets de crainte,
Ne fait que s'augmenter, même par la contrainte.
C'est par-là que l'on voit en plusieurs lieux tomber
La Superstition prête de succomber.
C'est par-là que plusieurs, dessillant leurs paupiéres,
Commencent d'entrevoir nos Célestes Mystéres.
Car combien pensez-vous, qu'on trouvât aujourd'hui
De gens, qui pour nos maux sont pénétrez d'ennui;
Qui voudroient de bon coeur, dans cette découverte,
Pour Jes bons sentimens voir une porte ouverte;
Et pouvoir professer hautement devant tous,
Qu'il faut adorer Dieu, comme on fait entre nous?
O combien qui voudroient voir lever ces Défenses,
Dont l'injuste rigueur gêne les consciences;
Soûpirant ardemment aprés la liberté
De suivre, sans danger, la pure verité?
Je suis seur que par-là bien-tôt toute la France,
Auroit en moins de rien suivi nôtre Créance.
Et par-là je connois que le jour qui nous luit,
N'est-pas un Crépuscule à finir dans la nuit:
Mais la pointe du jour, ou l'Aurore Vermeille,
Qui d'un Soleil levant annonce la merveille;
Admirable Soleil, dont le lustre éclatant
Ne finira jamais par aucun occident.
Soleil trés lumineux, Soleil plus salutaire,
Que l'astre qui du jour apporte la lumiére.
En vain pour l'obscurcir on décoche des traits.
Dessous lui tomberont ces nuages épais.
Il percera la nuë, écartera l'orage;
Pour montrer clairement son céleste visage.
Lors que de m'élever je prens un peu de soin,
Il me semble-déja que je le vois de loin,
Qui s'en vient dissiper cette fumée obscure,
Qui du* Temple, qui s'ouvre occupe l'ouverture,
Et détourne plusieurs d'entrer dans ce saint lieu,
Afin d'y célébrer le service de Dieu.
Il me semble déja voir cette § Mer de Verre,
Au travers de laquelle on découvre une Terre,
Où nous pourrons sans crainte adorer nôtre Dieu:
Je pense à cette Mer toute rouge de feu;
Aprés quoi nous ferons retentir dans la France,
Les Cantiques Sacrez de nôtre delivrance.
Le Feu, c'est clairement la Persécution.
Le Verre est la Lumiére en cette affliction;
Afin de nous donner un coeur constant & sage,
Pour, malgré tant de flots, tendre vers le rivage.
PHILEMON.
On diroit, sage Hermas, à vous ouïr parler,
§. 9. Qu'on ne doit pas beaucoup voir de temps s'é­couler,
Jusqu'au terme préfix des heureuses journées,
Où nous verrons finir nos tristes destinées.
Que me direz-vous donc de tant d'empêchemens,
Qui semblent éloigner ces bienheureux momens?
HERMAS.
Qui peut empêcher Dieu de faire des miracles?
Qui peut contre sa force opposer des obstacles?
Puis qu'il tient dans sa main le coeur des plus grands Rois;
Il les fait, quand il veut, ployer dessous ses Loix.
Nôtre Monarque suit des avis tout contraires
A la protection, que nous donnoieut ses Peres.
L'Esprit, qui quelquefois tout d'un coup fait des Saints,
Lui peut en un moment donner d'autres desseins.
Enfin quelque dessein que l'homme se propose;
Dieu par divers moyens sçait maintenir sa cause.
Ses Arrêts éternels, fermement arrêtez,
Trés-infailliblement seront executez.
On voit écrit ces mots,* Babylone est tombée;
La Sentence en partie en est executée.
La Cité, qui les Rois a trop voulu dompter,
D'un degré seulement ne put donc remonter.
Malgré tous les Arrêts qui l'appuyent en France,
Je la vois qui s'en va toûjours en décadence.
Tout ce qu'elle entreprend pour nous faire tomber,
Dans quelque temps d'ici la fera succomber.
PHILEMON.
[Page 434]
Ici je me souviens, Hermas, d'une pensée,
Qu'Evandre me disoit la semaine passée.
Je n'y fis pas alors grande réflxion,
Mais ye la trouve propre en cette occasion.
Cette Cité, dit-il, est une Courtisane,
Dont le prétexte est saint; mais l'humeur trés-profane;
Elle avoit autrefois, par des charmes trompeurs,
De quantité d'Amans deçû les foibles coeurs;
Et par le vain éclat des belles apparences,
Leur mettoit dans l'esprit de hautes espérances:
Mais dans ces derniers temps elle est sur son retour,
Et ne peut desormais donner beau d'amour.
HERMAS.
Cette comparaison est d'autant mieux fondée,
Que dans* l'Apocalypse on en tronve l'idée;
Plusieurs Docteurs Romains mêmes ont avoüé
Que ce nom de Paillarde, à Rome est dévoüé.
Toute la Terre étoit débauchée aprés elle,
Et chacun dans son sein d'une ardeur criminelle;
Se laissant posséder par d'injustes desirs,
Sans remors, à longs traits, goûtoit tous ses plaisirs.
Et plus dans ses desseins, & plus dans ses affaires,
On voyoit de façons, on trouvoit de mystéres;
Plus aussi les Etats & les plus puissans Rois,
A l'envi, s'em pressoient à recevoir ses Loix.
Mais plusieurs, repentans de leurs fautes passées,
Résolus de quitter leurs erreurs insensées,
Ont enfin imité ces Amans abusez,
Qui, n'étant de l'amour que trop favorisez,
Se résolvent pourtant, d'un généreux courage,
De rompre les liens d'un honteux esclavage,
Et changent leur amour en un juste mépris,
Pour payer ces faveurs selon leur digne prix.
Quand on fait une fois de semblables ruptures,
Sur tout par le dégoût des voluptez impures.
On en voit peu vouloir rentrer dans la prison,
[Page 435]
Qui captivoit leurs corps, leurs biens & leur raïson.
Ces exemples plûtôt font concevoir l'envie,
A d'autres, de changer leur maniére de vie,
Et de briser les fers, qui les tenoient captifs,
Et morts dans le péché, bien qu'ils parussent vifs,
De même il est certain que, quoi que puisse faire,
Cette Ville aux Sept Monts sous couleur de mystére;
De plusieurs titres vains elle a beau se parer,
Elle ne peut jamais ses brêches réparer.
Puis que depuis long-temps son retour se commence,
Elle dépétira toûjours sans qu'elle y pense.
Et sans cesse elle ira de déclin en déclin,
Jusqu'à-ce qu'elle tombe à sa derniére fin.
PHILEMON.
J'ai beaucoup, sage Hermas, de graces à vous rendre,
Je me tiens bienheureux d'avoir pû vous entendre.
J'étois triste d'abord, & je suis tout joyeux,
De sçavoir le bonheur qu'attendent nos neveux
Et que nous pourtions voir, si nous nous rendions dignes,
Par nôtre sainteté, de ces faveurs insigues.
O les heureux Bergers! qui, dans leurs chers Trou­peaux,
Se verront quelque jour exempts de tous nos maux,
Et pourront librement, comme au Ciel font les Anges,
De nôtre puissant Dieu célébrer les loüanges;
Et faire retentir les Echos de leurs Bois
De chants mélodieux sur ses Divines Loix.
Fin de l'Eclogue.

ECLAIRCISSEMENS SUR L'ECLOGUE QUI A POUR TITRE, LA DECADENCE DE L'EMPIRE PAPAL.

ON pesera sans doute, en voyant le tî­tre de cet Eclogue, & le temps auquel elle a été composée, que c'est avoir été bien hardi, que de parler de Décadence de l'Em­pire Papal, dans un temps, où tout le monde jugeoit, que la Réformation périssoit en Fran­ce, aussi bien qu'en Hongrie, & oùl'on voyóit déja l'apparence de plusieurs projets pour la per­dre en d'autres lieux. Mais c'est ainsi, qu'en­tre les bras de la mort même, la foi nous fait attendre-une résurrection bien-heureuse: & sur [Page 437]tout comme ceux qui ont lû l'Apocalypse avec application, ont remarqué que la Réformation est un Ouvrage Divin, qui doit s'élever à une plus grande perfection sur les ruïnes de l'erreur & de la superstition Romaine, ils trouvent dans cette révélation de puissantes raisons pour es­pérer fermement, dans les plus grandes op­pressions de l'Eglise, que Dieu l'en relévera bientôt. C'est de là assurément que vient cet esprit, qui est en quelque maniére un esprit Prophetique dans les vrais Fidéles, qui ont quelque teinture de ce Livre, lors même qu'ils sont le plus furieusement persécutez. Ils atten­dent toûjours un Moyse pour les delivrer, quand les briques se multiplient le plus, & ils se sen­tent comme forcez à le prédire, malgré les ob­stacles qu'ils y voyent. Les esprits forts (qui ont pourtant cette foiblesse de ne juger que se­lon les apparences humaines) se moquent d'or­dinaire de cette attente, & la traittent de vision chimérique: mais en vérité on peut assurer, que c'est leur faire grace, que de dire, qu'ils tiennent moins de la foi d'Abraham, que de l'incrédulité de Thomas.

§. 1. Page 422.
Bernardin de Montreüil, &c.

Ce n'a pas été apparemment le dessein de ce Jésuite de trahir la cause de l'Eglise Romaine. Ces Messieurs ont toûjours été assez bons amis du S. Siége, quoi qu'à present ils ne soient pas [Page 430] [...] [Page 431] [...] [Page 432] [...] [Page 433] [...] [Page 434] [...] [Page 435] [...] [Page 436] [...] [Page 437] [...] [Page 438]en bonne intelligence avec Innocent XI. mais quelquefois ils se sentent forcez de rendre té­moignage à la verité. La connoissance que ce Bernardin de Montreüil avoit du sujet, qui est ici traité, paroît sur tout en ce qu'il dit de la Babylone de l'Apocalypse, que c'est* la Ba­bylone Occidentale; la premiere Ville du parti de l'Antechrist: Que l'Antechrist est le Prince qui la doit maintenir: Que les dix Rois, signi­fiez par les dix cornes de la Bête, sont les sujets de sa grandeur & de celle de l'Antechrist: Que l'Antechrist est le Chef de la ligue de cette Baby­lone; le Monarque qu'elle adorera & que ses Princes serviront. § Il leur attribuë une union d'impiété. Il nomme l'Antechrist & ses Secta­teurs le Prince & le parti de cette Babylone? † Et il ajoûte, que les dix Rois offriront leur af­fection, leur service, & leurs Royaumes à l'Antechrist, & à cette Ville aussi brutale que lui. On trouve dans ces paroles ceci de par [...]i­culier, en faveur de la vérité, qu'au lieu que les autres Auteurs de la Communion Romai­ne, qui reconnoissent que Rome est la Baby­lone de l'Apocalypse, font de cette Babylone & de l'Antechrist deux partis entiérement op­posez, au contraire ce Jésuite n'en fait qu'un seul & même parti, & il les met dans une union trés-étroite. Il est aisé de voir combien ce té­moignage, qui est fort bien appuyé de rai­sons, [Page 439]est favorable au parti des Réformez.

§. 2. Pag. 423.
Ils forgeront de leurs mains des machines; Pour se précipiter dans diverses ruïnes.

En effet c'est l'ordinaire que le méchant tombe dans la fosse, qu'il creuse lui-même, & qu'il se prend au filé qu'il a tendu. Tous les méchans sont comme le Diable, leur Maître, qui a perdu son Empire en voulant perdre le Sauveur. Mais particuliérement l'Antechrist & ses Sectateurs ont été figurez par Goliat, de l'épée duquel David se servit pourlui couper la tête, & par Aman qui fut pendu au Gibet, qu'il avoit fait élever pour pendre Mardochée. Aussi, si on considére les choses de prés, on trouvera, que depuis que la Réformation a commencé, tout ce qui sembloit devoir con­server Rome dans sa Splendeur, n'a servi qu'à la perdre. Les indulgences, qui étoient une source de ses Thresors, ont donné occasion à Luther de soulever contre elle avec justice presque toute l'Allemagne; & plusieurs au­tres Etats. Le pouvoir que les Papes s'étoient faussement attribué de dispenser, étoit une autre source de richesses; cependant c'est ce qui a donné lieu à la separation de l'Angleter­re, d'où les Papes tiroient des sommes im­menses. L'inquisition dont son Clergé preten­doit [Page 440]faire son plus puissant rempart, lui a fait perdre entiérement les Provinces-Unies, & a obligé d'autres Etats à prendre des précau­tions pour ne se pas laisser assujettir entiére­ment. On Remarque justement, que la ri­gueur, dont le Cardinal Cajetan usa contre Luther, nuisit beaucoup à la cause du Pape. C'est pourquoi le Nonce Miltits voulut en user avec plus de douceur, mais [...]cela gâta tout, comme en parle même le Sieur Meymbourg dans son Lutheranisme. Si l'Eglise Romaine ne persécute pas; plusieurs l'abando [...]ent sans crainte: si elle persécute; elle fait connoître ses maniéres Antichrétiennes, & qu'elle est cette Babylone, qui est toûjours prête à s'en­yvrer du Sang des Saints & des Martyrs de Jesus: Ainsi sa persécution inspire une plus grande haine à ceux qui se sont déja separez d'avec elle, & donne occasion à plusieurs au­tres de s'éclairer; pour sortir de ses piéges. C'est ainsi que le Célébre Auteur de l'Histoi­re du Concile de Trente remarque, que la mort d'Anne du Bourg reveilla la curiosité de connoître sa Religion, & accrût le nombre de ceux qui la professoient. Et en Général Meze­rai, sur l'An 1559. dit, que la Religion des Reformez ne faisoit que croître par les suppli­ces, qui la répandoient & l'enflammoient d'a­vantage. Qu'on considére aussi les Jesuites qui ont été regardez comme les suppos les plus [Page 441]propres à affermir le Siége Papal: Ne parois­sent-ils pas aujourd'hui, aux plus clair-voyans, sapper les fondemens de son authorité, par l'envie & la haine qu'ils s'attirent, même de la plûpart du parti Papiste, à cause de leur élé­vation & de leur Tyrannie. Il est impossible de tout particulariser. Pour n'être pas trop long, je n'ajoûterai plus qu'une chose, c'est que les triomphes du Papisme lui sont avec le temps beaucoup plus nuisibles qu'avantageux. Car il fait consister ses victoires à contrain­dre les consciences & à forcer les Reformez de rentrer dans la Communion Romaine; & par-là que fait-il, que renfermer dans son sein une lumiére, qui dissipe sa force, c'est à dire, ses ténébres, puis que c'est un regne de téné­bres? De maniére qu'on peut fort bien dire, qu'il en est comme de l'Arche de Dieu, que les Philistins se réjouïssoient d'avoir prise; mais qui fit casser le col à leur faux Dieu Da­gon. 1. Sam. 5.

§. 3. Pag. 424.
Sur l'Empire Marqué Six Cent Soixante & Six.

666. Sont incontestablement la significa­tion de ces lettres Grecques, [...], qu'on voit à la fin du 13. Chap. de l'Apocalypse. C'est­là le Nombre de la Bête. C'est à dire que, se­lon [Page 442]la maniére de compter entre les hommes, c'est un nombre qu'on doit trouver dans l'Empire dont il s'agit. Car ce mot de Bête, dans ce Livre, aussi bien que dans celui de Daniel, signifie des Empires. C'est pourquoi ceux-là sont ridicules, qui cherchent ce nom­bre dans le nom d'un homme particulier, comme quelques-uns l'ont cherché dans le nom de Luther, & comme depuis peu le Sicur Simon l'a cherché dans le nom de Mr. Jurieu. Il ne s'agit pas ici d'un particulier, mais d'une domination. Or c'est ce qui convient fort bien au mot [...], qui designe l'Empire Romain, comme l'a remarqué Irenée, il y a fort long-temps, & c'est ce qui doit être d'autant plus appliqué à l'Eglise Romaine, qu'aprés sa separation d'avec l'Eglise Grecque, elle a affecté particuliérement de prendre le nom de l'Eglise Latine, & que de plus on trouve en elle tous les Caracteres attribuez à l'a Bête. Car assurement la Hierarchie Ro­maine est un Empire, qui a succede à ce­lui des Cesars, & qui a herité de leur splen­deur & de leur Majesté, comme le disent même plusieurs Docteurs Romains. C'est un Empire qui est assis sur la multitude des eaux, c'est à dire, selon l'interpretation du Saint Esprit, sur plusieurs peuples; c'est un Em­pire, qui a son Siége sur sept Montagnes, puis qu'il y en a autant à Rome. C'est un Empire [Page 443]qui s'est élevé, en même temps que plusieurs Rois, sur les ruïnes de l'Empire Romain. C'est un Empire qui Tyrannise les conscien­ces pour les obliger à prendre sa Marque; qui persécute ceux qui font profession de ne vouloir suivre que la Religion de Jesus Christ, & qui est toûjours prêt de s'enyvrer de leur sang, comme il en est effectivement tout Rouge. C'est un Empire, à qui dix Rois, au moins, ont prêté leur conseil & leur puissance; & dont plusieurs se sont aussi detachez pour accomplir déja en partie ce qui est dit Apoc. 17. vers 16. que ces Rois, qui auront don­né leur authorité à la Bête, hairont la paillar­de & la rendront desolée & nuë. C'est ainsi que si l'on regarde tous les autres Caractéres, on les trouvera dans la Communion Romai­ne; comme en effet il les faut voir tous en­semble dans un Empire, pour trouver le ve­ritable sujeet, qui est décrit dans cette Révela­tion de Saint Jean. Ceux qui prennent une autre voye, & qui regardent ces caractéres séparement se font de l'Apocalypse un Laby­rinthe, où ils sont dans un égarement conti­nuel. Aussi quand on les trouve ensemble, on peut dire que c'est une des plus fortes demon­strations que [...]'on puisse avoir. C'est pourquoi ceux qui y sont attentifs en sont puissamment touchez, & quand ils considérent qu'il est dit, sortez de Babylone mon Peuple, de peur [Page 444]que vous ne participiez à ses péchez & que vous ne receviez de ses playes, & qu'ils voyent que tous les traits par lesquels Babylone est décri­te, conviennent à l'Eglise Romaine; ils aiment mieux souffrir Mille morts, que de ne pas sortir de son sein.

§. 4. Pag. 425.
Les amants, qui l'auront maintenuë, Retirant leurs faveurs, la rendront toute nuë.

En effet les commentateurs remarquent que les Etats qui auront le plus travaillé à son exaltation, travailleront aussi le plus à sa ruï­ne. C'est sur ce principe qu'on prétend que la France, qui lui a fait le plus de bien, lui fera aussi le plus de mal. On sera peut être bien aise de sçavoir ce qu'en a dit l'Abbé Joachin, qui passoit pour un grand Prophete de son temps, & qui en effet a parlé si clairement de la maniére dont l'Eglise devoit être refor­mée, que je ne l'ai pû lire sans admiration. Car on diroit qu'il voyoit nos Consistoires, nôtre Gouvernement Ecclésiastique, nôtre Discipline, nôtre attachement à l'Ecriture Sainte au mépris des décrétales, & la maniére dont nos Ministres prêcheroient, aussi bien que la modicité de leurs gages & leur capaci­té. Voici donc ce qu'il dit touchant la France, il arrivera qu'il y aura une grande discorde [Page 445]entre les Princes. Ce n'est pas toutefois de l'Em­pire, que viendra la ruine de l'Eglise; mais sur tout du Royaume de France, afin que ce qui a servi à l'avancer & à l'élever en Gloire, serve à l'abbaisser, à la rendre méprisable, & à la faire piller. Nous mettrons ici les pro­pres paroles en Latin comme elles se lisent dans un Commentaire qu'il a fait sur le second Chapitre de Jeremie, Futurum est prorsus, ut, orta discordia inter principes, non famen ab imperio Ecclesia corruat; sed etiam à Gallia­rum regno diffidat: Ʋt unde fuit erecta & pro­vecta in gloriam, inde dejecta & despecta ve­niat in rapinam. On peut ajoûter à cela, ce que dit un autre Auteur nommé Theolospho­re, qui a fait un Traité des tribulations & de l'Etat de l'Eglise à venir, & dont on voit les Oeuvres imprimées, il y a fort long-temps, avec celles de l'Abbé Joachirt. Cet Auteur assure qu'il a recueüilli de plusieurs autres bons Auteurs, que l'Ouvrage le plus par­fait de la Réformation doit se faire par l'Au­thorité & par la puissance des Rois de France, & qu'entre autres il en viendroit un, qui ré­formeroit l'Eglise dans un état de pauvreté. Tout le monde peut sçavoir, que celui, qui est sur le Thrône à present, ne commence pas mal l'execution de l'un de ces Articles. Car assurement il ne prend pas le chemin d'enri­chir l'Eglise. Pour ce qui est de l'autre, sça­voir [Page 446]la Réformation, les démarches de ce Prin­ce y paroissent toutes contraires, & il ne se­roit pas aisé de persuader qu'il fasse jamais pour elle rien d'avantageux. Mais le temps fera connoître ce qui en doit arriver. Cependant on peut assurer que les Princes les plus contrai­res à la verité travaillent à ce dessein de Dieu, malgré qu'ils en ayent; & que Dieu fait ten­dre à ses fins ce qu'ils ne font que pour leur intérêt & pour leur vainegloire. En effet quand on ne regarde pas les choses seulement par la superficie, on voit en France tant de prépa­rations à cette grande Oeuvre, qu'on pourroit dire avec vérité, qu'un homme puissant qui auroit eu en vûë d'y travailler, ne l'auroit pû avancer jusqu'au point, où elle est. Pour­quoi ne le dirions-nous pas, puis que c'est Dieu lui-même qui y travaille, & qui se sert de la passion des hommes, pour faire ce que sa main & son conseil ont déterminé? O que les voyes de Dieu sont grandes & admirables! N'en jugeons pas par les apparences & par des vûës humaines. Les Disciples de Jesus Christ ne pouvoient s'imaginer que sa crucifixion leur pût être utile. Cependant c'a été leur salut & celui de tout le monde.

Je finirai cet Article par une ancienne Pro­phetie raportée par Pareus dans son Commen­taire sur le 17. de l'Apocalypse. J'ai hésité si je la rapporterois ici de peur qu'on ne crût que [Page 447]nous donnons à tout sans distinction. Mais en­fin on a crû que l'on pouvoit suivre les traces d'un aussi grave Auteur que l'est Pareus. Il dit donc à propos de la ruïne de la Paillarde, dont la chair sera mangée par les Rois, qu'il a trouvé dans un Manuscrit trés-ancien ce qui suit; nous mettons seulement en François ce qu'il rapporte en Latin. Il s'elevera un Roi de la Nation du trés-Illustre Fils, ayant le front long, les sourcils élevez, les yeux longs, le nez aquilin; il assemblera une grande Armée, il détruira tous les Tyrans de son Royaume, & frappera de mort tous ceux qui s'enfuyent dans les Montagnes & dans les Cavernes, pour se cacher de devant sa Face. Car la Justice lui se­ra associée, comme l'Epoux est uni avec l'E­pouse. Il fera la guerre avec eux pendant qua­rente ans, subjugant les Insulaires, les Espa­gnols & les Italiens. Il détruira Rome & Flo­rence; & les brûlera au feu; si bien qu'on pour­ra semer du sel sur cette terre. Il frappera de mort les plus élevez du Clergé, qui se sont em­parez du Siége de Pierre: Et la même année il obtiendra une double Couronne. Enfin passant la mer avec une grande Armée, il entrera dans la Gréce, & sera nommé Roi des Grecs. Il sub­juguera les Turcs & les Tartares, & fera un Edit que celui-là sera puni de mort, qui n'ado­rera pas le Crucifié. Personne ne lui pourra re­sister, parce que le bras du Seigneur sera avec [Page 448]lui. Et qu'il aura la Domination de la Terre. Le temps qui viendra aprés cela, sera nommé le repos des Chrêtiens sanctifiez. Pareus dit que l'on aura tel égard qu'on voudra à cette Prophétie. Nous disons la même chose: si el­le est veritable, il faut pourtant en attendre l'é­vénement pour connoître quel sera ce Roi de la Nation du trés-Illustre Fils. Au reste plu­sieurs prétendent que le Papisme doit subsister encore aprés la destruction de Rome. C'est sur tout le sentiment des Docteurs Romains, qui croyent que Romesera détruite. Il y a en effet beaucoup d'apparence à cela, parce que les Empires ne se détruisent pas tout d'un coup, & il y a lieu de croire qu'aprés que l'Eglise Ro­maine aura cessé d'être la plus forte, elle ne laissera pas de se conserver encore pendant un temps considérable, sur tout ayant affaire aux Protestants, qui ne sont pas portez à faire du mal quand on ne leur en fait point.

§. 5. page. 425.
On ne trouvera pas que la Cité rengage Aucun sous le joug de son dur esclavage.

Comme ces Phioles dont il est parlé au Chapitre 16. de l'Apocalypse, tendent tou­tes à la destruction de l'Empire Antichrêtien ou Papal; Il faut croire qu'elles signifient les divers détachemens des Subjets de cet Em­pire, [Page 449]qui devoient renoncer au Papisme les uns aprés les autres & à divers temps. Car c'est ainsi que les Empires se ruïnent, lors qu'ils perdent leurs Provinces & l'affection de leurs Sujets. Quand quelques Etats se sont soustraits de l'obéïssance Papale, & se sont affermis dans leur autorité, comme d'autres s'en doivent soustraire en suite; on peut con­clurre que ces premiers ne retourneront pas sous le joug de cette infame servitude, ou que si ce malheur leur arrive par quelque violence, ce ne peut être que pour fort peu de temps, comme il est arrivé à l'Angleterre du temps de la Reine Marie, qui précéda la Reine Eli­zabeth.

§ 6. page 428.
Ou voit-on qu'elle ait pû Regagner pour long-tems ce qu'elle avoit perdu?

Il est vrai que plusieurs Eglises, qui ont été dispersées, il y a long-temps, comme celles de Bohême &c. sont encore dans la disper­sion, mais il faut remarquer que l'Auteur par­le des Etats, où le Gouvernement Politique a été entre les mains des Réformez.

§ 7. page 429.
Ʋn triste n'aufrage A ceux qui des Angl ois machinoient l'Es­clavage.

On peut encore se souvenir ici de la Con­juration des poudres, aussi heureusement dis­sipée, qu'elle fut machinée méchaniment par les Jésuites. Et on doit bien remarquer cette derniére, qui quoi qu'elle soit tramée de lon­gue main, & qu'elle ait été favorisée par deux Regnes confécutifs, néanmoins se dissipe, par la grace de Dieu, à la presence de S. A. S. le Prince d'Orange, aussi facilement, que la cire se fond auprés du feu.

§ 8. page 430.
Ceux qui voudront ouvrir les yeux & les oreil­les, Pourront trouver ailleurs de semblables mer­veilles.

C'est ainsi qu'il sembloit que la Réforma­tion dût s'éteindre en Allemagne, lors que Charles-Quint eut ruïné la Ligue de Smalca­de, & sur tout aprés qu'il se fut rendu Maî­tre du Duc de Saxe & du Lantgrave de Hef­se, les deux principaux Chefs des Luthériens. Mais cependant ce Parti se releva plus fort qu'auparavant. De maniére que quelque cho­se que les Empereurs ayent pû faire depuis; ils ne l'ont pourtant pû abbattre. Nous ap­prenons aussi par l'Histoire qu'on a fait plu­sieurs tentatives sur le Royaume de Suéde, pour y rétablir le Papisme. Le Roi Jean III. [Page 451]séduit par le Jésuite Jean Laurens Nicolaï, fit abjuration du Luthéranisme entre les mains du Jésuite Possevin, dans la résolution de soû­mettre lui, & tout son Royaume, au Siége de Rome: Mais il reconnut bien-tôt sa fau­te. Son fils voulut aussi executer ce dessein pernicieux, qui lui fut malheurensement ins­piré par la Reine Catherine sa Mere. Mais pour avoir voulu servir le Pape aveuglément, il en perdit son Royaume, qui fut donné à son oncle Charles Duc de Sudermanie. Tous ces exemples & d'autres, qu'on pourroit peut-être encore trouver, montrent, qu'au lieu que les Princes, dont les Sujets ont goû­té la parole de Dieu, peuvent facilement se­coüer entiérement le joug du Pape & établir la Réformation dans leurs Etats; au contrai­re il est comme impossible qu'on remette ces Etats Réformez sous l'obéïssance de l'Eglise Romaine.

§ 9. page 433.
On ne doit pas beaucoup voir de temps s'é­couler, &c.

Il faut être fort sobre à déterminer les temps, comme les jours, les mois & les années de la delivrance de l'Eglise. Tant de gens, pour s'aquérir la réputation d'être entendus dans les Prophéties, qui est veritablement une science fort sublime ont échoüé contre cet [Page 452]écueüil, que ce nous doit être un avertisse­ment, pour nous obliger de n'en parler qu'a­vec beaucoup de retenuë. Aussi plusieurs vou­droient que l'on n'en parlât jamais, sous pré­texte que nôtre Seigneur a dit, ce n'est pas à vous de connoître les temps ni les saisons. Cependant il y a lieu de croire qu'il n'a pas ainsi parlé sans aucune exception, mais qu'il a parlé seulement des Prédictions, qui ne sont marquées par aucune circonstance de temps, comme ce qui est prédit du dernier Jugement. Car outre les septante ans de la Captivité de Babylone, qu'il étoit facile de sçavoir précisé­ment; il y a encore des temps que l'on peut connoître, au moins à peu prés. J'en rappor­terai pour exemple les 70. semaines prédites au 9. Chapitre de Daniel, & à la fin desquel­les le Christ devoit paroître. Il est certain que les Juifs sçavoient à peu prés le temps, au­quel ces 70. semaines devoient finir; d'où vient qu'ils disoient à Jesus Christ, es-tu celui qui doit venir, ou si c'est un autre, que nous at­tendons; Et que plusieurs d'eux recevoient si facilement les imposteurs qui se presentoient à à eux. Cette circonstance de temps leur étoit beaucoup plus connuë, que les caractéres mê­me de la Personne du Messie. A present on peut juger aussi à peu prés de la delivrance de l'Eglise & des progrés de l'Evangile con­tre les Erreurs & les Superstitions Romaines; [Page 453]du moins si on observe que les Phioles dont il est parlé au 16. de l'Apocalypse signifient divers périodes de temps, aux quels dans la Decadence de l'Empire Papal, les Etats, qui sont sous la Jurisdiction de Rome, s'en déta­cheront la plûpart les uns aprés les autres. Quand donc il s'est écoulé un long-temps, depuis qu'il y en a eu, qui ont fait divorce avec elle; on peut juger, qu'on ne doit pas beaucoup tarder a en voir d'autres, qui s'en séparent encore, & c'est particuliérement ce qu'on doit attendre de ceux, où il y a le plus de lumiére & le moins d'attachement au pré­tendu Siége Apostolique. Or sans contesta­tion la France est de tous les Etate Papistes, celui qui a le plus de connoissance de la verité, & on peut juger, depuis plusieurs années par les démarches, que les Politiques y font, que c'est un de ceux qui voit le mieux les intérêts, qu'il a, de se desunir d'avec Rome. L'Au­teur dit, dans les vers, qui suivent celui que nous éclaircissons, que le Saint Esprit peut faire tout d'un coup un Saint du Roi de France, & quand il a écrit ces paroles, il pensoit ap­paremment à la Conversion de Saint Paul, qui s'est faite de cette maniére. Mais sans avoir recours à la Grace, on peut dire que l'intérêt seul pourroit beaucoup contribuer à faire pren­dre à ce Prince des mesures, que les Protestans souhaiteroient qu'il prit. Et comme on lui [Page 454]pourroit faire voir, si cela n'est déja fait, qu'il reviendroit plus de deux millions de revenu tous les ans dans ses coffres, en faisant la Ré­formation, & qu'il laisseroit encore assez de bien aux Ecclésiastiques pour faire le Service Divin; il ne devroit pas être faché, que l'on obli­geâtson Peuple, qui par-là pourroit aussi être beaucoup soulagé, à recevoir la Religion des Réformez. Les conjonctures vont être, selon les apparences, desormais fort favorables pour faire entendre raison aux François sur ce sujet, & pour peu que ce Monarque parut y donner les mains, il ne faut pas douter que la plûpart de ceux même qui y témoignent de la répu­gnance, ne prissent enfin la résolution, que Catherine de Medicis témoigna qu'elle étoit sur le point de prendre, lors que croyant avoir perdu une Bataille importante contre l'Amiral de Châtillon, elle dit, hé bien! c'est à faire à prier Dieu en François.

Fin des Eclaircissemens.

Achevé d'imprimer le 28. Décembre 1688.

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