LE Juif Baptisé. SERMON PRESCHE DANS L'EGLISE Françoise de la SAVOYE. Par Monsieur de BREVAL Docteur en Theologie, Chappelain Ordinaire de sa Majesté, & un des Pasteurs de cette Eglise.

A LONDRES Imprimé par Thomas Niewcomb, & se vend chez Hen. Herringman, Libraire dans la Nouvelle Bourse, & chez Wil. Nott dans le vieux Mail aux Armes de la Reyne. 1671.

AU ROY

SIRE,

Le Sermon que je pre­sente à vôtre Majesté ne devroit pas avoir be­soin de la protection des hommes, estant comme il est, si forte­ment appuyé de la Parole de Dieu. Il en a cependant besoin; mais seulem ent parceque c'est moy qui l'ay Presché. On le recevroit peut-estre avec estime de tou­te autre bouche & de toute autre main que de la mienne: son malheur est d'estre [Page] né d'un si mauvais Pere & si hay de tant de gens. J'ay vû souvent des Ouvra­ges que l'on a beaucoup loüez tandis que l'Autheur n'en a pas esté connu, & où de­puis l'on a trouve infiniment à reprendre, comme si les choses n'avoient pas toûjours leur prix de quelque principe qu'elles nais­sent, & qu'un Enfant ne peut estre bon à cause que son Pere est méchant. Je ne prétend pas reformer un abus si general & si ancien dans le Monde: il saut que mes Ouvrages suivent le commun destin des au­tres; & que tout innocens qu'ils puissent estre, on les persecute pour se vanger de celuy qui les a faits. Le seul remede que je trouve à ce mal est, ou de ne rien publier, ou de donner au moins une pro­tection puissante à ce que l'on publie. I'ai­merois mieux l'un que l'autre, & triom­pher de mes Ennemis par mon silence que par l'authorité de qui que ce soit. Ma conduite le fait assez paroistre, puisque j'imprime si rarement & Sermons & au­tres [Page] choses, quoy que l'on m'en sollicite tant de fois. Voicy neanmoins une occa­sion où je ne puis m'en deffendre; & pour des raisons publiques, qui sont toûjours préferables aux particulieres, il faut qu'à la fin j'imprime ce que j'ay Presché de­puis deux mois au Baptéme d'un Juif. Il ne me reste donc plus qu'à chercher de la protection pour cét Ouvrage, & une pro­tection assez puissante pour le soûtenir con­tre des Ennemis aussi redoutables que le sont les miens. Où la trouveray-je, SIRE, dessus la Terre, si ce n'est au­prés de Vostre Majesté? C'est aux Roys à deffendre de pareilles causes, & à un Roy sur tout Deffenseur de la Foy. Il ne s'agit pas des interests d'un homme quand je demande que l'on protege ce que j'écris, il s'agit des interests de Dieu, puisque je n'écris que pour sa Gloire & dans les sentimens de son Evangile. En voila plus sans doute qu'il n'en faut pour esperer protection; & je ne dois pas craindre que [Page] celuy qui m'en a si obligemment promis pour moy-même, en veuille refuser à une chose que j'ay faite, & qui n'en est pas plus indigne que moy. Dans cette con­fiance j'expose hardiment ce petit Ouvra­ge, & il est en seureté, pourveu que l'on voye seulement sous quels auspices je l'expose: Ʋn si grand Nom est une sau­vegarde que tout le Monde respecte, ou du moins on ne condamne pas si ouverte­ment ce que l'on voit approuvé par un Ti­tre si glorieux. Mais quoy qu'il en arri­ve, je me consoleray sans beaucoup de peine: On fait toûjours plus d'envie que de pitié quand on a une si bonne approba­tion, & quiconque a l'honneur d'avoir un Roy, & un tel Roy, pour luy, doit bien peu s'affliger d'avoir tout le reste con­tre. Ce n'est pas que je croye en estre re­duit là, & qu'apparemment je ne trou­ve autant de Partisans que d'Adversai­res: Mais je ne me flatte point de l'un, ni je ne m'effraye point de l'autre, par­ceque [Page] tout dépend, SIRE, de Vostre Majestè seule, & que sans elle mes Amis ne me sçauroient servir, ni mes Enne­mis me nuire, Voila ce qui me fait desi­rer avec tant de passion de la voir de mon costé. I'ay sujet de me le promettre, puisqu'elle scait mieux que personne jus­qu'où va mon zele pour ses interests, & qu'il n'est point de Gloire ni au Ciel ni sur la Terre que je ne luy voulusse acque­rir aux dépens mèmes de ma vie. Aprés de si nobles & de si justes sentimens, on ne doit pas trouver étrange que tout Etranger que je suis, j'ose demander pro­tection & la liberté de me dire desormais.

SIRE De Vostre Majesté.
Le tres-humble, tres-obeïssant & tres fi­delle Serviteur & Su­jet BREVAL.

L'OCCASION DE CE SERMON.

IL s'imprime tant de Sermons tous les jours que le monde n'est plus curieux de les lire, à moins que l'Occasion qui les a fait Prescher ne foit elle même fort curieuse. Je n'en sçay pas qui l'ait esté davantage depuis long-temps que celle qui m'a donné sujet de Prescher le Sermon que vous voyez, & le tître vous en a déja dit quelque chose.

C'est un Juif que j'ay Baptisé dans nôtre Eglise Fran­çoise de la Savoye; Mais ce n'est pas un Juif ordinaire, puisque l'on en trouve rarement qui se fassent Chétiens avec des circonstances si remarquables.

Son Pere qui estoit un Medecin tres fameux en Italie avoit pris un soin extréme de le bien élever, non feule­ment dans la connoissance des lettres humaines & de la Loy, mais aussi dans l'Art de combattre l'Evangile, dont il estoit mortel Ennemy. Vous pouvez vous figu­rer si le Fils aprés de semblables instructions le fut moins que le Pere, & s'il y avoit à la 35. année de sa vie des dispositions fort grandes pour en faire un Chrétien; sur tout dans un temps où le bruit coutoit si universellement parmy les Juifs que leur Messie estoit venu, & que des Prophetes estoient ressuscitez pout en publier la noUvelle dans le Monde.

Vous vous souvenez peut-estre que l'on ne parloit presi­que [Page] d'autre chose il y a 5. ou 6. ans, & qu'une infinité de Juifs de tous les costez de la terre s'en allerent vers Constantinople, où ils s'estoient figurez de trouver ce qu'ils cherchoient. Le nôtre qui avoit extrémement de zele, ne fut pas des derniers à entreprendre ce grand voyage. Mais quand il fut sur les lieux il vit que les pretendus Prophetes estoient deux manifestes Impo­steurs, & que leur Messie estoit un Juif Renegat, qui depuis s'estre fait Turc servoit dans les Gardes du grand Mufty.

Je vous laisse à penser la confusion qu'eut en soy-même un homme de si bon sens, lorsqu'il vit ses esperances & celles de toute sa Nation si honteusement trompées. Il se retira dans l'Egipte pour y passer son chagrin, durant quelque temps, chez un de ses Oncles, qui est un des plus riches Juifs d'Alexandrie. Ce sut là qu'il commen­ça d'ouvrir les yeux, & faisant à loisir de grandes re­flexions sur son avanture passée, il crut assurément que Dieu n'avoit permis une si grossiere tromperie, qu'affin de le détromper luy & les autres. C'est pourquoy il re­solut de lire encore l'Evangile, mais avec un Esprit plus indifferent qu'il n'avoit fait autrefois, & seulement pour y chercher la verité qu'il y vouloit auparavant combattre. Dans de si saintes dispositions il la trouva bien vîte, & se souvenant du nouveau Messie des Juiss, il n'eut pas beaucoup de peine à reconnoistre celuy des Chrétiens. les impostures qu'il avoit veües luy donnoient plus d'esti­me pour nos Mysteres, & il remarqua tant de sincerité & tant de Majesté dans la conduite de Jesus-Christ qu'il ne douta plus ni de sa Mission ni de ses Oracles.

La Grace disposoit ainsi la Conversion de nôtre Prose­lite, lorsqu'il survint quelque chose qui l'eust empesché sans doute de se Convertir si les interests de son salut ne luy avoient esté plus precieux que ceux de sa fortune. Il avoit là une Parente extrémement riche qu'on luy offroit, pour l'attacher dans le Pays & dans le grand Commerce [Page] de son Oncle. Mais prévoyant bien que c'estoit en mê­me temps s'attacher davantage à une Religion qu'il vou­loit quitter, il détourna doncement l'affaire, & ne son­gea plus qu'aux moyens qu'il devoit prendre pour un meil­leur engagement.

La Providence luy donna bientost l'occasion de s'entre­tenir avec des gens qui le pouvoient mieux instruire sur beaucoup de choses, & principalement quelques Mission­naires Religieux: Mais ils virent tant de danger à le Bap­tiser là, qu'ils luy conseillerent de passer dans les terres Chrétiennes; & afin de luy rendre ce passage plus com­mode, ils découvrirent son dessein au Consul que les François ont dans le Pays, qui desira sur l'heure de le voir. Et aprés avoir esté fort satisfait de ses réponses & de son zele, il le fit partir pour France par le premier Vaisseau qui se trouva, sans luy donner le loisir, ni même la liberté, à cause de quelques pretenduës deffen­ses des Papes, d'apporter quoy que ce soit de son bien parmy les Chrétiens, sinon à peu prés autant qu'il en faloit pour les frais de son Voyage. Mais on l'assura qu'il ne manqueroit de rien, avec les lettres & les recomman­dations puissantes qu'on luy donnoit pour Marseille & pour Paris; sur lesquelles en effet il fut ensuite tres civile­ment reçu, & avec toutes les off es de service les plus obligeantes. C'estoit à des Compagnies interessées an Negoce public du Levant, estably dans ces deux Villes, que le Consul écrivoit en sa faveur; & par une providen­ce tres particuliere, qui montre evidemment que Dieu ne vouloit point laisser imparfaite sa Conversion, il se ren­contra heureusement quelqu'un dans ce grand nombre de Marchands qui n'estant pas de l'Eglise Romaine, l'avertit en secret qu'il y avoit entre les Chrétiens deux Commu­nions bien differentes, & qu'il devoit se faire instruire de l'une & de l'autre, avant que de resoudre dans laquelle il vouloit estre admis.

Ce conseil luy parut si raisonnable que lors qu'on luy [Page] eut donné à Paris un Abbé fort celebre pour son instru­ction, il sut bien aise d'avoir secretement un Ministre aussi pour l'instruire; de sorte que durant 15. jours il estoit presqu'en perpetuelle conference avec l'un des deux, où il pouvoit facilement s'éclaircir de la diversité des Partis, & du choix qu'il en devoit faire. Il ne fut pas long­temps à connoître qu'il y avoit selon le monde de bien plus grands avantages à esperer parmy les Romains que parmy nous. Monsieur l'Abbé qui sçavoit que cét argu­ment estoit fort ne manqua pas de le mett e en usage, quand il vit son Proselite pancher plus de nôtre côté que du sien: Mais toutes les magnifiques promesses qu'il luy fit d'un établissement ne tenterent pas la fidelité d'un homme qui de soy-même en abandonnoit d'assez conside­rables, & qui cherchoit à se sauver, & non pas à s'en­richir.

Il trouvoit les raisons du Ministre moins brillantes, mais plus solides; & si elles ne frappoient pas si fort ses yeux, elles persuadoient davantage son Esprit. Enfin lorsqu'il en fut pleinement satisfait, il alla remercier Monsieur l'Abbé du soin qu'il avoit pris de l'instruire, & le pria fort honnestement de l'excuser s'il n'en profitoit pas mieux, parce qu'il avoit trouvé ailleurs des raisons qui luy paroissoient plus fortes que les siennes, & qu'assure­ment les Chrétiens Reformez estoient plus Chrétiens que les autres, si on en jugeoit au moins par la pureté de leur Doctrine, où l'on n'enseignoit rien contre la Loy Morale de l'Ancien Testament, ni au delà de ce qui est écrit dans le Nouveau; ce qu'il ne voyoit pas si Religieusement ob­servé dans la Doctrine qu'il luy avoit apprise, où sur le fait de l'Adoration & des Images elle paroissoit directe­ment contraire aux Préceptes inviolables de la Loy, & même en cela comme en plusieurs autres choses s'étendre bien plus loin que l'Evangile.

Ce Compliment offença un peu le zele du pauvre Ab­bé, & voyant que ni ses raisons ni ses promesses n'avoient [Page] sçu rien gagner sur l'Esprit de son Proselite, il essaya si les menaces auroient plus de force; & en effet il eust peut­éstre intimidé tout autre courage par celles qu'il luy fit, nonseulement contre sa personne, mais méme contre tous les Reformez de France, s'ils estoient assez hardis pour le recevoir parmy eux: & affin de luy en don­ner plus d'horreur, il les representa si abominables qu'il valoit mieux (disoit-il) demeurer Juif que se faire Chré­tien comme ils le sont. Un homme aussi plein d'Esprit que l'estoit celuy à qui il parloit vit bien qu'il y avoit plus de passion que de justice dans un si étrange langage; & pour n'aigrir point un zele si emporté, il demanda mode­stement quelques jours à mediter encore sur le choix qu'il devoit faire.

Mais se trouvant plus confirmé que jamais dans la pen­sée que le Ministre estoit son meilleur Maître, il confera secrettement avec luy des moyens qu'il faloit prendre pour se faire publiquement Chrétien; & aprés s'estre long-temps entretenu dans une deliberation si delicate, l'avis qu'on luy donna fut de passer ou en Angleterre ou en Hol­lande, pour ne point exposer les Eglises Reformées de France à de nouveaux Orages. Il donna son consente­ment à toutes choses; & aprés estre venu d'Alexandrie à Paris pour estre Baptisé, il ciut que d'aller de Paris à Londre ou à Amsterdam c'estoit un fort petit voyage, sur-tout quand il s'agissoit de se preparer par le Baptéme un chemin de la Terre au Ciel.

On estoit encore dans l'incertitude auquel de ces deux Estats Reformez on l'envoyeroit, lorsqu'il se presenta heureusement une occasion de luy donner pour l'Angle­terre des Lettres d'une recommandation tres puissante. Il y vint en toute diligence, & il y fut reçu le plus obli­geamment du monde par les personnes d'honneur à qui on l'addressoit. Je commençay alors d'estre employé dans cette affaire; & aprés m'en estre fait instruire avec le plus de soin & de seureté qu'il me fut possible par le témoigna­ge [Page] des autres, je m'en voulus instruire par moy-même dans diver ses conferences que j'eus avec ce Juif sur les rai­sons de son changement; & comme je n'y trouvay rien que de fort sincere, je fis mon rapport de ses bonnes dis­positions à Monseigneur l'Evesque de Londre qui m'avoit commandé par un ordre exprés de luy en aller dire mes sentimens. Il souhaitta voir l'homme, & aprés me l'a­voir fait encore examiner chez luy, enfin il me comman­da de le Baptiser le Dimanche ensuite dans nòtre Eglise, & d'y Prescher sur cette grande matiere.

Le bruit d'un Baptéme si considerable s'estant déja ré­pandu y attira bien des gens de qualité. On eut pour Parrains & pour Marraine des Personnes celebres, qui depuis ont montré genereusement leur zele dans les inte­rests de ce nouveau Chrétien; & comme on a cru que le Sermon que je fis sur une occasion si belle pourroit servir à l'Edification publique, je n'ay pas voulu que les raisons particulieres de mon repos & de ma bourse m'empeschas­sent de l'Imprimer. Dieu veūille qu'il soit utile à son Eglise; je n'en demande pas de recompense meilleure.

Le TEXTE est Dans l'Evangile de Nostre Seigneur selon S. Jean Ch. 3. V. 4. Comment peut l'homme naître quand il est ancien?

SI vostre esprit, Mes Freres, avoit suivy vos yeux; s'il avoit pû comprendre ce qu'ils viennent de voir, il ne seroit plus besoin de vous proposer la question de mon Texte; vous en auriez déja l'expli­cation. Mais parceque nous voyons bien des choses que nous ne comprenons pas, & sur tout dans les Myste­res de l'Evangile; je ne puis rien faire (ce me semble) qui soit maintenant plus de saison que d'examiner, au sujet d'un Juif, tout nouvellement fait Chrestien, la question que propose un autre Juif qui apparemment avoit envie de recevoir la mesme grace, lois qu'il de­mand oit à Jesus-Christ, comment l'homme pouvoit naî­tre quand il estoit déja sur l'âge; Comment (luy disoit­il) peut naître l'homme quand il est ancien?

Ne pensez pas neanmoins, Fidelles; que je pretende seulement vous rendre attentifs à cette question, parce [Page 2] qu'elle vient si à propos; Elle merite d'estre écoutée par elle-même, quand la conjoncture du temps ne la ren­droit pas aussi recommandable qu'elle fait, & cét orne­ment est le moindre de ses avantages.

Une question attire toùjours nos attentions & nostre estime, lors qu'elle est considerable & par son impor­tance, & par sa difficulté, & par sa resolution. Jamais ces trois illustres caracteres ne se trouverent plus noble­ment que dans celle que mon Texte propose;

L'Importance en est extrème;
La Difficulté infinie;
La Resolution admirable.

C'est, Mes Freres, ce que vous confesserez sans dou­te vousmémes, apres avoir oüy dans les trois parties de ce discours les choses que je dois vous dire sur cette question, Comment peut naître l'homme quand il est ancien? Nous en examinerons d'abord I'importance, ensuite la difficul­té, & puis enfin la resolution.

O Dieu! qui te viens de montrer si prodigue de ta grace, ne m'en laisse pas manquer dans l'Eloge que j'en veux faire!

L'JMPORTANCE DE LA QUESTION. PREMIERE PARTIE.

La Question que l'on propose à Jesus-Christ dans mon Texte n'est pas de celles que condamne si fort le grand Apôtre,2. Tim. 2.23. Tit. 3.9. & qu'il deffend à ses Disciples dans toutes les Epîtres qu'il leur écrit. Il condamne, il deffend les ques­tions inutiles; mais l'importance de la nôtre est extréme: vous l'avoüerez, Mes Freres, quand vous aurez sçu l'occasion qui la fit naître.

Jesus-Christ venoit de dire à Nicodeme, (& venoit de le dire avec des protestations solennellement reïterées) En verité, Joh. 3.3. en verité, je te dis que personne ne peut voir [Page 3] le Royaume de Dieu, s'il ne naist de nouveau.

Jugez apres cela si Nicodeme, qui se voyoit déja sur l'âge, n'avoit pas grand sujet de s'informer, au moins, comment pouvoit naître l'homme quand il estoit ancien; & s'il n'estoit pas en effet de la derniere conséquence d'ap­prendre de Jesus-Christ luy-méme le secret de cette re­generation, sans laquelle il étoit impossible de voir jamais le Royaume de Dieu.

Expliquez ce Royaume dans le sens qu'il vous plaira; entendez le Ciel, entendez l'Eglise; il est impossible d'y entrer, il est impossible de le voir sans une seconde naissance. O qu'ill est donc important de sçavoir comme elle se fait!

I. Si vous prenez le Royaume de Dieu pour le Ciel, comme ordinairement le prend l'Ecriture, est-il possible d'y entrer jamais que l'on ne soit Regeneré, que l'on ne soit né de nouveau? Ne sçavez vous pas, Chrestiens, qu'il y a des antipathies irreconciliables entre la gloire du Ciel & la corruption naturelle de l'homme?

La gloire du Ciel consiste en trois choses, à voir Dieu, à l'aimer, à en joüir; & la corruption naturelle de l'homme le rend incapable de tout cela jusqu'à-ce qu'il soit regeneré.

En effet, Mes Freres, quelle apparence que dans ce miserable estat il puisse voir Dieu comme on le voit dans le Ciel, au milieu des splendeurs de sa gloire? L'Apô­tre ne nous apprend-il pas dans le 12.Heb. 12.14. aux Heb que sans la sanctification nul ne verra le Seigneur? Et Jesus-Christ déclare luy même au 5.Matt. 5.8. de saint Matthieu que Dieu ne se laissera voir qu'à ceux qui ont le coeur pur, qui ont l'ame nette. Il est donc impossible que l'homme irrege­neré, dans qui se trouve encore toute la corruption de la nature, soit admis à cette vision bien heureuse. Jl faut estre saint, & il est criminel; il faut estre pur, & il est tout souïllé; en un mot il faut estre tout ce qu'il n'est pas, & ne rien estre de tout ce qu'il est. Voila comme [Page 4] cét homme corrompu est incapable de voir Dieu sans estre purifié par une seconde naissance, & de la sorte il ne peut estre admis dans le Ciel qu'il ne soit regeneré.

De plus, le grand exercice des bien-heureux dans le Ciel est d'y aimer Dieu, & de l'y aimer de toutes les forces de l'amour. Jugez, Chrestiens, si un homme dans cette malheureuse corruption est en estat de le faire; & s'il peut aimer Dieu de cét amour parfait, tandis que par ses crimes il en fait paroître tant de haine. Comment est-ce que le grand objet de ses aversions peut devenir ce­luy de ses ardeurs, & qu'en même temps il aime & il haïsse si fort la même chose, qu'il fasse par son impieté la guerre à Dieu, & que cependant il brûle de passion pour sa gloire; qu'il le fuye & qu'ill'embrasse, que son ame en un mot soit toute dureté & toute tendresse pour luy? Non, non, Mes Freres, on ne peut trouver ensemble & tant de glaces & tant de feux; des sentimens si opposez sont incompatibles; quand un homme hayt Dieu sur la terre, il est incapable del'aimer dans le Ciel.

Voila comme l'entrée en est inpossible à quiconque n'est pas regeneré.

Mais enfin puisque du moment que l'on y entre, on jouït de Dieu; comment un homme y peut il entrer, quand il porte encore toutes les miseres de sa premiere naissance? le moyen que son coeur qui n'est sensible qu'aux joyes de la chair, du monde, & du peché, puisse l'estre à celles de Dieu; ou qu'un profane comme luy soit admis à une jouyssance & si pure & si sainte?

La raison nos deffend donc de croire qu'un homme qui n'est pas Regeneré puisse voir le Royaume de Dieu, puisse entrer dans le Ciel; & l'Ecriture nous le défend, pour le moins autant que la raison.

Elle dit par la bouche d'un Apôtre, d'un Prophete, & d'un Evangeliste que rien de souillé n'entre dans le Ciel.Apocal. 21.27. Pouvoit-elle en exclure plus formellement l'hom­me irregeneré, qui n'est que corruption, que saleté, qu'ordure?

Pour estre admis dans ce beau Palais de la gloire, il faut estre l'objet des complaisances de Dieu; & Saint Paul nous apprend qu'à nous considerer avant la Regene­ration dans l'état corrompu de la nature, nous sommes les objets de sa colere,Eph. 2.3. puisque nous naissons tous les en­fans de son indignation & de sa fureur.

Il faut donc une autre naissance pour nous rendre capa­bles d'entrer dans Ciel. La premiere nous avoit produis criminels, la seconde nous doit reproduire innocens; & il faut renaître justes, parceque nous estions nez coupa­bles.Psal. 51. David nous l'enseigne dans le Pseaume celebre de sa Penitence, où apres avoir confessé que la Mere qui l'a­voit mis au monde l'y avoit mis pecheur, l'y avoit enfan­té criminel, il s'écrie; O Dieu! crée un coeur pur en moy, & renouvelle l'esprit de justice & de vertu au fond de mon ame! Ce grand Prophete connoissoit trop qu'a­vec les miseres de la premiere naissance on ne pouvoit en­trer dans le Ciel: il s'en étoit expliqué dans le Pseaume 15. où luy-même ayant proposé cette question;Psal. 15. Sei­gneur! qui habitera dans ton Tabernacle; & qui se re­posera sur ta Montagne Sainte, c'est-à-dire, qui sera dans le Ciel? il répond dans tout le Pseaume qu'il n'y a que ceux dont la vie est pure & la conduite innocente. Le Ciel n'est donc que pour les Regenerez, puisque la vic de tous les autres est impure & la conduite criminelle.

Mais Jesus-Christ nous a parlé plus clairement que per­sonne de la necessité de cette Regeneration pour entrer dans le Ciel, & sur tout au 18. de Saint Matthieu & au 10.Matth. 18.3. Marc. 10.14. de Saint Marc, où il déclare qu'il faut estre changé, qu'il faut devenir comme un petit enfant, pour avoir l'entrée de ce Royaume.

Et sans vous lasser, Mes Freres, par un plus grand nombre ou d'authoritez ou de raisons, vous compren­drez en un mot toute cette grande doctrine, quand je vous auray dit qu'à parler proprement, Justification & Regeneration n'est que la même chose. Si bien qu'ayant [Page 6] ouy dire à Saint Paul dans le 8.Rom. 8.29. aux Romains, que ceux que Dieu a glorifiez, il les avoit justifiez auparavant; il vous est facile de conclure que les seuls Regenerez entre­ront dans le Ciel, & qu'à moins que de renaître, l'hom­me en est éternellement exclus.

Voila comme à prendre le Royaume de Dieu pour le Ciel, il est vray de dire avec Jesus-Christ que quiconque n'est pas né de nouveau n'y sçauroit entrer.

II. Si vous prenez, Chrétiens, le Royaume de Dieu pour l'Eglise, comme il se prend tant de fois dans l'E­vangile, il faut naître encore ou bien l'on n'y entre jamais. Je parle de l'Eglise invisible des Saints; on sçait que l'au­tre admet tout le monde, aussibien les Impies que les Justes.

L'Eglise dont je parle est l'assemblée de ceux qui croyent, qui esperent, & qui aiment; Ces illustres vertus, la Foy, l'Esperance, la Charité, sont les colon­nes dont elle est soùtenuë, & l'on connoist à ces trois ca­racteres les membres qui composent ce corps.

Voila donc une Eglise qui ne reçoit personne sans la Foy, & l'homme qui n'est pas Régeneré n'en a point. Il faut de l'humilité pour croire, & l'homme en ce malheu­reux état n'est qu'orgueil; la Foy veut que l'on captive son jugement sous l'obeïssance des Oracles incomprehen­sibles de Dieu, & cét homme veut soûmettre toutes choses au jugement corrompu de sa raison & de sa chair. Comment pourra-t-il donc entrer dans l'Eglise, à moins qu'il ne renaisse, à moins qu'il ne devienne un autre homme?

L'Eglise n'admet personne sans l'Esperance, non plus que sans la Foy: nous l'apprenons assez clairement de l'Apôtre quand il dit aux Hebreux que les premiers pas qu'il faut faire en approchant de Dieu,Heb. 11.6. c'est de croire qu'il est & qu'il récompense. Approcher de Dieu, c'est entrer dans l'Eglise; nous n'y sommes donc pas encore entrez si nous croyons & n'esperons point; si nous [Page 7] croyons que Dieu est, sans esperer qu'il nous recompen­sera: il faut joindre l'Esperänce à la Foy, c'est la secon­de porte par où l'on entre.

Hé bien! sans Regeneration peut-on entrer? O! quelle apparence, Chrétiens, puisque dans cét état on est aussi peu capable d'esperer que de croire! la Foy est le fondement de l'Esperance, au témoignage même de Saint Paul,Heb. 11.1. quand il dit que la Foy est une subsistence des choses qu'on espere; & il faut croire que Dieu est avant que de pouvoir esperer qu'il récompense; car l'on n'espere point en celuy que l'on ne croit pas. Comment donc l'homme irregeneré auroit-il l'esperance puisqu'il n'a point la Foy? Outre que dans la corruption naturelle où il est, son ame qui ne desire que la gloire du monde ne peut pas esperer celle du Ciel, estant impossible d'es­perer un bien que l'on ne desire pas, puisque l'esperance est un effet du desir.

Cét homme corrompu n'espere donc point; ainsi l'en­trée de l'Eglise luy est fermée, aussi bien par le défaut d'Es­perance que par le manquement de Foy.

Mais, enfin, quand il pourroit avoir ces deux vertus, que luy serviroient-elles sans la Charité, puisque l'Eglise dont nous parlons ne reçoit que ceux qui aiment; & Je­sus Christ nous l'a fait assez connoître, quand il nous a marqué cette illustre vertu pour le caractere de ses Dis­ciples.

Comment donc l'homme irregeneré, qui n'aime ni ses Freres ni Dieu même, sera-t-il reçû dans une Eglise qui est le Sanctuaire de ce divin amour?

Ainsi de toutes les manieres nous voyons qu'a juger des choses raisonnablement il ne sçauroit y entret, & l'E­criture nous l'apprend aussi clairement que la raison.

Quand Saint Paul enseigne aux Romains que Dieu jus­tifie ceux qu'il appelle,Rom. 8.29. ne declare-t'il pas assez qu'il ne fait entrer personne dans l'Eglise de ses Elus sans les rege­nerer, puisque leur vocation & leur justification sont in­separables, [Page 8] & que la même grace qui les fait Chrétiens les rend justes?

Eph. 4.22. Col. 3.10.N'enseigne-t'il pas la même Doctrine quand il témoi­gne tant de fois que pour estre de veritables fidelles il faut dépoüiller le viéil homme & revestir le nouveau? pou­voit-il marquer plus sensiblement la necessité d'une nou­velle vie quand on entre dans l'Eglise des Saints?Gal. 6.16. Rom. 6.4. Eph. 4.24. C'est pour cela sans doute qu'il ne tenoit d'aucun prix devant Dieu ni Circoncision ni Prépuce, mais la Creature nou­velle, c'est-à-dire l'homme Regeneré, l'homme qui marche en nouveauté de vie, & qui est creé selon Dieu, en justice & en vraye Sainteté.

Ce grand Apôtre parle encore ailleurs de la necessité de renaître lors que l'on entre dans l'Eglise; & où il en parle plus fortement,Ro. 6.4. Col. 2.12. c'est lorsqu'il nous enseigne que l'homme, pour devenir Chrétien, doit mourir & estre ensevely & ressusciter avec Jesus Christ: voyez si l'on peut s'expri­mer en termes plus formels pour l'obligation de renaître en entrant dans l'Eglise.

Saint Pierre neanmoins parle plus clair encore quand il nous témoigne dans sa 1.1. Pet. 2.2. Epître que l'on devient Enfant en devenant Chrétien; desirez (disoit-il aux nouveaux Fi­delles,) le lait d'intelligence comme des Enfans nouveaux nez. Et l'eloge qu'il leur donne, quelques versets en suite, montre qu'il faut renaître bien saintement pour estre admis parmy eux; car s'il est vray qu'ils soient, comme cét Apôtre les appelle, & la race choisie, & les Prestres Rois, & la nation sainte, & le peuple acquis, & ceux que Dieu a luy-même appellez des tenebres à sa lumiere admirable;Verset 9. Ibid. il faut donc necessairement conclure apres de si magnifiques loūanges qu'à moins que l'homme corrompu ne renaisse, il ne peut entrer dans l'Eglise de Je­sus-Christ, puisque dans sa premiere naissance il n'a rien ce toutes ces grandes qualitez.

Bref il n'est que misere, que saleté, que laideur, qu'abomination, qu'impieté, que crime; Comment [Page 9] avec ces dispositions infames, peut-il entrer dans une Eglise glorieuse, qui n'a ni tache ni ride ni autre defaut semblable, qui est Sainte & irreprehensible,Eph. 5.25. & l'E­pouse enfin si aimée de Jesus-Christ, pour laquelle il s'est donné luy-même afin de la Sanctifier?

Ainsi, Mes Freres, soit que par le Royaume de Dieu on entende ou l'Eglise ou le Ciel, il est impossible d'y entrer sans naître une seconde fois. C'est donc proposer une question d'une importance extréme de demander comment peut naître l'homme quand il est ancien.

Il s'agit d'avoir l'entrée dans le plus beau Royaume du Monde; il s'agit d'estre admis, ou dans l'Empire de la grace, ou dans celuy de la gloire; dans le Ciel ou dans l'Eglise: il faut naître encore pour y entrer; qu'il est donc important de sçavoir comment se peut faire cette re­naissance! & pouvoit-on proposer une question plus utile? O! qu'elle n'est pas de ces questions vaines qui font tous les jours tant de bruit dans les Ecoles, qui rendent peut­estre les hommes plus sçavans, mais ne les rendent pas meilleurs; qui échauffent les esprits, mais ne les edifie point, & qui bien loin de servir, perdent, helas! le plus souvent & ceux qui les font & ceux qui les écoutent! nous en avons trop d'experience,1. Tim. 6.4. quand Saint Paul ne nous l'auroit pas dit.

Plust à Dieu que l'on ne proposast que des questions comme celle de mon Texte! vous en avez assez vù l'Im­portance, il en faut voir maintenant la Difficulté; nous en verrons ensuite la Resolution. Vn peu de patience, Mes Freres!

LA DIFFICULTE' DE LA Question. SECONDE PARTIE.

Lorsque Nicodéme demande à Jesus-Christ Comment peut l'homme naître quand il est ancien? il luy fait une question aussi difficile qu'importante, & comme vous en avez déja reconnu l'Importance extréme, vous en allez reconnoître sans doute la Difficulté infinie.

Dans quelque sens en effet que l'on veuille l'entendre, soit materiellement, ou spirituellement; O! qu'il est malaisé de la resoudre! qu'il est difficile de comprendre que le corps ou l'ame puisse renaître!

Examinons, Chrétiens la difficulté de cette renaissan­ce, dans l'un & dans l'autre sens.

I. Comment un homme peut-il corporellement renaî­tre, & surtout quand il est déja vieux? cette renaissance ne parest-elle pas impossible? n'est-elle pas contraire à nos experiences? ne choque-t'elle pas nostre raison & nos sens?

Je sçay bien que les Naturalistes nous parlent du rajeu­nissement des Aigles, du renouvellement des Serpens, de la renaissance du Phoenix; Mais je sçay bien aussi qu'il n'est point de sçavant Philosophe qui ne regarde ces chan­gemens comme des Fables, & qui ne tienne qu'aucun animal ne peut renaître, puisqu'un des plus grands Ora­cles de la Philosophie est que de la privation à la forme il n'y a plus de retour, (& sur tout de la mort à la vie;) ou que c'est au moins une merveille qui surpasse toutes les forces de la nature, & toute l'industrie de l'art.

Mais quand il seroit possible, ou facile même, aux forces de l'une ou à l'industrie de l'autre, de faire encore naître quelque animal déja vieux ou déja mort, il ne s'en­suivroit pas que la même chose fust possible à l'égard de [Page 11] l'homme. Et la raison de cette difference est que plus les estres sont nobles & parfais, plus aussi la corruption en est elle grande, & la reparation par consequent difficile. Or il est constant que de tous les estres materiels il n'en est point qui approche de la dignité de l'homme: ainsi ja­mais il n'y eut renaissance si difficile que la sienne, même quant à son corps seulement. C'est pour cela qu'il faut une foy de la plus grande force pour en croire la resur­rection; & toute la Theologie confesse, aprés l'Ecritu­re, que c'est l'ouvrage d'une main toute puissante, & que Dieu seul est capable de donner à nostre chair cette naissance nouvelle.

A n'expliquer donc la question de mon Texte que dans un sens materiel; vous voyez, Chrétiens, qu'elle est d'une difficulté infinie, & nous en devons bien estre per­suadez par l'étonnement de celuy qui la propose. Il estoit habile, il estoit sçavant, il estoit Docteur de la Loy; Cependant, Mes freres, dans la pensée qu'il avoit que Jesus-Christ parloit icy d'une renaissance materielle, & n'en pouvant comprendre la possibilité, il confesse qu'il ignore ce prodigieux mystere lorsqu'il dit, Comment peut l'honime naître quand il est ancien? Jo. 3.4. peut-il rentrer au ventre de sa mere & naître?

II. Si la question est d'une renaissance spirituelle, ne pensez pas qu'elle en soit plus facile à resoudre, puisque l'ame renaist bien plus malaisement que le corps. On en peut juger par la raison même que nous disoient tantost les Philosophes, qu'il n'est point de pire corruption que celle des choses les meilleures, parceque sans doute le rétablissement en est plus difficile. Outre qu'il s'emble qu'un estre, comme l'ame, incapable de mort, le soit aussi d'une seconde naissance. Comment nostre ame re­naist-elle, si elle ne peut mourir? & quand elle seroit mortelle, tout autre que Dieu luy pourroit-il rendre la vie, puisque Dieu seul peut la luy donner, & qu'il n'est pas moins difficile de naître la seconde fois que la premiere, [Page 12] ni de tirer les estres de leur corruption que de leur neant; sur tout un estre comme l'ame, une substance qui est tout esprit, & qui periroit toute si elle perissoit, puisque n'ayant point de matiere qui la compose, elle ne laisse­roit rien de reste apres elle? si bien que par une consequen­ce infaillible sa corruption deviendroit son aneantissement, & de la sorte vous concevez sans doute que si l'ame pou­voit mourir, il seroit infiniment plus malaisé de luy redon­ner la vie qu'à tous les corps qui sont dans les sepulchres, parceque tout poûris qu'ils y puissent estre, il reste toû­jours quelque chose d'eux; mais il ne resteroit rien de­l'ame, comme nous venons de le dire; & la mort qui corrompt & qui change seulement les corps, l'aneanti­roit & la déttuiroit absolument; de maniere que pour la rétablir il faudroit la créer tout de nouveau; & vous sça­vez, je pense, que la création est de toutes les productions la plus difficile, parce qu'elle se fait sans l'aide d'aucun sujet préexistent.

Mais comme l'ame ne meurt point d'une mort Physi­que, à cause de l'immortalité de sa natute, & qu'elle n'est sujette qu'à une mort seulement morale que luy donne le peché; il n'est pas question dans mon Texte de sa renais­sance naturelle, mais de sa renaissance morale; & je dis encore à cét égard qu'il n'est rien au monde qui soit plus difficile; & toutes les créations mêmes le sont moins, parceque pour créer quelque chose, il ne faut que tirer un estre du neant, & même d'un neant docile, obeïs­sant, passif; Mais quand il faut redonner à l'ame cette vie spirituelle que le peché luy a fait perdre, il faut vain­cre un neant plus invincible, un neant opiniâtre, enne­my, rebelle; il faut vaincre le peché. O quelle victoire! victoire qui n'appartient qu'à Dieu, & la plus illustre de ses victoires parce qu'elle est la plus difficile.

Comment donc dans ce dernier sens un homme peut il naître quand il est ancien? ô ouvrage d'une difficulté infinie!

Representez-vous, Chrétiens, un homme chargé des pechez d'une longue vie, & dont il faut faire un nouvel homme, innocent, juste, saint. Il faut luy arracher ses vieilles habitudes; guerir sa conscience de tant d'ul­ceres, son esprit de tant d'erreurs, son coeur de tant de corruptions, son ame de tant de longues maladies. Di­sons mieux, ille faut delivrer de tant de morts; & tout pourry qu'il est depuis si long temps dans le sepulchre de ses vices, il faut luy redonner la vie; mais une vie toute de vertu, toute de pieté, toute de grace; il faut qu'il renaisse, & spirituellement; O le difficile ouvrage!

La difficulté en est encore bien plus grande si vous con­siderez, Fidelles, que c'est un Juif dont il s'agit dans nostre Texte, & dans l'application que nous en faisons. Comment un homme peut-il naître quand il est ancien, & qu'il est Juif; mais Juif principalement dans nos jours? On sçait par l'histoire de l'Evangile qu'il n'y eut point de gens plus difficiles à convertir, & presentement ils le sont encore davantage que jamais ils ne l'ont esté.

Helas! que d'obstacles s'opposent à la conversion, à la renaissance des Juifs!

I. Il faut que pour se convertir ils passent d'une bonne Loy à une bonne Loy, du bien au bien.1. Tim. 1.8. Rom. 7.12. Que ce passage est difficile à faire! la Loy des Juifs est bonne, elle est fainte, elle est divine; il faut cependant la quitter pour en prendre une autre, & renoncer en quelque maniere à Dieu pour se donner à Dieu; ô l'insurmontable difficul­té! Je ne m'étonne pas, Mes Freres, quand je vois à la Predication des Apôtres tant de Payens se convertir: il n'est pas en effet surprenant que l'on passe de l'erreur à la verité, que l'on quitte le mal pour le bien, que l'on abandonne des Idoles pour Dieu; voila tout ce que font des Payens qui se convertissent. Mais quand je vois un Juif qui se fait Chrétien, j'admire cette conversion, & je la regarde comme un prodige de la main toute puissante. Il voit que ce qu'il laisse est bon, & cependant il le faut [Page 14] laisser. Ceux qui le convertissent reconnoissent eux mê­mes, & luy avoüent, que la Loy est veritable, que c'est Dieu qui l'a donnée; & cependant il ne sera point con­verty qu'il ne la quitte, qu'il ne laisse & Arche, & Tem­ple, & Autels, & Sacrifices, & Ceremonies, quoy que tout cela dans son établissement & dans ses mysteres soit divin. Comment donc un Juif peut-il se convertir, Mes freres, à ce prix? comment, helas! peut-il re­naître?

II. L'horreur naturelle que les Juifs ont des Chré­tiens, & la pensée d'estre eux-mêmes l'unique peuple de Dieu, est encore un grand obstacle à leur conversion. Qu'elle apparence qu'ils veüillent estre ce qu'ils abhor­rent, & qu'ils viennent chercher leur salut parmy des nations incirconcises & chargées de tant d'Anathémes? ne croyent-ils pas,Joh. 4.22. comme Jesus-Christ l'a luy-même en­seigné, que le salut vient des Juifs, & que c'est vouloir se perdre que d'aller chercher à se sauver ailleurs? ne croyent-ils pas estre ces bien-heureux Israëlites à qui ap­partient (au témoignage même de Saint Paul) l'adop­tion des Enfans de Dieu,Rom. 9.5. sa Gloire, son Alliance, sa Loy, son Culte, & ses promesses; de qui les Patriar­ches sont les Peres, & desquels doit sortir selon la chair le Messie même? ne croyent-ils pas enfin qu'ils sont le Peuple de l'Election,Rom. 11.28. & que Dieu a reprouvé tous les autres Peuples du Monde; mais qu'il haït principale­ment les Chrétiens, comme les plus dangereux ennemis de sa Loy, & les profanateurs les plus impies de ses Au­tels & de son Sanctuaire? pensez-vous, Fidelles, que dans cette mal-heureuse disposition, qu'avec des préju­gez si mauvais, ils puissent aisément embrasser l'Evangi­le, se convertir, & renaître? O! que c'en est un terri­ble obstacle!

III. Ce qu'ils pensent de la Gloire temporelle du Mes­sie futur, n'en est pas un moindre. Ils en ont les plus magnifiques idées que l'on puisse avoir d'un Heros & d'un [Page 15] Conquerant. Tout ce que l'on a jamias dit des Cesars & des Aleaxndres est peu de chose en comparaison de ce qu'ils se figurent de ses guerres & de ses victoires: ils ne l'attendent qu'à la teste d'une puissante armée pour le ré­tablissement du Royaume d'Israël. Quelle apparence donc, Mes Freres, qu'ayans cette haute opinion de la grandeur sensible du Messie, ils en puissent confesser un qu'ils ont vû foible, pauvre, miserable; qu'ils ont eux­mêmes Crucifié,1. Cor. 1.23. 1. Jo. 4.3. & qu'ils regardent enfin comme le grand scandale de leur Nation? Cependant ils ne se peuvent convertir, ils ne peuvent renaître, qu'en reconnoissant Ce Messie, qu'en le confessant, qu'en l'adorant. O conversion! ô renaissance difficile!

IV. Ce qui en augmente encore infiniment la difficul­té, est que tous les Juifs sont relaps, ils sont tous re­tombez dans la disgrace de Dieu; & apres tant de fa­veurs, aprés tant de misericordes, aprés avoir esté le Peuple chery; Enfin ils ont perdu de si nobles avanta­ges, & les promesses mêmes de l'Election & de la Gloi­re. Qu'il est malaisé, Chrétiens,Ro. 11, 20. de se convertir aprés de pareilles rechutes, & de rejoindre à l'Olivier franc ces mal-heureuses branches qui en ont esté coupées par leur infidelité!Heb. 6.4. qu'il est mal-aisé de trouver grace aux profa­nateurs de la grace même, & d'estre admis une seconde fois à des droits que l'on a méprisez! voila ce qui rend la conversion d'un Juif plus dsfficile que celle de mille Payens.

V. Un plus grand obstacle à la conversion des Juifs que tous les autres obstacles dont j'ay parlé, est la male­diction de Dieu sur ce Peuple infidelle.Isa. 6.9. Ro. 11.10. Nous apprenons aussi-bien d'Isaïe que de Saint Paul, qu'il s'est fait une vengeance epouvautable de ces perfides, & qu'entre une infinité d'horribles châtimens les 2. principaux ont estê l'aveuglement d'esprit, & l'endurcissement de coeur, qui sont les dispositions les plus contraires à la conversion & à la renaissance, où il faut toûjours & lumiere & ten­dresse; [Page 16] que l'esprit soit éclairé, & le coeur amolly. Je sçay bien que les hommes, quand ils ne sont encore ni convertis ni regenerez, sont tous generallement & des endurcis & des aveugles; mais les Juifs plus que les au­tres, sans comparaison: Car outre la dureté & les tene­bres naturelles quisont communes à tous les enfans d'A­dam, les Juifs ont une dureté & des tenebres person­nelles qui leur sont propres, & que l'on ne peut trouver que dans une race aussi infidelle, aussi ingrate, & aussi maudite qu'eux. L'experience nous l'a toûjours fait voir depuis l'établissement de l'Evangile; Et de tous Peuples ils ont esté le seul qui n'en a jamais reconnu les Oracles, ni embrassé la Profession. Qu'il faut, helas! que des gens soient aveugles & insensibles pour ne pas voir tant de lumiere, & n'estre point touchez de tant de grace! qu'il faut & de tenebres & de dureté pour n'avoir ni vû ni senty ce qui a frappé les yeux & le coeur de tout le Monde! ah! s'il restoit aux Juifs un peu d'intelligence, un peu de sentiment, ne reconnoistroient-ils pas, ne receuroient-ils pas la verité de l'Evangile,Ro. 10.4. où l'on trouve si admirablement dans Jesus Christ toute la perfection & l'accomplissement de la Loy? ne verroient-ils pas que c'est en vain qu'ils attendent un autre Messie puisque le temps en est passé depuis tant de Siécles, & qu'il est im­possible de trouver jamais personne qui soit plus digne de l'estre que ly, ni qui en soütienne la charge & les devoirs avec plus de gloire de succes & de fidelité? en voila trop pour les convaincre s'ils n'estoient qu'aussi aveugles ou aussi endurcis que les Payens l'estoient, & leur misere seule pourroit suffire s'ils estoient tant soit peu capables ou de la bien voir ou de la bien sentir. Ah! qu'une af­fliction si pesante montre evidemment le crime qui la cau­se, & qu'il est facile de connoistre pourqnoy l'on souffre, quand on souffre des peines & si terribles & si longues! Cependant les Juifs ne le connoissent pas; ils adorent l'erreur qui les rend miserables, & combattent la verité [Page 17] qui les rendroit heureux; O l'aveuglement! O l'endur­cissement! qu'il est difficile, Chrétiens, de dissiper tant de tenebres, & d'amollir tant de dureté! qu'il est mal-aisé qu'un Juif renaisse; & surtout qu'une male­diction si horrible est un Obstacle funeste à sa Conversion!

VI. N'en est-ce pas encore un grand, Mes Freres, quand on enseigne comme l'on fait en beaucoup de lieux, & même par l'authorité pretenduë d'une Bu'le, qu'il faut en laissant le Judaisme laisser aussi tous les biens que l'on y possedoit? Nous ne sommes plus dans cette premiere ferveur de l'Eglise,Philip. 3.8. où l'on ne craignoit pas de perdre toutes choses afin de gagner Christ; & il n'est nullement à propos, surtout dans les dispositions presentes,Matth. 19.21. de faire d'un Conseil de perfection une Loy, ou un devoir neces­saire. On peut raisonnablement se contenter aujour­d'huy qu'un Proselite en se faisant Chrétien restitüe le bien qu'il a mal acquis sans l'obliger à se dépoëiller de l'autre; & il est sans doute fort difficile que les Juifs, aussi riches & aussi avares qu'ils le sont, prennent jamais envie de se faire Chrétiens à ce prix là. C'est leur fermer la porte de l'Evangile quand on leur donne de semblables terreurs, & ils n'apprehendent souvent de devenir Chré­tiens que par la seule opinion qu'il faudroit devenir pau­vres.

VII. Un bien plus grand Obstacle à la Conversion des Juifs est ce grand nombre d'erreurs épouvantables que l'on fait passer parmy tant de Chrétiens pour des veritez eternelles, & des Oracles infaillibles. Comment peu­vent-ils se resoudre d'embrasser l'Evangile de Christ, quand ils voyent que ceux qui le professent avec plus de pompe y établissent des Articles de Foy qui détruisent & la raison & l'Ecriture? On veut qu'ils croyent qué des substances perissent sans que les accidens souffrent la moindre alteration; que du pain & du vin soient détruis quand ils n'ont rien perdu de tout ce qui les rend sensi­bles, & que l'on peut encore en rassasier sa faim & en [Page 18] étancher sa soif. On veut qu'ils croyent qu'un mème Corps se trouve en même temps dans une infinité de lieux separez, & que le tout ne soit pas plus grand que sa par­tie. Ainsi on rend la Conversion des Juifs bien difficile en les voulant obliger de croire tant de choses si contraires à la raison. Mais on la rend plus difficile encore quand on veut que pour estre Chrétiens ils croyent aussi tant de choses si contraires à l'Ecriture:Exod. 20.5. On veut qu'ils croyent que l'on peut justement adorer des Images, & l'Ecriture le deffend: On veut qu'ils croyent, malgré l'Ecriture, que l'on peut justement invoquer d'autre nom dans le Ciel que celuy de Dieu:Psal. 105.1. On veut qu'ils croyent enfin, quoy que l'Ecriture le deffende, qu'en tous les Siecles de l'Eglise il soit permis aux hommes d'ajoûter à la Foy des Articles nouveaux,Deuter. 12.32. & d'èriger leurs opinions en Oracles.

VIII. On n'aruoit jamais fait si l'on vouloit dire mil autres empeschemens de la Conversion des Juiss; n'en disons plus qu'un seul, mais il est plus terrible, Helas! que tout ce que j'ay dit, & que je pourrois dire encore! écoutez-le, Mes Freres; c'est la mauvaise vie des Chré­tiens. O! que de Juifs ne seroient plus Juifs sans cét obstacle funeste! que la grace, que l'Evangile en con­vertiroit sans cela tous les jours! mais qu'elle apparence qu'on veüille embrasser nôtre Foy, tandis qu'on a sujet d'a­voir de l'horreur pour nôtre vie? Comment croira-t'on que pour se sauver il faut estre ce que nous sommes, tan­dis que l'on nous voit si corrompus? & se peut-on figu­rer que des gens croyent ce qu'il faut croire, quand ils vivent si peu comme il faut vivre? tout est plein de cri­mes parmy nous; y viendroit-on chercher son salut? Ah! les Chrétiens sont fameux, il est vray; mais ce n'est plus comme autre fois par l'innocence de leur conduite! ils sont fameux entre tous les peuples, parce qu'ils sont peut-estre les plus criminels; leur impieté est celebre par tout; il n'est dèbordement, vice, abomination, dont [Page 19] ils ne soient coupables. Chez eux, helas! que de cruauté, que de trahisons, que de calomnies, que d'usures, que d'adulteres, que de blasphemes! après cela où est l'esperance que des Juifs se venïllent faire Chrétiens? ne rendons-nous pas leur conversion presque impossible par le scandale de nôtre corruption: Et ne sommes nous pas la cause que le nom de Jesus-Christ est blasphemé parmy eux, comme ils estoient eux-mêmes la cause que le nom de Dieu estoit blasphemé parmy les Gentils? Craignons, craignons, Mes Freres,Rom. 2.24. les Ju­gemens de l'Eternel sur nous; il veut sauver son Peu­ple, & nous l'en empeschons;Ro. 11.28. nos pechez s'opposent aux desseins de sa grace, & nous détruisons ce qu'il edifie. Ne cherchons plus d'autre empeschement de la conver­sion des Juifs; nous en avons trouvé le grand obstacle, & c'est nous qui le sommes: ils seroient Chrêtiens sans les Chrétiens, & ils aimeroient l'Evangile si les gens qui en font profession ne le rendoient odieux par l'impieté de leur vie.

N'admirez donc plus, Fidelles, que l'on voye si ra­rement des Juifs se convertir; admirez plûtost qu'il s'en convertisse; quand même dans un Siecle il n'y en auroit qu'un seul. Combien faut-il en effet rompre d'obstacles qui s'opposent à cette conversion? Et comment peut re­naître un homme parmy de si grandes oppositions à sa nouuelle naissance?

Qu'en toutes manieres la question de mon Texte est donc difficile! mais aprés avoir déja vû que l'Importan­ce en est extréme & la Difficulté Infinie; il reste en­core à voit que la Resolution en est admirable; c'est le sujet de ma derniere partie: renouvellez, Mes Freres, vostre attention, & je prie le Seigneur qu'il renouvelle aussi & sa grace & mon zele!

LA RESOLUTION DE LA Question. TROISIE' ME PARTIE.

Pour difficile que soit la renaissance, elle n'est pas ab­solument impossible. Aussi voyons-nous que Nicodé­me semble en effet supposer qu'un homme puisse bien naître de nouveau, & qu'il n'est en doute que du moyen: car il ne dit pas, l'homme peut-il naître encore? mais comment le peut-il? la question est donc de la maniere seulement du fait, & non pas de la substance; Com­ment peut naître un homme (& même un homme Juif) quand il est ancien? c'est à cela qu'il faut répondre. O! que Jesus-Christ resout admirablement cette grande question, Mes Freres, par la réponse & surprenante & convainquante qu'il y fait en deux mots, quand il dit au verset qui suit immediatement celuy de mon Texte, que c'est par l'Eau & par l'Esprit que l'homme renaist.John. 3.5. C'est à dire comme l'explique Saint Paul dans le 3. à Tite, par l'Eau de la Regeneration & le renouvellement du Saint Esprit.Tit. 3.5. Voila ce qui fait renaître l'homme à quelque âge & de quelque condition qu'il soit, Juif ou autre. Et c'est une Doctrine si establie, même dans l'Ancien Testa­ment,John. 3.10. que Jesus-Christ reproche à Nicodéme qu'estant Docteur dans Israël il ne la sçavoit pas. Les Prophetes qui parlent tant de fois de renouvellement & de renaissan­ce, luy devoient sans doute avoir apris dans la lecture de leurs Livres que c'estoit & par l'Eau & par l'Esprit que la merveille s'en pouvoit faire. Voyons, Chrétiens, ce que les deux Testamens nous en disent, & comme ils élevent magnifiquement l'efficace de cette Eau & de cét Esprit pour la production de ce miraculeux effet.

I. Si l'Eau dont il s'agit dans mon Texte est celle du [Page 21] Baptéme, comme l'ont pensé plusieurs Peres, & com­me il semble que l'ait clairement enseigné l'Apôtre, quand il l'appelle en termes formels, l'Eau (ou le Lave­ment) de Regeneration; nous avons bien sujet d'en ad­mirer la force, mais non pas d'en douter, puisque luy­même écrivant aux Galates leur fait connoître que par le Baptéme de cette Eau on est dépoüillé de soy-même & revêtu de Jesus-Christ;Gal. 3.28. ce qui ne peut estre assurement sans Regeneration; vous estes tous enfans de Dieu (leur dit-il) par la Foy qui est en Jesus-Christ, Car vous tous qui estes Baptisez estes revêtus de Christ, aussi-bien le Juif que le Grec. Mais écoutez comme il s'en explique aux Ephesiens quand il leur dit que c'est dans le Baptéme de l'Eau où Jesus-Christ a purifié son Eglise,Ephes. 5.26. pour la faire paroître devant luy plaine de gloire, n'ayant ni ta­che, ni ride, ni rien de semblable; mais estant Sainte & irreprehensible. O efficace prodigieuse de cette Eau!

Un Prophete l'avoit décrite long-temps avant que l'A­pôtre l'eût connüe; c'est Ezechiel qui dans le 16. Chap. de ses Revelations fait parler Dieu à l'Eglise en ces ter­mes, je te lavay d'Eau,Ezech. 16.9. & fis en aller de dessus toy tout le Sang dont tu estoit souïllée. Quelle est cette Eau, si ce n'est la même que Saint Paul vient de louër si. haute­ment, & à qui Jesus-Christ attribuë tant de vertu dans nôtre Texte? Ce n'est pas l'endroit seul où Dieu en ait parlé sous l'Ancien Testament en termes de cette force; je repandray sur vous (disoit-il aux Juifs) des Eaux net­tes, & vous serez nettovez. C'est au 36.Ezech. 36.25. du même Prophete, quand il leur prédit le Baptéme de la Nou­velle Alliance. Et s'il estost besoin de plus de témoigna­ges pour montrer la vertu de l'Eau dont nous parlons, il ne seroit pas mal-aisé d'en trouver d'autres, aussi-bien sous la Loy que sous l'Evangile.

N'allez pas neanmoins vous figurer legerement, Mes Freres, comme le font plusieurs Romains, qu'il y ait dans l'Eau du Baptéme une vertu Physique, une puissan­ce [Page 22] reelle, attachée effectivement à ce signe visible, par laquelle (conjointement avec les paroles) toutes les sa­letez de l'Ame soient purifiées, & l'homme Regeneré. Un si noble effet doit avoir sans doute une cause plus noble.

Confessons pourtant aprés tous les Textes que nous avons ouïs qu'il y à dans cette Eau quelque chose de bien plus élevé que dans l'autre; puisque par l'usage Religieux qu'on en fait dans ce Sacrement, elle est l'Eau de nôtre Sainte Regeneration; non pas (il est vray) comme cau­se, mais comme signe; Christ ayant voulu nous repre­senter par cette Eau qui lave nos Corps la Grace qui puri­fie nos Ames. Et c'est pour cela que les Peres ont donné de si magnifiques Eloges à l'Eau du Baptéme, parceque c'est en effet bien de l'honneur à cét element d'estre le Symbole d'une chose aussi precieuse que l'est la Grace qui nous purifie & qui nous Regenere.

On peut donc raisonnablement dire que c'est par elle que nous renaissons, puisqu'en effet c'est un des moyens ordonnez de Dieu sous l'Evangile pour nous faire spiri­tuellement renaître. Mais Jesus-Christ ne dit pas que c'est par l'Eau seule qu'un homme renaît, il ajoùte

II. que c'est par l'Esprit. En effet, Chrétiens, il faut que l'Esprit anime l'Eau, & qu'il la rende feconde par le meslange de sa vertu. C'est pour cela que les Pe­res ont comparé l'Eau du Baptéme à ces Eaux de la nais­sance du Monde qui ont servy de matiere à la production de tant de choses, & qui prirent leur fecondité de l'Es­prit du Seigneur qui reposa sur elles, comme ils expli­quent au moins l'Ecriture dans le commencement de la Genese.

Non, Mes Freres, sans l'Esprit l'Eau ne serviroit de rien dans le Baptéme: il faut qu'elle soit animée de cette vertu invisible; autrement elle ne sera qu'un Sacrement foible, un signe sterile de Regeneration. C'est l'Esprit qui donne la vie à toutes choses, aussi-bien dans la Reli­gion [Page 23] que dans la Nature. l'Element, l'Eau, la Chair, & tout ce qu'il y a de sensible & de materiel au monde sert de bien peu; ou pour le mieux dire, ne sert de rien tout seul dans les affaires de Sanctification & de naissance spirituelle. Jesus-Christ ne permet pas d'en douter, quand il dit que c'est l'Esprit qui vivifie & que la chair ne sert de rien.John. 6.63.

De là vient assurement que dans toute l'Ecriture & Ancienne & Nouvelle, où l'on parle de cette Eau, ja­mais on ne la separe d'avec l'Esprit: Ce seroit un corps separé de son Ame, qui n'auroit plus de force ni de vie. L'Esprit peut bien se passer d'elle, mais elle ne sçauroit se passer de luy: on peut estre Sanctifié par l'Esprit tout seul, mais jamais par l'Eau toute seule; car bien que l'A­me puisse agir sans le Corps, le Corps ne peut agir sans l'Ame.

Aussi-tost que Jesus-Christ a donc enseigné dans mon Texte que l'on renaissoit par l'Eau, il ajoute & par l'Es­prit, puisque l'Eau ne fait renaître que par l'efficace que l'Esprit luy en donne. C'est pour cela que Saint Paul ne parle point de l'Eau de Regeneration, qu'il n'ajoûte in­continent le renouvellement de l'Esprit. Et quand il at­tribuë à l'Eau du Baptéme, dans la 1. aux Corinthiens Chapitre 6. la Sanctification & la Justification,1. Cor. 6.11. il ajoûte encore immediatement aprés que cela s'est fait par l'Esprit de Dieu; Vous avez estè lavez (leur dit-il) vous avez esté Sanctifiez, vous avez esté Justifiez au nom de Nostre Seigneur Jesus-Christ, & par l'Esprit de nostre Dieu.

Nous voyons la même chose au 36. d'Ezechiel, que je citois tantost, où l'Eternel ayant dit aux Juiss des der­niers temps; Je répandray sur vous des eaux nettes, & vous serez nettoyez; il marque immediatement en­suite que ce n'est point par la vertu de l'Eau, mais par celle de son Esprit:Ezech. 36.25. il ne dit pas que c'est l'Eau qui les nettoyera, mais luy-même; Je vous nettoyeray (dit-il) [Page 24] de toutes vos souilleures & de toutes vos Idolatries, & je vous donneray un nouveau cour, & je mettray dedans vous un Esprit nouveau.

Ah! si Nicodéme avoit bien lû & bien compris cette magnifique Prophetie, il n'eust pas douté comme il fit quand on luy parla de renaître & par l'Eau & par l'Esprit I Il eut nonseulement connu qu'à toute âge la renaissance estoit possible, mais qu'elle devoit encore se faire, & par l'Eau qui lave le Corps & par l'Esprit qui purifie l'Ame.

C'est donc l'Esprit qui Sanctifie l'Esprit; c'est luy qui fait renaître l'homme; c'est principalement par luy que nous sommes Regenerez dans le Baptéme. Et sans dou­te un Docteur de la Loy ne devoit pas ignorer l'efficace de ce Divin Esprit, surtout aprés avoir lù dans le même Prophete au Chapître suivant,Ezech. 37.14. je mettray mon Esprit en vous & vous revivrez; & dans le 104. des Pseaumes; tu exvoyeras ton Esprit, Psalm. 104.30. & les choses seront creés de nouveau, & tu renouvelleras toute la face de la terre.

C'est par cét Esprit que nous est faitte l'application des graces du Sauveur; il nous lave dans le Sang de Jesus-Christ, tandis que le Ministre du Sacrement nous lave dans l'Eau du Baptéme: & voila comme il donne à cet­te Eau la force de nous Regenerer.Rom. 6.3. Ne scavez-vous pas (dit l'Apôtre aux Romains) que nous tous qui avons esté Baptisez en Jesus-Christ, avons estè Baptisez en sa mort? Et qui est-ce, Mes Freres, qui nous a Baptisez en sa mort, si ce n'est l'Esprit de Dieu qui nous en a fait alors appliquer le merite,1. Cor. 6.11. comme le même Apôtre l'a dit assez ailleurs?

N'est-ce point pour nous apprendre ce mystere que le Saint Esprit est descendu tant de fois en des formes visi­bles sur les nouveaux Baptisez; & que tout glorieux de son ouvrage dans leur Baptéme, il vouloit que l'on con­nust par ces marques éclattantes les merveilles secrettes qu'il venoit d'operer?

Nul Baptéme en effet ne peut avoir de force sans l'influence de ce Divin Esprit; Ecoutez comme le declare Saint Paul à des Disciples qu'il trouva dans Ephese;Act. 19.2.3. Avez vous (leur dit-il) recu le Saint Es­prit quand vous avez crû? Mais luy repondans qu'ils n'avoient pas même oüy dire s'il y avoit un Saint Es­prit; En quoy donc (leur repliqua-t'il) avez-vous esté Baptisez? montrant manifestement par cette re­plique si forte, que l'on ne pouvoit absolument estre Baptisez du Baptéme de l'Evangile, du Baptéme qui Regenere, si ce n'est par la vertu toute-puissante du Saint Esprit & que sans cela l'Eau & tout le reste estoit inutile.

Il est vray qu'ordinairement l'Esprit ne Regenere pas sans l'Eau, & que c'est une condition qu'il nous demande afin de nous renouveller, mais sans autre be­soin que pour donner une demonstration sensible de ce qu'il fait dans l'Ame parceque l'Eau fait sur le Corps, & que de même que nous sommes exterieurement la­vez par le Baptéme, nous le sommes aussi interieure­ment par la Grace qui l'accompagne.

Ill ne manque donc rien au renouvellement de l'hom­me Baptisé quand l'Eau & l'Esprit se joignent ensem­ble pour le purifier de toutes ses ordures, & sans ren­trer alors au ventre de sa mere il est Regeneré; l'Eau & l'Esprit le font renaître; mais en luy donnant une vie bien meilleure que celle qu'ils luy ôtent. Avant le Baptéme, c'estoit un Pecheur, c'estoit un Criminel; depuis le Baptéme il est innocent, il est juste; ô l'heureuse Metamorphose qui s'en est faite dans cette renaissance par le concours de l'Esprit & de l'Eau! C'estoit un esclave du Diable & le voicy presente­ment l'affranchy de Dieu, l'Enfant même de son Adoption: C'estoit l'ennemy juré de Christ, il en est maintenant le Disciple & le Frere. Je diray rout en un mot dans l'exemple que nous en venons aujour­d'huy [Page 26] de voir; C'estoit un Juif, & c'est un Chré­tien. En un mot il est passé de la mort à la vie, du peché à la grace, des tenebres à la lumiere, de la Loy à l'Evangile, de Moyse à Jesus-Christ, enfin de la Terre au Ciel, & des promesses du temps à celles de l'Eternité. Saint Paul comprenoit tout cela en moins de paroles quand il disoit à de nouveaux Chrétiens;Coloss. 1.12. Rendons graces au Pere qui nous a ren­dus capables de participer à l'heritage des Saints en la lumiere, lequel nous a delivrez de la puissance des tenebres, & nous a transportez au Royaume de son fils bien-aimé.

Voila ce qui vient de se faire dans le nouveau Chré­tien que nous voyons. Et de quoy, Mes Freres, Dieu s'est-il servy pour ce grand & bien-heureux pro­dige? de l'Eau & de l'Esprit. Par ces deux choses Jesus Christ vient de resoudre encore la Question si Importante & si difficile de mon Texte; il vient en­core de montrer comment l'homme peut naître quand il est ancien; comment il peut r'entrer dans la vie, quand il est prest d'en sortir. O! Resolution admi­rable d'une Question de tant d'importance & de diffi­culté! il n'appartenoit qu'à Jesus-Christ de la si bien resoudre.

MORALE.

Mais apres en avoir vù dans les trois parties de ce discours & l'Importance extréme, & la Difficulté in­finie, & la Resolution admirable; ne se trouvera-t'il aujourd'huy qu'un homme, dans une compagnie si grande, qui en tire de l'avantage?

Ah Mes Freres! les Oracles de Jesus-Christ sont bien d'une utilité plus estenduë, & quand il semble ne parler que pour un homme seul, il travaille au sa­lut [Page] d'une infinité d'autres! Non, ne croyez pas que parmy tant de monde il se contente de voir un homme renouvellé; il veut, Chrétiens, il veut nous renou­veller tous.

Ce n'est pas il est vray dans le Sacrement du Bap­téme; nous l'avons autrefois reçû, & jamais il ne se reïtere. Comment donc pouvons-nous estre renou­vellez? comment pouvons-nous renaître, s'il est vray que nous soyons ou mouvans ou morts, (comme il n'est que trop à craindre) & qu'il ne reste plus de Sacrement de Regeneration, puisque l'on ne peut estre Baptisé qu'une fois? ne desesperez point, Mes Freres, d'une nouvelle naissance; on peut toùjours naître par l'Eau & par l'Esprit. Si l'Eau du Bapté­me est tarie pour vous, il en reste d'autres que l'Es­prit peut rendre assez fecondes pour vous donner la vie, Vos yeux, ou plûtost vos coeurs, n'ont-ils pas encore des larmes pour pleurer vos pechez? ah! que l'Esprit joint à cette eau peut faire de prodiges! qu'il peut rendre avec elle une belle vie apres la plus horrible mort!

Les Sçavans ne vous l'ont-ils pas dit, Chrétiens, que la Contrition est un autre Baptéme, & que le Saint Esprit qui anime nos larmes nous y fait heureu­sement trouver la remission de nos crimes? Voulez-vous donc renaître? pleurez: Mais que ce soit vos coeurs qui pleurent, & que ce soit le Saint Esprit qui les fasse pleurer. Prions-le de venir au secours de nô­tre foiblesse, & de se joindre à l'eau de nos pleurs; sans luy elle seroit sterile, avec luy elle sera seconde; & quand tous deux seront unis nous ne pouvons alors manquer de renaître; car c'est un Oracle infaillible que l'on renaît par l'Eau & par l'Esprit. Combien de gens a-t'on vû renaître de la sorte? combien de Chré­tiens criminels a-t'on vûs par ce Baptéme mystique de­venir justes, & passer de la mort du peché à la vie de la Grace?

Nous en vertons encore, & il me semble deja qu'autant de Chrétiens pecheurs qui m'ecourent sont autant d'hommes qui renaissent par l'Eau & par l'Es­prit; par les larmes de leurs coeurs & l'influence de la vertu Celeste. Ah! que de gens peur-estre ne pen­soient venir aujourd'huy qu'au renouvellement spirituel d'un homme, & qui s'en iront renouvellez eux-mê­mes. Ils ne seront plus ce qu'ils estoient; ils estoient superbes, ils seront humbles; ils estoient impudiques, ils seront chastes; ils haïssoient leurs Freres, ils les aimeront; bref leur vie de criminelle qu'elle estoit, deviendra sainte, & voila un parfait renouvellement, une renaissance toute divine.

C'est ainsi, Chrétiens, que peut naître un homme tout ancien qu'il est, tout vieux pecheur qu'il est. Naissez donc tous aujourd'huy, & montrez par le changement de vostre vie mauvaise que vous avez pris en effet une naissance nouvelle.

Il ne suffit pas d'estre Chrétiens par vôtre Baptéme, il faut estre veritables Chrétiens par vôtre Conduite. Quand on vivoit encore sous la Loy, il suffisoit alors d'estre juste à la façon de la Loy; mais quand on est sous l'Evangile, il faut estre juste à la façon de l'E­vangile;Rom. 2.12. parceque nous devons estre jugez selon la connoissance que nous avons eūe de la justice, & se­lon les voeux que nous en avons publiquement faits dans nôtre Baptéme.

Helas! Mes Freres, ce Baptéme s'élevera en ju­gement contre nous si nous en avons renoncé les pro­messes, en ne vivant pas comme nous y avons juré de vivre. L'Eau qui nous a lavez dans ce Baptéme deviendra le feu qui nous consumera dans les Enfers, & Jesus-Christ qui s'estoit fait par ce Sacrement nô­tre Frere & nôtre Amy, se rendra nôtre Juge & un Ju­ge impitoyable qui prononcera un Arrest de condam­nation eternelle contre la profanation d'un Baptéme si saint.

Voila ce que l'on doit infailliblement attendre, lors qu'estant fait Chrétien, on ne l'est pas commè il le faut estre, & que l'on en porte le nom sans en me­ner la vie.

Prévenons, Fidelles, prévenons de si justes & de si terribles vangeances; soyons ce que l'on nous ap­pelle; soyons Chrétiens, c'est bien peu de chose de l'estre appellez; ne degenerons point de la grandeur de cette naissance que l'Eau & l'Esprit nous ont don­née; soûtenons-en la gloire par l'éclat de nos actions, par l'integrité de nos moeurs, par l'innocence de nos desirs, par la justice de nos sentimens, par la sainteté de nos pensées, par la pureté de nos paroles, enfin par une fidelité universelle dans nôtre conduite, & par une constance inébranlable dans les pratiques de la pie­té & dans l'exercice de toutes les vertus. Voila com­me nous ferons voir à la face du Ciel & de la Terre que nous sommes Chrétiens, que nous sommes Re­generez, que l'Eau & l'Esprit nous ont veritablement fait renaître.

Hâtons-nous donc, Mes Freres, & commençons dés ce moment à réparer le temps que nous avons per­du; vivons desormais une vie digne de l'Evangile & des esperances qu'il nous donne de trouver aprés cette naissance de Grace une vie Eternelle de Gloire.

A Dieu seul qui nous a remply de tant de biens & qui nous en prepare tant d'autres; à luy, Pere, Fils, & Saint Esprit, honneur, empire & benediction Eternellement. Amen.

FIN.

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