Le TEXTE Est dans les Revelations de S. Jean, Ch. 2. V. 10. Sois fidele jusques à la mort, & je te donneray la couronne de vie.
IL en est, Chretiens, du Gouvernement de Dieu, comme de celuy des hommes; tout roule dans l'un & dans l'autre sur deux grandes maximes, Promettre & Menacer; parcequ'en effet, aussy bien pour les choses du salut que pour celles du monde, il n'est presque personne qui ne se conduise ou par Esperance ou par Crainte.
Je confesse qu'il seroit à souhaiter que l'on n'eust rien autre chose en veùe qu'un tres pur interest de Dieu, & que nous fussions tous assez remplis de sa charité pour nous estre entierement oubliez nous mémes; Cependant, puisqu'l n'est point d'amour si desinteressé, ni de pieté si parfaite, qui ne reflechisse un peu sur l'homme, & possible [Page 2] davantage que sur Dieu; il etoit necessaire que l'ecriture nous rangeast â notre devoir & par des promesses & par des Menaces. Aussy le fait-elle à toute heure dans l'un & dans l'autre Testament, de sorte qu' à peine y peut on lire une page qui ne fasse, ou esperer, ou craindre.
Mais, comme tout le monde n'est pas egalement sensible à ces deux passions, & que les uns sont plus tendres à la Crainte, & les autres à l'Esperance; de là vient que quelquefois les Menaces, & quelquefois les Promesses peuvent être plus utiles; les Menaces, quand les Espris sont timides, & les Promesses quand ils sont ambitieux.
Je n'ay pas penetré dans vos Coeurs, mes freres, pour connestre votre Passion dominante: Mais, autant que je puis en juger; des ames grandes, des ames Chretiennes, comme je pense que le sont les vòtres, auront (sans doute) plus de panchant à l'Esperance qu' à la Crainte, & je vous gagneray plûtost à Dieu par des Promesses que par des Menaces.
Quel texte pouvois-je donc choisir plus à propos que celuy où Jesus Ch. luy méme vient si hautement de nous dire, aussy bien qu' à l'Ange de Smyrne dans mon texte, Sois fidele jusques à la mort, & je te donneray la couronne de vie?
Est-il au monde une ame si basse, une pieté si froide, un zele si languissant, qui ne fust picqué d'une sainte ambition, pour la promesse qui nous est faite, si l'on en penetroit bien la force & les paroles; Si on pezoit comme il faut, & la chose promise, & celuy qui promet, & la condition qu'il demande? car c'est principalen ent ce qu'il faut considerer dans toutes sortes de promesses, & ce que je pretens expliquer dans celle-cy.
- 1o. La chose promise est la couronne de vie;
- 2o. Celuy qui la promet est Jesus Christ;
- 3o. La condition qu'il demande est que l'on Soit fidele lusqu' à la mort.
Notre Texte nous donne aisement l'idée de ces trois Reflexions, quand il dit en termes si clairs par la bouche de Jesus Christ méme, sois fidele jusques à la mort, & je te donneray la couronne de vie.
Seigneur, ne permés pas que la foiblesse de mes paroles diminüe la force des tiennes, ni que l'on manque d'attention pour un discours si digne d'ètre Escouté.
Reflexion premiere.
La premiere chose, Chretiens, à considerer dans une Promesse, est la chose promise: Car il est de bien peu d'importance, (en verité) de quelle part & sous quelle condition une promesse est faite, quand ce que l'on promet n'est pas considerable.
Mon Texte marque deux circonstances bien magnifiques dans ce que l'on vous y promet; c'est une couronne, & une couronne de vie. Quelles plus grandes choses pouvoit-on promettre? Et qui sont les courages si abbatus qui ne seront pas animez par de si nobles Esperances?
1o. Quand ce ne seroit en general qu'une couronne, dont vous flatteroit mon Texte, ne deuroit el [...]e pas suffire, pour echauffer votre ambition? Les couronnes, depuis tant de siecles, n'ont elles pas toujours èté la passion des grandes ames? C'est le dernier etage de la gloire; le degré le plus eminent de l'honneur, la grandeur souveraine, & tout ce qu'il y a de plu [...] noble, de plus pompeux, & de plus illustre au monde. En effet ceux qui les portent ne voyent rien au dessus de leur teste que celuy qui en est luy m [...]me le dispensateur; & c'est injustement qu'on les fait trembler sous une autre puissance que la sienne, aprés le témoignage celebre qu'a rendu S. Paul qu'elles ne sont pas etablies des hommes;Rom. 13.1. & qu'ainsy elles ne doiuent justement de pendre que de Dieu, qui a le droit luy seul & de les donner & de les ôter. Comment est-ce Fideles, que [Page 4] la Puissance des Rois seroit donc l'Image de l'Independence de Dieu méme, si leur couronne faisoit hommage à d'autres qu' à luy, ou si les couronnes relevoient des Tiares, & non pas les Tiares des couronnes?
Il est vray que l'usage, depuis bien du tems, l'emporte presque dans toute l'Europe, & que Rome aujourd'huy ne veut pas se rendre moins Maitresse, ni moins absolüe, sous les Papes qu'autrefois sous les Empereurs; mais la longueur & la violence de son usurpation n'en excusent ni l'injustice ni la Tyrannie. Les Rois sont toujours les Rois, & quelqu' ornement quel'on ait arraché à leur couronne, elle est encore la premiere dignité du Monde; rien que le Ciel n'est au dessus, & tout le reste est au dessous.
N'est ce pas assez de quoy justifier l'ambition de tant de grandes ames, qui n'avoient de penseés que pour les couronnes; & qui ne voyoient rien autre chose dans tout l'Univers qui fust capable de les satisfaire, quand ils penfoient avoir quelque droit de les posseder?
La modestie des Chretiens seroit bien plus criminele & bien moins excusable s'ils negligeoient la couronne qui leur est offerte: Ne sçavent ils pas qu'ils sont nez pour le Thróne, & pour estre eternelement des Rois? ne sçaventils pas que c'est le grand dessein de leur Election, de leur Vocation, de leur Adoption, de leur Foy, de leur Baptéme? N'est ce pas pour cela qu'un Apôtre les appelle si magnifiquement la Prestrise Royale, & qu'il est dit en l'Evangile que dés la fondation du monde un Royaume leur est preparé, & qu'enfin dans notre Texte une couronne leur est promise?
2o. Si ce n'est pas encore assez, pour echauffer leur sainte Ambition, de leur promettre en general une couronne, il faut leur faire entendre quelle couronne c'est; car enfin il en est de tout prix. Les histoires nous parlent de couronnes de Chesne & de Laurier, aussy bien que de couronnes d'Or, & de Pierreries. Mais assemblez toutes [Page 5] les couronnes de l'Univers qui ont jamais été les plus precieuses, les plus belles & les plus illustres; Celles des Perses mémes, des Romains, & des Ottomans; Hè bien! qu'est-ce en verité que tout cela en comparaison de la couronne que l'on vous promet dans mon Texte?
Elle porte divers noms dans l'Ecriture, & il ne faut que les sçavoir pour juger de son prix. Dans la 2.2 Tim. 4 8. 1 Pet. 5.4. à Timoth. S. Paul veut qu'elle soit la couronne de justice; S. Pierre dans sa 1. Ep. l'appelle couronne de gloire; Jac. 1.12. S. Jacques dans sa Canonique, & S. Jean dans mon Texte disent enfin que c'est la couronne de vie.
Il suffit de la considerer sous ce dernier caractére pour en avoir de haus sentimens, & j'ose dire que c'est la plus grande idée que l'on en puisse prendre. La raison que j'ay de le dire, & de le croire, est qu'il n'y à proprement que ce tître seul qui la distingue de toutes les autres; puisque les couronnes, aussy bien de la Terre que du Ciel, peuvent estre appelleés des couronnes de gloire, & souvent méme des couronnes de justice: Mais il n'en est point d'autres que celle du Ciel qui doive estre appelleé couronne de vie.
Toutes celles du monde sont couronnes de Mort, pour brillantes, pour illustres qu'elles soient; & il est important que vous remarquiez, Fideles, comment elles sont en effet couronnes de Mort, & que l'autre est couronne de vie. 3. Grandes raisons de cette opposition.
1o. N'est-ce pas le defaut presqu' universel des couronnes de la terre d'attirer aprés elles une infinité de crimes, qui nous font mourir spirituelement, par une separation entiere d'avec Dieu, lequel (au langage de S. Augustin) est la vie de l'ame, comme l'ame est la vie du corps? Quelle Mort & plus funeste & plus horrible que celle-cy? Dans toutes les autres, il n'y à que le corps qui perit; & dans la Mort du peché, c'est l'ame.
Combien de Rois, Helas! Meurent de la sorte, parce-qu'ils sont Rois; Et qui auroient peutestre vécu sans crime, s'ils avoient vécu sans couronne! Leur couronne est donc pour eux une couronne de Mort; vous en avez mil exemples tristes dans toute l'Histoire sainte & profane.
Sàul etoit-il criminel avant que d'estre couronné? Il l'etoit si peu, mes Freres, que Dieulle choisit entre tout son peuple, entre tout Israël, comme le plus homme de bien, & le plus digne du Thróne: Il ne commença d'estre mechant que lors qu'il eut commencé d'estre Roy; & Dieu qui l'avoit aimé dans une condition obscure, le reprouva dans cette fortune eclatante. La couronne fut donc pour luy une couronne de Mort.
Ne le fut-elle pas, quelque têms aprés, pour Salomon? avoit-il jamais rien été, ou de plus innocent, ou de plus sage que luy dans les premieres anneés, de sa vie? & futil jamais rien, ou de plus criminel, ou de plus insensé dans les dernieres, aprés que les Eclas de sa couronne luy eurent ebloüy les yeux? C'etoit de Soy méme qu'il parloit (sans doute) quand il disoit,Eccles. 8.9. Qu'un homme domine quelquefois sur un autre à son malheur. Voila comme la couronne, fut pour luy une couronne de Mort.
Avant que Tibere eût la couronne il etoit regardé comme le seul de tout l'Empire qui pouvoit dignement soutenir la gloire, & la vertu d' Auguste Son Predecesseur; Mais depuis qu'il fut couronné, on vit un si grand changement à sa vie qu'elle devint aussy meprisable que tout le mónde l'avoit auparavnt louée. N'etoit-ce donc pas une couronne de Mort que la couronne de Tibere puisqu' elle fit mourir & son innocence & sa reputation?
Plusieurs des Césars qui le suivirent au Thróne, le suivirent aussy dans ce malheur; ils avoient été fort honnêtes gens tandis qu'ils n'eurent point la couronne, mais presqu' aussy-tost qu'ils commencerent à la posseder, ils se perdirent eux mémes.
Neron est le plus celebre de tous ces illustres malheureux; jamais homme n'avoit paru plus modére ni plus doux que luy, avant qu'il sentist une couronne sur sa teste, & jamais homme ne se fit voir en suite ni plus emporté ni plus cruel, c'etoit donc une couronne de Mort que la sienne, puisque elle fut si mortele à sa vertu.
Il en a été de méme, Chretiens, d'une infinité d'autres que l'on a Vûs chargez de mille crimes aussy-tost que d'une couronne. Ce mal (il est vray) n'est pas universel, & de tant de testes couronnées qui ont été, & qui sont encore, je poûrois en comter beaucoup de fort innocentes; neanmoins on en comteroit assez de criminelles pour nous faire generalement conclure que les couronnes de la terre sont des couronnes de Mort, puisqu' elles ont fait pecher & qu'elles ont damné tant de gens qui les ont portées.
La Couronne de mon Texte est bien differente; c'est une couronne de vie, & qui merite bien justement ce nom, puis que ceux qui la portent ne pechent plus, & sont etablis dans une fermeté inebranlable, aussy bien de sainteté que de bonheur. C'est une couronne de vie puisque ceux qui la portent sont remplis de Dieu, qui est la vie de l'ame, comme nous le disoit tantost S. Augustin. C'est une couronne de vie, puisque ceux qui la portent sont pleins de la vie de la grace, de la vie de la gloire, de la vie de Dieu méme.
2o. Les couronnes de la terre sont des couronnes de Mort, ceux qui les possedent etant comme ils sont, tous, mortels, & les drois particuliers du Thróne ne les dispensant nullement de la loy generale du tombeau; on les voit au contraire mourir (souvent) plutost que les autres; soit parcequ'i [...]s ont plus d'ennemis, so [...]t parcequ'ils sont moins robustes, & qu'ayant pour l'ordinaire été nouris trop delicatement, leurs maladies ont accoutumé d'estre & plus frequentes & plus dangereuses; Outre que les soins du Thróne & le pois de tant d'affaires les accablent assez [Page 8] pour accourcir leurs jours, si bien que leur couronne est une couronne de Mort, & parceque ceux qui la portent doivent enfin mourir, & parcequ'elle contribue méme à les faire mourir plutost.
Il n'en est pas de méme, Chretiens, de la couronne promise dans mon Texte: C'est une couronne de vie, parceque ceux qui la possedent ne meurent point: lis sont immortels, aussy-bien qu'impeccables, & ils n'ont cette couronne que parcequ'ils sont victorieux & de la Mort & du peché. S. Paul avoit predit ce bienheureux etat lorsqu'il disoit en termes si magnifiques,1 Cor. 15.53. Il faut que ce corruptible icy reueste l'incorruption, & que ce Mortel icy reuéte l'immortalité. Or quand ce corruptible icy aura reuétu l'incorruption, & que ce Mortel icy aura reuétu l'immortalité, alors sera accomplie la parole qui est ecritte, la mort est engloutie en victoire. Où est, O Mort, ta victoire? où est, O Sepulchre ton Eguillon? Apoc. 21.4. S. Jean dans le liure de mon Texte Chap. 21. exprime en un mot tout cela, quand il dit en parlant de la gloire future des Saîns, La mort ne sera plus; & comment en effet pouroit on mourir sous un couronne qui est la vie elle méme? Comment poûroit on mourir quand il n'y a plus rien qui soit capable ou de donner la Mort, ou de la recevoir? O que l'Ecriture appelle donc justement la couronne des Saîns une couronne de vie, puisque ceux qui la portent ne meurent jamais, ni ne sçauroient mourir!
3o. Enfin les couronnes de la terre sont des couronnes de Mort parcequ' elles perissent; & quand les hommes ne seroient pas mortels, elles ne laisseroient pas d'estre morteles. Combien de Rois etoient encore vivans, quand leurs couronnes etoient dé-ja mortes! Sâul, Darius, & mil autres ne perdirent ils pas la couronne avant la vie? Ce n'est donc pas un bien que la Mort seule puisse nous ôter; il y a plus de moyens (sans comparaison) de le perdre que de l'acquerir.1 Cor. 9.15. C'est pour cela que S. Paul appelle [Page 9] corruptibles toutes les couronnes de l'Univers; & ne le sont-elles pas en effet, puisqu'il n'en eft point dont la durée soit eternele? N'a-t' on pas vû la fin des plus illustres Monarchies du monde? Qu'est devenu celle des Medes, des Assyriens des Grecs, & des Romains eux mémes? Où sont les couronnes des Alexandres, des Pharaons, des Cyrus, & des Constantins? Le tems detruit insensiblement toutes choses; Aussy bien les couronnes que ceux qui les portent. Que j'ay donc bien dit, Mes Freres, qu'elles sont des couronnes de Mort.
Il en tout au contraire de celle de mon Texte; c'est une couronne de vie, parcequ'elle ne perit jamais; elle n'est sujette, ni aux lois du tems, ni à l'inconstance de la fortune. Quand nous en sommes une fois les Maîtres, c'est pour toujours: On peut bien l'acquerir; mais on ne sçauroit la perdre: Il n'est point d'ennemy qui ait prise sur elle, ni chair, ni monde, ni diable, ni peché méme; parceque jamais on ne commence à porter cette precieuse couronne, que l'on n'ait parfaitement triomphé d'Eux. Il faut que Dieu cesse d'estre veritable, avant qu'elle cesse d'estre immortele, puisqu'il à protest étant de fois que la gloire des justes ne finiroit point, & que c'est un heritage qui ne peut, ni se corrompre, ni se flétrir; & plus clairement encore dans la 1 Ep. de S. Pierre, ch. 1. & 5.1 Pet. 1.4. & 5.4. 1 Cor. 9.25. Et dans la 1 aux Cor. ch. 9. Que c'est une couronne incorruptible. D'où les, Theologiens ont pris justement occasion, de dire que l'eternité est sa durée, que l'eternité est sa nature, que l'eternité est elle méme cette couronne.
Elle merite donc, à toutes sortes d'égars, à toutes sortes de tîtres, le nom que luy donne le S. Esprit, lorsque dans mon texte, & ailleurs il l'appelle couronne de vie, puisqu'en effet ceux qui la portent sont toujours saîns, toujours vivans, & toujou s couronnez; leur sainteté; leur vie & leur couronne etant egalement incorruptibles.
C'en est trop, c'en est trop, assurement, Fideles, pour animer les plus languissans à la conqueste d'une couronne si belle! Et je ne doute point que tous ceux qui m' entendent ne soient charmez de la promesse qu'on leur en fait dans mon Texte, à moins qu'ils ne doutent peutestre de la verité de Celuy qui la faite. Otons ce scrupule dans ma seconde partie.
Reflexion seconde.
Les Promesses, pour grandes qu'elles puissent estre, ne feront jamais beaucoup d'impression sur de fors Espris, à moins que celuy qui promet ne passe pour aussy veritable dans ses paroles, qu'il est magnifique dans ses promesses: Et il auroit beau promettre toutes choses; on fe defiera toujours de ce qu'il promet, tandis que l'on se defiera de luy méme.
En vain j'ay donc fait voir qu'il n'est rien de plus grand, rien de plus noble, rien de plus precieux que la couronne promise dans mon Texte, si je ne montre encore que celuy qui la promet est hors de soupçon, puisqu'il est aussy ponctūelà tenir, que magnifique à promettre; C'est Jesus Christ; est-il besoin d autre preuve? Son authorité ne suffit-elle pas? C'est luy méme qui dit, Je te donneray la couronne de vie.
Trois grandes qualitez sont necessaires pour n'estre point soupçonnéz dans ce que l'on promet; il faut estre Sincére, il faut estre Fidele, il faut estre Puissant; Sincére, pour ne rien promettre que l'on ne veüille donner; Fidele, pour ne se dédire jamais de ce que l on a promis; Puissant, enfin, pour executer (quand on veut) sa Promesse.
Hè bien, Mes Freres! où se trouverent jamais plus eminemment qu'en Jesus Christ ces trois qualitez illustres? Il est Sincere, il est Fidele, il est Puissant, & tout cela dans l'excés.
[Page 11]1o. En peut-on douter qu'il ne soit infiniment Sincére, luy qui est la verité méme, comme il s'est appellé dans l'Evangile,Joh. 14 6. & dont les paroles ne sçauroient trahir les sentimens, puisqu'il est incapable de mensonge, & que c'est particulierement en cela qu'il fait gloire de n'estre pas comme nous, qu'il fait gloire de n'avoir point de pechê, & qu'il deffie haûtement ses ennemis de luy reprocher quelque chose. En effet, il n'etoit pas question d'autre crime que du mensonge, quand i [...] disoit aux Juifs, Qui de vous me peut convaincre d'aucun peché? Et si je vous dis la verité, pourquoy ne me croyez-vous pas? Il n'eust assurement ôse les deffier, si jamais on avoit pu reprendre dans toutes ses paroles un seul petit manquement de sincerité. Non, non, Mes Freres, Jesus Christ n'a pas, comme la plúpart des hommes l'ont bien souvent, une chose dans la bouche & une autre dans le coeur; & quoy qu'il pense beaucoup de choses qu'il ne dit pas, il n'en dit jamais qu'il ne pense. Les déguisemens, les Equivoques, les sens doubles & ambigus, les intentions secrétes, les reserves, les detours, & les restrictions mentales; bref tout ce bel art, que des Theologiens enseignent de fourber saintement, & de dire ce qu'ils ne pensent pas, est une science que Jesus Christ n'a jamais sceüe, ni pour l'enseigner, ni pour la p [...]attiquer. Ses paroles sont toujours les veritables imagées de ses pensées, comme ses pensées sont toujours les veritables images des choses; & quand il promet, on doit estre assuré qu'il veut tenir; parcequ' etant infiniment sincére, comme il est; ce qu'il ne veut pas tenir, il ne le [...]romet pas. Si bien que vous promettant une couronne dans mon Texte, il a sans doute envie de vous la donner.
Je confesse qu'il y a des gens fort sincéres dans ce qu'ils promettent, & dont ce pendant les promesses ne tiennent point. Ils ont bien envie de donner lorsqu'ils s'engagent; mais ils changent aprés cela de sentiment; ils ne sont pas [Page 12] Fideles; c'est à dire, ils ne sont pas constans, ils ne sont pas fermes. Ainsy, malgré toute leur sinceritê, on à sujet de ne se point fier à leurs promesses. Nous n'avons pas la méme inconstance à craindre dans ce que nous promet Jesus Christ; car, outre qu'il est sincére,
2o. Il est Fidele, & fidele parfaitement, quisqu'il est la fidelité méme aussy bien que la verité. Nous en trouvons dans le liure de mon Texte au Chap. 19. un témoignage celebre,Apoc. 19.7. quand il y est appellé, par excellence, Le Fidele & le Veritable. O! que sa fidelité, que sa fermeté, que sa constance, est au-dessus infiniment de tout ce que l'on en peut dire! & bien qu'il soit admirable dans toutes ses perfections, il semble pourtant l'estre davantage dans cellecy; elle est en effet si pleine de merveilles, que l'on peut justement luy dire avec admiration, comme on l'a dit autrefois à son Pere,Lam. 3.23. C'est chose grande que ta fidelité!
Voyez, Chretiens, par une experience bien sensible, jusques à quel excés Jesus Christ est Fidele; Il avoit promis à son Pere, comme le témoigne & David & S. Paul, de se faire luy méme la victime pour nos pechez. Que de honte, que de peine, que de terribles douleurs il faloit endurer pour s'acquitter de sa promesse; il faloit souffrir toutes les miseres d'une vie pauvre, longue, & persecutée; il faloit se voir attaqué d'une infinité d'Ennemis, trahy de ses Amis, abandonné de ses Freres, de son Pere méme, dans le plus pressant besoin de consolation & de secours; il faloit avec la plus grande innocence du monde, se voir traitté comme le plus grand des coupables, jusqu' à estre pendu à un gibet au milieu de deux infames voleurs; il faloit tout cela, pour ne manquer pas à sa parole; il faloit méme resister aux terreurs de la nature, qui apprehendoit si horriblement la croix, & à l'insulte des Bourreaux qui le deffioient insolement d'en descendre. N'etoit-ce pas pour bien tenter une fidelité? Mais celle de Jesus Christ étoit à l'épreuve de tout, & ne pouvoit succomber à [Page 13] quelque tentation que ce pust estre. Il continūe avec un courage invincible dáns son premier dessein; il ne craint, ni tourment, ni confusion, ni mort; quand il est question de tenir sa parole, & de satisfaire à son engagement. De là vient que S. Paul nous le propose, comme l'exemple d'une fidelité inviolable:Heb. 3.1, 2. Considerez (dit-il aux Heb.) l' Apôtre & Souverain Sacrificateur de notre Profession, Jesus Ch. qui est fidele à celuy qui l'a étably. Ah! qu'il est Fidele en effet, puisqu'il fait plus de cas de garder sa parole que de conserver méme & son honneur & sa vie!
Ne pensez pas, Chretiens, qu'il ne soit fidele qu' à son Pere; il est fidele generalement à quiconque il s'engage; & non seulement à ceux qui luy sont fideles, mais aux perfides mémes; écoutez ce que l'Ecriture en a dit; Si nous sommes déloyaux, il demeure fidele. Hè!2 Tim. 2.13. comment cela, Mes Freres! l'Ecriture en ajoute, immediatement la raison, c'est (dit-elle) qu'il ne se peut renier soy méme. O! la grande raison de son inviolable fidelité! Seroit-il possible que Jesus Christ fust infidele, méme à notre egard, puisqu'il ne le peut estre (selon la force de l'argument de S. Paul) à l'egar de personne qu'il ne le soit à l'egar de soyméme, & qu'il se renieroit s'il nous manquoit de parole? Oüy, Chretiens, il se renieroit en effet, puisqu'étant essentielement veritable & fidele, il dementiroit les principes de sa nature, si quelquefois il ne l'étoit pas, si quelquefois il retiroit (de luy méme) sa parole, & qu' aprés avoir promis dans mon Texte la couronne de vie, enfin il vinst à changer de sentiment, & à se dédire (un jour) de sa promesse. Nous sommes donc aussy assurez qu'il ne s'en dedira pas, que nous sommes assurez qu'il est fidele, & que jamais il ne dementira les principes de sa nature, ni ne desav [...]üera ce qu'il est. Voila trop d'assurances de sa fidelité,
Cependant on poúroit douter encore de la promesse qu'il nous fait, s'il n'etoit seulement, comme nous l'avons [Page 14] remarqué jusqu'icy, que sincere & fidele. Ne voyonsnous pas mil honnestes gens dans le monde, qui promettent sincerement, & qui demeurent fermes dans la volonté de donner ce qu'ils ont promis? Ils ne le donnent pourtant jamais, parcequ'ils ne sont jamais en êtat de le faire. Ilne suffit donc pas que Jesus Christ ait de la sincerité & de la fidelité, jusqu à l'excés que je vous l'ay dit Mes Freres; non, il faut encore
3o. Qu'il soit Puissant, comme il est & Sincére & Fidele: Car il est aisé de le con [...]evoir, que l'impuissance rendroit tout le reste inutile. Mais quand on a les deux autres qualitez dans l'excellence que Jesus Christ les a, il est impossible de n'avoir pas la troiziéme; puisqu'où il fe rencontre une perfection divine, une perfection infinie, toutes les autres necessairement s'y rencontrent avec elle. Jesus Ch. qui est donc & Fidele & Sincére (dans ce haut degré) pour vouloir effectivement donner la couronne qu'il à promise, est Puissant de même pour la donner en effet. Sibien que de toutes pars l'effet ne sçauroit manquer à sa promesse.
Et pour ne vous rien dire, Mes Freres, de sa Toutepuissance qu à l'egar de la couronne dont il est question; j'entreprens de vous faire sensiblement comprendre qu'il est Tout puissant pour nous la donner, & comme Dieu, & comme Redempteur, & comme Juge.
Comme Dieu, n'est-il pas Tout-puissant pour nous donner la couronne de vie, puisque dans le Ciel, aussy bien qu'ailleurs, Dieu est le Maître de ses bienfais, & le souverain dispensateur de ses Graces & de ses recompenses? Outre que la couronne de vie etant Dieu méme, ou la joüissance de Dieu; ne doit-il p [...]s estre absolument dans son pouvoir de la donner? Et ne l'a-t'il pas donnêe en effet à tous ceux qui la possedent? C'est luy qui couronne [...]ou [...]les Justes, parce que c'est luy qui les Pr destine, qui les appelle, & qui les justifie. L'Apótre le déclare [Page 15] assez aux Rom. ch. 8.Rom. 8.29. quand il marque la gloire que Dieu leur donne, comme une suite necessaire de l'Election, de la Vocation, & de la Justification que luy méme en avoit fait déja. Et puisqu'il à bien le pouvoir de Prêdestiner, d'Appeller, & de Justifier les hommes, ne l'auroit-il pas de les Cou [...]onner? & quiconque peut estre l'autheur de la Grace, ne peut-il pas aussy faci [...]ement l'estre de la Gloire? Qui donne l'une, Mes Freres, donne l'autre:Psa. 84.12. David nous l'apprend, aussy-bien que S. Paul, quand il chante que C'est l'Eternel qui donne & la Grace, & la Glo [...]re. Il faut pour toutes deux un pouvoir êgal, puisqu'il faut pour toutes deux un pouvoir infini, & qui est capable de donner la premiere, est sans doute capable de donner la seconde.
A considerer donc Jesus Christ comme Dieu, vous ne doutez nullement de sa puissance pour nous donner la couronne qu'il nous p [...]omet.
Comme Redempteur, il peut la donner encore, puisqu'elle est â luy. Quoy! Ne poûroit il donner une couronne qu'il à payée de son propre sang! N'est ce pas sous ce caractére glorieux que S. Jean dans ses Revelations nous marqu'expressément de Jesus Christ qu'il a droit luy seul d'ouvrir le liure de vie?Apoc. 5 9. C'est à dire qu'en nous rachettant il s'est acquis le pouvoir de mettre nos noms dans ce liure, & de nous donner toute la gloire & toutes les couronnes qui sont le fruit de cette Redemption. Et comment n'auroit-il pas en qualité de Redempteur le pouvoir que je viens de dire,Matth. 28.18. puisque c'est evidemment sous ce títre que toute puissance luy est donnée au Ciel & en la terre; en la terre, sans doute, pour donner la grace, & au Ciel pour donner la gloire, qui est proprement la couronne dont nous parlons?
Comme Juge, enfin, il peut la donner, autrement il ne seroit pas souverain Juge; car il appartient à un Juge souverain de dispenser les recompenses, aussy-bien que [Page 16] les chátimens. Voila, Mes Freres, pourquoy Jesus Christ proteste au 25 de S. Matth. qu'au jour de la sentence derniere,Matt. 25.34. lorsqu'il jugera l'Univers, il donnera un Royaume aux Justes;Apoc. 3.21. & qu'au 3. de l'Apocal. il promet de nous faire asseoir sur le Thróne de sa gloire, & qu'enfin dans mon Texte il promet la Couronne de vie.
Aprés tant d'assurances nous devons croire qu'il est aussy puissant pour nous la donner que Sincere & Fidele à nous l'offrir. Soupçonnez-vous donc encore, Chretiens, quelque manquement, quelque surprize, quelque incertitude, quelque impossibilité dans cette promesse, puisque tous les scrupules en sont levez, & qu'il ne manque rien ni à la sincerité, ni à la fidelité, ni enfin à la puissance de celuy qui nous l'a faite: Et puisqu' elle est sure, autant qu'elle est magnifique, pourquoy l'estime-t'on si peu? Pourquoy y pense-t'on si peu? Ah! vous remplirez-vous encore & l'Esprit & le ceur des promesses du monde, qui n'ont rien que de meprisable & de mal-assuré! Quel aveuglement! Quelle imprudence, de courir avec tant d'ardeur aprés de si vaines promesses, & de negliger une couronne, & une couronne de vie, promise par Jesus Christ luy méme! Croit on qu'êtant juste comme il est, on obtienne une si precieuse couronne sans rien faire, sans la vouloir, sans la chercher? Ne vous y trompez point; celuy qui vient de dire, Je te donneray la couronne de vie, à mis une condition sans laquelle on ne l'obtient jamais, sois Fidele (dit-il) jusques à la mort. C'est ma 3. partie & le dernier sujet de mes Reflexions.
Reflexion derniere.
Tous les Chrétiens, auroient assurément bien envie d'obtenir cette riche couronne que Jesus Christ leur promet dans mon Texte, s'il vouloit la donner sans qu'il en coûtast rien: Mais quand on leur dit que la condition qu'il [Page 17] demande est que l'on soit Fidele jusques à la mort, ils sont la plûpart si rebuttez qu'ils ne veulent plus de cette couronne. Je pense aujourd'hury parler à des Chretiens qui n'ont, ni la foiblesse, ni l'injustice des autres; & qui veulent bien qu'il en coùte quelque chose, de considerable méme, pour obtenir l'effet de la promesse de Jesus Christ, pour obtenir la couronne de vie. Il ne faut donc pas vous flatter, il ne faut pas vous faire les choses plus faciles qu'elles ne sont. L'Oracle en est prononcé; vous n'aurez jamais cette noble couronne que vous n'ayez été Fideles jusques à la mort.
En verité, en verité, Mes Freres, si l'on nous promet beaucoup, Voila que l'on nous demande aussy beaucoup. Estre Fidele, & l'estre jusqu' à la mort, que ces deux choses sont considerables! O Dieu! C'est icy que je te prie de soutenir mon zele, & de me donner des paroles & des pensées qui ne soient pas indignes de la grandeur d'une si haute & si importante matiere!
1o. Il faut estre Fidele; sans cela, point de couronne de vie. Or l'on peut estre Fidele en deux façons; ou par la Foy, que est commune à tous les Justes; ou par une Fidelitê, qui est propre à chaque etat. Et non seulement on le peut, mais on le doit aussy: de sorte qu'il n'y a point à esperer de couronne, à moins que d'estte Fidele dans l'un & dans l'autre sens.
Il faut l'estre, sans doute, par la Foy, commune à tous les Justes; c'est à dire que pour avoir la couronne de vie, il est d'une indispensable necessité d'avoir cette sorte de foy que l'Evangile nous recommande avec tant de soin, une foy vive, sainte, pure, une foy obeïssan [...]e,Rom. 1.17. Jud. Ep. v. 20. Act. 15.9. Gal. 5.6. une foy animée par l'esprit de la charité: Enfin, Mes Freres, une foy qui n'est pas proprement une vertu seule, mais l'amas & le corps de toutes les grandes vertus Chretiennes. Car ce n'est nullement estre Fidele, d'avoir une foy sterile,Jac. 2.14. une foy languissante, une foy morte,1 Cor. 13.2. une foy qui se contente de [Page 18] croire, sans se mettre en peine du reste de nos devoirs; qui eclaire l'esprit sans echauffer le coeur, & qui s'eleve à l'intelligence des Mysteres, sans vouloir s'abbaisser à la prattique des oeuvres.
C'est par là, Chretiens, qu'il faut examiner d'abord si vous estres Fideles: interrogez votre Foy; cherchez si elle est telle que le doit estre la foy des Justes; c'est à dire, si, outre la creance des Mysteres, qui vous est commune avec eux, vous estes encore dans l'exercice de toutes les oeuvres saintes que tous les veritables Justes prattiquent; & si vous trouvez alors ce que vous avez cherché, je veux dire, si votre conscience vous rend bon témoignage de votre foy; rejouïssez-vous; vous estes Fideles.
Mais ce n'est pas assez de l'estre dans ce premier sens; il faut l'estre encore dans le second; il faut avoir toute la Fidelité que Dieu vous demande à chacun, respectivement dans vos divers Etas, dans vos Professions, dans vos Emplois; & c'est à quoy il faut extrémement prendre garde, Mes Freres; car nous avons, tous, deux sortes de devoirs, Communs, & Propres. Il suffit d'avoir la foy, qu'ont tous les Justes, pour nous acquitter de nos devoirs communs; mais il est besoin de quelqu'autre chose pour nous acquitter de nos devoirs propres. La foy nous rend parfais, il est vray, mais c'est comme Chretiens en general; pour nous rendre parfais comme Chretiens en particulier, il faut la Fidelité que j'ay ditte, puisque selon nos conditions differentes, nos obligations le sont aussy.
Pensez-vous que Dieu, qui est Souverainement juste, demande egalement à tout le monde; & qu'ayant composé le corps de son Eglise de tant de membres si divers, il exige de chacun les mémes services; les mémes, & des yeux & des piez? Quoy! Pensez-vous qu'il ne demande pas aux Pasteurs plus qu'au Troupeau, & que dans cette charge eminente & sainte, où luy méme les a mis, préferablement à tant d'autres, il n'exige d'eux qu'une perfection [Page 19] ordinaire? Ha! Qu'ìls ne s'y trompent point! Une vertu, qui suffiroit au Peuple, ne suffira pas au Pasteur qui le conduit, & qui est etably pour l'instruire autant par son exemple que par sa doctrine. Voila ce qui faisoit trembler & S. Jean Chrysostome & tant d'autres Pasteurs celebres. Ils avoient une idée si haute de leur charge qu'ils ne voyoient point d'assez grande vertu pour en soutenir & l'eclat & la sainteté. Ce qui leur faisoit dire de cette charge illustre que le fardeau en seroit méme insupportable aux epaules des Anges, & qu'il n'y auroit point de jugement plus terrible que celuy des Pasteurs; parcéque c'est le Juge méme qui l'a dit, que l'on redemandera beaucoup,Luc. 12.48. & qu'on fera rendre un plus grand compte à celuy à qui on aura confié plus de choses.
Que cet Oracle doit faire trembler tous les hommes qui ont plus receu que les autres n'ont fait, & qui sont etablis au Gouvernement ou des Eglises ou des Empires! Ce que je disois des Pasteurs il faut donc que les Princes, il faut donc que les Rois se l'appliquent; il faut qu'ils táachent de s'êlever toujours sur les Peuples, autant par l'eminence de leur Pieté que par celle de leur Charge; autrement ils ne seront pas Fideles, puisqu'ils manqueront à un devoir si indispensable; & bien que peutestre ils ayent assez de vertu pour un autre etat moins elevé, cela ne les justifiera nullement, puisqu'ils n'ont pas remply tous les desseins illustres de Dieu sur eux, & que sans doute il doit les juger comme des Princes, & non pas comme des Sujets. O l importante instruction pour tout le monde! Que chacun s'interroge soy-même, & qu'il voye s'il est Fidele, non seulement au devoir general de Chretien, mais encore au devoir particulier d'un tel Chretien, d un Chretien dans un tel ou dans un tel employ.
Il faut donc, Mes Freres, estre Fidele à ces deux egars; Hè bien! L'estes-vous? Estes-vous ce qu'un Chretien doit estre, & ce que doit estre un Chretien comme vous, [Page 20] elevé comme vous, instruit comme vous? Si vous l'estes; c'est déja quelque chose: Mais ce n'est pas assez pour obtenir la couronne de vie que Jesus Christ nous promet. Non, ce n'est pas assez d'estre Fidele, & méme dans toute la perfection & à tous les egars que je l'ay dit; ce n'est que la premiere partie de la condition que veut mon texte, car.
2o. Outre qu'il faut estre Fidele, il le faut estre Jusques à la mort; & la grande raison que l'on peut rendre de cette necessité est que jamais on n'a veritablement été Fidele quand on a cessé de l'estre un moment, puisqu'il en est de la Foy comme de l'Amitié, selon que le témoigne S. Ambroise; elle n'a jamais été quand elle a cessé d'estre. Le veritable Fidele ressemble au Soleil, dont [...]a lumiere peut bien s'eclipser, mais non pas s'eteindre, & sa vertu est comme un feu qui se cache quelque fois sous la cendre, mais qui ne meurt pas pour cela. Il faut donc estre Fidele jusques à la fin, autrement on n'aura jamais été Fidele, & consequemment on n'obtiendra jamais une couronne, qui suppose une veritable foy, une veritable fidelité.
Mais, quand on poúroit méme avoir été Fidele, & ne l'estre plus ensuite; toute la foy, toute la fidelité passée ne serviroit de rien pour obtenir cette couronne, parcequ' elle n'est promise qu' à ceux qui ont été Fideles jusques à la mort, & que l'Evangile enseigne positivement qu'il faut avoir perseveré pour estre sauvé.Mat. 10.22. Marc. 13.13. D'où quelque Pere a pris occasion d'élever la Perseverance au dessus de toutes les autres vertus Chrétiennes, parceque c'est à elle seule que la couronne est promise. Tant de foy qu'il vous plairra, tant d'Espe [...]ance qu'il vous plairra, tant de charité, tant de justice, tant de Religion qu'il vous plairra; si on n'a persévere, point de salut; & si on ne demeure Fidele jusques à la mort, point de couronne.
L'Apòtre n'etoit-il pas dans ce sentiment, lors qu'il se confioit avec tant d'assurance de la recevoir, non pas à [Page 21] cause d'un peu de temps qu'il avoit été Fidele, mais parcequ'il avoit combatu le bon combat, c'est à dire, jusqu' à la fin; parcequ'il avoit non seulement eu la foy,2 Tim. 4 7. mais parcequ'il l'avoit gardée, parcequ'il avoit enfin achevé sa course, parcequ'il avoit perseveré jusqu'au bout.
Ajoûtons encore la belle raison que donne S. Jérome, pourquoy il faut estre necessairement Fidele jusques à la mort; c'est (dit-il) que dans les Chretiens on ne prend pas de si prés garde, comme ils ont commencé que comme ils ont finy. Et en effet ce n'est pas de la vie, mais de la mort que depend la decision, ou de notre salut, ou de notre perte. Combien de gens avoient si bien commencé, & qui cependant sont peutestre perdus, & perdus sans ressource; parcequ'il y a grand sujet de croire qu'ils n'ont pas bien finy. Sâul n'avoit-il pas bien commencé? Tertullien, Origenes & tant-d'autres n'avoient-ils pas commencé le mieux du monde? He-las! On craint pourtant qu'ils ne soient pas sauvez! Parceque la fin a mal repondu au commencement, & que leur mort n'a pas été si bonne que les premieres années de leur vie. Tout au-contraire, combien de gens avoient mal commencé, & que l'on tient sauvez, parcequ'ils ont bient finy? Comment avoit commencé l'Apótre S. Paul! Comment la Magdelene! Comment le Bon Larron? Comment S. Augustin! Comment une infinité d'autres? Et neanmoins parcequ'ils ont bien finy, parceque les dernieres années ils ont bien vecu, parcequ' aumoins leur mort a été sainte, on ne doute nullement de leur salut, & leur memoire nous est precieuse.
C'est donc particulierement â la mort qu'il faut estre Fidele pour emporter la couronne de vie. Je ne dis pas qu'il faille attendre à bien viure quand on sera prest de mourir; car outre qu'il y a une impieté horrible à differer sa conversion sur de semblables pretex [...]es; il est certain encore que ce retardement est fort dangereux, puisque [Page 22] l'on nesçait, ni l'heure de sa mort, ni les momens que Dieu a ordonnez pour sa grace.
Il faut, il faut, Chretiens, commencer dés ce moment; il faut dés ce moment renoncer au crime, il faut dés ce moment accepter la misericorde que Dieu nous veut faire; il faut dés ce moment estre tout à luy, tout à la pieté; bref il faut dés ce moment estre Fidele (dans tous les sens que je l'ay dit) & continüer de l'estre jusques à la mort, sans retourner jamais un pas en arriere, puisque ceux qui le font,Luc. 9.62. ne sont nullement propres (dit l'Evangile) pour le Royaume de Dieu. Il ne faut pas même s'arrester en chemin, ni interrompre sa course; nos interests y sont trop engagez, puisque cesser de courir est perdre tout ce qu'on avoit couru, & qu'il faut aller jusqu'au bout de la carriere pour y trouver le prix.1 Cor. 9.24. C'est la grande, c'est l'importante, doctrine que l'Apôtre enseignoit aux Corinthiens; & il n'est rien de plus sêvère que le reproche qu'il fait aux Galates d'avoir interrompu la course qu'ils avoient si bien commencée;Gal. 3.1, 3. & 5.8. jusqu' à nommer cette interruption, enchantement, ensorcelement, folie, persuasion du diable. Brisons, brisons tous les obstacles qui s'opposeront à nous, & qui nous voudroient empescher de passer outre. Ne donnons pas aux exercices de la vertu quelques jours, quelques semaines, ou quelques mois; donnons-y les années, & les siecles mémes, si notre vie pouvoit aller si loin, car il n'est pas dit, sois Fidele quelque tems; mais sois Fidele jusques à la mort, & je te donneray la couronne de vie,
Peut-estre, Mes Freres, ce long travail vous epouvante; mais fongez que c'est une indispensable necessité; songez que la couronne qui vous est promise vaut bien toute la peine que vous prendrez à l'acquetir, c'est ainsy que le grand Apôtre exhortoit les premiers Fideles à soútenir genereusement tout ce qu'il y avoit de plus penible dans les combas de la foy. Il l [...]ur donnoit l'exemple des Athletes, [Page 23] des Gladiateurs publics; ils gardent (disoit-il) un regime incommode, ils vivent austérement, ils se privent de cent choses qui leur poûroient plaire; & cependant (ajoûte S. Paul) Ils ne le font que pour avoir une couronne corruptible, au lieu que nous en attendons une incorruptible. 1 Cor. 9.25. Ainsy, quelle excuse aurons-nous, s'ils ont & plus fait & plus souffert pour une mêchante couronne, que nous n'avons peutestre voulu, ni faire, ni souffrir pour uns couronne si precieuse?
Lisons toutes les Histoires, & nous y trouverons mil exemples de gens qui ont travaillé infatigablement toute leur vie pour acquerir une couronne ou de fleurs ou de feūilles, &, tout au plus, une couronne de perles & de diamans, une couronne Royale, une couronne chargée de mille soins, de mil inquietudes, une couronne, enfin, qui est aujourd'huy, & demain ne sera plus. Hèlas! à quoy ne s'est-on pas exposé pour l'acquisition de si peu de chose! Et quel reproche nous sera t'il fait au jour du jugement, quand on nous fera voir les travaux infinis de ces Ambitieux pour les couronnes de la terre, & notre negligence pour celle du Ciel! Que repondrez-vous Chretiens delicas, qui apprehendez si fort de l'achetter au prix de quelque peine, aux depens de quelques plaisirs? Vous pensez que c'est beaucoup de fatigue d'estre Fidele jusques à la mort, & vous ne pensez pas à la gloire d'une si noble & si longue recompense! Votre couronne durera bien plus de tems que les peines qu'elle vous aura coûtées.
J'oseray bien dire davantage; il y a plus de douceur que de peine à demurer Fidele jusques à la mort. C'est un paradoxe pour les sens, & les hommes charnels ne comprénent pas ce mystere. Ils se figurent dans cette longue Fidelité une suite ennuyeuse d'austeritez & de chagrins; mais comment seroient-ils bons juges d'une chose qui leur est inconnue? Les plaisirs de la vertu ne se connoissent que par l'experience, & jamais on n'en trouve la prattique [Page 24] agreable dés le premier jour; il faut y avoir dêja passé quelque tems pour en goûter les delices. Elle est comme ces arbres dont la racine est amére, & les fruis dous: Elle effraye d'abord, mais aprés elle charme. Il en est d'elle tout au-contraire du Vice; quand on ne le connest pas encore assez, on s'imagine qu'il a des douceurs; & quand on vient à le mieux connestre, il n'a plus que des amertumes; mais la Vertu ne parest fácheuse qu' à ceux qui luy sont Etrangers; rendez-vous familiers avec elle, & vous trouverez qu'il n'est rien de plus agreable au monde. Non, Mes Freres, ne m'en croyez pas; croyez-en à vos experiences; mettez-vous dans l'exercice de la vertu, & je suis assuré qu'avant qu'il soit long tems vous prendrez beaucoup plus de plaisir à viure Fidele qu'infidele, à estre homme de bien que méchant,
Il n'est pas jusqu'au milieu du grand Monde, jusqu'au milieu de la Cour, où la vertu ne puisse plaire davantage que le vice, & où quelquefois on ne trouve plus de satisfaction à demeurer Fidele touté sa vie qu'à s'abandonner à la licence & au desordre.
Un Prince, par exemple, qui voudroit viure heureux; où pensez-vous qu'il dust chercher la felicité qu'il desire? La deuroit-il chercher dans l'applaudissement des hommes, dans les loüanges de ses flatteurs, dans la pompe de ses Palais, dans l'ambition des victoires & des conquestes, dans la delicatesse des festins, & dans l'usage enfin de tous les plaisirs que le Monde & la Chair inspirent? Salomon nous proteste qu'il avoit cherché à se rendre heureux de la sorte: Mais il avoūe franchement qu'il ne trouva pas ce qu'il avoit cherché; & que bien loin de se voir content par la joūissance de tant de choses, il en devint plus miserable,Eccles. 2.7. tout cela (dit-il) n'êrant que Vanité & rongement d'esprit. Où faut il donc qu'un Prince aille chercher à se satisfaire? Où trouvera-t'il, Chreti ns, le bonheur solide, & le veritable contentement, que toute [...] les joyes crimineles [Page 25] de la cour & du monde ne luy sçauroient donner? Faut-il qu'il abandonne tout, & qu'il se retire dans les solitudes? Non, il peut estre heureux sur le Thrône, il peut estre heureux dans la cour, bien qu'il ne le puisse estre par les plaisirs de la cour. Et comment cela? en voicy le secret; qu'il se rende Fidele, & qu'il continüe de l'estre jusqu'à la mort. Je sçay bien que les commencemens luy en seront difficiles; que la contrainte, que la violence qu'il faudra se faire d'abord coûtera quelque chose, mais ces petis fraiz seront bien tost recompensez; il s'apprivoisera insensiblement avec la vertu, & les prattiques luy en deviendront agreables, jusqu' à le degoûter de toute autre chose. Et Ceux qui m'êcoutent & qui l'ont déja êprouvé, le sçavent mieux que je ne sçaurois le dire.
Hà! qu'il est doux Mes Freres, de se voir plus Maître de soy méme que des autres, & de commander plus absolument à ses passions qu' à ses Peuples! Qu'il est doux de posseder les grandeurs, & de n'en estre pas possedê! Qu'il est doux enfin de se conserver Fidele parmy des occasions ou tant'd'autres se sont perdus; & d'attendre une couronne dans le Ciel, quand ils seront obligez d'en laisser une sur la terre!
Ce que je dis pour un Prince, tout le monde en sa maniere se le peut appliquer; puisqu'il n'est personne à qui un long usage de la vertu ne donne du plaisir; & qui ne trouve plus de joye à demeurer Fidele jusques à la mort, qu'il n'en trouvero [...]t dans la licence de tous les crimes.
La condition, que Jesus Christ nous a donc demandée pour obtenir l'effet de sa promesse, n'est pas (comme vous le voyez) une condition fort difficile; & quand méme ce qu il demande seroit aussy facheux qu'il est doux, aussy difficile qu'il est aisé; Ah! vous avez, sans doute, trop de coeur, Mes Freres, pour ne pas franchir toutes les peines qu'il faudroit endurer dans la conqueste d'une couronne, & d'une couronne si glorieuse. Il ne tiendra qu'à vous de [Page 26] l'emporter: N'apprehendez pas vos foiblesses; n'apprehendez pas de ne pouvoir estre Fideles jusques à la Mort; Celuy, qui vous demande cette condition, ne vous la demanderoit pas s'il n'avoit luy méme envie de vous en rendre capables,Phil. 4.13. & S. Paul nous assure que l'on peut tout en Christ qui nous fortifie.
Ah! c'en est trop, Seigneur! nous ne doutous plus ni de ta Promesse ni de son effet! Commence aujourd'huy à nous rendre Fideles, & soutiens jusqu' au bout notre Fdelité! Dans la constance de ton secours, nous-allons tout ôser, nous allons tout entreprendre, nous allons tout souffrir, affin d'estre toujours Fideles, & de recevoir de tes Mains la Couronne que tu nous offres. Je parle à Christ, Mes Freres, & pour vous & pour moy. Faisons ce qu'il ordonne, & il fera ce qu'il nous a promis, quand il a dit: Sois Fidele jusques à la mort, & je te donneray la couronne de vie. A celuy qui nous fait cette grande promesse & qui nous en donne de si fermes esperances, Honneur, Empire, & Benediction, Eternelement. Amen.