TRAICTÉ PARAENETIQVE C'est à dire EXHORTATOIRE.
Auquel se monstre par bonnes & viues raisons, argumens infallibles, histoires tres-certaines, & remarquables exemples, le droit chemin & vráis moyens de resister à l'effort du Castillan, rompre la trace de ses desseins, abaisser son orgueil & ruiner sa puissance.
Ceux qui font profession de luite ou descrime s'estudient principalement à descouurir les traits & pointes desquelles vsent leurs aduersaires esdicts exercices: pour ce que les ayans remarquées ils entrent en lice, se presentent aux rengs, & combattent auec plus de hardiesse & d'asseurance, pleine de viue esperance de porter par terrc & vaincre leurs ennemis, & gagner le prix proposé. Aussi deuons nous en toutes affaires diligemmēt rechercher l'origine de [Page]chaque chose, pour prevoir tous les incōueniens qui en pouuent naistre, à ce qu'ils en nous puissent nuire à l'aduenir. Ce que nous pratique maintenāt deuōs plus curieusemēt en ce Traicté, est de sçauoir & descouurir les raisōs qui ont meu Philippe Roy de Castille à mener la guerre en France auec de tant despēses & degast de ces bien, si grande perte de ces gens, & diminutiō de son domaine, notā ment aux pays bas. Si le Roy Tres-chrestien HENRI III. viuoit, il pourroit dire ce qu'vn certain estranger sien seruiteur, venant d'Espange l'an 1583.Les raisōs qui ont meu Philippe Roy de Castille de motire la guerre en France: & quelle opinion il a des Frā çcis. en May luy auroit faict, entendre. A sçauoir que voyant ledit Roy Phillippe, que sa Majesté tres-chrestienne auoit permis aux Seigneur Stroce, Comte de Brissac, & autres de seigneurs & gētilshommes, d'aider auec vnearmee nauale au seigneur Dom Antoine vray Roy des Royaumes de Portugal (esleu à l'ordinaire des Portugais par toutes les citez & ville de Royaume, & par plusieurs prouinces & seigneuries hors l'Europe dependans dudit Royaume) il se delibera en plein conseil de ietter vne guerre ciuile en France, disant que la nation Françoise est auiou d'huy de telle nature, qu'ils ne pensent iamais à l'aduenir, & ne se soucient que de ce qui.est present & de ce qu'ils ont en main; plus soigneux de gagner par chacun iour trois ou quatre escus, que d'en conseruer trente ou quarante mille tous acquis, ayans du tout changé de naturel. Car par cy-deuant ils estoyent desireux de sortir de leur pais, pour aller de secourir les [Page 2]Roys & Princes affliges & spoliez de leurs propres Royaumes & domaines, de faire la guerre aux infideles, & de chastier les tyrans: au lieu que maintenant leurs pensees sont du tout autres & bandent tous leurs esprits à avoir de l'argent, à quelque condition que ce soit: & sont autant amoureux des mignar dises & delices de leur païs, que ennemis de la sterilité & des chaleurs d'Espagne & autres incomoditez. Et pour ceste cause nous leur persuaderons tant plus aisément faire la guerre en leur pays contre leurs propres freres, cousins, parens & compatriotes, que de hors à l'encontre de leurs ennemis. C'est pourquoy je veux & suis resolu de despendre vn million d'or & plus tous les ans pour les entretenir tousiours en guerres intestines & ciuiles. Tellement qu'estans embesongnez en leur pays, jamais ne pourront se resoudre de passer en celuy d'autruy, & par ce moyen aisement je me conserueray le Royaume de Portugal, auec tout ce qui en depend. Quoy qu'il m'en puisse couster, si est-ce qu'il m'en reuiendra trop plus de proufit que de despése; d'autant que par chaque année i'en leue presque trois millions de liquide, & jouissāt diceluy, par succession de temps je pourray gagner l'affection des Portugais, bien que je scache qu'elle me soit auiourd'huy fort contraire. Mais en suite les ayant pour am is, & ensemble auec eux, luers puissans Nauires, Gallions, & autres vaisseaux de guerre; ioint le conseil & la conduitte de leurs sages & experimentez mariniers, je me rendray seul [Page]seigneur de toute la mer Oceane; & me feray redouter & obeir par tout l'vniuers, & me cōserueray ce Royaume, qui est le plꝰ important de l'Espagne, pour le laisser seur & paisible à mes successeurs. Voila ce que dict Phillippe, & les conclusions qu'il print auec son conseil en la cité de Lisbonne en Nouem bre 1582. depuis l'arriuee du Marquis de S. Croix en icelle, retournant victorieux de I'isle de S. Michel. En ce mesme conseil fut par luy posée la premiere & principale pierre aux fondamens tracez par la Ligue:Ligue à l'imit atiō de celle de l'an. 1463. Estienne Garibay liu. 17. ch x. xi. xii. icy fut elle par luy totalement ordonnee, conclue & baptisée, à l'imitation de celle qui fut ainsi nommée & faicte par les rebelles en Castille contre le Roy Henry IIII. laquelle reussit apres en faueur d'Isabelle & de Fernand ses bisayeuls. Ce grand dessein & ceste resolution fut rapportée fidelemēt au feu Roy (comme nous auons dict) par cedit sien seruiteur, estranger, auec plusieurs particularitez. & entre autres, que le Castillan auoit enuoyé en France neuf hommes, pour corrompre par argent & promesses les Princes seigneurs & gentilshommes François desquels plusieurs furēt nommez. qui deslors tenoyent le parti de Philippe. & plusieurs qui estoyent prests de faire le semblable, comme l'euenement l'a montré puis apres. Et mesme le dict Phillippe pour gagner le Capitaine Landreau, auoit resolu d'enuoyer en France le Capitaine Antoine Portugais, marié à la Rochelle, qui pour lors estoit prisonnier au Chasteau de [Page 3]Lisbonne: & pour cet effect luy auoit donné la vie, auec offre de sa faueur,Alcald [...] c'est comme vn grād Preuost de l'hostel. Philippe contre sa promesse fit pendre le Capitai ne Antoine. par le moyen de l'Alcalde Taiade, qui l'alloit souuent voir au chasteau, & parloit auec luy long temps; Philippe to utefois craignant qu'il ne le descouurist, le fit puis apres pendre, nonobstant la promesse qu'il luy auoit faicte. Ce Capitaine Antoine descouurit le tout à vn personnage, duquel il se fioit, & luy recommanda de le garder secret iusques à ce qu'il fust en France, pour en Aduertir le feu Roy treschrestien, & le Roy de Portugal, ausquels ledit Capitaine Antoine l'auoit prié de communiquer, comme il fit. Et quand au Capitaine Landreau, il fut forcé de prendre le party du Castillan, & l'argent qu'on luy offroit pour sauuer sa vie; dont il aduertit le Roy de Portugal, qui lors estoit à Beauuais sur mer: & luy ayant fait entendre à quel dessein il l'auoit faict, le prioit de sauuer sa personne, pource qu'il estoit l'a en tres-grand danger. Ce que ledit seigneur D. Antoine experimen ta peu de iours apres, & eust esté prins s'il ne se fust sauué promptement, comme fut pris vn de ses fils auec beaucoup des gentilshommes Portugais de sa suitte par les gens du Duc de Mercoeur, qui pillerent & rauagerēt tout ce qu'il auoit tant luy que ses gens, desquels aucuns s'estimoyent encore bien heureux de s'estre sauuez. De ces neuf hommes dont j'ay parle quelques vns furent pris, qui descouurirent toute l'intention de l'ennemy Toutesfois on en fit aussi peu de cas pour lors qu'on fait auiourd'huy de ce que nous voyons [Page]& confessons estre tres-necessaire pour nous deliurer de ruine. Aussi ce mesme estranger dont nous auons faict mention, aduertit au mesme temps de sa venue le Roy tres-chrestien, que l'on disoit par tout en Espagne, entre gens de qualite, que sa Majeste Catholique auoit resolu de se liguer & cōsederer avec vostre Majesté SIRE, & luy faire de grands passe-droits & partis auantageux, à la charge qu'elle fist la guerre audit feu Roy vostre predecesseur. Aussi disoit-on d auantage, qu'il promettoit donner à vostre Majesté pension de deux cens mille escus pour chacun an.Philippe par traittez illicites trauaille à faire la guerre au feu Roy. Quelques vns disoyent que c'esboit pour arres de ces promesses seulement; & mesmes tenoyent pour certain, que les deux cens mille escus essoyent tous prests dans vn chasteau nōme Oxagaui, appartenāt au sieur de Luxes, non loing de Ronceuaux. Et de la di soit on que ledit Philippe pour bien asseurer l'amité de vostre Majeste vous demandoit Madame vostre soeur pour l'espouser; à la charge que les enfans qui viendroyent de ce mariage, fils ou filles, seroyent heritiers du Royaume de Navarre; & qu'il donnoit à V. M. en recompenses les Isles de Sardaigne & Mallor lorque, ou Minorque: s'obligeant en outre à establir à ses propres cousts & depens, V. M. Roy de Guyenne; desirant aussi vous donner en mariage l'Infante Madame Isabelle Claire Eugene sa fille aisnée auec le Duche de Milan promettant pour cet effect d'impetrer dispense du Pape,La trace d'vn bon Catholique. & des declarations sur ce necessaires. V. M. doit mieux scauoir le choses [Page 4]sudites, que nu [...]autre, si le bruit qui pour lors encouroit, est veritable, puis qu'il en traittoit auec elle. C'estoit certes vne grande tentatiō. Mais l'amour que V. M. porte à sa patrie, & l'obligation de loyauté qu'elle deuoit à son Roy, ont eu beaucoup plus de force en vous que toutes les promesses d'vn ambicieux tyran. Le bruit qui courut de cecy par toute la France, & aussi l'auis certain du mauuais traittement que V.M. fit à vn Gentilhomme que l'on disoit conduire cet affaire, & qui vous en auoit fait ouuerture, vous fit totalement gagner les affections des bons François, qui vous auoyent imprimé en leurs coeurs: & beaucoup plus, quand on entendit que V.M. en auoit aduerty le feu Roy treschrestien l'an 1583. Tellement que sa Majesté, vous pemir en l'an suyuant 1584. de faire vne assemblee des chefs & seigneurs de la Religion à Moutauban, où l'on sçait que V. M. reprint aigrement ceux qui auoyent ourdi cesse tramé, & autres qui se verront cy apres, que l'ennemy commenca l'an 1575. & qu'elle fit vn accord reciproque de n'entreprendre, ny mesme deliberer aucune chose les vns sur les autres. Et dit on que toutes les Eglises pretendues reformees en ceste assemblè requirent V.M. pour leur chef; Et secondement feu Monseigneur le Prince de Condé, & ce par permission dudit feu Roy tres-chrestien, qui se repentoit fort d'auoir obmis de donner secours au feu Roy de Portugal pour recouurer son Royaume, comme il declaira au mesme estranger estant à Blois [Page]l'an 1589. se plaignant de la tyrannie & irreligion de Philippe l'enuoyent en Angleterre pour traitter de ces affaires auec la Roine, & le Roy de Portugal: auquel il promettoit que la premiere chose qu'il feroit ayant recouurè Paris, seroit d'enuoyer vne armee en Portugal, & faire la guerre à l'ennemy dans son pays, & le contraindre à luy requerir hū blement la paix, comme les Anglois auec l'aide des Portugais y auoient autresfois cō traint ses predecesseurs. Et en cas que ledit Roy de Portugal fist le voyage, comme il entendoit qu'il s'estoit resolu, il le prioit que si tost qu'il seroit arriuè là, il l'en aduertist, par ce qu'incontinēt qu'il seroit en Portugal,Desir qù auoit le feu Roy tres-chre stien de remettre Portugal en liberté ou quelque autre part d'Espagne, quād il n'auroit que deux mille hommes, il les enuoyeroit soudain, pour ce qu'il scauoit tres-bien, & estoit tres-asseuré que si l'ennemy estoit vne fois embarasse en Espagne, & embesonge chez luy, il en seroit bien-tost depestrè en France, ainsi que l'euenement le prouua. Car si tost que la nouuelle veint, que le Roy de Portugal estoit à Lisbonne. Le Roy tres-chrestien accomplissant sa promesse, commanda à feu monsieur le Mareschal de Biron qu'ils s'apprestast pour passer en Portugal en la plus grande diligence qu'il luy seroit possible, pour secourir les Portugais, & ayder à restablir leur vray Roy D. Antoine.
Mais Dieu qui auec vne iuste & equitable balance pese & examine toutes choses, desploye ses merveilles où & quand il luy plaist.
De cecy donc nous colligeons deux choses [Page 5]La premiere que l'ennemy pour conseruer Portugal, a mis la guerre civile en France.Portugal porte de la guerre de France La seconde, que nostre deliurance, & sa ruine, dependent la faire passer vne bonne armee en Espagne. Ce qu'il craint extremement.
ET partant Princes Serenissimes, pour deliurer vos estats du danger qui les menace, & les mettre en seurte, vous deuez faire & entreprendre ce voyage, si important & necessaire a toute la Chrestienté, sans auoir esgard à la despense, quelque grande qu'elle soit: attendu que ne le faisant pas maintenant, vous de meurez tousiours de plus en plus en hazard & danger à l'aduenir. Prenez exemple aú passe, & voyes l'instruction contenue es histoires escrittes par hommes curieux, vigilans & affectionnez au public: & les lisans, & les enten dans, faitez en vostre profit.
Agathocles apres auoir esté l'espace d'enuiron sept ans Roy de Sicile, estant inuesti par mer & par terre en la ville deSiracusa. Saragoce par les Carthaginois, se trouuant en grande perplexité, comme desia delaisse de plusieurs peuples de son Royaume qui premierement tenoyent son party, & voyant que les viures, argent & autres munitions necessaires pour la guerre luy manquoient, & qu'il ne pouuoit eschapper des mains des Carthaginois,Combien il importe de faire guerre au pays de l'ennemy. s'il ne pratiquoit vn traict que personne n'anoit encore mis en oeuure: laissa en ladite ville vn sien frere pour commander, & la defendre auec quelque nombre d'hommes biē affectionnez à son parti; & prenant auee luy quelque autres trouppes, s'embarqua sans dire où il alloit, & veint descendre en Afrique, [Page]où il fit la guerte aussi courageusement contre lesdits Carthaginois, comme s'ils eussent esté egaux: & ayant dés le commencemēt defaict les Capitaines qui luy vindrent au deuant, fit le degast par tout le pais, brusla & rauagea tout les villages & metairies, & toutes les maisons de plaisance autour de Carthage. Apres ceste victoire, auec quantité de bandouliers & Soldats de fortune qui se vindrent ioindre à luy, ainsi qu'il aduient ordinairement en tels tumultes, se campa vne lieüe pres de la ville. Par tel stratageme ses affaires prospererent non seulement en Afrique, mais aussi par toute la Sicile. Car Antandre (ainsi se nommoit son frere) estant certioré de l'heureux succez d'Agathocles, print courage, & sortant de Saragoçe contre les Carthaginois qui l'assiegeoient, gagna leurs tranchees, en tua grande partie, & fit tel rauage que ceste parte & les victoires d'Afrique estans diuulguees, deslors toutes les places de Sicile, qui tenoyent leur parti se reuolterent,Enuiron 314. ans deuant la natiuité de Iesus Christ. & les abandonnerent. Ce qui fit que Agathocles retournant victorieux en Sicile, en iouyt paisiblement tout le reste de sa vie.
Agathocles mort auec ses partisans, la seigneurie de Carthage continua la guerre pour la conqueste de la Sicile, de sorte qu'ils l'emporterent en fin, & la tindrent quasi toute, enuiron 277. ans deuant la natiuité de Iesus Christ. Et les Romains considerans tous ses effects, & voyans que la puissance des Carthaginois estoit si grande, & qu'ils tenoyent non seulement la plus grande & [Page 6]meilleure partie de l'Afrique qu'ils auoyent subiuguee à force d'armes: mais aussi plusieurs peuples d'Espagne, auec les Isles qui sont en la mer d'alentour de Sardaigne & d'Italie; jugerent fort bien quand-&-quand que ce voisinage les mettoit en grand danger, s'ils acheuoyent de subiuguer toute la Sicile. Tellement qu'ils mirent si bon ordre à leurs affaires, qu'ils aménerent les Carthaginois à telle extremité, qu'ils n'y tenoyent plus que la ville d'Erix: laquelle Amilcar Barcin, pere d'Annibal, defendit fort vaillā ment pour quelque temps, & y fit merueilles d'armes. Toutesfois les Carthaginois voyans qu'ils ne se pourroyent defendre ny resister à la force des Romains, enuoyerent commander à Amilcar de rendre la ville in continent, & faire auec eux la plus honnorable & auantageuse paix qu'il pourroit au proufit de Carthage.Enuiron l'an 240. auant la natiuité de Iesus Christ. Amilcar effectuant le commandement de la Seigneurie, mit la ville entre les mains du Consul Luctatius, & en peu de iours poursuyuant le cours de ses affaires, repassa en Afrique, où il eut plusieurs grandes victoires contre quelque seditieux, & mit l'Estar en repos & tranquillité. Cela fait il fit le voyage d'Espagne, menant son fils Annibal,L'an 237 qui n'auoit encore que 8. ou 9. ans tout au plus, & auec luy sa mere qui estoit Espagnolle, & trois autres siens fils puisnez, Asdrubal, Magon, & Hannon: desquels leur pere Amilcar souloit dire, qu'il nourrissoit quatre lionceaux farousches & resolus à la destruction de la Republ. Romaine. Amilcar donc estant en Espagne, par sa prudence & [Page]liberalité gagna les coeurs des Espagnols en telle maniere, que il cognut que par leur moyen il se pourroist recourre sur les Romains, & recouurer d'eux la Sicile & la Sardaigne, qu'ils eurent aussi depuis en leur puissance, & en fin passer en Italie & les destruire. Mais estant preuenu de la mort,L'an 228 il chargea son fils Annibal, (lequel il auoit coniure à ce qu'il fust tant qu'il viuroit, irreconciliable ennemy des Romains) de mettre à chef son entreprise. Annibal depuis la mort de son beaufrere Asdrubal (qui auoit succedé au gouuernement à Amilcar son beaupere) estant faict Gouuerneur d'Espagne,L'an 223 print la ville de Sagonte, qu'on appelle Monvedre, apres l'auoir assiegee huict mois.L'an 217 Ceste ville prinse il commença à ce disposer au voyage d'Italie, & par plusieurs trauaux & difficultez passa les Alpes,L'an 216 & en suite gagna tant de signalees victoires contre les Romains, & les espouuenta de telle façon qu'ils pensoyent estre perdus.Annibal passa en Italie. Et l'estoyent à la veritè, s'ils ne se fussent aduisez d'enuoyer Scipion en Afrique: qui fit la guerre si forte & si cruelle, qu'il contragnit les Carthaginois de rappeller Annibal d'Italie:Scipiō en Carthage lequel auec tout sō Estat fut en peu de temps reduit à neant, ainsi que chacun sçait. Et par ce moyen les Romains surent allegez, deliurez & paisibles, & les Carthaginois perdus & deffaits de fond en cōble: & leur estat qui auoit este si celebre, ruine & reduit en la puissance de leurs ennemis.
Xerxes Roy de Perse, se voyant en vn miserable estat, & considerant en quelle façon il se pourroit deliurer & remettre sus, esleut les [Page 7]plus habiles de ses seruituers pour executer son desseing, & les enuoya en l'Europe auec argent pour corrompre les Orateurs des villes & Republiques de Grece, & ayant corrompu ceux d'Athenes, & de Thebes,Plutarch en la vie d'Agos. les fit sousseuer, & leur fit faire la guerre à ceux de Sparte. Par ce moyen la Grece mise en trouble & diuision envoya querir Agesilaus, qui tenant subiugue quasi tout l'empire de Perse, le quitta pour subuenir aux reuoltes de sa patrie. Et par ce que la monnoye de Perse auoit vn Archer engraué d'vn costé, le mesme Agesilaus disoit que dix mille Archers l'auoient ietté hors d'Asie, & auoient esté cause de perdre vn superbe & puissant Empire. Par ceste finesse Xerxes se tira de la peine & de l'extremité où il estoit, iettant son ennemy hors de chez soy, & remit sus son Estat.
Achaius Roy d'Escoce.Induit par ses exemples (Roy Tres-chrestien) & plusieurs autres semblables, Achajus Roy d'Escoce fils de Etfinis, tres bon & vertueux Prince, se voyant mal traitté par les Saxons & Anglois, qui possedoyent la meilleure partie de de la grande Bretaingne. (qui quelque annees apres fut appellee d'vn seul nom Angleterre) fit & accorda l'an 791. vne perpetuelle & irreuocable paix auec Charlemagne. Les Roys qui luy succederent,Paix parpetuelle entre Frā ce & Escoce vos predecesseurs, considerans que ceste paix leur estoit tant proufitable & necessaire, voire plus qu'aux Roys d'Escoce, l'ont continuée jusques auiourd'huy. Et par le moyen d'icelle, ont souuentesfois contraint les Anglois lors qu'ils estoyent ennemis, de ce retirer de la France: & bien souuent aussi leur ont [Page]taillé tant de besongne en leur pays, qu'ils auoient à farre à se defendre, & leur ont ostè toute enuie & moyens de passer en terres estrangeres. Et y a eu Roy en France qui a donne a l'Escoce pour cet effect plus de 500. mille escus;Argent donné à l'Escoçois qui estoit autant en ce temps là, au esgard à la difference des témps, comme auiourd'huy deux millions. Ie passeray sous silence plusieurs autres histoires qui sont à nostre propos parce que je sçay bien que celles-la suffisent pour montrer combien vous importe, SIRE, de vous deliurer de ce fardeau, & enuoyer vne bōne armee en Espagne: d'autant que de ce voyage faict biē à propos, depend vostre sauueté, & la ruine de vostre ennemy. Si vous faisiez la guerre & vostre ennemy dans l'Espagne, il seroit contraint de rappeller toutes ses forces, non seulement de la France & du pays bas; mais encore toutes celles qu'il a en Lombardie, Naples, Sicile, Sardaigne & autres pays. Nous l'experimentasmes n'agueres. Car si-tost que le Castillan vid les Anglois en Caliz, il appella incontinent toutes les Galeres de Naples,Moyen pour ruiner l'ennemy. Sicile & Genez. Il enuoya mesme prier le grande Maistre de Malthe de luy enuoyer les galeres de la Religion. Ce qui eust esté fait, si les Gentilshommes François ne s'y fussent opposez.Opposition de bons François. Il fit passer en haste en Espagne les forces qu'il auoit en Bretagne, & sans doute il eust faict rappeller toutes celles qu'il a és autres pays, si les Anglois y eussent esté plus long temps. Vous voyes Messeigneurs, comme passans en Espagne, vous pourrez oster de dessus vos testes l'espee du Castillan, & delivrer [Page 8]vos pays de son superbe ioug. Vous me direz que l'ennemy a de grandes forces, & grand nombre de vieux & bien experimentez Soldats, par le moyen desquels encore qu'ils soyent loing, estans rappellez en Espagne, il vous endommagera grandement; & par consequent vostre voyage vous sera inutile, voire mesme dangereux, & qu'il vous faudra retirer non seulement en honte & confusion, mais qui plus est en grand'peine & grand danger. Mais à cecy ie responds:
Premierement, que si vous faites les choses auec prudence vous en tirerez vn proufit incroiable, & n'encourrez nul danger. 1 Bon & vtile conseil.
Secondement, qu'en Espagne il y a des places sur le bord de la mer, 1 Places fortes de nature. que pourrez facilement prendre & commander, la situation desquelles est si forte de nature, que les fortifians demain d'homme, vous les garderez pour peu de chose, & plus aisement que ne fait l'ennemy Blauet en Bretagne, & vous seruiront de retraitte.
Tiercement, en Espagne il y a plusieurs nations qui haissent le Castillan, 3 pour avoir esté tyrannisez, ou par luy mesme; ou du moins par ses predecesseurs; lesquelles ce voyans assistées à bon escient, pour le grand desir qu'elles ont de s'affranchir prendont les armes contre l'ennemy.
Quatriesmement, les soldats qui sont hors d'Espagne, estans rappelles par leur maistre, 4 ne sçauroyent arriuer que dans quatre mois au plutost, & dans deux vous pouuez armer & agguerrir tous ceux qui prendront vostre party. Car il est certain que le climat du pays [Page]les aide & les rend soupples. I'ay quelquesfois veu auec plusieurs autres en Portugal entrer en Garnison vne compagnie de nouueaux soldats, ou pour mieux dire, vne troup pe de gueuz & caimands, tous nuds, & si miserables, que nous en auions pitie. De là à quatre ou cinq iours, a pres qu'on les eut habillez tout à neuf, les voyans entrer en garde vous eussiez dict que c'estoyent des grands Gentilsho mines, tant ils auoient bonne garbe & mine de braue Soldats & vieux routiers. Ie vous asseu re que deux mois suffisent à ceux du pays pour ce rendre soldats. la plus grande difficulte est seulement de n'auoir point de peur du feu de l'arquebuze. Dauantageles provinces d'Espagne sont riches, ainsi que tout le monde scait, & les habitans ne font pas cas de leurs biens quand il est question de se mettre en liberte.Le naturel des Espagnols naturels. car en ce cas ils les dependent liberalement; ainsi qu'il se void par l'offre qu'ils firent au Roy Philippe, depuis que les Anglois se furent retirès de Caliz. Et enuoyant de l'argent en ces quartiers, ils feront bien plustost assembler & passer en Espagne cinquante mille hommes de guerre. pourse secourir, defendre & garder que l'ennemy en puisse faire venir cinq mille de ceux qu'il rappellera de dehors.
Si quelqu'vn me dit, que puisque deux mois suffisent aux naturels Espagnols pour se rédre bons soldats, l'ennemy pourra beaucoup plus facilement assembler & armer plus grand nombre d'hommes, que nous n'aurons secours des nostres. Ie respōds que ie l'accorderois s'il y auoit des armes en [Page 9]Espagne, pour le faire: mais elle y sōt si rares, qu'il y a beaucoup de grandes villes & fort peuplees dans lequelles on ne trouuera pas cinquante arquebusez.Armos rares en Espagne. Et quand il y en auroit, les Espagnols en Espagne les prendront bien plus gaillardement pour leur liberte, que pour le seruice de leur tyran. Principalement les Princes & Seigneurs, qui ne desirent autre chose sinon qu'il y ait en Espagne quelque Royaume ou Prouince libre, & qui se gouuerne par soy mesme, afin de s'en seruir comme de refuge & d'azyle, ainsi qu'il y auoit le temps passè. Car l'Espagne estant quasi cō me vne isle, auiourd'huy les Princes,Espagne quasi isle Seigneurs & gentilshommes signalez n'en pouuans aisement sortir, sont rendus esclaues. Quand il y auoit des Roys en Nauarre, Arragon & Portugal & que les Castillans auoyent quelque differend auec leur Roy (ou les Nauarrois, Arragonois & Portugais auec les leurs) ils se retiroyēt les vns vers les autres, par la liberalité desquels ils estoyēt pourueuz de toute ce qui leur estoit necessare pour la vie humaine: & quelquesfois auecplus grāde cō modité qu'en leur propre pays. Ainsi qu'il ad uint du temps de Fernand Roy de Portugal, & de Henri II. de Castille, qui tua son frere legitime. A cause dequoy le Comte D. Fernand de Castre & D. Aluar peres de castres son frere, Mē Suares Grādmaistre d'Alcantara, Suer Iuā de Parada gouuerneur de Royaume de Galice, Petro Giron Grandmaistre de Galatraua, Alonso Giren son nepueu, & plusieurs autres grands Seigneurs & gentilshommes auec grand'quantité de citez & villes tenans le [Page]party du Roy defunct, s'en allerent en Portugal; où furent receuz par le Roy Fernand tres honorablement, & receurent de tresgrandes faueurs de luy auec riches presents & dons incroyables: & deslors les Castres s'habituerent en Portugal, d'où descendent ceux qui sont encores auiourd'huy. Le mesme aduint à Diego Lopez Pacheco portugais (bien que non pour si iuste & honorable cause) lequel s'en allant de Portugal en Castille pour estre chargé de la mort de la Royne D. Iues de Castro, du temps du Roy D. Pierre de Portugal,Hierome Gudiel ch. 23. fol 81. pag. 2. fut faict en ce pays la seigneur de Beiar, & ses enfans aussi seigneurs d'autres peuples, & donnerent origine aux Marquis de Villana, & aux Ducs d'Escalona, & à plusieurs autres grands seigneurs. Pareillement du temps du Roy D. Iuan de Portugal de bonne memoire, les Acugnas & Pimentels passerent en Castille, desquels descendent en ligne masculine les Ducs d'Ossuna & Comtes de Benavente, & quasi tous les Princes & seigneurs de Castille,Auiourd'huy mā que à la noblesse dEspagne refuge & azyle. & D. Iuliene de Lancastre Duchesse de Auero en Portugal. Auiourd'huy ce rufuge & azyle manque à toute la noblesse d'Espagne; & suffit maintenant le moindre Preuost, pour prendre le plus grand'seigneur du pays, mesme le propre frere du Roy. Tellement que ses Princes & Seigneurs desirent de voir quelque Royaume ou prouince libre d'aussi bon coeur que leur salut.Regret & fascherie des Princes & seignours. Personne ne sçait quelle affliction & quel mal c'est que la faim, sinon celuy à qui le pain default. La noblesse d'Espagne experimente auiourd'huy auec grand'douleur ce qu'elle [Page 10] d'Espigne pour voir l'inuasiō & l'vsur pation de portugal, & quel desir ils ont de le voir deliuré. craignoit le plus de temps de Charles le Quint, le grandeur duquel elle auoit desia lors suspecte: & pour ceste cause se fascha fort quand le Roy Philippe entreprint l'vsur pation de Portugal.
Connestagio Geneuois au liure qu'il a faict en faueur dudict Philippe, intitulè L'vnion du Royaume de Portugal auec la couronne de Castille, nous dit l'vn & l'autre. Et combiē qu'en son oeuure il y ait plusieurs veritès; nous le cognoissons neantmoins pour vn tres-grand menteur: Et la premiere parole dudict liure est faulse en ce qu'il l'intitule L'vnion de Portugal auec la couronne de Castille:Sermēt de Philippe, par-co que le Roy Philippe és estats qu'il tint à Tomar 1581. où les Portugais con tre leur volōté & par force le receurent pour Roy, promit auec sermēt solennel, de ne mesler iamais les choses de Portugal auec celles de Castille, & de conseruer entiere la Monarchie Portugaise au mesme estat, ainsi & en la mesme maniere que le roys ses predecesseurs l'auoient conseruee, payant toutes les pentions & gages à tout les officiers de la maison du Roy tant spirituels que temporels,Explication de la genealogie du Roy à present Autheur Fr. Ioseph Texere. ainsi qu'ils se payoient au temps des vrais & bons Roys. On peut voir quelque chose de cecy en la fin du liure de l'explication de la genealogie de sa Maiesté Tres-chrestienne, où il est parlé des premiers Rois de Castille. Et outre ledict Conestagio est comme malin & peruers, ingrat ennemy de la nation qui l'a auancé & honnoré. Nous l'auons cognu à Lisbonne seruiteur d'Antonio Caulo, & depuis [Page]d'Estienne Lercaro marchant Genevois. Il dit en son liure:
En Castille ceste succession donnoit bien à penser & dequoy parler tant en public qu'en particulier: par ce que le Roy faisoit estat d'vnir en quelque façon que ce fust, Portugal à ses autres Royaumes. Ce que la Noblesse trouuoit fort mauuais, mesme sembloit que tous les grands depuis Charles le Quint en-çca ne goustassent pas la grandeur du roy: par ce que de là venoit qu'il faisoit moindre cas de eux, que n'avoyet faict les anciens Rois de Castille, & les contraig noit d'estre egaux à leurs inferieurs en iustice ou autremēt.
Si D. Antoine Roy de Portugal viuoit, il pourroit tesmoigner comme depuis que l'ē nemy entra en Portugal auec maint armee, & print Lisbonne, estant en la ville de Badajòs, plusieurs seigneurs Castillans s'offrirent à luy donner entree en ladicte ville, & luy promirent toute aide pour se saisir de l'ennemy mesme. Ce que ledit seigneur ne peut effectuer, pour auoir este en peu de jours depossede de tout le Royaume en la Cite de Puerto de Portugal. Aussi pourroit il acertener, qu'el stant en ce quartier la, plusieurs Seigneurs de Castille luy enuoyerent offrir leur service & assistence, en cas qu'il voulust mettre le pied en Portugal. ce qu'il communiqua (si ie ne me trompe) au Roy & principaux seigneurs de France, & mesme a la Royne & quelques seigneurs d'Angleterre. Toutesfois touchant le desir de la liberté, c'est chose qui touche principalement les Princes & seigneurs & Hijos d'Algo d'Espagne. car quand à ces messieurs de robe lōgue & a la canaille Castil lane, il se resiouissent de ceste captiuité & seruitude, [Page 11]par-ce qu'eux seuls commandent & triomphent ayans les principaux manimens du royaume, voire mesme le gouuernement du Roy entre leurs mains. Et combien qu'ls le haissent extremement, & veullent beaucoup de mal à sa personne, il sont toutesfois tant amis de leur nation, & si aises de le voir commander sur tous les autres, que s'ils sçauoient quelque chose, soit en public soit en particulier, qui peust porter dommage à sa tyrannie, ils ne lairroient pas pourtant de l'en aduertir. Tel est le naturel des Castillans,Ioseph de bello Iud. li. 1. ca. 3. lesquels estans issus & souillez de la race des Iuifs, ne peuuent qu'ils ne suyuent les traces de leurs predecesseurs. Auiourd'huy suiurōt & loueront Antigonus, demain accuseront sa bonte comme crime de leze Maiesté, & la jugeront orgueil & vanité & comme traistres l'abandonneront, & l'accusans deuant Aristobulus, seront cause de sa mort. Et pourtant, SIRE, je supplie vostre Majesté, & tout les Princes Chrestiens,Sire, bon & sain conse [...]l. de se garder & deffier des Castillans, encores qu'ils se mō strent ennemis mortels de leurs Roys, & de tout leur coeur affectionnez à vostre seruice.
Ce vulgaire Castillan, SIRE, est si malin & si peruers, tant plein d'arrogance, d'ambition, de tyrannie & d'infidelite, que Fernand Roy de Portugal estant heritier des Royaumes de Castille & de Leon, appellé par eux,Malice de la nation Castillane. qui offroient de le receuoir pour leur Roy & Seigneur, les Portugais n'y voulurent consentir disans qu'ils ne vouloyent point mesler auecques eux, non-pas mesme pour les commander. Et comme vn iour ie deuisois [Page]auec vn Seigneur de vostre conseil touchant cet affaire, il me respondit auec beaucoup d'estonnement: Certes ie ne me'sbahis plus de ce que i'ay ouy conter d'vn Predicateur, lequel l'an 1596. preschant cet Euan. Diliges Dominum, Matt. 22 &c. Et proximum sicut to ipsum: dit que par ce precepte Dieu nous commandoit non seulement d'aimer, nos pere & mere, nos fils, freres, parens, amis & compatriotes,Exemple fort remar qué. mais aussi les heritiques, estrāgers, Iuifs Payens, Mores, Tures, voire mesme les Castillans. Cela est aduenu, comme luy fut dict, & ce Predicateur estoit religieux de l'ordre S. Dominique, & preschoit en vne parroisse de Lisbonne qui s'appelle la Magdelene, des principalles de la ville, où sont la plus part de ceux qui la gouuernent, plusieurs Presidens de Parlemēt, Conseillers, Gentilshommes, & tres-riches marchans. Ledit seigneur s'esbahissant derechef me demanda comment on endura que cela se dist en chaire sans chastier ce religieux. à quoy ie luy fis responce qu'aus si n'auoit il pas faute d'accusateurs: mais le nombre de ceux qui le portoyent & fauorisoyent, pour la liberté de ceste parole, estoit si grand'que l'on ne donna point d'audience à ceux qui l'accusoyent. Aussi les Portugais disent ordinarement que les Castillans sont pires que les infideles mesmes: mais quelque mal qu'ils en puissent dire, encores se mescontent ils, pour ce qu'il y en à beaucoup d'auantage. Ce que ledit seigneur montrant de reuoquer aucunement en doute, me replica; Encores que ie croie vne partie de ce que vons me dites, si est-ce qu'il me reste [Page 12]vn scrupule de ce q̄ 'ay leu, que les Portugais & les Castillans sont d'vne mesme prouince, & nez presque d'vn mesme tronc, & issues d'vne mesme souche, & qui parlent tous vn mesme langage. Telle est l'opinion Conestagio, dont nous auons desia parlé.Conn. lib 1. fol. 4 pag. 2. Mais il ne sçait ce qu'il dit. car les Portugais descendent des Gaulois, Celtes & Braccates, & leur langue est presque Latine. Et quand aux Castillans, nous ne sçaurions dire certainement d'ou ils descendent. Toutesfois ce que par circonstances & preuues euidentes, nous en iugeons & voyons, est que ils descendent des Vandales, des Iuifs & des Mores, & leur langue est quasi Moresque, & la prononcent tout de mesme que les Mores. De là vient que se trouuans es pays des Sarazins, ou des Turcs, ils renient si facilement la foy. Chrestienne, & se font du tout Infideles. Il est vray que les Princes & seigneurs & Hijos D'-algo sont extraits des Gots ou des anciens Espagnols, qui habitoyent les montaignes & le pays de Leon & d'Ouiedo, & la province de Galice, en la quelle est enclos l'an cien Portugal.Conn. au mesme lieu. Connestagio dit en ce mesme lieu que ces deux nations s'entrehaissent fort l'vne l'autre, & met vne chose tres-fause; à sçauoir que la haine est beaucoup plus grande es portugais que non-pas es Castillans. Ce qui est du tout faux.Fausseté de Connestag. Les Portugais ne haissent pas les Castillans, mais bien leurs actions, comme meschantes & tyranniques: Les Castillans au contraire, pour ce qu'ils ne peuuēt auec raison hair les actions des Portugais, d'autant qu'elles sont bonne & justes, haissēt [Page]les personnes qui les ont tant de fois vaincus & mal traittez; & ce d'autant plus qu'ils sont en nombre infini, par maniere de dire, & les Portugais en si petit nombre. La haine est si certaine es Castillans contre le-Portugais, qu'il se dit en prouerbe, que depuis la bataille, d'Aljibarto les Castillans n'ont voulu souffrir que l'on preschast plus le Vendredy de la premiere sepmaine de Caresme, auquel iour l'Eglise chante cet Euangile où il est dict;Matth. 5. Diligite inimicos vestros. & pour ce ils iugent les Portugais semblables, & les estiment de mesme naturel qu'eux. L'vn & l'autre se preuue par ce que dit vn iour Charles V.au Colonel Ferràs Portugais, qui és guerres d'entre ledit Empereur & François I. Roy de France, print le party des François contre les Imperialistes. Les guerres finies, & la paix faicte entre ces Princes, le Portugais se retirant en Portugal passa par Castille, où il fut voir ledit Charles V.qui le cognoissoit, & l'aimoit pour sa valeur, & luy faisant beaucoup d'honneur le retint quelques iours en sa Cour, où deuisant vn iour familierement auec luy, vint à luy dire: Capitaine Ferràs. Ie voudrois bien sçauoir pourguoy vous auez prins le party du François contre moy, veu que nous sommes d'vne mesme nation. Car bien que vous soyez Portugais, & moy Castillan, si sommes nous tous deux Espagnols. LeColonel respō dit: SIRE, quand les Portugais sortent de leur pays, soyent riches ou pouures, leur but n'est autre que d'acquerir de l'honneur. I'avois moyen de viure en gentilhomme honnestement en mon pays: toutesfois resolu de [Page 13]sortir dehors, ie fis premierement conte en moy-mesme. Mon conte faict, ie conçeuz àpart moy, que ie pouuois acquerir plus d'hō neur prenant les armes contre le plus grand Capitaine du monde, que les prenant pour luy pour combatre contre quelque autre. Et pourtant ie le prins contre V.M. L'empereur se sousriant dit: Ie croy que ce n'est pas là la cause; mais plutost la vieille haine que les Portugais portent aux Castillans. Le Portugais en grande cholere respondit: SIRE,Belle respōse d'vn Porugais. ie iure à V. M. que iamais ni en mal ni en bien les Castillans ne me veinrent en memoire. L'Empereur faisant semblant que ceste responce le cōtentoit, l'embrassa plusieurs fois Mais il iugeoit des Portugais selon ce qu'il auoit au coeur. Car il auoit assez de sang Castillan du costé de sa mere pour les hair. Modicum fermenti, &c. Ainsi se void, la faulseté de Connestagio. Son histoire est bien escrite & en bon stile, mais faulse. & passionnée; par ce qu'il blasme & iniurie tous ceux desquels il parle, voite le Roy Philippe mesme, en faueur duquel il l'a escrite. Et pour ceste cause principalement elle fut defendue en Portugal. Or laissant Connestagio, & ayāt montré combien ceste nation Castillane est plus maligne & peruerse que toutes les autres d'Espagne; ie diray vne chose notable en passant, & qui touche plus à celle de. Portugal: C'est que ces nations desirent tant la liberté, qu'ils font tout ce qui leur est possible pour l'auoir, estans prests de receuoir les Diables mesmes, s'ils les veulent fauoriser en cela. Mais si quelque nation estrangère [Page]passe en Espagne à autre fin, ils feront tout ce qu'ils pourront pour leur fermer ce passage, & leur empescher l'entree; faisans fort peu de compte de leur vie, & encores moins de leurs biens (parlant de faire passer des nations estranges en Espagne, ie vous aduise qu'elles seront bien mieux receüs des peuples du pays quand elles seront meslees plusieurs ensemble, que s'il n'y en alloit qu'vne seule; parce que la diuersite leur ostera tous so upçons qu'ils pourroyent auoir qu'on iroit pour conquerir leur pays, & non pour les deliurer. Tellement qu'ils les receuront ioyeu sement & en toute asseurance.) De mesme si le tyran leur commande d'allcr faire la guerre hors de leur pays, s'offrant principalement le respect de la Religion, ils luy seront plus fideles que Auila & Simancas en Castille, & que Celorico & le chasteau de Coimbre en Portugal. Pour preuue de cecy,Loyauté des Portugais. souuenez vous qu'en l'an 1588. le Roy de Castille enuoya en l'armée nauale qui vint en la coste de France, deux regimens de Portugais, chacun de 800. hommes, ou enuiron. Ceux-cy bien que ennemis à cause de l'vsurpation qu'il a faict de leur pays; pour luy auoir promis fidelité en ce voyage, combatans contre les Anglois & Flamands, firent telle preuue de leur valeur, qu'ils s'auantagerent en faicts d'armes & proüesses par dessus tous ceux de l'armee: & eux seuls firent plus pour le seruice du Roy de Castille, que tous les autres alliez. Tellement que nul de ceux qui auoient commandemēt en l'armee, ne fut receu auec honneur par le [Page 14]Roy Catholique,Colonnels Portugais de l'arme [...] de l'an 1588. sinon les Colonnels Portugais: asçauoir Gaspar de Sousa & Antonio Perera. Lequel Perera mesmes auoit combatu vaillammēt pour defendre la liberte de son pays, & pour le seruice de son vray & naturel Roy alencontre dudict Seigneur Roy de Castille, lors qu'il entra en Portugal auec main armee pour l'enuahir.
L'an 1582. quand D. Aluar de Bassan Marquis de S. Croix eust esté rencontré sur mer auec le seigneur de Stroce, ceux qui combatirent le mieux, & se montrerēt les plus vaillans, fut le Marquis de Favare Portugais,Marquis de Fauare tres-fidele à sa patrie & à son Roy, (par le cō seil & aduertissement duquel vn tres-grand & tres-bon seruiteur de l'Estat & du Roy D. Antonio conserua sa vie) & quelques autres gentilshommes de sa nation.
Qui print le nauire qu'on nonmoit la Reuange,Prinse de la Reuange, de la Royne d'Anglet. de la Roine d'Angleterre? D. Louys Coutigno seigneur Portugais, lequel auparauāt auoit este fort fidele à sa patrie: & pour la defense de son Roy combatant contre le Duc d'Albe receut plusieurs coups mortels en la bataille d'Alcantara, le mesme iour que Li [...]bonne fut perdue, qui fut l'année 1580. le vingtsixiesme d'Aoust.
Et pour vous monstrer plus distinctement & clairement la verité, ie vous reciteray vne histoire vraye. L'an 1589. D. Antoine Roy de Portugal accompagnè d'Anglois & Hollandois s'en alla en Portugal, & mouillant l'anchre au haure de Piniche, ceux du Chasteau commencerent à tirer sur son armee: mais le capitaine du chasteau Antonio de Araujo [Page]Portugais estant acertené que le Roy D. Antonio estoit en ceste armee, defendit aux canonniers de plus tirer, & fit mettre l'enseigne blanche, à la veue de laquelle D. Antonio commanda que chacun descendist en terre, & que tous s'acheminassent vers la ville. Ce qu'ils ne firent pas sans contraste & resistence de quelques compagnies Castillanes, qui se retirerent en fin auec perte de quelques vns des leurs. Des premiers qui arriuerent en la ville, fut le Comte d'Essex, Prince du sang Royal d'Angleterre, & orne de plusieurs vertus morales. Et parlant ledit Seigneur au capitaine du chasteau, qui estoit sur la muraille, vn de sa compagnie dit: Le Seigneur Cōte d'Essex vient icy par le commandement de la Roine d'Angleterre, au nom de laquelle il demande que luy rendiez le chasteau, Le capitaine luy respondit: Philippe Roy de Castille m'a baille ce chasteau en garde, duquel ie luy ay faict hommage: & partant ie le deffendray cōtre tous ceux qui me le voudront oster, & ne le rendray à personne qu'au Roy D. Antonio, parce qu'il est à luy, & le recognois pour mon Roy & Seigneur: & s'il n'est en ceste armee, comme l'on m'a dict, chacun se retire autremēt ie vous feray perdre à tous la vie. A ceste parole le Comte d'Essex se retira au bord de la mer vers lequel vinrent les seigneurs Scipion de Figueyredo de Vasconcelles, n'agueres gouuerneur de la Terciere, & Antoine de Brito Pimentel, & autres gentilshommes Portugais de la suite du Roy: Iesquels entendans cecy dudit Comte s'en allerent droir au chasteau, & asseurerent le [Page 15]capitaine que le Roy D. Antonio leur Seigneur venoit. Le Roy dans peu de temps arriuant là, & appellant le capitaine, qui le recognut à la parole; il luy respondit: Sire ie m'en vay ouurir la porte à vostre maiesté.Reddition du chasteau de Peniche. La porte ouuerte, il se mit à genoux, & baisant les mains du Roy, luy liura les clefs du chasteau. C'est chose veritable que s'il eust voulu tenir bon l'armee Angloise n'estoit pas bastante de prendre le chasteau, estant bien muny d'attilleries & toutes choses necessaires. Car outre beaucoup de pieces de fer, il y en auoit 85. de bronze.
Tous ces exemples montrent combien les Portugais sont fideles à ceux, ausquels ils promettent loyauté & donnent leur parole. Et parce que ie sçay que V.M. a conceu opinion de moy comme dc personne curieuse, qui sçay ce qui se passa en ce voyage, & qu'elle desire entendre qui fut cause que D. Antonio ne demeura en Portugal, & que rendant ce chasteau & autres places imprenables il s'é retourna en Angleterre auec son armee sans autre effect qui vaille, perdant la plus grand part de ceux qui s'estoient embarquez auec luy: Ie veux raconter, SIRE, en bref le succez, l'aissant plusieurs particularitez; parce que pour les conter toutes, il faudroit employer beaucoup plus de temps qu'il n'est de besoing pour acheuer ce traicté. Ce que i'ay doncques à dire, c'est que comme Dieu chastie & abaisse les grāds Estats & monarchies, permettāt à cause des pechez du peuple, qu'il y ait des Pharaons, Nabuchodonosors, Caligules, Nerons, Diocletians, qui luy seruēt de [Page]bourreaux (Atila s'appelloit le fleau de Dieu, & Tamerlan l'ire de Dieu) il semble aussi qu'il ait permis que le Roy Phillippe soit le ministre & l'executeur de son courroux, & que par quelque sien secret iugement hors de toute apparence humaine il n'ait encores voulu pour ceste fois permettre la deliurance de Portugal. Car il n'estoit pas possible que les hommes fussent si aueugles à leur perte & ruine, comme ils ont este en ce voyage, si la puissance diuine ne les eust aueuglez, leur ostant l'vsage de leur bon entendement. La plus part de l'armee s'embarqua à Douure le 24. de Mars,Narratiō du voyage de Portugal l'ā 1589. & s'en allerent à Plymmouth: d'où ils partirent ensemble le 29. d'Auril, voyās la leur nombre fort diminuer par la contagion qui s'y mit: & au lieu de prendre la route de Portugal, s'en allerent à la Crougne, où la plus part des soldats moururent, & tous les meilleurs canoniers. Tellement qu'ils diminuerent beaucoup leurs forces, & donnerēt en ce faisant loisir à l'ennemy d'enuoyer gens à Lisbone, & de tirer de Portugal ceux qui luy pouuoient donner soupçon: comme il en tira plus de cent que seigneurs que gentilshommes, lesquels estoient fort contraires à son party,Seigneurs tires de Portugal par le Castillan. qui par leur absence firent grād'faute à leur Roy & à leur patrie. Ils vindrent donc à la Crougne le 6. de May, où ils furent iusqu'au 20. auquel iour ils se rembarquerent & firent voile vers le Portugal, où ils prindrent terre à Peniche le 26. de là laissās au chasteau quelques soldats auec Antonio de Brito Pimentel susnommé (qui est le chef de la maison de nos Pimētels [Page 16]d'Espagne) & enuirō 800. malades, s'en allerent, le general Drac par mer, & par terre, le seigneur general Norys auec 35. ou 40. chenaux, & quelques 6000. hommes de pied, si mal armez qu'vne bōne partie d'eux n'auoient point d'espees, & n'y auoit pas 50. corcelets, par faulte de chariots pour les apporter par terre, & portoient mesme leurs poudres sur leurs espaules: & beaucoup au sortir du logis laissoiēt à la desrobee les picques, & aucuns les arquebuses pour se charger de pots & bouteilles de vin qu'ils trouuoient en tresgrande quantité. Ce qui veritablement les endommagea le plus.Le vin g [...] sta tout. Car pour ceste occasiō ils cheurent en diuerses maladies, & moururent en tres-grād nombre; n'estant pas la natiō Angloise accoustumée à boire continuellemēt du vin, & leur biere n'est pas boisson si forte. Le iour suyuāt, trois lieües deuāt qu'arriuer à vne ville nōmce Torresvedras, furent en chemin portees les clefs du chasteau Roy D. Antonio; lequel chasteau est si fort, que vingt hōmes auec les munitions necessaires, le garderont & defendrōt contre cent mille. Tout le long du chemin iusques à Lisbone, qui est biē de 60. milles, n'y eut pas vn Castillā qui osast paroistre, & sept cheuaux Anglois firent enfuir 60. Castillans.Grand quantité de Portugais vinrent baiser les mains à leur Roy. Alors plusieurs Portugais vindrēt baiser lesmains de leur Roy en grād 'affluence, toutesfois parce qu'ils venoyēt sans armes, ayās esté desarmez, & n'en pouuans trouuer ny à donner ny à achepter, encore que pour cet effect ils eussent expressement porté de l'argent, ils s'en retournerent quasi tout en leurs maisons, & ne [Page]peut-on armer plus de 1000. hommes de pied & 120. cheuaux auec lances & targues, bien qu'ils fussent venus en nombre infini; entre lesquels il y auoit plusieurs gentilshommes, qui pour n'estre pas vestus de velours, ou de satin, mais à la mode du pays, n'estoyent pas recognus pour tels par les estrangers. Le Vendredy 2.Armee arriuee à Lisbonne. Iuin vinrent de nuict à Lisbonne, & logerent au fauxbourg saincte Catherine, qui est si grand qu'il y auoit enuiron 12000. personnes de l'armee logez au large, & si n'en tenoyent pas la tierce partie.Grand fauxbourg. Les officiers du Roy D. Antoino trouuerent qu'il y auoit en ce fauxbourg des marchandises valans plus de quatre millions; à sçauoir espiceries, drogues,4. milliōs en marchādises trouuees ence faux bourg. succre, vin, chairs, froment, biscuit & autres denrees, comme le seigneur Roger Vuilliam Colonnel Anglois qui auoit este en ceste armee, tesmoigna depuis en la ville de Manthe presens plusieurs personnes de qualité, disant qu'il estoit entré en la pluspart des maisons dudict fauxbourg auec vn marchād Anglois qui estoit sorty de la ville, & qu'il auoit trouué pour plus de six millions de mar chandise.6. milliōs. Le fauxbourg est à l'Occident de Lisbonne, où ils se logerent contre la resolution qu'ils auoyent prinse en vn conseil tenu le iour precedent à deux lieüe de la cité,Armee logee ducostē de l'Occidēt contre la de termination tenue au conseil, qui estoit de loger du costé de l'Orient, pour déux raisons. L'une, pour empescher qu'il ne vinst secours à l'ennemy par terre, par ce que l'armee nauale estoit à l'Occident, & la mer au Midy, & au Septentrion les montaignes de Sintre, & ne peussent auoir aucune intelligē ce. L'autre, parce qu'estans en ce quartier là [Page 17]ils rendoyent le chemin libre aux bons Portugais qui venoyent trouuer leur Roy. Ce qu'ils prindrent logis du costé d'Occident, fut cause que l'ennemy peut auec seureté faire sortir de la ville deux cens cheuaux, lesquels tuerent & prindrēt prisōniers plusieurs Portugais, & grade quantite de viures, qu'enuoioyent les villes qui auoyent prins le parti du Roy: & aussi empescherent que plusieurs autres ne se vinsent ioindre à luy.Sortie des Castillans Le Samedy suyuant 3. Iuin, entre deux ou trois heures apres midy. sortirent de la cité enuiron deux cens cheuaux, & 800. hommes de pied, quelques vns desquels entrās dās les rues du fauxbourg, & crians à haute voix Viue le Roy D. Antonio, vinrent iusques à vn corps de garde, & en tuerenr iusques au nombre de treze ou quatorze, par ce qu'ils estoyent logez en la rue sans se barricader.Negligen ce grande des officiers de larmee. Toutesfois les Portugais du Roy descouurans que c'estoyent Castillans, & non Portugais, donnerent l'alarme si chaudement, que sortant vn regiment Anglois auec quelques Portugais, chargerent l'ennemy en telle furie, qu'ils le firent fuir, & en tuerent sur la place six vingts, auec quarā te ou cinquante cheuanx prins. Et fut la fuite des Castillans si precipitee,Ronte. des Castillans que rentrans en la cité ils laisserent la porte de S. Antan ouuerte En ceste rencontre mourut vn Cheualier Anglois Colonel d'vn regiment, nommé le sieur Bret, homme tres braue & de tres-grande ex perience en l'art militaire. Or d'autant que le general Drac n'entra pas dans le port de la cité iusques au Dimanche suyuant, comme il auoit esté resolu, & aussi parce que la plus [Page]part des soldats n'auoyent ny corde ny pouldre pour tirer plus deux ou trois coups les Seigneur general Norys fut contraint de leuer le siege, & se retirer le Lundy matin sans autre effect contre ladicte cité;Siege leué de Lisbone Esperāce des Portugais. dans laquelle les Portugais n'attendoyent que de voir mettre les eschelles aux murailles, pour courir sus aux Castillans. Et pour ceste cause le mesme iour que le camp se leua fut pris D. Rodrigo Lobo, issu d'vne tres-illustre maison,D. Rodrigo Lobo executé: frere du Baron d'Alvito, qui est seul Baron en Portugal, & grand Seigneur, & eut la teste tranchée le mesme iour de Lundy 5. Iuin l'armée veint à Cascays d'où ceux de l'armée faisoyent quelques saillies contre les ennemis, qui estoyent tellement espouuentez, que cincquante mousquetaires Anglois, & sept cheuaux portugais firent deslogér d'vn village à vne lietie & demie de la dite ville de Cascays deux cent cheuaux Castillan,Chose veritable. qui s'enfuyrent à Lisbonne en si grand'haste, qu'ils laisserent partie de leurs armes & bagage, & le disner tout dressé.Chasteau de cascays rendu au Roy. Apres auoir rendu le chasteau de Cascays le Roy & les Generaux en conseil tenu à Midy le douze du mesme mois, present le seigneur Comte d'Essex, auec plusieurs autres seigneurs. & tous ceux qui auoyent commandement en l'armee resolurent de retourner à ladicte cité de Lisbonne le iour suyuant,Conseil de retourner à Lisbone. qui estoit le S. Antoine portugais de nation, surnommé de Padoue; en ceste façon: Le Seigneur Norys auec tous les soldats sains & dispos deuoit aller par terre, en la cōpaignie [Page 18]duquel seroit le Roy: & le general Drac par mer auec ses mariniers & les soldats blessez ou malades, & auec les gentils-hommes, qui n'auoyent pas moyen de marcher par terre: & pour mettre l'ennemy en confusion, faire passer de l'autre costé de la mer 300. Portugais & 100. Anglois. Que s'ils l'eussent ainsi execute, sans doute ils eussent aussi gagné la cité, bien qu'il eust dedās plus de quatre mille Castillans, qui auoyent prins l'espouuante des Anglois & des Portugais qui estoyent auec le Roy, & aussi de ceux de la CitéVictoire. la Crougne. scachans qu'en la Crougne huit cens Anglois auec deux cens Hollandois & quelques Portugais auoyent deffait dix mille de leurs gens, en la compagnie desquels il y auoit quelques mille vieux soldats, qui estoyent là demeurez de l'armee nauale de l'anne precedente; le Comte d'Andrada, le Comte d'Altamira, & le Doyen de S. Iaques de Compostella, & plusieurs autres Gentilshommes. Tellement que ceux de la cité auoyent resolu que si tost qu'ils verroyent l'armee de mer Angloise passer la tour de Bethlehem, ou celle de terre assaillir ladite cité, le Cardinal d'Austriche s'embarqueroit auec tous ses gents pour passer delà la mer. Et pour cet effect teno yēt les galeres toutes prestes, & plusieurs barques frettées, entre lesquelles y en auoit beau coup de loues à 300. ducats pour le passage de trois lieues seulemēt. Ce cōseil acheué Drac s'enva au nauire nōmé Reuāge, & faisāt voile à 3. heures apres midy, cingla deuers Lisbone. Que [...]ques vns pensoient qu'il allast voir [Page]la carrere de Alcaceua, qui est vne entree du port, par où passent ceux qui veulent euiter le danger de la tour de S. Gian:Tour de S. Gian. parce qu'en ce conseil, où furent appellez plusieurs vieux Portugais pilotes, bien versez en cest mer là, fut resolu que l'armee nauale entreroit par ce chemin, pour estre seur, ioinct que en ce iour là il y auoit assez d'eau pour voguer, à cause de la conionction de la Lune, & que le vent estoit fort fauorable.Drac s'ē va à la mer' contre la resolution prinse au conseil. Drac, toutes-fois sur le tard, tourna la teste du nauire sur l'Occident, aduerty que par là passoit vne flotte d'enuiron 30. nauires d'Ostrelins, desquels il en print 25. ou 26. Mais cela empescha que la resolution prinse ne sortist son effect; & contraignit le seigneur Norys, le Roy, & le seigneur Comte d'Essex, de s'embarquer le iour suyuant, & prendre la mer, où ils rencontrerent Drac le Vendredy suyuant. Il me semble que ce peu, sans specifier d'autres par ticularitez, suffit pour contenter le desir de vostre Majesté,Embarquement de l'armee. & pour mōstrer la cause pourquoy rien ne se fit en Portugal, & que Dieu ne le voulut encore restablir pour ce voyage là. Ie dis plus, que la principale cause pour laquelle tant de fautes se firent,Raison pour laquelle en ceste armee ont esté commises tant de fautes. & que rien de ce qui auoit esté resolu au conseil ne s'executa, fut par ce que ceste armee auoit esté leuee par marchants: & en ces choses là les Princes se doiuent employer de propos deliberé. Tellement que l'armee se doit nommer d'eux, & eux y doiuent auoir plus d'interest quemul autre. car elle doit entierement despendre d'eux, & doiuent les chefs estre choisis par eux mesmes, & en eslire vu souuerain [Page 19]auquel obeissent tous les autres. Voila pourquoy le seigneur Drac estant nommé & enuoyé par les marchands, qui s'estoyent les plus engagez en ceste armée, faisoit plutost ce qu'ils vouloyent, & ce qui luy venoit en fantasie, que non pas ce que le seigneur Norys, fort experimenté, sage & bien entendu, tant au gouuernement politique, qu'en tous exploits de guerre, luy conseilloit fort bien. Ce bon seigneur s'efforça & trauailla assez pour demeurer en Portugal, tant en ce quartier de Lisbone, qu'ailleurs. Depuis l'armee estant à la voile, ledit seigneur Norys ne peut iamais par aucunes prieres persuader Drac de mettre pied à terre en Portugal, & prēdre vne Cité où l'on sçauoir bien qu'il n'y auoit aucune force ny resistence; ny mesme aucun moyen d'estre secourue par l'énemy, ny apres la prise de la pouuoir assieger de toute l'annee: dans laquelle on tient pour certain qu'ō eust trouué en or & argēt, soyes & draps plus d'vn million de ducats. Ceste place se pouuoit aisement fortifier, & par ce moyen maistriser plusieurs autres: puis enuoyant des deniers en France. Angleterre, Hollande, & autre part, leuer & emmener plustost cinquante mille soldats, que l'ennemy cinq. Ie croy que cecy suffit à V.M. pour entēdre ce qu'elle desiroit.
Retournons maintenant à nostre propos. Nous auons dict que par cet exemple se voyoit combien fidele & loyale estoit ceste nation Portugaise à ceux à qui elle promettoit foy & loyauté. Partant Dieu vueille qu'elle ne s'accorde & qu'elle ne s'vaisse à la Castillane, [Page]& que V.M. ny les autres Princes & seigneurs ne le consentent ny permettent, & ne leur donne occasion de perdre les esperances de leur liberté: & ne se faut attēdre à la mort de Philippe. Car peut-estre que les Portugais s'accorderont plus aisement auec le fils qu'auec le pere. Et aussi comme sa monarchie ne se gouuerne ny cōserue auec l'espee, mais bien par conseil; combien qu'il vienne à mourir, le mesme conseil demeure tousiours. Et dés plusieurs annees en ça il se gouuerne sans sa presence. Et pourtant on ne doit esperer en sa mort beaucoup de reuolutions.
De quelle importance seroit cest affaire D. Francisco de Ivara, pere de D. Diego de Ivara, nagueres ambassa deur à Paris durant la Ligue, le confessa à vn gentilhomme François dans Madrid, I'an 1579. Le gentilhomme est plein de vie, & pourra tesmoigner la verité de ce que ie diray maintenant. Ledict Francisco demandant à cegentilhomme, qui venoit de Barbarie pour certain affaire pour lequel le feu Roy l'auoit enuoyé là, quelles nouuelles il rapportoit dudit pays; il luy respondit que les Maures auoient belle peur, parce qu'il auoient entendu que le Roy Catholique leuoit vne grāde armée pour passer delà, & venger la mort de son nepueu le Roy D. Sebastien.Comme le Roy Tres-chrestien & tous les Prin. Auquel ledict D. Francisco dict, Il n'est pas mautrais que les Mores ayēt peur: mais il seroit bon que le Roy vostre maistre entendist à quelle fin se fait ceste armee. Car elle est pour Portugal. Et si le Roy Catholique monseigneur se faict maistre de [Page 20]ce Royaume là, comme il s'en attend,& Poten. de l'Europe ont tres grand interest à empescher que les Portugais ne s'accor dent auec le Castillans ny qu'ils don nent occasion de per dre les esperances de leur liberté. parce qu'il le tient comme desia bien practiqué, il fera que non seulement le Roy tres-chrestien luy soit inferieur & tributaire, mais aussi tous les autres Princes de l'Europe luy soyent subiets; & que le Pape auec toute la Cour de Rome ne face autre chose que ce qu'il voudra. Pource que adioustant à son empire la monarchie de Portugal, qui luy pourra resister? Pour ceste raison le Roy tres-Chrestien & les autres Princes Chrestiens se doiuēt ioindre à la cause, d'autant que autrement le Roy mōseigneur se rēdra seigneur de tout le mō de, & monarche vniuersel, & eux demeurerōt ses subiets, & nous des esclaues perpetuels.
De ce que dessus se prouue ce que nous auons dict: & pour retourner à ce que nous auons entre mains; Ie dis en cinquiéme & dernier lieu, que quand il se feroit vne grande & puissante armee à grands frais pour passer en Espagne, & qui ne fist que gaster le pays, & en leuer quelques citez & villes: & qui pour ce respect le Castillan rappellast les forces qu'il tient en ces pays-cy pour se defendre; & qu'acause de la venue desdites forces les nostres se retirassent: tousiours tiendrois-ie cela pour tres-grand proufit. Parce qu'auiourd'huy ce qui ne se peut faire auec cent alors se pourra effectuer auec dix, & peut estre moins, & moindres frais.
Quelqu'vn de subiets de vostre Maiesté me dira qu'il est auiourd'huy fort difficile de faire cela: pour ce qu'ayans icy l'ennemy sur nos bras, il n'est pas raisonnable de transporter nos forces autre part. C'est vn iuste doute [Page]& qui feroit peine à gens de peu d'entendement & qui n'ont point de discours: mais pour ceux qui conoissent le fond & la racine des choses, il n'a nulle apparence. C'est pourquoy afin que la verité se conoisse mieux, ie desire que nous arraisonnions l'vn l'autre par demandes & responses, comme il se fait aux escholes. Le subiet. Tout ainsi qu'il vous plaira. Car ie vons orray de bonne volonte. Le Felerin. Dites, qui est-ce qui vous endommage? Le subiet. L'ennemy auec ses forces & ses intelligences. Le pelerin. Et si vous trouuez moyen de le desnicher d'icy, qui est ce qui vous nuira puis apres? Le subiet. Personne. Le pelerin. Faites donc ce que ie vous dis, & sans doubte il s'en ira. Le subiet. Il ne se peut. Le Pelerin. Pourquoy?Deductiō des raisos entre l'Autheur & vn François sur le subiet de faire vne armee pour passer en Espagne. Le subiet. Pourquoy? cōment voulez vous que nous allions en pays estrāge pour faire la guerre, & laisser le nostre en la puissance des ennemis? Si nous enuoyons nos forces en Espagne, comme nous voulez persuader, nous nous perdrons du tout, cō me ie vous ay desia donne à entendre. Le Pelerin. Mon Dieu, gens sans discouis! Prenez ce que ie vous dis comme ie le vous dis, & non comme le voulez conceuoir, & me respondez à vne question categoriquement. S'il se faisoit auiourd'huy vne armee pour passer en Espagne, à la quelle la France donnast 4. ou 5. mille hommes, l'Angleterre 3. ou 4. mille, les Estats de Hollande, Zelande, Frise, & to us les autres alliez, 2. ou 3. mille, & des nauires, dont ils ont grād nombre, & quelques autres Princes, Potentats & Republiques, quelques deniers pour aider à ceste entreprinse & adiouster [Page 21]3. ou 4. mille Suisses ou Lansquenets; la France, dites moy, demeureroit elle despourueue, ou l'Angleterre seroit elle depeuplée, ou les Estats seroiēt ils desgarnis d'hommes & de vaisseaux, & sans moyen de tenir la mer? ou les Princes resteroiēt ils miserables, & les Republiques sans faire leurs traites ordinaires? Le subiet. Nenny dea. Le pelerin. Et que ne faites vous dōc ce qui vous importe tant, & dōt despend tout le remede de vostre mal, où vous auez plus d'interest, q̄ tous les autres? Le subiet. Pource que pour faire ces 4. ou 5. mille hōmes que vous dites, il fault de l'argēt que le Roy a autāt de peine à trouuer, cōme ceux qui l'ont entre leurs mains se fascheront de bailler. Le pelerin. O gens aueugles! natiō sans cōseil & sans prudence! A la mienne volonté qu'ils fussent sages, & qu'ils entendissent, & dōnassent ordre aux choses à venir! Vne ville q̄ l'ennemy nous pourra prendre demain, ne nous importe elle pas plus q̄ trois cents mille escus qu'il faudroit tout au plus, pour faire 4 ou 5. mille hōmes? Si depuis la prinse de Laō, & la reduction de tant de villes on eust employe 200. mil escus que l'on vous a demandez pour telle entreprinse, vous auriez peutestre maintenāt plus de trois millions en vostre bourse, & n'eussiez perdu toutes ces importantes villos, Cābray, Dourlā, Calais, Ardres, Amiens, & plusieurs autres places auec vostre grand Admiral, & tant de braues gentilshommes & capitaines, qui sont morts, parleroient maintenant François. D'auantage ne vous excusez point en vous deschargeant & disant que l'on ne peut pas deuiner [Page]ce qui doit aduenir. car vous en auez este trop auertis; & vous l'a on faict voir à l'oeil. Et y a encores vn Seigneur du Conseil, qui à Fontaine belleau en May 1595. fit tout ce qu'il peut pour persuader ceste entreprinse, alleguant tant de raisons & si euidentes qui montrent combien importe à la France de faire vn voyage en Portugal: mais vous ne le voulustes pas entendre, non pas mesme seulement luy prester l'oreille. Perditio tua ex te Israël. N'est-ce pas la verite? respondez. Le sub. Ie le cōfesse. il n'y a rien plus vray. & à Cambray, Calaiz, & Amiens nous auons tant perdu, que c'est vne pure moquerie de parler de trois millions, parce que les meubles de Calais seulement valoyent plus d'vn million, & ceux d'Amiens encore plus; & si l'ennemy tient ces deux places qu [...]lque temps, le [...]eu nous en coustera bien-tost plus de treze. Le Pel. Or si vous confessez cecy, & sçauez aussi la chose en effect, comme vousdictes, que ne faites vous ce qui vous importe tant & vous est si necessaire? Le sub. Ie le vous diray, puis que me pressez tant, sans vous cachet nos conceptions. Par ce que nous ne voulōs hazarder le reste de nos Estats sur le dire & sur l'opinion d'vne nation passionnee; ains les voulons defendre du mieux qu'il nous sera possible, plustost que de les perdre du tout. D'ailleurs, que seruiroyent 12. ou 15. mille hommes en Espagne, où il y a si grande multitude d'hommes? Nous ne pouuons croire qu'il nous puisse venir vn si grand biē d'vne telle iournee (comme au commencement de vostre traitte vous le nous vouliez persuader) [Page 22]& tout le monde en parle ainsi, affermat que le desir qu'ont ceux qui sont tyran [...]ez, de voir leur pays deliure de tyrannie, fait paroistre & rend toutes choses a [...]sees à faire. Le Pel. Pleust à Dieu qu'il vous voulust ouurir les yeux de l'entendement pour vous cognoistre vous-mesmes, & pour sçauoir discerner le bien d'auec le mal, le doux d'auec l'amer, le blanc d'auec le noir. C'est vne grande fascherie aux Medecins, quand ils voyent que leurs malades sont obstinez; par ce que pour les gairir il n'y a ny raison ny conseil qui leur conuienne. En verite ie vous asseure que ie tiens pour chose impossible, que personne tant sage & lyncee ou clairvoyant soit-il, puisse apperceuoir la milliesme partie de la douleur & fascherie que i'endure pour vous voir (Messieurs les François) si obstinez de ne vouloir gouster ny entendre seulement ce dont depend vostre totale gairison & deliurance; & que vous estes si enclins à suiure vn sentier qui vous precipitera en vne tres-miserable ruine, & dont il n'y aura nulle resourse. Et puisque i'ay si peu gagné de parler à vous en particulier, & que chacun parle de cecy, i'en veux aussi parler à tout le monde.
Premieremēt ie dis qu'on ne sçauroit rien faire de grand sans mettre en danger choses semblables:Pour gagner quel que chose il faut hazarder beaucoup. mesme ne peut on gagner aucune chose sans hazarder beaucoup. Si les marchands ne risquoyent point leurs biēs en les mettāt sur mer, & les abandōnant aux tempestes & pirates, ou ennemis, ils ne tirerovēt pas tels proufits que nous leur voyons faire [Page]tous les iours: & les Roys & Princes n'auroyēt pas besoing de tant d'officiers, de tant de douanes: & les proufits tresgrands que les hommes tirent pour eux aussi bien que pour leur pays, cesseroyent, & ne prodigueroyent leurs biens & vies en courāt tant de dangers pour descouurir les terres si escartees & si esloignees d'eux. Si cela se fait pour gagner 10.15. ou 20. pour cent, combien plus le deuez vous faire pour vous rachepter & deliurer de tant de peine & de tant de dangers qui vous menacent? & si vous faites bien vostre cōpte, vous trouuerez q̄ vous gagnerez plus de cent pour vn. Voila pour le premier. Et quant à ce que vous disiez de gens passionnez, ie ne l'ay pas oublie, & vous y veux respondre, Que ie serois tres-aise que voulussiez entendre que c'est la malice du Diable & de ceux qui le suy uent, de faire croire aux hōmes, que ce qu'ō leur dit, fonde en raison & verite, & ce dequoy l'on les auertit pour leur bien & proufit, & qu'il leur est necessaire d'embrasser & receuoir, procede de passion; afin de les empescher pa [...]ce moyen & destourner de toutes bonnes actions & aussi pour les faire perdre du tout.
Secōdement, qu'il est biē certain que la cō dition de ceux qui se defendent est bien plus miserable q̄ celle de ceux qui assaillent:La condition de celuy qui assaut est bien differente de celuy qui se defend: pour ce que pour se defendre il faut auoir plus de gens & plus de forces, que pour assaillir. La raison est, que ceux qui se defendēt, ne sçauēt pas par quelle part l'ennemy les assaudra; & ceux qui assaillēt, sçauent mieux où l'ennemy tient sa principale force pour se defendre. [Page 23]Exemple. Ie veux que l'ennemy mette dans Amiens 100. cheuaux seulement, & 4. ou 5. mille hommes de pied; pour vous defendre d'eux, il vous faudra mettre bonne & forte garnison dans Abbeville, Eu, Dieppe, Rouē, Gisors, Gournay, Pontoise, Beaumont, Senlis. Compiegne, Han, S. Quentin, Peronne, Corbie, Bologne, Montroeil, S. Esprit de Ru, Beanuais, Clermont, & plusieuts autres places, si ne voulez vous perdre. Assaillez vostre ennemy, & vous aurez l'auantage. Passez en Espagne, & vous ferez la paix à vostre plaisir:Il faut passer en Es. agnc. autremēt elle vous sera tousiours honteuse, & vous repentirez d'en auoir parlé. Si vous vous defendez icy, vous vous ruinez: si vous l'aissaillez là, vous le ruinez. Deuenez sages partant d'exemples qui sont és histoires. Cō siderez biē ie vous prie ce que Scipion,Scipion. l'vn des plus prudens & des plus grands Capitaines du mōde, disoit aux Romains,Romains. qui auoyēt perdu trois grandes batailles contre Annibal: Il y a bien difference (dit-il) entre piller le pays d'autruy,Annibal. & voir brusler & saccager le sien. D'auantage celuy qui assault est biē plus courageux que celuv qui se defend: ioint que l'espouuente & l'estonnemēt est biē plus grand de ce que l'on n'a pas preueu. Or sitost qu'on entre dans le pays de l'ēnemy, on reconoist de fort pres les biēs & les maux d'iceluy, les commoditez ou incommoditez du pays. Souuenez-vous de ce que P. Sulpitius disoit aux Romains, & le prencz pour vous,Liv. dec. 4. lib. 1. comme s'il l'auoit dict à vous mesmes: Qu'ils auoyent assez experimenté par le passe, queleurs guerres estoyent plus heureuses, [Page]ses & leurs armes bien plus puissantes és pays de l'ennemy, qu'au leur propre. Escoutez le conseil qu'Annibal donnoit à Antiochus, & en faites mieux vostre proufit que luy.Idem Dec. 4. lib. 4. Asseurez vous que le pays de. l'ennemy vous donnera sol dats, qui desirent leur liberte, & vous fournira de viures, & de toutes commoditez pour vostre armee. Que les fautes d'autruy vous facent sages. Ne faites pas comme Cyrus, qui se perdit pour auoir mesprise le conseil de Croesus,Herod. & n'auoit tenu comte de Tomyris son ennemie. Prenez garde qu'on ne vous blasme en cet endroit plus que tous les autres,Halyc. lib. 1. & peut-estre plus iustement, à cause que vous mesprisez tousiours trop vostre ennemy. Certes c'est la premiere & principale des causes de la ruine des Estats, que de mespriser ses ennemis. Et ne vous arrestez point à ce que l'on vous pourroit alleguer au contraire. Car il n'est pas icy question d'entrer en vn pays pour le subiuguer & s'en rendre seigneur & maistre: mais seulement pour rendre la liberté à tant de peuples qui criant à l'ay de sous le ioug de ceste tyrannie: & deliurer vos subiets des armes de l'ennemy, qui est en la plus belle prouince de vostre Royaume. Si vous ne faites ce que ie vous dis, ie crains que demain ils nè vous prennent, vne autre ville encores, & l'autre iour vne autre; puis en vn coup tout le reste. Et prenez garde à ce que ie vous dis. Ie ne veux pas que pour assailir vostre ennemy vous laissez à vous defendre, mais que faisans vne chose vous n'obmettiez pas l'autre: par ce que 4. ou 5. mille hommes que pourrez tirer de la Guyenne, Languedoc, [Page 24]Dauphiné, & autres prouinces, ne vous feront pas tant de faute, que n'ayes moyen de vous defendre en Picardie & ailleurs.
Tiercement, que pour oster la Couronne & le Sceptre à vn Roy,3. Deux cho ses ostent le sceptre & couronne. & le priuer de ses Royaumes & seigneuries qu'il possede quand il est tyran, cruel, ou mal viuant & desborde, il ne faut pas beaucoup de force.
Deux mille hommes que Charles 8. Roy de France donna à Henri Comte de Richemont, son cousin remue de germain, parce qu'il estoit petit-fils de Catherine soeur de Charles 7 son ayeul, (laquelle eut pour premier mari Henri V. Roy d'Angleterre) furent bastans audit Comte, passant delà pour assembler gens,Annal. Angl. pour donner battaille à Richard 3. en la quelle Richard fut deffait & tue fort ignominieusement, pour ce qu'il estoit cruel & tyrā.
Pierre Roy de Castille, fils d'Alphonse le Iusticier pour estre tyran,Hispan. hist. & faire plusieurs cruautez, acquit le surnon de Cruel, & pour ceste cause fut tué par son frere Henry Bastard.
La cruauté que Christierne 2. de ce nom,Plurimorum hist. beaufrere de Charles 5. vsa enuers les principaus de Suede, luy fit perdre ledit Royaume & en suite ceux de Denemarc & de Nortvuegue, desquels il estoit Roy & seigneur.
Pour oster le Royaume d'Espagne de la main du Roy Rodrigo,Communis Hisp. hist. Roy desborde & malviuant, suffirent 12. mille Maures que le Comte Iulian, Capitaine de la ville de Septa tira des mains de Vlit Roy de Barbarie: lesquels l'an 713. passerent en Espagne en nauires de marchands, ayans pour chef & Capitaiue [Page]Tarif Aben Zarca, lousche d'vn oeil, qui donna le nom à la ville de Tarifa, auparauant appellée Carteya, & destruisit la ville de Siuille, en print & ruina plusieurs autres, tāt en la prouince de Betique qu'en Lusitanie, & deffit en bataille rangee vn cousin dudit Roy Rodrigo. Lequel Rodrigo depuis assemblant ses gens sur la riuiere de Guadelethe au 7. de Iuliet, ou selon d'autres au septiesme de Septembre l'an 714 liura la bataille aux Maures; en laquelle il fut vaincu, & perdit en suite presque toute l'Espagne. La mauuaise vie de ce Roy fut cause de cette perte & ruine: specialement pour auoir des-honoré la Caua fil le dudit Comte Iulian: qui pour ceste occasion ce sentant griefuement outragé, donna entree aux Maures par ceste ville là, qui est la clef d'Afrique & de l'Europe, leur seruant de guide. Lors les Maures firent fort bien leurs affaires en Espaigne, parce qu'ils ne trouuerent pas les hōmes accoustumez à la guerre comme ils ne sont pas mesme auiour d'huy.
Antioches le grand pour s'addonner à vne vie dissolue & desordonnce, lors qu'il deuoit mettre la Grece en liberté, & faire la guerre aux Romains, pour asseurer son Empire, fut reduit à tels termes, qu'il se vid contraint de receuoir la paix d'eux, a telles conditiōs qu'il leur pleut: & se retirant de l'Europe & de l'Asie, se rangea en vn coin comme leur serf & tributaire.
Childeric pour viure voluptueusement & ne chercher que ses plaisiers,An. Frā. perdit la Couronne de France. Par ces exemples, qui suffisent autant que six mille, se peut voir [Page 25]combien peu de force il faut pour troubler & ruiner l'ēnemy en Espagne, qui n'a iamais eu Prince si tyran, cruel, & mal-viuant.
Quartement, quant à vostre incredulité & l'opinion que vous auez, que l'amour de la patrie trompe & rēd facile le remede (laquelle incredulité nous pouuons auec beaucoup de raison appeller aueuglemēt & tenebres) ie viens à redire & vous aduiser derechef, que d'enuoyer en Espagne vne bonne & bien cō duitte armee, despend le moyen de resister à l'ennemy, rompre la trace de ses desseins, abbaissenson orgueil, & destruire sa puissance. Et combien que cela, s'ensuyue de ce que i'ay dict cy-dessus; toutesfois ie le veux prouuer par vn seul exemple tres-veritable, & qui fait beaucoup à nostre propos & intention.
Hist. Castell. Portug. Ang. &c.Henri Comte de Trastamara, fils bastard d'Alphonse le Iusticier, par l'aide des François tua le Roy D. Pedro son frere legitime; duquel Pedro resterent deux filles, la plus ieune Isabelle, espousa Edmond de Langley 4. fils d'Eouard 3. Roy d'Angleterre. Lequel Edmōd pour les victoires qu'il eut en faueur des Portugais (qui l'accompagnoyent cōtre les Castillans en Espagne) & pour auoir manié les affaires auec telle prudence, qu'il obligea & contraignit Henry susdit Roy de Castille, d'accepter & receuoir de Fernād Roy de Portugal, qui estoit quasi tout perdu auec sō Royaume, des cōditiōs fort preiudiciables & ignominieuses, tāt à soy qu'à tous ses vassaux & subiets, fut fait Duc de York, par Richard 2. Roy d'Angl. sō nepueu fils d'Edouard sō frere aisné, au parlemēt qui se teint à Vuestmester, [Page]l'an 1386. De ces deux, Edmond & Isabelle, descend la Royne d'Angleterre aussi nommee Isabelle. L'autre fille aisnee de Pierre, appellee Constance, espousa Ian de Gand, troisiesme frere de pere & de mere dudit Edmond, Duc de Lancastre à cause de sa premiere femme Blanche, qui auoit eu de luy Henri 4. qui fut Roy d'Angleterre, & deux filles, dont l'aisnee Philippe fut Royne de Portugal, femme de Iuan le Bastard. De Iean de Gand & de Constance nacquit vne fille vnique, appellee Catherine, de laquelle nous ferons plus ample mention. Ledit Ian pour le respect de sa femme Gonstance se qualifioit Roy de Castille & de Leō: & pour auoir son droict passa de Gascongne (qui pour lors estoit en la domination des Anglois) en Espagne auec 18. mille hōmes de pied & deux mille cheuaux, & print la Crougne auec l'aide des Portugais qui luy estoyent bons amis.Guaribay lib. 15. cap. 25. De la s'en alla en Portugal, d'où il entra en Castille, & donna iusques à la cité de Burgos, distante du lieu d'où il partit, plus de 120. lieües, prenant d'arriuee & se rendant maistre de toutes les citez,Entree des Anglois auec les Portugais en Castille. villes & chasteaux qu'il rencontra, outre celles qui plus eslongnees se venoyent rendre à l'espouuente. Et fust aisement passé plus outre si ses gens ne luy fussent morts; lesquels pour le peu d'ordre qu'ils gardoyent, & par leur mauuais mesnage furent accueillis de famine, dont s'ensuyuit la peste: & furent reduits à telle necessité de viures,Amitie les Fran [...]ois & que de recourir au camp de l'ennemy (où estoit en faueur du Roy Ian de Castille, Louys Duc de Bourbon bien accompagne [Page 26]de François) pour demander dequoy substanter leur pauure vie.Anglois dehors de leurs pays Ce que voyant Ian le Bastard esleu Roy de Portugal, se plaignit au Duc, luy disant qu'il ne trouuoit pas bon que ses soldats allassent traitter auec l'ennemy, affermant que ceux-là luy porteroyent plus de preiudice, que tous les autres: qu'il les rappellast tout incontinent, & leur fist defense de ne communiquer ny parler auec personne du party contraire. Autrement qu'il les combatroit tous ensemble, & les feroit tous passer au fil de l'espee,Valeur de Ian le Bastard Roy de Portugal. Th. Vualsing. La valeur des Portugais. l'vn pour l'amour de l'autre. Thomas Vualsingham historien Anglois le racōte en mesmes termes: & dit quele Roy de Portugal auoit auec soy 4. mille Portugais bien armez. Quelques-vns ont estime que le dire de cet historien estoit ridicule, ou vne brauade mais ils se trompēt fort. Car ces 4. mille Portugais bien armez, ayant leur Roy pour chef & Capitaine, estoyent suffisans pour deffaire 20. mille Castillans. Le mesme Roy auec cinq mille & tant de Portugais, & 15. cens Anglois deffit ledit Ian Roy de Castille,Histoire fort remarque [...]. se trouuans tous deux presens en la bataille de Aljibarota, & le mit en fuite ayant auec soy 34. mille hommes de combats. Desquels en demeura sur la place 12. mille, & de prisonniers 10. mille entre les mains de 4. mille & tant de Portugais, & de mille Anglois, qui resterēt maistres du chāp. Occubucrant enim in pugna Portugallenses circiter mille, Angli verò quingenti, quippe qui tanquam leones dimicauêre,
Au mesme temps D. Nunalvres Pereyra Connestable de Portugal auec 3. mille hōmes [Page]de pied & mille cheuaux defit 25. mille Castillans, tua & print les principaux chefs de Castille.
Geste histoire est fort remarquable, & s' appelle Ia bataille de Valverde.Le mesme Roy deuant que de regner, & depuis, eut plusieurs victoires sur les ennemis non moins admirables que ceste cy: tellement qu'vn seigneur Castillan parlant & deuisant vn iour auec son Roy, qui estoit ledit Ian, luy dit: Sire, ie ne puis bien entendre la cause de ce que le Roy de Portugal auec si peu de gens vous a vaincu partant de fois, sçachāt que vous auiez tousiours cinq ou six contre vn des leurs: Le Roy luy respondit; Pource que le Roy de Portugal combat contre moy estant accompagne de ses enfans,Honorablete smoignage de la loyauté des Portugais. & moy ie combats cōtre luy accōpagne de mes subiets. Ie suis Roy & seigneur de Castille, & luy est Roy & seigneur des Portugais. Ainsi ce vaillant Alphonse Henriques premier Roy de Portugal, commença de se qualifier Roy & seigneur des Portugais. Ceste valeur des Portugais ne fut point en ce temps la seulement, mais a continué iusques auiourd'huy. Car nous auons veu l'an 1580. le Roy Dom. Antonio auec moins de cinq mille fantassins Portugais apprentifs d'armes & nouueaux soldats, se defendre plusieurs iours alencontre de plus de 20. mille vieux soldats du Duc d'Albe.
En l'an suyuant, le 25. Iuillet, iour de S. Iaques, Scipiō de Figueyredo de Vasconcelles, Gentilhomme signale en valeur & fidelité. (lequelest souuentes fois mentionné dans les histoires) estāt gouuerneur des isles des Assores, se defendit en plaine cāpagne auec moins [Page 27]de 400. Portugais contre plus de mil Castillās; lesquels D. Pedro Valdés auoit saict prē dre terre en l'isle Tercere, pres la cité de Angra. Les Portugais n'estoyet pas soldats, mais gens mechaniques, manouuriers & laboureurs, & entre eux n'y auoit pas dix gentilshōmes. Car le gouuerneur les auoit laissez en la ville pour la defendre & gouuerner. Les Castillās estoyēt vieux soldats, entre lesquels (ce dit-on) y auoit 200. hōmes qui auoyent commandé és armees de Castille: & combattirēt depuis quatre heures du matin iusques à quatre du soir,Beau stratageme. auquel temps ils firent expressement descendre de la montagne grāde quantité de vaches, auec lesquelles ils rōpirent les rangs & ordres des Castillans, afin de venir aux mains: & par tel stratageme se battans à l'espee les deffirēt.Victoire notable des Portugais sur les Castillans. Connest. li. 8. f. 234. pag. 1. Aucuns desdits Castillās se sauuerent à nage, beaucoup se noyerent, & en furēt enterrez de cōpte fait 875. & des Portugais furēt occis par la main des ennemis, 15. & par hazard d'vne ruine de muraille, six, & quelques-vns blessez. Ce fameux Connestage raconte ceste histoire en termes faulx & differē. quoy qu'il cōfesse qu'il y demeura 600. Castillans, & de Portugais, 30. Mais i'ay sçeu ce qui se passa en ceste rencontre, de plusieurs gentilshōmes Espagnols, mes cōpatriotes, qui s'y trouuerēt presens: & specialemēt d'vn natif de Valēce, nōmé D. Gaspard, qui se sauua par la mer bien blessé & d'vn tambour Castillan, & d'vn Portugais né de Villaviçosa. lesquels deux seuls eurent la vie sauue, estans trouuez sur le bord de la mer, apres le chaud du combat. Là [Page]mourut vn nepueu du Duc d'Albe, vn nepueu du Marquis de Saincte Croix, & vn nepueu du susdit D. Pedro Valdés, & ce tant renommé Phillippe Hartade Aragonois, & 70. & tant d'aisnez de maisons; dont vne bonne partie estoient voisins de Salamāque. Bref là mourut toute la fleur de Castille: parce que voyans que Portugal s'estoit rendu si facilement, & oyans que les Isles estoiēt fort riches, & que la flotte de l'Inde Orientale leur tomberoit entre les mains, estant ià allechez du sac des faulx bourgs de Lisbone, qui fut de la valeur de 3. millions, s'y embarquerent aussi volontiers que s'ils fussent allez aux nopces. C'est chose toute notoire, que 4. ou 5. ieunes Portugais de 18. à 20. ans à Lisbone auec l'espee & la cappe, ne font pas conte d'vne douzaine de Castillans. Par ces raisons les hommes peuuent cognoistre que ce que dit Vualsingham n'est pas chose ridicule, encores moins vne brauade. Retournons à ce que nous auons entre main.
Quelques iours apres certains Ambassadeurs enuoyez par le Roy de Castille veindrent au Duc, luy demander en toute humilité la paix, lesquels le Duc ne voulut pas ouyr. Toutesfois la faim & la peste le contraignant de se retirer en Portugal en la ville Trancoso, ils le veindrent rechercher, enuoyez pour la seconde fois par ledict Iean Roy de Castille,Le Castillan demand [...] la paix en toute humilite. auec la mesme requeste: remontrans par plusieurs raisons au Duc les grands proufits qui se tireroient faisans vne bonne paix entre eux. Le Duc alors leur donna audience, & leur accorda ce qu'ils demandoient, [Page 28]encores que ce fust contre sa volonté. Premierement par ce qu'il auoit entendu que le Roy de Portugal le vouloit ainsi: & puis (ce qui l'obligea de beaucoup en effect) parce qu'il estoit aduerti que les troubles commençoient en France entre les François & Anglois, & quelques seditions en Angleterre, à cause desquelles il ne pourroit tirer secours de la, dont il sembloit auoir besoing; & desia la mortalitë qui estoit en son armee, l'en Menacoit.Le Castillan contraint de receuoir conditions des-auantageuses. L'accord entre le Roy & le Duc fut faict en ceste sorte; que Henri fils aisné de Iean, nomme Prince de Castille, espouseroit Catherine fille vnique dudict Duc & de Constance sa femme, & succederoient és Royaumes de Castille & de Leon, & autres seigneuries: que le Roy doteroit le mere & la fille, ainsi qu'il fit, baillant a la mere la cité de Guadalajara. Medina del campo & Olmiedo. Et depuis se voyant auec elle en ladicte Medina luy donna Huete. Et à la fille il donna les Esturies, l'en faisant & nommant Princesse, & son fils Prince. Et dés lors en auant l'aisné a tousiours porté le surnom de ceste princeipauté, comme du Dauphiné en France. Dauantage, qu'il donneroit au Duc six cents mil francs d'or pour s'en retourner en Angleterre, & 40. mil francs de rente,Toute l'Espagne auec secours de France contre Portugal, qui gagne, vie durant de luy & d'elle. Ian de Castille accepta toutes ces conditions de fort bonne volonté pource qu'encores qu'il eust la France; de son costé, & les François aussi, & le Roy d'Aragon (auec la soeur duquel il auoit esté marié, de laquelle estoit né ledict Prince D. Henri & Fernand, qui depuis fut le Roy dAragon, [Page]contre le droit des vrais heritiers & Charles 3. Roy de Nauarre; il conoissoit neantmoins qu'ayant guerres ciuiles en son Royaume, & Portugal son ennemy, il faisoit courir fortune à tous ses Estats & seigneuriers.Puissance [...]e Portu [...]al. Tant peut se Royaume de Portugal contre le reste de l'Espagne. Il est bien certain que toutes & quantesfois que le Portugal aura faueur de France ou d'Angleterre, ou de quelque autre Prince estranger, quel qu'il soit, il contraindra le Roy de Castille (duquel il est la bride) de s'assubiectir à raison & venir à iubé, & de receuoir des conditions fort ignominieuses & preiudiciables. Et celles du Duc eussent esté bien plus auantageuses en cet accord, si le Roy de Portugal eust voulu! par-ce qu'ayant l'espee en main, il poùuoir faire le partage du pays à son plaisir.Plutarch. in Apoph. Il fut le iuge, & le fit à sa volonté. Qui habet gladium, potest diuidere campos. De la vient que le Duc ne s'en alla pas fort content de luy, encore qu'il luy eust baillé en mariage sa fille aisnee Phillippe.
Ah SIRE, s'il plaist à V. M. bien considerer ce que ie luy dis,Exhortation au Roy, &c. & que ie pretends luy persuader, & aux autres Princes & Potentats de l'Europe: & reconoistre vostre puissance (estant assisté de vos voisins auec leurs nauires & galions, hardis mariniers, artillerie, munitions, & autres appareils de guerre, dōt ils ont grande abondāce, ioint la prōpte volonté qu'ils ont de voꝰ accompagner, cōme ils ont fait paroistre depuis plusieurs annees en ça, vous trouuerez que voꝰ seul auez assez d'hōmes & de forces bastātes pour voꝰ rēdre [Page 29]iuge & tenant l'espee droitte & ferme en la main, ce sera à voꝰ de partager les Royaumes & Prouinces d'Espagne: voꝰ reprendrez non seule [...]ét ce qui vous appartiét, mais aussi feres rendre à autruy le sien. Quel plus grand honneur, quelle plus grande felicite! Defendez, SIRE, vostre droit que depuis tant de siecles vous heritez de vos Predecesseurs. Auiourd'huy ne māquent point en vostre Royaume ny Martels, ny Pepins; ny Rolands, ny Oliuiers, ny Renauds. Au lieu de douze Pairs, vous estes riche de plus de douze cents. Vos voisins pour. vn Richard vous en fournirōt vne centaine: & leurs alliez vous aecommoderont d'vn Oger, si remply de perfections & tant practiquè en l'art militaire. suiuy de si bons & vaillans soldats, que les Connestables de Castille, les Comptes de Fuentes & verdugos & ses compaignons n'auroient l'auantage sur eux.
Cestuy est le droit & vray chemin, cestuy est le plus certain & le plus asseuré moyen pour faire vne heureuse paix par vostre bras mesme, sans y employer des Triquetres. Vous donnerez la loy à l'ennemy selon vostre appetit & volonté: vous le forceres d'accepter des conditions non seulement vtiles à vous & à tre Rovaume. mais aussi prousitables à vos amis & alliez. Que fera l'ennemy si vous passezen Espagne auec vne armee bien fournie de tout ce qui luy est necessaire, estant menée par vn Prince chosi & nomme par V. M. chef & general d'icelle, issu de haute maison & de sang illustre, accompagné de tant de graces & parties, que les autres ne facent [Page]aucune difficulte de s'assubiectir à son commandement, qui se gouuerne auec prudence & sagesse? Sans doubte il se tiendra pour perdu, comme il sera de faict, & se contentera bien, & s'estimera heureux, si nous le laissōs seigneur de Castille: il restituera à V.M. le Royaume de Nauarre, & le surplus que luy & ses predecesseurs ont vsurpé sur la France: & au sereniss. Duc de Lorraine les Royaumes de Naples, de Sicile, d'Aragon, Valence, & Catalongne, & les seigneuries qui en dependent: le Royaume de Portugal à celuy à qui il appartiēt; & fera raison à plusieurs autres Princes: specialement à la maison de Neuers, du Duché de Brabant, de Lēbourg, de Lothier, & de la ville d'Anuers.
Si vous me demandez de quel costé l'on pourra le plus commodement entrer en Espagne:Par oul'ō peut entrer en Espagne, & facilement ruiner l'ennemy. le dis que si vous voules entrer par Nauarre, dont sa Maieste Tres-chrestiennè est le Roy naturel & legitime, auiourd'huy les petits fils de ceux qui ont perdu les vies & biens pour le seruice de ses ayeuls, se trouueront auec plusieurs autres, qui principalement depuis qu'il s'est faict Catholique, l'aiment & desirent cōme leur Roy & Seigneur, & pour luy encourront tout les hazards du monde. Si par Aragon, la playe est si fraische que le sang en regorge encores maintenant. Si par Portugal, les vlceres sont encores tous ouuerts en la chair viue & si douloureuse, que les mains qui se presentent poury mettre remede, les front trembler.
Horrent admotas vulnera cruda manus, Et est autant impossible que l'on puisse estant en captiuité [Page 30]recouurer guerisō, quoy que l'on viue cent ans, que de voir ces deux nations, Portugaise & Castillane, s'entr'accorder (iaçoit que le Roy de Castille traite auiourd'huy les Portugais, veu sō ordinaire & insite cruauté, auec vn peu de douçeur, & les conserue en leurs priuileges & libertez) parce que laissāt vne infinite de raisons, vne seule est tressuffisante. C'est à sçauoir que les Castillans sont trop superbes & arrogans,Castillās superbes. Portugais impatiés. & les Portugais par trop impatiens quand il y va de l'honneur. car alors ils viendront plustost aux mains qu'aux paroles.
LE TRADVCTEVR. C'est vne chose si certaine, & les Portugais se proposent tellement l'honneur denant les yeux, & en sont si fort ambitieux, & leur est tellement recommandé de pere enfils, que s'il leur aduient d'en perdre vn seul poinct, ils deuiennent fols, perdent le sens, & l'entendement. Fernand de Magaillanes gentiltilhomme Portugais, estimant que son Roy luy eust fait beaucoup de tort, conceut vn tel despit qu'il s [...]enfuit de Portugal & seretira vers le Roy de Castille, pour luy descouurir l'entreprise du Peru. Voyez la folic! Son mescontentement ne procedoit sinon de ce que ledit Roy luy auoit refuse vn demi ducat de pension par chaque mois pour son fils. Raison pour laquelle Magallanes descouurit l'entreprise du Perù au Castillan. La coustume de Portugal est que tous les gentils hommes tirent pension (laquelle ils appellent Moradia) du Roy selon leur grades & qualitez de Noblesse (lesquelles ils appellent proprement Euero) & d'esire enroollez dans les liures de la maison Royalle, qu'ils appellènt Liure de la cuysine, autrement, Liure de Matricule. La qualitée de Magaillanes estoit de Cheualier Hida [...]go c'est a dire feal: il tiroit tous les mois enuiron trois ducats de pension, & supplia le Roy de prendre son fils en mesme qualité que luy. & luy donner la mesme pension, desquelles demandes le Roy [Page]luy en ottroya l'vne, & refusa lautre: sçauoir est qu'il acceptale fils pour Cheualier feal, mais ne luy voulut donner que deux ducats & demi de pension, suyuant la coustume de ses predecesseurs, qui ne donnoyent aux enfans tant de pension qu'aux peres: sauf quand par la mort de leurs peres ils venoyent à succeder à leur heredité. Et d'autant qu'en Portugal les nobles ont la precedence selon le grade & qualité qualité de leur nobl [...]sse, & au mesme grade & qualité se precedent l'vn l'autre selon le plus & moins de pension qu'ils reçoiuent: Magaillanes print en si mauuaise part le refus faict à son fils de ce demi ducat (d'autant que par ce moyen il perdoit la precedence) qu'il en deuint fol, perdit le sens & l'entendement: & pour monstrer l'extreme dueil & fascherie qu'il auoit à cause de la perte d'vn si petit honneur, il acquit le nom de traistre: & tel le qualifient toutes les histoires, pour ce qu'il esta à son Roy naturel le deuoir qu'il luy deuoit, pour le rendre entre les mains d'vn estranger, & fut cause que les choses en vindrent là, que les deux Royaumes de Portugal & de Castille furent sur le point de s'entrechocquer, De maniere que l'ambition d'honneur fit insenser Magaillanes, & produira le mesme effect alendroit de tous bos Portugais, & nonpar le desir d'accroist de quelque poignee d'argent, comme quelqu'vn a voulu entendre, & n'a point rougi de l'escrire. La matiere & subiet de l'incident montre bien le contraire. Ie ne dy pas cecy sans cause: pource que S. Goulart de Senlis en sa traduction imprimee à Paris par N. Bonfons l'an 1587. discours 23. l'affirme ainsi, Les paroles d'O sorius sont telles: Hieron. Osorius de rebus Emmanueli [...], li. 11. Attamen Lusitani cùm sint praeter modum huius nobilitatis appetentes, & paruae pecuniae accessione nobilitatem suam augeri putent, pro hac tam parua pecunia saepe numerò, tanquam in ea salus omnis atque dignitas vertatur, sibi pugnandum arbitrantur, &c.]
Si me dites qu'estant ainsi vous vous esmerueillez comment si facilement les Castillans ont assubietti le Royaume de Portugal, monarchie si grāde & si puissante: Ie respōs, Qu'il seroit long d'en conter les raisons, & que cela vient plustost faute de resolutiō que de coeur ny de courage: par ce que les Castillans ne sont pas meilleurs soldats que les Portugais, comme nous auons veucy deuāt, & l'ont bien fait paroistre enuiron cinq mille hommes de pied & quelques mille cheuaux qui se sont defendus par l'espace de quatre mois & vingt iours contre plus de 20. mille du Duc d'Albe, tous vieux soldars; & les autres, nouueaux & paysans.Raisons pourquoy le Castillan print Portugal si facilement. Et s'il n'y eust point eu tant de trahisons, peut estre le Duc d'Albe eust esté mal traicté mesme, & n'eust pas passé plus outre. Portugal estoit tout despourueu de chefs, ayans esté tous tuez en Afrique auec leur Roy, comme nous l'apprend suffisamment Connestage sur la fin de son premier liure, disant ainsi:Connest. liu. [...]. fol. 25. pag. 2 Sebastian s'en alla en Afrique, laissant son Royaume espuise de deniers, sans noblesse, sans heritier, és mains de gouuerneurs peu affectionnez.
[LE TRAD. En ceste bataille moururent le Due d'Aueyro, rierepetitfils de D, Iuan 11. Roy de Portugal: deux Princes cousins germains, vn fils de Theodose Duc de Bragance: vn autre heritier du Marquisat de Ferrare: quatre Comtes, comme il est rapporté en la vie du Roy D. Sebastien, par vn Iuif nommé Duard Nonnes de Leon; Duard Non. liu. des Censures, &c. lequel contre les loix de Portugal, qui forment la porte des honneurs & dignitez de la nation (c'est à dire à tous ceux qui descendent de Iuifs) a esté fait par le Roy Catholique conseiller au Royaume, en recompense d'auoir composé [Page]contre Frere Ioseph Texere Portugais, de l'Ordre des freres Prescheurs (personnage auiourd'huy fort renommé en l'Europe, & cognu de tous les Princes d'icelle, tant Ecclesiastiques que seculiers: & singulierement en France, où les plus grands du Royaume, & tous hommes d'honneur, l'aiment & voyent volontiers à cause de son honneste conuersation, bonnes moeurs & singuliere doctrine, comme l'vn des plus accomplis en la conoissan [...]e de l'histoire & prosapie des Grands, qui se puisse trouuer, selon que ses ceuures & deuis communs en donnent suffisant tesmoignage) vn liure de Censures, qui est non seulement infame, mais plein de propositions heretiques & temeraires. Ie m'estonne fort de la patiēce de ce Religieux, lequel estāt si consumé & pratticq en l'histoire, entendant bien les affaires d'Estat, & estant si ialoux de son honneur, ainsi que nous sçauous, comme il ne met la main à la plume, escriuant non seulement contre les erreurs & fausetez de ce Iuif, mais aussi contre la Maiesté Catholique: attendu qu'il a fait faire contre luy vn liure tant faux & infame (ce que sadicte Maiesté aduoüe en vn priuilege donné l'an 1590,) & permis audict Iuif d'imprimer vn liure de la genealogie des Rois de Portugal, traduict par luy en langue Castillane, d'vn autre en Latin, qu'il composa par son commandement: lequel est cestuy-cy de Censures dont nous parlons. Ce Iuif oublia de propos deliberé de nommer entre les morts, D. Emmanuel de Meneses, autrement d'Almada, Euesque de Coimbre: vn autre Euesque, D. Aires de Sylua, Euesque de la cité du Port, cousin germain du Regedour de Portugal (c'est vne dignité representant par tout le Royaume la personne du Roy en tout affaires de iustice tant ciuile que criminelle) tous deux issus de la maison Royalle: Le Baron de Portugal, & le Comte de Prado auec son fils [...] aisné, & quelques autres Princes & Seigneurs parens des Roys'd Espagne] & ceux qui restoyēt, le Castillan par dōs & promesses [Page 32]les auoit tellemēt corrompus, qu'ils ne desiroyent rien plus q̄ de luy liurer le Royaume. Les Cheualliers d'vne lance, qui sont ceux que nous appellōs en Frāce Escuyers, esquels consiste la plus grand'force de Portugal,Force de Portugal se mirent à contempler le ieu, n'ayans autre cō mandement par la negligence du Roy Antonio & de son conseil, qui s'est tousiours mō tre fort irresolu & inconstāt en l'administration des affaires.Negligēce du Roy Antoine & de son conseil. Au moyen dequoy le Royaume de Portugal est tōbé en si piteux & miserable estat, & n'a sçeu recouurer sa liberté. La fidelle affectiō & desir de s'opposer à l'ennemy, demeura seulemēt par-deuers les Ecclesiastiques & Reguliers, & quelques Seigneurs, & le peuple sans experiēce & sans armes, lesquelles le Castillan auoit par ruse & fraude tirees d'étre ses mains, ayāt fait courir le bruit, que les soldats qu'il assembloit en Castille, estoyent pour passer en Afrique cō tre les Infideles, pour venger la mort de son nepueu D. Sebastian: qui toutesfois estoyent pour Portugal, comme on a veu en suite. A quoy il se cōmença de preparer aussi-tost que le Roy Sebastien appareilla son voyage.Connest, lib-1, fol. 18. pag. 1 Et luy ayāt promis 5. mille soldats, & 50. galeres, les luy refusa quād ce vint au fait & au prendre, pour paruenir à sō but; & s'accorda auec Muley Maluco, promettant par le traitté qu'il fit auec luy, d'abādōner du tout le pauure Roy.Le Castillan s'accorda auec l'infidelle. Et pour cet effect le Maure luy auoit promis certaines villes en Barbarie, lesquelles il auoit premieremēt offertes audit Sebastiā, à la char ge qu'il ne secourroit point Mahumet xeriffe; mais il ne les voulut accepter, disāt qu'il auoit [Page]desia donné sa parolle audit Xeriffe. Sebastian estoit plus veritable en ses promesses, que son oncle Philippe:Infidelité [...]u Castillan. lequel pour mieux faire ses affaires, & auoir en sa main ce que des si long temps il desiroit si ardemment, asseura son faict en rompant sans conscience sa foy & promesse par le refus du secours auquel il s'estoit oblige de parole à Sebastiā: & qui plus est, defendant par edict public qu'aucun de ses subiets n'eust à le fuiure en ce voyage. C'est ce que Connestagio nous donne clairement a entendre en son second liure, disant: Alors arriua au camp le Capitaine Francesco d'Aldana, Connest. liu. 2. fol. 34. pag. 1 qui auoit promis au Roy (c'est à dire à Sebastian) d'aller à son seruice: lequel pour cet effect (ce que aucun auire n'obtint) eut permission du Roy Catholique,
[LETRAD. Connestagio escrit que Philippe ayant veu Sebastian à nostre Dame de Guadelvpé, nele dissuada pas de quitter son entreprise: mais bien de n'y pas aller en personne. Car Philippe conoissant la generosité de ce ieune Prínce, sçauoit bien que s'il venoit à entreprendre ce voyage, il n'y auroit moyen de l'empescher d'y aller luy mesme. Mais pour celer sa mauuaise intention, & s'excuser deuant le monde, il le desconseilla seulement d'y aller, non de l'entreprendre.] Il semble que ses sorciers par le moyen du Diable, qui est sçauant en coniectures, luy auoyent pronostique la perte des Chrestiens. [...]e Castil [...]an pour [...]onseruer Portugal [...]ait tant [...]e maux [...] la Chre [...]ienté. Voila pourquoy des deuant que ce pauure ieune Prince partist, il se preparoit pour engloutir ce morceau, qu'il estime tant, que pour le conseruer il fait de grands frais & grands maux à la Chrestienté, faisant paix auec les Infideles, pour plus commodement faire la guerre aux Chrestiens. De façon que maintenant il se resiouit [Page 33]mesme du bon succez que le Turc a contre eux. La raison est, que voyant que le S. Pere a embrasse le Roy Tres-chrestien (la ruine duquel il desire plus que son propre salut) & que les Princes d'Italie recerchent son amitié, ce que i'espere qu'ils continueront pour le regard du bien public; il iuge bien que de là luy pourra venir dommage: & la rupture de ses grands desseins: & pourtant se resiouit des pertes & auentures des Chrestiens, encore mesme que le mal tombe sur son propre sang & sa chair.L' Ambassadeur de Venise mal traitté. Tellement qu'il s'enorgueillit & deuient plus superbe de la prosperité des Infideles. Et cela mesme luy a donné la hardiesse de mal traitter l'Ambassadeur de Venise, comme on dit. Demain, si l'on ne l'empesche, il traittera encore plus mal tous les autres, sans excepter personne. Il pense que l'Alemagne, & l'Italie principalement en ses afflictions & trauaux aura besoin de son assistence. A cause dequoy il se persuade qu'ils ne se resoudront point à suyure & fauoriser le party du Roy Tres-chrestien, & que par ce moyen il fera bien ses affaires en France. S'il veut empescher le Turc qu'il ne face la guerre en l'Europe, il le peut fort bien faire, l'inquietant en l'Inde Orientale, comme ont faict les vrais & legitimes Roys qui ont regné en Portugal. Il n'a qu'à se ioindre auec Xatamà grand Roy de Perse amy des Portugais, pour tenir le Turc en bride.
Victoire d'Estienne de Gama.Les historiens celebrent auec vne infinité de louanges la victoire que D. Estienne de Gama Portugais, gouuerneur de l'Inde Orientale [Page]obtint alencontre du Turc, auquel il faisoit la guerre pour cet effect. Ceste bataille fut donnee au pied du mont Sinay,Gama [...]it des [...]heua [...]crs au [...]ed du [...]ont Si [...]ay. apres laquelle ledit Gama fit plusieurs Portugais, qui s'estoyént vaillamment portez en ce combat, Cheualliers. Entre lesquels y en [...]eut deux de marque, pour estre issus de peres illustres, qui de soy laisserent apres eux vne gloire immortelle. L'vn s'appelloit D. Iuan de Castre, qui depuis estant Viceroy de la mesme Indie Orientale, emporta ceste tāt fameuse victoire qui se lit en la vie du Roy D. Emmanuel: [...]ictoire [...] D. Ian [...] Castre en laquelle auec moins de 4. mille Portugais il deffit vn nombre infiny d'ennemis; donna la fuite à Mojecatan Connestable de Cambaya (qui auoit esté enuoyé par le Roy Mamud sō seigneur auec 14. mille hommes pour secourir la cité de Diu, laquelle tenoit les Portugais assiegez dans la citadelle) laissant 300. des siens morts sur la place, & le Guidon Royal prins auec les drappeaux. Iuzarcan le Ieune, grād Seigneur en ces quartiers là, fut aussi prins: & Ramacan, gouuerneur de ladite cite, qui estoit grande & assez peuplee, de laquelle les Portugais demeurerent seigneurs absolus, fut tué. Dece valeureux Capitaine est petit-fils D. Iuan de Castre qui est en France pour le present, & a esté aussi fidele à son Roy & à sa patrie comme ledit D. Iuan son ayeul. L'autre s'appelloit D. Louys de Ataide, depuis Cōte d'Atouguia, [...]. Louys [...] Ataide. lequel se trouuant en Alemagne en la bataille que les Imperialistes liurerent au Duc de Saxe & aux Princes de son parti. Charles le Quint luy fit de tresgrands honneurs, pour auoir surmonté tous [Page 34]les autres en ceste iournée là, & recouuré le Guidon imperial que les ennemis auoient gagné.an 1547. le 24. Auril. Tellement que l'Empereur luy donnoit tout l'honneur de ceste victoire selon qu'il l'escriuit à D. Iuan 3. Roy de Portugal son beau-frere & cousin germain, qui l'auoit enuoyé pour Ambassadeur.D. Louys Viceroy de l'Inde Orient. pour la premiere fois. Ce seigneur fut deux fois Viceroy de ladite Indie Orientale. La premiere, du viuant de D. Sebastian, & la defen dit contre toutes les forces d'Asie: parce que tous les Princes d'icelle qui estoyent tāt Maures que Payens, firent vne ligue contre les Portugais, qui se defendans & assaillans les ennemis, acquirent vne gloiré immortelle.Viceroy pour la seconde fois. Depuis estant Viceroy pour la seconde fois, le Roy D. Sebastian mort, & regnant le Roy Henri, sçachant que les peuples de Portugal auoyent esleu & fait des Gouuerneuis pour gouuerner & defendre le Royaume apres la mort dudit Henri, & qn'ils auoyent nommé des Iuges pour decider la cause du differend de la succession dudit Royaume, dit publiquement: Ie ne rendray l'Indie à autre qu'à celuy auquel on adiugera le Royaume. Tellement que selon qu'aucuns disent, ceux qui suyuoient le party du Castillan (duqusl ils eurēt aduis & promesse par la voye de terre, ioint la diligence & industrie qu'il aporte à toutes ses affaires) par ce qu'ils sçauoient bien que ledit Castillan seroit tousiours par les Iuges exclus de la suc cession du Royame,D. Louys tué d'vn boucon. luy donnerent vn boucō. Ainsi mourut ce valeureux & fidele Portugais, & luy succeda au gouuernemēt vn ingrat grād & traistre, qui tout incōtinent liura [Page]l'Indie à l'ennemy. Pour cōseruer l'heureuse memoire de D. Estienne de Gama, on a mis vn Epitaphe en vn Palais. que fit bastir ledit Gama retournant de l'Indie, lequel est pres de la ville de Setuval en Portugal, disant ainsi en langue Portugaise, mais grossiere:
Auiourd'huy Philippe a plus de force, plus de pouuoir, & plus de cōmoditez pour empescher le Turc du costé de l'Indie Orientale de faire la guerre en l'Europe, que tous les autres Roys de Portugal n'ont eu par cy-deuant. Toutesfois comme cela n'auance point son ambition, aussi ne le peut il bien gouster. Ceste oeuure, bien que bonne, ne luy aide point à conseruer ceste Monarchie par luy vsurpee auec tant de fraudes & moyens illicites; & qu'il pretend laisser à son heritier, soit à tort, soit à droit, lequelle il recognoist pour grande & puissante, & la iuge la plus riche, pretieuse & importante perle de sa courōne. Certes aussi est elle. [...]rtugal [...]us'riche [...] pre [...]use per de la [...]uron [...] d'Espa [...]. C'est pourquoy ie ne puis que ie ne me plaigne de quelques vns qui s'estiment sages & biē entendus entre les François & Anglois, qui veulent à toute force que Portugal soit chose fort petite & terre sterile, non plus [...]grande que la Normandie, & quelques ignorans dient qu'elle est bien aussi grāde que la Brie. Et si ne veulent croite [Page 35]ny accorder que Portugal soit dans l'Espagne, mais qu'il en soit separe: & vous raisonnent là dessus, se rompans aussi bien la teste à eux mesmes, qu'à ceux qui les escoutent. Ces Messieurs me contraignent d'estre Geographe en ce discours, bien que ie ne le sois de profession. Toutesfois cela faisant à nostre propos, il est bon d'en faire vne description generale, & encoter quelques particulieres, afin que l'on connoisse sa grandeur, richesse, fertilité & puissance.
Description de Portugal.Portugal est vne partie d'Espagne située sur le bord de la mer Oceane, & tient deuers l'Occident 115. lieues de costé, & deuers le Midy, 25. Au Septentrion est le Royaume de Galice; & à l'Orient, les prouinces Taragonoise, Lusitanie, & Beticane: & au Midi ladicte mer Oceane qui est vers la coste d'Aphrique. Il contient quatre principales prouinces, la Transtagane, qui enclost le Royaume de l'Algarbe; la Cistagane: entre Duero & Mignò, & la Transmontane. Ces quatre prouinces contiennent partie de la prouince Taragonnoise, la plus grand'part de Lusitanie, & partie de la Betique. A de long cinq degrez & demy du Nort au Sud. Commence au Cap de S. Vincent au 37. degré, prenant quelque peu du 36. & acheue quasi en 42. & demy, nō loing de Bayonne-de-Vigo: & s'estēd du Sudsud-est à Nord-nord-est, ou chaque degré contient 19. lieües & demie: & a communement de large quarante lieües, quelque part plus, quelque part moins. Les lieües ne se reglent pas selon celles de France, mais par les lieües des degrez, qui ont chacun de [Page]Nord à Sud dix sept lieües & demie, selon le onte de Portugal. De sorte que eu esgard à ce qui reste & ce qui defaut. le Portugal a bien 40-lieües du pays de large. Tellement que faisāt vne figure quarrée de cinq degrez & demi de long, tirée du Nord-nord-est au Sud-sud-est, & de 40. lieües de large de l'Oriēt à l'Occident: elle enclorra en soy toute la Normandie, vne bonne partie de la Beaulce, les Duchez du Maine & d'Anjou▪ la plus part de la Touraine, quasi tout le Poitou, & quasi tout le Xaintōgeois. & quelque partie d'Angoulmois, auec vne portion du Perigort. Ce que nous pouuons voir clairement par demonstration, faisant en la France ladicte figure quarrée de cinq degrez & demi de lōg & de 40. lieües de large, en ceste forme: Tirant vne ligne de l'angle qu'à l'Orient à son costé du quarré, & le Septentrion à la teste: & commēcera à Crotoy sur la riuiere de Somme, (qui est à 50. degrez d'eleuation) iusques à Libourne en Perigort, qui est à 44. degrez & demy, passant de pres de Rouan, par Eureux, Dreux & Amboise, pres de Chastellerauld, par Coué, & par entre Negre & Iarnac, & Angoulesme, & par entre Barbesieux & Coutras, iusques à ce qu'on arriue à ladite ville de Libourne. Tout le pays qui est à l'Occident de ceste figure e;st aussi grand que le Portugal. Et afin que ce q̄ ie dis puisse mieux apperceuoir, il sera bon de descrire le resté de la figure. Le quarté qui a sa teste au Septentrion, & commence en Orient au Crotoy, tirant à l'Occident, acheue en la mer qu [...] six lieues sur le riuage de Cherebourg. D' [...] [Page 36]si nous tirons vne ligne droitre au Midy, entrant dans le pays par la mesme ville de Cherebourg, passant par Constance, & par Grādville, pres de la ville de Dol, par les villages de Becherel, Redon & Arebon, entrant en la mer entre Guerrande & Croisic, iusques à 44. degrez & demi à l'Orient de ladicte ville de Libourne, dix lieües de la terre, qui est au Midy d'Anchises: nous viendrons à fermer nostre figure. D'auantage, afin qu'il n'y ait aucun doute en ceste demonstration, & que nous respondions à l'obiection que me pourront faire ceux qui ne veulent pas que Portugal soit plus grand que la Normandie, disans que puis que la ligne du costé de l'Occident de nostre figure passe par Cherebourg, Constance, &c. tant qu'elle vienne en la mer entre Guerrande & Croisic; que ferons nous donc de la terre qui reste, qui est vne petite partie de la Normandie, & qui se finit pres de l'isle d'aderuoy, & de la plus grand part de la Bretagne? Ie dis que toute ceste terre, & tout ce pays là qui reste, se peut mettre dans les angles Occidentaux de la figure qui sont vuides, à cause qu'ils finissent dans la mer. Ceste demonstration bien faicte & bien entendue, apres auoir aussi veu la grandeur de Portugal, nous trouuerons que son circuit est non seulement aussi grand que toutes ces prouinces de Frāce que nous auōs dict, mais aussi tout autant que le circuit qu'il cōprend en l'isle de la grand'Bretaigne, tous ce que nous appellons Angleterre.Strab. lib. 3. de sitis orb. Quant a la fertilité de Portugal, on la peut aisement iuger de ce que Strabon en escript parlant de Lusitanie, [Page]qui est la plus grande partie dudit Royaume, [...]ertilité [...] Portu [...]al. disant: La Lusitanie est vne region tresfertile en fruicts, en bestail, en or & argent, & plusieurs autres choses semblables. On estime les prouinces & terres que le Portugal possede hors la Lusitanie en Espagne encore plus fertiles que celles de Lusitanie mesme: cōme les terres qu'il tient en Betique, en la prouince Transmontane, qu'on appelle vulgairement Tras-losmontes, & en la prouince entre-Duero & Mignò, que les Latins nomment Interamnis: laquelle ledit Strabon contre là commune & vraie opinion, met au dedans de la Lusitanie, & dit en oultre: En Lusitanie est le fleuué Lethe, que plusieurs appellent Limeae, les autres Belion. Enquoy il se trompe, comme aussi disant que Minius surpasse en grosseur toutes les riuieres de Lusitanie: d'autant que Lyme est enclauée en la prouince d'entre Duero-&-Migno: lesquelles prouinces suyuant la vraye description, sont encloses en la prouince Taragonoise, & le Mignò est beaucoup plus petit que le Duero, le Tage, & Guadiana, qui sont en Lusitanie.
Il y a en Portugal trois Archeueschez, & dix Eueschez,Rētes des Euesques le Portugal. toutes lesquelles rapportent auiourd'huy à leurs Prelats enuiron 400. mille ducats de rente par chacun an. Le Duc de Bragance seul, en vne cité, villes, chasteaux & villages, dont il est seigneur, a 200. mille vassaux. Portugal enuoye à l'Inde Orientale, barbarie,Domina [...]ion du Duc de Bragāce. Cabo-verde, Isles de Buan, Mina, Saint Thome, Congo, Angola, Brasil, & ailleurs, quelques six mille hommes tous les ans, dont il n'en reuient pas la tierce partie [Page 37]au pays, Auiourd'huy si Philippe s'osoit sier des Portugais, il pourroit tirer de Portugal, pour enuoyer à la guerre, plus de cent mille hommes de l'aage de 25. à 40. ans, qui n'ont rien qui les puisse empescher d'aller, ny d'excuse pour n'obeyr pas quand il le commandera.
Tout le monde sçait bien qu'au temps de Sebastian Róy de Portugal il y auoit par tout ledit Royaume 1200. compagnies de gens de pied, esquelles n'estoient enroolez que les gens du plat pays, & les artisans & ouuriers mechaniques, encores non tous. Les Seigneurs, Gentilshommes, officiers de Iustice, & du gouuernement des citez & villes, & les gens de lettres, en somme tous les nobles, Ecclesiastiques, & Reguliers, auec leurs seruiteurs, & plusieurs autres sortes d'hommes priuilegez estoient excusez, & ne les obligeoit-on point à se faire enrooller esdites cō pagnies, desquelles la pluspart estoient de 200. hommes, quelques vnes de 300. & de 400. nous donnerōs àchacune d'icelles, deux cents hommes seulement, elles feront nombre 240. mille hommes.Nombre de gens de guerre de Portugal Considerez maintenant combien grand pourra estre le nombre de ceux qui n'estoient point obligez ausdites compagnies. Ie ne specifie point icy le nombre des compagnies de gens de cheual, dont ce Royaume a grande quantité, parce qu'il n'a pas esté possible d'en sçauoir certaine verité.
Grādeur des Rois de Portugal.D'auantage, les Roys de Portugal tiennēt vne grandeur, en laquelle ils excedent tous les Rois & Princes de l'Europe. Sçauoir est, [Page]qu'ils peuuent en moins d'vn quart d'heure donner à leurs vassaux & subiets la valeur de dix, quinze & vingt milions en papier consistans en depesches de gouuernemens, capitaineries, receptes, & autres charges & offices, & congé de faire voyages de mer à Banda, Maluco, la Chine, & autres parties de l'Inde Orientale: par le moyen desquelles depesches ceux qui les obtiennent recouurent tout incontinent de l'argent.
De là peut-on facilement iuger la grādeur, la richesse & la puissance de ce Royaume, auquel adioustant les seigneuries qu'il possede en Afrique, en Asie, & en l'Amerique, & és isles qu'il tient en la mer Oceane, fait vne Monarchie tresgrande & tres-puissante. Et pourtant ie ne m'esbahis pas si le Roy de Castille fait tant d'excez & de despens pour la conseruer. Il sçait combien elle luy importe, combien elle luy vaut. Il n'est pas ignorant, ains au cōtraire, sage, auisé, fort ruse & bien experimenté aux affaires d'Estats.
[LE TRAD, Ant. Peres par. 2. Laquelle chose Antoine Peres, Secretaire d'Estat du Roy Catholique D. Philippe 2. qui est le mesme duquel est question, montre en la seconde partie de son aduertissement sur le faict de son procez, D. Ian d'Austriche mort d'vn bou con. Philippe addonné à la Cosmographie. traictant des dissimulations, tromperies & ruses dont ledit Philippe vsa enuers le Seigneur D. Ian d'Austriche son frere, sur la pretention du Royaume de Tunes, & les intelligences d'Angleterre, lors qu'il l'enuoya en Flandres: là où comme le bruit est, il luy fit finalement donner le boucon.] & grandement addonné à la Cosmographie. Il a en ses palais de Madrid vne grand'maison, en la quelle sont les descriptions de toutes les prouinces & royaumes du monde, non [Page 38]seulement en general, mais aussi en particulier. Là il est la plus part du iour; & contemplant ces descriptions, aiguise & augmente son ambition, & affine sa tyrannie. Là il void ce qui luy est le plus duisible, & plus facile à conquerir. Là il void par quels moyens il pourra prendre Cambray, & comment apres il empietera Calais; & pourquoy de là il s [...] en est venu saultér iusques à Amiens; & maintenant il cōsidere ce qui luy sera le plus propre & conuenable, en telle sorte que rien ne luy puisse eschapper des mains, & qu'il ne face despendre ny hazarder ses moyens en vain. Il est fort versé es histoires,Philippe versé és histoires. & par icelles a fort bien iugé combien luy importoit pour paruenir à son but la Monarchie de Portugal, & d'auoir les Portugais à sa deuotion, pour en auoit l'aide & le secours que que luy & ses predesseurs en ont receu.Les Castillans de puis 300 ans en çà n'ont rien faict sans les Portugais. Guerre del. Salado. Car depuis trois cens ans en-çà les Castillās n'ont rien fait digne de memoire sans eux.
De ceste tant celebre victoire qu'on appelle Del Salado, où furent que pris que tuez 400. mille Maures, & seulement 20. des Chrestiēs (ainsi qu'on a entendu de la bouche mesme d'Alboacem Roy de Marroques) le Roy de Portugal Alphonse 4. le Braue auec ses Portugais en fut cause. lequel Alphōse ainsi que les Maures assiegeoiēt Tariffa, donna secours à Alphonse Roy de Castille, dict le Iusticier: son gendre, non qu'il le meritast, mais pource que la guerre se faisoit cōtre les infideles.Guerre de Grenade de l'an 1501.
Quand en Grenade Alphonse de Aguilar fut tué, & que les Maures demeurerent vainqueurs, & poursuyuoient leur victoire, les [Page]Portugais empescherent qu'ils ne passassent plus auant, tindrent le champ de bataille, & sauuerent le reste des Castillans.
Quand les peuples de Castille s'esmeurent sous apparence du bien public, & plusieurs Princes auec eux contre Charles V. à cause des grands, & nouueaux & exorbitans imposts, les Ambassadeurs desdits Princes,Communidades de Castille, & plusieurs citez, & villes, venans au Roy de Portugal D. Emmanuel, pour le prier qu'il luy pleust les recognoistre pour vassaux, & subiets, parce qu'ils le desiroient pour Roy & Seigneur,Vraye amitié de Emmanuel Roy de Port. vers Charles 5. non seulement il ne voulut recepuoir leur. offre, mais leur apprint comment ils debuoient obeyr à leur Roy. Et à d'autres qui venoient de la part desdits Princes, citez & villes qui tenoient le party dudict Charles, il leur fit donner argent & artilleries, poudres & munitions de guerre. Quelques vns disent q̄ ledit Roy Emmanuel les accommoda de cinq cents mille ducats: & de beaucoup de pieces d'artillerie. Tellement que cela fut cause que ceux qui s'estoient esleuez, s'accorderent auec leur Prince. Et de là veint, sans que le Roy D. Emmanuel s'en doutast, que Charles V. vsurpa derechef le Royaume de Nauarre,Anno 1522. que messire André de Foix, sieur de l'Esparre auoit remis & restauré. Phillippe a paye maintenant ce bon office à Portugal,Prise de la Goulete auec 22. autres na uires de guerre. ainsi qu'il paye la France, & autres ausouels il est obligé.
Quād ledit Charles le V. passa a la Goulete l'an 1535. qui la prit? Le Galion Cagafuego de Portugal que le Roy D. Iuan 111. auoit commandé d'accompagner l'Infant D. Louys [Page 39]son frere puisne.
Comment est-ce que ledit Charles le V. prit la vilie de Tunes,Prise de Tunes. capitale du Royaume de Lybie? Auec l'assistance & l'aide dudit Infant & de ses Portugais.
Prise dis pignon de Belles par les PortugaisQui est-ce qui print le pignō de Belles il n'y a pas 35. ans auec le reste pour le Roy de Castille? Frācisco Bareto, general des galeres de Port. & le capitaine Diego Lopés de Sequeyra sō nepneu, auec les Portugais de sa cōpagnie.
Qui deliura & mit fin à l'oppression de Castille l'an 1566. 1567. & 68. pour les Grenadins qui se reuolterent en Grenade?Guerre de Grenade finie par les Portugais. Sept ou huict mille Portugais q̄ le Roy Sebastian enuoya de secours. Phillippe Roy de Castille sçait fort bien tout cela; c'est pourquoy auec telle promptitude & tel soing il trauaille de conseruer ceste Monarchie Portugaise, pretendant non seulement de l'vsurper, tyranniser, & arracher des mains des Portugais; mais aussi rauir leur honneur, leur gloire & leur valeur. Car il void bien qu'ayāt les Portugais de son costé, il pourra par leur moyen souler son ambitiō, sans qu'ils ayēt l'honneur qui leur est deu à cause de leurs prouesses, atribuāt le tout à la generosite de ses Castillās. Ainsia-il tyrannise & tyrānise l'hōneur des Aragonois, Catalās, Valēciēs, Nauarrois, & autres natiōs d'Espagne. Ses Castillans (lesquels ceux quine sçauēt & neveulēt sçauoir la difference qui se fait en Espagne de natiō à nation, appellēt Espag.) sont ses liōs,Castillans lions & tygres. ses tigres & cōquesteurs du mōde. Or cōcluons ce q̄ nous traittions de la plus pretieuse & plus importāte perle de sa couronne. Certes me trounāt [Page]vn iour auec vn grand personnage d'Estat, qui despendoit force ducats pour auoir auis de ce qui passoit par le monde, il m'asseura pour chose veritable, qu'vn iour l'vn des plus fauorits du Roy de Castille luy demandant,Demande d'vn Gentilhomme au Roy de Castille. pourquoy il laissoit perdre la Frise & plusieurs villes des autres prouinces de grande importance qui tomboyent és mains & en la puissance & subiectiō des hereriques, à cause dequoy elles estoyent contraintes de laisser la vraye religion (chose vraiement digne d'estre regrettee) pour secourir les Princes & villes de là ligue, & entretenir la guerre en France; luy se souriant respondit; Laissez les prendre: qu'ils prenēt la Frise & tout le reste. Ce qui m'importe est de conseruer Portugal.Responce du Roy de Castille, Et si ie le fais, comme i'espere, ie leur tailleray tant de besongne en leur pays, qu'ils ne pourront venir au mien. I'auray bien tout le reste apres. Scachés que si ie conserue & possede Portugal en paix & tranquillité, non seulement ils ne pourront viure sans moy; mais aussi seront mes subiets, & me payeront tribut.
[LE TRAD, Philipe se voyant seigneur d'vne si grāde monarchie, aspira quand-&-quand à la ruine des Royan me de France & d'Angleterre, & d'autres prouinces: & en receut tant de contentement qu'il ne se peut empescher de descouurir ses conceptions: de maniere que non seulement ceux de son conseil, mais aussi les soldats particuliers le sçauoient, Depuis la prise de l'Iste Tercere, les Capitaines qui auoyent accompagné le Marquis de sainte Croix en cette iournee là disoyent publiquement & à haute voix: Puisque nous tenons desia Portugal entierement, l'Angleterre est maintenant nostre, & gagnerons peu à peu la [Page 40]France, Pour preuue de ceci, nous n'auons besoing d'autre tesmoignage, sinon de ce que dit son Cennestage continuāt son histoire deuant la prise de ladicte Tercere: Connest. lib. 7. in fine. Mais le Roy ayant si fraischement pris la possession de Portugal, voyant les Portugais non encore bien paisibles, se vouloit employer à pacifier ce Royanme là, deuant que d'entendre à aucune autre entreprise; & disoit qu'armant en ces quartiers là, il retiendroit en bride non seulement le Portugal, mais aussi toute l'Espagne, & mesme la France. Peut-estre n'eust il pas manqué d'acheminer bonne partie de ces armes là iusques en Angleterre. pour le moins en Irlande.
Partant ne vous faschez point de ce que vous voyez se perdre; car tour se recouurera bien auec le temps, & m'en laissez seulement la charge.
Des dernieres paroles, & des susdits exemples, se peut aisement conoistre non seulement l'ingratitude de ce desagreable & malplaisant Catholique:Portugal principale cause de toutes les guerres. Comme Phillippe gourman de les elections des Cardinaux & Papes. mais aussi colliger & recueillir que Portugal est la principale cause de tant de guerres, tant de morts, & mesauentures! & que si on l'ostoit des mains & de la puissance du tyran, le Roy Treschrestien & les autres Princes demeure royent en paix, les Potentats & Republiques de l'Europe en repos, les Cardinaux à Rome ne se feroyent pas à sa poste, ni les elections des Papes à sa volonté, lesquelles il tyrannise si fort qu'en icelles il se fait le premier S. E [...]prit. Il nomme à toutes les elections des Papes trois, quatre ou cinq personnes, afin que le conclaue des Cardinaux en elise l'vne. Vid-on iamais [Page]plus grāde impudence ne presomptiō, qu'vn hōme ose vsurper à Dieu son office? Ha Roy Treschrestien! c'est à V. M. de defendre & soustenir les souuerains Pontifes: ils sont en possession d'estre defendus & conseruez par les Treschrestiens Rois de France: & pour cette cause ils l'ont douée de si grands priuileges. libertez & prerogatiues. Exterminez SIRE, ce monstre, rompez la teste à ce serpent, domptez ce Lion, deliurez l'Eglise de si tyrānique seruitude & dure captiuité dōnez paix & liberté à vos pupilles, a celle fin qu'ils puissent hardiment chastier ses mauuais, & sans crainte salairier les bons. Combien de fois ont desiré les souuerains Pontifes honorer & bien-faire à quelques personnes en recōpense de leurs vertus & merites, & en chastier d'autres a cause de leurs vices & mauuaistiez, sans qu'il leur ait esté possible faire ni l'vn ni l'autre? Les Papes ont souuent contre leur volōté permis que les impies triomphassent; & plus souuent consenti que les bons patissent. Qui merita iamais mieux d'estre Cardinal (ie ne sçai si ie doibs dire Pape) que ce tresdocte personnage le docteur Martin Azpilcueta Navarro,Mart. Azpil. Navarro duquel la memoire sera eternelle tant pour sa doctrine que pour sa vertu de sainteté? Neantmoins pource que Phillippe ne le goustoir point d'autant que pour defendre contre luy la cause de ce venerable Prelat D. Fr. Barthelemi Carrance religieux de l'O [...]dre S. Dominique,Fr. Barth Carrance Arche. de Tolede, Archeuesque de Tolede, & ainsi soustenir auec beaucoup & tresfortes raisons, que les Portugais auoyent droict d'elire leur Roy, & prouuer [Page 41]par tresfermes & infallibles argumens, que sa Maiesté Catholique possedoit le Royaume de Portugal par iniuste & tyrannique tiltre) il perdit tout & mourut pauure prestre. Qui iamais auec plus de raison merita mieux d'estre estrangle & bruslé, que N. neantmoins pource que Philippe le veult ainsi, il vit & triomphe. Partant pour l'honneur de Dieu ie supplie V. M. Treschrestienne (puis qu'elle y a plus d'interest qu'aucuns autres) qu'il luy plaise entendre cest affaire, & entreprendre de dresser bien-tost vne bonne armee pour passer en Espagne: & considerer aussi combien grande est la prudencé, l'industrie & finésse de cest ennemi general. que V. M. regarde ses actions, son ambition & sa tyrannie; qu'elle se reueille & se resolué, & sçache qu'elle a vn voisin si grand tyran, que luy seul est plus grand que tous les autres qui ont esté & qui sont au monde tous ensemble: & qui a acquis, comme ses predecesseurs, tant ce qu'il possede, par pure tyrannie, qui luy est aussi propre & naturelle, & luy conuient aussi proprement & inseparablement comme la risibilité à l'homme,La tyrannie naturelle à Phillippe ainsi comme la risibilité. Permettez moy ie vous prie de prouuer ce que ie dis, par histoires claires & trescertaines, afin d'oster occasion aux mesdisans & imposteurs de m'estimer vn menteur. Car ce que ie vous dis se verifie par tous les historiens Espagnols dignes de creance & veritables, tant anciens que modernes, quelques vns des-quels viuent encore auiourd'huy; & ny a pas long temps qu'ils ont composé leurs oeuures, & les ont [Page]imprimées auec la faueur & l'argent dudit Philippe. Ie tascheray donc de prouuer ceci auec le moins de paroles qu'il me sera possible, montrant qu'autant de Royaumes & de prouinces que le Roy Catholique possede en Espagne (dont ie sçay quelque chose estant Espagnol) il les possede auec tyrannie qu'il a commise par plusieurs fois. Et d'autant que pour bien prouuer mon intention, ce qui est aduenu depuis 380. ans en-ça me suffira, ie me tairay de ce qui est aduenu parauant l'an 1217.
Henri Roy de Castille, fils d'Alphonse le Noble, mourant laissa sa soeur aisnée Blāche, Royne ds France, [...]astille [...]ranni [...]e pour [...] premie [...] [...]is. [...]arib. lib [...]. cap. [...]. qui fut mere de S. Louys, lequel n'auoit alors encore que deux ans: & son pere (qui n'estoit pas encore Roy de France) estoit occupé aux guerres d'Angleterre, où il fut appellé par ceux du pays contre Ian vnique de ce nom, leur Roy, mais grand tyran. Henri mort, sa soeur puisnée, nommée Berangere, femme d'Alphonse Roy de Leon auec son fils Fernand, s'empara du Royaume de Castille, & l'vsurpa contre le droict de ladicte Blanche sa soeur aisnée, & consequemment dudit S. Louys son nepueu.
Fernand mort, ledit Alphonse son filz aisné, appellé Empereur d'Occidēt, pour auoir esté eleu par aucuns des Electeurs de l'Empire, (autres esleurent Richard frere de Henri 3. Roy d'Angleterre) fit vn accord auec ledit S. Louys, cousin germain de son pere, touchant la successiō de Castille en cette forme: Que Fernand fils aisné d'Alphonse espouseroit Blanche fille dudit S. Louys, à condition [Page 42]que les enfans qui naistroyent d'eux, feroyet heritiers de Castille. Alphonse & Fernand estans issus d'eux furent priuez de leur droict & heredité, par Sancho leur oncle, frere puisné de leur pere Fernand; lequel gouuernant le Royaume de Castille & de Leon, en l'absence de sondict pere Alphonse, qui estoit passé en Italie, pour soliciter & briguer son Empire, mourut. Fernand mort,Castille tyrannisee pour la 2. fois. Leō pour la premiere. Ierome Gudiel en l. hist. des Girons. Garib. lib 13. cap. 16. ledict Sancho print le gouuernement, & s'empara de beaucoup de citez & villes de Castille, contre la volonté de son pere Alphonse. Lequel mourant à Seuille, vn Vendredi 2. d'Apuril 1284. maudit Sancho son fils, l'appellant desobeissant, rebelle, vsurpateur & tyran: declara & nomma pour heritiers de ses Royaumes & seigneuries, ses petits-fils Alphonse & Fernand: & en cas qu'ils n'eussent point d'enfans, Philippe le Hardi Roy de France, son cousin remue de germain, fils dudit S. Louys son oncle. Les maudissons & declarations de son pere, ny la crainte de Dieu, ne firent à Sancho rendre ou restituer l'autruy, ains le retint, & y laissa pour ses heritiers son fils Fernand quatriesme du nom.
Alphonse sur nommé le Iusticier, Roy de Castille, fils de Fernand susdit, & petit-fils dudit Sancho, entre plusieurs tyrannies qu'il exerca l'on en conte vne, indigne non seulement d'vn Roy, mais d'vn homme de vile & basse qualité,D. I [...] le Tuert [...] seigneur de Biscaye tué, pource que c'est vne tres-grāde trahison & infidelité. Car comme il auoit conuié D. Iuan le Tuerto (c'est à dire borgne) Seigneur de Biscaye, à disner, le fit cruellement tuer l'an 1327. Et combien qu'il eust [Page]commencé de se descharger de ceste mort pour quelques iours:Le mesme Garib. lib [...]4. cap. 4 toutefois sa tyrannie ne la peut desguiser ny couurir: parce que depuis il le fit condamner comme traistre, & luy confisqua ses terres & seigneuries, [...]iscaye [...]ranni [...]e. & en peu de temps les occupa toutes, sçauoir est tant villes que chasteaux, enuiron quatre vingts.
Le mesme Alphonse fit tuer D. Aluar Nugnes Osorio son gouuerneur, qui parauant auoit retenu de luy beaucoup de grāds honneurs & de faueurs. Puis estant acertené de sa mort, qui fut l'an 1328. se saisit des places chasteaux & grands thresors d'iceluy, & de la Comté de Trastamare: [...]omté de [...]astama [...] vsurpé. [...]n Com [...] tué. [...]dit Ga [...]b. li. 14. [...]p. 5. [...]astille [...]rānisee [...]ur la 3 [...]is, & [...]ō pour [...] 2. auec [...] seig [...]ries [...]nexees. [...]rib. en [...]vie du [...]y Pier [...] & peu de iours en suite le fit condamner à Tordehumos, comme traistre. & le faisant inhumainement desenterrer, fit brusler son corps, & confisqua ses biens.
Henri 2. fils bastard de cet Alphonse, Cōte de Trastamare, tua son frere Pierre, duquel nous auons ia parlé, & s'empara des Royaumes de Castille & de Leon, desheritant ses niepces, Constance & Isabel, filles dudit Pierre, lesquelles auec ferment solemnel auoient esté reconues princesses & heritieres de Castille, premierement és Estats assemblez à Seuille pour ceste cause: & depuis à Albuberca, 1363. Et quand bien ces soeurs n'eussent point eu de droit esdits Royaumes, pource qu'il les disoit bastardes: par la mesme raison ledit Henri en auoit moins. Car il estoit non seulement bastard, mais fratricide: & en tel cas estoit heritier desdits Royaumes Fernād Roy de Portugal, rierepetitfils dudict D. Sancho: [Page 43]ainsi qu'estoit le Roy D. Pierre son cousin remue de germain, & cousin germain aussi. Car Beatrix mere de Pierre estoit soeur de Pierre pere dudit Fernand. A ceste cause Samora, Toro, Ciudad-rodrigo, & autres citez & villes des Roy aumes de Castille & de Leon appellerent ledit Fernand, & luy osfrirent de le receuoir pour Roy. Specialement le Royaume de Galice, qui estoit tout resolu de se rendre.Histoire du Roy Fernand, 1369. Et pour ceste raison Fernand fut en persōne prendre possession de la Crougne: & se fust aussi bien ensaisiné des autres places, si les Portugais y eussent voulu consentir. Lesquels de propos deliberé s'opposerent au desir & à la volonté de leur Roy Fernand; & ce pour deuxiraisons. La premiere, pource qu'ils auoient bien experimenté que Fernand auoit grand'faute de la valeur de son pere & de ses ayeuls. La seconde;Les Portugais one mauuaise opinion des Castillans. pource que la nation Castillane est si maligne & si peruerse (ainsi que lesdits Portugais tiennét pour maxime entre eux-mesmes) qu'il est dangereux d'auoir affaire auec eux; voire mesme commandemēt sur eux, comme nous auons dict cy dessus. Si maligne & peruerse di-ie, que le venim & poison d'icelle s'espand de telle sorte, que ceux qui sont sur leurs confins & lisieres, sentent mesmement la reuerberatiō de leur malignité: tellement q'aucuns d'iceux quand ils abandonnent leur patrie,Malignité des Castillans. & se retirent en terre estrangere, sont plus meschans, plus dangereux & plus à craindre que les Castillans mesmes.
L'an 1474. apré la mort de Henri 4. Roy de Castille, Isabel sa soeur, femme de Fernand [Page]Roy d'Aragon s'empara tyranniquement des Royaumes de Castille & de Leon,Castille tyrānisee pour la 4 fois, & Leon pour la 3. auec les seigneuries annexees. & des autres seigneuries, excluant Iane fille dudit Henri son frere. Laquelle l'an 1461. auoit esté recognüe Princesse & heritiere desdits royaumes en default de masles, en pleine assemblee des trois Estats, qui à ceste fin furent assemblez à Madrid, par le commandement de son pere. Et les premiers qui presterent le serment de fidelité, & la recouurent és qualitez susdites,Garib. lib 17, c. 8, fut l'Infant D. Alphonse, & ladicte Isabel, frere & soeur dudict Roy, & consequemmēt tous les autres firent le semblable, selon leur ordre. Et depuis elle fut pour la seconde fois reconüe Princesse & heritiere desdits royaumes en Val-de-Loçoya, apres enquestes exactement faites sur la legitimation de ladicte Princesse, faictes par le Cardinal d'Albi François: qui pour cet effect estoit venu en Castille, par le commandemēt du Roy Louys XI. de France. Lequel en presence de tous les Princes & Seigneurs du Royaume, fit premierement iurer la mere, & luy demanda si la Princesse D. Iane sa fille estoit fille du Roy son mari. A quoy elle respondit auec serment que ouy. Secondement le Roy, qui faisant le mesme serment, protesta qu'il croyoit & asseuroit que ceste Infante Domne Iane estoit sa fille, & qu'en toute certaineté il l'auoit tousiours tenüe pour telle depuis qu'elle vient au monde. Et partant vouloit & commandoit que le serment acoustumé en ses Royaumes, de la fidelité & obeissance qui est deue aux aisnez des Rois, luy fust faict. Ce sont les mesmes paroles d'Estienne [Page 44]Guaribay, Hierome Surite, qui est encore viuant,Guarib. I. 17. ca. 24 Hier. Sur. en la gen. hist. d'Espagne. raconté ceste histoire fort distinctemēt en son histoire generale d'Espagne: & comme Henri rendant l'esprit, maintint qu'elle estoit sa fille, & qu'il commanda à son confesseur de le reueler en public. Et ledit Guaribay afferme que Henri se confessa l'espace d'vne bonne heure deuant que rendre l'ame: & que tranquille de sens, sain & rassis d'esprit, apres auoit nommé les executeurs de son testamēt & derniere volonté, les declarant gouuerneurs du Royaume; & commandant que de ses ioyaux & thresors fussent payez ses seruiteurs & domestiques: nomma pour son heritiere vniuerselle ladite Princesse Iane, l'appellant sa fille, & la recommandant de toute son affection ausdits gouuerneurs.
Ce que dessus montre clairement que le Royaume de Castille en moins de 258. ans, à este tyrannisé quatre fois; & celuy de Leon, trois: & tous les autres Royaumes & seigneu ries qui en dependent semblablement, lesquels le Roy Philippe possede iusques au iour present à tresiniuste & tyrannique tiltre.
Aussi par les histoires de ces mesmes Autheurs, & d'autres, se peut voir vne chose digne de remarque: c'est que quand il est interuenu differend sur ladite succession. ceux qui se trouuoient en possession; se sont tous preualus du droit des despouillez; qui est la plus grande tyrannie qui puisse estre, & pour le donner à entendre,En la vie de Ian 1. Roy de Castille. l'allegueray seulement deux exemples.
Rodrigo Sanches Euesque de Palance raconte, que Ian 1. Roy de Castille & de Leon [Page](duquel nous auons desia parlé) voyant que Ian de Gand Duc de Lancastre pretendoit lesdits Royaumes de Castille & de Leon luy appartenir pour la raison que i'ay,Considerez la ru se de Ian. cy-dessus alleguée, disoit pour se defendre, que lesdits Royaumes luy appartenoient de droit, pour estre fils de Iane, & petit-fils de D. Iuan Emmanuel, & de sa femme, qui estoit fille de Fernand de la Cerda legitime heritier desdits Royaumes, son frere Alphonse estant mort sans enfās: & pour ceste cause il les tenoit en bōne consciéce, & non pour les auoir euz de son pere, q̄ luy mesme cōfessoitestre bastard.
L'autre exemple est de mesme: en vne assemblee des Princes, Seigneurs & principaux personnages tenue en la ville de Trogillo, pour prester serment de fidelité à Fernand 2. Roy d'Aragō, & à Isabel sa femme Royne de Castille: ledict Fernand pretendoit preceder ladite Isabel, & estre reconu pour principal heritier des Royaumes de Castille & de Leō, non comme mari de ladite Isabel,Finesse de Fern. mais comme descendant en droite ligne masculine & legitime des Rois ses predecesseurs: parce qu'il estoit fils de Ian, petit-filz de Fernand, & rierepetitfils de Ian premiex, lequel du costé de sa mere Iane petite-fille de Fernand de la Cerde (comme a esté dict) estoir vrai heritier desdits royaumes. Isabel conoissant l'intention ou ambition de Fernand son mari, resolut d'ēployer toute sa force & puissance pour defendre son droit: & pour repliques disoit que cela pouuoit auoir lieu si les fēmes n'auoyent point este admises à la successiō de ces Royaumes là mais puis que la coustume [Page 45]se pratiquoit au contraire, sondit mari ne la pouuoit preceder. Et pour preuue de son dire, nomma quelques femmes qui auoyent succede esdites couronnes. entre autres, Catherine fille de Constance & de Ian Duc de Lācastre susdits: laquelle asseuroit auoir esté admise & receue à l'heredité comme petitefille de son ayeul Pierre, & que Henri mari de ladite Catherine, ses ayeulx, auoit eu droit par le moyé de ladite Catherine sa fēme. Par ces raisons Isabel fut preferée à Fernand, & reconnue cōme vraie heritiere desdits Royaumes de Castille & de Leon, & luy comme son mari & compagnon seulement. C'est ce q̄ dit Marin Sicilien. En ceste assemblée d'Estats Fernand se voyant Roy & Seigneur de plus des deux tiers d'Espagne de-par sa semme,Marin Sicilien. & de-par soy mesine aussi, ioint qu'il auoit là presens tous les Seigneurs & deputez des citez & villes, qui leur estoyent subiettes, tasche par tous moyens de se faire tirrer Roy d'Espagne: mais ceux de l'asseblee n'y voulurēt iamais cōsentir; ains au cōtraire s'y opposerent tāt qu'ils peurēt, & dōnerent aux Rois de Castille vn nouueau tiltre, lequel retient encore auiourd'huy Philippe, augmentāt les Royaumes & seigneuries qu'y surperent en suite ledit Fernand, & Charles 5. son pere.Phillippe poussé de l'ambitis de ses ancestres se fait appeller Roy d'Espagne.
'[LE TRAD, Philippe poulsé du mesme vent de l'ābitiō de son bisayeul, & de son pere & du desir qu'il auoit d'vsurper ce titre de Roy d'Espa (vayāt q̄ les Royaumes d'Esp. ne le luy vouloiēt point accorder: & q̄ és Estats qu'il taint en Port. l'an 1581. en la ville de Tomar, il fut expressemēt defendu: & qu'il auoit iuré luy mesme de ne le predre plus à, l'aduenir) fit neātmoins tyrāniquemāt grauer en la mōnoyequi [Page]se bat es Indes & en Flandres, ces mots, Philippus Hispaniarum Rex; à l'imitation aussi dudit Fernand son bisayeul, qui print tant de peine pour gagner, ou plustost vsurper ce tant honorable tiltre, que beaucoup d'estrangers luy donnent liberalement, pour ne sçauoir ni vouloir sçauoir quel auantage en reçoit le tyran. & quel detriment en patissent les Seigneurs, les peuples & les prouinces d'Espagne.
De là se void clairement la tyrannie des predecesseurs du Roy Catholique à present regnant. le droict qu'ils reiettoyent en vn temps, pour tyranniser les Royaumes, ils le recerchoyent puisapres pour retenir ce qu'ils auoyent iniustement vsurpé. Chose certes qui nous induit plutost à gemir & lamenter qu'a prendre plaisir & delectation de voir des Princes sur la terre, qui portent le tiltre de Catholiques, si mauuais Chrestiens neantmoins & tyrans si insupportables, tel qu'est ce Philippe Roy de Castille. Pour cette cause les Ecclesiastiques & Reguliers de Portugal le haissent tant, [...]mmā ment [...]x Eccle [...]stiques [...] Regu [...]rs de [...]mmer la Mes expres [...]ment [...]illippe. que commandement leur ayant esté faict, qu'en certaines prieres qu'ils font en la Messe & es heures canoniques, ils nommassent expressement Philippe (car il sçauoit bien que nommans indeterminémēt le nom de Roy, ils entendoyent en leur coeur Antoine) ils le prindrent en si mauuaise part, qu'ils ne se peurent aucunement resoudre à ce faire. Mais se voyans en fin pressez par le commandement des Euesques & Prelats, le nommoyent auec tāt de regret & d'indignité que i'ay honte de le dire. Toutesfois parce que quand les choses viennent à propos, & sont du mesme suiet, ioint que celuy qui les [Page 46]refere ne merite pas d'estre blamé pour les reciter, a cause qu'il est oblige [...]de les representer en la forme qu'elles sont passees; l'ay delibere de vous raconter deux exemples concernans le sujet que nous traittons.
Le commandement de l'Archeuesque de Lisbone fut publié par toutes les Eglises de ladite cite l'an 1582. le premier de lanuier; & le iour des Rois ensuyuant vn certain Curé disant la grand'Messe parochiale auec grāde pompe & solemnité l'Eglise pleine de gens, comme il veint à la fin de l'oraison qui se dit apres Gloria in excelsis, chantant ces paroles, Et famulum tuum Regum nostrum, il s'arresta tout-court, & se tournant vers les Diacre & Sousdiacre, leur demanda tout hault, dites moy, dites moy comment s'appelle ce Diable? Et eux luy respondans, Philippe; il le nomma Philippum &c. & poursuiuit sa messe.
Au mesme temps aduient qu'vn Religieux de S. Dominique faisant mention du Roy en vne priere sans le nommer par son nom de Philippe, & luy estant commandé par son Prelat en vertu de sainte obedience, qu'il le nommast par son propre nom; alors il le repeta disant, Et famulum tuum Regum nostrum Philippum, Ducem Albensem, Sanctium de Auila & Rodericum Sapata, ceterôsque omnes Diabolos, &c. c'est à dire: Etton seruiteur nostre Roy Philippe, le Duc d'Albe, Sancho d'Auila, & Roderic Sapata, & tous ces autres Diables. Ayant conté cecy à vn Seigneur de qualité, à qui i'auois communiqué la pluspart de ce discours, il s'esmerueilla fort, & s'escria: Iesus, les Prestres & Religieux de Portugal haissent-ils [Page]tant fa Maiesté Catholique? C'est chose estrange, & m'esbahis bien que l'ayans en si grande haine, & eux estans si puissans en ce pays là (car la pluspart d'eux sont fils de Seigneurs & Gentilshommes, mesmes quelques-vns de Princes) qu'ils ne font esle uer le peuple contre ce tyran. Ie luy respondis: La cause est par ce qu'en matiere de se sousleuer, quoy qu'auec iuste subiet, les Portngais sont fort patients & endurants de leur Prince, [...]aturel es Por [...]ugais. & vont aussi mal volontiers à la guerre (quoy qu'y estans ils soyent tres-bons soldats) comme si l'on les menoit au gibet. Toutes-fois s'ils s'esléuent vne fois contre le Castillan, ils se defendront de telle façon, qu'il ne les suppeditera iamais plus. Le tout est de se resoudre & mettre la main à l'oeuure; s'ils en viennent là, ie croy qu'ils feront entre Portugal & Castille vn si grand mur, que ceux de la Chine firent anciennement entre eux & les Tartares; pour complaire an desir de l'ame de leur Roy Ian. 2. nommé l'Homme & Roy de la Paix: lequel fut le fleau & le chastiment des Castillans: & à cause de luy se dit encore en prouerbe, [...] 2. Roy [...] Portu [...]l, Fleau [...] chastié [...]ent des [...]astillans Sile poullet ne fust venu, le coq eust este prins. Cetuy-cy cognoissāt sa maniere, sa vie & ses actiōs tyranniques, disoit qu'il desiroit de voir entre Portugal & Castille vn mur si haut, qu'il touchast au Ciel, asseurant que ce qui luy donnoit plus de peine en ce monde, estoit qu'il se faschoit de ce que le Soleil passoit en Castille premier que de venir en Portugal:ascherie [...] Roy [...]n. & ce qui luy faisoit perdre patience, estoit qu'il n'y auoit point de remede. Ce Seigneur, luy ayant conté toutes [Page 47]ces choses, me remerciant dit: Certes ie suis bien aise, & vous rends graces de m'auoir apprins ces petites particularitez, par ce que sont choses dignes de memoire, & que ie n'ay iamais veu n'ony auoir esté escrites. Mais ie ne puis entendre que veut dire le prouerbe susdit, Si le poullet ne fust venu, le coq eust este prins, comme aussi ce que vous auez dict de la loyauté d'Auila & Simancas en Castille: de Celorico & du chasteau de Coimbre en Portugal: & du Roy de Castille, & des Castillans, & des citez & villes. Monsieur (luy dis-ie) ie le vous declairerois fort volontiers, mais ie crains que l'on ne me blasme de faire de trop longues digressions, d'autant que ie ne conois pas si mal le naturel des hommes, que ie sois ignoranten combien de parties dece mien discours ils me puissent accuser. Et pourtant ie vous prie de me permettre que ie face fin: puis au bout de ce traitté ie satisferay à vostre desir particulierement & à loisir. Car ie vous asseure q̄ ie me trairois icy de beauconp de choses, n'estoit qu'il est besoing de les dire & publier pour parvenir à mon propos & intention, laquelle ie croy que vous Messieurs les François, & vous aussi Messieurs les Princes de l'Europe (qui estes tous fort interessez en la grandeur du Castillan) embrasseriez à pleines brassees & gaie ment, si vous n'auiez perdu le iugement & l'entendemēt Or poursuiuons nostre preuue & demonstration de la tyrannie du Roy Philippe soy disant Catholique.
Nous auons desia montré comme le Roy [Page]Philippe par vsurpation & tyrannie non solùm in modo, sed in genere. (comme dient les Iurisconsultes) de ses predecesseurs, possede les Royaume de Castille, de Leon, de Galice, de Tolede, de Seuille, de Cordoua, de Mourcia, &c. auec quelques prouinces contenues es destroits de son Royaume: Venons maintenant aux Royaumes d'Aragon, de Valance, Comtez de Barcelone, de Cerdanie & de Roussillon, isles de Maillorque & Minorque, & Sardaigne.
Fernand Infant de Castille, ayeul de Fernād sus-nommé vsurpa tous ces Royaumes & Seigneuries,Aragon, Valence, &c. tyrā nisez. dont il priua Isabel Comtesse de Vrgel sa tante, soeur de sa mere: laquelle Isabel eut aussi vne fille, nommee Isabel, qui fut mariee auec D. Pierre Infant de Portugal, fils puisné de lan le Bastard Roy dudit Royaume. De Pierre & Isabel nacquit le Sainct Dom Pierre, Cōnestable de Portugal. lequel Dom Pierre a cause du droict de sa mere & de ses ayeulx;Le sieur D. Pierre Conne [...]table de Portugal, & Roy d'Arragō [...]mpoison [...]é par Iā. fut appelle & reconu par les Catalognois pour leur Roy & Seigneur. Et apres auoir regné sur eux plus de cinq ans, fut empoisonné par Ian 2. de ce nom, fils de Fernād premier, que nous venons de nommer, successeur d'Alphonse Roy d'Aragon son frere aisné.
Ce Ian fut tyran, & reteint le Royaume de Nauarre tyranniquement, depuis la mort de la Royne Blanche sa femme heritiere dudit Royaume, contre le droict de Charles son filz, à qui venoit le Royaume par la mort de sa mere: comme il escheut à Louys Hutin par la mort de sa mere Iane, qui mourut 8. [Page 48]ans auant son mari Phillippe le Bel.Charles IIII. vray Roy de Nauarre empoisonné par sa marastre A cette cause ledit Charles Prince debōnaire & vertueux, eut de grands differends & procez auec son pere, qui le fit empoisonner par sa marastre Iane fille de D. Fadrique 2. Admiral de Castille.
[LE TRAD. La grand,-mere du Roy Phillippe du costé de son pere Charles, estoit petite fille de ce Ian & de cette Iane, desquels principalement il a apprins & retenis l'art & science d'empoisonner si parfaictement, que non seulement audit Ian ayeul de sa grand mere, & à ladite Iane sa femme: mais à tous ses predecesseurs, quels qu'ils ayent esté, il donnera au mesme art & science 45. & faute, sans perdre aucune partie.]
De Pierre Connestable de Portugal, & Roy d'Aragon n'y eut point de lignee legitime. Car la lignee d'Isabel sa mere fut esteinte en Ian 2. Roy de Portugal: à cause dequoy le droict de ce Royaume, & toutes les seigneuries qui en dependent, viennēt & appartiennent aux serenissimes Ducs de Lorraine, comme vrais heritiers d'Yolande, duchesse d'Anjou, femme de Louys, ayeul en 5. degré dudit serenissime Duc de Lorraine auiour-d'huy viuant.Duc de Lorraine vray heritier d'Aragō. &c. Laquelle Yolande estoit fille legitime de Ian Roy d'Aragon (fils aisné de Pierre le Ceremonieux Roy dudit Royaume, qui estoit aussi pere de Martin, qui regna depuis ledit Ian son frere aisne) & vraie heritiere de cette couronne, & de tout son domaine par la mort de sa soeur aisnée, femme du Comte de Foix, duquel elle n'eut ne fils ne fille.
Nauarre vsurpé.Le Royaume de Nauarre fut vsurpé, comme dient les historiens mesmes Espagnols, [Page]sur fauses informatiōs, par Fernand bisayeul du Roy Philippé: lequel Fernand fut vn des maistres de Machiauel, ainsi que Barthelemi Philippe le donne à entendre au liure qu'il a faict imprimer l'an 1585. où il dit ainsi.
Les Princes qui sont resolus de se preualoir des armes, Lab. de cō [...]il, & consiliariis Principū, disc. 14. paragr. 11. doiuent imiter le Catholique D. Fernand 5. du nom Roy de Castille, qui se tenoit à quartier (comme lon dit) pour contempler les guerres que les Princes Chrestiens se faisoyent les vns aux autres, & voir quelle issue & quelles forces elle-auroyent, pour aider & fauoriser les plus foibles, & ne souffrir agrandir en Italie le pounoir de ceux qui pretendoyent en estre Seigneurs: & si n'entroit point es ligues que les Princes Chrestiens faisoyent▪ s'il n'en tiroit quelque proufit. Pour ceste cause il ne voulut pas faire la guerre à Louys Roy de France, C'est le [...] 11. du nom, Auisez Sire: considere, Princes & Potentants. quand le Pape Iule, l'Empereur & les Suisses la luy faisoyent: parce qu'il sembloit qu'il n'auois aucun proufit à la diminution de ce Royaume si ceux qui le persecutoyent, s'aggrandissoyent: & croyant que le Roy de France vouloit augmenter son Estat en faisant la guerre au Royaume de Naples, fit ligue auec l'Empereur & le Roy d'Angleterre contre le Roy de Frāce. Le liure dōt ie parle a esteé dedié par l'Auteur à Albert Cardinal d'Austriche, estant Viceroy de Portugal, qui estoit troisiesme petitfils dudit Fernand du costé paternel & maternel.
Portugal & son do maine tyrannifés.Comme Philippe a tyrannisé & vsurpé le Royaume de Portugal, & les seigneuries qui en dependent, faisans vne grande monarchie mal conue des Princes estrangers, les liures le chantent, & les Vniuersitez de Coimbre, de Boulogne, de Pise; & plusieurs doctes personnages l'ont adiugé à Catherine Duchesse de Bragance en Portugal, fille legitime de l'Infant D. Edouard frere de la mere de sadite [Page 49]maiesté Catholique.Enfans de Cather. Duc. de Brag. le Duc The [...] dose, Eduard, Alex andre & Philippe. laquelle Catherine est encore auiourd'huy viuante, & à quarre fils fort Catholiques, scauans, beaux & courageux, & deux ou trois filles. Et l'Vniuersite de Pauie l'a adiuge à Raynuncio, à present Duc de Parme, fils de Marie soeur aisnée de ladicte Catherine, ladite Marie estant morte long temps deuant Henri son oncle.
Ie pense auoir clairement & suffisamment montre la tyrannie qu'a sousfert toute l'Espagne sous les predecesseurs du Roy Philippe le Catholique,Voyez lè liure de Ft. Bart. de la Casa. & celle que les Indes Occidentales ont pati sous luy, comme aussi tout ce dont il se qualifie Seigneur, par quel tiltre & pretexte ils ont esté gagnez, encore que cela soit conu mesmement aux petits enfans, qui le crient par les rues, & de Naples, Sicile, Milà, Vltrec. Gueldies, & Zutphen, & les autres Prouinces des pays bas & terres d'Alemagne, tyrannissees des le temps de son pere & ayeulx, en font foy. Et me semble auoi [...] biē prouué par ces histoires & exemples, que la tyrannie est le premier & principal heritage de sa maieste Catholique D. Philippe d'Austriche, & qu'elle luy est aussi propre & naturelle comme la risibilité à l'homme, & qu'elle luy conuient proprement & inseparablement. Puis donc que nous auons faict cō noistre sa tyrannie, il me semble n'estre pas hors de propos, ROY Tres-Chrestien, de traicter quelque chose touchant sa cruaute, d'autant que l'Espagne n'en esprouua iamais de semblable, comme sa chair & son sang l'a trop que bien experimenté.
Les liures, les hommes, & ses meschantes actions publient & tesmoignent par tout sa cruaute. Si Iules Caesar (comme l'on dit) fut cause de la mort de plus d'vn million d'hommes; ceux qui ont conoissance des deportemēs de ce tyran, confesseront qu'il en a faict mourir beaucoup plus. Caesar fut extremement fasché de voir Pōpee son ennemi mort: & voyant son cachet & son anneau, à l'imitation d'Antigonus, qui tança aigrement son fils Alcyoneus, lequel luy presentoit la teste de Pyrrhus mort à l'entree de la cité d'Argos (filiùmque nefarium & barbarum vocauit) se print à plorer de compassion:Plutareh tellement qu'il se resolut de faire la guerre à Ptolomee, a cause qu'il auoit tué Pompee proditoirement: & fit tant qu'il le fit en fin mourir luy mesme. Philippe au contraire non seulement ne se fasche de la mort de ses seruiteurs & amis, cousins, nepueux, frere, fils, & femme: mais s'en esiouit, la procure & l'auance, donnant grande somme de deniers & gages excessifs, & faisant grand honneur aux bourreaux & ministres de sa cruauté. Et pour assouuir sa pernicieuse ambition, quand il y a quelque chose, pour petite qu'elle soit, qui le touche, il ne fait aucune exception de personne, soit Pape, Nunce, Euesque, Moines, & autre Ecclesiastique. Il les empoisonne tous sans crainte de Dieu ny honte des hommes.
[LE TRAD. Seruiteurs & amis. Les Comtes d'Egmont & de Horne, le Seigneur de Montigny, & le Marquis de Bergues, auec plusieurs autres Seigneurs & gentils-hommes, desquels le sang est encore tout frais, Le prince d'Oranges, M. Antoine Colonne, D. Ian de la [Page 50]Nuça grand Iusticier d'Aragon, le Duc de Ville-Hermose, le Marquis de Fuentes, D. Ian de Lune, &c. Cousin. L'empereur Maximiliā. Nepueux. de par ses soeurs, D. Sebastian Roy de Portugal, & D. Alexādre Farnese Duc de Parm [...] D. Ian Duc de Bragāce. Frere. Le Seigneur D. Ian d'Austriche. Fils. Charles son aisné. Femme. Isabel, soeur des 3. derniers Rois de France defunts. ixte. 5. Alexandre Formenti Nunce en Portugal enuoyé par Gregoire 13. retournant dudit royaume à Rome, & passant par Castille. Euesques▪ Moines & autres Eccl. Dō Barthelemi Carrance Archeuesque de Tolede, duquel nous auōs desia parlé, soacute; Maistre, Archeuesque de Tolede. homme de si grande auctorité & excellence, que par l'espace de plusieurs ennees l'Espagne n'en produira de semblable. Ce bon Catholique fut cause de sa prison, si dure & longue comme tout le monde sçait, Ce bon Chrestien à l'imitation de Neron persecuta ce personnage auec tant de haine & rigueur, iusques à tant que l'ennuy & fascherie le firent mourir à Rome. Hector Pint [...]. Le Docteur Fr. Hector Pinto Prouincial de l'ordre de sainct Hierosme en Portugal, & Professeur ordinaire de la S. Escripture en l'Vniuersité de Coimbre, duquel l'erudition & doctrine est suffisamment attestée Catholique, quelques siens amis (mais affectionnez au parti Castillan) le supplierent de vouloir retracter ce qu'il auoit leu publiquement & presché; & dectarer que sudite Maiesté estoit legitime heritier dudict Royaume de Portugal, Ce qu'il ne voulut faire, nonobstant toutes les prieres & remonstrances de sesdits amis, respondant, Ce que i'ay dict ie l'ay dict: & est veritable que Philippe n'a point de droict en la succession de ceste couronne: & l'enuahissant par telle maniere qu'il a fait, sans attendre la decision de la cause, il commet violence & tyrannie. Et partant ie ne le reconnois point pour mon Roy, mais plustost pour tyran & vsurpateur. Surquoy [Page]ses amis luy firent entendre que ce luy estoit chose perilleuse à soustenir. Car (difoyent-ils) ils vous emmeneront en Castille pieds & poings liez, chargé de fers, & vous feront languir en misere, puis finalement mourir sans esperance de iamais reuoir Portugal. Ausquels il respondit: Ie m'en soucie fort peu, combien que ce me soit vn extreme regret de finir mes iours hors de ma chere patrie: & qui pis est en Castille. Et vous proteste qu'encore que i'entre dedās le Royaume de Castille, iamais Castille n'entrera dedans moy. Et comme il persistoit en ceste fidelité à sa patrie & desadueu de Philippe, par son commandement luy fut donné le boucon, dont mourut ce pie, graue, docte & excellent personnage en la fleur de ses ans.
La mesme mesaduanture aduint à D. Laurent Prieur general des Chanoines reguliers de S. Augustin, D. Laurent. de la congregation de S. Croix de Coimbre, qui pour la singuliere prudence & religion dont il estoit orné, auoit par trois fois auec beaucoup de louange & dignité exercé cestè charge. Que dirons nous de la cruelle immanité qu'il a prattiquée en Portugal à l'endroit d'vne infinité d'autres notables personnages: notamment à l'endroit de ce tant venerable pere Fr. Estienne Leytan de l'Ordre des freres Prescheurs, Fr. Estienne Leytan. parent du Duc d'Aveyro, & du Duc de Leyria, & d'autres Princes & Seigneurs? lequel a par deux fois esté Prouincial, & trois fois Vicaire general de son Ordre. Et combien que tout le monde admirast la miraculeuse vie d'iceluy, tant y a que pour auoir à cor & à cri defendu le droict de sa patrie, ledit Philippe le fit prendre prisonnier, le priua de voix actiue & passiue, & mesme de l'exercice de prestrise. dont il mourut accablé de regret & fascherie. Lesquelles choses, & plusieurs autres il a commises alencontre d'vne grande quantité de personnes Regulieres, & Eccle. dont le nombre est infini. Tout les susdits ont esté mal traitez & mis à mort par le commandement & ordonnance de sa Maiesté tant Catholique, comme l'on sçait [Page 51]de science veritable & coniectures fort claires & euidentes. Peut estre qu'vn iour s'en fera vne plus ample histoire que celle-cy, qui ne contient que les voisins, encore non pas tous. Voyez vne epistre qu' Antoine Roy de Portugal enuoya au Pape Gregoire XIII. l'an 1584.
Voila comment il fait ses affaires, & comment il traicte auec le monde. Il n'y a pas long temps qu'il fut pris en la cité de Leō vn pacquet de lettres escrites de sa main, enuoyé au Connestable de Castille, dans lequel on trouua certains grains parmy les lettres: vn gentilhomme se doutant en donna à manger à plusieurs animaux, qui tous moururent incontinent. Autre chose semblable à ceste-cy est aduenue depuis peu de temps en la franche Comté de Bourgogne, en vne certaine maison où le Cōnestable de Castille auoit logé: apres son partemēt vne chambriere trouua vne pelote dedans vne belle bourse, dans laquelle pelote pensant trouuer quelque gros thresor, trouua des grains,Sçauoit est à la Royne d'Anglet. & au Prince Maurice Comte de Nassau, &c. fol. 216. pag. 2. 80. mil ducats pour tuer Antoine: desquels fut faite la mesme preuue, & tous les animaux qui en mangerēt, moururent. C'est ce tyran qui fait tout ce qu'il peut, & qui tasche d'oster la vie à vostre Maiesté Treschrestiene, & aux autres Princes, par des moyens si honteux & si abominables, qu'il n'y a homme qui n'eust hōte de les escrire, si ce n'est le messiré Hieronymo Franchi Connestagio, dont nous auons ia parle. Car il dit au 7. liure de son histoire, que Philippe apprecia à 80. mil Ducats la vie du Prieur (c'est à dire du Seigneur D. Antonio Roy de Portugal) comme rebelle & perturbateur du repos public. Quelle plus grande cruauté & tyrannie peult on imaginer?
Ainsi a-il traitté vn Prince sō cousin germain & encore son cousin remué de germain, tant de fois son parent, & si estroittemēt allie d'amitié que se sont portée les peres de l'vn & de l'autre, voire mesme eux deux, comme s'il eust esté voleur, larron. malfaitteur & homme de neant. Cette horrible & abominable cruauté ne se finit pas en Po [...]ugal, mais a passe les mers, & les mōts Pyrences, en France & en Angleterre, où il a employé tous ses moyens pour oster la vie aux Monarques desdits Royaumes. O barbare, ô abominable bourreau, n'as-tu point de honte? & si tu es Catholiqué, comme tu te qualifies, commēt ne sçais tu point quelle vergogne & quelle enormité c'est que de tuer? Dieu ne voulut pas qu'on touchast à Cain mesme, qui auoit massacré son propre frere, & commanda que si quelqu'vn estoit si hardi de le tuer, qu'il fust rigoureusement puni.Genes. 4. Omnis qui occiderit Cain, septuplum punietur. Et si tu le sçais. que ne gardes tu les commandemens de Dieu eternel? Les bonnes oeuures, ie ne di pas des Saints, ni des Chrestiens, mais des Idolatres, qui n'ayans conoissance de la vraie lumiere iuiuoyent seulement la simple loy de nature, ne te font elles nulle honte? ne te souuient-il point de ce que firent les Romains quand le medecin de Pyrrhus s'offrit à Fabricius de l'empoisonner:Pyrrhus. Fabricius L. Florus, Pomp. Mela. Lucas Tudensis. & comment ils traitterent le maistre des enfans des Falisques qui les veint offrir à Camillus? Si tu cuides que ces exemples là ne soient à propos, apprehende la sentence qu'ils donnerent contre Seruillius Caepio, lequel venant victorieux à Rome, & demandāt [Page 52]recompense & triomphe pour auoir en trahison tué Viriatus, & subiugué grand'partie de l'Espagne: ascauoir que ledit Caepio & les massacreurs estoyent plustost dignes d'estre chastiez, que recompensez: & qu'il n'estoit pas raisonnable de recompenser des morts & victoires acquises par argent. Quae victoria empta erat, à Senatu improbata, & percussores indigni praemio iudicati. L'on void en ce que i'ay dict, comme dans vn miroir, la cruauté de ce malin & peruers tyran, lequel plusieurs ne veulent conoistre tel qu'il està la reelle verité, ains au contraire sans consideration cō me aueuglez & obstinez le veulent par force bon gré mal gré gratifier. Et ce qui plus me fait perdre patience en ceci, c'est de voir & ouyr quelques vns qui esmeuz de zele indiscret, ou mauuais, peut-estre, conduits & deceuz par le Diable, estiment mauuais homme & tiennent quasi pour heretique celuy qui pousé de zele entier & iuste, publie ceste verité. De sorte que soit par crainte, ou pour interest, ou pour haine, ou charité mal ordonnée, ils estiment que ce soit plus mal fait d'accuser & reprendre les iniquitez publiques, que de les faire mesme. Quasi tous vous confesseront, tout ce qui se dit de la malice de ce tyran estre vrai: toutefois ceuxla mesmes diront que bien qu'il soit ainsi, c'est neantmoins tresmal faict de le dire d'vn Prince tant Catholique. Voyez ie vous prie quel aueuglement, & combiē cela est estrange & indigne d'vn homme Chrestien, prudent & iuste. Si c'est vne chose vraie & publique, pourquoy contre vostre conscience & [Page]au detriment d'autruy y contredittes vous▪ Ne sçauez vous pas que c'est vne meschante chose, & comme vn crime, de condemner la verité notoire?Nefariū est, vt maleficum, cognitam veritatē damnare & specialement en ces choses que par le commandement de Dieu & de la fainte Theologie nous sommes tenus de blasmer & reprendre. Or vous me direz que c'est chose raisonnable d'excuser les Princes en quelques fautes. quād ils sont douez d'aucunes notables & signalees vertus: & que iamais ne regna Prince en Espagne, qui ait tant donné de demonstration de bon Catholique, que sa maiesté Catholique dont il est question. Aucun n'a tant prouigné la foy Catholique, que luy. Aucun n'a tant aimé les Ecclesiastiques, ny tant reueré les reguliers. Aucun en somme n'a tant edifié de monasteres, ny basti tant de maisons d'oraison, ny exercé tant de liberalité enuers elles. Car outre les grandes & excessiues despenses qu'il a faictes en les editiant, il les a fondées de gros & riches reuenus, & honorées de fort auātageux priuileges. C'est bien dit Certes Messieurs, il me greue infiniment qu'il ne me soit permis de respondre sommairement à ces propositions, d'autant que chacune d'icellc [...] requiert vn plus ample traité que celuy lequel nous auons entre mains. Toutesfois ie ne lairrai pas de vous en dire quelque chose en passant, & vous monstrer que vous vous abusez en toutes icelles. Et pour commencer à respondre à la premiere, ie vous confesse que vous auez fort bonne raison. Quand vn Prince seroit Catholique, iuste, honneste & valeureux, sans estre liberal, il seroit raisonnable [Page 53]de luy pardonner ce defaut: ce que i'enteirs aussi quand aucune de ces vertus lesquelles sont conuenables & seantes à la Royale personne, luy manqueroit, & qu'il fust orné des autres. Ie n'oublie pas en ce subiect le cōmandement de Dieu;Iac. ca. 2. Quicunque totam legem seruauerit, in vno autem offenderit, factus est omnium reus. Mais ie parle en homme; & suis de ceste opinion, que si vn Prince estoit entaché de quelque grand vice: comme s'il estoit iniuste, ou cruel, ou tyran, ou mal viuant, &c. estant accompagné d'autres vertus; pour aucun desdits vices, quelque enorme qu'il soit, nous ne debuons point neantmoins nous reuolter ny tellement complotter contre luy, que procurions sa ruine (d'autant que pourchassans la sienne nous trouuerons tant plutost la nostre; la France l'a bien esprouué) mais nous sommes obligez de requerir à Dieu par prieres, ieusnes & abstinences, de luy faire misericorde & pardon, luy donner entendement pour euiter le mal, & iugement pour choisir le bien.Conscil salutaire pour les subiets vers leurs Princes. Histo. Lotharing. Qu'il luy donne vn coeur contrit & humilié, & le traicte en sa benignité, à celle fin que l'odeur de son sacrifice monte aux cieux, & que par sa clemence il reçoiue ses oblations. Par tels moyens les peuples de Lorraine obtindrent pour leur Duc Thierri fils de Guillaume frere de Godefroy & Bauldouin Rois de Ierusalem, Prince tyran, persecuteur de l'Eglise & mal traictant ses subiects & vassaux, de la misericorde de Dieu tant de grace que non seulement il reueint à soy & s'amenda: mais aussi restituant ce qu'il auoit mal pris, s'enferma dans [Page]vn monastere, là où par l'espace de quatre ans deuant sa mort il mena vne parfaicte & saincte vie. Plaife à Dieu que nostre grand amy Philippe le Catholique, à qui manquēt quasi toutes les vertus decentes à vn bon & iuste Prince, en face de mesme, restituant le bien d'autruy à l'imitation du Duc Thierri, non de Charles V. son pere. Prenez cela pour response à la premiere proposition.
Quant à la seconde; il est certain que Philippe a beaucoup auancé la foy és Indes Occidentales, d'autant que ce manteau & couuerture luy sert grandemēt pour augmenter son pouaoir & tyrannie▪ Ceste bonne oeuure se doit imputer à personnes deuotes tant siēs suiets qu'autres, plustost qu'à luy. Auisez comme il l'estend en Aphrique! Nagueres il a contre les institutions de l'Ordre de la milice de Iesus Christ & autres, faict paix en Barbarie auec les Infideles, pour auoir plus de commodité de faire la guerre en Europe cō tre les Chrestiēs. Que fait-il auiourd'huy cō tre le Turc? Il conniue & symbolise auec luy.
Quant à la troisiesme, les histoires racontent fort bien, & les hommes peuuent asseurer combien il aime les Ecclesiastiques & reuere les Religieux. En Espagne l'on n'auoit iamais en tout le temps passé faict mourir pour affaire d'Estat aucun Ecclesiastique ou Regulier. La plus cruelle & rigoureuse iustice que les Princes Arrians ayēt faict d'eux, pour estre contraires à leur party, fut de les emprifonner & reclure dans des monasteres. Vrai est qu'ils creuerent les yeux à quelques vns, & depuis autres Princes les firent mourir secretement [Page 54]en prison. Mais de gibet, ils ne sceurent iamais que c'estoir, smon depuis le regne de sa Maiesté tres-Catholique, laquelle ie croy estre telle: mais ie le conois pour tresmauuais Chrestien. Ie ne doubte point qu'il ne croye tout ce que nous enseigne la Sainte Eglise Catholique Apostolique & Romaine nostre mere: mais ie sçay fort bien qu'il n'obserue pas les preceptes du Decalogue, &c.
Quantau reste de vos propositions, combien que Philippe ait edifie grand nombre de monasteres, & plusieurs Eglises, les douant de riches reuenus: si ne lairray-ie nonobstant tout cela de la reconoistre pour vn tres-grand tyrā & trescuel Prince. Les historiens escripuent amplement de la cruaute de Brunehaut (encores que quelqu'vn la vueille excuser,Brunehaut fie mourir dix Roys en Frāce. & attribuer ceste faulte aux premiers escriuains) & afferment qu'elle fit mourir dix Rois, en France, & plusieurs autres personnes de grāde qualite. Aussi escriuent ils d'elle, qu'elle fit bastir si grande quantité d'Eglises, & les pourueut de si grands biens & richesses que c'est vne chose estrange. Voicy ce qu'en dit Gaguin: Tellement que si l'on veut parangonner la depense auec les moyens de Brunehault, Gaguin. certes on s'esmerueillera que ceste femme ait peu bastir en vn siecle tant de temples, & leur assigner à tous de bonnes rentes. Brunehault merite autre louange pour auoir vse de si grande liberalité enuers l'Eglise, que ne fait Philippe: d'autant qu'elle donnoit du sien, & Philippe donne de l'autruy. En Espagne l'on blasme fort ceux qui desrobent vn mouton, & en dōnent les pieds pour l'honneur de Dieu. Ainsi fait sa Maiesté [Page]Catholique. Il tire des Ecclesiastiques, Tercias. Subsidio, Pila, Escusado. De façon que de dix il en tire pour le moins cin (que) & plus luy paye vn Prelat que deux mille laboureurs ny que quatre mille gentils-hommes. Auisez comme il est liberal enuers les Ecclesiastiques! Par le moyen de ces pieds de mouton il edifie des monasteres & autres Eglises, & les doue de tres-gros reuenus. D'auantage qui est ce qui s'est mesle de vendre les villes & chasteaux, iurisdictiōs & vassaux de l'Eglise? C'est vostre grād amy Philippe tant vertueux & Catholi.
[LE TRAD. Tercias. Tercias, est la tierce partie de tout ce qu'vn Prelat reçoit de rente par chacun an de son benefice. Subsidio. Subsidio, c'est que des deux tiers qui luy restent, & d'autres reuenus touchans à son estat, il en pay [...] encore certum quid. Pila. Pila, c'est que de toutes les paroisses quí sont en Espaigne il prend le disme d'vn paroissien, s [...]auoir est du plus riche. Aucuns des Reguliers possedans heritages en la mesme paroisse, aident à paier pro rata ce tribut. Les Reguliers mesmes payent disme de tout ce qu'ils possedent, iusques aux pommes mesmes, auranges, & choux de leur iardin. Escusado. Escusado▪ est parce que les Ecclesiast. & Reguliers ne peuuēt porter les armes, pour en estre excusez, ils paient à sa Maiesté Catholique, vne certaine somme.
Ie sçcay fort bié que vous me repliquerez que les rétes des Eglises d'Esp sont si grādes & excessiues, qu'encores q̄les Prelats payent à leur Roy la moitie d'icelles, ils demeurent neantmoins tousiours riches, d'autant qu'il y a tel Prelat en Espa, qui iouyt de plus de rente par chacun an q̄ 50. ou 60. de Frāce. A cela ie respōds, q̄ bien qu'ainsi soit, sa Mt. Cath. ne peut despouiller l'Eglise de ses biēs, q̄ les Princes & personnes Cath. & deuotes luy ont dōnez. Et [Page 55]si le douaire donne à quelque Damoiselle est priuilege? cōbiē plus le doit estre celuy qui se dōne a Dieu & à nostre Dame & aux Saincts, qui visiblemēt & reellemēt ont cōbattu & se sont personnellemēt trouuez es batailles, faisans les miracles q̄ les histoires racontent? Et pourtāt puisque sā Majeste Cath. oste aux Eglises qui leur est dōne, pour les causes & raisons q̄ nous venōs de dire, il cōmet fraude & sacrilege. A çause dequoy peut-estre le payera il durāt sa vie, ou biē ses successeurs pour luy. Pour ceste mesme raison Nabuchodonosor tracassa plusieurs annees emmy les chāps en figure de beste brutte.Dan. 4. Dan. 5. Balthazar [...]on fils veid cest horrible prodige de la main escriuāt, cō tre la paroy sa mort & destructiō. Ananias & Saphira sa femme cheurent morts aux pieds de S. Pierre.Act. Apo. 5. Nous auōs beaucoup d'exēples de ceste matiere en l'escripture Saincte, & beaucoup plus és prophanes. Il y en a vne grande quantité en Espa. specialemēt en Castille. La Royne Dōne Virraca fille d'Alphōse 6. Empereur sortāt de l'Eglise S. Isidore de Leon auec les richesses qu'elle auoit enleuées leās, creua à la porte.Les communes hist. d'Espagne. Dom Alphonse le Guerrier son mari, pour semblable sujet fut vaincu par les Mores en la bataille de la Fraga, & en parut iamais ne vif ne mort. Le Roy D. Henri frere germain de la mere de S. Louys, estant garçon fut tué par hazard d'vne ruille dedans Plaisance. Aucuns atribuerent ceste mort au peu de soing qu'eut Héri de remedier en son tendre & ieune aage, aux extorsions que firēt aux Eglises les enfans du Comte D. Nugno de Lara tuteurs dudict Henri, & gouuerneurs [Page]de son Royaume: & occasionnerent ausdits tuteurs les desastres & mal-encontres qu'escriuent les histoires. Ces exemples bastent pour vous prouuer l'abus & nullite de vostre replique, & montrer que vostre Philippe mettant la main sur les rentes Ecclesiastiques, comme il fait, ne se peut excuser de fraude, sacrilege & tyrannie: & ainsi, qu'auec mauuaise conscience il vole le mouton d'autruy, combien qu'il en donne les pieds pour l'amour de Dieu. Sur tout ie vous asseure d'homme de bien, que s'il n'y auoit en la personne du Roy Philippe, que ces deux vices, asçauoir Tyrannie, & cruauté & qu'il fust vrai obseruateur du reste de la loy Catholique; ie vous excuserois de vostre aueuglement. Mais tenez pour certain que ses abominables oeuures ferōt mētir celuy qui sera si hardi de defēdre qu'il ne soit pas tel. Car cet ennemi & persecuteur general sous le manteau Catholique a plus faict de mal & plus d'insolences contre l'Eglise Romaine, que tous les autres persecuteurs quil l'ont prece, de. Voulez vous voir la preuue de vostre abus, & cōment il est tresmauuais Chrestien? Ostez les tayes & cataractes de vos yeux; ouurez les, & vous verrez comme il le montre auec le doigt.Le Duc d'Alençō. L'an 1575. ce Roy Catholique auerti que feu Monsieur faisoit de grāds preparatifs pour entrer auec main armee en Flandres, commença fort secretement à sonder quelques chefs & seigneurs de l'Eglise pretendue reformée des prouinces de Languedoc. Foix, Bearn, Bigorre, & du pays de la Bort proche de Guipuscua tout cōtre Fontarabie, [Page 56]pour sçauoir s'ils voudroyent point sous sa protection defendre leur liberte, leur promettant de faire venir des gents d'Alemagne contre le Roy Treschrestien,Offre faite pour Philippe à Mess. de l'Eglise pretendue pour faire la guerre au feu Roy. 1572. & de leur donner cinq cents mille escus tous les ans pour cet effect, & pour l'entretenement des Ministres de leurs Eglises; leur faisant glisser aux oreilles que l'entreprise de Flandre que le Duc d'Alençon faisoit, ne tendoit à autre chose que pour les attrapper & massacrer derechef, comme l'on auoit faict sous le Roy Charles 1 x. son frere, quand le seigneur de la Noüe fut prins, & le seigneur d'Iuoy mis à mort entre deux tables auec plusieurs autres seigneurs & gentilshommes. Il eut meilleur moyen de traitter auec lesdites Eglises, a cause qu'il y auoit beaucoup de Catholiques messez auec les Huguenors, qui tous se gouuernoyent selon les conuentions faittes entre eux, & vn grand seigneur François, & le seigneur de Chastillon, combiē que depuis ceste vnion fut rompue. Quelques vns des chefs presterent l'oreille à ses persuasions, d'autant qu'on voyoit lors qu'il s'alloit preparer vne grande guerre contre eux, comme elle ne tarda gueres du temps que Brouage fut pris: Ioint que lesdits chefs & seigneurs auec quelques ministres, estans entrez en vne grande ialousie du Roy Treschrestien, qui estoit lors Roy de Nauarre; & de feu Monseigneur le Prince de Condé, se resolurent secretement dans la ville de Montauban, d'appeller des protecteurs estrangers de la mesme religion. Et pour cest effect enuoyerent vn Ministre en Alemagne, feignans l'enuoyer à [Page]l'Eglise pretendue de Mets. Toutefois l'affaire fut descouuerte par vn des principaux Seigneurs nouuellement reduict à leur religion, lequel s'indigna fort contre son ministre: & parce qu'il auoit assiste à ceste deliberation, il pensoit qu'il eust este de cest aduis, luy reprochant qu'il s'esbahissois comment il se laissoit passer vne telle plume par le bec sans rire. Dequoy ledit Ministre s'excusa, & asseura ne sçauoir aucune chose de cest affaire. Mais cela fut cause de la rupture de ceste trame, joint qu'ils n'estoient pas bien d'accord entre eux du chef. Les vns desiroyent le Duc Casimir; les autres la Roine d'Angleterre; les autres le feu Duc de Sauoye, lequel iusques alors, qui fut l'an 1577. ne scauoit rien de ce quise passoit entre luy & les Ministres. Depuis ce temps là estant venu le ieune Duc à present dominant à la succession de son pere, auerti qu'il en fut, enuoya vers le Roy de Nauarre luy demander Madame sa soeur pour femme. vn nomme Seruin fut despesche pour cest effect, & apres luy vn Viconte, qui voyant grande difficulte en la demande, s'en alla par Bearn en Espagne, où il traitta le mariage de l'Infante D. Catherine, auiourd'huy duchesse de Sauoye, lequel mariage D. Amé frere bastard dudit Duc, mit depuis à effect. Ce mariage veint fort à propos à Philippe: pource que par ce moyē il s'asseuroit du Duc, qu'il n'entreprendroit rien en Portugal. où il scauoit biē apres la mort du Roy Henri auoir grande diuision entre les Portugais; d'autant que les vns vouloyent la Seigneure D. Catherine Duchesse [Page 57]de Bragāce, autres le Seigneur D. Antoine. & tous pour ne prendre l'vn des denommez, vouloyent ledit Duc de Sauoye, pour estre petit-fils d'vne fille de Portugal: lequel comme on dit, s'il fust alle depuis durant l'interregne en Portugal sur ce conteste, & pour n'admettre ni l'vn ni l'autre des susdits, eust este sans doute receu de tous les Portugais.
Au reste pour vous mieux montrer quel est celuy pour l'amour duquel vous vous perdez, & estes tant esueillez pour son seruice, i'adiousteray icy quelque chose touchant ce suiet: car il n'est possible de dire tout ce qui en depend. Il n'y a pas long temps que pour suyure les traces des bons & pieux Catholiques tel qu'il est, il rendit la cité d'Arzile, à Muley Hamet Roy de Marrocques, contre la volonté des Portugais qui y estoyent habitans, lesquels sans son aide s'obligeoyent à la defendre. Les Chrestiens estimoyent que Philippe faisoit ceste reddition, parce qu'il tenoit pour certain que ceste cite ne se pouuoit defendre contre la puissance des Infidelles, ainsi q̄ luy mesme donnoit à entendre, disant que le mal estoit moindre de la rendre sans hazarder les vies & les biēs,Raison pour laquelle Philippe rendit la cité d'Ar zille à Muley Hamet. q̄ la gardant mettre tous en danger. En quoy il les trōpoit fort malicieusement. Carla vraie cause pour laquelle ledit Cath. rēdoit ceste cite de Chresties aux Maures, fut pource qu'il l'auoit promis à leur Roy, à la charge qu'il ne prestastau Seign̄r D. Anto. son cousin germain Roy de Port. 200. mil escus qu'il auoit promis de luy prester par l'intercessiō de la Roine d'Anglet. [Page]Et pour ceste raison ledit D. Antonio enuoya son fils D. Christophle à Marrocques pour demeurer en ostage de ladite somme. Et de faict il y fut par l'espace de quatre ans. Voyez quelle oeuure tant Chrestienne & Catholique fit celuy que vous defendez comme treschrestien & trescatholique: lequel pour empescher qu'vn Roy beaucoup meilleur Catholique que luy, ne recouure le sien, detient si tyranniquernēt l'autruy, & l'oste aux chrestiens pour le donner aux Infideles. Que respondez vous à ceci? Ie vous fai iuges de vous mesmes. Pourquoy ne voulez vous pas reconoistre l'irreligion de cestuy vostre bien-aimé, la malice & peruersité de celuy que vous aimez tant? Cōsiderez & conoissez que vous estes prins & liez auec vne grosse chaine. & que abyssus abyssum inuocat. Psal. 41▪ Ie veux dire qu'vne faute en traine cent mille autres auec soy.
De defendre & maintenir vn mauuais homme, s'ensuit vn sinistre iugement d'vn bon. Cela se verifia fort bien du viuant de D. Antonio, & mesme encore auiourd'huy. C'est vne honte d'ouyr les abominations que les partisans de ce pretendu Catholique disoyēt & ne cessent encore de dire de ce pauure Prince defunct. Les vns l'appelloyent rebelle; les autres sans-repos & remuant; les autres sedicieux & ennemi de la Chrestienté, infidele & heretique. Y a il chose plus douloureuse, plus sensible, plus iniuste & plus indigne d'vn homme Chrestien? Comment osez vous contre les loix diuines & humaines traitter si mal vn Prince fils du plus grand Prince de son aage, petitfils de ce [Page 58]grand Emmanuel, dont les Princes de l'Europe se glorifient de tirer leur origine? Prince trauaille & affligé. Il a bien montré en son exil & aduersite qu'il estoit meilleur Catholique que vostre Philippe son cousin, moins ambitieux, sans colere, sans haine & plein de charité. Car s'il eust voulu recouurer son Royaume de Portugal auec plus honorables moyens que vostre Tyran ne le tyrannise, & detient encore auiourd'huy tyranniquemēt, il l'eust bien peu faire. S'il eust accordé aux Anglois de pouuoir en Portugal auoir exercice de leur religion, seulement és maisons particulieres, le Comte de Lecestre (aucuns l'appellent Comte de Lest) s'obligeoit de le remettre en possession de ses Royaumes & seigneuries. L'an 1589. quand il passa en Portugal auec eux, entre les accords qui furent faits, ne leur fut accordé autre chose qu'vne licence de viure en Portugal sans que les Prelats Ecclesiastiques les obligeassent d'aller aux Eglises faire l'exercice que font les Catholiques. Comme la Roine d'Angleterre traittoit au mesme temps les estrangers Catholiques habitans en son Royaume: ainsi accordoit il & ordōnoit que les Anglois fussent traittez en Portugal. Peut-estre que s'il se fust plus eslargi en cet endroit, les Anglois se fussent dauantage efforcez d'y demeurer. Mais il proceda si catholiquement auec eux, qu'ils en eurent defiance, & prindrent occasion de le souspçonner. Le Roy de Marrocques auiourd'huy regnant, duquel nous auons n'agueres parlé enuoya vn ambassa deur en Angleterre, pour traitter auec luy de la [Page]deliurance de Portugal, luy offrāt cent mille escus à payer incontinent à Londres, pour freter cent nauires & s'en aller en Barbarie, d'où il promettoit de s'embarquer, & passer auec luy en personne, & donner liberté à 7. ou. 8. mille Portugais Chrestiens qu'il tenoit en captiuité, lesquels estoyent fort bons soldats, afin de mettre le pied en Espagne auec eux & les pricipaux Cheualiers de Barbarie, & le remettre en possessiō de son Royaume. Ce que D. Antonio ne voulut accepter, [...]a cause [...]ur la [...]uelle An [...]ine re [...]sa le [...]oyen de [...]cou [...]er son [...]oyaume pour ne donner occasion aux Moresques (c'est à dire Mores qui sont baptisez & instruits au Christianisme) qui viuent en Aragon. Valence, Murcia, & autres quartiers d'Espagne (où le More asseuroit d'auoir 60. mille hommes à sa deuotion) de se rebeller & mettre les Chrestiens en pitié. Cela estoit plus dangereux & chargeoit plus le Roy Philippe que le Roy Antoine: auec lequel Muley Hamet desiroit faire vu traitté de paix fort auantageux pour les Royaumes de Portugal. D. Antonio refusa le tout, meu d'vn pieux & Catholique zele. Montrez moy que vostre D. Philippe en face autant. Il fit de grandes promesses à Dom Antoine, afin de le faire renoncer au droict qu'il auoit en Portugal, à cause de son eslectiō. [...]ffres de [...]hilippe [...] Antoi [...]e. Il le faisoit Viceroy de Naples auec 400. mil escus de rente, & la collatiō des offices & benefices. D'auātage Iuy donnoit 5. cens mil escus pour payer ses debtes & s'en aller à son gouuernemēt: s'obligeant de restituer en leurs premiers estats tout les Portugais dont il auoit confisqué & prins les biēs, pour auoir tenu son party▪ & qu'il auanceroit [Page 59]& recompenseroit ceux qui le seruoyent actnellment, & pardonneroit à tous en general. A quoy respondit D. Antoine, Qu'à Dieu ne pleust qu'il commist vne si grande faute: & qu'il aimeroit mieux mourir en vn hospital, que faire vne chose si enorme, meschate, iniuste,Antoina plein de conscience. & contre sa conscience par ce que les loix l'auoyent enseigné qu'il ne pouuoit contracter de la chose d'autruy. Car quand il futesleu à Sautaren, il auoit iuré, & depuis à Lisbone quand il fut confirmé par les deputez & des citez & villes de Portugal, qui vindrēt pour luy prester serment & faire hō mage: De ia mais ne s'accorder auec l'ennemy sans laisser Portugal en sa liberté. Cecy sert pour montrer combien meilleur Catholique, & combien moins ambitieux le Roy Dom Antoine a esté que le Roy Philippe. Quand à la cholere, haine ou charité d'iceluy, elle paroist en ce qui s'ensuit: Que beaucoup d'hommes se sont plusieurs fois offerts à Dom Antoine pour tuer Philippe: toutesfois il ne leur fit ia mais bonne receptiōn, alleguant que les Roys estoyent les oingts du Seigneur.Paroles fort chrestiennes d'Antoi. Et ores que le Roy Philippe mon cousin, aueuglé (disoit-il) de son ambition & tyrannie, me persecute & tasche de m'oster la vie: ie ne suis pas content toutessois, ny ne veux q̄ personne pour l'amour de moy attēte à la siene: & se garde demoy quicōque le fera. Qu'il face luy, puis que ses pechez l'aueuglēt ainsi, le Saul alendroit de moy: quant à moy ie protēste deuāt Dieu de faire le Dauiden sō endroit. Vn homme luy demandant vn iour vne faueur pour les bōnes nouuelles qu'il luy [Page]apportoit, asseurant que le Roy Philippe estoit mort; il luy rēspōdit à demi en cholere: Mon bon amy, ne sçauez vous pas qui est celuy que vous me nommez? Il est mon cousin germain. Aportez-moy nouuelles que i'aye S. ou 10. mille hommes fidelles & bien armez, auec bons & sages Capitaines, & toutes choses necessaires pour restaurer Portugal: & ie vous promets d'homme de bien de vous faire si riche & tant honoré en mon Royaume, qu'aucun gentilhomme ne vous deuancera. Allez, allez, apprenez à cognoistre le naturel des Princes. Messieurs que vous semble de ces exemples? Voyez vous maintenant que i'ay raison de dire que le Roy D. Antonio estoit plus Catholique & moins ambitïeux que le Roy Philippe, sans cholere, ny haine: ains au contraire plein de charite? Partāt ie vous prie pour l'amour de Dieu, q̄ d'icy en auāt vous voꝰ resoluiez auec sain iugement, pure conscience & sans aueuglemēt ou zele indiscret, d'embrasser le bien & reietter le mal. S'il est deshonneste, luxurieux & desbordé, ie n'en dis rien, pource que ce n'est le but de nostre traitté: & croy que le Prince d'Oranges en son Apologie en a dict quelque chose, & le bruit infame & detestable qui a couru & court encore par tout le mōde, en dit beaucoup. Dieu luy face la grace de se reconoistre & conuertir, rendantà vn chacun le sien deuant que mourit, mieux qu'il n'a restitué ce que lon dit que son Pere à l'heure de sa mort luy commanda de rendre & restituer.
Ie supplie SIRE, vostre Maiesté de m'excuser [Page 60]si ie me suis tant estendu sur ce subiet, parce que ie ne le fai pas sans cause, sçachant que pour venir à mon but, il m'est force & m'im porte de dire ceci. C'est chose propre & conforme à la loy de Dieu, & naturelle à la charité, de remettre en chemin les deuoyez, & descharger les innocents, encores que cela porte dommage aux meschants.
Si les raisons que i'ay alleguées, & les histoires que i'ay cottées, ne sont suffisans pour vous persuader & presser à faire incontinent d'vn commun accord & consentement vne bonne & gaillarde armee, & l'enuoyer en Espagne, pour non seulement resister maintenant à l'effort du Castillan, rompre la trace de ses desseings, abbaisser son orgueil, & ruiner sa puissance: mais aussi pour le brider à l'aduenir: Ie suis contraint de croire que Dieu vous a delaissez & abandonnex à cause de vos pechez & publics & particuliers: & qu'il vous a osté le iugemēt & l'entendemēt, afin que ne puissiez voir ce qui vous importe tant, & qui est du tout necessaire pour vostre salut. Tellement qu'estans si aueugles, & comme totalement estourdis, venez à tomber en vn abysme de tenebres, d'entiere destruction & totale ruine. Comprenez ie vous supplie, & conceuez ce que ie vous dis, & le considerez attentiuement. Car pour ce que ces annees passées vous auez mesprise le voyage de Portugal, & n'auez daigne donner ni secours ni faueur aux Portugais vos amis: auiourd'huy vous auez en France les Castillans vos ennemis. Au reste il vous seroit bien [Page] [...]neilleur & plus expedient, que la guerre se fist en Espagne, que non pas en France: & eussiez receu beaucoup moins d'incommodité de ruiner à feu & sang le terroir Castillan, que de voir prendre & gaster le François.
[LE TRAD. L'intime affection que i'ay à V.M. la loyauté deüe à vostre seruice, & le desir de l'augment atiō du bien & prosperité de la France, l'aage, la longue experience des affaires d'Estat, me donne l'asseurance & hardiesse de l'aduerir en passant de quelque chose à propos de ce que dit icy l'Autheur. I'ay n'agueres entendu par lettres de quelques miens amis, que le grand Roy de Tartarie (que les anciens historiens & Cosmographes appelent Magnum Can, Regem Regum & Dominum dominantium) regnant auiourd'huy, Prince tresprudent, braue & belliqueux, a deliberé. pour la grand deuotion qu'il porte à son grand Prophete Mahomed, dont il suit la secte, de passer auec grandes forces en la Meca, & se saisir du corps de sondit Prophete. Le Sophi estant acertené de ceste entreprise, Fol. 55. p. 2. lequel l'Autheur en son traitt [...] nomme Xatamà, tout incontinent a depesché des Ambassadeurs à Constantinople vers le grand Seigneur, auec lequel depuis plusieurs annees en ça il a de grandes guerres & continuelles inimitiez: pour le prier de vouloir ioindre ses forces auec les siennes afin de resister tous deux ensemble à la puissance du Tartare, luy remonstrant le dā ger qu'ils-peuuent & l'vn & l'autre encourir de perdre leurs Estats, ayans pour voisin vn si sage & si puissant ennemy. Que V.M. considere maintenant que si ces considerations cheent en l'entendement d'vn Barbare: combien plus ne doiuent elles point manquer à gens d'entendement! & qu'elle auise combiē luy proche voisin. Ioignez vos forces auec vos confederez, & faites ceste entreprise de telle forte que vous diuisiez le pouuoir & monarchie de l'ennemy. [Page 61]Ie ne dy pas que vous enuuyez piller ny saccager ceux qui viuent sous le ioug d'iceluy: absit. pource que cela tourneroit autant à son bien & proufit, qu'à nostre mal & dommage: d'autant que par nostre pillage & saccagement nous serions cause que ceux qui le haissent si fort, & qui non seulement ne le peuuent gouster, mais non pas mesme ouyr nommer, pour se defendre & vanger des dommages & extorsions qu'on leur feroit, se ioindroyent auec luy, & le seruiroyent auec amour & fidelité: & nous prendroyent en haine & feroyent du pit qu'il pourroyent. De maniere que nous, perdans nos amis, qui nous desirent assister, acquerrions des ennemis qui n'aspirent qu'à nostre destruction & ruine. Philippe au contraire au lieu d'ēnemis mortels qu'il a pour le iourd'huy, retrouueroit des amis pour luy aider à maintenir son ambition & tyrannie. C'est ce qu'il demande & desire (cependant il fait le regnard) & pour cest effect donnena de l'argent, à cause du bien qui en redonde. C'est chose bien certaine, qu'il desire extrement voir pauures & ruinez ceux desquels il se craint, &c. Ie croy que moins de paroles que celles-cy suffiroient pour donner à entendre à V. M. combien il importe conseruer gents mal contents & affligez: & combien de mal pourroit reiissir de les scandaliser. Ce que nous deuons faire, est de trauailler à mettre le pied en Espagne, & dans icelle nous fortifier, recueillant à nous les scandalisez & mal traittez par l'ennemy, les receuant auec humanité & caresses. Ainsi gagna Guillaume le Conquerant le Royaume d'Angleterre: lequel aussi par mesme maniere conquit en suite Henri VII. Plusieurs autres ont fait le semblable, voire vostre Maiesté mesme: laquelle occupant quelques places en Espagne, fera paix auec honneur, auantage & profit. Ce que ie di n'est pas contredire ce que plusieurs desirent sans considerer ce qui est expedient & necessaire a chose de si grande importance: ains montrer comme il se peut faire sans detrimēt, & auec [Page]l'vtilité de vostre Royaume & bien de toute la Republique Chrestienne. Le sainct Roy & Prophete Dauid, comme homme politique, nous conseille de prier Dieu pour les choses qui sont conuenables & necessaires à la paix de Ierusalem, sçauoir est l'Eglise militante: & consequemment nous commande de le faire. Psa. 121. Primò, rogate quae ad pacem sunt Hierusalem: Secundo, fiat pax (iamais le monde n'en ioüira si l'Espagne ne se diuise) in virtute tua. C'est à dire, en telle sorte que nous ne perdions vn iota de nostre estat, honneur, reputation & integrité & autres choses, dont ie me deporte, pour ne pertroubler le discours de l'Autheur.
Et quant à moy certes en cōscience ie doute si ie doibs rire ou pleurer d'vn tel & si extreme aueuglemēt, ne plus ne moinsqu' Annibal voyant la destruction de Carthage. Et si lo'n considere que ce ris ne procede que de la grand'douleur & regret que i'ay au coeur; ie croy certes qu'il sera plus à propos que vos larmes, vos cris & lamentations. Ie diray donc de vous ce que disoit Annibal des Carthaginois: Vous pleurez, vous souspirez, vous vous lamentez de voir vos villes prinses, vostre pays saccagé, vos fils, freres, parēs, compatriotes & amis tuez, & vos biens perdus: vous conoissez tous le remede, & confessez de le scauoir; & neantmoins il n'y a personne qui se resolue, ne qui s'auance pour le bien public, aussi bien que pour le particulier: personne qui parle ne qui die; Deliurons nostre pays, secourons nos amis, & iettons nos ennemis dehors. Ie feray ceci, ou ie donneray cela pour le public. Estes vous si reserrez pour si peu de chose qui vous rachepteroit & remettroit en paix & en repos, [Page 62]deliureroit vos amis, qui vous s [...]ruiront de rempat & bastion, ietteroit vos ennemis hors de vos prouinces, & les confineroit en vn coing, où ils craindroyent plus qu'ils ne vous mesprisent maintenant? Ie crains fort qu'auant bien peu de iours vous me confessiez auoir pleure pour peu de chose. Dieu vueille que ne suiuiez les traces d'Antiochus, lequel se voyant vaincu par les Romains, pour n'auoir suiui le conseil d'Annibal, fut bien esbahi, mais trop tard, & l'estima non seulement sage & prudent, mais aussi comme prophete, pour luy auoir prophetisé tout ce qui luy aueint depuis.
Resueillez vous ie vous prie, & considerez bien ce que ie vous conseille de faire pour vostre bien; & que celuy qui vous le dit, le desire comme seruiteur & ami, qui a autant de soing de vostre conseruatiō que de la sienne: & qui a dict & prophetise, (ainsi que pourront tesmoigner les principaux Conseillers d'Estat de France & d'Angleterre) tout ce qui est a duenu pour ce regard, qui a predit tout ce qui se perdroit en France, & mesme à quoy la chose à-venir se terminera, si l'on ne donne autre ordre aux affaires. Ie croy que s'ils en sont enquis, ils vous diront que i'ay passé le temps auec toutes les fascheries qu'il est possible, de voir que vostre ennemi prospere & s'enorgueillit par vostre propre permission, consentement & volonté, & pour ceste cause ie suis quasi tout resolu de laisser la conuersatiō des hommes, & me retirer en quelque montagne solitaire. [Page]Toutefois parce que ie scay tout ce qui s'est passe depuis vingt ans en-ça en la plus grande partie de l'Europe: ie vous dis comme scauant, que vous pouuez encore auiourd'huy recouurer tont ce que vous auez perdu, deliurer vos amis, & brider vos ennemis; voire mesme donner ordre que le temps àvenir vous soit plus heureux que le passe n'a este: & d'auantage ie vous asseure que depuis la perte d'Amiens, que ie pense venir de la main de Dieu comme de vostre Pere, qui par son amour paternel vous chastie pour vous resueiller: Ie me suis resolu de mettre par escrit ce que i'ay tant de fois prononcé de bouche à tant de signalez personnages, auant mesme qu'ils m'en priassent. C'est pourquoy fi ce mien escrit ne produit au public le bien & l'effect que ie desire: ie proteste de me taire du tout cy apres: Et neantmoins, SIRE, ie supplie tres-humblement V. M. Tres-crestienne, & tous les Princes & Potentats de l'Europe, voire tous les Seigneurs & officiers de vostre Couronne, qu'il vous plaise descendre en vous mesmes, & à loisir auec vostre prudence & sagesse accoustumée considerer que l'heur & la felicité ne consiste pas tant à conquerir des seigneuries & domaines pour le present, en intention de les laisser à vos successeurs, qu'à les asseurer & conseruer pour l'aduenir à vos enfans, à fin que quand il plaira à Dieu vous appeller, ils en puissent iouir en paix & tranquillite sans trouble ny empeschement quelconque. Parce que c'est vne bien plus grande vertu de [Page 63]conseruer ce qui est acquis, que d'acquerir choses nouuelles.
Le Pelerin Espagnol, batu du temps, & persecuté de la fortune.
Castellano inferam bellum, id si contra eum geras, me inter fidissimos habeto: si verù depace cum illo agas, alium, quicum rem deliberes, quaerito.
EXPLICATION DV PELERIN SVR LE PROVERBE, SI LE POVLLET NE fust venu. le coq estoit prins: & de la loyauté Auila & Simāchas en Castille, & de Celorico, & du chasteau de Coimbre en Portugal.
Item, quelle difference il y a entre Roy de Castille & d'Espagne: & qui sont ceux que nous appellons Castillans: & ce qui s'entend par citez & villes.
Si le poul let ne fust venu, le coq eust esté prins HENRI quatriesme Roy de Castille, dont nous auons parlé, prest de mourir nomma quatre executeurs de son testament pour gouuerner le Royaume apres sa mort, & marier sa fille D. Iane: deux desquels, sçauoir est D. Aluaro de Estugniga Duc de Areualo, & D. Diego Lopez Pacheco Marquis de Villena, ioints auec l'Archeuesque de Tolede nommé D. Alphonse Carrillo, Dom Bertrand de la Cueva, Duc d'Albuquerque, & le maistre de Calatraua, D. Rodrigo Telles Giron Comte de Vregne, D. Ian Telles Giron [Page 64]son frere Marquis de Caliz, D. Alphonse de Aguilar, & plusieurs autres seigneurs, auec quatorze citez, enuoyerent prier D. Alphonse l'Aphricain Roy de Portugal, à ce qu'il voulust prendre pour femme ladicte Royne D. Iane; ce que le Roy de Portugal accepta contre la volonté de plusieurs de ses Royaumes, qui ne se vouloient en aucune façon mesler auec les Castillans. A cause de ce mariage l'an 1475. D. Alphonse s'en alla és terres & pays de sa femme, où il eust plusieurs rencōtres & combats auec Fernand Roy d'Aragon, mary d'Isabel Royne pretendue de Castille, & auec ses gents, iusques à la bataille qui se donna pres de la cité de Toro en Mars 1476. qui fut ordonnée en ceste maniere. Le Roy Alphonse fit vn camp des seigneurs des Royaumes de Castille & de Leon, & quelques Portugais. Le Prince D, Iuan son fils qui l'estoit venu secourir, en fit vn autre de ses Portugais sans y mesler les Castillans. Le Roy Fernand fitaussi deux camps, l'vn des Castillans qui suiuoient son party & celuy de sa femme, & l'autre d'Aragonnois, Catalans, Valenciens & autres peuples & nations de ses Royaumes & seigneuries, duquel il estoit chef & Capitaine. Fernand rencontrant Alphonse le defit, & le vainquit, luy prenant son guidon royal, & leur fit quitter la bataille, & prendre la fuite.Victoire des Portugais. Le Prince D. Iuan donna si resoluement dedans les Castillans, qu'il les mit tous en routte, en tua plusieurs sur la place, & print beaucoup de prisonniers: & luy restant entier auec ses gents, d'vne grāde hardiesse & magnanimite assaillir Fernand [Page]vainqueur de son pere, le fit fuir, & recouura le guidon Royal que ledit Alphonse son pere auoit perdu. L'histoire de Portugal dit que le Prince fit beaucoup d'honneur à vn Cheuallier quil sauua ledit guidon, & luy donna cinq mille marauedis de rente (qui pour lors n'estoit pas petit reuenu au prix d'auiourd'huy) qui sont douze ducats & demy, donnant 400. marauedis à chasque ducat: & le gratifia d'autres presents & honneurs. Fernand escriuit à Isabel le succez de la bataille, donnant à entendre que si le Prince ne fust suruenu, le Roy son pere eust esté prins. Surquoy elle respōdit: Si le poullet ne fust venu, le coq eust esté prins. de là vint ce prouerbe que nous disons. Guaribay escrit ces denieres paroles en confessant la verité: toutesfois au reste luy-mesme dit mille faulsetez qui se verifient par l'histoire que Damian de Goyes a fait de ce Prince D. Iuan,Damianus à Goyes en la vie du Prince D. Iuan. en laquelle il dit que le Prince fust demeuré au champ de bataille par l'espace de trois iours. si l'Archeuesque de Tolede ne l'en eust empesché, lequel auec tres-grande instance & prieres ardantes le fit retirer en la cité, pource qu'il faisoit grand froid, & que ses gents estoient harassez & s'endormoient; luy disant, Il y a trois heures qui valent bien trois iours, & vne heure qui en vaut bien trois, que vostre Altesse a tenu le champ assez longuement. Quelquesvns escriuēt qu'en memoire de ceste victoire le Roy Edouard IIII. d'Angleterre enuoya l'Ordre de la Iartiere au Prince. Et a tousiours si mal succedé aux Castillans contre les Portugais, que parce que le Roy Alphonse [Page 65]fut deffait & s'enfuit du combat (bien que son fils fust vainqueur) ils s'atribuent la victoire de ceste bataille.
Alphonse Raymond,Auila. fils vnique de Vrraca fille d'Alphonse VI. surnomme l'Empereur, nacquit en Auila cité de Castille, & fut nourri & gardé par ceux de la cite sous le regne d'Alphonse Roy d'Aragon, appellé le Battailleur, ensemble auec sa femme Vrraca Roine de Castille mere dudit Raymond. Or il y eut de grandes reuoltes, esquelles ceux d'Auila suyuans le parti de Raimond cōtre ledit Alphóse son beaupere, firent tant que le beaupere fut ietté hors du gouuernement, & le beaufils installé au siege Royal; & pour ceste cause ce dicton a passe en prouerbe; Les feaux d'Auila: Et, Auila est au Roy.
Quant à Simancas,Simancas faut sçauoir que l'an 1463. regnant en Castille Henri 4 à la persuasion de quelques Princes plusieurs autres citez & villes se reuolterent, & firent ensemble vne rebellion qu'ils appellerēt Ligue des Princes, & eux se qualifioyent Princes de la Ligue. A ceste imitation Philippe Roy de Castille l'an 1582. baptisa la Ligue qui a produit tant de maux & d'afflictions comme la France a specialement experimenté depuis neufans en-ça. C'est ceste ligue qui a tant faict de dommage à l'Englise Romaine, & l'a tellement ruince qu'il luy faudra beaucoup de centaines d'annees pour la refaire. Par laps de temps les soldats de l'armee du Roy, s'augmentās fort & accroissans leur puissance, veindrent à la cité de Toro: & le Roy ayant aduis que ceux de la ligue estāt sortis de Valladolid, les murs [Page]de Pegnafleur rompus & rasez, s'en alloyent à Simancas, enuoya incontinēt Ian Hernandes Galiude sō Capitaine general auec 3000. cheuaux de secours, lesquels entrez dans Simancas, ceux de la ligue y mirent le siege, ayans toutefois plus de peur que les assiegez, Les Laquais d'entre eux qui auoyent vn courage admirable, s'assemblans vn iour en grād nombre, & se mocquans des assiegeans, firent vne statue qui representoit l'Archeuesque de Tolede, lequel pour estre rebelle à son Roy & Seigneur on appelloit D. Opas, frere du Comte Iulian qui fit entrer les Maures en Espagne contre le Roy Rodrigo. Dequis vn de ces lacquais se constituant iuge s'assid au tribunal, commandāt d'amener prisonniere deuant luy la statue de l'Archeuesque, & luy prononça sa sentence, en disant:Sentence donnce par les lacquais contre l'Archeuesque de Tolede. Garib. lib 17. ca, 14 Parce que D. Alphonse Carille Archeuesque de Tolede suiuant les pa [...] de l'Euesque D. Opa [...], destructeur de l'Espagne, a esté traistre à son Roy & Seigneur naturel, se rebellant al'encontre de luy auec ses places & forteresses, & les deniers qu'il luy auoit baillez pour le seruir. A ces causes, veu le merite du procez, par lequel se voyent ses meschans effort & crimes de felonnie, nous le condamnons à estre bruslé, estāt trainé premieremeut par les rues & lieux publics de Simancas, le crieur criant à haute voix: C'est la Iustice qui commande ce faire, à sçauoir brusler ce cruel D. Opas à cause de son delict; par ce qu'ayant receu places, forteresses & deniers de son Roy, il s'est reuolté contre luy.
Quien tal haza, que tal pague. C'est à dire: ‘Qui tel acte commet, tel payement reçoiue.’
La sentence prononcee, vn autre lacquais prenant la statue entrent ses bras auec vn cri public, la ietta hors de la ville, estant accompagné de plus de 300. lacquais. Incontinent deux d'entre eux firent vn bucher pour la brusler, non gueres loing du camp de l'ennemy, qui regardoit ce qui se faisoit: & bruslant la statue ces lacquais se prindrēt à crier & chanter à gorge desployee.
C'est à dire:
& autres choses à propos. Ce qui dura long temps en Castille, se chantant à la Cour & par tout le Royaume.
Depuis que les Portugais eurent priué de leur Royaume D. Sācho surnommé Capelo,Celorique. D. Alphonse son frere en ce temps la Comte de Bologne sur mer, fut esleu Gouuerneur de Portugal par les mésmes Portugais.
L'eslection qu'ils en firent, auec la deposition dudit Sancho, fut approuuee par Innocent 4. tenant vn Concile à Lyon. A cause dequoy ledit Alphonse s'en alla en Portugal auec lettres de faueur dudit Innocent 4. aux peuples, leur priant & commandant qu'ils eussent à luy obeyr & liurer toutes les citez, villes & chasteaux du royaume en general. Toutesfois quelques particuliers, nonobstāt le commandemēt du Pape, ny la force d'Alphōse, pensans que cela derogeast à la [Page]loyauté qu'ils deuoyent à leur Roy, surent contraires audit Alphonse, & ne luy voulurent rendre les villes & chasteaux qui leur auoyent esté baillez par leur Roy Sancho. Fernand Ruis Pacheco sieur de Ferreyra fut vn de ceux-la, qui estant assiegé par D. Alphonse dans la ville de Celorico, & se trouuant en extreme necessité de viures, venant par grād'auenture vne truitte à tomber dans le▪ chasteau, des griffes d'vn Aigle volāt par dessus, en fit present à Dō Alphonse auec deux pains blancs tendres, pour luy faire croire qu'il estoit bien pourueu, puis que les delices ne luy estoyent point encore faillies. Tellement que le Gouuerneur croyāt qu'on y portast secrettement des viures, leua le siege. Ce traict fut imputé à Fernand Ruis à tres-grande fidelité au seruice deu à son Roy, lequel mort, incontinent rendit la ville audit Alphonse esleu Roy (pour ce que Sancho son frere n'auoit point laisse de fils) sans aucun autre accord ne condition.
Chasteau de Coimbre.Ledict D. Alphonse par la mesme raison assiegea le chasteau. de la cité de Coimbre, dont le Capitaine s'appelloir Martin de Freytas, qui fut reduit en telle necessité que l'eau & le pain luy defailloit. Toutesfois ny cecy ny les promesses que ledict Alphonse fit à ce Capitaine, ne furent bastantes pour luy faire rendre le chasteau. D. Alphonse considerant la loyauté & constance de ce Capitaine, & desirant luy sauuer la vie, incontinent qu'il eust nouuelles que le Roy Sancho son frere estoit mort (qui mourut durant le siege) ennoya de son armee aux assiegez du pain, de la [Page 67]chair & autres choses necessaires pour substanter la vie, & escriuit au Capitaine que le Roy Sancho estoit mort & enterté en la cité de Tolede, & promettoit luy faire du bien & de l'honneur, le priant ne se trauailler pas d'auantage, & luy rendre le chasteau, puisque son Roy estoit decede, & luy esleu par les Portugais, receu & confirme par serment de fidelite en tout le Royaume. Le Capitaine voyant la lettre, demanda au Roy autant de temps de trefue qu'il estoit necessaire pour aller en Castille voir de ses propres yeux s'il estoit vray. Ce que le Roy luy Sancho: Et le reconoissant lia les clefs du chasteau à son bras droict, dont il demanda acte à vn Notaire qui se trouua là pour cest effect: & retournāt en Portugal, rendit le chasteau au Roy Alphonse. Le Roy pour marque d'vne si tare constance & fidelité, remit au chasteau ledit Freytas, & luy fit don de la place, pour luy & ses descendans à iamais, auec ceste pretogatiue, que ne luy ne les siens seroient tenus de luy en faire hommage, ny aux Roys ses successeurs. Freytas ayant baisé les mains du Roy, & bien humblement remercié sa Majesté pour si grande faueur, non seulement ne l'accepta, mais defendit à ses fils. & à tous ceux qui descendroient de luy, sur peine de malediction, de ne prendre iamais en leur charge aucune ville ou chasteau à garder, à cause duquel ils fussent tenu faire la foy & hommage à aucun Prince. Voila quant à Auila, Simancas, Celorico & chasteau de [Page]Coimbre: qui sont exemples de tresgrande consideration, & qui doiuent faire grand'honte à beaucoup de gents en ce temps-cy qu'on fait si peu de conte de vertu si rare & si louable. Messieurs mettez, ie vous prie, la main en vostre sein. & voyez comme elle est pleine de lepre: retournez en vous-mesmes & recognoisscz vos fautes. Car Dieu a tousiours les oreilles ouuertes pour ouyr ceux qui luy demandent misericorde.
Roy de Castille.Quant au Roy de Castille, ie me resiouirois fort que vous voulussiez bien entendre que c'est, & dont nous auons ja parlé quelque peu, & se traitte amplement au liure que Fr. Ioseph Texere Religieux de S. Dominique a fait de la genealogie du Roy Tres-chrestien;Lā 1594 Paris. qui est celuy mesme qui preschoit que nous sommes tenus d'aimer tous les hommes de quelque religion, secte & nation qu'ils soiēt, iusques aux Castillans; lequel moine estant Portugais, peut estre qu'il ne sç pas entierement combiē la▪ nation Espagnolle se fasche de voir & ouyr que le Roy Philippe se tiltre Roy d'Espagne (ostez dece nōbre la canaille Castillane, parce qu'ils se persuadent qu'estant ainsi, ils tiendront seuls tout le regime & gouuernement du monde) parce qu'il y a bien d'autres raisons que celles qu'il en rend, entre lesquelles il n'importe pas peu de sçauoir que cōme ceux d'Aragon & de Nauarre ne manquent point d'esperance de se voir encore quelque iour deliurez du tyran (ce qui se peut aussi dire de Portugal) ils veulent aussi conseruer leurs Monarchies; c'est à dire leurs priuileges, preeminences, prerogatiues, [Page 68]dignitez, offices, coustumes, & langage de leurs Royaumes (peut-estre que Dieu par sa diuine misericorde permettra qu'vn iour quelque Moyse resuscitera, pour le remettre en liberté. L'on escrit touchant les Enfans d'Israel, que depuis leur entree en Egypte. ils conseruerent tousiours trois choses, auec beaucoup d'integrité, sçuoir est la langue Hebraique, la mesme façon de s'habiller, & la proprieté des surnoms de leurs familles.) Car en cas que sa Maiesté Tres-chrestienne se resolue de retirer le Royaume de la tyrannie Castillane: il aura vn Connestable & tous les officiers dudit Royaume qui luy assisteront & mettront peine de le seruir fidellement, pour demeurer en leur pays auec leurs charges & offices, obeissans à vn Roy naturel, & non Castillan. Si le sereniss. Duc de Lorraine se veut disposer à restaurer Aragon, Valence, Catalogne, &c. il aura vn Admiral & plusieurs officiers de ces Royaumes qui l'accō pagneront, & s'estimeront tres-heureux de deliurer leur pays de la tyrannie & ioug estrā ger, & le liurer au Prince legitime & naturel. Siles Portugais s'aduisent & resoluent de choisir par election (comme ils ont droict de choisir par election (comme ils ont droict de ce faire) vn Prince ou autre du peuple, soit blanc ou negre, (car il est certain que pour se deliurer de la tyrannie de Philippe ils receuront le plus petit negre de la Guinee, s'il est Chrestien & qu'il viue dans le Royaume) ils croyēt auec raison que ce leur sera vne grāde aide pour accomplir leurs desirs, & pour se defendre & conseruer, trouuer vn Connestable de Portugal, Mareschal, Admiral, & tous [Page]les autres officiers du Royaume, les escritures faites en langue maternelle, les façons de leurs habillemens, & les surnoms deleurs familles. Au contraire accordant au Roy Philippe qu'il prenne ce tiltre de Roy d'Espagne, il est certain qu'il fera vne maison royale d'Espagne, au ec Connestable, Mareschal ou Mareschaux, & Admiral, Grand-maistre, grand Chambellan, grād Escuyer, & tous les autres officiers du Royaume, qui se diront d'Espagne, & tous s'appelleront Espagnols, & s'vniront tous en vn seul corps. Ce qui tournera à grand dommage aux Estats particuliers, & au tres-grand proufit & seureté de Philippe & ses descendans. Les estrangers sçauent tresmal qu'importe ceci, & de là vient qu'ils diēt tant de folies quand ils en parlent. ce qui est fort blasmable, attendu que c'est contre la loy qui dit que c'est inciuilité de vouloir iuger de ce que l'on n'entend pas.Inciuile est, de re incognita iudicare. Les nations d'Espagne voyent fort biē quel mal cela leur peut faire; & pourtant ils y resistent auec tant d'effort & vehemence. Le Castillan sçait fort bien l'auancement & l'asseurance qui en reuiēdra à son estat s'il peut gagner ce poinct: & pour ce fait telle instance pour se qualifier Roy d'Espagne. Il est fort verse és histoires, cóme nous auons dit cy-deuant, ainsi qu'ont esté ses predecesseurs. Et par la lecture d'icelles a apprins que c'est le plus facile moyē pour commander paisiblement, & gagner l'affection de tous les Espagnols.Egbert Roy de Vvest s [...] xi [...]. Les histoires nous montrent que Egbert, homme vaillāt & magnanime, estant en la grand'Bretagne esleu Roy du Royaume de Vvestsexia, ditle Royaume [Page 69]de Vvestsexia, dit le Royaume des Saxons (ce Royaume contient les prouinces de Cornouaille, Somercet, Divonia, Vviltonia, Dorssecia. Huthamtphonia, & de Bercheria, & se fiant sur la science de l'art militaire qu'il auoit apprise en France sous Charlemagne, où il fut banni plusieurs annees, resolut de se faire Roy & Seigneur de toute la Bretagne, laissant toutesfois à part l'Escosse: & commençant son entreprinse, subiugua premierement la prouince de Vvalles, qui est la plus forte de toutes les autres: en suite les Royaumes de Kent, Mercia, Nortumbria, & le Royaume des Saxons Orientaux, qui s'appelloit Estsexia. Ceste prouince acquise, & ces 4. Royaumes, Egbert se voyant seigneur de cinq, & qu'il ne luy restoit plus à acquerir que le Royaume de Sussexia, dict des Saxons Australes, & celuy des Saxons Orientaux, appellé Fastanglia, des forces duquel il ne faisoit pas beaucoup de cas; & pensant comme il pourroit asseurer ce domaine & ces seigneuries, se delibera non seulement d'esteindre la memoire des Bretons, anciens habitans de ceste isle, mais aussi de gagner la volonté des subiuguez auec vn nouueau nom; & par mesme moyen attirer à soy celle des autres qui restoient à conquerir. Pour cest effect il ordonna & par Edict public & perpetuel cōmanda que des ce iour en auant tous ces sept Royaumes se nommassent d'vn seul nom,Eghert Premier Roy d'An gloterre. Angleterre, & que tous les habitans s'appellassent Anglois. Parce moyen il vint entierement à bout de ses desseins. A l'imitatiō de cest Egbert, Fernand II. Roy d'Aragon, & V. du nom [Page]Roy de Castille, se voyant seigneur de la plus grand'part d'Espagne, & qu'il ne luy restoit plus à gagner que les Royaumes de Nauarre & de Portugal, fit tous ses efforts d'obtenir des Princes, Royaumes & prouinces ce qu'ils luy refuserent, c'est à sçauoir de se tiltrer Roy d'Espagne. Auec la mesme ambition & desir Philippe son riere-petit-fils pretend ce que les Royaumes d'Espagne, & nouuellement Portugal, luy ont constamment denie, & que vous luy donnez si facilement & liberalement. Maintenant ie croy que vous acheuerez d'entendre la cause pourquoy Philippe se qualifie Roy de Castille & de Leon, &c. Car les nations d'Espagne, mesme la Castillane: l'appellent ainsi, dont vous vous mocquez grandement, sans sçauoir combien cela impotte: & partāt i'espere que parcy apres vous cognoistrez par ces enseignemēs vostre ignorance, & corrigerez vostre faute.
Castillās, & Castill [...].Nous appellons Castillans ceux qui sont naturels du Royaume de Castille, & de ces Royaumes que les Roys de Castille auec l'aide des Roys de Nauarre, Aragon & de Portugal, & d'autres seigneurs souuerains d'Espagne ont arraché des mains des Maures, lesquels Royaumes nous nōmons d'vn seul la nouuelles Castille. De ces Royaumes celuy qui fut le moins en la puissance des Maures, fut celuy de Tolede,Tolede r [...]mis en [...]lberté. qui fut remis en liberté par Alphonse VI. dict l'Empereur, l'an 1086. ayant esté perdu auec ce q̄ perdit leRoy Rodrigo en Espa. l'ā 714. De sorte qu'à ce cōpte Tolede, cité & premiere primauté d'Espagne fut en la possessiō des infideles par l'espace [Page 70]de 372. ans. Pour ceste cause la cité de Braga en Portugal, Metropolitaine du Royaume de Galice, estant tousiours contre les Maures soustenue par les Portugais habitans d'icelle (qui se disoient lors qu'ils la bastissoient, Galli Brachati) où il y a eu Euesques successiuement des le commencement de la primitiue Eglise iusques à present;Raison pour quoy Braga s [...] dict primat d'Espagne. a obtenu la premiere primauté d'Espagne, & se tiltre ainsi contre le consentement & gré de l'Eglise de Tolede; laquelle remise en liberté recommença de prendre son premier tiltre: & les Archeuesques disputent encores auiourd'huy la preseance.
Cordua fut en la puissance des Maures par l'espace de 522. ans.Cordua. Car elle fut restaurée l'an 1236. le 29. Iuin, feste des Apostres S. Pierre & S. Paul.
Murcia par l'espace de 527.Murcia. Car elle fut reprinse l'an 2141. auquel an l'vniuersite de Salamanca fut fondee.
Iaen par 529. ans, & fut restituée l'an 1243.Iaen. Seville.
Seville par l'espace de 535. puis fut remise en liberte l'an 1248.
Caliz par l'espace de 555. ans,Caliz. & fut restablie l'an 1269. du temps de Iacob Aben Iuceph Roy de Marroques.
Algizira par 630. & fut liberée l'an 1344.Algizira. Pour recouurer ceste cite le peuple des Royaumes de Castillé & de Leon accorda au Roy Alphonse le Iusticiers, tandis que dureroit le siege, le tribut qui s'appelle Al [...]à vala, qui est vn sold pour liure de toutes les denrees qui se vendroient: lequel tribut Alphonse iniustement & ambitieusement, contre la volōté [Page]des mesmes peuples exigea tant qu'il vesquit: de façon que les R ois ses successeurs nō seulement l'ont continué, mais aussi augmenté, & s'en paye auiourd'huy de dix l'vn.
Gibraltar par 748. ans,Gibraltar. & fut recouuré l'an 1472.
Malega.Malega par l'espace de 773. puis fut reprise l'an 1487.
GranadeGranade fut retirée l'an 1492. & fut la derniere cité & Royaume prins sur les Maures, qu'ils auoient possedé l'espace de 778. ans. Cecy estant cognu l'on ne s'esmerueillera de ce que i'ay dict en ce traicté, que les Castillans descendēt des Maures & Iuifs (ils viuoient pesle-mesles) & que la prononciation de leur langue est Moresque, puis que par tant de centaines d'annees les Maures habitent ces pays la, & occupent encores à present vne grande partie de Castille.
Citez.Citez en Espagne sont les peuples ausquel sont establis les sieges Episcopaux. Il y a aussi quelques citez qui par priuilege particulier, ores qu'elles ne soient metropolitaines ou chefs d'Eueschez, vsent de ce tiltre & prerogatiue de cites, mais peu. De cité à ville y a grande difference, tant en authorité qu'en prerogatiues, honneurs & priuileges. Es citez il y a communement des Corrigedores, specialementen Protugal, qui sont semblables aux Preteurs & gouuerneurs des ancien Romains, qui gouuernoient les prouinces. Vne cité a plusieurs villes, peuples. & villages qui luy sont subiects, tāt au spirituel qu'au temporel. De maniere que les citez sont les chefs; & les villes, les membres. Pour ceste cause [Page 71]quand il suruient quelque affaire ou reuolte commun en Espagne, les villes suiuent quasi tousiours le party de la cité dont elle depēed. Et afin qu'vn peuple soit reduit en cité, l'antiquité est plus requise que la grandeur. Il y a plusieurs citez qui sont petits peuples; & villes, qui sont de grāds peuples. Valladolid, Medina del Campo, Madrid, & Caceles. en Castille, Santaren, Abrantes, Setoual & Oliuença en Portugal, sont villes tres-grandes & fort peuplées: mais encore qu'elles surpassent en grādeur beaucoup de citez, toutefois ne sont pas pourtāt douées de toutes ces prerogatiues: & ne s'appellēt citez. Valladolid & Santaren sont peuples si grands, que quand en Espagne nous faisons comparaison de la grandeur des citez & des villes, nous disons: Ciudad par ciudad Lisbona en Portugal, Villa por villa Valladolid en Castilla: Si quieres otra tal, busea Santaren en Portugal. c'est à dire: Cité pour cité Lisbone en Portugal: ville pour ville Valladolid en Castille: si tu en veux vne autre semblable, cerche Santaren en Portugal. Depuis peu d'annees le Roy Philippe a honoré du tiltre de cité ladite ville de Valladolid, & l'a faite siege Episcopal: & ce tant pour estre Valladolid peuple fort grand, comme nous auons dict, que pour estre vne des villes la plus signalee & annoblie de Castille, pleine de grāds & riches bastimēts, Eglises, Monasteres, Colleges, maisons principales & estudes generaux: & aussi d'autāt que sa Maiesté est né en icelle le 22. de May 1517. vn Mardy à 4. heures apres midy.
Les villes en Espagne sont peuplees qui [Page]ont en leurs limites plusieurs villages, hameaux & maisons, & ont leur iurisdiction limitee & subietre aux citez. Vray est qu'il y a quelques villes qui sont chefs de bailliages & gouuernmens, comme en Portugal la ville de Santaren, dont nous parlions nagueres, & celle de Tomar, qui a 42. villes dependantes de sa iurisdiction. Ces deux villes en Portugal precedent es Estars & assemblees beaucoup de citez. La ville de Santaren precede 13. citez, & est precedee seulement de 4. Lisbone, Coimbre, Ebora, & Puerto, qui en Latin s'appelle Ciuitas Portugallensis. Santaren du temps des Romain s'appelloit Iulium praesidium, & estoit vne cour Royale, (ou comme l'on dit en France Parlemēt) colonie des Romains: Tomar aussi au mesme temps s'appelloit Nabantia, & estoit cité ancienne.
Or maintenant i'estime m'estre acquitté de ma promesse, & auoir satisfait à vos desirs.