PARAENETIQVE. C'est à dire EXHORTATOIRE.

Auquel se montre par bonne & viues raisons, argument infallibles, histoires tres-certaines, & remarquables exemples, le droit chemin & vrais moyens de resister à l'effort du Castillan, rompre la trace de ses desseins, abbaisser son orgueil, & ruiner sa puissance.

Dedié aux Roys, Princes, Potentats & Republiques de l'Europe, particu­lierement au Roy Tres­chrestien.

Par vn Pelerin Espagnol, battu du temps, & perse cuté de la fortune.

Traduicte du langue Castillane en langue Françoise. Par I. D. Dralymont Seigneur de Yarleme.

Imprimé. Nouuellement M.D.XCVIII.

L'AVTHEVR AV ROY TRES-CHRESTIEN, AVX Princes, Potentats & Republiques de l'Europe, tres-humble Salut.

SIRE,

SIly auoit vne ancienne coustume vsi­tee entre les nations de l'Europe, celles notamment quisont proches de l'Ori­ent & de Septentrion; qui dure encore au­iourd'huy (si nous croyons à Crommer) en Pologne. C'est qu'ils alloyent au devant des estrangers qui passoyent par leur païs, pour les emmener & traicter en leurs maisōs auec toutes les caresses & courtoisies qu'il leur e­stoit possible. Si que bien souuent ils auo­yent grands differends entre eux mesmes, à qui les logeroit & traicteroit, par ce qu'ils estimoyent quecela leur revinst à grand hō ­neur, & qu'ils emportassent ce faisans, beau­coup dauantages sur leurs compatriotes. Coustume certes digne de toute louange & memoire immortelle! Et puis que vostre Ma­jesté Tres-chrestienne, & les autres Princes descendent pour la plus part de ces nations la; Ie voussupplie qu'à leur exemple il vous [Page]plaise voir ce pouvre estranger de bon ceil, le recevoir avec singuliere humanite, & de­fendre contre tous dangers, afin qu'il ait d'autant plus de subiect de prier Dieu.

SIRE, pourla prosperité & conservation de vostre Majesté Tres-chrestienne, & de tous les autres Princes & Seigneurs de l'Eu­rope.

De vostre Majesté tres-humble & tres-affectionné servituer, Le Pelerin Es­paignol, persecuté du temps & de la fortune

[decorative triangular design]

AV ROY TRES-CHRESTIEN.

SIRE,

Apres les reuoltes d'Aragon, desquelles faict mention Raphael Pelerin en son liure tiltré Pe­daços d'Historias, &c. ie contractai ami­tié avec certains gentilshommes Arragonnois, & autres Espagnols (non Castillans, car à ceux-ce ie n'ay iamais sçeu porter affection qui passast les limites de l'Euangile) desquels i'entendis plusieurs choses d'Estat qui m'estoyent cachees, d'autant qu'il y auoit entr'eux quelques per­sonnages fort doctes, fort versez en toutes les histoires, & bien pratiqs és affaires du monde, Il auoit principalemene en leur compaignie vn homme de grand esprit, iugement & experience, que auoit veu vne grand partie de l'Euro­pe, auoit long temps esté en Portugal, traitté & converse, auec les Portugais, desquels il parloit le langage comme le sien naturel, auoit leu toutes les histoires dudit Royau­me, sçauoit tant de choses d'eux, & les conoissoit tous si particulicrement que ie m'en estonnois: és choses à-ve­nir ie le trouuay prophete, tellement qu'aussi-tost que l'on publia icy le voyage du Capitaine Drac aux Indes Occidentales, il m'en depeignit tout le succes iusques à la mort d'iceluy Autant en fit il en celuy du seigneur Com­te d'Essex lors que l'annee passee il descendit à Calis, De maniere qu [...]il me semble, pour la viuacité de son esprit & longue experience qu'il à, conoistre les-choses à-venir [Page]aussi bien que s'il les auoit presentés. Vostre Maiesté le ce­noist fort bien, & est ancien & tres-fidelle seruiteur de ce­ste Couronne. Il me prouua par beaucou p de raisons, les­quelles non seulement me conuainquirent, mais aussi me garrotterent pieds & poings, que ces voyages & autres sē ­blables n'attiroyent auec eux autre proufit, & ne seruo­yent d'autre chose, que desueiller le chien qui dort, & ren­forcer l'enne my. Or considerant que D. Philippe Roy de Castille auoit vn conseil mieux chosi que iamais eut au­cun Prince du mōde, des seruiteurs tres-loyaux & fideles: forces & deniers, desquelles choses toutes autres dependent, & que neantmoins nonobstant tout cecy il ne laissoit de trauailler à faire imprimer des liures en sa faueur & defense: ie disiray tirer de luy quelque escrit de sa main, pour le presenter à V. M. & pour ce regard le priay plu­sieurs fois: mais il ne me fut possible de l'y pouuoir faire condescendre Parquoy songeant à part moy que comme la pouureté, tristesse & melancholie atterreles esprits: aus­si les commoditez, le contentement & l'alegresse les auiue: ie deliberai, pour le voir triste & melancholique a cause de son exil & de la mesauanture de sa patrie, de luy don­ner plaisir & contentement, sçachant que par ce moyen ie pourrois auoir l'acomplissemēt de mon desseing. Ie luy ou­uris la porte de ma maison, & luy presentay ma bourse, ie le cheris & traittay plusieurs iours & pour l'amour de luy, quelques-vns de sa compaignie: & par ceste courtoisie le rendis tant obligè, que depuis ayans eu beaucoup de dis­putes & conferences ensemble, ie luy fis mettre la main à la plume. Il composa done en langue Castillane ce discours qu'il intitula Trattado Paraenetico, & m'en fit present. Lequel ayant leu, me rauit d'vn estrange estonne­ment: par ce que ie ne vis iamais, ie ne di pas en si petit volume, mais non pas mesme en grands liures, tant de euriositez rapportees, tant & si diuerses histoires, choses si [Page]secretes & particulieres, auis tāt necessaires pour embras­ser ny conseils tant iustes pour ensuiure. Et conoissant par faitement l'exellence de cest [...]euure, & combien il imp [...]r­toit qu'il fust veu par V. M. Tres-chrestienne, par les Roys, Princes, Potentats & Republiques de l'Europe, ie me dis­posay de le traduire en nostre langue. Et combien que is cōnoisse mō stile estre rude & barbare, tant y a que de pu­re ambition (ie confesse m [...] fragilité) ie n'ay pas voulu per mettre qu'un autre eust ce plaisir. En quelques endroits ie l'ay augmenté, iugeant qu'il estoit ainsi necessaire, pour plus claire intelligence de l histoire. Qant à l'original, il m'a semblé chose raisonnable, n'en rien retrancher, encore que sur la fin de l'impression nous [...]uismes les bonnes & heureuses nouuelles de la conqueste d'Amiens, dont nous sçauons la principale cause estre vostre Maiesté Tres-chre­stienne. Laquelle ie supplie tres-humblemeut de le rece­uoir auec autant de bonne affection que doibt vn Prince à l'vn de ses subiets, qui pour le seruit n'estime pas perdre ce qu'il possede, ny moins se rendre incapable d'obtenir co qui de droict luy est deu, & que pour le bien & l'honneur de sa patrie prodigue tres-volontiers sa propre vie. Die [...] cōserue & benie la tres-chrestienne personne de V. M. auec autant d'abondance de biens spirituels, & lassiste & face prosperer de tant de richesses de biens [...]mporels comme il peut. Amen.

Letres-fidele subiet, & tres-humble serui­teur de vostre Majesté Treschrestienne. I. D. DRALYMONT.

LE TRADVCTEVR AV LECTEVR.

A My Lecteur tu as en ce petit liuret vn thresor incomparable, vn riche archiue & magazin remply de paroles precieuses, histoires veritables, exemples rares, raisons viues, & conseils salutaires; lesquels si sa Majesté Tres-chrestienne, les, Roys, Princes, Potentats & Republiques de l'Europe, veu­lēt embrasser, suiure & mettre en effect; sans doubre ils obtiendront medecine à tant de maux, remede à si grandes & continuelles afflictions, & travaux intolerables, desquels depuis tant d'annees ses subjets sont comba­tus. Ie les asfeure bien que se servans de ces advis, ils preserueront de danger leurs Estats pour l'advénir. Ainsi comme les grāds pois­sons presecutent & devorent les petits: de mesme maniere les voisins puissans desnu­ent & consument ceux qui ont moins de puissance. Or nous sçavons que pour deux raisons l'Autheur a si fort prolongé ce sien discours, l'enrichissant de si singulieres hi­stoires, & l'embellissant de si rares authori­tez & exemples. La premiere, d'autant que comme il a fait estat de nous depeindre au vif nostre ennemy, & nous faire conoistre le naturel de ces nations desquelles nous nous debuons prevaloir, attendu que tout ce qu'il dit aide son intention; il n'a point trouué d'inconuenient à si grande prolixite. Si quel qu'un par obligatiō, ou de sa propre volonté & curiosité, vouloit faire vn voyage de trois [Page]ou quatre lieuës, n'ayant point de temps pre­six ne limite pour ce faire: quel mal y au­roit-il de trouuer en passant des jardins & vergers pour ce recreer & soulager du tra­uail & fatigue du chemin?, Lisez Messieurs, ce traittè à vost [...]e plaisir, regaillar dissez-vous & y prenez delectation parmy l'odeur de ses fl [...]urs & bouquets. Personne ne vous haste, La seconde, pource que comme force que luy à este de traicter des vertus & vices de diuerses personnes & nations, il a voulu que chacun emportast le sien; les gens de bien, louanges & honneurs; les meschans, repre­hension & blasme. A la fin de ce traicte, tu trouueras l'explication qu'il promet faire, fol 97. pag. 1 en laquelle y a tant de curieu­sitez & choses aussi necessaires à la matiere, que le reste. Ie vous supplie auec autant d'in­stance qu'il m'est possible, que ne condem­niez mes augmentations, combien que je pertrouble ancunement la suite de l'oeuure. Car je vous iure ne l'auoir fait à autre fin que pour mieux declarer le texte de l'Au­theur. Lequel, si je luy eusse donné loisir, eust peut-estre tout dist; pource qu'ila plus de science, d'entendement & d'experience que moy, comme son oeuure le monstre: du­quel en somme je vous di que je n'oserois af­firmer autre chose, sinon que chaque paro­le sienne est vne sentence, & chaque sentence en contient plusieurs. Son traicté fera mal à quelque particulier: je le confesse. Mais quel remede? Il dit la verité, & la preuue, & ne dit rien sans Autheur. Quant à moy je [Page]suis bien de cet aduis; Que ce n'est pas cōtre raison, publier les mauuaistiez & vices d'vn particulier, veritables & conus d'vn chacun quoy que soit, quand de la conoissance d'i celles, il en reuient du bien au public. Et à tant je me tais, vous priant de prendre en aussi bonne part ce que je dy, qu'il ne preiu­dicie à l'aduis, autorité & credit de l'Autheur.

Adieu.

[design with face]

TRAICTÉ PARAENETIQVE C'est à dire EXHORTATOIRE.
Auquel se monstre par bonnes & viues raisons, argumens infallibles, histoires tres-certaines, & remarquables exemples, le droit chemin & vráis moyens de resister à l'effort du Castillan, rompre la trace de ses desseins, abaisser son orgueil & ruiner sa puissance.

SERENISSIMES PRINCES,

Ceux qui font profession de luite ou descrime s'estudient prin­cipalement à descouurir les traits & pointes desquelles vsent leurs aduersaires esdicts exercices: pour ce que les ayans remarquées ils entrent en lice, se presentent aux rengs, & combattent auec plus de hardiesse & d'as­seurance, pleine de viue esperance de porter par terrc & vaincre leurs ennemis, & gagner le prix proposé. Aussi deuons nous en toutes affaires diligemmēt rechercher l'origine de [Page]chaque chose, pour prevoir tous les incōue­niens qui en pouuent naistre, à ce qu'ils en nous puissent nuire à l'aduenir. Ce que nous pratique maintenāt deuōs plus curieusemēt en ce Traicté, est de sçauoir & descouurir les raisōs qui ont meu Philippe Roy de Castille à mener la guerre en France auec de tant des­pēses & degast de ces bien, si grande perte de ces gens, & diminutiō de son domaine, notā ment aux pays bas. Si le Roy Tres-chrestien HENRI III. viuoit, il pourroit dire ce qu'vn certain estranger sien seruiteur, venant d'E­spange l'an 1583.Les raisōs qui ont meu Phi­lippe Roy de Castille de motire la guerre en France: & quelle opinion il a des Frā ­çcis. en May luy auroit faict, entendre. A sçauoir que voyant ledit Roy Phillippe, que sa Majesté tres-chrestienne a­uoit permis aux Seigneur Stroce, Comte de Brissac, & autres de seigneurs & gētilshom­mes, d'aider auec vnearmee nauale au seig­neur Dom Antoine vray Roy des Royaumes de Portugal (esleu à l'ordinaire des Portugais par toutes les citez & ville de Royaume, & par plusieurs prouinces & seigneuries hors l'Europe dependans dudit Royaume) il se delibera en plein conseil de ietter vne guerre ciuile en France, disant que la nation Fran­çoise est auiou d'huy de telle nature, qu'ils ne pensent iamais à l'aduenir, & ne se sou­cient que de ce qui.est present & de ce qu'ils ont en main; plus soigneux de gagner par chacun iour trois ou quatre escus, que d'en conseruer trente ou quarante mille tous ac­quis, ayans du tout changé de naturel. Car par cy-deuant ils estoyent desireux de sor­tir de leur pais, pour aller de secourir les [Page 2]Roys & Princes affliges & spoliez de leurs propres Royaumes & domaines, de faire la guerre aux infideles, & de chastier les tyrans: au lieu que maintenant leurs pensees sont du tout autres & bandent tous leurs esprits à avoir de l'argent, à quelque condition que ce soit: & sont autant amoureux des mignar dises & delices de leur païs, que ennemis de la sterilité & des chaleurs d'Espagne & au­tres incomoditez. Et pour ceste cause nous leur persuaderons tant plus aisément faire la guerre en leur pays contre leurs propres fre­res, cousins, parens & compatriotes, que de hors à l'encontre de leurs ennemis. C'est pourquoy je veux & suis resolu de despendre vn million d'or & plus tous les ans pour les entretenir tousiours en guerres intestines & ciuiles. Tellement qu'estans embesongnez en leur pays, jamais ne pourront se resoudre de passer en celuy d'autruy, & par ce moyen aisement je me conserueray le Royaume de Portugal, auec tout ce qui en depend. Quoy qu'il m'en puisse couster, si est-ce qu'il m'en reuiendra trop plus de proufit que de despé­se; d'autant que par chaque année i'en leue presque trois millions de liquide, & jouissāt diceluy, par succession de temps je pourray gagner l'affection des Portugais, bien que je scache qu'elle me soit auiourd'huy fort con­traire. Mais en suite les ayant pour am is, & ensemble auec eux, luers puissans Nauires, Gallions, & autres vaisseaux de guerre; ioint le conseil & la conduitte de leurs sages & ex­perimentez mariniers, je me rendray seul [Page]seigneur de toute la mer Oceane; & me feray redouter & obeir par tout l'vniuers, & me cōserueray ce Royaume, qui est le plꝰ impor­tant de l'Espagne, pour le laisser seur & pai­sible à mes successeurs. Voila ce que dict Phillippe, & les conclusions qu'il print auec son conseil en la cité de Lisbonne en Nouem bre 1582. depuis l'arriuee du Marquis de S. Croix en icelle, retournant victorieux de I'isle de S. Michel. En ce mesme conseil fut par luy posée la premiere & principale pierre aux fondamens tracez par la Ligue:Ligue à l'imit atiō de celle de l'an. 1463. Estienne Garibay liu. 17. ch x. xi. xii. icy fut elle par luy totalement ordonnee, conclue & baptisée, à l'imitation de celle qui fut ainsi nommée & faicte par les rebelles en Castille contre le Roy Henry IIII. laquelle reussit a­pres en faueur d'Isabelle & de Fernand ses bisayeuls. Ce grand dessein & ceste resoluti­on fut rapportée fidelemēt au feu Roy (com­me nous auons dict) par cedit sien seruiteur, estranger, auec plusieurs particularitez. & entre autres, que le Castillan auoit enuoyé en France neuf hommes, pour corrompre par argent & promesses les Princes seigneurs & gentilshommes François desquels plusieurs furēt nommez. qui deslors tenoyent le parti de Philippe. & plusieurs qui estoyent prests de faire le semblable, comme l'euenement l'a montré puis apres. Et mesme le dict Phillippe pour gagner le Capitaine Landreau, auoit resolu d'enuoyer en France le Capitaine An­toine Portugais, marié à la Rochelle, qui pour lors estoit prisonnier au Chasteau de [Page 3]Lisbonne: & pour cet effect luy auoit donné la vie, auec offre de sa faueur,Alcald [...] c'est com­me vn grād Pre­uost de l'hostel. Philippe contre sa promesse fit pendre le Capitai ne An­toine. par le moyen de l'Alcalde Taiade, qui l'alloit souuent voir au chasteau, & parloit auec luy long temps; Philippe to utefois craignant qu'il ne le des­couurist, le fit puis apres pendre, nonobstant la promesse qu'il luy auoit faicte. Ce Capi­taine Antoine descouurit le tout à vn per­sonnage, duquel il se fioit, & luy recomman­da de le garder secret iusques à ce qu'il fust en France, pour en Aduertir le feu Roy tres­chrestien, & le Roy de Portugal, ausquels le­dit Capitaine Antoine l'auoit prié de com­muniquer, comme il fit. Et quand au Capi­taine Landreau, il fut forcé de prendre le par­ty du Castillan, & l'argent qu'on luy offroit pour sauuer sa vie; dont il aduertit le Roy de Portugal, qui lors estoit à Beauuais sur mer: & luy ayant fait entendre à quel dessein il l'auoit faict, le prioit de sauuer sa personne, pource qu'il estoit l'a en tres-grand danger. Ce que ledit seigneur D. Antoine experimen ta peu de iours apres, & eust esté prins s'il ne se fust sauué promptement, comme fut pris vn de ses fils auec beaucoup des gentilshom­mes Portugais de sa suitte par les gens du Duc de Mercoeur, qui pillerent & rauagerēt tout ce qu'il auoit tant luy que ses gens, des­quels aucuns s'estimoyent encore bien heu­reux de s'estre sauuez. De ces neuf hommes dont j'ay parle quelques vns furent pris, qui descouurirent toute l'intention de l'ennemy Toutesfois on en fit aussi peu de cas pour lors qu'on fait auiourd'huy de ce que nous vo­yons [Page]& confessons estre tres-necessaire pour nous deliurer de ruine. Aussi ce mesme e­stranger dont nous auons faict mention, ad­uertit au mesme temps de sa venue le Roy tres-chrestien, que l'on disoit par tout en Es­pagne, entre gens de qualite, que sa Majeste Catholique auoit resolu de se liguer & cōse­derer avec vostre Majesté SIRE, & luy faire de grands passe-droits & partis auantageux, à la charge qu'elle fist la guerre audit feu Roy vostre predecesseur. Aussi disoit-on d auan­tage, qu'il promettoit donner à vostre Majesté pension de deux cens mille escus pour cha­cun an.Philippe par trait­tez illici­tes tra­uaille à faire la guerre au feu Roy. Quelques vns disoyent que c'esboit pour arres de ces promesses seulement; & mesmes tenoyent pour certain, que les deux cens mille escus essoyent tous prests dans vn chasteau nōme Oxagaui, appartenāt au sieur de Luxes, non loing de Ronceuaux. Et de la di soit on que ledit Philippe pour bien asseurer l'amité de vostre Majeste vous demandoit Madame vostre soeur pour l'espouser; à la charge que les enfans qui viendroyent de ce maria­ge, fils ou filles, seroyent heritiers du Royau­me de Navarre; & qu'il donnoit à V. M. en recompenses les Isles de Sardaigne & Mallor lorque, ou Minorque: s'obligeant en outre à establir à ses propres cousts & depens, V. M. Roy de Guyenne; desirant aussi vous donner en mariage l'Infante Madame Isabelle Claire Eugene sa fille aisnée auec le Duche de Milan promettant pour cet effect d'impetrer dis­pense du Pape,La trace d'vn bon Catholi­que. & des declarations sur ce ne­cessaires. V. M. doit mieux scauoir le choses [Page 4]sudites, que nu [...]autre, si le bruit qui pour lors encouroit, est veritable, puis qu'il en traittoit auec elle. C'estoit certes vne grande tentatiō. Mais l'amour que V. M. porte à sa patrie, & l'obligation de loyauté qu'elle deuoit à son Roy, ont eu beaucoup plus de force en vous que toutes les promesses d'vn ambicieux ty­ran. Le bruit qui courut de cecy par toute la France, & aussi l'auis certain du mauuais traittement que V.M. fit à vn Gentilhomme que l'on disoit conduire cet affaire, & qui vous en auoit fait ouuerture, vous fit totale­ment gagner les affections des bons Fran­çois, qui vous auoyent imprimé en leurs coeurs: & beaucoup plus, quand on entendit que V.M. en auoit aduerty le feu Roy tres­chrestien l'an 1583. Tellement que sa Ma­jesté, vous pemir en l'an suyuant 1584. de faire vne assemblee des chefs & seigneurs de la Religion à Moutauban, où l'on sçait que V. M. reprint aigrement ceux qui auoyent ourdi cesse tramé, & autres qui se verront cy apres, que l'ennemy commenca l'an 1575. & qu'elle fit vn accord reciproque de n'en­treprendre, ny mesme deliberer aucune cho­se les vns sur les autres. Et dit on que toutes les Eglises pretendues reformees en ceste assemblè requirent V.M. pour leur chef; Et secondement feu Monseigneur le Prince de Condé, & ce par permission dudit feu Roy tres-chrestien, qui se repentoit fort d'auoir obmis de donner secours au feu Roy de Por­tugal pour recouurer son Royaume, comme il declaira au mesme estranger estant à Blois [Page]l'an 1589. se plaignant de la tyrannie & ir­religion de Philippe l'enuoyent en Angleterre pour traitter de ces affaires auec la Roine, & le Roy de Portugal: auquel il promettoit que la premiere chose qu'il feroit ayant re­couurè Paris, seroit d'enuoyer vne armee en Portugal, & faire la guerre à l'ennemy dans son pays, & le contraindre à luy requerir hū ­blement la paix, comme les Anglois auec l'aide des Portugais y auoient autresfois cō ­traint ses predecesseurs. Et en cas que ledit Roy de Portugal fist le voyage, comme il en­tendoit qu'il s'estoit resolu, il le prioit que si tost qu'il seroit arriuè là, il l'en aduertist, par ce qu'incontinēt qu'il seroit en Portugal,Desir qù auoit le feu Roy tres-chre stien de remettre Portugal en liberté ou quelque autre part d'Espagne, quād il n'au­roit que deux mille hommes, il les enuoye­roit soudain, pour ce qu'il scauoit tres-bien, & estoit tres-asseuré que si l'ennemy estoit vne fois embarasse en Espagne, & embeson­ge chez luy, il en seroit bien-tost depestrè en France, ainsi que l'euenement le prouua. Car si tost que la nouuelle veint, que le Roy de Portugal estoit à Lisbonne. Le Roy tres-chre­stien accomplissant sa promesse, commanda à feu monsieur le Mareschal de Biron qu'ils s'apprestast pour passer en Portugal en la plus grande diligence qu'il luy seroit possible, pour secourir les Portugais, & ayder à resta­blir leur vray Roy D. Antoine.

Mais Dieu qui auec vne iuste & equitable balance pese & examine toutes choses, desploye ses merveilles où & quand il luy plaist.

De cecy donc nous colligeons deux choses [Page 5]La premiere que l'ennemy pour conseruer Portugal, a mis la guerre civile en France.Portugal porte de la guerre de France La seconde, que nostre deliurance, & sa ruine, dependent la faire passer vne bonne armee en Espagne. Ce qu'il craint extremement.

ET partant Princes Serenissimes, pour de­liurer vos estats du danger qui les menace, & les mettre en seurte, vous deuez faire & entre­prendre ce voyage, si important & necessaire a toute la Chrestienté, sans auoir esgard à la despense, quelque grande qu'elle soit: atten­du que ne le faisant pas maintenant, vous de meurez tousiours de plus en plus en hazard & danger à l'aduenir. Prenez exemple aú pas­se, & voyes l'instruction contenue es histoires escrittes par hommes curieux, vigilans & af­fectionnez au public: & les lisans, & les enten dans, faitez en vostre profit.

Agathocles apres auoir esté l'espace d'en­uiron sept ans Roy de Sicile, estant inuesti par mer & par terre en la ville deSira­cusa. Saragoce par les Carthaginois, se trouuant en grande perplexité, comme desia delaisse de plusieurs peuples de son Royaume qui premierement tenoyent son party, & voyant que les viures, argent & autres munitions necessaires pour la guerre luy manquoient, & qu'il ne pou­uoit eschapper des mains des Carthaginois,Combien il impor­te de faire guerre au pays de l'ennemy. s'il ne pratiquoit vn traict que personne n'a­noit encore mis en oeuure: laissa en ladite ville vn sien frere pour commander, & la de­fendre auec quelque nombre d'hommes biē affectionnez à son parti; & prenant auee luy quelque autres trouppes, s'embarqua sans dire où il alloit, & veint descendre en Afri­que, [Page]où il fit la guerte aussi courageusement contre lesdits Carthaginois, comme s'ils eus­sent esté egaux: & ayant dés le commencemēt defaict les Capitaines qui luy vindrent au de­uant, fit le degast par tout le pais, brusla & ra­uagea tout les villages & metairies, & toutes les maisons de plaisance autour de Cartha­ge. Apres ceste victoire, auec quantité de bandouliers & Soldats de fortune qui se vindrent ioindre à luy, ainsi qu'il aduient or­dinairement en tels tumultes, se campa vne lieüe pres de la ville. Par tel stratageme ses af­faires prospererent non seulement en Afri­que, mais aussi par toute la Sicile. Car Antandre (ainsi se nommoit son frere) estant certi­oré de l'heureux succez d'Agathocles, print courage, & sortant de Saragoçe contre les Carthaginois qui l'assiegeoient, gagna leurs tranchees, en tua grande partie, & fit tel rauage que ceste parte & les victoires d'A­frique estans diuulguees, deslors toutes les places de Sicile, qui tenoyent leur parti se reuolterent,Enuiron 314. ans deuant la nati­uité de Iesus Christ. & les abandonnerent. Ce qui fit que Agathocles retournant victorieux en Sicile, en iouyt paisiblement tout le reste de sa vie.

Agathocles mort auec ses partisans, la seigneurie de Carthage continua la guerre pour la conqueste de la Sicile, de sorte qu'ils l'emporterent en fin, & la tindrent quasi tou­te, enuiron 277. ans deuant la natiuité de Iesus Christ. Et les Romains considerans tous ses effects, & voyans que la puissance des Carthaginois estoit si grande, & qu'ils te­noyent non seulement la plus grande & [Page 6]meilleure partie de l'Afrique qu'ils auoyent subiuguee à force d'armes: mais aussi plu­sieurs peuples d'Espagne, auec les Isles qui sont en la mer d'alentour de Sardaigne & d'Italie; jugerent fort bien quand-&-quand que ce voisinage les mettoit en grand dan­ger, s'ils acheuoyent de subiuguer toute la Si­cile. Tellement qu'ils mirent si bon ordre à leurs affaires, qu'ils aménerent les Cartha­ginois à telle extremité, qu'ils n'y tenoyent plus que la ville d'Erix: laquelle Amilcar Barcin, pere d'Annibal, defendit fort vaillā ­ment pour quelque temps, & y fit merueilles d'armes. Toutesfois les Carthaginois vo­yans qu'ils ne se pourroyent defendre ny re­sister à la force des Romains, enuoyerent commander à Amilcar de rendre la ville in continent, & faire auec eux la plus honnora­ble & auantageuse paix qu'il pourroit au proufit de Carthage.Enuiron l'an 240. auant la natiuité de Iesus Christ. Amilcar effectuant le commandement de la Seigneurie, mit la vil­le entre les mains du Consul Luctatius, & en peu de iours poursuyuant le cours de ses af­faires, repassa en Afrique, où il eut plusieurs grandes victoires contre quelque seditieux, & mit l'Estar en repos & tranquillité. Cela fait il fit le voyage d'Espagne, menant son fils Annibal,L'an 237 qui n'auoit encore que 8. ou 9. ans tout au plus, & auec luy sa mere qui estoit Espagnolle, & trois autres siens fils puisnez, Asdrubal, Magon, & Hannon: desquels leur pere Amilcar souloit dire, qu'il nourrissoit quatre lionceaux farousches & resolus à la destruction de la Republ. Romaine. Amilcar donc estant en Espagne, par sa prudence & [Page]liberalité gagna les coeurs des Espagnols en telle maniere, que il cognut que par leur mo­yen il se pourroist recourre sur les Romains, & recouurer d'eux la Sicile & la Sardaigne, qu'ils eurent aussi depuis en leur puissance, & en fin passer en Italie & les destruire. Mais estant preuenu de la mort,L'an 228 il chargea son fils Annibal, (lequel il auoit coniure à ce qu'il fust tant qu'il viuroit, irreconciliable enne­my des Romains) de mettre à chef son entre­prise. Annibal depuis la mort de son beaufre­re Asdrubal (qui auoit succedé au gouuerne­ment à Amilcar son beaupere) estant faict Gouuerneur d'Espagne,L'an 223 print la ville de Sa­gonte, qu'on appelle Monvedre, apres l'auoir assiegee huict mois.L'an 217 Ceste ville prinse il com­mença à ce disposer au voyage d'Italie, & par plusieurs trauaux & difficultez passa les Al­pes,L'an 216 & en suite gagna tant de signalees victoires contre les Romains, & les espouuenta de telle façon qu'ils pensoyent estre perdus.Annibal passa en Italie. Et l'estoyent à la veritè, s'ils ne se fussent aduisez d'enuoyer Scipion en Afrique: qui fit la guer­re si forte & si cruelle, qu'il contragnit les Carthaginois de rappeller Annibal d'Italie:Scipiō en Carthage lequel auec tout sō Estat fut en peu de temps reduit à neant, ainsi que chacun sçait. Et par ce moyen les Romains surent allegez, deli­urez & paisibles, & les Carthaginois perdus & deffaits de fond en cōble: & leur estat qui auoit este si celebre, ruine & reduit en la puis­sance de leurs ennemis.

Xerxes Roy de Perse, se voyant en vn mi­serable estat, & considerant en quelle façon il se pourroit deliurer & remettre sus, esleut les [Page 7]plus habiles de ses seruituers pour executer son desseing, & les enuoya en l'Europe auec argent pour corrompre les Orateurs des vil­les & Republiques de Grece, & ayant cor­rompu ceux d'Athenes, & de Thebes,Plutarch en la vie d'Agos. les fit sousseuer, & leur fit faire la guerre à ceux de Sparte. Par ce moyen la Grece mise en trou­ble & diuision envoya querir Agesilaus, qui tenant subiugue quasi tout l'empire de Perse, le quitta pour subuenir aux reuoltes de sa patrie. Et par ce que la monnoye de Perse a­uoit vn Archer engraué d'vn costé, le mesme Agesilaus disoit que dix mille Archers l'auo­ient ietté hors d'Asie, & auoient esté cause de perdre vn superbe & puissant Empire. Par ceste finesse Xerxes se tira de la peine & de l'extremité où il estoit, iettant son ennemy hors de chez soy, & remit sus son Estat.

Achaius Roy d'Es­coce.Induit par ses exemples (Roy Tres-chre­stien) & plusieurs autres semblables, Acha­jus Roy d'Escoce fils de Etfinis, tres bon & vertueux Prince, se voyant mal traitté par les Saxons & Anglois, qui possedoyent la meilleure partie de de la grande Bretaingne. (qui quelque annees apres fut appellee d'vn seul nom Angleterre) fit & accorda l'an 791. vne perpetuelle & irreuocable paix auec Charlemagne. Les Roys qui luy succederent,Paix par­petuelle entre Frā ce & Es­coce vos predecesseurs, considerans que ceste paix leur estoit tant proufitable & necessaire, voire plus qu'aux Roys d'Escoce, l'ont continuée jusques auiourd'huy. Et par le moyen d'icel­le, ont souuentesfois contraint les Anglois lors qu'ils estoyent ennemis, de ce retirer de la France: & bien souuent aussi leur ont [Page]taillé tant de besongne en leur pays, qu'ils auoient à farre à se defendre, & leur ont ostè toute enuie & moyens de passer en terres estrangeres. Et y a eu Roy en France qui a donne a l'Escoce pour cet effect plus de 500. mille escus;Argent donné à l'Escoçois qui estoit autant en ce temps là, au esgard à la difference des témps, comme auiourd'huy deux millions. Ie passeray sous silence plusieurs autres histoires qui sont à nostre propos parce que je sçay bien que cel­les-la suffisent pour montrer combien vous importe, SIRE, de vous deliurer de ce far­deau, & enuoyer vne bōne armee en Espagne: d'autant que de ce voyage faict biē à propos, depend vostre sauueté, & la ruine de vostre ennemy. Si vous faisiez la guerre & vostre ennemy dans l'Espagne, il seroit contraint de rappeller toutes ses forces, non seulement de la France & du pays bas; mais encore toutes celles qu'il a en Lombardie, Naples, Sicile, Sardaigne & autres pays. Nous l'experimen­tasmes n'agueres. Car si-tost que le Castillan vid les Anglois en Caliz, il appella inconti­nent toutes les Galeres de Naples,Moyen pour rui­ner l'en­nemy. Sicile & Genez. Il enuoya mesme prier le grande Maistre de Malthe de luy enuoyer les galeres de la Religion. Ce qui eust esté fait, si les Gentilshommes François ne s'y fussent oppo­sez.Oppositi­on de bons François. Il fit passer en haste en Espagne les for­ces qu'il auoit en Bretagne, & sans doute il eust faict rappeller toutes celles qu'il a és au­tres pays, si les Anglois y eussent esté plus long temps. Vous voyes Messeigneurs, comme passans en Espagne, vous pourrez oster de des­sus vos testes l'espee du Castillan, & deli­vrer [Page 8]vos pays de son superbe ioug. Vous me direz que l'ennemy a de grandes forces, & grand nombre de vieux & bien experimen­tez Soldats, par le moyen desquels encore qu'ils soyent loing, estans rappellez en Espa­gne, il vous endommagera grandement; & par consequent vostre voyage vous sera inu­tile, voire mesme dangereux, & qu'il vous faudra retirer non seulement en honte & confusion, mais qui plus est en grand'peine & grand danger. Mais à cecy ie responds:

Premierement, que si vous faites les cho­ses auec prudence vous en tirerez vn proufit incroiable, & n'encourrez nul danger. 1 Bon & vtile conseil.

Secondement, qu'en Espagne il y a des pla­ces sur le bord de la mer, 1 Places fortes de nature. que pourrez facile­ment prendre & commander, la situation desquelles est si forte de nature, que les for­tifians demain d'homme, vous les garderez pour peu de chose, & plus aisement que ne fait l'ennemy Blauet en Bretagne, & vous ser­uiront de retraitte.

Tiercement, en Espagne il y a plusieurs na­tions qui haissent le Castillan, 3 pour avoir esté tyrannisez, ou par luy mesme; ou du moins par ses predecesseurs; lesquelles ce voyans assistées à bon escient, pour le grand desir qu'elles ont de s'affranchir prendont les ar­mes contre l'ennemy.

Quatriesmement, les soldats qui sont hors d'Espagne, estans rappelles par leur maistre, 4 ne sçauroyent arriuer que dans quatre mois au plutost, & dans deux vous pouuez armer & agguerrir tous ceux qui prendront vostre party. Car il est certain que le climat du pays [Page]les aide & les rend soupples. I'ay quelques­fois veu auec plusieurs autres en Portugal entrer en Garnison vne compagnie de nou­ueaux soldats, ou pour mieux dire, vne troup pe de gueuz & caimands, tous nuds, & si mi­serables, que nous en auions pitie. De là à quatre ou cinq iours, a pres qu'on les eut ha­billez tout à neuf, les voyans entrer en garde vous eussiez dict que c'estoyent des grands Gentilsho mines, tant ils auoient bonne gar­be & mine de braue Soldats & vieux rou­tiers. Ie vous asseu re que deux mois suffisent à ceux du pays pour ce rendre soldats. la plus grande difficulte est seulement de n'auoir point de peur du feu de l'arquebuze. Dauan­tageles provinces d'Espagne sont riches, ainsi que tout le monde scait, & les habitans ne font pas cas de leurs biens quand il est question de se mettre en liberte.Le natu­rel des Espagnols naturels. car en ce cas ils les dependent liberalement; ainsi qu'il se void par l'offre qu'ils firent au Roy Philip­pe, depuis que les Anglois se furent retirès de Caliz. Et enuoyant de l'argent en ces quar­tiers, ils feront bien plustost assembler & pas­ser en Espagne cinquante mille hommes de guerre. pourse secourir, defendre & garder que l'ennemy en puisse faire venir cinq mille de ceux qu'il rappellera de dehors.

Si quelqu'vn me dit, que puisque deux mois suffisent aux naturels Espagnols pour se rédre bons soldats, l'ennemy pourra beau­coup plus facilement assembler & armer plus grand nombre d'hommes, que nous n'aurons secours des nostres. Ie respōds que ie l'accorderois s'il y auoit des armes en [Page 9]Espagne, pour le faire: mais elle y sōt si rares, qu'il y a beaucoup de grandes villes & fort peuplees dans lequelles on ne trouuera pas cinquante arquebusez.Armos rares en Espagne. Et quand il y en au­roit, les Espagnols en Espagne les prendront bien plus gaillardement pour leur liberte, que pour le seruice de leur tyran. Principale­ment les Princes & Seigneurs, qui ne desirent autre chose sinon qu'il y ait en Espagne quel­que Royaume ou Prouince libre, & qui se gouuerne par soy mesme, afin de s'en seruir comme de refuge & d'azyle, ainsi qu'il y auoit le temps passè. Car l'Espagne estant quasi cō ­me vne isle, auiourd'huy les Princes,Espagne quasi isle Seig­neurs & gentilshommes signalez n'en pou­uans aisement sortir, sont rendus esclaues. Quand il y auoit des Roys en Nauarre, Arra­gon & Portugal & que les Castillans auoyent quelque differend auec leur Roy (ou les Na­uarrois, Arragonois & Portugais auec les leurs) ils se retiroyēt les vns vers les autres, par la liberalité desquels ils estoyēt pourueuz de toute ce qui leur estoit necessare pour la vie humaine: & quelquesfois auecplus grāde cō ­modité qu'en leur propre pays. Ainsi qu'il ad uint du temps de Fernand Roy de Portugal, & de Henri II. de Castille, qui tua son frere legi­time. A cause dequoy le Comte D. Fernand de Castre & D. Aluar peres de castres son frere, Mē Suares Grādmaistre d'Alcantara, Suer Iuā de Parada gouuerneur de Royaume de Gali­ce, Petro Giron Grandmaistre de Galatraua, Alonso Giren son nepueu, & plusieurs autres grands Seigneurs & gentilshommes auec grand'quantité de citez & villes tenans le [Page]party du Roy defunct, s'en allerent en Portu­gal; où furent receuz par le Roy Fernand tres honorablement, & receurent de tres­grandes faueurs de luy auec riches presents & dons incroyables: & deslors les Castres s'habituerent en Portugal, d'où descendent ceux qui sont encores auiourd'huy. Le mes­me aduint à Diego Lopez Pacheco portugais (bien que non pour si iuste & honorable cau­se) lequel s'en allant de Portugal en Castille pour estre chargé de la mort de la Royne D. Iues de Castro, du temps du Roy D. Pierre de Portugal,Hierome Gudiel ch. 23. fol 81. pag. 2. fut faict en ce pays la seigneur de Beiar, & ses enfans aussi seigneurs d'autres peuples, & donnerent origine aux Marquis de Villana, & aux Ducs d'Escalona, & à plu­sieurs autres grands seigneurs. Pareillement du temps du Roy D. Iuan de Portugal de bonne memoire, les Acugnas & Pimentels passerent en Castille, desquels descendent en ligne masculine les Ducs d'Ossuna & Com­tes de Benavente, & quasi tous les Princes & seigneurs de Castille,Auiour­d'huy mā que à la noblesse dEspagne refuge & azyle. & D. Iuliene de Lanca­stre Duchesse de Auero en Portugal. Auiour­d'huy ce rufuge & azyle manque à toute la noblesse d'Espagne; & suffit maintenant le moindre Preuost, pour prendre le plus grand'seigneur du pays, mesme le propre frere du Roy. Tellement que ses Princes & Seigneurs desirent de voir quelque Royaume ou pro­uince libre d'aussi bon coeur que leur salut.Regret & fascherie des Prin­ces & sei­gnours. Personne ne sçait quelle affliction & quel mal c'est que la faim, sinon celuy à qui le pain default. La noblesse d'Espagne experimente auiourd'huy auec grand'douleur ce qu'elle [Page 10] d'Espigne pour voir l'inuasiō & l'vsur pation de portugal, & quel desir ils ont de le voir de­liuré. craignoit le plus de temps de Charles le Quint, le grandeur duquel elle auoit desia lors suspecte: & pour ceste cause se fascha fort quand le Roy Philippe entreprint l'vsur pation de Portugal.

Connestagio Geneuois au liure qu'il a faict en faueur dudict Philippe, intitulè L'v­nion du Royaume de Portugal auec la cou­ronne de Castille, nous dit l'vn & l'autre. Et combiē qu'en son oeuure il y ait plusieurs ve­ritès; nous le cognoissons neantmoins pour vn tres-grand menteur: Et la premiere parole dudict liure est faulse en ce qu'il l'intitule L'vnion de Portugal auec la couronne de Castille:Sermēt de Philippe, par-co que le Roy Philippe és estats qu'il tint à Tomar 1581. où les Portugais con tre leur volōté & par force le receurent pour Roy, promit auec sermēt solennel, de ne mes­ler iamais les choses de Portugal auec celles de Castille, & de conseruer entiere la Monar­chie Portugaise au mesme estat, ainsi & en la mesme maniere que le roys ses predecesseurs l'auoient conseruee, payant toutes les pen­tions & gages à tout les officiers de la mai­son du Roy tant spirituels que temporels,Explica­tion de la genealo­gie du Roy à present Autheur Fr. Ioseph Texere. ainsi qu'ils se payoient au temps des vrais & bons Roys. On peut voir quelque chose de ce­cy en la fin du liure de l'explication de la ge­nealogie de sa Maiesté Tres-chrestienne, où il est parlé des premiers Rois de Castille. Et ou­tre ledict Conestagio est comme malin & peruers, ingrat ennemy de la nation qui l'a auancé & honnoré. Nous l'auons cognu à Lisbonne seruiteur d'Antonio Caulo, & de­puis [Page]d'Estienne Lercaro marchant Genevois. Il dit en son liure:

En Castille ceste succession donnoit bien à penser & dequoy parler tant en public qu'en particulier: par ce que le Roy faisoit estat d'vnir en quelque façon que ce fust, Por­tugal à ses autres Royaumes. Ce que la Noblesse trouuoit fort mauuais, mesme sembloit que tous les grands depuis Charles le Quint en-çca ne goustassent pas la grandeur du roy: par ce que de là venoit qu'il faisoit moindre cas de eux, que n'avoyet faict les anciens Rois de Castille, & les contraig noit d'estre egaux à leurs inferieurs en iustice ou autremēt.

Si D. Antoine Roy de Portugal viuoit, il pourroit tesmoigner comme depuis que l'ē ­nemy entra en Portugal auec maint armee, & print Lisbonne, estant en la ville de Badajòs, plusieurs seigneurs Castillans s'offrirent à luy donner entree en ladicte ville, & luy promi­rent toute aide pour se saisir de l'ennemy mesme. Ce que ledit seigneur ne peut effe­ctuer, pour auoir este en peu de jours depos­sede de tout le Royaume en la Cite de Puerto de Portugal. Aussi pourroit il acertener, qu'el stant en ce quartier la, plusieurs Seigneurs de Castille luy enuoyerent offrir leur service & assistence, en cas qu'il voulust mettre le pied en Portugal. ce qu'il communiqua (si ie ne me trompe) au Roy & principaux seigneurs de France, & mesme a la Royne & quelques seigneurs d'Angleterre. Toutesfois touchant le desir de la liberté, c'est chose qui touche principalement les Princes & seigneurs & Hijos d'Algo d'Espagne. car quand à ces messieurs de robe lōgue & a la canaille Castil lane, il se resiouissent de ceste captiuité & ser­uitude, [Page 11]par-ce qu'eux seuls commandent & triomphent ayans les principaux manimens du royaume, voire mesme le gouuernement du Roy entre leurs mains. Et combien qu'ls le haissent extremement, & veullent beau­coup de mal à sa personne, il sont toutesfois tant amis de leur nation, & si aises de le voir commander sur tous les autres, que s'ils sça­uoient quelque chose, soit en public soit en particulier, qui peust porter dommage à sa tyrannie, ils ne lairroient pas pourtant de l'en aduertir. Tel est le naturel des Castillans,Ioseph de bello Iud. li. 1. ca. 3. lesquels estans issus & souillez de la race des Iuifs, ne peuuent qu'ils ne suyuent les traces de leurs predecesseurs. Auiourd'huy suiurōt & loueront Antigonus, demain accuseront sa bonte comme crime de leze Maiesté, & la jugeront orgueil & vanité & comme trai­stres l'abandonneront, & l'accusans deuant Aristobulus, seront cause de sa mort. Et pourtant, SIRE, je supplie vostre Majesté, & tout les Princes Chrestiens,Sire, bon & sain conse [...]l. de se garder & deffier des Castillans, encores qu'ils se mō ­strent ennemis mortels de leurs Roys, & de tout leur coeur affectionnez à vostre seruice.

Ce vulgaire Castillan, SIRE, est si malin & si peruers, tant plein d'arrogance, d'ambi­tion, de tyrannie & d'infidelite, que Fernand Roy de Portugal estant heritier des Royau­mes de Castille & de Leon, appellé par eux,Malice de la nation Castilla­ne. qui offroient de le receuoir pour leur Roy & Seigneur, les Portugais n'y voulurent con­sentir disans qu'ils ne vouloyent point mesler auecques eux, non-pas mesme pour les commander. Et comme vn iour ie deui­sois [Page]auec vn Seigneur de vostre conseil tou­chant cet affaire, il me respondit auec beau­coup d'estonnement: Certes ie ne me'sbahis plus de ce que i'ay ouy conter d'vn Predica­teur, lequel l'an 1596. preschant cet Euan. Diliges Dominum, Matt. 22 &c. Et proximum sicut to ipsum: dit que par ce precepte Dieu nous comman­doit non seulement d'aimer, nos pere & me­re, nos fils, freres, parens, amis & compatri­otes,Exemple fort re­mar qué. mais aussi les heritiques, estrāgers, Iuifs Payens, Mores, Tures, voire mesme les Castil­lans. Cela est aduenu, comme luy fut dict, & ce Predicateur estoit religieux de l'ordre S. Dominique, & preschoit en vne parroisse de Lisbonne qui s'appelle la Magdelene, des principalles de la ville, où sont la plus part de ceux qui la gouuernent, plusieurs Presidens de Parlemēt, Conseillers, Gentilshommes, & tres-riches marchans. Ledit seigneur s'esba­hissant derechef me demanda comment on endura que cela se dist en chaire sans chastier ce religieux. à quoy ie luy fis responce qu'aus si n'auoit il pas faute d'accusateurs: mais le nombre de ceux qui le portoyent & fauori­soyent, pour la liberté de ceste parole, estoit si grand'que l'on ne donna point d'audience à ceux qui l'accusoyent. Aussi les Portugais disent ordinarement que les Castillans sont pires que les infideles mesmes: mais quelque mal qu'ils en puissent dire, encores se mes­content ils, pour ce qu'il y en à beaucoup d'auantage. Ce que ledit seigneur montrant de reuoquer aucunement en doute, me re­plica; Encores que ie croie vne partie de ce que vons me dites, si est-ce qu'il me reste [Page 12]vn scrupule de ce q̄ 'ay leu, que les Portugais & les Castillans sont d'vne mesme prouince, & nez presque d'vn mesme tronc, & issues d'vne mesme souche, & qui parlent tous vn mesme langage. Telle est l'opinion Conestagio, dont nous auons desia parlé.Conn. lib 1. fol. 4 pag. 2. Mais il ne sçait ce qu'il dit. car les Portugais descendent des Gaulois, Celtes & Braccates, & leur langue est presque Latine. Et quand aux Castillans, nous ne sçaurions dire certai­nement d'ou ils descendent. Toutesfois ce que par circonstances & preuues euidentes, nous en iugeons & voyons, est que ils descendent des Vandales, des Iuifs & des Mores, & leur langue est quasi Moresque, & la pronon­cent tout de mesme que les Mores. De là vient que se trouuans es pays des Sarazins, ou des Turcs, ils renient si facilement la foy. Chrestienne, & se font du tout Infide­les. Il est vray que les Princes & seigneurs & Hijos D'-algo sont extraits des Gots ou des anciens Espagnols, qui habitoyent les mon­taignes & le pays de Leon & d'Ouiedo, & la province de Galice, en la quelle est enclos l'an cien Portugal.Conn. au mesme lieu. Connestagio dit en ce mesme lieu que ces deux nations s'entrehaissent fort l'vne l'autre, & met vne chose tres-fause; à sçauoir que la haine est beaucoup plus gran­de es portugais que non-pas es Castillans. Ce qui est du tout faux.Fausseté de Con­nestag. Les Portugais ne haissent pas les Castillans, mais bien leurs actions, comme meschantes & tyranniques: Les Ca­stillans au contraire, pour ce qu'ils ne peuuēt auec raison hair les actions des Portugais, d'autant qu'elles sont bonne & justes, haissēt [Page]les personnes qui les ont tant de fois vaincus & mal traittez; & ce d'autant plus qu'ils sont en nombre infini, par maniere de dire, & les Portugais en si petit nombre. La haine est si certaine es Castillans contre le-Portugais, qu'il se dit en prouerbe, que depuis la batail­le, d'Aljibarto les Castillans n'ont voulu souf­frir que l'on preschast plus le Vendredy de la premiere sepmaine de Caresme, auquel iour l'Eglise chante cet Euangile où il est dict;Matth. 5. Diligite inimicos vestros. & pour ce ils iugent les Portugais semblables, & les estiment de mes­me naturel qu'eux. L'vn & l'autre se preuue par ce que dit vn iour Charles V.au Colonel Ferràs Portugais, qui és guerres d'entre le­dit Empereur & François I. Roy de France, print le party des François contre les Impe­rialistes. Les guerres finies, & la paix faicte entre ces Princes, le Portugais se retirant en Portugal passa par Castille, où il fut voir ledit Charles V.qui le cognoissoit, & l'aimoit pour sa valeur, & luy faisant beaucoup d'honneur le retint quelques iours en sa Cour, où deui­sant vn iour familierement auec luy, vint à luy dire: Capitaine Ferràs. Ie voudrois bien sçauoir pourguoy vous auez prins le party du François contre moy, veu que nous som­mes d'vne mesme nation. Car bien que vous soyez Portugais, & moy Castillan, si sommes nous tous deux Espagnols. LeColonel respō ­dit: SIRE, quand les Portugais sortent de leur pays, soyent riches ou pouures, leur but n'est autre que d'acquerir de l'honneur. I'a­vois moyen de viure en gentilhomme hon­nestement en mon pays: toutesfois resolu de [Page 13]sortir dehors, ie fis premierement conte en moy-mesme. Mon conte faict, ie conçeuz à­part moy, que ie pouuois acquerir plus d'hō ­neur prenant les armes contre le plus grand Capitaine du monde, que les prenant pour luy pour combatre contre quelque autre. Et pourtant ie le prins contre V.M. L'empereur se sousriant dit: Ie croy que ce n'est pas là la cause; mais plutost la vieille haine que les Portugais portent aux Castillans. Le Portu­gais en grande cholere respondit: SIRE,Belle res­pōse d'vn Porugais. ie iure à V. M. que iamais ni en mal ni en bien les Castillans ne me veinrent en memoire. L'Empereur faisant semblant que ceste re­sponce le cōtentoit, l'embrassa plusieurs fois Mais il iugeoit des Portugais selon ce qu'il auoit au coeur. Car il auoit assez de sang Ca­stillan du costé de sa mere pour les hair. Mo­dicum fermenti, &c. Ainsi se void, la faulseté de Connestagio. Son histoire est bien escri­te & en bon stile, mais faulse. & passion­née; par ce qu'il blasme & iniurie tous ceux desquels il parle, voite le Roy Philippe mes­me, en faueur duquel il l'a escrite. Et pour ceste cause principalement elle fut defendue en Portugal. Or laissant Connestagio, & ayāt montré combien ceste nation Castillane est plus maligne & peruerse que toutes les autres d'Espagne; ie diray vne chose notable en passant, & qui touche plus à celle de. Por­tugal: C'est que ces nations desirent tant la liberté, qu'ils font tout ce qui leur est possi­ble pour l'auoir, estans prests de receuoir les Diables mesmes, s'ils les veulent fauo­riser en cela. Mais si quelque nation estran­gère [Page]passe en Espagne à autre fin, ils feront tout ce qu'ils pourront pour leur fermer ce passage, & leur empescher l'entree; faisans fort peu de compte de leur vie, & encores moins de leurs biens (parlant de faire passer des nations estranges en Espagne, ie vous ad­uise qu'elles seront bien mieux receüs des peuples du pays quand elles seront meslees plusieurs ensemble, que s'il n'y en alloit qu'vne seule; parce que la diuersite leur oste­ra tous so upçons qu'ils pourroyent auoir qu'on iroit pour conquerir leur pays, & non pour les deliurer. Tellement qu'ils les rece­uront ioyeu sement & en toute asseurance.) De mesme si le tyran leur commande d'allcr faire la guerre hors de leur pays, s'offrant principalement le respect de la Religion, ils luy seront plus fideles que Auila & Siman­cas en Castille, & que Celorico & le chasteau de Coimbre en Portugal. Pour preuue de cecy,Loyauté des Por­tugais. souuenez vous qu'en l'an 1588. le Roy de Castille enuoya en l'armée nauale qui vint en la coste de France, deux regimens de Portugais, chacun de 800. hommes, ou en­uiron. Ceux-cy bien que ennemis à cause de l'vsurpation qu'il a faict de leur pays; pour luy auoir promis fidelité en ce voyage, combatans contre les Anglois & Flamands, firent telle preuue de leur valeur, qu'ils s'a­uantagerent en faicts d'armes & proüesses par dessus tous ceux de l'armee: & eux seuls firent plus pour le seruice du Roy de Castil­le, que tous les autres alliez. Tellement que nul de ceux qui auoient commandemēt en l'armee, ne fut receu auec honneur par le [Page 14]Roy Catholique,Colonnels Portugais de l'arme [...] de l'an 1588. sinon les Colonnels Portu­gais: asçauoir Gaspar de Sousa & Antonio Perera. Lequel Perera mesmes auoit com­batu vaillammēt pour defendre la liberte de son pays, & pour le seruice de son vray & na­turel Roy alencontre dudict Seigneur Roy de Castille, lors qu'il entra en Portugal auec main armee pour l'enuahir.

L'an 1582. quand D. Aluar de Bassan Mar­quis de S. Croix eust esté rencontré sur mer auec le seigneur de Stroce, ceux qui comba­tirent le mieux, & se montrerēt les plus vail­lans, fut le Marquis de Favare Portugais,Marquis de Fauare tres-fidele à sa patrie & à son Roy, (par le cō ­seil & aduertissement duquel vn tres-grand & tres-bon seruiteur de l'Estat & du Roy D. Antonio conserua sa vie) & quelques autres gentilshommes de sa nation.

Qui print le nauire qu'on nonmoit la Re­uange,Prinse de la Reuan­ge, de la Royne d'Anglet. de la Roine d'Angleterre? D. Louys Coutigno seigneur Portugais, lequel aupa­rauāt auoit este fort fidele à sa patrie: & pour la defense de son Roy combatant contre le Duc d'Albe receut plusieurs coups mortels en la bataille d'Alcantara, le mesme iour que Li [...]bonne fut perdue, qui fut l'année 1580. le vingtsixiesme d'Aoust.

Et pour vous monstrer plus distinctement & clairement la verité, ie vous reciteray vne histoire vraye. L'an 1589. D. Antoine Roy de Portugal accompagnè d'Anglois & Hollan­dois s'en alla en Portugal, & mouillant l'an­chre au haure de Piniche, ceux du Chasteau commencerent à tirer sur son armee: mais le capitaine du chasteau Antonio de Araujo [Page]Portugais estant acertené que le Roy D. An­tonio estoit en ceste armee, defendit aux ca­nonniers de plus tirer, & fit mettre l'enseigne blanche, à la veue de laquelle D. Antonio commanda que chacun descendist en terre, & que tous s'acheminassent vers la ville. Ce qu'ils ne firent pas sans contraste & resistence de quelques compagnies Castillanes, qui se retirerent en fin auec perte de quelques vns des leurs. Des premiers qui arriuerent en la ville, fut le Comte d'Essex, Prince du sang Royal d'Angleterre, & orne de plusieurs ver­tus morales. Et parlant ledit Seigneur au ca­pitaine du chasteau, qui estoit sur la murail­le, vn de sa compagnie dit: Le Seigneur Cōte d'Essex vient icy par le commandement de la Roine d'Angleterre, au nom de laquelle il demande que luy rendiez le chasteau, Le ca­pitaine luy respondit: Philippe Roy de Ca­stille m'a baille ce chasteau en garde, duquel ie luy ay faict hommage: & partant ie le def­fendray cōtre tous ceux qui me le voudront oster, & ne le rendray à personne qu'au Roy D. Antonio, parce qu'il est à luy, & le recog­nois pour mon Roy & Seigneur: & s'il n'est en ceste armee, comme l'on m'a dict, chacun se retire autremēt ie vous feray perdre à tous la vie. A ceste parole le Comte d'Essex se re­tira au bord de la mer vers lequel vinrent les seigneurs Scipion de Figueyredo de Vascon­celles, n'agueres gouuerneur de la Terciere, & Antoine de Brito Pimentel, & autres gen­tilshommes Portugais de la suite du Roy: Iesquels entendans cecy dudit Comte s'en allerent droir au chasteau, & asseurerent le [Page 15]capitaine que le Roy D. Antonio leur Sei­gneur venoit. Le Roy dans peu de temps ar­riuant là, & appellant le capitaine, qui le re­cognut à la parole; il luy respondit: Sire ie m'en vay ouurir la porte à vostre maiesté.Reddition du cha­steau de Peniche. La porte ouuerte, il se mit à genoux, & baisant les mains du Roy, luy liura les clefs du cha­steau. C'est chose veritable que s'il eust vou­lu tenir bon l'armee Angloise n'estoit pas ba­stante de prendre le chasteau, estant bien mu­ny d'attilleries & toutes choses necessaires. Car outre beaucoup de pieces de fer, il y en auoit 85. de bronze.

Tous ces exemples montrent combien les Portugais sont fideles à ceux, ausquels ils promettent loyauté & donnent leur parole. Et parce que ie sçay que V.M. a conceu opi­nion de moy comme dc personne curieuse, qui sçay ce qui se passa en ce voyage, & qu'el­le desire entendre qui fut cause que D. Anto­nio ne demeura en Portugal, & que rendant ce chasteau & autres places imprenables il s'é retourna en Angleterre auec son armee sans autre effect qui vaille, perdant la plus grand part de ceux qui s'estoient embarquez auec luy: Ie veux raconter, SIRE, en bref le suc­cez, l'aissant plusieurs particularitez; parce que pour les conter toutes, il faudroit em­ployer beaucoup plus de temps qu'il n'est de besoing pour acheuer ce traicté. Ce que i'ay doncques à dire, c'est que comme Dieu cha­stie & abaisse les grāds Estats & monarchies, permettāt à cause des pechez du peuple, qu'il y ait des Pharaons, Nabuchodonosors, Cali­gules, Nerons, Diocletians, qui luy seruēt de [Page]bourreaux (Atila s'appelloit le fleau de Dieu, & Tamerlan l'ire de Dieu) il semble aussi qu'il ait permis que le Roy Phillippe soit le ministre & l'executeur de son courroux, & que par quelque sien secret iugement hors de toute apparence humaine il n'ait encores voulu pour ceste fois permettre la deliuran­ce de Portugal. Car il n'estoit pas possible que les hommes fussent si aueugles à leur perte & ruine, comme ils ont este en ce voya­ge, si la puissance diuine ne les eust aueuglez, leur ostant l'vsage de leur bon entendement. La plus part de l'armee s'embarqua à Dou­ure le 24. de Mars,Narratiō du voya­ge de Portugal l'ā 1589. & s'en allerent à Plym­mouth: d'où ils partirent ensemble le 29. d'Auril, voyās la leur nombre fort diminuer par la contagion qui s'y mit: & au lieu de prendre la route de Portugal, s'en allerent à la Crougne, où la plus part des soldats mou­rurent, & tous les meilleurs canoniers. Tel­lement qu'ils diminuerent beaucoup leurs forces, & donnerēt en ce faisant loisir à l'en­nemy d'enuoyer gens à Lisbone, & de tirer de Portugal ceux qui luy pouuoient donner soupçon: comme il en tira plus de cent que seigneurs que gentilshommes, lesquels esto­ient fort contraires à son party,Seigneurs tires de Portugal par le Castillan. qui par leur absence firent grād'faute à leur Roy & à leur patrie. Ils vindrent donc à la Crougne le 6. de May, où ils furent iusqu'au 20. auquel iour ils se rembarquerent & firent voile vers le Portugal, où ils prindrent terre à Peniche le 26. de là laissās au chasteau quelques soldats auec Antonio de Brito Pimentel susnommé (qui est le chef de la maison de nos Pimētels [Page 16]d'Espagne) & enuirō 800. malades, s'en alle­rent, le general Drac par mer, & par terre, le seigneur general Norys auec 35. ou 40. che­naux, & quelques 6000. hommes de pied, si mal armez qu'vne bōne partie d'eux n'auoi­ent point d'espees, & n'y auoit pas 50. corce­lets, par faulte de chariots pour les apporter par terre, & portoient mesme leurs poudres sur leurs espaules: & beaucoup au sortir du logis laissoiēt à la desrobee les picques, & au­cuns les arquebuses pour se charger de pots & bouteilles de vin qu'ils trouuoient en tres­grande quantité. Ce qui veritablement les endommagea le plus.Le vin g [...] sta tout. Car pour ceste occasiō ils cheurent en diuerses maladies, & mouru­rent en tres-grād nombre; n'estant pas la na­tiō Angloise accoustumée à boire continuel­lemēt du vin, & leur biere n'est pas boisson si forte. Le iour suyuāt, trois lieües deuāt qu'ar­riuer à vne ville nōmce Torresvedras, furent en chemin portees les clefs du chasteau Roy D. Antonio; lequel chasteau est si fort, que vingt hōmes auec les munitions necessaires, le garderont & defendrōt contre cent mille. Tout le long du chemin iusques à Lisbone, qui est biē de 60. milles, n'y eut pas vn Castil­lā qui osast paroistre, & sept cheuaux Anglois firent enfuir 60. Castillans.Grand quantité de Portu­gais vin­rent bai­ser les mains à leur Roy. Alors plusieurs Portugais vindrēt baiser lesmains de leur Roy en grād 'affluence, toutesfois parce qu'ils ve­noyēt sans armes, ayās esté desarmez, & n'en pouuans trouuer ny à donner ny à achepter, encore que pour cet effect ils eussent ex­pressement porté de l'argent, ils s'en retour­nerent quasi tout en leurs maisons, & ne [Page]peut-on armer plus de 1000. hommes de pied & 120. cheuaux auec lances & targues, bien qu'ils fussent venus en nombre infini; entre lesquels il y auoit plusieurs gentilshommes, qui pour n'estre pas vestus de velours, ou de satin, mais à la mode du pays, n'estoyent pas recognus pour tels par les estrangers. Le Ven­dredy 2.Armee arriuee à Lisbonne. Iuin vinrent de nuict à Lisbonne, & logerent au fauxbourg saincte Catherine, qui est si grand qu'il y auoit enuiron 12000. personnes de l'armee logez au large, & si n'en tenoyent pas la tierce partie.Grand faux­bourg. Les officiers du Roy D. Antoino trouuerent qu'il y auoit en ce fauxbourg des marchandises valans plus de quatre millions; à sçauoir espiceries, drogues,4. milliōs en mar­chādises trouuees ence faux bourg. succre, vin, chairs, froment, biscuit & autres denrees, comme le seigneur Roger Vuilliam Colonnel Anglois qui auoit este en ceste armee, tesmoigna depuis en la ville de Manthe presens plusieurs personnes de qua­lité, disant qu'il estoit entré en la pluspart des maisons dudict fauxbourg auec vn marchād Anglois qui estoit sorty de la ville, & qu'il a­uoit trouué pour plus de six millions de mar chandise.6. milliōs. Le fauxbourg est à l'Occident de Lisbonne, où ils se logerent contre la resolu­tion qu'ils auoyent prinse en vn conseil tenu le iour precedent à deux lieüe de la cité,Armee logee du­costē de l'Occidēt contre la de ter­mination tenue au conseil, qui estoit de loger du costé de l'Orient, pour déux raisons. L'une, pour empescher qu'il ne vinst secours à l'ennemy par terre, par ce que l'ar­mee nauale estoit à l'Occident, & la mer au Midy, & au Septentrion les montaignes de Sintre, & ne peussent auoir aucune intelligē ­ce. L'autre, parce qu'estans en ce quartier là [Page 17]ils rendoyent le chemin libre aux bons Por­tugais qui venoyent trouuer leur Roy. Ce qu'ils prindrent logis du costé d'Occident, fut cause que l'ennemy peut auec seureté faire sortir de la ville deux cens cheuaux, les­quels tuerent & prindrēt prisōniers plusieurs Portugais, & grade quantite de viures, qu'en­uoioyent les villes qui auoyent prins le parti du Roy: & aussi empescherent que plusieurs autres ne se vinsent ioindre à luy.Sortie des Castillans Le Samedy suyuant 3. Iuin, entre deux ou trois heures apres midy. sortirent de la cité enuiron deux cens cheuaux, & 800. hommes de pied, quel­ques vns desquels entrās dās les rues du faux­bourg, & crians à haute voix Viue le Roy D. An­tonio, vinrent iusques à vn corps de garde, & en tuerenr iusques au nombre de treze ou quatorze, par ce qu'ils estoyent logez en la rue sans se barricader.Negligen ce grande des offi­ciers de larmee. Toutesfois les Portu­gais du Roy descouurans que c'estoyent Ca­stillans, & non Portugais, donnerent l'alarme si chaudement, que sortant vn regiment An­glois auec quelques Portugais, chargerent l'ennemy en telle furie, qu'ils le firent fuir, & en tuerent sur la place six vingts, auec quarā ­te ou cinquante cheuanx prins. Et fut la fuite des Castillans si precipitee,Ronte. des Castillans que rentrans en la cité ils laisserent la porte de S. Antan ouuerte En ceste rencontre mourut vn Cheualier An­glois Colonel d'vn regiment, nommé le sieur Bret, homme tres braue & de tres-grande ex perience en l'art militaire. Or d'autant que le general Drac n'entra pas dans le port de la cité iusques au Dimanche suyuant, comme il auoit esté resolu, & aussi parce que la plus [Page]part des soldats n'auoyent ny corde ny poul­dre pour tirer plus deux ou trois coups les Seigneur general Norys fut contraint de leuer le siege, & se retirer le Lundy matin sans autre effect contre ladicte cité;Siege leué de Lisbone Esperāce des Portugais. dans la­quelle les Portugais n'attendoyent que de voir mettre les eschelles aux murailles, pour courir sus aux Castillans. Et pour ceste cause le mesme iour que le camp se leua fut pris D. Rodrigo Lobo, issu d'vne tres-illu­stre maison,D. Rodri­go Lobo executé: frere du Baron d'Alvito, qui est seul Baron en Portugal, & grand Seigneur, & eut la teste tranchée le mesme iour de Lundy 5. Iuin l'armée veint à Cascays d'où ceux de l'armée faisoyent quelques saillies contre les ennemis, qui estoyent tellement espouuentez, que cincquante mousque­taires Anglois, & sept cheuaux portu­gais firent deslogér d'vn village à vne lietie & demie de la dite ville de Cascays deux cent cheuaux Castillan,Chose ve­ritable. qui s'enfuy­rent à Lisbonne en si grand'haste, qu'ils laisserent partie de leurs armes & bagage, & le disner tout dressé.Chasteau de cascays rendu au Roy. Apres auoir rendu le chasteau de Cascays le Roy & les Gene­raux en conseil tenu à Midy le douze du mesme mois, present le seigneur Comte d'Essex, auec plusieurs autres seigneurs. & tous ceux qui auoyent commandement en l'armee resolurent de retourner à ladicte cité de Lisbonne le iour suyuant,Conseil de retourner à Lisbone. qui estoit le S. Antoine portugais de nation, surnom­mé de Padoue; en ceste façon: Le Seig­neur Norys auec tous les soldats sains & dispos deuoit aller par terre, en la cōpaignie [Page 18]duquel seroit le Roy: & le general Drac par mer auec ses mariniers & les soldats bles­sez ou malades, & auec les gentils-hom­mes, qui n'auoyent pas moyen de marcher par terre: & pour mettre l'ennemy en con­fusion, faire passer de l'autre costé de la mer 300. Portugais & 100. Anglois. Que s'ils l'eussent ainsi execute, sans doute ils eus­sent aussi gagné la cité, bien qu'il eust de­dās plus de quatre mille Castillans, qui auo­yent prins l'espouuante des Anglois & des Portugais qui estoyent auec le Roy, & aussi de ceux de la CitéVictoire. la Crou­gne. scachans qu'en la Crougne huit cens Anglois auec deux cens Hollandois & quelques Portugais auoyent deffait dix mille de leurs gens, en la com­pagnie desquels il y auoit quelques mille vieux soldats, qui estoyent là demeurez de l'armee nauale de l'anne precedente; le Comte d'Andrada, le Comte d'Altamira, & le Doyen de S. Iaques de Compostella, & plusieurs autres Gentilshommes. Telle­ment que ceux de la cité auoyent resolu que si tost qu'ils verroyent l'armee de mer An­gloise passer la tour de Bethlehem, ou celle de terre assaillir ladite cité, le Cardinal d'Au­striche s'embarqueroit auec tous ses gents pour passer delà la mer. Et pour cet effect teno yēt les galeres toutes prestes, & plusieurs bar­ques frettées, entre lesquelles y en auoit beau coup de loues à 300. ducats pour le passage de trois lieues seulemēt. Ce cōseil acheué Drac s'enva au nauire nōmé Reuāge, & faisāt voile à 3. heures apres midy, cingla deuers Lisbo­ne. Que [...]ques vns pensoient qu'il allast voir [Page]la carrere de Alcaceua, qui est vne entree du port, par où passent ceux qui veulent euiter le danger de la tour de S. Gian:Tour de S. Gian. parce qu'en ce conseil, où furent appellez plusieurs vieux Portugais pilotes, bien versez en cest mer là, fut resolu que l'armee nauale entreroit par ce chemin, pour estre seur, ioinct que en ce iour là il y auoit assez d'eau pour voguer, à cause de la conionction de la Lune, & que le vent estoit fort fauorable.Drac s'ē ­va à la mer' con­tre la re­solution prinse au conseil. Drac, toutes-fois sur le tard, tourna la teste du nauire sur l'Oc­cident, aduerty que par là passoit vne flotte d'enuiron 30. nauires d'Ostrelins, desquels il en print 25. ou 26. Mais cela empescha que la resolution prinse ne sortist son effect; & contraignit le seigneur Norys, le Roy, & le seigneur Comte d'Essex, de s'embarquer le iour suyuant, & prendre la mer, où ils ren­contrerent Drac le Vendredy suyuant. Il me semble que ce peu, sans specifier d'autres par ticularitez, suffit pour contenter le desir de vostre Majesté,Embar­quement de l'ar­mee. & pour mōstrer la cause pour­quoy rien ne se fit en Portugal, & que Dieu ne le voulut encore restablir pour ce voyage là. Ie dis plus, que la principale cause pour laquelle tant de fautes se firent,Raison pour la­quelle en ceste ar­mee ont esté com­mises tant de fautes. & que rien de ce qui auoit esté resolu au conseil ne s'exe­cuta, fut par ce que ceste armee auoit esté le­uee par marchants: & en ces choses là les Princes se doiuent employer de propos deli­beré. Tellement que l'armee se doit nommer d'eux, & eux y doiuent auoir plus d'interest quemul autre. car elle doit entierement des­pendre d'eux, & doiuent les chefs estre choi­sis par eux mesmes, & en eslire vu souuerain [Page 19]auquel obeissent tous les autres. Voila pour­quoy le seigneur Drac estant nommé & en­uoyé par les marchands, qui s'estoyent les plus engagez en ceste armée, faisoit plutost ce qu'ils vouloyent, & ce qui luy venoit en fantasie, que non pas ce que le seigneur No­rys, fort experimenté, sage & bien entendu, tant au gouuernement politique, qu'en tous exploits de guerre, luy conseilloit fort bien. Ce bon seigneur s'efforça & trauailla assez pour demeurer en Portugal, tant en ce quar­tier de Lisbone, qu'ailleurs. Depuis l'armee estant à la voile, ledit seigneur Norys ne peut iamais par aucunes prieres persuader Drac de mettre pied à terre en Portugal, & prēdre vne Cité où l'on sçauoir bien qu'il n'y auoit aucune force ny resistence; ny mesme aucun moyen d'estre secourue par l'énemy, ny apres la prise de la pouuoir assieger de toute l'an­nee: dans laquelle on tient pour certain qu'ō eust trouué en or & argēt, soyes & draps plus d'vn million de ducats. Ceste place se pou­uoit aisement fortifier, & par ce moyen mai­striser plusieurs autres: puis enuoyant des de­niers en France. Angleterre, Hollande, & au­tre part, leuer & emmener plustost cinquan­te mille soldats, que l'ennemy cinq. Ie croy que cecy suffit à V.M. pour entēdre ce qu'elle desiroit.

Retournons maintenant à nostre propos. Nous auons dict que par cet exemple se vo­yoit combien fidele & loyale estoit ceste nati­on Portugaise à ceux à qui elle promettoit foy & loyauté. Partant Dieu vueille qu'elle ne s'accorde & qu'elle ne s'vaisse à la Castil­lane, [Page]& que V.M. ny les autres Princes & sei­gneurs ne le consentent ny permettent, & ne leur donne occasion de perdre les esperances de leur liberté: & ne se faut attēdre à la mort de Philippe. Car peut-estre que les Portu­gais s'accorderont plus aisement auec le fils qu'auec le pere. Et aussi comme sa monar­chie ne se gouuerne ny cōserue auec l'espee, mais bien par conseil; combien qu'il vienne à mourir, le mesme conseil demeure tous­iours. Et dés plusieurs annees en ça il se gou­uerne sans sa presence. Et pourtant on ne doit esperer en sa mort beaucoup de reuolu­tions.

De quelle importance seroit cest affaire D. Francisco de Ivara, pere de D. Diego de Ivara, nagueres ambassa deur à Paris durant la Ligue, le confessa à vn gentilhomme Fran­çois dans Madrid, I'an 1579. Le gentilhom­me est plein de vie, & pourra tesmoigner la verité de ce que ie diray maintenant. Ledict Francisco demandant à cegentilhomme, qui venoit de Barbarie pour certain affaire pour lequel le feu Roy l'auoit enuoyé là, quelles nouuelles il rapportoit dudit pays; il luy re­spondit que les Maures auoient belle peur, parce qu'il auoient entendu que le Roy Ca­tholique leuoit vne grāde armée pour passer delà, & venger la mort de son nepueu le Roy D. Sebastien.Comme le Roy Tres-chrestien & tous les Prin. Auquel ledict D. Francisco dict, Il n'est pas mautrais que les Mores ayēt peur: mais il seroit bon que le Roy vostre maistre entendist à quelle fin se fait ceste ar­mee. Car elle est pour Portugal. Et si le Roy Catholique monseigneur se faict maistre de [Page 20]ce Royaume là, comme il s'en attend,& Poten. de l'Euro­pe ont tres grand in­terest à empescher que les Portugais ne s'accor dent auec le Castil­lans ny qu'ils don nent occa­sion de per dre les es­perances de leur li­berté. parce qu'il le tient comme desia bien practiqué, il fera que non seulement le Roy tres-chrestien luy soit inferieur & tributaire, mais aussi tous les autres Princes de l'Europe luy soyent subiets; & que le Pape auec toute la Cour de Rome ne face autre chose que ce qu'il vou­dra. Pource que adioustant à son empire la monarchie de Portugal, qui luy pourra resi­ster? Pour ceste raison le Roy tres-Chrestien & les autres Princes Chrestiens se doiuēt ioin­dre à la cause, d'autant que autrement le Roy mōseigneur se rēdra seigneur de tout le mō ­de, & monarche vniuersel, & eux demeurerōt ses subiets, & nous des esclaues perpetuels.

De ce que dessus se prouue ce que nous a­uons dict: & pour retourner à ce que nous auons entre mains; Ie dis en cinquiéme & dernier lieu, que quand il se feroit vne gran­de & puissante armee à grands frais pour passer en Espagne, & qui ne fist que gaster le pays, & en leuer quelques citez & villes: & qui pour ce respect le Castillan rappellast les forces qu'il tient en ces pays-cy pour se de­fendre; & qu'acause de la venue desdites for­ces les nostres se retirassent: tousiours tien­drois-ie cela pour tres-grand proufit. Parce qu'auiourd'huy ce qui ne se peut faire auec cent alors se pourra effectuer auec dix, & peut estre moins, & moindres frais.

Quelqu'vn de subiets de vostre Maiesté me dira qu'il est auiourd'huy fort difficile de faire cela: pour ce qu'ayans icy l'ennemy sur nos bras, il n'est pas raisonnable de transpor­ter nos forces autre part. C'est vn iuste doute [Page]& qui feroit peine à gens de peu d'entende­ment & qui n'ont point de discours: mais pour ceux qui conoissent le fond & la racine des choses, il n'a nulle apparence. C'est pour­quoy afin que la verité se conoisse mieux, ie desire que nous arraisonnions l'vn l'autre par demandes & responses, comme il se fait aux escholes. Le subiet. Tout ainsi qu'il vous plai­ra. Car ie vons orray de bonne volonte. Le Felerin. Dites, qui est-ce qui vous endomma­ge? Le subiet. L'ennemy auec ses forces & ses intelligences. Le pelerin. Et si vous trouuez moyen de le desnicher d'icy, qui est ce qui vous nuira puis apres? Le subiet. Personne. Le pelerin. Faites donc ce que ie vous dis, & sans doubte il s'en ira. Le subiet. Il ne se peut. Le Pe­lerin. Pourquoy?Deductiō des raisos entre l'Au­theur & vn Fran­çois sur le subiet de faire vne armee pour pas­ser en E­spagne. Le subiet. Pourquoy? cōment voulez vous que nous allions en pays estrāge pour faire la guerre, & laisser le nostre en la puissance des ennemis? Si nous enuoyons nos forces en Espagne, comme nous voulez persuader, nous nous perdrons du tout, cō ­me ie vous ay desia donne à entendre. Le Pele­rin. Mon Dieu, gens sans discouis! Prenez ce que ie vous dis comme ie le vous dis, & non comme le voulez conceuoir, & me respon­dez à vne question categoriquement. S'il se faisoit auiourd'huy vne armee pour passer en Espagne, à la quelle la France donnast 4. ou 5. mille hommes, l'Angleterre 3. ou 4. mille, les Estats de Hollande, Zelande, Frise, & to us les autres alliez, 2. ou 3. mille, & des nauires, dont ils ont grād nombre, & quelques autres Princes, Potentats & Republiques, quelques deniers pour aider à ceste entreprinse & ad­iouster [Page 21]3. ou 4. mille Suisses ou Lansquenets; la France, dites moy, demeureroit elle des­pourueue, ou l'Angleterre seroit elle depeu­plée, ou les Estats seroiēt ils desgarnis d'hom­mes & de vaisseaux, & sans moyen de tenir la mer? ou les Princes resteroiēt ils miserables, & les Republiques sans faire leurs traites ordi­naires? Le subiet. Nenny dea. Le pelerin. Et que ne faites vous dōc ce qui vous importe tant, & dōt despend tout le remede de vostre mal, où vous auez plus d'interest, q̄ tous les autres? Le subiet. Pource que pour faire ces 4. ou 5. mille hōmes que vous dites, il fault de l'argēt que le Roy a autāt de peine à trouuer, cōme ceux qui l'ont entre leurs mains se fascheront de bailler. Le pelerin. O gens aueugles! natiō sans cōseil & sans prudence! A la mienne volonté qu'ils fussent sages, & qu'ils entendissent, & dōnassent ordre aux choses à venir! Vne ville q̄ l'ennemy nous pourra prendre demain, ne nous importe elle pas plus q̄ trois cents mille escus qu'il faudroit tout au plus, pour faire 4 ou 5. mille hōmes? Si depuis la prinse de Laō, & la reduction de tant de villes on eust em­ploye 200. mil escus que l'on vous a deman­dez pour telle entreprinse, vous auriez peut­estre maintenāt plus de trois millions en vo­stre bourse, & n'eussiez perdu toutes ces im­portantes villos, Cābray, Dourlā, Calais, Ar­dres, Amiens, & plusieurs autres places auec vostre grand Admiral, & tant de braues gen­tilshommes & capitaines, qui sont morts, parleroient maintenant François. D'auan­tage ne vous excusez point en vous deschar­geant & disant que l'on ne peut pas deui­ner [Page]ce qui doit aduenir. car vous en auez este trop auertis; & vous l'a on faict voir à l'oeil. Et y a encores vn Seigneur du Conseil, qui à Fontaine belleau en May 1595. fit tout ce qu'il peut pour persuader ceste entreprin­se, alleguant tant de raisons & si euidentes qui montrent combien importe à la France de faire vn voyage en Portugal: mais vous ne le voulustes pas entendre, non pas mesme seulement luy prester l'oreille. Perditio tua ex te Israël. N'est-ce pas la verite? respondez. Le sub. Ie le cōfesse. il n'y a rien plus vray. & à Cam­bray, Calaiz, & Amiens nous auons tant per­du, que c'est vne pure moquerie de parler de trois millions, parce que les meubles de Ca­lais seulement valoyent plus d'vn million, & ceux d'Amiens encore plus; & si l'ennemy tient ces deux places qu [...]lque temps, le [...]eu nous en coustera bien-tost plus de treze. Le Pel. Or si vous confessez cecy, & sçauez aus­si la chose en effect, comme vousdictes, que ne faites vous ce qui vous importe tant & vous est si necessaire? Le sub. Ie le vous diray, puis que me pressez tant, sans vous cachet nos conceptions. Par ce que nous ne voulōs hazarder le reste de nos Estats sur le dire & sur l'opinion d'vne nation passionnee; ains les voulons defendre du mieux qu'il nous se­ra possible, plustost que de les perdre du tout. D'ailleurs, que seruiroyent 12. ou 15. mille hommes en Espagne, où il y a si grande mul­titude d'hommes? Nous ne pouuons croire qu'il nous puisse venir vn si grand biē d'vne telle iournee (comme au commencement de vostre traitte vous le nous vouliez persua­der) [Page 22]& tout le monde en parle ainsi, affer­mat que le desir qu'ont ceux qui sont tyran­ [...]ez, de voir leur pays deliure de tyrannie, fait paroistre & rend toutes choses a [...]sees à faire. Le Pel. Pleust à Dieu qu'il vous vou­lust ouurir les yeux de l'entendement pour vous cognoistre vous-mesmes, & pour sça­uoir discerner le bien d'auec le mal, le doux d'auec l'amer, le blanc d'auec le noir. C'est vne grande fascherie aux Medecins, quand ils voyent que leurs malades sont obstinez; par ce que pour les gairir il n'y a ny raison ny conseil qui leur conuienne. En verite ie vous asseure que ie tiens pour chose impossible, que personne tant sage & lyncee ou clair­voyant soit-il, puisse apperceuoir la millies­me partie de la douleur & fascherie que i'en­dure pour vous voir (Messieurs les François) si obstinez de ne vouloir gouster ny enten­dre seulement ce dont depend vostre totale gairison & deliurance; & que vous estes si enclins à suiure vn sentier qui vous precipi­tera en vne tres-miserable ruine, & dont il n'y aura nulle resourse. Et puisque i'ay si peu gagné de parler à vous en particulier, & que chacun parle de cecy, i'en veux aussi parler à tout le monde.

Premieremēt ie dis qu'on ne sçauroit rien faire de grand sans mettre en danger choses semblables:Pour ga­gner quel que chose il faut hazarder beau­coup. mesme ne peut on gagner aucune chose sans hazarder beaucoup. Si les mar­chands ne risquoyent point leurs biēs en les mettāt sur mer, & les abandōnant aux tem­pestes & pirates, ou ennemis, ils ne tirerovēt pas tels proufits que nous leur voyons faire [Page]tous les iours: & les Roys & Princes n'auro­yēt pas besoing de tant d'officiers, de tant de douanes: & les proufits tresgrands que les hommes tirent pour eux aussi bien que pour leur pays, cesseroyent, & ne prodigueroyent leurs biens & vies en courāt tant de dangers pour descouurir les terres si escartees & si es­loignees d'eux. Si cela se fait pour gagner 10.15. ou 20. pour cent, combien plus le deuez vous faire pour vous rachepter & deliurer de tant de peine & de tant de dangers qui vous menacent? & si vous faites bien vostre cōpte, vous trouuerez q̄ vous gagnerez plus de cent pour vn. Voila pour le premier. Et quant à ce que vous disiez de gens passionnez, ie ne l'ay pas oublie, & vous y veux respondre, Que ie serois tres-aise que voulussiez entendre que c'est la malice du Diable & de ceux qui le suy uent, de faire croire aux hōmes, que ce qu'ō leur dit, fonde en raison & verite, & ce de­quoy l'on les auertit pour leur bien & prou­fit, & qu'il leur est necessaire d'embrasser & receuoir, procede de passion; afin de les em­pescher pa [...]ce moyen & destourner de toutes bonnes actions & aussi pour les faire perdre du tout.

Secōdement, qu'il est biē certain que la cō ­dition de ceux qui se defendent est bien plus miserable q̄ celle de ceux qui assaillent:La condi­tion de ce­luy qui assaut est bien dif­ferente de celuy qui se defend: pour ce que pour se defendre il faut auoir plus de gens & plus de forces, que pour assaillir. La raison est, que ceux qui se defendēt, ne sçauēt pas par quelle part l'ennemy les assaudra; & ceux qui assaillēt, sçauent mieux où l'ennemy tient sa principale force pour se defendre. [Page 23]Exemple. Ie veux que l'ennemy mette dans Amiens 100. cheuaux seulement, & 4. ou 5. mille hommes de pied; pour vous defendre d'eux, il vous faudra mettre bonne & forte garnison dans Abbeville, Eu, Dieppe, Rouē, Gisors, Gournay, Pontoise, Beaumont, Sen­lis. Compiegne, Han, S. Quentin, Peronne, Corbie, Bologne, Montroeil, S. Esprit de Ru, Beanuais, Clermont, & plusieuts autres pla­ces, si ne voulez vous perdre. Assaillez vostre ennemy, & vous aurez l'auantage. Passez en Espagne, & vous ferez la paix à vostre plaisir:Il faut passer en Es. agnc. autremēt elle vous sera tousiours honteuse, & vous repentirez d'en auoir parlé. Si vous vous defendez icy, vous vous ruinez: si vous l'aissaillez là, vous le ruinez. Deuenez sages partant d'exemples qui sont és histoires. Cō ­siderez biē ie vous prie ce que Scipion,Scipion. l'vn des plus prudens & des plus grands Capitai­nes du mōde, disoit aux Romains,Romains. qui auo­yēt perdu trois grandes batailles contre An­nibal: Il y a bien difference (dit-il) entre pil­ler le pays d'autruy,Annibal. & voir brusler & sacca­ger le sien. D'auantage celuy qui assault est biē plus courageux que celuv qui se defend: ioint que l'espouuente & l'estonnemēt est biē plus grand de ce que l'on n'a pas preueu. Or sitost qu'on entre dans le pays de l'ēnemy, on reconoist de fort pres les biēs & les maux d'i­celuy, les commoditez ou incommoditez du pays. Souuenez-vous de ce que P. Sulpitius disoit aux Romains, & le prencz pour vous,Liv. dec. 4. lib. 1. comme s'il l'auoit dict à vous mesmes: Qu'ils auoyent assez experimenté par le pas­se, queleurs guerres estoyent plus heureuses, [Page]ses & leurs armes bien plus puissantes és pays de l'ennemy, qu'au leur propre. Escoutez le conseil qu'Annibal donnoit à Antiochus, & en faites mieux vostre proufit que luy.Idem Dec. 4. lib. 4. Asseu­rez vous que le pays de. l'ennemy vous don­nera sol dats, qui desirent leur liberte, & vous fournira de viures, & de toutes commoditez pour vostre armee. Que les fautes d'autruy vous facent sages. Ne faites pas comme Cy­rus, qui se perdit pour auoir mesprise le con­seil de Croesus,Herod. & n'auoit tenu comte de To­myris son ennemie. Prenez garde qu'on ne vous blasme en cet endroit plus que tous les autres,Halyc. lib. 1. & peut-estre plus iustement, à cause que vous mesprisez tousiours trop vostre en­nemy. Certes c'est la premiere & principale des causes de la ruine des Estats, que de mes­priser ses ennemis. Et ne vous arrestez point à ce que l'on vous pourroit alleguer au con­traire. Car il n'est pas icy question d'entrer en vn pays pour le subiuguer & s'en rendre sei­gneur & maistre: mais seulement pour rendre la liberté à tant de peuples qui criant à l'ay de sous le ioug de ceste tyrannie: & deliurer vos subiets des armes de l'ennemy, qui est en la plus belle prouince de vostre Royaume. Si vous ne faites ce que ie vous dis, ie crains que demain ils nè vous prennent, vne autre ville encores, & l'autre iour vne autre; puis en vn coup tout le reste. Et prenez garde à ce que ie vous dis. Ie ne veux pas que pour assailir vostre ennemy vous laissez à vous defendre, mais que faisans vne chose vous n'obmettiez pas l'autre: par ce que 4. ou 5. mille hommes que pourrez tirer de la Guyenne, Languedoc, [Page 24]Dauphiné, & autres prouinces, ne vous fe­ront pas tant de faute, que n'ayes moyen de vous defendre en Picardie & ailleurs.

Tiercement, que pour oster la Couronne & le Sceptre à vn Roy,3. Deux cho ses ostent le sceptre & cou­ronne. & le priuer de ses Royau­mes & seigneuries qu'il possede quand il est tyran, cruel, ou mal viuant & desborde, il ne faut pas beaucoup de force.

Deux mille hommes que Charles 8. Roy de France donna à Henri Comte de Richemont, son cousin remue de germain, parce qu'il e­stoit petit-fils de Catherine soeur de Charles 7 son ayeul, (laquelle eut pour premier mari Henri V. Roy d'Angleterre) furent bastans audit Comte, passant delà pour assembler gens,Annal. Angl. pour donner battaille à Richard 3. en la quelle Richard fut deffait & tue fort ignomi­nieusement, pour ce qu'il estoit cruel & tyrā.

Pierre Roy de Castille, fils d'Alphonse le Iusticier pour estre tyran,Hispan. hist. & faire plusieurs cruautez, acquit le surnon de Cruel, & pour ceste cause fut tué par son frere Henry Ba­stard.

La cruauté que Christierne 2. de ce nom,Plurimo­rum hist. beaufrere de Charles 5. vsa enuers les prin­cipaus de Suede, luy fit perdre ledit Royaume & en suite ceux de Denemarc & de Nortvue­gue, desquels il estoit Roy & seigneur.

Pour oster le Royaume d'Espagne de la main du Roy Rodrigo,Commu­nis Hisp. hist. Roy desborde & mal­viuant, suffirent 12. mille Maures que le Comte Iulian, Capitaine de la ville de Septa tira des mains de Vlit Roy de Barbarie: les­quels l'an 713. passerent en Espagne en naui­res de marchands, ayans pour chef & Capi­taiue [Page]Tarif Aben Zarca, lousche d'vn oeil, qui donna le nom à la ville de Tarifa, auparauant appellée Carteya, & destruisit la ville de Siuil­le, en print & ruina plusieurs autres, tāt en la prouince de Betique qu'en Lusitanie, & deffit en bataille rangee vn cousin dudit Roy Ro­drigo. Lequel Rodrigo depuis assemblant ses gens sur la riuiere de Guadelethe au 7. de Iuliet, ou selon d'autres au septiesme de Septembre l'an 714 liura la bataille aux Mau­res; en laquelle il fut vaincu, & perdit en suite presque toute l'Espagne. La mauuaise vie de ce Roy fut cause de cette perte & ruine: spe­cialement pour auoir des-honoré la Caua fil le dudit Comte Iulian: qui pour ceste occasi­on ce sentant griefuement outragé, donna entree aux Maures par ceste ville là, qui est la clef d'Afrique & de l'Europe, leur seruant de guide. Lors les Maures firent fort bien leurs affaires en Espaigne, parce qu'ils ne trouue­rent pas les hōmes accoustumez à la guerre comme ils ne sont pas mesme auiour d'huy.

Antioches le grand pour s'addonner à vne vie dissolue & desordonnce, lors qu'il deuoit mettre la Grece en liberté, & faire la guerre aux Romains, pour asseurer son Empire, fut reduit à tels termes, qu'il se vid contraint de receuoir la paix d'eux, a telles conditiōs qu'il leur pleut: & se retirant de l'Europe & de l'A­sie, se rangea en vn coin comme leur serf & tributaire.

Childeric pour viure voluptueusement & ne chercher que ses plaisiers,An. Frā. perdit la Couronne de France. Par ces exemples, qui suffisent autant que six mille, se peut voir [Page 25]combien peu de force il faut pour troubler & ruiner l'ēnemy en Espagne, qui n'a iamais eu Prince si tyran, cruel, & mal-viuant.

Quartement, quant à vostre incredulité & l'opinion que vous auez, que l'amour de la patrie trompe & rēd facile le remede (laquel­le incredulité nous pouuons auec beaucoup de raison appeller aueuglemēt & tenebres) ie viens à redire & vous aduiser derechef, que d'enuoyer en Espagne vne bonne & bien cō ­duitte armee, despend le moyen de resister à l'ennemy, rompre la trace de ses desseins, ab­baissenson orgueil, & destruire sa puissance. Et combien que cela, s'ensuyue de ce que i'ay dict cy-dessus; toutesfois ie le veux prouuer par vn seul exemple tres-veritable, & qui fait beaucoup à nostre propos & intention.

Hist. Ca­stell. Por­tug. Ang. &c.Henri Comte de Trastamara, fils bastard d'Alphonse le Iusticier, par l'aide des Fran­çois tua le Roy D. Pedro son frere legitime; duquel Pedro resterent deux filles, la plus ieune Isabelle, espousa Edmond de Langley 4. fils d'Eouard 3. Roy d'Angleterre. Lequel Edmōd pour les victoires qu'il eut en faueur des Portugais (qui l'accompagnoyent cōtre les Castillans en Espagne) & pour auoir ma­nié les affaires auec telle prudence, qu'il ob­ligea & contraignit Henry susdit Roy de Ca­stille, d'accepter & receuoir de Fernād Roy de Portugal, qui estoit quasi tout perdu auec sō Royaume, des cōditiōs fort preiudiciables & ignominieuses, tāt à soy qu'à tous ses vassaux & subiets, fut fait Duc de York, par Richard 2. Roy d'Angl. sō nepueu fils d'Edouard sō frere aisné, au parlemēt qui se teint à Vuestmester, [Page]l'an 1386. De ces deux, Edmond & Isabelle, descend la Royne d'Angleterre aussi nom­mee Isabelle. L'autre fille aisnee de Pierre, appellee Constance, espousa Ian de Gand, troisiesme frere de pere & de mere dudit Ed­mond, Duc de Lancastre à cause de sa pre­miere femme Blanche, qui auoit eu de luy Henri 4. qui fut Roy d'Angleterre, & deux filles, dont l'aisnee Philippe fut Royne de Portugal, femme de Iuan le Bastard. De Iean de Gand & de Constance nacquit vne fille vnique, appellee Catherine, de laquelle nous ferons plus ample mention. Ledit Ian pour le respect de sa femme Gonstance se quali­fioit Roy de Castille & de Leō: & pour auoir son droict passa de Gascongne (qui pour lors estoit en la domination des Anglois) en Es­pagne auec 18. mille hōmes de pied & deux mille cheuaux, & print la Crougne auec l'ai­de des Portugais qui luy estoyent bons amis.Guaribay lib. 15. cap. 25. De la s'en alla en Portugal, d'où il entra en Castille, & donna iusques à la cité de Bur­gos, distante du lieu d'où il partit, plus de 120. lieües, prenant d'arriuee & se rendant maistre de toutes les citez,Entree des An­glois auec les Portu­gais en Castille. villes & chasteaux qu'il rencontra, outre celles qui plus eslon­gnees se venoyent rendre à l'espouuente. Et fust aisement passé plus outre si ses gens ne luy fussent morts; lesquels pour le peu d'or­dre qu'ils gardoyent, & par leur mauuais mesnage furent accueillis de famine, dont s'ensuyuit la peste: & furent reduits à telle necessité de viures,Amitie les Fran­ [...]ois & que de recourir au camp de l'ennemy (où estoit en faueur du Roy Ian de Castille, Louys Duc de Bourbon bien ac­compagne [Page 26]de François) pour demander de­quoy substanter leur pauure vie.Anglois dehors de leurs pays Ce que voy­ant Ian le Bastard esleu Roy de Portugal, se plaignit au Duc, luy disant qu'il ne trouuoit pas bon que ses soldats allassent traitter auec l'ennemy, affermant que ceux-là luy porte­royent plus de preiudice, que tous les autres: qu'il les rappellast tout incontinent, & leur fist defense de ne communiquer ny parler a­uec personne du party contraire. Autrement qu'il les combatroit tous ensemble, & les fe­roit tous passer au fil de l'espee,Valeur de Ian le Bastard Roy de Portu­gal. Th. Vual­sing. La valeur des Por­tugais. l'vn pour l'a­mour de l'autre. Thomas Vualsingham hi­storien Anglois le racōte en mesmes termes: & dit quele Roy de Portugal auoit auec soy 4. mille Portugais bien armez. Quelques-vns ont estime que le dire de cet historien estoit ridicule, ou vne brauade mais ils se trompēt fort. Car ces 4. mille Portugais bien armez, ayant leur Roy pour chef & Capitaine, estoy­ent suffisans pour deffaire 20. mille Castil­lans. Le mesme Roy auec cinq mille & tant de Portugais, & 15. cens Anglois deffit ledit Ian Roy de Castille,Histoire fort re­marque [...]. se trouuans tous deux presens en la bataille de Aljibarota, & le mit en fuite ayant auec soy 34. mille hommes de combats. Desquels en demeura sur la place 12. mille, & de prisonniers 10. mille entre les mains de 4. mille & tant de Portugais, & de mille Anglois, qui resterēt maistres du chāp. Occubucrant enim in pugna Portugallenses circiter mille, Angli verò quingenti, quippe qui tanquam leones dimi­cauêre,

Au mesme temps D. Nunalvres Pereyra Connestable de Portugal auec 3. mille hōmes [Page]de pied & mille cheuaux defit 25. mille Ca­stillans, tua & print les principaux chefs de Castille.

Geste hi­stoire est fort re­marqua­ble, & s' appelle Ia bataille de Val­verde.Le mesme Roy deuant que de regner, & depuis, eut plusieurs victoires sur les enne­mis non moins admirables que ceste cy: tel­lement qu'vn seigneur Castillan parlant & deuisant vn iour auec son Roy, qui estoit le­dit Ian, luy dit: Sire, ie ne puis bien entendre la cause de ce que le Roy de Portugal auec si peu de gens vous a vaincu partant de fois, sçachāt que vous auiez tousiours cinq ou six contre vn des leurs: Le Roy luy respondit; Pource que le Roy de Portugal combat con­tre moy estant accompagne de ses enfans,Honora­blete smoignage de la loyauté des Por­tugais. & moy ie combats cōtre luy accōpagne de mes subiets. Ie suis Roy & seigneur de Castille, & luy est Roy & seigneur des Portugais. Ainsi ce vaillant Alphonse Henriques premier Roy de Portugal, commença de se qualifier Roy & seigneur des Portugais. Ceste valeur des Portugais ne fut point en ce temps la seule­ment, mais a continué iusques auiourd'huy. Car nous auons veu l'an 1580. le Roy Dom. Antonio auec moins de cinq mille fantassins Portugais apprentifs d'armes & nouueaux soldats, se defendre plusieurs iours alencon­tre de plus de 20. mille vieux soldats du Duc d'Albe.

En l'an suyuant, le 25. Iuillet, iour de S. Ia­ques, Scipiō de Figueyredo de Vasconcelles, Gentilhomme signale en valeur & fidelité. (lequelest souuentes fois mentionné dans les histoires) estāt gouuerneur des isles des Asso­res, se defendit en plaine cāpagne auec moins [Page 27]de 400. Portugais contre plus de mil Castil­lās; lesquels D. Pedro Valdés auoit saict prē ­dre terre en l'isle Tercere, pres la cité de An­gra. Les Portugais n'estoyet pas soldats, mais gens mechaniques, manouuriers & labou­reurs, & entre eux n'y auoit pas dix gentils­hōmes. Car le gouuerneur les auoit laissez en la ville pour la defendre & gouuerner. Les Castillās estoyēt vieux soldats, entre lesquels (ce dit-on) y auoit 200. hōmes qui auoyent commandé és armees de Castille: & combat­tirēt depuis quatre heures du matin iusques à quatre du soir,Beau stratageme. auquel temps ils firent ex­pressement descendre de la montagne grāde quantité de vaches, auec lesquelles ils rōpi­rent les rangs & ordres des Castillans, afin de venir aux mains: & par tel stratageme se bat­tans à l'espee les deffirēt.Victoire notable des Por­tugais sur les Castil­lans. Connest. li. 8. f. 234. pag. 1. Aucuns desdits Ca­stillās se sauuerent à nage, beaucoup se noye­rent, & en furēt enterrez de cōpte fait 875. & des Portugais furēt occis par la main des en­nemis, 15. & par hazard d'vne ruine de mu­raille, six, & quelques-vns blessez. Ce fameux Connestage raconte ceste histoire en termes faulx & differē. quoy qu'il cōfesse qu'il y de­meura 600. Castillans, & de Portugais, 30. Mais i'ay sçeu ce qui se passa en ceste rencon­tre, de plusieurs gentilshōmes Espagnols, mes cōpatriotes, qui s'y trouuerēt presens: & spe­cialemēt d'vn natif de Valēce, nōmé D. Gas­pard, qui se sauua par la mer bien blessé & d'vn tambour Castillan, & d'vn Portugais né de Villaviçosa. lesquels deux seuls eu­rent la vie sauue, estans trouuez sur le bord de la mer, apres le chaud du combat. Là [Page]mourut vn nepueu du Duc d'Albe, vn ne­pueu du Marquis de Saincte Croix, & vn nepueu du susdit D. Pedro Valdés, & ce tant renommé Phillippe Hartade Aragonois, & 70. & tant d'aisnez de maisons; dont vne bonne partie estoient voisins de Salamāque. Bref là mourut toute la fleur de Castille: par­ce que voyans que Portugal s'estoit rendu si facilement, & oyans que les Isles estoiēt fort riches, & que la flotte de l'Inde Orientale leur tomberoit entre les mains, estant ià al­lechez du sac des faulx bourgs de Lisbone, qui fut de la valeur de 3. millions, s'y em­barquerent aussi volontiers que s'ils fussent allez aux nopces. C'est chose toute notoire, que 4. ou 5. ieunes Portugais de 18. à 20. ans à Lisbone auec l'espee & la cappe, ne font pas conte d'vne douzaine de Castillans. Par ces raisons les hommes peuuent cognoistre que ce que dit Vualsingham n'est pas chose ridicule, encores moins vne brauade. Re­tournons à ce que nous auons entre main.

Quelques iours apres certains Ambassa­deurs enuoyez par le Roy de Castille vein­drent au Duc, luy demander en toute humi­lité la paix, lesquels le Duc ne voulut pas ouyr. Toutesfois la faim & la peste le con­traignant de se retirer en Portugal en la ville Trancoso, ils le veindrent rechercher, en­uoyez pour la seconde fois par ledict Iean Roy de Castille,Le Castillan de­mand [...] la paix en toute hu­milite. auec la mesme requeste: re­montrans par plusieurs raisons au Duc les grands proufits qui se tireroient faisans vne bonne paix entre eux. Le Duc alors leur donna audience, & leur accorda ce qu'ils de­mandoient, [Page 28]encores que ce fust contre sa vo­lonté. Premierement par ce qu'il auoit en­tendu que le Roy de Portugal le vouloit ain­si: & puis (ce qui l'obligea de beaucoup en effect) parce qu'il estoit aduerti que les trou­bles commençoient en France entre les Fran­çois & Anglois, & quelques seditions en An­gleterre, à cause desquelles il ne pourroit ti­rer secours de la, dont il sembloit auoir be­soing; & desia la mortalitë qui estoit en son armee, l'en Menacoit.Le Castil­lan con­traint de receuoir conditions des-auan­tageuses. L'accord entre le Roy & le Duc fut faict en ceste sorte; que Henri fils aisné de Iean, nomme Prince de Castille, espouseroit Catherine fille vnique dudict Duc & de Constance sa femme, & succederoient és Royaumes de Castille & de Leon, & autres seigneuries: que le Roy doteroit le mere & la fille, ainsi qu'il fit, baillant a la mere la cité de Guadalajara. Medina del campo & Olmie­do. Et depuis se voyant auec elle en ladi­cte Medina luy donna Huete. Et à la fille il donna les Esturies, l'en faisant & nommant Princesse, & son fils Prince. Et dés lors en auant l'aisné a tousiours porté le surnom de ceste princeipauté, comme du Dauphiné en France. Dauantage, qu'il donneroit au Duc six cents mil francs d'or pour s'en retourner en Angleterre, & 40. mil francs de rente,Toute l'Espagne auec se­cours de France contre Portugal, qui gagne, vie durant de luy & d'elle. Ian de Castille accep­ta toutes ces conditions de fort bonne volonté pource qu'encores qu'il eust la France; de son costé, & les François aussi, & le Roy d'Aragon (auec la soeur duquel il auoit esté marié, de laquelle estoit né ledict Prince D. Henri & Fernand, qui depuis fut le Roy dA­ragon, [Page]contre le droit des vrais heritiers & Charles 3. Roy de Nauarre; il conoissoit neantmoins qu'ayant guerres ciuiles en son Royaume, & Portugal son ennemy, il faisoit courir fortune à tous ses Estats & seigneu­riers.Puissance [...]e Portu­ [...]al. Tant peut se Royaume de Portugal contre le reste de l'Espagne. Il est bien certain que toutes & quantesfois que le Portugal au­ra faueur de France ou d'Angleterre, ou de quelque autre Prince estranger, quel qu'il soit, il contraindra le Roy de Castille (duquel il est la bride) de s'assubiectir à raison & ve­nir à iubé, & de receuoir des conditions fort ignominieuses & preiudiciables. Et celles du Duc eussent esté bien plus auantageuses en cet accord, si le Roy de Portugal eust vou­lu! par-ce qu'ayant l'espee en main, il poù­uoir faire le partage du pays à son plaisir.Plutarch. in Apo­ph. Il fut le iuge, & le fit à sa volonté. Qui habet gladi­um, potest diuidere campos. De la vient que le Duc ne s'en alla pas fort content de luy, encore qu'il luy eust baillé en mariage sa fille aisnee Phillippe.

Ah SIRE, s'il plaist à V. M. bien conside­rer ce que ie luy dis,Exhorta­tion au Roy, &c. & que ie pretends luy persuader, & aux autres Princes & Poten­tats de l'Europe: & reconoistre vostre puissan­ce (estant assisté de vos voisins auec leurs na­uires & galions, hardis mariniers, artillerie, munitions, & autres appareils de guerre, dōt ils ont grande abondāce, ioint la prōpte volonté qu'ils ont de voꝰ accompagner, cōme ils ont fait paroistre depuis plusieurs annees en ça, vous trouuerez que voꝰ seul auez assez d'hōmes & de forces bastātes pour voꝰ rēdre [Page 29]iuge & tenant l'espee droitte & ferme en la main, ce sera à voꝰ de partager les Royaumes & Prouinces d'Espagne: voꝰ reprendrez non seule [...]ét ce qui vous appartiét, mais aussi fe­res rendre à autruy le sien. Quel plus grand honneur, quelle plus grande felicite! Defen­dez, SIRE, vostre droit que depuis tant de siecles vous heritez de vos Predecesseurs. Au­iourd'huy ne māquent point en vostre Roy­aume ny Martels, ny Pepins; ny Rolands, ny Oliuiers, ny Renauds. Au lieu de douze Pairs, vous estes riche de plus de douze cents. Vos voisins pour. vn Richard vous en fournirōt vne centaine: & leurs alliez vous aecommo­deront d'vn Oger, si remply de perfections & tant practiquè en l'art militaire. suiuy de si bons & vaillans soldats, que les Connestables de Castille, les Comptes de Fuentes & verdu­gos & ses compaignons n'auroient l'auanta­ge sur eux.

Cestuy est le droit & vray chemin, cestuy est le plus certain & le plus asseuré moyen pour faire vne heureuse paix par vostre bras mesme, sans y employer des Triquetres. Vous donnerez la loy à l'ennemy selon vostre appe­tit & volonté: vous le forceres d'accepter des conditions non seulement vtiles à vous & à tre Rovaume. mais aussi prousitables à vos amis & alliez. Que fera l'ennemy si vous pas­sezen Espagne auec vne armee bien fournie de tout ce qui luy est necessaire, estant menée par vn Prince chosi & nomme par V. M. chef & general d'icelle, issu de haute mai­son & de sang illustre, accompagné de tant de graces & parties, que les autres ne facent [Page]aucune difficulte de s'assubiectir à son com­mandement, qui se gouuerne auec prudence & sagesse? Sans doubte il se tiendra pour per­du, comme il sera de faict, & se contentera bien, & s'estimera heureux, si nous le laissōs seigneur de Castille: il restituera à V.M. le Royaume de Nauarre, & le surplus que luy & ses predecesseurs ont vsurpé sur la France: & au sereniss. Duc de Lorraine les Royau­mes de Naples, de Sicile, d'Aragon, Valence, & Catalongne, & les seigneuries qui en de­pendent: le Royaume de Portugal à celuy à qui il appartiēt; & fera raison à plusieurs au­tres Princes: specialement à la maison de Neuers, du Duché de Brabant, de Lēbourg, de Lothier, & de la ville d'Anuers.

Si vous me demandez de quel costé l'on pourra le plus commodement entrer en Es­pagne:Par oul'ō peut en­trer en Espagne, & facile­ment ru­iner l'en­nemy. le dis que si vous voules entrer par Nauarre, dont sa Maieste Tres-chrestiennè est le Roy naturel & legitime, auiourd'huy les petits fils de ceux qui ont perdu les vies & biens pour le seruice de ses ayeuls, se trou­ueront auec plusieurs autres, qui principale­ment depuis qu'il s'est faict Catholique, l'ai­ment & desirent cōme leur Roy & Seigneur, & pour luy encourront tout les hazards du monde. Si par Aragon, la playe est si fraische que le sang en regorge encores maintenant. Si par Portugal, les vlceres sont encores tous ouuerts en la chair viue & si douloureuse, que les mains qui se presentent poury met­tre remede, les front trembler.

Horrent admotas vulnera cruda manus, Et est au­tant impossible que l'on puisse estant en cap­tiuité [Page 30]recouurer guerisō, quoy que l'on viue cent ans, que de voir ces deux nations, Por­tugaise & Castillane, s'entr'accorder (iaçoit que le Roy de Castille traite auiourd'huy les Portugais, veu sō ordinaire & insite cruauté, auec vn peu de douçeur, & les conserue en leurs priuileges & libertez) parce que laissāt vne infinite de raisons, vne seule est tressuf­fisante. C'est à sçauoir que les Castillans sont trop superbes & arrogans,Castillās superbes. Portugais impatiés. & les Portugais par trop impatiens quand il y va de l'hon­neur. car alors ils viendront plustost aux mains qu'aux paroles.

LE TRADVCTEVR. C'est vne chose si certai­ne, & les Portugais se proposent tellement l'honneur de­nant les yeux, & en sont si fort ambitieux, & leur est tel­lement recommandé de pere enfils, que s'il leur aduient d'en perdre vn seul poinct, ils deuiennent fols, perdent le sens, & l'entendement. Fernand de Magaillanes gentil­tilhomme Portugais, estimant que son Roy luy eust fait beaucoup de tort, conceut vn tel despit qu'il s [...]enfuit de Portugal & seretira vers le Roy de Castille, pour luy des­couurir l'entreprise du Peru. Voyez la folic! Son mescon­tentement ne procedoit sinon de ce que ledit Roy luy auoit refuse vn demi ducat de pension par chaque mois pour son fils. Raison pour la­quelle Magalla­nes des­couurit l'entre­prise du Perù au Castillan. La coustume de Portugal est que tous les gentils hom­mes tirent pension (laquelle ils appellent Moradia) du Roy selon leur grades & qualitez de Noblesse (lesquelles ils ap­pellent proprement Euero) & d'esire enroollez dans les li­ures de la maison Royalle, qu'ils appellènt Liure de la cuy­sine, autrement, Liure de Matricule. La qualitée de Ma­gaillanes estoit de Cheualier Hida [...]go c'est a dire feal: il ti­roit tous les mois enuiron trois ducats de pension, & sup­plia le Roy de prendre son fils en mesme qualité que luy. & luy donner la mesme pension, desquelles demandes le Roy [Page]luy en ottroya l'vne, & refusa lautre: sçauoir est qu'il ac­ceptale fils pour Cheualier feal, mais ne luy voulut don­ner que deux ducats & demi de pension, suyuant la cou­stume de ses predecesseurs, qui ne donnoyent aux enfans tant de pension qu'aux peres: sauf quand par la mort de leurs peres ils venoyent à succeder à leur heredité. Et d'autant qu'en Portugal les nobles ont la precedence selon le grade & qualité qualité de leur nobl [...]sse, & au mesme grade & qualité se precedent l'vn l'autre selon le plus & moins de pension qu'ils reçoiuent: Magaillanes print en si mauuai­se part le refus faict à son fils de ce demi ducat (d'autant que par ce moyen il perdoit la precedence) qu'il en deuint fol, perdit le sens & l'entendement: & pour monstrer l'extreme dueil & fascherie qu'il auoit à cause de la perte d'vn si petit honneur, il acquit le nom de traistre: & tel le qualifient toutes les histoires, pour ce qu'il esta à son Roy naturel le deuoir qu'il luy deuoit, pour le rendre entre les mains d'vn estranger, & fut cause que les choses en vin­drent là, que les deux Royaumes de Portugal & de Castille furent sur le point de s'entrechocquer, De maniere que l'ambition d'honneur fit insenser Magaillanes, & produi­ra le mesme effect alendroit de tous bos Portugais, & non­par le desir d'accroist de quelque poignee d'argent, comme quelqu'vn a voulu entendre, & n'a point rougi de l'escri­re. La matiere & subiet de l'incident montre bien le con­traire. Ie ne dy pas cecy sans cause: pource que S. Gou­lart de Senlis en sa traduction imprimee à Paris par N. Bonfons l'an 1587. discours 23. l'affirme ainsi, Les paro­les d'O sorius sont telles: Hieron. Osorius de rebus Emma­nueli [...], li. 11. Attamen Lusitani cùm sint praeter modum huius nobilitatis appe­tentes, & paruae pecuniae accessione nobilita­tem suam augeri putent, pro hac tam parua pecunia saepe numerò, tanquam in ea salus omnis atque dignitas vertatur, sibi pugnan­dum arbitrantur, &c.]

Si me dites qu'estant ainsi vous vous es­merueillez comment si facilement les Castil­lans ont assubietti le Royaume de Portugal, monarchie si grāde & si puissante: Ie respōs, Qu'il seroit long d'en conter les raisons, & que cela vient plustost faute de resolutiō que de coeur ny de courage: par ce que les Ca­stillans ne sont pas meilleurs soldats que les Portugais, comme nous auons veucy deuāt, & l'ont bien fait paroistre enuiron cinq mille hommes de pied & quelques mille cheuaux qui se sont defendus par l'espace de quatre mois & vingt iours contre plus de 20. mille du Duc d'Albe, tous vieux soldars; & les au­tres, nouueaux & paysans.Raisons pourquoy le Castil­lan print Portugal si facile­ment. Et s'il n'y eust point eu tant de trahisons, peut estre le Duc d'Albe eust esté mal traicté mesme, & n'eust pas passé plus outre. Portugal estoit tout despourueu de chefs, ayans esté tous tuez en Afrique auec leur Roy, comme nous l'apprend suffisamment Connestage sur la fin de son premier liure, disant ainsi:Connest. liu. [...]. fol. 25. pag. 2 Sebastian s'en alla en Afrique, laissant son Royaume espuise de de­niers, sans noblesse, sans heritier, és mains de gouuerneurs peu affectionnez.

[LE TRAD. En ceste bataille moururent le Due d'Aueyro, rierepetitfils de D, Iuan 11. Roy de Portugal: deux Princes cousins germains, vn fils de Theodose Duc de Bragance: vn autre heritier du Marquisat de Ferrare: quatre Comtes, comme il est rapporté en la vie du Roy D. Sebastien, par vn Iuif nommé Duard Nonnes de Leon; Duard Non. liu. des Cen­sures, &c. lequel contre les loix de Portugal, qui forment la porte des honneurs & dignitez de la nation (c'est à dire à tous ceux qui descendent de Iuifs) a esté fait par le Roy Catho­lique conseiller au Royaume, en recompense d'auoir com­posé [Page]contre Frere Ioseph Texere Portugais, de l'Ordre des freres Prescheurs (personnage auiourd'huy fort renommé en l'Europe, & cognu de tous les Princes d'icelle, tant Ec­clesiastiques que seculiers: & singulierement en France, où les plus grands du Royaume, & tous hommes d'honneur, l'aiment & voyent volontiers à cause de son honneste con­uersation, bonnes moeurs & singuliere doctrine, comme l'vn des plus accomplis en la conoissan [...]e de l'histoire & prosapie des Grands, qui se puisse trouuer, selon que ses ceuures & deuis communs en donnent suffisant tesmoig­nage) vn liure de Censures, qui est non seulement infa­me, mais plein de propositions heretiques & temeraires. Ie m'estonne fort de la patiēce de ce Religieux, lequel estāt si consumé & pratticq en l'histoire, entendant bien les af­faires d'Estat, & estant si ialoux de son honneur, ainsi que nous sçauous, comme il ne met la main à la plume, es­criuant non seulement contre les erreurs & fausetez de ce Iuif, mais aussi contre la Maiesté Catholique: attendu qu'il a fait faire contre luy vn liure tant faux & in­fame (ce que sadicte Maiesté aduoüe en vn priuilege don­né l'an 1590,) & permis audict Iuif d'imprimer vn liure de la genealogie des Rois de Portugal, traduict par luy en langue Castillane, d'vn autre en Latin, qu'il com­posa par son commandement: lequel est cestuy-cy de Cen­sures dont nous parlons. Ce Iuif oublia de propos deliberé de nommer entre les morts, D. Emmanuel de Meneses, autrement d'Almada, Euesque de Coimbre: vn autre Euesque, D. Aires de Sylua, Euesque de la cité du Port, cousin germain du Regedour de Portugal (c'est vne dig­nité representant par tout le Royaume la personne du Roy en tout affaires de iustice tant ciuile que criminelle) tous deux issus de la maison Royalle: Le Baron de Portugal, & le Comte de Prado auec son fils [...] aisné, & quelques autres Princes & Seigneurs parens des Roys'd Espagne] & ceux qui restoyēt, le Castillan par dōs & promesses [Page 32]les auoit tellemēt corrompus, qu'ils ne desi­royent rien plus q̄ de luy liurer le Royaume. Les Cheualliers d'vne lance, qui sont ceux que nous appellōs en Frāce Escuyers, esquels consiste la plus grand'force de Portugal,Force de Portugal se mirent à contempler le ieu, n'ayans autre cō ­mandement par la negligence du Roy Anto­nio & de son conseil, qui s'est tousiours mō ­tre fort irresolu & inconstāt en l'administra­tion des affaires.Negligēce du Roy Antoine & de son conseil. Au moyen dequoy le Roy­aume de Portugal est tōbé en si piteux & mi­serable estat, & n'a sçeu recouurer sa liberté. La fidelle affectiō & desir de s'opposer à l'en­nemy, demeura seulemēt par-deuers les Ec­clesiastiques & Reguliers, & quelques Sei­gneurs, & le peuple sans experiēce & sans ar­mes, lesquelles le Castillan auoit par ruse & fraude tirees d'étre ses mains, ayāt fait courir le bruit, que les soldats qu'il assembloit en Castille, estoyent pour passer en Afrique cō ­tre les Infideles, pour venger la mort de son nepueu D. Sebastian: qui toutesfois estoyent pour Portugal, comme on a veu en suite. A quoy il se cōmença de preparer aussi-tost que le Roy Sebastien appareilla son voyage.Connest, lib-1, fol. 18. pag. 1 Et luy ayāt promis 5. mille soldats, & 50. galeres, les luy refusa quād ce vint au fait & au prendre, pour paruenir à sō but; & s'accorda auec Mu­ley Maluco, promettant par le traitté qu'il fit auec luy, d'abādōner du tout le pauure Roy.Le Castil­lan s'ac­corda a­uec l'infi­delle. Et pour cet effect le Maure luy auoit promis certaines villes en Barbarie, lesquelles il auoit premieremēt offertes audit Sebastiā, à la char ge qu'il ne secourroit point Mahumet xeriffe; mais il ne les voulut accepter, disāt qu'il auoit [Page]desia donné sa parolle audit Xeriffe. Sebasti­an estoit plus veritable en ses promesses, que son oncle Philippe:Infidelité [...]u Castil­lan. lequel pour mieux faire ses affaires, & auoir en sa main ce que des si long temps il desiroit si ardemment, asseura son faict en rompant sans conscience sa foy & promesse par le refus du secours auquel il s'estoit oblige de parole à Sebastiā: & qui plus est, defendant par edict public qu'aucun de ses subiets n'eust à le fuiure en ce voyage. C'est ce que Connestagio nous donne claire­ment a entendre en son second liure, disant: Alors arriua au camp le Capitaine Francesco d'Aldana, Connest. liu. 2. fol. 34. pag. 1 qui auoit promis au Roy (c'est à dire à Sebastian) d'aller à son seruice: lequel pour cet effect (ce que aucun auire n'obtint) eut permission du Roy Catholique,

[LETRAD. Connestagio escrit que Philippe a­yant veu Sebastian à nostre Dame de Guadelvpé, nele dissuada pas de quitter son entreprise: mais bien de n'y pas aller en personne. Car Philippe conoissant la generosi­té de ce ieune Prínce, sçauoit bien que s'il venoit à entre­prendre ce voyage, il n'y auroit moyen de l'empescher d'y aller luy mesme. Mais pour celer sa mauuaise intention, & s'excuser deuant le monde, il le desconseilla seulement d'y aller, non de l'entreprendre.] Il semble que ses sorciers par le moyen du Diable, qui est sça­uant en coniectures, luy auoyent pronosti­que la perte des Chrestiens. [...]e Castil­ [...]an pour [...]onseruer Portugal [...]ait tant [...]e maux [...] la Chre [...]ienté. Voila pourquoy des deuant que ce pauure ieune Prince par­tist, il se preparoit pour engloutir ce morce­au, qu'il estime tant, que pour le conseruer il fait de grands frais & grands maux à la Chrestienté, faisant paix auec les Infideles, pour plus commodement faire la guerre aux Chrestiens. De façon que maintenant il se re­siouit [Page 33]mesme du bon succez que le Turc a contre eux. La raison est, que voyant que le S. Pere a embrasse le Roy Tres-chrestien (la ruine duquel il desire plus que son propre sa­lut) & que les Princes d'Italie recerchent son amitié, ce que i'espere qu'ils continueront pour le regard du bien public; il iuge bien que de là luy pourra venir dommage: & la rupture de ses grands desseins: & pourtant se resiouit des pertes & auentures des Chresti­ens, encore mesme que le mal tombe sur son propre sang & sa chair.L' Ambassadeur de Venise mal traitté. Tellement qu'il s'en­orgueillit & deuient plus superbe de la pro­sperité des Infideles. Et cela mesme luy a donné la hardiesse de mal traitter l'Ambassa­deur de Venise, comme on dit. Demain, si l'on ne l'empesche, il traittera encore plus mal tous les autres, sans excepter personne. Il pense que l'Alemagne, & l'Italie principa­lement en ses afflictions & trauaux aura be­soin de son assistence. A cause dequoy il se persuade qu'ils ne se resoudront point à suy­ure & fauoriser le party du Roy Tres-chre­stien, & que par ce moyen il fera bien ses af­faires en France. S'il veut empescher le Turc qu'il ne face la guerre en l'Europe, il le peut fort bien faire, l'inquietant en l'Inde Orien­tale, comme ont faict les vrais & legitimes Roys qui ont regné en Portugal. Il n'a qu'à se ioindre auec Xatamà grand Roy de Perse amy des Portugais, pour tenir le Turc en bride.

Victoire d'Estien­ne de Ga­ma.Les historiens celebrent auec vne infinité de louanges la victoire que D. Estienne de Gama Portugais, gouuerneur de l'Inde Ori­entale [Page]obtint alencontre du Turc, auquel il faisoit la guerre pour cet effect. Ceste bataille fut donnee au pied du mont Sinay,Gama [...]it des [...]heua­ [...]crs au [...]ed du [...]ont Si­ [...]ay. apres la­quelle ledit Gama fit plusieurs Portugais, qui s'estoyént vaillamment portez en ce combat, Cheualliers. Entre lesquels y en [...]eut deux de marque, pour estre issus de peres illustres, qui de soy laisserent apres eux vne gloire im­mortelle. L'vn s'appelloit D. Iuan de Castre, qui depuis estant Viceroy de la mesme Indie Orientale, emporta ceste tāt fameuse victoire qui se lit en la vie du Roy D. Emmanuel: [...]ictoire [...] D. Ian [...] Castre en laquelle auec moins de 4. mille Portugais il deffit vn nombre infiny d'ennemis; donna la fuite à Mojecatan Connestable de Cambaya (qui auoit esté enuoyé par le Roy Mamud sō seigneur auec 14. mille hommes pour secou­rir la cité de Diu, laquelle tenoit les Portugais assiegez dans la citadelle) laissant 300. des siens morts sur la place, & le Guidon Royal prins auec les drappeaux. Iuzarcan le Ieu­ne, grād Seigneur en ces quartiers là, fut aussi prins: & Ramacan, gouuerneur de ladite ci­te, qui estoit grande & assez peuplee, de la­quelle les Portugais demeurerent seigneurs absolus, fut tué. Dece valeureux Capitaine est petit-fils D. Iuan de Castre qui est en Fran­ce pour le present, & a esté aussi fidele à son Roy & à sa patrie comme ledit D. Iuan son ayeul. L'autre s'appelloit D. Louys de Ataide, depuis Cōte d'Atouguia, [...]. Louys [...] Ataide. lequel se trouuant en Alemagne en la bataille que les Imperia­listes liurerent au Duc de Saxe & aux Princes de son parti. Charles le Quint luy fit de tres­grands honneurs, pour auoir surmonté tous [Page 34]les autres en ceste iournée là, & recouuré le Guidon imperial que les ennemis auoient gagné.an 1547. le 24. A­uril. Tellement que l'Empereur luy don­noit tout l'honneur de ceste victoire selon qu'il l'escriuit à D. Iuan 3. Roy de Portugal son beau-frere & cousin germain, qui l'auoit enuoyé pour Ambassadeur.D. Louys Viceroy de l'Inde Orient. pour la premiere fois. Ce seigneur fut deux fois Viceroy de ladite Indie Orientale. La premiere, du viuant de D. Sebastian, & la defen dit contre toutes les forces d'Asie: parce que tous les Princes d'icelle qui esto­yent tāt Maures que Payens, firent vne ligue contre les Portugais, qui se defendans & as­saillans les ennemis, acquirent vne gloiré immortelle.Viceroy pour la seconde fois. Depuis estant Viceroy pour la seconde fois, le Roy D. Sebastian mort, & regnant le Roy Henri, sçachant que les peu­ples de Portugal auoyent esleu & fait des Gouuerneuis pour gouuerner & defendre le Royaume apres la mort dudit Henri, & qn'ils auoyent nommé des Iuges pour decider la cause du differend de la succession dudit Royaume, dit publiquement: Ie ne rendray l'Indie à autre qu'à celuy auquel on adiuge­ra le Royaume. Tellement que selon qu'au­cuns disent, ceux qui suyuoient le party du Castillan (duqusl ils eurēt aduis & promesse par la voye de terre, ioint la diligence & in­dustrie qu'il aporte à toutes ses affaires) par ce qu'ils sçauoient bien que ledit Castillan seroit tousiours par les Iuges exclus de la suc cession du Royame,D. Louys tué d'vn boucon. luy donnerent vn bou­cō. Ainsi mourut ce valeureux & fidele Por­tugais, & luy succeda au gouuernemēt vn in­grat grād & traistre, qui tout incōtinent liura [Page]l'Indie à l'ennemy. Pour cōseruer l'heureuse memoire de D. Estienne de Gama, on a mis vn Epitaphe en vn Palais. que fit bastir ledit Gama retournant de l'Indie, lequel est pres de la ville de Setuval en Portugal, disant ainsi en langue Portugaise, mais grossiere:

Quem cavalleyros armou
O pé do monte Sinay,
Veyo acabaraquy.
c'est à dite,
Cil qui tant de Cheualliers fit
Au pied du mont de Sinay,
Ie vis finir ces iours icy.

Auiourd'huy Philippe a plus de force, plus de pouuoir, & plus de cōmoditez pour em­pescher le Turc du costé de l'Indie Orientale de faire la guerre en l'Europe, que tous les autres Roys de Portugal n'ont eu par cy-de­uant. Toutesfois comme cela n'auance point son ambition, aussi ne le peut il bien gouster. Ceste oeuure, bien que bonne, ne luy aide point à conseruer ceste Monarchie par luy v­surpee auec tant de fraudes & moyens illici­tes; & qu'il pretend laisser à son heritier, soit à tort, soit à droit, lequelle il recognoist pour grande & puissante, & la iuge la plus riche, pretieuse & importante perle de sa courōne. Certes aussi est elle. [...]rtugal [...]us'riche [...] pre­ [...]use per de la [...]uron­ [...] d'Espa [...]. C'est pourquoy ie ne puis que ie ne me plaigne de quelques vns qui s'estiment sages & biē entendus entre les François & Anglois, qui veulent à toute for­ce que Portugal soit chose fort petite & terre sterile, non plus [...]grande que la Normandie, & quelques ignorans dient qu'elle est bien aussi grāde que la Brie. Et si ne veulent croite [Page 35]ny accorder que Portugal soit dans l'Espa­gne, mais qu'il en soit separe: & vous raison­nent là dessus, se rompans aussi bien la teste à eux mesmes, qu'à ceux qui les escoutent. Ces Messieurs me contraignent d'estre Geo­graphe en ce discours, bien que ie ne le sois de profession. Toutesfois cela faisant à no­stre propos, il est bon d'en faire vne descrip­tion generale, & encoter quelques particu­lieres, afin que l'on connoisse sa grandeur, ri­chesse, fertilité & puissance.

Descri­ption de Portugal.Portugal est vne partie d'Espagne située sur le bord de la mer Oceane, & tient deuers l'Occident 115. lieues de costé, & deuers le Midy, 25. Au Septentrion est le Royaume de Galice; & à l'Orient, les prouinces Tarago­noise, Lusitanie, & Beticane: & au Midi la­dicte mer Oceane qui est vers la coste d'A­phrique. Il contient quatre principales pro­uinces, la Transtagane, qui enclost le Royau­me de l'Algarbe; la Cistagane: entre Duero & Mignò, & la Transmontane. Ces quatre pro­uinces contiennent partie de la prouince Ta­ragonnoise, la plus grand'part de Lusitanie, & partie de la Betique. A de long cinq de­grez & demy du Nort au Sud. Commence au Cap de S. Vincent au 37. degré, prenant quel­que peu du 36. & acheue quasi en 42. & de­my, nō loing de Bayonne-de-Vigo: & s'estēd du Sudsud-est à Nord-nord-est, ou chaque degré contient 19. lieües & demie: & a com­munement de large quarante lieües, quelque part plus, quelque part moins. Les lieües ne se reglent pas selon celles de France, mais par les lieües des degrez, qui ont chacun de [Page]Nord à Sud dix sept lieües & demie, selon le onte de Portugal. De sorte que eu esgard à ce qui reste & ce qui defaut. le Portugal a bien 40-lieües du pays de large. Tellement que faisāt vne figure quarrée de cinq degrez & demi de long, tirée du Nord-nord-est au Sud-sud-est, & de 40. lieües de large de l'Oriēt à l'Occident: elle enclorra en soy toute la Normandie, vne bonne partie de la Beaulce, les Duchez du Maine & d'Anjou▪ la plus part de la Touraine, quasi tout le Poitou, & quasi tout le Xaintōgeois. & quelque partie d'An­goulmois, auec vne portion du Perigort. Ce que nous pouuons voir clairement par demonstration, faisant en la France ladicte figure quarrée de cinq degrez & demi de lōg & de 40. lieües de large, en ceste forme: Ti­rant vne ligne de l'angle qu'à l'Orient à son costé du quarré, & le Septentrion à la teste: & commēcera à Crotoy sur la riuiere de Som­me, (qui est à 50. degrez d'eleuation) iusques à Libourne en Perigort, qui est à 44. degrez & demy, passant de pres de Rouan, par Eu­reux, Dreux & Amboise, pres de Chastelle­rauld, par Coué, & par entre Negre & Iarnac, & Angoulesme, & par entre Barbesieux & Coutras, iusques à ce qu'on arriue à ladite ville de Libourne. Tout le pays qui est à l'Oc­cident de ceste figure e;st aussi grand que le Portugal. Et afin que ce q̄ ie dis puisse mieux apperceuoir, il sera bon de descrire le resté de la figure. Le quarté qui a sa teste au Septen­trion, & commence en Orient au Crotoy, tirant à l'Occident, acheue en la mer qu [...] six lieues sur le riuage de Cherebourg. D' [...] [Page 36]si nous tirons vne ligne droitre au Midy, en­trant dans le pays par la mesme ville de Che­rebourg, passant par Constance, & par Grād­ville, pres de la ville de Dol, par les villages de Becherel, Redon & Arebon, entrant en la mer entre Guerrande & Croisic, iusques à 44. degrez & demi à l'Orient de ladicte ville de Libourne, dix lieües de la terre, qui est au Midy d'Anchises: nous viendrons à fermer nostre figure. D'auantage, afin qu'il n'y ait aucun doute en ceste demonstration, & que nous respondions à l'obiection que me pour­ront faire ceux qui ne veulent pas que Por­tugal soit plus grand que la Normandie, di­sans que puis que la ligne du costé de l'Occi­dent de nostre figure passe par Cherebourg, Constance, &c. tant qu'elle vienne en la mer entre Guerrande & Croisic; que ferons nous donc de la terre qui reste, qui est vne petite partie de la Normandie, & qui se finit pres de l'isle d'aderuoy, & de la plus grand part de la Bretagne? Ie dis que toute ceste terre, & tout ce pays là qui reste, se peut mettre dans les angles Occidentaux de la figure qui sont vuides, à cause qu'ils finissent dans la mer. Ceste demonstration bien faicte & bien en­tendue, apres auoir aussi veu la grandeur de Portugal, nous trouuerons que son circuit est non seulement aussi grand que toutes ces prouinces de Frāce que nous auōs dict, mais aussi tout autant que le circuit qu'il cōprend en l'isle de la grand'Bretaigne, tous ce que nous appellons Angleterre.Strab. lib. 3. de sitis orb. Quant a la fer­tilité de Portugal, on la peut aisement iuger de ce que Strabon en escript parlant de Lusi­tanie, [Page]qui est la plus grande partie dudit Royaume, [...]ertilité [...] Portu­ [...]al. disant: La Lusitanie est vne region tres­fertile en fruicts, en bestail, en or & argent, & plusieurs autres choses semblables. On estime les prouinces & terres que le Portugal possede hors la Lusi­tanie en Espagne encore plus fertiles que cel­les de Lusitanie mesme: cōme les terres qu'il tient en Betique, en la prouince Transmon­tane, qu'on appelle vulgairement Tras-los­montes, & en la prouince entre-Duero & Mignò, que les Latins nomment Interamnis: laquelle ledit Strabon contre là commune & vraie opinion, met au dedans de la Lusita­nie, & dit en oultre: En Lusitanie est le fleuué Le­the, que plusieurs appellent Limeae, les autres Beli­on. Enquoy il se trompe, comme aussi disant que Minius surpasse en grosseur toutes les ri­uieres de Lusitanie: d'autant que Lyme est enclauée en la prouince d'entre Duero-&-Migno: lesquelles prouinces suyuant la vra­ye description, sont encloses en la prouince Taragonoise, & le Mignò est beaucoup plus petit que le Duero, le Tage, & Guadiana, qui sont en Lusitanie.

Il y a en Portugal trois Archeueschez, & dix Eueschez,Rētes des Euesques le Portu­gal. toutes lesquelles rapportent auiourd'huy à leurs Prelats enuiron 400. mille ducats de rente par chacun an. Le Duc de Bragance seul, en vne cité, villes, cha­steaux & villages, dont il est seigneur, a 200. mille vassaux. Portugal enuoye à l'Inde Ori­entale, barbarie,Domina­ [...]ion du Duc de Bragāce. Cabo-verde, Isles de Buan, Mina, Saint Thome, Congo, Angola, Brasil, & ailleurs, quelques six mille hommes tous les ans, dont il n'en reuient pas la tierce par­tie [Page 37]au pays, Auiourd'huy si Philippe s'osoit sier des Portugais, il pourroit tirer de Portu­gal, pour enuoyer à la guerre, plus de cent mille hommes de l'aage de 25. à 40. ans, qui n'ont rien qui les puisse empescher d'aller, ny d'excuse pour n'obeyr pas quand il le com­mandera.

Tout le monde sçait bien qu'au temps de Sebastian Róy de Portugal il y auoit par tout ledit Royaume 1200. compagnies de gens de pied, esquelles n'estoient enroolez que les gens du plat pays, & les artisans & ouuriers mechaniques, encores non tous. Les Sei­gneurs, Gentilshommes, officiers de Iustice, & du gouuernement des citez & villes, & les gens de lettres, en somme tous les nobles, Ecclesiastiques, & Reguliers, auec leurs ser­uiteurs, & plusieurs autres sortes d'hommes priuilegez estoient excusez, & ne les obli­geoit-on point à se faire enrooller esdites cō ­pagnies, desquelles la pluspart estoient de 200. hommes, quelques vnes de 300. & de 400. nous donnerōs àchacune d'icelles, deux cents hommes seulement, elles feront nom­bre 240. mille hommes.Nombre de gens de guerre de Portugal Considerez mainte­nant combien grand pourra estre le nombre de ceux qui n'estoient point obligez ausdites compagnies. Ie ne specifie point icy le nom­bre des compagnies de gens de cheual, dont ce Royaume a grande quantité, parce qu'il n'a pas esté possible d'en sçauoir certaine ve­rité.

Grādeur des Rois de Portu­gal.D'auantage, les Roys de Portugal tiennēt vne grandeur, en laquelle ils excedent tous les Rois & Princes de l'Europe. Sçauoir est, [Page]qu'ils peuuent en moins d'vn quart d'heure donner à leurs vassaux & subiets la valeur de dix, quinze & vingt milions en papier consi­stans en depesches de gouuernemens, capi­taineries, receptes, & autres charges & offi­ces, & congé de faire voyages de mer à Ban­da, Maluco, la Chine, & autres parties de l'Inde Orientale: par le moyen desquelles de­pesches ceux qui les obtiennent recouurent tout incontinent de l'argent.

De là peut-on facilement iuger la grādeur, la richesse & la puissance de ce Royaume, auquel adioustant les seigneuries qu'il posse­de en Afrique, en Asie, & en l'Amerique, & és isles qu'il tient en la mer Oceane, fait vne Monarchie tresgrande & tres-puissante. Et pourtant ie ne m'esbahis pas si le Roy de Ca­stille fait tant d'excez & de despens pour la conseruer. Il sçait combien elle luy importe, combien elle luy vaut. Il n'est pas ignorant, ains au cōtraire, sage, auisé, fort ruse & bien experimenté aux affaires d'Estats.

[LE TRAD, Ant. Pe­res par. 2. Laquelle chose Antoine Peres, Se­cretaire d'Estat du Roy Catholique D. Philippe 2. qui est le mesme duquel est question, montre en la seconde partie de son aduertissement sur le faict de son procez, D. Ian d'Austri­che mort d'vn bou con. Philippe addonné à la Cos­mogra­phie. traictant des dissimulations, tromperies & ruses dont ledit Philippe vsa enuers le Seigneur D. Ian d'Austriche son frere, sur la pretention du Royaume de Tunes, & les intelligences d'Angleterre, lors qu'il l'enuoya en Flandres: là où com­me le bruit est, il luy fit finalement donner le boucon.] & grandement addonné à la Cosmographie. Il a en ses palais de Madrid vne grand'mai­son, en la quelle sont les descriptions de tou­tes les prouinces & royaumes du monde, non [Page 38]seulement en general, mais aussi en particu­lier. Là il est la plus part du iour; & contem­plant ces descriptions, aiguise & augmente son ambition, & affine sa tyrannie. Là il void ce qui luy est le plus duisible, & plus facile à conquerir. Là il void par quels moyens il pourra prendre Cambray, & comment apres il empietera Calais; & pourquoy de là il s [...] en est venu saultér iusques à Amiens; & main­tenant il cōsidere ce qui luy sera le plus pro­pre & conuenable, en telle sorte que rien ne luy puisse eschapper des mains, & qu'il ne face despendre ny hazarder ses moyens en vain. Il est fort versé es histoires,Philippe versé és histoires. & par icel­les a fort bien iugé combien luy importoit pour paruenir à son but la Monarchie de Portugal, & d'auoir les Portugais à sa deuo­tion, pour en auoit l'aide & le secours que que luy & ses predesseurs en ont receu.Les Ca­stillans de puis 300 ans en çà n'ont rien faict sans les Portu­gais. Guerre del. Sala­do. Car depuis trois cens ans en-çà les Castillās n'ont rien fait digne de memoire sans eux.

De ceste tant celebre victoire qu'on appelle Del Salado, où furent que pris que tuez 400. mille Maures, & seulement 20. des Chrestiēs (ainsi qu'on a entendu de la bouche mesme d'Alboacem Roy de Marroques) le Roy de Portugal Alphonse 4. le Braue auec ses Por­tugais en fut cause. lequel Alphōse ainsi que les Maures assiegeoiēt Tariffa, donna secours à Alphonse Roy de Castille, dict le Iusticier: son gendre, non qu'il le meritast, mais pour­ce que la guerre se faisoit cōtre les infideles.Guerre de Grenade de l'an 1501.

Quand en Grenade Alphonse de Aguilar fut tué, & que les Maures demeurerent vain­queurs, & poursuyuoient leur victoire, les [Page]Portugais empescherent qu'ils ne passassent plus auant, tindrent le champ de bataille, & sauuerent le reste des Castillans.

Quand les peuples de Castille s'esmeurent sous apparence du bien public, & plusieurs Princes auec eux contre Charles V. à cause des grands, & nouueaux & exorbitans im­posts, les Ambassadeurs desdits Princes,Commu­nidades de Castil­le, & plusieurs citez, & villes, venans au Roy de Portugal D. Emmanuel, pour le prier qu'il luy pleust les recognoistre pour vassaux, & subiets, parce qu'ils le desiroient pour Roy & Seigneur,Vraye a­mitié de Emma­nuel Roy de Port. vers Charles 5. non seulement il ne voulut re­cepuoir leur. offre, mais leur apprint com­ment ils debuoient obeyr à leur Roy. Et à d'autres qui venoient de la part desdits Prin­ces, citez & villes qui tenoient le party du­dict Charles, il leur fit donner argent & ar­tilleries, poudres & munitions de guerre. Quelques vns disent q̄ ledit Roy Emmanuel les accommoda de cinq cents mille ducats: & de beaucoup de pieces d'artillerie. Telle­ment que cela fut cause que ceux qui s'esto­ient esleuez, s'accorderent auec leur Prince. Et de là veint, sans que le Roy D. Emmanuel s'en doutast, que Charles V. vsurpa derechef le Royaume de Nauarre,Anno 1522. que messire André de Foix, sieur de l'Esparre auoit remis & re­stauré. Phillippe a paye maintenant ce bon office à Portugal,Prise de la Goulete auec 22. autres na uires de guerre. ainsi qu'il paye la France, & autres ausouels il est obligé.

Quād ledit Charles le V. passa a la Goulete l'an 1535. qui la prit? Le Galion Cagafuego de Portugal que le Roy D. Iuan 111. auoit commandé d'accompagner l'Infant D. Lo­uys [Page 39]son frere puisne.

Comment est-ce que ledit Charles le V. prit la vilie de Tunes,Prise de Tunes. capitale du Royaume de Lybie? Auec l'assistance & l'aide dudit In­fant & de ses Portugais.

Prise dis pignon de Belles par les Por­tugaisQui est-ce qui print le pignō de Belles il n'y a pas 35. ans auec le reste pour le Roy de Ca­stille? Frācisco Bareto, general des galeres de Port. & le capitaine Diego Lopés de Sequeyra sō nepneu, auec les Portugais de sa cōpagnie.

Qui deliura & mit fin à l'oppression de Ca­stille l'an 1566. 1567. & 68. pour les Grena­dins qui se reuolterent en Grenade?Guerre de Grenade finie par les Por­tugais. Sept ou huict mille Portugais q̄ le Roy Sebastian en­uoya de secours. Phillippe Roy de Castille sçait fort bien tout cela; c'est pourquoy auec telle promptitude & tel soing il trauaille de conseruer ceste Monarchie Portugaise, pre­tendant non seulement de l'vsurper, tyranni­ser, & arracher des mains des Portugais; mais aussi rauir leur honneur, leur gloire & leur valeur. Car il void bien qu'ayāt les Por­tugais de son costé, il pourra par leur moyen souler son ambitiō, sans qu'ils ayēt l'honneur qui leur est deu à cause de leurs prouesses, a­tribuāt le tout à la generosite de ses Castillās. Ainsia-il tyrannise & tyrānise l'hōneur des A­ragonois, Catalās, Valēciēs, Nauarrois, & au­tres natiōs d'Espagne. Ses Castillans (lesquels ceux quine sçauēt & neveulēt sçauoir la dif­ference qui se fait en Espagne de natiō à na­tion, appellēt Espag.) sont ses liōs,Castillans lions & tygres. ses tigres & cōquesteurs du mōde. Or cōcluons ce q̄ nous traittions de la plus pretieuse & plus impor­tāte perle de sa couronne. Certes me trounāt [Page]vn iour auec vn grand personnage d'Estat, qui despendoit force ducats pour auoir auis de ce qui passoit par le monde, il m'asseura pour chose veritable, qu'vn iour l'vn des plus fauorits du Roy de Castille luy demandant,Demande d'vn Gentilhomme au Roy de Castille. pourquoy il laissoit perdre la Frise & plu­sieurs villes des autres prouinces de grande importance qui tomboyent és mains & en la puissance & subiectiō des hereriques, à cau­se dequoy elles estoyent contraintes de laisser la vraye religion (chose vraiement digne d'e­stre regrettee) pour secourir les Princes & villes de là ligue, & entretenir la guerre en France; luy se souriant respondit; Laissez les prendre: qu'ils prenēt la Frise & tout le reste. Ce qui m'importe est de conseruer Portugal.Responce du Roy de Castille, Et si ie le fais, comme i'espere, ie leur taille­ray tant de besongne en leur pays, qu'ils ne pourront venir au mien. I'auray bien tout le reste apres. Scachés que si ie conserue & possede Portugal en paix & tranquillité, non seulement ils ne pourront viure sans moy; mais aussi seront mes subiets, & me payeront tribut.

[LE TRAD, Philipe se voyant seigneur d'vne si grāde monarchie, aspira quand-&-quand à la ruine des Royan me de France & d'Angleterre, & d'autres prouinces: & en receut tant de contentement qu'il ne se peut empescher de descouurir ses conceptions: de maniere que non seulement ceux de son conseil, mais aussi les soldats particuliers le sçauoient, Depuis la prise de l'Iste Tercere, les Capitaines qui auoyent accompagné le Marquis de sainte Croix en cette iournee là disoyent publiquement & à haute voix: Puisque nous tenons desia Portugal entierement, l'An­gleterre est maintenant nostre, & gagnerons peu à peu la [Page 40]France, Pour preuue de ceci, nous n'auons besoing d'au­tre tesmoignage, sinon de ce que dit son Cennestage conti­nuāt son histoire deuant la prise de ladicte Tercere: Connest. lib. 7. in fine. Mais le Roy ayant si fraischement pris la possession de Portugal, voyant les Portugais non enco­re bien paisibles, se vouloit employer à paci­fier ce Royanme là, deuant que d'entendre à aucune autre entreprise; & disoit qu'armant en ces quartiers là, il retiendroit en bride non seulement le Portugal, mais aussi toute l'Espagne, & mesme la France. Peut-estre n'eust il pas manqué d'acheminer bonne par­tie de ces armes là iusques en Angleterre. pour le moins en Irlande.

Partant ne vous faschez point de ce que vous voyez se perdre; car tour se recouurera bien auec le temps, & m'en laissez seulement la charge.

Des dernieres paroles, & des susdits exem­ples, se peut aisement conoistre non seule­ment l'ingratitude de ce desagreable & mal­plaisant Catholique:Portugal principa­le cause de toutes les guer­res. Comme Phillippe gourman de les ele­ctions des Cardi­naux & Papes. mais aussi colliger & recueillir que Portugal est la principale cause de tant de guerres, tant de morts, & mesa­uentures! & que si on l'ostoit des mains & de la puissance du tyran, le Roy Treschrestien & les autres Princes demeure royent en paix, les Potentats & Republiques de l'Europe en repos, les Cardinaux à Rome ne se feroyent pas à sa poste, ni les elections des Papes à sa volonté, lesquelles il tyrannise si fort qu'en icelles il se fait le premier S. E [...]prit. Il nom­me à toutes les elections des Papes trois, qua­tre ou cinq personnes, afin que le conclaue des Cardinaux en elise l'vne. Vid-on iamais [Page]plus grāde impudence ne presomptiō, qu'vn hōme ose vsurper à Dieu son office? Ha Roy Treschrestien! c'est à V. M. de defendre & soustenir les souuerains Pontifes: ils sont en possession d'estre defendus & conseruez par les Treschrestiens Rois de France: & pour cette cause ils l'ont douée de si grands priui­leges. libertez & prerogatiues. Exterminez SIRE, ce monstre, rompez la teste à ce ser­pent, domptez ce Lion, deliurez l'Eglise de si tyrānique seruitude & dure captiuité dōnez paix & liberté à vos pupilles, a celle fin qu'ils puissent hardiment chastier ses mauuais, & sans crainte salairier les bons. Combien de fois ont desiré les souuerains Pontifes hono­rer & bien-faire à quelques personnes en re­cōpense de leurs vertus & merites, & en cha­stier d'autres a cause de leurs vices & mau­uaistiez, sans qu'il leur ait esté possible faire ni l'vn ni l'autre? Les Papes ont souuent con­tre leur volōté permis que les impies triom­phassent; & plus souuent consenti que les bons patissent. Qui merita iamais mieux d'e­stre Cardinal (ie ne sçai si ie doibs dire Pape) que ce tresdocte personnage le docteur Mar­tin Azpilcueta Navarro,Mart. Azpil. Navarro duquel la memoire sera eternelle tant pour sa doctrine que pour sa vertu de sainteté? Neantmoins pource que Phillippe ne le goustoir point d'autant que pour defendre contre luy la cause de ce vene­rable Prelat D. Fr. Barthelemi Carrance re­ligieux de l'O [...]dre S. Dominique,Fr. Barth Carrance Arche. de Tolede, Archeues­que de Tolede, & ainsi soustenir auec beau­coup & tresfortes raisons, que les Portugais auoyent droict d'elire leur Roy, & prouuer [Page 41]par tresfermes & infallibles argumens, que sa Maiesté Catholique possedoit le Royau­me de Portugal par iniuste & tyrannique tiltre) il perdit tout & mourut pauure pre­stre. Qui iamais auec plus de raison merita mieux d'estre estrangle & bruslé, que N. ne­antmoins pource que Philippe le veult ainsi, il vit & triomphe. Partant pour l'honneur de Dieu ie supplie V. M. Treschrestienne (puis qu'elle y a plus d'interest qu'aucuns au­tres) qu'il luy plaise entendre cest affaire, & entreprendre de dresser bien-tost vne bonne armee pour passer en Espagne: & considerer aussi combien grande est la prudencé, l'in­dustrie & finésse de cest ennemi general. que V. M. regarde ses actions, son ambition & sa tyrannie; qu'elle se reueille & se resolué, & sçache qu'elle a vn voisin si grand tyran, que luy seul est plus grand que tous les au­tres qui ont esté & qui sont au monde tous ensemble: & qui a acquis, comme ses prede­cesseurs, tant ce qu'il possede, par pure ty­rannie, qui luy est aussi propre & naturelle, & luy conuient aussi proprement & insepa­rablement comme la risibilité à l'homme,La tyran­nie natu­relle à Phillippe ainsi comme la ri­sibilité. Permettez moy ie vous prie de prouuer ce que ie dis, par histoires claires & trescer­taines, afin d'oster occasion aux mesdisans & imposteurs de m'estimer vn menteur. Car ce que ie vous dis se verifie par tous les historiens Espagnols dignes de crean­ce & veritables, tant anciens que moder­nes, quelques vns des-quels viuent enco­re auiourd'huy; & ny a pas long temps qu'ils ont composé leurs oeuures, & les ont [Page]imprimées auec la faueur & l'argent dudit Philippe. Ie tascheray donc de prouuer ceci auec le moins de paroles qu'il me sera possi­ble, montrant qu'autant de Royaumes & de prouinces que le Roy Catholique possede en Espagne (dont ie sçay quelque chose estant Espagnol) il les possede auec tyrannie qu'il a commise par plusieurs fois. Et d'autant que pour bien prouuer mon intention, ce qui est aduenu depuis 380. ans en-ça me suffira, ie me tairay de ce qui est aduenu parauant l'an 1217.

Henri Roy de Castille, fils d'Alphonse le Noble, mourant laissa sa soeur aisnée Blāche, Royne ds France, [...]astille [...]ranni­ [...]e pour [...] premie [...] [...]is. [...]arib. lib [...]. cap. [...]. qui fut mere de S. Louys, lequel n'auoit alors encore que deux ans: & son pere (qui n'estoit pas encore Roy de Fran­ce) estoit occupé aux guerres d'Angleterre, où il fut appellé par ceux du pays contre Ian vnique de ce nom, leur Roy, mais grand ty­ran. Henri mort, sa soeur puisnée, nommée Berangere, femme d'Alphonse Roy de Leon auec son fils Fernand, s'empara du Royaume de Castille, & l'vsurpa contre le droict de la­dicte Blanche sa soeur aisnée, & consequem­ment dudit S. Louys son nepueu.

Fernand mort, ledit Alphonse son filz ais­né, appellé Empereur d'Occidēt, pour auoir esté eleu par aucuns des Electeurs de l'Empi­re, (autres esleurent Richard frere de Henri 3. Roy d'Angleterre) fit vn accord auec ledit S. Louys, cousin germain de son pere, tou­chant la successiō de Castille en cette forme: Que Fernand fils aisné d'Alphonse espouse­roit Blanche fille dudit S. Louys, à condition [Page 42]que les enfans qui naistroyent d'eux, feroyet heritiers de Castille. Alphonse & Fernand estans issus d'eux furent priuez de leur droict & heredité, par Sancho leur oncle, frere puis­né de leur pere Fernand; lequel gouuernant le Royaume de Castille & de Leon, en l'ab­sence de sondict pere Alphonse, qui estoit passé en Italie, pour soliciter & briguer son Empire, mourut. Fernand mort,Castille tyranni­see pour la 2. fois. Leō pour la pre­miere. Ierome Gudiel en l. hist. des Girons. Garib. lib 13. cap. 16. ledict San­cho print le gouuernement, & s'empara de beaucoup de citez & villes de Castille, con­tre la volonté de son pere Alphonse. Lequel mourant à Seuille, vn Vendredi 2. d'Apuril 1284. maudit Sancho son fils, l'appellant de­sobeissant, rebelle, vsurpateur & tyran: de­clara & nomma pour heritiers de ses Royau­mes & seigneuries, ses petits-fils Alphonse & Fernand: & en cas qu'ils n'eussent point d'en­fans, Philippe le Hardi Roy de France, son cousin remue de germain, fils dudit S. Louys son oncle. Les maudissons & declarations de son pere, ny la crainte de Dieu, ne firent à Sancho rendre ou restituer l'autruy, ains le retint, & y laissa pour ses heritiers son fils Fer­nand quatriesme du nom.

Alphonse sur nommé le Iusticier, Roy de Castille, fils de Fernand susdit, & petit-fils dudit Sancho, entre plusieurs tyrannies qu'il exerca l'on en conte vne, indigne non seule­ment d'vn Roy, mais d'vn homme de vile & basse qualité,D. I [...] le Tuert [...] seigneur de Biscaye tué, pource que c'est vne tres-grāde trahison & infidelité. Car comme il auoit conuié D. Iuan le Tuerto (c'est à dire borgne) Seigneur de Biscaye, à disner, le fit cruelle­ment tuer l'an 1327. Et combien qu'il eust [Page]commencé de se descharger de ceste mort pour quelques iours:Le mesme Garib. lib [...]4. cap. 4 toutefois sa tyrannie ne la peut desguiser ny couurir: parce que depuis il le fit condamner comme traistre, & luy confisqua ses terres & seigneuries, [...]iscaye [...]ranni­ [...]e. & en peu de temps les occupa toutes, sçauoir est tant villes que chasteaux, enuiron quatre vingts.

Le mesme Alphonse fit tuer D. Aluar Nu­gnes Osorio son gouuerneur, qui parauant auoit retenu de luy beaucoup de grāds hon­neurs & de faueurs. Puis estant acertené de sa mort, qui fut l'an 1328. se saisit des places chasteaux & grands thresors d'iceluy, & de la Comté de Trastamare: [...]omté de [...]astama [...] vsurpé. [...]n Com [...] tué. [...]dit Ga­ [...]b. li. 14. [...]p. 5. [...]astille [...]rānisee [...]ur la 3 [...]is, & [...]ō pour [...] 2. auec [...] seig­ [...]ries [...]nexees. [...]rib. en [...]vie du [...]y Pier­ [...] & peu de iours en suite le fit condamner à Tordehumos, com­me traistre. & le faisant inhumainement de­senterrer, fit brusler son corps, & confisqua ses biens.

Henri 2. fils bastard de cet Alphonse, Cōte de Trastamare, tua son frere Pierre, duquel nous auons ia parlé, & s'empara des Royau­mes de Castille & de Leon, desheritant ses niepces, Constance & Isabel, filles dudit Pier­re, lesquelles auec ferment solemnel auoient esté reconues princesses & heritieres de Ca­stille, premierement és Estats assemblez à Se­uille pour ceste cause: & depuis à Albuber­ca, 1363. Et quand bien ces soeurs n'eussent point eu de droit esdits Royaumes, pource qu'il les disoit bastardes: par la mesme raison ledit Henri en auoit moins. Car il estoit non seulement bastard, mais fratricide: & en tel cas estoit heritier desdits Royaumes Fernād Roy de Portugal, rierepetitfils dudict D. San­cho: [Page 43]ainsi qu'estoit le Roy D. Pierre son cou­sin remue de germain, & cousin germain au­ssi. Car Beatrix mere de Pierre estoit soeur de Pierre pere dudit Fernand. A ceste cause Sa­mora, Toro, Ciudad-rodrigo, & autres citez & villes des Roy aumes de Castille & de Leon appellerent ledit Fernand, & luy osfrirent de le receuoir pour Roy. Specialement le Roy­aume de Galice, qui estoit tout resolu de se rendre.Histoire du Roy Fernand, 1369. Et pour ceste raison Fernand fut en persōne prendre possession de la Crougne: & se fust aussi bien ensaisiné des autres places, si les Portugais y eussent voulu consentir. Les­quels de propos deliberé s'opposerent au de­sir & à la volonté de leur Roy Fernand; & ce pour deuxiraisons. La premiere, pource qu'ils auoient bien experimenté que Fernand auoit grand'faute de la valeur de son pere & de ses ayeuls. La seconde;Les Por­tugais one mauuaise opinion des Ca­stillans. pource que la nation Ca­stillane est si maligne & si peruerse (ainsi que lesdits Portugais tiennét pour maxime entre eux-mesmes) qu'il est dangereux d'auoir af­faire auec eux; voire mesme commandemēt sur eux, comme nous auons dict cy dessus. Si maligne & peruerse di-ie, que le venim & poison d'icelle s'espand de telle sorte, que ceux qui sont sur leurs confins & lisieres, sen­tent mesmement la reuerberatiō de leur ma­lignité: tellement q'aucuns d'iceux quand ils abandonnent leur patrie,Maligni­té des Ca­stillans. & se retirent en ter­re estrangere, sont plus meschans, plus dan­gereux & plus à craindre que les Castillans mesmes.

L'an 1474. apré la mort de Henri 4. Roy de Castille, Isabel sa soeur, femme de Fer­nand [Page]Roy d'Aragon s'empara tyrannique­ment des Royaumes de Castille & de Leon,Castille tyrānisee pour la 4 fois, & Leon pour la 3. auec les sei­gneuries annexees. & des autres seigneuries, excluant Iane fille dudit Henri son frere. Laquelle l'an 1461. auoit esté recognüe Princesse & heritiere des­dits royaumes en default de masles, en pleine assemblee des trois Estats, qui à ceste fin fu­rent assemblez à Madrid, par le commande­ment de son pere. Et les premiers qui preste­rent le serment de fidelité, & la recouurent és qualitez susdites,Garib. lib 17, c. 8, fut l'Infant D. Alphonse, & ladicte Isabel, frere & soeur dudict Roy, & consequemmēt tous les autres firent le sem­blable, selon leur ordre. Et depuis elle fut pour la seconde fois reconüe Princesse & he­ritiere desdits royaumes en Val-de-Loçoya, apres enquestes exactement faites sur la legi­timation de ladicte Princesse, faictes par le Cardinal d'Albi François: qui pour cet effect estoit venu en Castille, par le commandemēt du Roy Louys XI. de France. Lequel en pre­sence de tous les Princes & Seigneurs du Ro­yaume, fit premierement iurer la mere, & luy demanda si la Princesse D. Iane sa fille estoit fille du Roy son mari. A quoy elle respondit auec serment que ouy. Secondement le Roy, qui faisant le mesme serment, protesta qu'il croyoit & asseuroit que ceste Infante Domne Iane estoit sa fille, & qu'en toute certaineté il l'auoit tousiours tenüe pour telle depuis qu'elle vient au monde. Et partant vouloit & commandoit que le serment acoustumé en ses Royaumes, de la fidelité & obeissance qui est deue aux aisnez des Rois, luy fust faict. Ce sont les mesmes paroles d'Estienne [Page 44]Guaribay, Hierome Surite, qui est encore vi­uant,Guarib. I. 17. ca. 24 Hier. Sur. en la gen. hist. d'Es­pagne. raconté ceste histoire fort distinctemēt en son histoire generale d'Espagne: & comme Henri rendant l'esprit, maintint qu'elle estoit sa fille, & qu'il commanda à son confesseur de le reueler en public. Et ledit Guaribay afferme que Henri se confessa l'espace d'vne bonne heure deuant que rendre l'ame: & que tranquille de sens, sain & rassis d'esprit, apres auoit nommé les executeurs de son testamēt & derniere volonté, les declarant gouuer­neurs du Royaume; & commandant que de ses ioyaux & thresors fussent payez ses serui­teurs & domestiques: nomma pour son heri­tiere vniuerselle ladite Princesse Iane, l'ap­pellant sa fille, & la recommandant de toute son affection ausdits gouuerneurs.

Ce que dessus montre clairement que le Royaume de Castille en moins de 258. ans, à este tyrannisé quatre fois; & celuy de Leon, trois: & tous les autres Royaumes & seigneu ries qui en dependent semblablement, les­quels le Roy Philippe possede iusques au iour present à tresiniuste & tyrannique tiltre.

Aussi par les histoires de ces mesmes Au­theurs, & d'autres, se peut voir vne chose digne de remarque: c'est que quand il est in­teruenu differend sur ladite succession. ceux qui se trouuoient en possession; se sont tous preualus du droit des despouillez; qui est la plus grande tyrannie qui puisse estre, & pour le donner à entendre,En la vie de Ian 1. Roy de Castille. l'allegueray seulement deux exemples.

Rodrigo Sanches Euesque de Palance ra­conte, que Ian 1. Roy de Castille & de Leon [Page](duquel nous auons desia parlé) voyant que Ian de Gand Duc de Lancastre pretendoit lesdits Royaumes de Castille & de Leon luy appartenir pour la raison que i'ay,Conside­rez la ru se de Ian. cy-dessus alleguée, disoit pour se defendre, que lesdits Royaumes luy appartenoient de droit, pour estre fils de Iane, & petit-fils de D. Iuan Em­manuel, & de sa femme, qui estoit fille de Fer­nand de la Cerda legitime heritier desdits Royaumes, son frere Alphonse estant mort sans enfās: & pour ceste cause il les tenoit en bōne consciéce, & non pour les auoir euz de son pere, q̄ luy mesme cōfessoitestre bastard.

L'autre exemple est de mesme: en vne as­semblee des Princes, Seigneurs & principaux personnages tenue en la ville de Trogillo, pour prester serment de fidelité à Fernand 2. Roy d'Aragō, & à Isabel sa femme Royne de Castille: ledict Fernand pretendoit preceder ladite Isabel, & estre reconu pour principal heritier des Royaumes de Castille & de Leō, non comme mari de ladite Isabel,Finesse de Fern. mais com­me descendant en droite ligne masculine & legitime des Rois ses predecesseurs: parce qu'il estoit fils de Ian, petit-filz de Fernand, & rierepetitfils de Ian premiex, lequel du co­sté de sa mere Iane petite-fille de Fernand de la Cerde (comme a esté dict) estoir vrai heri­tier desdits royaumes. Isabel conoissant l'in­tention ou ambition de Fernand son mari, resolut d'ēployer toute sa force & puissance pour defendre son droit: & pour repliques disoit que cela pouuoit auoir lieu si les fēmes n'auoyent point este admises à la successiō de ces Royaumes là mais puis que la coustume [Page 45]se pratiquoit au contraire, sondit mari ne la pouuoit preceder. Et pour preuue de son di­re, nomma quelques femmes qui auoyent succede esdites couronnes. entre autres, Ca­therine fille de Constance & de Ian Duc de Lācastre susdits: laquelle asseuroit auoir esté admise & receue à l'heredité comme petite­fille de son ayeul Pierre, & que Henri mari de ladite Catherine, ses ayeulx, auoit eu droit par le moyé de ladite Catherine sa fēme. Par ces raisons Isabel fut preferée à Fernand, & reconnue cōme vraie heritiere desdits Roy­aumes de Castille & de Leon, & luy comme son mari & compagnon seulement. C'est ce q̄ dit Marin Sicilien. En ceste assemblée d'E­stats Fernand se voyant Roy & Seigneur de plus des deux tiers d'Espagne de-par sa sem­me,Marin Sicilien. & de-par soy mesine aussi, ioint qu'il a­uoit là presens tous les Seigneurs & deputez des citez & villes, qui leur estoyent subiettes, tasche par tous moyens de se faire tirrer Roy d'Espagne: mais ceux de l'asseblee n'y voulu­rēt iamais cōsentir; ains au cōtraire s'y oppo­serent tāt qu'ils peurēt, & dōnerent aux Rois de Castille vn nouueau tiltre, lequel retient encore auiourd'huy Philippe, augmentāt les Royaumes & seigneuries qu'y surperent en suite ledit Fernand, & Charles 5. son pere.Phillippe poussé de l'ambitis de ses an­cestres se fait ap­peller Roy d'Es­pagne.

'[LE TRAD, Philippe poulsé du mesme vent de l'ābitiō de son bisayeul, & de son pere & du desir qu'il auoit d'vsur­per ce titre de Roy d'Espa (vayāt q̄ les Royaumes d'Esp. ne le luy vouloiēt point accorder: & q̄ és Estats qu'il taint en Port. l'an 1581. en la ville de Tomar, il fut expressemēt de­fendu: & qu'il auoit iuré luy mesme de ne le predre plus à, l'aduenir) fit neātmoins tyrāniquemāt grauer en la mōnoye­qui [Page]se bat es Indes & en Flandres, ces mots, Philippus Hispaniarum Rex; à l'imitation aussi dudit Fer­nand son bisayeul, qui print tant de peine pour gagner, ou plustost vsurper ce tant honorable tiltre, que beaucoup d'estrangers luy donnent liberalement, pour ne sçauoir ni vouloir sçauoir quel auantage en reçoit le tyran. & quel detriment en patissent les Seigneurs, les peuples & les pro­uinces d'Espagne.

De là se void clairement la tyrannie des predecesseurs du Roy Catholique à present regnant. le droict qu'ils reiettoyent en vn temps, pour tyranniser les Royaumes, ils le recerchoyent puisapres pour retenir ce qu'ils auoyent iniustement vsurpé. Chose certes qui nous induit plutost à gemir & lamenter qu'a prendre plaisir & delectation de voir des Princes sur la terre, qui portent le tiltre de Catholiques, si mauuais Chrestiens neant­moins & tyrans si insupportables, tel qu'est ce Philippe Roy de Castille. Pour cette cau­se les Ecclesiastiques & Reguliers de Portu­gal le haissent tant, [...]mmā ­ment [...]x Eccle [...]stiques [...] Regu­ [...]rs de [...]mmer la Mes expres­ [...]ment [...]illippe. que commandement leur ayant esté faict, qu'en certaines prieres qu'ils font en la Messe & es heures canoniques, ils nommassent expressement Philippe (car il sçauoit bien que nommans indeterminémēt le nom de Roy, ils entendoyent en leur coeur Antoine) ils le prindrent en si mauuaise part, qu'ils ne se peurent aucunement resoudre à ce faire. Mais se voyans en fin pressez par le commandement des Euesques & Prelats, le nommoyent auec tāt de regret & d'indigni­té que i'ay honte de le dire. Toutesfois parce que quand les choses viennent à propos, & sont du mesme suiet, ioint que celuy qui les [Page 46]refere ne merite pas d'estre blamé pour les re­citer, a cause qu'il est oblige [...]de les represen­ter en la forme qu'elles sont passees; l'ay de­libere de vous raconter deux exemples con­cernans le sujet que nous traittons.

Le commandement de l'Archeuesque de Lisbone fut publié par toutes les Eglises de ladite cite l'an 1582. le premier de lanuier; & le iour des Rois ensuyuant vn certain Cu­ré disant la grand'Messe parochiale auec grāde pompe & solemnité l'Eglise pleine de gens, comme il veint à la fin de l'oraison qui se dit apres Gloria in excelsis, chantant ces paro­les, Et famulum tuum Regum nostrum, il s'arresta tout-court, & se tournant vers les Diacre & Sousdiacre, leur demanda tout hault, dites moy, dites moy comment s'appelle ce Dia­ble? Et eux luy respondans, Philippe; il le nomma Philippum &c. & poursuiuit sa messe.

Au mesme temps aduient qu'vn Religi­eux de S. Dominique faisant mention du Roy en vne priere sans le nommer par son nom de Philippe, & luy estant commandé par son Prelat en vertu de sainte obedience, qu'il le nommast par son propre nom; alors il le repeta disant, Et famulum tuum Regum no­strum Philippum, Ducem Albensem, Sanctium de Auila & Rodericum Sapata, ceterôsque omnes Diabolos, &c. c'est à dire: Etton seruiteur nostre Roy Phi­lippe, le Duc d'Albe, Sancho d'Auila, & Ro­deric Sapata, & tous ces autres Diables. Ayant conté cecy à vn Seigneur de qualité, à qui i'auois communiqué la pluspart de ce discours, il s'esmerueilla fort, & s'escria: Ie­sus, les Prestres & Religieux de Portugal hais­sent-ils [Page]tant fa Maiesté Catholique? C'est chose estrange, & m'esbahis bien que l'ayans en si grande haine, & eux estans si puissans en ce pays là (car la pluspart d'eux sont fils de Seigneurs & Gentilshommes, mesmes quel­ques-vns de Princes) qu'ils ne font esle uer le peuple contre ce tyran. Ie luy respondis: La cause est par ce qu'en matiere de se sousleuer, quoy qu'auec iuste subiet, les Portngais sont fort patients & endurants de leur Prince, [...]aturel es Por­ [...]ugais. & vont aussi mal volontiers à la guerre (quoy qu'y estans ils soyent tres-bons soldats) com­me si l'on les menoit au gibet. Toutes-fois s'ils s'esléuent vne fois contre le Castillan, ils se defendront de telle façon, qu'il ne les sup­peditera iamais plus. Le tout est de se resou­dre & mettre la main à l'oeuure; s'ils en vien­nent là, ie croy qu'ils feront entre Portugal & Castille vn si grand mur, que ceux de la Chine firent anciennement entre eux & les Tartares; pour complaire an desir de l'ame de leur Roy Ian. 2. nommé l'Homme & Roy de la Paix: lequel fut le fleau & le chastiment des Castillans: & à cause de luy se dit encore en prouerbe, [...] 2. Roy [...] Portu­ [...]l, Fleau [...] chastié [...]ent des [...]astillans Sile poullet ne fust venu, le coq eust este prins. Cetuy-cy cognoissāt sa manie­re, sa vie & ses actiōs tyranniques, disoit qu'il desiroit de voir entre Portugal & Castille vn mur si haut, qu'il touchast au Ciel, asseurant que ce qui luy donnoit plus de peine en ce monde, estoit qu'il se faschoit de ce que le Soleil passoit en Castille premier que de ve­nir en Portugal:ascherie [...] Roy [...]n. & ce qui luy faisoit perdre patience, estoit qu'il n'y auoit point de re­mede. Ce Seigneur, luy ayant conté tou­tes [Page 47]ces choses, me remerciant dit: Certes ie suis bien aise, & vous rends graces de m'auoir apprins ces petites particularitez, par ce que sont choses dignes de memoire, & que ie n'ay iamais veu n'ony auoir esté es­crites. Mais ie ne puis entendre que veut dire le prouerbe susdit, Si le poullet ne fust venu, le coq eust este prins, comme aussi ce que vous auez dict de la loyauté d'Auila & Simancas en Castille: de Celorico & du cha­steau de Coimbre en Portugal: & du Roy de Castille, & des Castillans, & des citez & vil­les. Monsieur (luy dis-ie) ie le vous declai­rerois fort volontiers, mais ie crains que l'on ne me blasme de faire de trop longues di­gressions, d'autant que ie ne conois pas si mal le naturel des hommes, que ie sois ig­noranten combien de parties dece mien dis­cours ils me puissent accuser. Et pourtant ie vous prie de me permettre que ie face fin: puis au bout de ce traitté ie satisferay à vo­stre desir particulierement & à loisir. Car ie vous asseure q̄ ie me trairois icy de beau­conp de choses, n'estoit qu'il est besoing de les dire & publier pour parvenir à mon propos & intention, laquelle ie croy que vous Messieurs les François, & vous aussi Messieurs les Princes de l'Europe (qui estes tous fort interessez en la grandeur du Castil­lan) embrasseriez à pleines brassees & gaie ment, si vous n'auiez perdu le iugement & l'entendemēt Or poursuiuons nostre preuue & demonstration de la tyrannie du Roy Phi­lippe soy disant Catholique.

Nous auons desia montré comme le Roy [Page]Philippe par vsurpation & tyrannie non solùm in modo, sed in genere. (comme dient les Iuriscon­sultes) de ses predecesseurs, possede les Roy­aume de Castille, de Leon, de Galice, de To­lede, de Seuille, de Cordoua, de Mourcia, &c. auec quelques prouinces contenues es destroits de son Royaume: Venons mainte­nant aux Royaumes d'Aragon, de Valance, Comtez de Barcelone, de Cerdanie & de Roussillon, isles de Maillorque & Minorque, & Sardaigne.

Fernand Infant de Castille, ayeul de Fernād sus-nommé vsurpa tous ces Royaumes & Seigneuries,Aragon, Valence, &c. tyrā ­nisez. dont il priua Isabel Comtesse de Vrgel sa tante, soeur de sa mere: laquelle Isa­bel eut aussi vne fille, nommee Isabel, qui fut mariee auec D. Pierre Infant de Portugal, fils puisné de lan le Bastard Roy dudit Royaume. De Pierre & Isabel nacquit le Sainct Dom Pierre, Cōnestable de Portugal. lequel Dom Pierre a cause du droict de sa mere & de ses ayeulx;Le sieur D. Pierre Conne­ [...]table de Portugal, & Roy d'Arragō [...]mpoison [...]é par Iā. fut appelle & reconu par les Catalo­gnois pour leur Roy & Seigneur. Et apres a­uoir regné sur eux plus de cinq ans, fut em­poisonné par Ian 2. de ce nom, fils de Fernād premier, que nous venons de nommer, suc­cesseur d'Alphonse Roy d'Aragon son frere aisné.

Ce Ian fut tyran, & reteint le Royaume de Nauarre tyranniquement, depuis la mort de la Royne Blanche sa femme heritiere dudit Royaume, contre le droict de Charles son filz, à qui venoit le Royaume par la mort de sa mere: comme il escheut à Louys Hutin par la mort de sa mere Iane, qui mourut 8. [Page 48]ans auant son mari Phillippe le Bel.Charles IIII. vray Roy de Nauarre empoison­né par sa marastre A cette cause ledit Charles Prince debōnaire & ver­tueux, eut de grands differends & procez auec son pere, qui le fit empoisonner par sa marastre Iane fille de D. Fadrique 2. Admiral de Castille.

[LE TRAD. La grand,-mere du Roy Phillippe du costé de son pere Charles, estoit petite fille de ce Ian & de cette Iane, desquels principalement il a apprins & retenis l'art & science d'empoisonner si parfaictement, que non seulement audit Ian ayeul de sa grand mere, & à ladite Iane sa femme: mais à tous ses predecesseurs, quels qu'ils ayent esté, il donnera au mesme art & science 45. & faute, sans perdre aucune partie.]

De Pierre Connestable de Portugal, & Roy d'Aragon n'y eut point de lignee legitime. Car la lignee d'Isabel sa mere fut esteinte en Ian 2. Roy de Portugal: à cause dequoy le droict de ce Royaume, & toutes les seigneu­ries qui en dependent, viennēt & appartien­nent aux serenissimes Ducs de Lorraine, comme vrais heritiers d'Yolande, duchesse d'Anjou, femme de Louys, ayeul en 5. degré dudit serenissime Duc de Lorraine auiour-d'huy viuant.Duc de Lorraine vray he­ritier d'Aragō. &c. Laquelle Yolande estoit fille legitime de Ian Roy d'Aragon (fils aisné de Pierre le Ceremonieux Roy dudit Royau­me, qui estoit aussi pere de Martin, qui regna depuis ledit Ian son frere aisne) & vraie heri­tiere de cette couronne, & de tout son do­maine par la mort de sa soeur aisnée, femme du Comte de Foix, duquel elle n'eut ne fils ne fille.

Nauarre vsurpé.Le Royaume de Nauarre fut vsurpé, com­me dient les historiens mesmes Espagnols, [Page]sur fauses informatiōs, par Fernand bisayeul du Roy Philippé: lequel Fernand fut vn des maistres de Machiauel, ainsi que Barthelemi Philippe le donne à entendre au liure qu'il a faict imprimer l'an 1585. où il dit ainsi.

Les Princes qui sont resolus de se preualoir des armes, Lab. de cō ­ [...]il, & consiliariis Principū, disc. 14. paragr. 11. doi­uent imiter le Catholique D. Fernand 5. du nom Roy de Castille, qui se tenoit à quartier (comme lon dit) pour con­templer les guerres que les Princes Chrestiens se faisoyent les vns aux autres, & voir quelle issue & quelles forces el­le-auroyent, pour aider & fauoriser les plus foibles, & ne souffrir agrandir en Italie le pounoir de ceux qui pre­tendoyent en estre Seigneurs: & si n'entroit point es ligues que les Princes Chrestiens faisoyent▪ s'il n'en tiroit quel­que proufit. Pour ceste cause il ne voulut pas faire la guerre à Louys Roy de France, C'est le [...] 11. du nom, Auisez Sire: con­sidere, Princes & Poten­tants. quand le Pape Iule, l'Em­pereur & les Suisses la luy faisoyent: parce qu'il sembloit qu'il n'auois aucun proufit à la diminution de ce Royau­me si ceux qui le persecutoyent, s'aggrandissoyent: & cro­yant que le Roy de France vouloit augmenter son Estat en faisant la guerre au Royaume de Naples, fit ligue auec l'Empereur & le Roy d'Angleterre contre le Roy de Frāce. Le liure dōt ie parle a esteé dedié par l'Auteur à Albert Cardinal d'Austriche, estant Viceroy de Portugal, qui estoit troisiesme petitfils du­dit Fernand du costé paternel & maternel.

Portugal & son do maine ty­rannifés.Comme Philippe a tyrannisé & vsurpé le Royaume de Portugal, & les seigneuries qui en dependent, faisans vne grande monarchie mal conue des Princes estrangers, les liures le chantent, & les Vniuersitez de Coimbre, de Boulogne, de Pise; & plusieurs doctes per­sonnages l'ont adiugé à Catherine Duchesse de Bragance en Portugal, fille legitime de l'Infant D. Edouard frere de la mere de sa­dite [Page 49]maiesté Catholique.Enfans de Cather. Duc. de Brag. le Duc The [...] dose, Eduard, Alex andre & Philippe. laquelle Catherine est encore auiourd'huy viuante, & à quarre fils fort Catholiques, scauans, beaux & cou­rageux, & deux ou trois filles. Et l'Vniuer­site de Pauie l'a adiuge à Raynuncio, à pre­sent Duc de Parme, fils de Marie soeur ais­née de ladicte Catherine, ladite Marie estant morte long temps deuant Henri son on­cle.

Ie pense auoir clairement & suffisamment montre la tyrannie qu'a sousfert toute l'Es­pagne sous les predecesseurs du Roy Philip­pe le Catholique,Voyez lè liure de Ft. Bart. de la Ca­sa. & celle que les Indes Occi­dentales ont pati sous luy, comme aussi tout ce dont il se qualifie Seigneur, par quel tiltre & pretexte ils ont esté gagnez, encore que cela soit conu mesmement aux petits enfans, qui le crient par les rues, & de Naples, Sicile, Milà, Vltrec. Gueldies, & Zutphen, & les au­tres Prouinces des pays bas & terres d'Ale­magne, tyrannissees des le temps de son pere & ayeulx, en font foy. Et me semble auoi [...] biē prouué par ces histoires & exemples, que la tyrannie est le premier & principal herita­ge de sa maieste Catholique D. Philippe d'Austriche, & qu'elle luy est aussi propre & natu­relle comme la risibilité à l'homme, & qu'el­le luy conuient proprement & inseparable­ment. Puis donc que nous auons faict cō ­noistre sa tyrannie, il me semble n'estre pas hors de propos, ROY Tres-Chrestien, de traicter quelque chose touchant sa cruaute, d'autant que l'Espagne n'en esprouua iamais de semblable, comme sa chair & son sang l'a trop que bien experimenté.

Les liures, les hommes, & ses meschantes actions publient & tesmoignent par tout sa cruaute. Si Iules Caesar (comme l'on dit) fut cause de la mort de plus d'vn million d'hom­mes; ceux qui ont conoissance des deporte­mēs de ce tyran, confesseront qu'il en a faict mourir beaucoup plus. Caesar fut extreme­ment fasché de voir Pōpee son ennemi mort: & voyant son cachet & son anneau, à l'imita­tion d'Antigonus, qui tança aigrement son fils Alcyoneus, lequel luy presentoit la teste de Pyrrhus mort à l'entree de la cité d'Argos (filiùmque nefarium & barbarum vocauit) se print à plorer de compassion:Plutareh tellement qu'il se re­solut de faire la guerre à Ptolomee, a cause qu'il auoit tué Pompee proditoirement: & fit tant qu'il le fit en fin mourir luy mesme. Phi­lippe au contraire non seulement ne se fasche de la mort de ses seruiteurs & amis, cousins, nepueux, frere, fils, & femme: mais s'en esio­uit, la procure & l'auance, donnant grande somme de deniers & gages excessifs, & fai­sant grand honneur aux bourreaux & mini­stres de sa cruauté. Et pour assouuir sa perni­cieuse ambition, quand il y a quelque chose, pour petite qu'elle soit, qui le touche, il ne fait aucune exception de personne, soit Pa­pe, Nunce, Euesque, Moines, & autre Eccle­siastique. Il les empoisonne tous sans crainte de Dieu ny honte des hommes.

[LE TRAD. Seruiteurs & amis. Les Comtes d'Egmont & de Horne, le Seigneur de Montigny, & le Marquis de Bergues, auec plusieurs autres Seigneurs & gentils-hommes, desquels le sang est encore tout frais, Le prince d'Oranges, M. Antoine Colonne, D. Ian de la [Page 50]Nuça grand Iusticier d'Aragon, le Duc de Ville-Hermose, le Marquis de Fuentes, D. Ian de Lune, &c. Cousin. L'em­pereur Maximiliā. Nepueux. de par ses soeurs, D. Sebasti­an Roy de Portugal, & D. Alexādre Farnese Duc de Parm [...] D. Ian Duc de Bragāce. Frere. Le Seigneur D. Ian d'Austriche. Fils. Charles son aisné. Femme. Isabel, soeur des 3. derniers Rois de France defunts. ixte. 5. Alexandre Formenti Nunce en Portugal enuoyé par Gregoire 13. retournant dudit royaume à Rome, & passant par Castille. Euesques▪ Moines & autres Eccl. Dō Barthelemi Carrance Arche­uesque de Tolede, duquel nous auōs desia parlé, soacute; Maistre, Arche­uesque de Tolede. homme de si grande auctorité & excellence, que par l'e­space de plusieurs ennees l'Espagne n'en produira de sem­blable. Ce bon Catholique fut cause de sa prison, si dure & longue comme tout le monde sçait, Ce bon Chrestien à l'imitation de Neron persecuta ce personnage auec tant de haine & rigueur, iusques à tant que l'ennuy & fa­scherie le firent mourir à Rome. Hector Pint [...]. Le Docteur Fr. Hector Pinto Prouincial de l'ordre de sainct Hierosme en Portu­gal, & Professeur ordinaire de la S. Escripture en l'Vni­uersité de Coimbre, duquel l'erudition & doctrine est suf­fisamment attestée Catholique, quelques siens amis (mais affectionnez au parti Castillan) le supplierent de vouloir retracter ce qu'il auoit leu publiquement & pre­sché; & dectarer que sudite Maiesté estoit legitime heri­tier dudict Royaume de Portugal, Ce qu'il ne voulut faire, nonobstant toutes les prieres & remonstrances de ses­dits amis, respondant, Ce que i'ay dict ie l'ay dict: & est veritable que Philippe n'a point de droict en la succession de ceste couronne: & l'enuahissant par telle maniere qu'il a fait, sans attendre la decision de la cause, il commet vio­lence & tyrannie. Et partant ie ne le reconnois point pour mon Roy, mais plustost pour tyran & vsurpateur. Sur­quoy [Page]ses amis luy firent entendre que ce luy estoit chose pe­rilleuse à soustenir. Car (difoyent-ils) ils vous emmene­ront en Castille pieds & poings liez, chargé de fers, & vous feront languir en misere, puis finalement mourir sans es­perance de iamais reuoir Portugal. Ausquels il respon­dit: Ie m'en soucie fort peu, combien que ce me soit vn ex­treme regret de finir mes iours hors de ma chere patrie: & qui pis est en Castille. Et vous proteste qu'encore que i'entre dedās le Royaume de Castille, iamais Castille n'en­trera dedans moy. Et comme il persistoit en ceste fidelité à sa patrie & desadueu de Philippe, par son commande­ment luy fut donné le boucon, dont mourut ce pie, graue, docte & excellent personnage en la fleur de ses ans.

La mesme mesaduanture aduint à D. Laurent Pri­eur general des Chanoines reguliers de S. Augustin, D. Lau­rent. de la congregation de S. Croix de Coimbre, qui pour la sin­guliere prudence & religion dont il estoit orné, auoit par trois fois auec beaucoup de louange & dignité exercé cestè charge. Que dirons nous de la cruelle immanité qu'il a prattiquée en Portugal à l'endroit d'vne infinité d'autres notables personnages: notamment à l'endroit de ce tant venerable pere Fr. Estienne Leytan de l'Ordre des freres Prescheurs, Fr. Esti­enne Ley­tan. parent du Duc d'Aveyro, & du Duc de Ley­ria, & d'autres Princes & Seigneurs? lequel a par deux fois esté Prouincial, & trois fois Vicaire general de son Ordre. Et combien que tout le monde admirast la miraculeuse vie d'iceluy, tant y a que pour auoir à cor & à cri defendu le droict de sa patrie, ledit Philippe le fit prendre prison­nier, le priua de voix actiue & passiue, & mesme de l'ex­ercice de prestrise. dont il mourut accablé de regret & fa­scherie. Lesquelles choses, & plusieurs autres il a commises alencontre d'vne grande quantité de personnes Regulieres, & Eccle. dont le nombre est infini. Tout les susdits ont esté mal traitez & mis à mort par le commandement & or­donnance de sa Maiesté tant Catholique, comme l'on sçait [Page 51]de science veritable & coniectures fort claires & euiden­tes. Peut estre qu'vn iour s'en fera vne plus ample hi­stoire que celle-cy, qui ne contient que les voisins, encore non pas tous. Voyez vne epistre qu' Antoine Roy de Por­tugal enuoya au Pape Gregoire XIII. l'an 1584.

Voila comment il fait ses affaires, & com­ment il traicte auec le monde. Il n'y a pas long temps qu'il fut pris en la cité de Leō vn pacquet de lettres escrites de sa main, enuoyé au Connestable de Castille, dans lequel on trouua certains grains parmy les lettres: vn gentilhomme se doutant en donna à manger à plusieurs animaux, qui tous moururent in­continent. Autre chose semblable à ceste-cy est aduenue depuis peu de temps en la fran­che Comté de Bourgogne, en vne certaine maison où le Cōnestable de Castille auoit lo­gé: apres son partemēt vne chambriere trou­ua vne pelote dedans vne belle bourse, dans laquelle pelote pensant trouuer quelque gros thresor, trouua des grains,Sçauoit est à la Royne d'Anglet. & au Prince Maurice Comte de Nassau, &c. fol. 216. pag. 2. 80. mil ducats pour tuer Antoine: desquels fut faite la mesme preuue, & tous les animaux qui en mangerēt, moururent. C'est ce tyran qui fait tout ce qu'il peut, & qui tasche d'oster la vie à vostre Maiesté Treschrestiene, & aux autres Princes, par des moyens si honteux & si abo­minables, qu'il n'y a homme qui n'eust hōte de les escrire, si ce n'est le messiré Hierony­mo Franchi Connestagio, dont nous auons ia parle. Car il dit au 7. liure de son histoi­re, que Philippe apprecia à 80. mil Ducats la vie du Prieur (c'est à dire du Seigneur D. Anto­nio Roy de Portugal) comme rebelle & perturba­teur du repos public. Quelle plus grande cru­auté & tyrannie peult on imaginer?

Ainsi a-il traitté vn Prince sō cousin germain & encore son cousin remué de germain, tant de fois son parent, & si estroittemēt allie d'a­mitié que se sont portée les peres de l'vn & de l'autre, voire mesme eux deux, comme s'il eust esté voleur, larron. malfaitteur & hom­me de neant. Cette horrible & abominable cruauté ne se finit pas en Po [...]ugal, mais a passe les mers, & les mōts Pyrences, en Fran­ce & en Angleterre, où il a employé tous ses moyens pour oster la vie aux Monarques des­dits Royaumes. O barbare, ô abominable bourreau, n'as-tu point de honte? & si tu es Catholiqué, comme tu te qualifies, commēt ne sçais tu point quelle vergogne & quelle enormité c'est que de tuer? Dieu ne voulut pas qu'on touchast à Cain mesme, qui auoit massacré son propre frere, & commanda que si quelqu'vn estoit si hardi de le tuer, qu'il fust rigoureusement puni.Genes. 4. Omnis qui occiderit Cain, septuplum punietur. Et si tu le sçais. que ne gardes tu les commandemens de Dieu eter­nel? Les bonnes oeuures, ie ne di pas des Saints, ni des Chrestiens, mais des Idolatres, qui n'ayans conoissance de la vraie lumiere iuiuoyent seulement la simple loy de nature, ne te font elles nulle honte? ne te souuient-il point de ce que firent les Romains quand le medecin de Pyrrhus s'offrit à Fabricius de l'empoisonner:Pyrrhus. Fabricius L. Florus, Pomp. Mela. Lucas Tudensis. & comment ils traitterent le maistre des enfans des Falisques qui les veint offrir à Camillus? Si tu cuides que ces exem­ples là ne soient à propos, apprehende la sen­tence qu'ils donnerent contre Seruillius Cae­pio, lequel venant victorieux à Rome, & de­mandāt [Page 52]recompense & triomphe pour auoir en trahison tué Viriatus, & subiugué grand'partie de l'Espagne: ascauoir que ledit Cae­pio & les massacreurs estoyent plustost dig­nes d'estre chastiez, que recompensez: & qu'il n'estoit pas raisonnable de recompenser des morts & victoires acquises par argent. Quae victoria empta erat, à Senatu improbata, & per­cussores indigni praemio iudicati. L'on void en ce que i'ay dict, comme dans vn miroir, la cruauté de ce malin & peruers tyran, lequel plusieurs ne veulent conoistre tel qu'il està la reelle ve­rité, ains au contraire sans consideration cō ­me aueuglez & obstinez le veulent par force bon gré mal gré gratifier. Et ce qui plus me fait perdre patience en ceci, c'est de voir & ouyr quelques vns qui esmeuz de zele indis­cret, ou mauuais, peut-estre, conduits & de­ceuz par le Diable, estiment mauuais hom­me & tiennent quasi pour heretique celuy qui pousé de zele entier & iuste, publie ceste verité. De sorte que soit par crainte, ou pour interest, ou pour haine, ou charité mal or­donnée, ils estiment que ce soit plus mal fait d'accuser & reprendre les iniquitez publi­ques, que de les faire mesme. Quasi tous vous confesseront, tout ce qui se dit de la malice de ce tyran estre vrai: toutefois ceux­la mesmes diront que bien qu'il soit ainsi, c'est neantmoins tresmal faict de le dire d'vn Prince tant Catholique. Voyez ie vous prie quel aueuglement, & combiē cela est estran­ge & indigne d'vn homme Chrestien, pru­dent & iuste. Si c'est vne chose vraie & pub­lique, pourquoy contre vostre conscience & [Page]au detriment d'autruy y contredittes vous▪ Ne sçauez vous pas que c'est vne meschante chose, & comme vn crime, de condemner la verité notoire?Nefariū est, vt maleficum, cognitam veritatē damnare & specialement en ces cho­ses que par le commandement de Dieu & de la fainte Theologie nous sommes tenus de blasmer & reprendre. Or vous me direz que c'est chose raisonnable d'excuser les Princes en quelques fautes. quād ils sont douez d'au­cunes notables & signalees vertus: & que ia­mais ne regna Prince en Espagne, qui ait tant donné de demonstration de bon Catholique, que sa maiesté Catholique dont il est questi­on. Aucun n'a tant prouigné la foy Catho­lique, que luy. Aucun n'a tant aimé les Ec­clesiastiques, ny tant reueré les reguliers. Au­cun en somme n'a tant edifié de monasteres, ny basti tant de maisons d'oraison, ny exercé tant de liberalité enuers elles. Car outre les grandes & excessiues despenses qu'il a faictes en les editiant, il les a fondées de gros & ri­ches reuenus, & honorées de fort auātageux priuileges. C'est bien dit Certes Messieurs, il me greue infiniment qu'il ne me soit permis de respondre sommairement à ces propositi­ons, d'autant que chacune d'icellc [...] requiert vn plus ample traité que celuy lequel nous auons entre mains. Toutesfois ie ne lairrai pas de vous en dire quelque chose en passant, & vous monstrer que vous vous abusez en toutes icelles. Et pour commencer à respon­dre à la premiere, ie vous confesse que vous auez fort bonne raison. Quand vn Prince se­roit Catholique, iuste, honneste & valeu­reux, sans estre liberal, il seroit raisonnable [Page 53]de luy pardonner ce defaut: ce que i'enteirs aussi quand aucune de ces vertus lesquelles sont conuenables & seantes à la Royale per­sonne, luy manqueroit, & qu'il fust orné des autres. Ie n'oublie pas en ce subiect le cōman­dement de Dieu;Iac. ca. 2. Quicunque totam legem seruaue­rit, in vno autem offenderit, factus est omnium reus. Mais ie parle en homme; & suis de ceste opi­nion, que si vn Prince estoit entaché de quel­que grand vice: comme s'il estoit iniuste, ou cruel, ou tyran, ou mal viuant, &c. estant ac­compagné d'autres vertus; pour aucun des­dits vices, quelque enorme qu'il soit, nous ne debuons point neantmoins nous reuolter ny tellement complotter contre luy, que pro­curions sa ruine (d'autant que pourchas­sans la sienne nous trouuerons tant plutost la nostre; la France l'a bien esprouué) mais nous sommes obligez de requerir à Dieu par prieres, ieusnes & abstinences, de luy faire misericorde & pardon, luy donner entende­ment pour euiter le mal, & iugement pour choisir le bien.Conscil salutaire pour les subiets vers leurs Princes. Histo. Lo­tharing. Qu'il luy donne vn coeur con­trit & humilié, & le traicte en sa benignité, à celle fin que l'odeur de son sacrifice monte aux cieux, & que par sa clemence il reçoiue ses oblations. Par tels moyens les peuples de Lorraine obtindrent pour leur Duc Thierri fils de Guillaume frere de Godefroy & Baul­douin Rois de Ierusalem, Prince tyran, persecuteur de l'Eglise & mal traictant ses subiects & vassaux, de la misericorde de Dieu tant de grace que non seulement il reueint à soy & s'amenda: mais aussi resti­tuant ce qu'il auoit mal pris, s'enferma dans [Page]vn monastere, là où par l'espace de quatre ans deuant sa mort il mena vne parfaicte & sain­cte vie. Plaife à Dieu que nostre grand amy Philippe le Catholique, à qui manquēt qua­si toutes les vertus decentes à vn bon & iuste Prince, en face de mesme, restituant le bien d'autruy à l'imitation du Duc Thierri, non de Charles V. son pere. Prenez cela pour res­ponse à la premiere proposition.

Quant à la seconde; il est certain que Phi­lippe a beaucoup auancé la foy és Indes Oc­cidentales, d'autant que ce manteau & cou­uerture luy sert grandemēt pour augmenter son pouaoir & tyrannie▪ Ceste bonne oeuure se doit imputer à personnes deuotes tant siēs suiets qu'autres, plustost qu'à luy. Auisez comme il l'estend en Aphrique! Nagueres il a contre les institutions de l'Ordre de la mili­ce de Iesus Christ & autres, faict paix en Bar­barie auec les Infideles, pour auoir plus de commodité de faire la guerre en Europe cō ­tre les Chrestiēs. Que fait-il auiourd'huy cō ­tre le Turc? Il conniue & symbolise auec luy.

Quant à la troisiesme, les histoires racon­tent fort bien, & les hommes peuuent asseu­rer combien il aime les Ecclesiastiques & re­uere les Religieux. En Espagne l'on n'auoit iamais en tout le temps passé faict mourir pour affaire d'Estat aucun Ecclesiastique ou Regulier. La plus cruelle & rigoureuse iustice que les Princes Arrians ayēt faict d'eux, pour estre contraires à leur party, fut de les empri­fonner & reclure dans des monasteres. Vrai est qu'ils creuerent les yeux à quelques vns, & depuis autres Princes les firent mourir se­cretement [Page 54]en prison. Mais de gibet, ils ne sceurent iamais que c'estoir, smon depuis le regne de sa Maiesté tres-Catholique, laquelle ie croy estre telle: mais ie le conois pour tres­mauuais Chrestien. Ie ne doubte point qu'il ne croye tout ce que nous enseigne la Sainte Eglise Catholique Apostolique & Romaine nostre mere: mais ie sçay fort bien qu'il n'ob­serue pas les preceptes du Decalogue, &c.

Quantau reste de vos propositions, com­bien que Philippe ait edifie grand nombre de monasteres, & plusieurs Eglises, les douant de riches reuenus: si ne lairray-ie nonobstant tout cela de la reconoistre pour vn tres-grand tyrā & trescuel Prince. Les historiens escrip­uent amplement de la cruaute de Brunehaut (encores que quelqu'vn la vueille excuser,Brune­haut fie mourir dix Roys en Frāce. & attribuer ceste faulte aux premiers escri­uains) & afferment qu'elle fit mourir dix Rois, en France, & plusieurs autres person­nes de grāde qualite. Aussi escriuent ils d'el­le, qu'elle fit bastir si grande quantité d'Egli­ses, & les pourueut de si grands biens & ri­chesses que c'est vne chose estrange. Voicy ce qu'en dit Gaguin: Tellement que si l'on veut pa­rangonner la depense auec les moyens de Brunehault, Gaguin. cer­tes on s'esmerueillera que ceste femme ait peu bastir en vn siecle tant de temples, & leur assigner à tous de bonnes rentes. Brunehault merite autre louange pour auoir vse de si grande liberalité enuers l'E­glise, que ne fait Philippe: d'autant qu'elle donnoit du sien, & Philippe donne de l'au­truy. En Espagne l'on blasme fort ceux qui desrobent vn mouton, & en dōnent les pieds pour l'honneur de Dieu. Ainsi fait sa Maiesté [Page]Catholique. Il tire des Ecclesiastiques, Ter­cias. Subsidio, Pila, Escusado. De façon que de dix il en tire pour le moins cin (que) & plus luy paye vn Prelat que deux mille laboureurs ny que quatre mille gentils-hommes. Auisez com­me il est liberal enuers les Ecclesiastiques! Par le moyen de ces pieds de mouton il edifie des monasteres & autres Eglises, & les doue de tres-gros reuenus. D'auantage qui est ce qui s'est mesle de vendre les villes & chasteaux, iurisdictiōs & vassaux de l'Eglise? C'est vostre grād amy Philippe tant vertueux & Catholi.

[LE TRAD. Tercias. Tercias, est la tierce partie de tout ce qu'vn Prelat reçoit de rente par chacun an de son benefice. Subsidio. Subsidio, c'est que des deux tiers qui luy re­stent, & d'autres reuenus touchans à son estat, il en pay [...] encore certum quid. Pila. Pila, c'est que de toutes les parois­ses quí sont en Espaigne il prend le disme d'vn paroissien, s [...]auoir est du plus riche. Aucuns des Reguliers possedans heritages en la mesme paroisse, aident à paier pro rata ce tribut. Les Reguliers mesmes payent disme de tout ce qu'ils possedent, iusques aux pommes mesmes, auranges, & choux de leur iardin. Escusado. Escusado▪ est parce que les Ecclesiast. & Reguliers ne peuuēt porter les armes, pour en estre excusez, ils paient à sa Maiesté Catholique, vne certaine somme.

Ie sçcay fort bié que vous me repliquerez que les rétes des Eglises d'Esp sont si grādes & ex­cessiues, qu'encores q̄les Prelats payent à leur Roy la moitie d'icelles, ils demeurent neant­moins tousiours riches, d'autant qu'il y a tel Prelat en Espa, qui iouyt de plus de rente par chacun an q̄ 50. ou 60. de Frāce. A cela ie re­spōds, q̄ bien qu'ainsi soit, sa Mt. Cath. ne peut despouiller l'Eglise de ses biēs, q̄ les Princes & personnes Cath. & deuotes luy ont dōnez. Et [Page 55]si le douaire donne à quelque Damoiselle est priuilege? cōbiē plus le doit estre celuy qui se dōne a Dieu & à nostre Dame & aux Saincts, qui visiblemēt & reellemēt ont cōbattu & se sont personnellemēt trouuez es batailles, fai­sans les miracles q̄ les histoires racontent? Et pourtāt puisque sā Majeste Cath. oste aux E­glises qui leur est dōne, pour les causes & rai­sons q̄ nous venōs de dire, il cōmet fraude & sacrilege. A çause dequoy peut-estre le payera il durāt sa vie, ou biē ses successeurs pour luy. Pour ceste mesme raison Nabuchodonosor tracassa plusieurs annees emmy les chāps en figure de beste brutte.Dan. 4. Dan. 5. Balthazar [...]on fils veid cest horrible prodige de la main escriuāt, cō ­tre la paroy sa mort & destructiō. Ananias & Saphira sa femme cheurent morts aux pieds de S. Pierre.Act. Apo. 5. Nous auōs beaucoup d'exēples de ceste matiere en l'escripture Saincte, & beau­coup plus és prophanes. Il y en a vne grande quantité en Espa. specialemēt en Castille. La Royne Dōne Virraca fille d'Alphōse 6. Empe­reur sortāt de l'Eglise S. Isidore de Leon auec les richesses qu'elle auoit enleuées leās, creua à la porte.Les com­munes hist. d'Es­pagne. Dom Alphonse le Guerrier son mari, pour semblable sujet fut vaincu par les Mores en la bataille de la Fraga, & en pa­rut iamais ne vif ne mort. Le Roy D. Henri frere germain de la mere de S. Louys, estant garçon fut tué par hazard d'vne ruille dedans Plaisance. Aucuns atribuerent ceste mort au peu de soing qu'eut Héri de remedier en son tendre & ieune aage, aux extorsions que firēt aux Eglises les enfans du Comte D. Nugno de Lara tuteurs dudict Henri, & gouuer­neurs [Page]de son Royaume: & occasionnerent ausdits tuteurs les desastres & mal-encontres qu'escriuent les histoires. Ces exemples ba­stent pour vous prouuer l'abus & nullite de vostre replique, & montrer que vostre Phi­lippe mettant la main sur les rentes Ecclesia­stiques, comme il fait, ne se peut excuser de fraude, sacrilege & tyrannie: & ainsi, qu'auec mauuaise conscience il vole le mouton d'au­truy, combien qu'il en donne les pieds pour l'amour de Dieu. Sur tout ie vous asseure d'homme de bien, que s'il n'y auoit en la per­sonne du Roy Philippe, que ces deux vices, asçauoir Tyrannie, & cruauté & qu'il fust vrai obseruateur du reste de la loy Catholi­que; ie vous excuserois de vostre aueugle­ment. Mais tenez pour certain que ses abo­minables oeuures ferōt mētir celuy qui sera si hardi de defēdre qu'il ne soit pas tel. Car cet ennemi & persecuteur general sous le man­teau Catholique a plus faict de mal & plus d'insolences contre l'Eglise Romaine, que tous les autres persecuteurs quil l'ont prece, de. Voulez vous voir la preuue de vostre a­bus, & cōment il est tresmauuais Chrestien? Ostez les tayes & cataractes de vos yeux; ou­urez les, & vous verrez comme il le montre auec le doigt.Le Duc d'Alençō. L'an 1575. ce Roy Catholi­que auerti que feu Monsieur faisoit de grāds preparatifs pour entrer auec main armee en Flandres, commença fort secretement à son­der quelques chefs & seigneurs de l'Eglise pretendue reformée des prouinces de Lan­guedoc. Foix, Bearn, Bigorre, & du pays de la Bort proche de Guipuscua tout cōtre Fon­tarabie, [Page 56]pour sçauoir s'ils voudroyent point sous sa protection defendre leur liberte, leur promettant de faire venir des gents d'Alema­gne contre le Roy Treschrestien,Offre fai­te pour Philippe à Mess. de l'Eglise pretendue pour faire la guerre au feu Roy. 1572. & de leur donner cinq cents mille escus tous les ans pour cet effect, & pour l'entretenement des Ministres de leurs Eglises; leur faisant glisser aux oreilles que l'entreprise de Flandre que le Duc d'Alençon faisoit, ne tendoit à autre chose que pour les attrapper & massacrer de­rechef, comme l'on auoit faict sous le Roy Charles 1 x. son frere, quand le seigneur de la Noüe fut prins, & le seigneur d'Iuoy mis à mort entre deux tables auec plusieurs au­tres seigneurs & gentilshommes. Il eut meil­leur moyen de traitter auec lesdites Eglises, a cause qu'il y auoit beaucoup de Catholi­ques messez auec les Huguenors, qui tous se gouuernoyent selon les conuentions faittes entre eux, & vn grand seigneur François, & le seigneur de Chastillon, combiē que depuis ceste vnion fut rompue. Quelques vns des chefs presterent l'oreille à ses persuasions, d'autant qu'on voyoit lors qu'il s'alloit pre­parer vne grande guerre contre eux, comme elle ne tarda gueres du temps que Brouage fut pris: Ioint que lesdits chefs & seigneurs auec quelques ministres, estans entrez en vne grande ialousie du Roy Treschrestien, qui e­stoit lors Roy de Nauarre; & de feu Monsei­gneur le Prince de Condé, se resolurent se­cretement dans la ville de Montauban, d'ap­peller des protecteurs estrangers de la mesme religion. Et pour cest effect enuoyerent vn Ministre en Alemagne, feignans l'enuoyer à [Page]l'Eglise pretendue de Mets. Toutefois l'affai­re fut descouuerte par vn des principaux Seigneurs nouuellement reduict à leur reli­gion, lequel s'indigna fort contre son mini­stre: & parce qu'il auoit assiste à ceste delibe­ration, il pensoit qu'il eust este de cest aduis, luy reprochant qu'il s'esbahissois comment il se laissoit passer vne telle plume par le bec sans rire. Dequoy ledit Ministre s'excusa, & asseura ne sçauoir aucune chose de cest affai­re. Mais cela fut cause de la rupture de ceste trame, joint qu'ils n'estoient pas bien d'ac­cord entre eux du chef. Les vns desiroyent le Duc Casimir; les autres la Roine d'Angle­terre; les autres le feu Duc de Sauoye, lequel iusques alors, qui fut l'an 1577. ne scauoit rien de ce quise passoit entre luy & les Mini­stres. Depuis ce temps là estant venu le ieune Duc à present dominant à la succession de son pere, auerti qu'il en fut, enuoya vers le Roy de Nauarre luy demander Madame sa soeur pour femme. vn nomme Seruin fut despesche pour cest effect, & apres luy vn Viconte, qui voyant grande difficulte en la demande, s'en alla par Bearn en Espagne, où il traitta le mariage de l'Infante D. Ca­therine, auiourd'huy duchesse de Sauoye, lequel mariage D. Amé frere bastard dudit Duc, mit depuis à effect. Ce mariage veint fort à propos à Philippe: pource que par ce moyē il s'asseuroit du Duc, qu'il n'entrepren­droit rien en Portugal. où il scauoit biē apres la mort du Roy Henri auoir grande diuisi­on entre les Portugais; d'autant que les vns vouloyent la Seigneure D. Catherine Du­chesse [Page 57]de Bragāce, autres le Seigneur D. An­toine. & tous pour ne prendre l'vn des de­nommez, vouloyent ledit Duc de Sauoye, pour estre petit-fils d'vne fille de Portugal: lequel comme on dit, s'il fust alle depuis du­rant l'interregne en Portugal sur ce conteste, & pour n'admettre ni l'vn ni l'autre des sus­dits, eust este sans doute receu de tous les Portugais.

Au reste pour vous mieux montrer quel est celuy pour l'amour duquel vous vous per­dez, & estes tant esueillez pour son seruice, i'adiousteray icy quelque chose touchant ce suiet: car il n'est possible de dire tout ce qui en depend. Il n'y a pas long temps que pour suyure les traces des bons & pieux Catholi­ques tel qu'il est, il rendit la cité d'Arzile, à Muley Hamet Roy de Marrocques, contre la volonté des Portugais qui y estoyent habi­tans, lesquels sans son aide s'obligeoyent à la defendre. Les Chrestiens estimoyent que Philippe faisoit ceste reddition, parce qu'il tenoit pour certain que ceste cite ne se pou­uoit defendre contre la puissance des Infi­delles, ainsi q̄ luy mesme donnoit à entendre, disant que le mal estoit moindre de la rendre sans hazarder les vies & les biēs,Raison pour la­quelle Philippe rendit la cité d'Ar zille à Muley Hamet. q̄ la gardant mettre tous en danger. En quoy il les trōpoit fort malicieusement. Carla vraie cause pour laquelle ledit Cath. rēdoit ceste cite de Chre­sties aux Maures, fut pource qu'il l'auoit pro­mis à leur Roy, à la charge qu'il ne prestastau Seign̄r D. Anto. son cousin germain Roy de Port. 200. mil escus qu'il auoit promis de luy prester par l'intercessiō de la Roine d'Anglet. [Page]Et pour ceste raison ledit D. Antonio enuoya son fils D. Christophle à Marrocques pour de­meurer en ostage de ladite somme. Et de faict il y fut par l'espace de quatre ans. Voyez quelle oeuure tant Chrestienne & Catholi­que fit celuy que vous defendez comme tres­chrestien & trescatholique: lequel pour em­pescher qu'vn Roy beaucoup meilleur Ca­tholique que luy, ne recouure le sien, detient si tyranniquernēt l'autruy, & l'oste aux chre­stiens pour le donner aux Infideles. Que re­spondez vous à ceci? Ie vous fai iuges de vous mesmes. Pourquoy ne voulez vous pas reco­noistre l'irreligion de cestuy vostre bien-ai­mé, la malice & peruersité de celuy que vous aimez tant? Cōsiderez & conoissez que vous estes prins & liez auec vne grosse chaine. & que abyssus abyssum inuocat. Psal. 41▪ Ie veux dire qu'vne faute en traine cent mille autres auec soy.

De defendre & maintenir vn mauuais hom­me, s'ensuit vn sinistre iugement d'vn bon. Cela se verifia fort bien du viuant de D. An­tonio, & mesme encore auiourd'huy. C'est vne honte d'ouyr les abominations que les partisans de ce pretendu Catholique disoyēt & ne cessent encore de dire de ce pauure Prince defunct. Les vns l'appelloyent re­belle; les autres sans-repos & remuant; les autres sedicieux & ennemi de la Chrestien­té, infidele & heretique. Y a il chose plus douloureuse, plus sensible, plus iniuste & plus indigne d'vn homme Chrestien? Com­ment osez vous contre les loix diuines & humaines traitter si mal vn Prince fils du plus grand Prince de son aage, petitfils de ce [Page 58]grand Emmanuel, dont les Princes de l'Eu­rope se glorifient de tirer leur origine? Prince trauaille & affligé. Il a bien montré en son exil & aduersite qu'il estoit meilleur Catho­lique que vostre Philippe son cousin, moins ambitieux, sans colere, sans haine & plein de charité. Car s'il eust voulu recouurer son Royaume de Portugal auec plus honorables moyens que vostre Tyran ne le tyrannise, & detient encore auiourd'huy tyranniquemēt, il l'eust bien peu faire. S'il eust accordé aux Anglois de pouuoir en Portugal auoir exer­cice de leur religion, seulement és maisons particulieres, le Comte de Lecestre (aucuns l'appellent Comte de Lest) s'obligeoit de le remettre en possession de ses Royaumes & seigneuries. L'an 1589. quand il passa en Por­tugal auec eux, entre les accords qui furent faits, ne leur fut accordé autre chose qu'vne licence de viure en Portugal sans que les Pre­lats Ecclesiastiques les obligeassent d'aller aux Eglises faire l'exercice que font les Ca­tholiques. Comme la Roine d'Angleterre traittoit au mesme temps les estrangers Ca­tholiques habitans en son Royaume: ainsi accordoit il & ordōnoit que les Anglois fus­sent traittez en Portugal. Peut-estre que s'il se fust plus eslargi en cet endroit, les Anglois se fussent dauantage efforcez d'y demeurer. Mais il proceda si catholiquement auec eux, qu'ils en eurent defiance, & prindrent occa­sion de le souspçonner. Le Roy de Marroc­ques auiourd'huy regnant, duquel nous a­uons n'agueres parlé enuoya vn ambassa deur en Angleterre, pour traitter auec luy de la [Page]deliurance de Portugal, luy offrāt cent mille escus à payer incontinent à Londres, pour freter cent nauires & s'en aller en Barbarie, d'où il promettoit de s'embarquer, & passer auec luy en personne, & donner liberté à 7. ou. 8. mille Portugais Chrestiens qu'il te­noit en captiuité, lesquels estoyent fort bons soldats, afin de mettre le pied en Espagne a­uec eux & les pricipaux Cheualiers de Bar­barie, & le remettre en possessiō de son Roy­aume. Ce que D. Antonio ne voulut accep­ter, [...]a cause [...]ur la­ [...]uelle An [...]ine re­ [...]sa le [...]oyen de [...]cou­ [...]er son [...]oyaume pour ne donner occasion aux Moresques (c'est à dire Mores qui sont baptisez & in­struits au Christianisme) qui viuent en Ara­gon. Valence, Murcia, & autres quartiers d'Espagne (où le More asseuroit d'auoir 60. mille hommes à sa deuotion) de se rebeller & mettre les Chrestiens en pitié. Cela estoit plus dangereux & chargeoit plus le Roy Phi­lippe que le Roy Antoine: auec lequel Muley Hamet desiroit faire vu traitté de paix fort auantageux pour les Royaumes de Portugal. D. Antonio refusa le tout, meu d'vn pieux & Catholique zele. Montrez moy que vostre D. Philippe en face autant. Il fit de grandes pro­messes à Dom Antoine, afin de le faire renon­cer au droict qu'il auoit en Portugal, à cause de son eslectiō. [...]ffres de [...]hilippe [...] Antoi­ [...]e. Il le faisoit Viceroy de Naples auec 400. mil escus de rente, & la collatiō des offices & benefices. D'auātage Iuy donnoit 5. cens mil escus pour payer ses debtes & s'en aller à son gouuernemēt: s'obligeant de resti­tuer en leurs premiers estats tout les Portu­gais dont il auoit confisqué & prins les biēs, pour auoir tenu son party▪ & qu'il auanceroit [Page 59]& recompenseroit ceux qui le seruoyent a­ctnellment, & pardonneroit à tous en gene­ral. A quoy respondit D. Antoine, Qu'à Dieu ne pleust qu'il commist vne si grande faute: & qu'il aimeroit mieux mourir en vn hospi­tal, que faire vne chose si enorme, meschate, iniuste,Antoina plein de conscien­ce. & contre sa conscience par ce que les loix l'auoyent enseigné qu'il ne pouuoit contracter de la chose d'autruy. Car quand il futesleu à Sautaren, il auoit iuré, & depuis à Lisbone quand il fut confirmé par les de­putez & des citez & villes de Portugal, qui vindrēt pour luy prester serment & faire hō ­mage: De ia mais ne s'accorder auec l'enne­my sans laisser Portugal en sa liberté. Cecy sert pour montrer combien meilleur Catho­lique, & combien moins ambitieux le Roy Dom Antoine a esté que le Roy Philippe. Quand à la cholere, haine ou charité d'ice­luy, elle paroist en ce qui s'ensuit: Que beau­coup d'hommes se sont plusieurs fois offerts à Dom Antoine pour tuer Philippe: toutes­fois il ne leur fit ia mais bonne receptiōn, al­leguant que les Roys estoyent les oingts du Seigneur.Paroles fort chre­stiennes d'Antoi. Et ores que le Roy Philippe mon cousin, aueuglé (disoit-il) de son ambition & tyrannie, me persecute & tasche de m'oster la vie: ie ne suis pas content toutessois, ny ne veux q̄ personne pour l'amour de moy attēte à la siene: & se garde demoy quicōque le fera. Qu'il face luy, puis que ses pechez l'aueuglēt ainsi, le Saul alendroit de moy: quant à moy ie protēste deuāt Dieu de faire le Dauiden sō endroit. Vn homme luy demandant vn iour vne faueur pour les bōnes nouuelles qu'il luy [Page]apportoit, asseurant que le Roy Philippe e­stoit mort; il luy rēspōdit à demi en cholere: Mon bon amy, ne sçauez vous pas qui est ce­luy que vous me nommez? Il est mon cou­sin germain. Aportez-moy nouuelles que i'aye S. ou 10. mille hommes fidelles & bien armez, auec bons & sages Capitaines, & tou­tes choses necessaires pour restaurer Portu­gal: & ie vous promets d'homme de bien de vous faire si riche & tant honoré en mon Royaume, qu'aucun gentilhomme ne vous deuancera. Allez, allez, apprenez à cognoi­stre le naturel des Princes. Messieurs que vous semble de ces exemples? Voyez vous maintenant que i'ay raison de dire que le Roy D. Antonio estoit plus Catholique & moins ambitïeux que le Roy Philippe, sans cholere, ny haine: ains au contraire plein de charite? Partāt ie vous prie pour l'amour de Dieu, q̄ d'icy en auāt vous voꝰ resoluiez auec sain iugement, pure conscience & sans aueu­glemēt ou zele indiscret, d'embrasser le bien & reietter le mal. S'il est deshonneste, luxu­rieux & desbordé, ie n'en dis rien, pource que ce n'est le but de nostre traitté: & croy que le Prince d'Oranges en son Apologie en a dict quelque chose, & le bruit infame & detestable qui a couru & court encore par tout le mōde, en dit beaucoup. Dieu luy face la grace de se reconoistre & conuertir, ren­dantà vn chacun le sien deuant que mourit, mieux qu'il n'a restitué ce que lon dit que son Pere à l'heure de sa mort luy commanda de rendre & restituer.

Ie supplie SIRE, vostre Maiesté de m'ex­cuser [Page 60]si ie me suis tant estendu sur ce subiet, parce que ie ne le fai pas sans cause, sçachant que pour venir à mon but, il m'est force & m'im porte de dire ceci. C'est chose propre & conforme à la loy de Dieu, & naturelle à la charité, de remettre en chemin les deuoyez, & descharger les innocents, encores que cela porte dommage aux meschants.

Serenissimes Princes,

Si les raisons que i'ay alleguées, & les hi­stoires que i'ay cottées, ne sont suffisans pour vous persuader & presser à faire incontinent d'vn commun accord & consentement vne bonne & gaillarde armee, & l'enuoyer en E­spagne, pour non seulement resister mainte­nant à l'effort du Castillan, rompre la trace de ses desseings, abbaisser son orgueil, & rui­ner sa puissance: mais aussi pour le brider à l'aduenir: Ie suis contraint de croire que Dieu vous a delaissez & abandonnex à cause de vos pechez & publics & particuliers: & qu'il vous a osté le iugemēt & l'entendemēt, afin que ne puissiez voir ce qui vous importe tant, & qui est du tout necessaire pour vostre salut. Tellement qu'estans si aueugles, & comme totalement estourdis, venez à tom­ber en vn abysme de tenebres, d'entiere de­struction & totale ruine. Comprenez ie vous supplie, & conceuez ce que ie vous dis, & le considerez attentiuement. Car pour ce que ces annees passées vous auez mesprise le vo­yage de Portugal, & n'auez daigne donner ni secours ni faueur aux Portugais vos amis: auiourd'huy vous auez en France les Castil­lans vos ennemis. Au reste il vous seroit bien [Page] [...]neilleur & plus expedient, que la guerre se fist en Espagne, que non pas en France: & eussiez receu beaucoup moins d'incommo­dité de ruiner à feu & sang le terroir Castil­lan, que de voir prendre & gaster le François.

[LE TRAD. L'intime affection que i'ay à V.M. la loyauté deüe à vostre seruice, & le desir de l'augment a­tiō du bien & prosperité de la France, l'aage, la longue ex­perience des affaires d'Estat, me donne l'asseurance & har­diesse de l'aduerir en passant de quelque chose à propos de ce que dit icy l'Autheur. I'ay n'agueres entendu par let­tres de quelques miens amis, que le grand Roy de Tartarie (que les anciens historiens & Cosmographes appelent Magnum Can, Regem Regum & Dominum dominantium) regnant auiourd'huy, Prince tres­prudent, braue & belliqueux, a deliberé. pour la grand deuotion qu'il porte à son grand Prophete Mahomed, dont il suit la secte, de passer auec grandes forces en la Meca, & se saisir du corps de sondit Prophete. Le Sophi estant acertené de ceste entreprise, Fol. 55. p. 2. lequel l'Autheur en son trait­t [...] nomme Xatamà, tout incontinent a depesché des Am­bassadeurs à Constantinople vers le grand Seigneur, auec lequel depuis plusieurs annees en ça il a de grandes guerres & continuelles inimitiez: pour le prier de vouloir ioin­dre ses forces auec les siennes afin de resister tous deux ensemble à la puissance du Tartare, luy remonstrant le dā ­ger qu'ils-peuuent & l'vn & l'autre encourir de perdre leurs Estats, ayans pour voisin vn si sage & si puissant en­nemy. Que V.M. considere maintenant que si ces consi­derations cheent en l'entendement d'vn Barbare: combien plus ne doiuent elles point manquer à gens d'entendement! & qu'elle auise combiē luy proche voisin. Ioignez vos forces auec vos confederez, & faites ceste entreprise de telle forte que vous diuisiez le pouuoir & monarchie de l'enne­my. [Page 61]Ie ne dy pas que vous enuuyez piller ny saccager ceux qui viuent sous le ioug d'iceluy: absit. pource que cela tourneroit autant à son bien & proufit, qu'à nostre mal & dommage: d'autant que par nostre pillage & sac­cagement nous serions cause que ceux qui le haissent si fort, & qui non seulement ne le peuuent gouster, mais non pas mesme ouyr nommer, pour se defendre & vanger des dommages & extorsions qu'on leur feroit, se ioindroyent auec luy, & le seruiroyent auec amour & fidelité: & nous prendroyent en haine & feroyent du pit qu'il pour­royent. De maniere que nous, perdans nos amis, qui nous desirent assister, acquerrions des ennemis qui n'aspirent qu'à nostre destruction & ruine. Philippe au contraire au lieu d'ēnemis mortels qu'il a pour le iourd'huy, retrou­ueroit des amis pour luy aider à maintenir son ambition & tyrannie. C'est ce qu'il demande & desire (cependant il fait le regnard) & pour cest effect donnena de l'argent, à cause du bien qui en redonde. C'est chose bien certaine, qu'il desire extrement voir pauures & ruinez ceux des­quels il se craint, &c. Ie croy que moins de paroles que celles-cy suffiroient pour donner à entendre à V. M. com­bien il importe conseruer gents mal contents & affligez: & combien de mal pourroit reiissir de les scandaliser. Ce que nous deuons faire, est de trauailler à mettre le pied en Espagne, & dans icelle nous fortifier, recueillant à nous les scandalisez & mal traittez par l'ennemy, les receuant auec humanité & caresses. Ainsi gagna Guillaume le Conquerant le Royaume d'Angleterre: lequel aussi par mesme maniere conquit en suite Henri VII. Plusieurs autres ont fait le semblable, voire vostre Maiesté mesme: laquelle occupant quelques places en Espagne, fera paix auec honneur, auantage & profit. Ce que ie di n'est pas contredire ce que plusieurs desirent sans considerer ce qui est expedient & necessaire a chose de si grande importance: ains montrer comme il se peut faire sans detrimēt, & auec [Page]l'vtilité de vostre Royaume & bien de toute la Republique Chrestienne. Le sainct Roy & Prophete Dauid, comme homme politique, nous conseille de prier Dieu pour les choses qui sont conuenables & necessaires à la paix de Ie­rusalem, sçauoir est l'Eglise militante: & consequemment nous commande de le faire. Psa. 121. Primò, rogate quae ad pacem sunt Hierusalem: Secundo, fiat pax (iamais le monde n'en ioüira si l'Espagne ne se diuise) in virtute tua. C'est à dire, en telle sorte que nous ne per­dions vn iota de nostre estat, honneur, reputation & inte­grité & autres choses, dont ie me deporte, pour ne pertrou­bler le discours de l'Autheur.

Et quant à moy certes en cōscience ie doute si ie doibs rire ou pleurer d'vn tel & si extre­me aueuglemēt, ne plus ne moinsqu' Annibal voyant la destruction de Carthage. Et si lo'n considere que ce ris ne procede que de la grand'douleur & regret que i'ay au coeur; ie croy certes qu'il sera plus à propos que vos larmes, vos cris & lamentations. Ie diray donc de vous ce que disoit Annibal des Car­thaginois: Vous pleurez, vous souspirez, vous vous lamentez de voir vos villes prin­ses, vostre pays saccagé, vos fils, freres, parēs, compatriotes & amis tuez, & vos biens per­dus: vous conoissez tous le remede, & con­fessez de le scauoir; & neantmoins il n'y a personne qui se resolue, ne qui s'auance pour le bien public, aussi bien que pour le particulier: personne qui parle ne qui die; Deliurons nostre pays, secourons nos amis, & iettons nos ennemis dehors. Ie feray ceci, ou ie donneray cela pour le public. Estes vous si reserrez pour si peu de chose qui vous rachepteroit & remettroit en paix & en re­pos, [Page 62]deliureroit vos amis, qui vous s [...]rui­ront de rempat & bastion, ietteroit vos en­nemis hors de vos prouinces, & les confine­roit en vn coing, où ils craindroyent plus qu'ils ne vous mesprisent maintenant? Ie crains fort qu'auant bien peu de iours vous me confessiez auoir pleure pour peu de cho­se. Dieu vueille que ne suiuiez les traces d'Antiochus, lequel se voyant vaincu par les Romains, pour n'auoir suiui le conseil d'Annibal, fut bien esbahi, mais trop tard, & l'estima non seulement sage & prudent, mais aussi comme prophete, pour luy auoir prophetisé tout ce qui luy aueint depuis.

Resueillez vous ie vous prie, & considerez bien ce que ie vous conseille de faire pour vostre bien; & que celuy qui vous le dit, le desire comme seruiteur & ami, qui a autant de soing de vostre conseruatiō que de la sien­ne: & qui a dict & prophetise, (ainsi que pourront tesmoigner les principaux Con­seillers d'Estat de France & d'Angleterre) tout ce qui est a duenu pour ce regard, qui a predit tout ce qui se perdroit en France, & mesme à quoy la chose à-venir se termine­ra, si l'on ne donne autre ordre aux affaires. Ie croy que s'ils en sont enquis, ils vous di­ront que i'ay passé le temps auec toutes les fascheries qu'il est possible, de voir que vo­stre ennemi prospere & s'enorgueillit par vo­stre propre permission, consentement & vo­lonté, & pour ceste cause ie suis quasi tout resolu de laisser la conuersatiō des hommes, & me retirer en quelque montagne solitaire. [Page]Toutefois parce que ie scay tout ce qui s'est passe depuis vingt ans en-ça en la plus gran­de partie de l'Europe: ie vous dis comme scauant, que vous pouuez encore auiourd'huy recouurer tont ce que vous auez perdu, deliurer vos amis, & brider vos ennemis; voire mesme donner ordre que le temps à­venir vous soit plus heureux que le passe n'a este: & d'auantage ie vous asseure que depuis la perte d'Amiens, que ie pense venir de la main de Dieu comme de vostre Pere, qui par son amour paternel vous chastie pour vous resueiller: Ie me suis resolu de mettre par es­crit ce que i'ay tant de fois prononcé de bou­che à tant de signalez personnages, auant mesme qu'ils m'en priassent. C'est pour­quoy fi ce mien escrit ne produit au public le bien & l'effect que ie desire: ie proteste de me taire du tout cy apres: Et neantmoins, SIRE, ie supplie tres-humblement V. M. Tres-crestienne, & tous les Princes & Poten­tats de l'Europe, voire tous les Seigneurs & officiers de vostre Couronne, qu'il vous plai­se descendre en vous mesmes, & à loisir auec vostre prudence & sagesse accoustumée con­siderer que l'heur & la felicité ne consiste pas tant à conquerir des seigneuries & do­maines pour le present, en intention de les laisser à vos successeurs, qu'à les asseurer & conseruer pour l'aduenir à vos enfans, à fin que quand il plaira à Dieu vous appeller, ils en puissent iouir en paix & tranquillite sans trouble ny empeschement quelconque. Parce que c'est vne bien plus grande vertu de [Page 63]conseruer ce qui est acquis, que d'acquerir choses nouuelles.

Non minor est virtus, quâm quaerere. parta tuêri.

Le Pelerin Espagnol, batu du temps, & persecuté de la fortune.

P. Ol.

Castellano inferam bellum, id si con­tra eum geras, me inter fidissimos habe­to: si verù depace cum illo agas, alium, quicum rem deliberes, quaerito.

FIN.

EXPLICATION DV PELERIN SVR LE PRO­VERBE, SI LE POVLLET NE fust venu. le coq estoit prins: & de la lo­yauté Auila & Simāchas en Castille, & de Celorico, & du chasteau de Coimbre en Portugal.
Item, quelle difference il y a entre Roy de Castille & d'Espagne: & qui sont ceux que nous appellons Ca­stillans: & ce qui s'entend par citez & villes.

Si le poul let ne fust venu, le coq eust esté prins HENRI quatriesme Roy de Castille, dont nous a­uons parlé, prest de mou­rir nomma quatre exe­cuteurs de son testament pour gouuerner le Roy­aume apres sa mort, & marier sa fille D. Iane: deux desquels, sçauoir est D. Aluaro de Estugniga Duc de Areua­lo, & D. Diego Lopez Pacheco Marquis de Villena, ioints auec l'Archeuesque de Tole­de nommé D. Alphonse Carrillo, Dom Ber­trand de la Cueva, Duc d'Albuquerque, & le maistre de Calatraua, D. Rodrigo Telles Gi­ron Comte de Vregne, D. Ian Telles Giron [Page 64]son frere Marquis de Caliz, D. Alphonse de Aguilar, & plusieurs autres seigneurs, auec quatorze citez, enuoyerent prier D. Alphon­se l'Aphricain Roy de Portugal, à ce qu'il voulust prendre pour femme ladicte Royne D. Iane; ce que le Roy de Portugal accepta contre la volonté de plusieurs de ses Royau­mes, qui ne se vouloient en aucune façon mesler auec les Castillans. A cause de ce ma­riage l'an 1475. D. Alphonse s'en alla és ter­res & pays de sa femme, où il eust plusieurs rencōtres & combats auec Fernand Roy d'A­ragon, mary d'Isabel Royne pretendue de Castille, & auec ses gents, iusques à la ba­taille qui se donna pres de la cité de Toro en Mars 1476. qui fut ordonnée en ceste manie­re. Le Roy Alphonse fit vn camp des sei­gneurs des Royaumes de Castille & de Leon, & quelques Portugais. Le Prince D, Iuan son fils qui l'estoit venu secourir, en fit vn autre de ses Portugais sans y mesler les Castillans. Le Roy Fernand fitaussi deux camps, l'vn des Castillans qui suiuoient son party & celuy de sa femme, & l'autre d'Aragonnois, Catalans, Valenciens & autres peuples & nations de ses Royaumes & seigneuries, duquel il estoit chef & Capitaine. Fernand rencontrant Al­phonse le defit, & le vainquit, luy prenant son guidon royal, & leur fit quitter la batail­le, & prendre la fuite.Victoire des Por­tugais. Le Prince D. Iuan don­na si resoluement dedans les Castillans, qu'il les mit tous en routte, en tua plusieurs sur la place, & print beaucoup de prisonniers: & luy restant entier auec ses gents, d'vne grāde hardiesse & magnanimite assaillir Fernand [Page]vainqueur de son pere, le fit fuir, & recou­ura le guidon Royal que ledit Alphonse son pere auoit perdu. L'histoire de Portugal dit que le Prince fit beaucoup d'honneur à vn Cheuallier quil sauua ledit guidon, & luy donna cinq mille marauedis de rente (qui pour lors n'estoit pas petit reuenu au prix d'auiourd'huy) qui sont douze ducats & de­my, donnant 400. marauedis à chasque du­cat: & le gratifia d'autres presents & hon­neurs. Fernand escriuit à Isabel le succez de la bataille, donnant à entendre que si le Prin­ce ne fust suruenu, le Roy son pere eust esté prins. Surquoy elle respōdit: Si le poullet ne fust venu, le coq eust esté prins. de là vint ce prouerbe que nous disons. Guaribay escrit ces denie­res paroles en confessant la verité: toutesfois au reste luy-mesme dit mille faulsetez qui se verifient par l'histoire que Damian de Goyes a fait de ce Prince D. Iuan,Damia­nus à Goyes en la vie du Prince D. Iuan. en laquelle il dit que le Prince fust demeuré au champ de ba­taille par l'espace de trois iours. si l'Archeues­que de Tolede ne l'en eust empesché, lequel auec tres-grande instance & prieres ardantes le fit retirer en la cité, pource qu'il faisoit grand froid, & que ses gents estoient harassez & s'endormoient; luy disant, Il y a trois heu­res qui valent bien trois iours, & vne heure qui en vaut bien trois, que vostre Altesse a te­nu le champ assez longuement. Quelques­vns escriuēt qu'en memoire de ceste victoire le Roy Edouard IIII. d'Angleterre enuoya l'Ordre de la Iartiere au Prince. Et a tous­iours si mal succedé aux Castillans contre les Portugais, que parce que le Roy Alphonse [Page 65]fut deffait & s'enfuit du combat (bien que son fils fust vainqueur) ils s'atribuent la vi­ctoire de ceste bataille.

Alphonse Raymond,Auila. fils vnique de Vrraca fille d'Alphonse VI. surnomme l'Empereur, nacquit en Auila cité de Castille, & fut nourri & gardé par ceux de la cite sous le regne d'Alphonse Roy d'Aragon, appellé le Battailleur, ensemble auec sa femme Vrraca Roine de Castille mere dudit Raymond. Or il y eut de grandes reuoltes, esquelles ceux d'Auila suy­uans le parti de Raimond cōtre ledit Alphóse son beaupere, firent tant que le beaupere fut ietté hors du gouuernement, & le beaufils installé au siege Royal; & pour ceste cause ce dicton a passe en prouerbe; Les feaux d'Aui­la: Et, Auila est au Roy.

Quant à Simancas,Simancas faut sçauoir que l'an 1463. regnant en Castille Henri 4 à la persua­sion de quelques Princes plusieurs autres ci­tez & villes se reuolterent, & firent ensemble vne rebellion qu'ils appellerēt Ligue des Princes, & eux se qualifioyent Princes de la Ligue. A ceste imitation Philippe Roy de Castille l'an 1582. baptisa la Ligue qui a produit tant de maux & d'afflictions comme la France a speciale­ment experimenté depuis neufans en-ça. C'est ceste ligue qui a tant faict de dommage à l'Englise Romaine, & l'a tellement ruince qu'il luy faudra beaucoup de centaines d'an­nees pour la refaire. Par laps de temps les soldats de l'armee du Roy, s'augmentās fort & accroissans leur puissance, veindrent à la cité de Toro: & le Roy ayant aduis que ceux de la ligue estāt sortis de Valladolid, les murs [Page]de Pegnafleur rompus & rasez, s'en alloyent à Simancas, enuoya incontinēt Ian Hernan­des Galiude sō Capitaine general auec 3000. cheuaux de secours, lesquels entrez dans Si­mancas, ceux de la ligue y mirent le siege, ayans toutefois plus de peur que les assiegez, Les Laquais d'entre eux qui auoyent vn cou­rage admirable, s'assemblans vn iour en grād nombre, & se mocquans des assiegeans, fi­rent vne statue qui representoit l'Archeues­que de Tolede, lequel pour estre rebelle à son Roy & Seigneur on appelloit D. Opas, frere du Comte Iulian qui fit entrer les Maures en Espagne contre le Roy Rodrigo. Dequis vn de ces lacquais se constituant iuge s'assid au tribunal, commandāt d'amener prisonniere deuant luy la statue de l'Archeuesque, & luy prononça sa sentence, en disant:Sentence donnce par les lacquais contre l'Arche­uesque de Tolede. Garib. lib 17. ca, 14 Parce que D. Alphonse Carille Archeuesque de Tolede suiuant les pa [...] de l'Euesque D. Opa [...], destructeur de l'Espagne, a esté trai­stre à son Roy & Seigneur naturel, se rebellant al'encon­tre de luy auec ses places & forteresses, & les deniers qu'il luy auoit baillez pour le seruir. A ces causes, veu le me­rite du procez, par lequel se voyent ses meschans effort & crimes de felonnie, nous le condamnons à estre bruslé, estāt trainé premieremeut par les rues & lieux publics de Si­mancas, le crieur criant à haute voix: C'est la Iustice qui commande ce faire, à sçauoir brusler ce cruel D. Opas à cause de son delict; par ce qu'ayant receu places, forteresses & deniers de son Roy, il s'est reuolté contre luy.

Quien tal haza, que tal pague. C'est à dire: ‘Qui tel acte commet, tel payement reçoiue.’

La sentence prononcee, vn autre lacquais prenant la statue entrent ses bras auec vn cri public, la ietta hors de la ville, estant accom­pagné de plus de 300. lacquais. Incontinent deux d'entre eux firent vn bucher pour la brusler, non gueres loing du camp de l'enne­my, qui regardoit ce qui se faisoit: & bru­slant la statue ces lacquais se prindrēt à crier & chanter à gorge desployee.

Esta es Simancas,
Don Opas trahidor,
Y no Pen̄aflor.

C'est à dire:

C'est cy Simancas,
D. Opas traistre,
Et non Pegnaflor:

& autres choses à propos. Ce qui dura long temps en Castille, se chantant à la Cour & par tout le Royaume.

Depuis que les Portugais eurent priué de leur Royaume D. Sācho surnommé Capelo,Celori­que. D. Alphonse son frere en ce temps la Comte de Bologne sur mer, fut esleu Gouuerneur de Portugal par les mésmes Portugais.

L'eslection qu'ils en firent, auec la deposi­tion dudit Sancho, fut approuuee par In­nocent 4. tenant vn Concile à Lyon. A cause dequoy ledit Alphonse s'en alla en Portu­gal auec lettres de faueur dudit Innocent 4. aux peuples, leur priant & commandant qu'ils eussent à luy obeyr & liurer toutes les citez, villes & chasteaux du royaume en ge­neral. Toutesfois quelques particuliers, no­nobstāt le commandemēt du Pape, ny la for­ce d'Alphōse, pensans que cela derogeast à la [Page]loyauté qu'ils deuoyent à leur Roy, surent contraires audit Alphonse, & ne luy voulu­rent rendre les villes & chasteaux qui leur a­uoyent esté baillez par leur Roy Sancho. Fer­nand Ruis Pacheco sieur de Ferreyra fut vn de ceux-la, qui estant assiegé par D. Alphonse dans la ville de Celorico, & se trouuant en extreme necessité de viures, venant par grād'auenture vne truitte à tomber dans le▪ cha­steau, des griffes d'vn Aigle volāt par dessus, en fit present à Dō Alphonse auec deux pains blancs tendres, pour luy faire croire qu'il e­stoit bien pourueu, puis que les delices ne luy estoyent point encore faillies. Tellement que le Gouuerneur croyāt qu'on y portast secret­tement des viures, leua le siege. Ce traict fut imputé à Fernand Ruis à tres-grande fi­delité au seruice deu à son Roy, lequel mort, incontinent rendit la ville audit Alphonse esleu Roy (pour ce que Sancho son frere n'a­uoit point laisse de fils) sans aucun autre ac­cord ne condition.

Chasteau de Coim­bre.Ledict D. Alphonse par la mesme raison assiegea le chasteau. de la cité de Coimbre, dont le Capitaine s'appelloir Martin de Frey­tas, qui fut reduit en telle necessité que l'eau & le pain luy defailloit. Toutesfois ny cecy ny les promesses que ledict Alphonse fit à ce Capitaine, ne furent bastantes pour luy faire rendre le chasteau. D. Alphonse considerant la loyauté & constance de ce Capitaine, & desirant luy sauuer la vie, incontinent qu'il eust nouuelles que le Roy Sancho son frere estoit mort (qui mourut durant le siege) en­noya de son armee aux assiegez du pain, de la [Page 67]chair & autres choses necessaires pour sub­stanter la vie, & escriuit au Capitaine que le Roy Sancho estoit mort & enterté en la cité de Tolede, & promettoit luy faire du bien & de l'honneur, le priant ne se trauailler pas d'auantage, & luy rendre le chasteau, puis­que son Roy estoit decede, & luy esleu par les Portugais, receu & confirme par serment de fidelite en tout le Royaume. Le Capitaine voyant la lettre, demanda au Roy autant de temps de trefue qu'il estoit necessaire pour aller en Castille voir de ses propres yeux s'il estoit vray. Ce que le Roy luy Sancho: Et le re­conoissant lia les clefs du chasteau à son bras droict, dont il demanda acte à vn Notaire qui se trouua là pour cest effect: & retournāt en Portugal, rendit le chasteau au Roy Al­phonse. Le Roy pour marque d'vne si tare constance & fidelité, remit au chasteau ledit Freytas, & luy fit don de la place, pour luy & ses descendans à iamais, auec ceste pretoga­tiue, que ne luy ne les siens seroient tenus de luy en faire hommage, ny aux Roys ses suc­cesseurs. Freytas ayant baisé les mains du Roy, & bien humblement remercié sa Maje­sté pour si grande faueur, non seulement ne l'accepta, mais defendit à ses fils. & à tous ceux qui descendroient de luy, sur peine de malediction, de ne prendre iamais en leur charge aucune ville ou chasteau à garder, à cause duquel ils fussent tenu faire la foy & hommage à aucun Prince. Voila quant à Auila, Simancas, Celorico & chasteau de [Page]Coimbre: qui sont exemples de tresgrande consideration, & qui doiuent faire grand'honte à beaucoup de gents en ce temps-cy qu'on fait si peu de conte de vertu si rare & si louable. Messieurs mettez, ie vous prie, la main en vostre sein. & voyez comme elle est pleine de lepre: retournez en vous-mesmes & recognoisscz vos fautes. Car Dieu a tousiours les oreilles ouuertes pour ouyr ceux qui luy demandent misericorde.

Roy de Castille.Quant au Roy de Castille, ie me resiouirois fort que vous voulussiez bien entendre que c'est, & dont nous auons ja parlé quelque peu, & se traitte amplement au liure que Fr. Ioseph Texere Religieux de S. Dominique a fait de la genealogie du Roy Tres-chrestien;Lā 1594 Paris. qui est celuy mesme qui preschoit que nous sommes tenus d'aimer tous les hommes de quelque religion, secte & nation qu'ils soiēt, iusques aux Castillans; lequel moine estant Portugais, peut estre qu'il ne sç pas entiere­ment combiē la▪ nation Espagnolle se fasche de voir & ouyr que le Roy Philippe se tiltre Roy d'Espagne (ostez dece nōbre la canaille Castillane, parce qu'ils se persuadent qu'e­stant ainsi, ils tiendront seuls tout le regime & gouuernement du monde) parce qu'il y a bien d'autres raisons que celles qu'il en rend, entre lesquelles il n'importe pas peu de sça­uoir que cōme ceux d'Aragon & de Nauarre ne manquent point d'esperance de se voir en­core quelque iour deliurez du tyran (ce qui se peut aussi dire de Portugal) ils veulent aus­si conseruer leurs Monarchies; c'est à dire leurs priuileges, preeminences, prerogatiues, [Page 68]dignitez, offices, coustumes, & langage de leurs Royaumes (peut-estre que Dieu par sa diuine misericorde permettra qu'vn iour quelque Moyse resuscitera, pour le remettre en liberté. L'on escrit touchant les Enfans d'Israel, que depuis leur entree en Egypte. ils conseruerent tousiours trois choses, auec beaucoup d'integrité, sçuoir est la langue Hebraique, la mesme façon de s'habiller, & la proprieté des surnoms de leurs familles.) Car en cas que sa Maiesté Tres-chrestienne se resolue de retirer le Royaume de la tyrannie Castillane: il aura vn Connestable & tous les officiers dudit Royaume qui luy assisteront & mettront peine de le seruir fidellement, pour demeurer en leur pays auec leurs char­ges & offices, obeissans à vn Roy naturel, & non Castillan. Si le sereniss. Duc de Lorraine se veut disposer à restaurer Aragon, Valence, Catalogne, &c. il aura vn Admiral & plu­sieurs officiers de ces Royaumes qui l'accō ­pagneront, & s'estimeront tres-heureux de deliurer leur pays de la tyrannie & ioug estrā ­ger, & le liurer au Prince legitime & naturel. Siles Portugais s'aduisent & resoluent de choisir par election (comme ils ont droict de choisir par election (comme ils ont droict de ce faire) vn Prince ou autre du peuple, soit blanc ou negre, (car il est certain que pour se deliurer de la tyrannie de Philippe ils rece­uront le plus petit negre de la Guinee, s'il est Chrestien & qu'il viue dans le Royaume) ils croyēt auec raison que ce leur sera vne grāde aide pour accomplir leurs desirs, & pour se defendre & conseruer, trouuer vn Connesta­ble de Portugal, Mareschal, Admiral, & tous [Page]les autres officiers du Royaume, les escritu­res faites en langue maternelle, les façons de leurs habillemens, & les surnoms deleurs fa­milles. Au contraire accordant au Roy Phi­lippe qu'il prenne ce tiltre de Roy d'Espagne, il est certain qu'il fera vne maison royale d'E­spagne, au ec Connestable, Mareschal ou Ma­reschaux, & Admiral, Grand-maistre, grand Chambellan, grād Escuyer, & tous les autres officiers du Royaume, qui se diront d'Espa­gne, & tous s'appelleront Espagnols, & s'vni­ront tous en vn seul corps. Ce qui tournera à grand dommage aux Estats particuliers, & au tres-grand proufit & seureté de Philippe & ses descendans. Les estrangers sçauent tres­mal qu'importe ceci, & de là vient qu'ils diēt tant de folies quand ils en parlent. ce qui est fort blasmable, attendu que c'est contre la loy qui dit que c'est inciuilité de vouloir iu­ger de ce que l'on n'entend pas.Inciuile est, de re incognita iudicare. Les nations d'Espagne voyent fort biē quel mal cela leur peut faire; & pourtant ils y resistent auec tant d'effort & vehemence. Le Castillan sçait fort bien l'auancement & l'asseurance qui en re­uiēdra à son estat s'il peut gagner ce poinct: & pour ce fait telle instance pour se qualifier Roy d'Espagne. Il est fort verse és histoires, cóme nous auons dit cy-deuant, ainsi qu'ont esté ses predecesseurs. Et par la lecture d'icel­les a apprins que c'est le plus facile moyē pour commander paisiblement, & gagner l'affecti­on de tous les Espagnols.Egbert Roy de Vvest s [...] ­xi [...]. Les histoires nous montrent que Egbert, homme vaillāt & ma­gnanime, estant en la grand'Bretagne esleu Roy du Royaume de Vvestsexia, ditle Roy­aume [Page 69]de Vvestsexia, dit le Royaume des Sa­xons (ce Royaume contient les prouinces de Cornouaille, Somercet, Divonia, Vviltonia, Dorssecia. Huthamtphonia, & de Bercheria, & se fiant sur la science de l'art militaire qu'il auoit apprise en France sous Charlemagne, où il fut banni plusieurs annees, resolut de se faire Roy & Seigneur de toute la Bretagne, laissant toutesfois à part l'Escosse: & com­mençant son entreprinse, subiugua premie­rement la prouince de Vvalles, qui est la plus forte de toutes les autres: en suite les Royau­mes de Kent, Mercia, Nortumbria, & le Roy­aume des Saxons Orientaux, qui s'appelloit Estsexia. Ceste prouince acquise, & ces 4. Royaumes, Egbert se voyant seigneur de cinq, & qu'il ne luy restoit plus à acquerir que le Royaume de Sussexia, dict des Saxons Au­strales, & celuy des Saxons Orientaux, appellé Fastanglia, des forces duquel il ne faisoit pas beaucoup de cas; & pensant comme il pour­roit asseurer ce domaine & ces seigneuries, se delibera non seulement d'esteindre la me­moire des Bretons, anciens habitans de ceste isle, mais aussi de gagner la volonté des sub­iuguez auec vn nouueau nom; & par mesme moyen attirer à soy celle des autres qui re­stoient à conquerir. Pour cest effect il ordon­na & par Edict public & perpetuel cōmanda que des ce iour en auant tous ces sept Roy­aumes se nommassent d'vn seul nom,Eghert Premier Roy d'An gloterre. Angle­terre, & que tous les habitans s'appellassent Anglois. Parce moyen il vint entierement à bout de ses desseins. A l'imitatiō de cest Eg­bert, Fernand II. Roy d'Aragon, & V. du nom [Page]Roy de Castille, se voyant seigneur de la plus grand'part d'Espagne, & qu'il ne luy restoit plus à gagner que les Royaumes de Nauarre & de Portugal, fit tous ses efforts d'obtenir des Princes, Royaumes & prouinces ce qu'ils luy refuserent, c'est à sçauoir de se tiltrer Roy d'Espagne. Auec la mesme ambition & desir Philippe son riere-petit-fils pretend ce que les Royaumes d'Espagne, & nouuellement Portugal, luy ont constamment denie, & que vous luy donnez si facilement & liberale­ment. Maintenant ie croy que vous acheue­rez d'entendre la cause pourquoy Philippe se qualifie Roy de Castille & de Leon, &c. Car les nations d'Espagne, mesme la Castillane: l'appellent ainsi, dont vous vous mocquez grandement, sans sçauoir combien cela im­potte: & partāt i'espere que parcy apres vous cognoistrez par ces enseignemēs vostre igno­rance, & corrigerez vostre faute.

Castillās, & Ca­still [...].Nous appellons Castillans ceux qui sont naturels du Royaume de Castille, & de ces Royaumes que les Roys de Castille auec l'ai­de des Roys de Nauarre, Aragon & de Por­tugal, & d'autres seigneurs souuerains d'E­spagne ont arraché des mains des Maures, lesquels Royaumes nous nōmons d'vn seul la nouuelles Castille. De ces Royaumes ce­luy qui fut le moins en la puissance des Mau­res, fut celuy de Tolede,Tolede r [...]mis en [...]lberté. qui fut remis en li­berté par Alphonse VI. dict l'Empereur, l'an 1086. ayant esté perdu auec ce q̄ perdit leRoy Rodrigo en Espa. l'ā 714. De sorte qu'à ce cōp­te Tolede, cité & premiere primauté d'Espag­ne fut en la possessiō des infideles par l'espace [Page 70]de 372. ans. Pour ceste cause la cité de Braga en Portugal, Metropolitaine du Royaume de Galice, estant tousiours contre les Maures soustenue par les Portugais habitans d'icelle (qui se disoient lors qu'ils la bastissoient, Galli Brachati) où il y a eu Euesques successiuement des le commencement de la primitiue Eglise iusques à present;Raison pour quoy Braga s [...] dict pri­mat d'E­spagne. a obtenu la premiere pri­mauté d'Espagne, & se tiltre ainsi contre le consentement & gré de l'Eglise de Tolede; laquelle remise en liberté recommença de prendre son premier tiltre: & les Archeues­ques disputent encores auiourd'huy la pre­seance.

Cordua fut en la puissance des Maures par l'espace de 522. ans.Cordua. Car elle fut restaurée l'an 1236. le 29. Iuin, feste des Apostres S. Pierre & S. Paul.

Murcia par l'espace de 527.Murcia. Car elle fut re­prinse l'an 2141. auquel an l'vniuersite de Sa­lamanca fut fondee.

Iaen par 529. ans, & fut restituée l'an 1243.Iaen. Seville.

Seville par l'espace de 535. puis fut remise en liberte l'an 1248.

Caliz par l'espace de 555. ans,Caliz. & fut resta­blie l'an 1269. du temps de Iacob Aben Iu­ceph Roy de Marroques.

Algizira par 630. & fut liberée l'an 1344.Algizira. Pour recouurer ceste cite le peuple des Roy­aumes de Castillé & de Leon accorda au Roy Alphonse le Iusticiers, tandis que dureroit le siege, le tribut qui s'appelle Al [...]à vala, qui est vn sold pour liure de toutes les denrees qui se vendroient: lequel tribut Alphonse iniu­stement & ambitieusement, contre la volōté [Page]des mesmes peuples exigea tant qu'il vesquit: de façon que les R ois ses successeurs nō seu­lement l'ont continué, mais aussi augmenté, & s'en paye auiourd'huy de dix l'vn.

Gibraltar par 748. ans,Gibral­tar. & fut recouuré l'an 1472.

Malega.Malega par l'espace de 773. puis fut repri­se l'an 1487.

GranadeGranade fut retirée l'an 1492. & fut la der­niere cité & Royaume prins sur les Maures, qu'ils auoient possedé l'espace de 778. ans. Cecy estant cognu l'on ne s'esmerueillera de ce que i'ay dict en ce traicté, que les Castil­lans descendēt des Maures & Iuifs (ils viuo­ient pesle-mesles) & que la prononciation de leur langue est Moresque, puis que par tant de centaines d'annees les Maures habitent ces pays la, & occupent encores à present vne grande partie de Castille.

Citez.Citez en Espagne sont les peuples ausquel sont establis les sieges Episcopaux. Il y a aus­si quelques citez qui par priuilege particu­lier, ores qu'elles ne soient metropolitaines ou chefs d'Eueschez, vsent de ce tiltre & pre­rogatiue de cites, mais peu. De cité à ville y a grande difference, tant en authorité qu'en prerogatiues, honneurs & priuileges. Es citez il y a communement des Corrigedores, spe­cialementen Protugal, qui sont semblables aux Preteurs & gouuerneurs des ancien Ro­mains, qui gouuernoient les prouinces. Vne cité a plusieurs villes, peuples. & villages qui luy sont subiects, tāt au spirituel qu'au tem­porel. De maniere que les citez sont les chefs; & les villes, les membres. Pour ceste cause [Page 71]quand il suruient quelque affaire ou reuolte commun en Espagne, les villes suiuent quasi tousiours le party de la cité dont elle depēed. Et afin qu'vn peuple soit reduit en cité, l'an­tiquité est plus requise que la grandeur. Il y a plusieurs citez qui sont petits peuples; & villes, qui sont de grāds peuples. Valladolid, Medina del Campo, Madrid, & Caceles. en Castille, Santaren, Abrantes, Setoual & Oli­uença en Portugal, sont villes tres-grandes & fort peuplées: mais encore qu'elles surpas­sent en grādeur beaucoup de citez, toutefois ne sont pas pourtāt douées de toutes ces pre­rogatiues: & ne s'appellēt citez. Valladolid & Santaren sont peuples si grands, que quand en Espagne nous faisons comparaison de la grandeur des citez & des villes, nous disons: Ciudad par ciudad Lisbona en Portugal, Villa por villa Valladolid en Castilla: Si quieres otra tal, busea Santaren en Portugal. c'est à dire: Cité pour cité Lisbone en Portugal: ville pour ville Valladolid en Castille: si tu en veux vne autre semblable, cerche Santaren en Portugal. Depuis peu d'annees le Roy Philippe a honoré du tiltre de cité ladite ville de Valladolid, & l'a faite siege Episcopal: & ce tant pour estre Valla­dolid peuple fort grand, comme nous auons dict, que pour estre vne des villes la plus si­gnalee & annoblie de Castille, pleine de grāds & riches bastimēts, Eglises, Monasteres, Col­leges, maisons principales & estudes gene­raux: & aussi d'autāt que sa Maiesté est né en icelle le 22. de May 1517. vn Mardy à 4. heu­res apres midy.

Les villes en Espagne sont peuplees qui [Page]ont en leurs limites plusieurs villages, ha­meaux & maisons, & ont leur iurisdiction limitee & subietre aux citez. Vray est qu'il y a quelques villes qui sont chefs de baillia­ges & gouuernmens, comme en Portugal la ville de Santaren, dont nous parlions na­gueres, & celle de Tomar, qui a 42. villes de­pendantes de sa iurisdiction. Ces deux villes en Portugal precedent es Estars & assemblees beaucoup de citez. La ville de Santaren pre­cede 13. citez, & est precedee seulement de 4. Lisbone, Coimbre, Ebora, & Puerto, qui en Latin s'appelle Ciuitas Portugallensis. Santaren du temps des Romain s'appelloit Iulium praesi­dium, & estoit vne cour Royale, (ou comme l'on dit en France Parlemēt) colonie des Ro­mains: Tomar aussi au mesme temps s'appel­loit Nabantia, & estoit cité ancienne.

Or maintenant i'estime m'estre acquitté de ma promesse, & auoir satis­fait à vos desirs.

A Dieu.

INDICE FAICT PAR l'Autheur des choses conte­nues en ce Traicté.

  • Les raisons qui ont meu Philippe Roy de Ca­stille de mettre la guerre en France, & quelle opinion il a des François. Fol. 1. pag. 2.
  • Ligue à l'imitation de celle d'Espagne de l'an 1463, fol. 2. pag. 2.
  • Philippe contre sa promesse fit pendre la Ca­pitaine Antoine. fol. 3. pag. 1.
  • Combien il a trauaillé pour faire la guerre au Roy Tres-chrestien Henri III. defunct, par le moyen du Roy present: & des pro­messes que pour ce dessein il fit à [...]a Ma­iesté. fol. 4. pag. 1.
  • Le grand desir qu'auoit le feu Roy Treschre­stien Henri III. de remettre Portugal en liberte. fol. 4. pag. 2.
  • Portugal porte de la guerre de France. fol. 5. pag. 1.
  • De cōbien il importe de faire guerre au pays de l'ennemy. fol. 5.6. & 7.
  • Quel est le naturel des Espagnols naturels. fol. 8. pag. 2.
  • Quel regret & fascherie eurent les Princes & Seigneurs d'Espagne, de voir l'inuasion & l'vsurpation de Portugal: & quel desir il ont de le voir deliuré. fol. 9. &. 10.
  • La malice de la nation Castillane, & leur de­loyauté enuers les estrangers, quand il se presente occasiō de dominer. fol. 11. p. 1.
  • L'origine des Portugais & Castillans. fol. 12 pag. 1. &c.
  • [Page]Inimitié des Castillans vers les Portugais, & la cause. fol. 12. pag. 2.
  • La loyauté des Portugais. fol. 13. pa. 2.
  • Pourquoy Portugal ne fut point remis en li­berté l'an 1589. quand le Roy D. Antoine y mena les Anglois, & narration de ce voyage. fol. 14. pag. 1.
  • Richesses trouuees à Lisbone. fol. 16. pag. 2.
  • Raison pour laquelle en ceste armee ont esté commises tant de fautes. fol. 18. pag. 2.
  • Que le Roy Tres-chrestien, les Princes & Po­tentats de l'Europe ont tres-grād interest à empescher que les Portugais ne s'accor­dent auec le Castillan. fol. 20. pag. 1.
  • Deduction des raisons entre l'Autheur & vn François, sur le voyage que doiuent faire les François en Espagne: & quelles pertes ils ont faict à faute de l'auoir cy deuant executé. fol. 20. pag. 2.
  • Quelle est la condition de celuy qui assault, & de celuy qui se defend. fol. 22. pa. 2.
  • Que la tyrannie & cruauté, la vie deshonneste & desbordée est cause de la ruine des grāds Estats & Monarchies. fol. 24. pag. 1.
  • La cause pourquoy le Roy Roderic perdit l'Espagne. fol. 24. pa. 2.
  • Que les Anglois allans en Espagne ont auec les Portugais contraint les Roys de Ca­stille à demander la paix en toute humili­té: & les conditiōs desauantageuses qu'ils ont esté cōtraints de receuoir d'eux; & la valeur des Portugais, & honorable tes­moignage du Roy de Castille, & la force de Portugal contre l'Espagne. fol. 25. ius­ques à 29.
  • [Page]Par où son peut entrer en Espagne, & facile­ment ruiner l'ennemy. fol. 29. pag. 2.
  • Portugais impatiens quand il y va de l'hon­neur. fol. 30. pa. 1.
  • Comment & par quel moyen le Roy de Ca­stille a si facilement vsurpé le royaume de Portugal. fol. 30. pag. 1.
  • Quelle est la force de Portugal, & negligence de Roy Antoine, & de son cōseil. fo. 32. p. 1
  • Les traictez illicites q̄ Phillippe fit auec Mu­ley Maluco, d'où veint la perte du Roy Sebastiā. & cōment Philippe se resiouist de la prosperité du Turc; & pourquoy il n'ē ­pesche point le Turc (cōme il peut faire aisemēt) de faire la guerre en l'Europe. fol. 32. pag. 2.
  • La description de Portugal: sa grandeur, ri­chesse & puissance. fol. 35. pag. 1.
  • Philippe addonné à la Cosmographie, & ver­se es histoires. fol. 37, pag. 2.
  • Comme les Castillans depuis 300. ans en ça n'ont rien faict de bon sans les Portugais. fol. 38. pag. 1.
  • Que Portugal est la principale cause de tou­tes les guerres & revoltes qui ont esté de­puis l'ā 1580. iusques auiourd'huy, & sera encore si l'on n'y met ordre. fol. 40. pa. 1.
  • Comme Philippe gourmande les eslections des Cardinaux & Papes. fol. 40. pag. 1.
  • Que la tyrānie est aussi propre au Castillan, q̄ la risibilité à l'hōme: & que tout ce qu'il a en ce mōde, a esté vsurpé par ses predeces­seurs, ou par luy mesme, iniustement & par pure tyrannie. Quil y a long temps que les predecesseurs de Philippe se seruēt de poi­son. fol. 41. pag. 1.
  • [Page]La haine que les Ecclesiastiques & reguliers de Portugal ont à Philippe Roy de Ca­stille. fol. 45. pag. 2.
  • Naturel des Portugais. fol. 46. pag. 2.
  • Ian 2. Roy de Portugal fleau & chastimēt des Castillans. au mesme lieu.
  • Que les Royaumes d'Aragon, de Valence, Comté de Barcelonne, & autres seigneu­ries appartiennent au serenissime Duc de Lorraine: & comme Fernand bisayeul de Philippe fut vn des Maistres de Machia­uel. fol. 48. pag. 1.
  • Cruauté de. Philippe; & comme il ne fait au­cune exception de personne, soit Pape, Nunce, Euesque, &c. fol. 49. pag. 2.
  • Philippe promet 80. mil ducats pour tuer Antoine. fol. 51, pag. 1.
  • L'aueuglemēt de ceux qui suiuent Philippe, l'excusent & defendent. fol. 52. pag. 1.
  • Conseil salutaire pour les subiets vers leurs Princes. fol. 53. pag. 1.
  • Rentes que Philippe tire par chacun an des Eglises de Castille. fol. 54. pag. 2.
  • Offre faire par Philippe à Mess. de l'Eglise pretēdue pour faire la guerre au feu Roy fol. 56. pag. 1.
  • Combien il s'est pené de troubler l'Estat du feu Roy par le moyen de quelques chefs tant d'vne religion que d'autre. fol. 51. pag. 1.
  • Raison pour laquelle Philippe rendit la cité Arzilé à Muley Hamet. fol. 57. pa. 1.
  • La difference qui est entre les moeurs de Phi­lippe Roy de Castille, & Antoine Roy de Portugal. fol. 57. pag. 1.
  • [Page]La cause pourquoy Antoine refuse le moyen de recouurer son Royaume. fol. 58. pag. 2.
  • Offres de Philippe à Antoine. fol. 58. pa. 2.
  • Explication promise par l'Autheur. fol. 63. pag. 2.
  • Si le poullet ne fust venu, le coq eust esté prins. fol, 63. pa. 2.
  • Auila. fol. 65. pag. 1.
  • Simancas. fol. 65. pag. 1.
  • Sentence dōnee par les lacquais contre l'Ar­cheuesque de Tolede. fol. 65. pag. 2.
  • Celorique. fol. 66. pag. 1.
  • Chasteau de Coimbre. fol. 66. pag. 2.
  • Roy de Castille. fol. 67. pag. 2.
  • Egbert premier Roy d'Angleterre. fol. 69. pag. 1.
  • Castillans, & Castille. fol. 69. pag. 2.
  • Raison pourquoy Braga se dit Primat d'E­spagne. fol. 70. pag. 1.
  • Tolede, Cordua, &c. remis en liberté. fol. 70. pag. 2. & 2. fol. 119. pag. 1.
  • Citez. fol. 70. pag. 2.
  • Villes. fol. 71. pag. 1.

LE TRAD. I'ay adiousté quelques addition [...] tant au texte de l'Autheur, comme en mes augmentations, en quoy ie sçay que i'ay esté quelque peu negligent, pour ce que i'ay obmis de noter beaucoup de choses au tant dignes d'estre mises en l'Indice, comme les autres. Et partant ie vous promets de payer ceste debte quelque iour auec. plus de loisir.

IOEL 2.

Residuum erucae comedit locusta, & resi­duum locustae comedit brucus: & residu­um bruci comedit rubigo. Expergiscimini ebrij, & flete & vlulate ōnes qui bibitis vinū in dulcedine: quoniam perijt ab ore vestro. Gens enim ascendet super terram meam, fortis. & in numerabilis dentes ejus, vt den­tes leonis: & molares ejus vt catuli leonis.

LE TRAD. L'Autheur m'auoit donné l'expli­tation de ceste Prophetie, faict auec vn tant industrieux artifice, qu'il m'a fait acroire qu'elle reellement s'enten­doit de la France, & que les nations qui monteront sur la terre de Dieu, sont les Espagnols, montrant qu'ils pos­sedent vne grande & la meilleure partie de l'Europe, & tout le nouueau monde, qui egale presque le vieil: & par le moyen de Portugal, tiennent en subiection l'Afrique auec l'Asie. Mais ie ne sçay par quel malheur i'ay perdis ladite explication. Quand ie l'auray retiree de luy, ie pro­ [...]ets la communiquer à tout le monde. A Dieu.

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