LE REVEILLE-MATIN DE …

LE REVEILLE-MATIN DES FRANCOIS, ET DE LEVRS VOISINS.

Composé par Eusebe Philadelphe Cosmo­polite, enforme de Dialogues.

A EDIMBOVRG, De l'imprimerie de Iaques Iames.

Auec permission.

1574.

L'IMPRIMEVR AVX FRAN­cois & autres Nations voisines. *⁎*

Messieurs ayant recouuré la copie de vostre Reueille-matin dedié a la Royne d'Angle­terre par Eusebe Philadelphe: & cognois­sant le fruit que la lecture d'iceluy vous peut ap­porter, ie n'ay pas voulu vous en frustrer plus lon­guement. Et m'asseurant que l'ayans veu pesé & bien consideré vous m'en scaurez aussib [...]n gré que l'affe­ction qui me meut à le vous presenter merite. Ie ne despendray pas vn mot à vous recommander mon ze­le, encore moins celuy de l'Autheur: seulemēt ie prie­ray Dieu qu'il vous face bien tost iouyr du plaisir & vtilité qu'vn tel labeur peut apporter aux sages. Vous trouuerez au commencement vne peti [...]e epi­stre de l'autheur dediant son liure Francois à la Roy­ne d'Angleterre & le double d'vne letre Latine mise en Francois qu'il a escrite aux Polonois leur dediant le mesme liure Latin. Vous y verrez aussi vn dialo­gisme d'entre le Polonois, & la Paix Valoise & le double d'vne letre qu'vn gentilhomme par [...]zan de la maison de Lorraine, duquel ie n'ay peu scau [...]ir le nom a escrit sur le mesme suiet au Duc de Guise son maistre. Si ie puis recouurer quelque autre chose de nouueau que ie cognoisse vous pouuoir seruir, ie vous en feray bonne part, pourueu toutesfois que i'entende que vous rapportiez ce present que ie vous fay à l'v­sage qui luy est propre. Autrement n'en attendez plus. Adieu.

A TRES-EXCELLENTE ET Tres-illustre Princesse Elizabeth Royne d'Angleterre, de France, d'Ir­lande &c. *⁎*

MAdame is suis si mauuais flatteur, que ie ne suis iamais plus aize, qu'al [...]rs que ie puis librement dire mon auis des choses qui nous passent d [...]uant les yeux, principalement s'elles sont de quelque poids & consequence. Que si d'auenture il ne m'est permis (comme souuent, cela est deffend [...] aux gens de bien, de peur qu'vn libre iugement n'of­fense l'oreille des grans, ou que leurs mignons qui en abusent ne s [...]yent par là cognus & chastiez,) Si ie puis al [...]rs pour le moins ayant mon recours au pa­pier faire parler quelque honneste homme, qui des­couure ce que i'en sens, tout aussi tost mes esprits re­peus de ceste liberté, vont reprenant nouuelle force. C [...]est ce qui fait que tout gaillard, tout resolis sans nulle crainte (ne m'estant loisible de dire) ie vous offre pour maintenant vn Reueille-matin, Madame, tel que ma plume a peu tracer pour la gloire de no­stre Dieu, le bien de son Eglise, vostre grandeur & vostre estat, & pour celuy de vos voisins. Ie ne vous discours pas icy les matieres que i'y traite: la lectu­re les monstrera & le subiet merite bien qu'on pre­ne la peine de le lire. Mais ie vous puis bien asseu­rer, Madame, qu'il n'y a rien de superflu (si ce n'est aux trop delicats) rien de faux, rien quisoit indigne d'estre dit & recommandé par escrit au temps à ve­nir: Voire rien du tout qui ne serue au bien public du [Page] temps qui court. De quoy estant tres-asseuré, ie supplieray treshumblement vostre Maiesté de rece­uoir d'aussi bonne main ce mien labeur, comme d'vn coeur treshumble & tresaffectionné ie luy presen­te. Priant Dieu,

Madame, qu'il doint à vostre Maiesté autant d'heur & de felicité, que vostre bon frere, allié & Compere vous souhaite de mal & d'encombre. De Eleutherouille le 20. de Nouembre. 1573.

De vostre Maiesté Tres humble & tres affectionné seruiteur Eusebe Philadelphe.

EPISTRE TRADVITE EN FRANCOIS DV LIVRE LA­tin dedié aux estats, Princes, Sei­gneurs, Barons, Gentilshommes, & Peuple Polonois, par Euse­be Philadelphe, Cos­mopolite.

Les Frāçois, tres-illustres Prin­ces, magnanimes Seigneurs, vertuenx Gentils hommes, & Peuple genereux, vous sont en tant de sortes redeuables, & obligez, & ie leur suis tant loyal & affectionné amy: que ie penseroy' faire grand tort à mon deuoir, si ie ne faisoye, paroistre par quelque bon & hon­neste office l'amitié que ie leur por­te & la sincere affection que i'ay au bien & tranquillité de vostre Repu­blique & estat. Voila pourquoy a­yant tracé en deux Dialogues vn sommaire veritable des miseres pas­sees [Page] & presentes des François: i'ay bien voulu pour tesmoigner ceste mienne affection enuers vos deux nations, n'ayant pour maintenant rien en main de plus conuenable au temps qui court, le vous offrir & consacrer, comme aux plus gros & plus notables creanciers de tous les François.

Que si quelcun de prime face trouue ce present-cy fascheux, & l'accuse de ce qu'il reueille les es­prits de trop de gens: Le pouuoir & force indomptable de la trespure veritè, à laquelle plus ie m'arreste qu'à l'opinion d'vn tel Censeur, me seruira en cest endroit de plege & de bon garent, m'ayant contrainct de l'opposer aux-flatteurs, me [...] [...] effrontez, en vn Latin aus [...] facile cōme est le langage Frāçois, auquel i'escris le mesme liure à la grande [Page] Royne d'Angleterre simple & sans affeterie. Et ceux qui sans passion le liront pourront bien iuger & co­gnoire, que le fard duquel Puybrac en vendant sa plume, comme Ba­laam sa langue pour maudire le peu ple de Dieu, a vsé en sa belle epi­stre à Stanislaus Heluidius, & tout ce que Monluc Euesque de Valen­ce, Lansac & autres tels menteurs à gages vous ont sceu dire & propo­ser pour desguiser la verité, est bien fort loin de cest ouurage, qui ne marche que rondement en son stile & au suiet.

Mais vous me pourriez deman­der. Pourquoy dis-tu, ô Phila­delphe, que les François nous sont deteurs? A nous qui leur auons o­sté le second fils qui deuroit estre gardien de toute la France, & em­mené auec luy des Princes, Sei­gneurs, [Page] Gentilshommes & gens de Conseil tresnotables, chargez d'or, d'argent & de meubles dont ils ont vuydé leur pays pour s'en venir peupler le nostre. A nous qui leur a­uons cousté en faisant nos propres affaires vn monde d'argent de des­pense pour le deffray de nos Ambas­sadeurs, lesquels neantmoins n'ont daigné accepter l'ordre de Mon­sieur S. Michel qui rend tous ceux la qui le portent, cousins de Cha [...] ­les de Valois. Il semble plustost que nous sommes leurs deteurs en tou­te façon. Et quand bien tu pourrois monstrer que nous sommes en quel que sorte les creanciers de tes Fran­çois, quel bien fay-tu Cosmopoli­te ny à eux ny à nous aussi, nous fai­sant part de leurs miseres & descou­urant leurs pouretez? n'est-ce pas autant comme si tu nous disois? Il [Page] est vray que vous auez pour debi­teurs tous les François. Mais ne pen­sez pas qu'ils vous payent de long temps vn tout seul denier. Ils sont si poures & belistres qu'ils dorront tost du cul à terre, & feront (si Dieu ny pouruoit) cession de leurs biens miserable. C'est bien loin de nous resiouyr, que de nous donner ces nouuelles, & toutesfois c'est le pre­sent que tu nous offres, ce dis-tu.

Il est certain (tres-illustres Prin­ces & Nation tresrenommee) que vous pourriez tenir (ce semble) vn tel langage que cela. Mais quoy qu'il soit, tous les François ne lais­sent pourtant de vous estre cent mil le fois plus obligez que vous à eux si lon regarde le dedans d'vn si grand mystere, qu'est l'Election de vo­stre Roy, plus que l'exter [...]eur & le dehors, oû les fols seulement s'arre­stent, [Page] ne pouaās penestrer plus loin. Car posé le cas que vous estans de­stituez de Roy, ne pouuans viure simplement sous la loy & sous son ame la raison, ne voulans aussi vous commettre à la conduite de quelcun d'entre vous, les François vous ayent fourny d'vn Roy de leur nation (si toutesfois il est fils de François: car de sa mere vous scauez qu'elle est & sera Florentine) & que pour vous auoir nourry & fourny vn Roy ils vous puissent auoir obli­gé à eux en quelque maniere & fa­çon: comme il est tresraisonnable qu'on le soit à la nation & à la mai­son qui les donne: Vous ne le serez iamais tant aux François, comme les vieux Israelites à la maison de Isai pour Dauid, Salomon, Iosias & semblables autres bons Roys qu'ils ont receu de bon tige, ou comme [Page] aux Sabins les Romains, pour Nu­ma leur legislateur, Les Spartains aux deux familles des Agiades & des Eurytiontides: ny comme le sa­cré Empire des Romains se peut di­re l'estre aux familles des Palatins, des Saxons, de ceux de Bauieres pour les grans & fameux Empe­reurs, qu'il a receu de ces maisons. Cestuy-cy n'a pas l'encouleure, la desmarche, ny la façon (sous vostre bon congé soit dict) pour respondre en pas vne sorte au rēg auquel vous l'esle uez. Et plustost seroit-il à crain­dre, que Dieu irrité contre vous, cō ­me à bon droict il le peut estre, s'il regarde à tant d'erreurs qui courent en vostre Patrie, au lieu d'vn diable qu'il employa quand il voulut trom per Achap, n'ait employé ces deux que scauez, Monluc l'euesque & Lan sac le cheualier pour estre esprits [Page] de mensonge auec efficace d'erreur au milieu de vos assemblees, & vous donner par ce moyen vn monstre Roy en sa fureur. Mais tant y a quād vostre Roy seroit meilleur qu'on ne peut dire, & aussi bon en vostre endroict qu'il a esté pernicieux vers les François & vers sa Patrie: si est­ce encor comme i'ay dit qu'ils vous seront à tout iamais bons amis & bien redeuables, pour les biens que vous leur auez faict: Premiere­ment pour la bonne opinion que vous auez euë de leur Nation, la pre posant en l'election, dont est que­stion, à beaucoup d'autres qui vous sont plus prochaines & voisines. En ce que, comme i'ay sceu au vray, pour mener à quelque heureuse fin ceste premiere election, ou plustost le proiet & dessein que vous en auiez fait, vous despechastes en Frāce des [Page] gentilshommes d'entre vous enui­ron le temps des massacres de Paris pour auoir l'auis du deffunct Sei­gneur Amiral, l'vn des parens de la France, & vous y conduire selon son conseil.

En ce qu'ayant sceu les nouuel­les des ces horribles massacres, es­quels l'Amiral deuant l'arriuee de vos gentilshōmes fut tué, vous des­pouillastes tout aussi tost l'opinion bonne que vous auiez de la maison de Valois, pour en vestir vne tres veritable, la recognoissans pour la plus traistresse, & desloyale maison de la terre.

En ce que vous eussiez lors vo­lontiers en detestation d'vn tel cri­me, esleu plustost vn muletier, ou quelque autre bon toucheur d'as­nes, que pas vn de tous ces Bou­chiers, n'eust esté qu'il vous estoit [Page] force de vous seruir de cestuy-cy, ayans irrité tous les autres, qui luy estoyent competiteurs abbayans à vostre Royaume.

Les François vous sont aussi bien fort obligez, de ce que apres ces massacres vous ne voulustes iamais passer outre à la confirmation de l'e­lection, sans vne promesse solennel­le, que Monluc & Lansac vous firent de plusieurs articles, qu'ils iurerent au nom de leur Maistre. Entre les­quels cest article estoit l'vn des prin­cipaux: Qu'il seroit faite diligente enqueste des massacres & punition condigne des massacreurs: moyen souuerain & vnique pour establir la Paix en France.

En ce que vos ambassadeurs, les­quels apres cela vous enuoyastes sa­luer vostre Roy en France, traicte­rent auec grande instance tout pre­mier [Page] de la paix de France, que nul autre de vos negoces: tant vous e­stiez remplis d'enuie de voir tous les François paisibles.

En ce que n'ayans peu obtenir autre chose des articles, qui vous fu­rent iurez en Poloigne par l'Eues­que, quelque poursuite que vos ambassadeurs en fissent enuers le Tyran, pour le moins le bruit de leur venue auancea la fabrique & publication de ce meschant, trupe­lu & traistre Edict de paix: & par consequent leua le siege deuant la Rochelle.

En ce que l'instante priere que vos ambassadeurs firent, estans ar­riuez à la Cour du Tyran, a esté com me Dieu a voulu, cause & moyen de la deliurance des poures gens de Sancerre, que le Tyran estoit re­solu de faire manger l'vn par l'autre.

[Page] Mais sur tout ils vous sont tenus, de ce que vous ayans eu compas­sion du rude & barbare traitement, que les François souffrent sous la Tyrannie de ceux de Valoys: vous auez osté du milieu d'eux ce Roy frere du Tyran auec vn bon nom­bre des supposts & appuis de la Ty­rannie, que vous auez faicts condui­re en triomphe captifs sous les loix de vostre Patrie, au tresgrand bien & contentement des vrays & natu­rels François. Lesquels en cest en­droit s'asseurent que vous ferez de façon & maniere, que iamais plus ces bestes farousches ne retourne­ront pour les mordre. Voila les poincts, qui me font dire, que les François vous sont deteurs.

Quant à ce dont vous vous pour­riez plaindre, que ie vay descou­urant par trop leurs pouretez & [Page] miseres. Il m'a semblé tresraison­nable, que vous tous ausquels le fait touche en soyez au vray aduertis. A fin que vous puissiez cognoistre ce qu'il vous faut attendre d'eux en voulant recouurer vos detes. Et com bien que vos Ambassadeurs vous en puissent donner de bons tesmoi­gnages: si est-ce que i'ose asseurer que ce Reueille-matin, que ie vous offre, vous en informera plus à plein & plus à menu, qu'aucun autre ne scauroit faire. Et vous monstrera quand & quand vne partie des re­medes, dont les François entendent s'ayder pour essayer à se remettre. C'est à vous si mieux vous sauez de leur en fournir de meilleurs: si vous pensez que leur secours vous puisse quelque iour seruir.

Que s'il y auoit quelque autre Royaume vacquant plus outre que [Page] vos contrees, auquel vous puissiez faire eslire le Tyrā pour chef, (quād bien ce seroit au Royaume des Fu­ries) vous scauez combien il est di­gne auec sa mere & son conseil d'y presider: ou que vous peussiez trou­uer quelque habile moyen pour en depestrer bien tost la France. Ce seroit (ie le vous iure) combler les François de tous biens. En ce cas là vous pourriez tenir pour tous asseu­rez qu'ils vous erigeroyent des Co­lomnes comme à leurs liberateurs, & vous presteroyent à toute heure l'aide que pourriez desirer contre ceux qui vous voudroyent nuire: autrement il n'est pas possible pen­dant que ces Schelmes viuront, que vous puissiez recouurer d'eux vn tout seul brin de payement. Car tout cela qu'ils peuuent faire, c'est de viure au iour la iournee, les ar­mes [Page] au poing, les yeux au ciel, at­tendans secours de Treshaut pour la lascheté de leurs freres. Il ne reste plus (tres-illustres Princes & nation tres fameuse) sinon que vous pre­niez en bonne part la hardiesse de laquelle i'ay vsé en vostre endroit, vous offrant ceste tragique peinture tracee au moins mal que i'ay peu. Ma plume ne scauroit respondre Au forfaict tant est inhumain: Mais elle vous peut bien semondre A le venger de vostre main.

A tout le moins (tres-illustres Princes, magnanimes Seigneurs, vertueux Gentilshommes, faites en sor­te que ces tigres tant inhumains que Dieu a par sa prouidence trainé & mis entre vos mains ne vous eschap­pent nullemēt: Et les tenez serrez, de sorte qu'ils ne nuisent à vos voisins: vous gardans en toutes façons de [Page] leurs aguetz & leurs embusches. Autrement, si quelcun de vos bons voisins venoit quelque iour à perir pour auoir lasché ces leopards, son ame vous seroit sans doute redeman­dee du Souuerain. Que s'il vous en auenoit quelque mal en particulier, vous seriez en risee aux peuples qui habitent autour de vous estans allez querir si loin des sangliers pour vous dissiper. Dieu par sa grace vous y vueille mieux pouruoir, vous don­nant conseil & sagesse pour vous y scauoir bien conduire au nom de son fils nostre Seigneur Iesus Christ. Amen.

DOVBLE D'VNE LETRE MIS­siue escrite au Duc de Guise par vn gen­tilhomme, duquel on n'a peu scauoir le nom. ❧

Monseigneur, m'estant de bon heur tom­bee entre les mains vne copie escrite à main, intitulee le Reueille-matin des Francois, en forme de Dialogue, & ayant bien consideré à part moy, les deuis & propos, que Eusebe Philadelphe, qui s'ē dit l'autheur, fait tenir aux interlocuteurs: Il m'a semblé que ie ne pouuois faire de moins, pour mō deuoir, que de vous l'enuoyer par ce gentilhomme present porteur: & vous dire la dessus, ce que ie pense estre expediēt pour la grādeur de vostre mai­son, & le bien de vostre seruice. Ie ne doute point Mōseigneur, que quelque Huguenot de­spité pour les massacres, exercez sur les freres, (qu'on appelle,) n'ait esbauché ceste copie: & ne doute non plus qu'il desire le renuerse­mēt de la maison de Valois, que ie le voy sans riē flater, ny dissimuler, dire tout ce qu'il scait de leur vie, & de la forme de leur gouuerne­mēt. Il y a si long temps que ceste maison vous occupe vn si beau Royaume, qu'elle le gourmā de, au lieu de le gouuerner: le destruict & ruy­ne, au lieu de l'edifier, & bastir. Les coeurs de [Page] la Noblesse, & du peuple, sont d'autre part tel­lement alienez de ceste maison, & si fort enai­gris cōtre ses deportemens, Ils sont par le con­traire si deuots enuers vous, & tāt affectiōnez à vostre maison, qu'il semble bien qu'il n'y fit onques si beau, qu'il y faict maintenant.

Du parti des Catholiques, vostre excellēce a autant d occasion de s'en asseurer, comme s'il les tenoit tous, par maniere de dire, dās sa manche: Sur tout maintenant, que tous eux re gardēt, pour l'absence du Roy de Poloigne, sur vous, que seul ils croyent, & par le nom du­quel ils iurent, cōme de leur Liberateur: Quāt au party des Huguenots, ce traicté mōstre as­sez en diuers passages, le plaisir qu'ils prēdro­yent à vous voir reprēdre ce que de droit vous appartient. Et combien que pour quelques re­spets de l'histoire, il s'auise de marquer des choses que les vostres ont exploité par le passé au desauātage de leurs affaires, le tēps, (vray cyrurgien des playes les plus desesperees,) a tel lemēt pensé ces coups, qu'ilne parle que par ac quit, & cōme en passant de ces choses: traictāt au reste si rondemēt de vos droicts, & de vos pretensions, qu'on ne peut mieux desirer: Que s'il se met à parler de vous en particulier, il fait tellement sonner l'executiō que vous fistes [Page] sur l' Amiral, que cependant il monstre bien, que vostre querelle particuliere vous y a me­né, plustost que la hayne cōtre leur Religiō, de laquelle, & dans Paris & ailleurs il asseure, (cō me aussi il est vray,) que vous en auez sauué plusieurs: entre autres le Seigneur d' Acier, l'vn de leurs principaux chefs de ce temps là. Cela me fait croire, auec le discours que le Politique en faict en quelques endroits, que les Huguenots ne desireroyēt rien mieux, que de vous voir remis au throsne que Hugues Capet vsurpa sur les Roys vos predecesseurs. S'assu­rans bien (cōme ce liure porte,) que non seule­mēt vous lairriez leurs consciēces libres: ains aussi tout exercice de leur religiō sain, sauf, & libre partoute la France: Sās iamais leur faus ser parole considerant le mal qu'apporte auec soy la perfidie, à ceux mesmes qui la prati­quēt. Monseigeur, ie serois d'auis, que s'il ne te noit qu'à cela, (comme il semble bien qu'autre chose, ne vous peut desrober ce bien) que vous fissiez, tout paix, & ayse, ce qu'ils voudroyent en cest endroit, & prenant d'eux foy, & hōma­ge des corps, & biens, comme bon Prince, vous laissassiez & leur cōscience & leur religiō tou te libre, en la disposition de Dieu. Ce qui vous inciteroit à les faire iouir d'vne telle liberté, [Page] (outre que c'est vne Tyrānie qu'on exerce sur leurs consciēces de le vouloir faire autremēt: & que ceste violēce est cause de la perte de tāt de gens, qui se vont consumant l'vn l'autre cō me le fuzil & la pierre) ce seroit vn exēple re cent qu'a dōné le Roy de Poloigne, ausermēt par luy presté cōme vous, mōseigneur, scauez, entre les mains des Polonois d [...]entretenir, dās Pologne toutes les religiōs qui y sont: ores que il sceust qu'il y a grand nōbre d' Anabaptistes, & Arriēs, tresdangereux & meschans hereti­ques: L'exemple aussi de monseigneur de Sa­uoye, fauoriseroit grandemēt vos actions en cela, quand bien, à son imitation, vous entre­tiendriez les ministres, & pasteurs de ceste religion aux despēs des trop gras benefices, des dismes & semblables reuenus, cōme il le faict en ses tro [...]s bailliages de Tonō, de Ges, & Ter ny, où il ne souffre nullemēt estre dicte vne seu le meschante petite messe basse: estant au reste, si bien obey d'eux qu'il n'a nuls de ses subiects desquels il se puisse mieux asseurer que de ceux cy, & de ceux là du val d' Angrogne, aus quels il donne presque semblable liberté. Que si vous voulez vn exemple du Pape, mesmes en plus grand cas vous scauez comme c'est que il souffre les Iuifs, auec leurs synagogues en [Page] toutes terres, & pays qui sont de son obeissan­ce: les Iuifs (di-ie) que chascū scait estre vrays ennemis de Christ: Mon seigneur, mettons le cas que ces gēs cy fussent tōbez en quelque er­reur: (cōme vn chacū d'eux confesse qu'ils en ont cōmis vn bien lourd, quand ils se sont par tant de fois fiez à ceux là de Valois: Mais met­tos le cas que l'erreur fust en articles de la foy: ils se sont tousiours sousmis d'en vouloir estre à l'escriture: Ils passeront cōdēnatiō, s'on leur mōstre qu'ils sont deceus: & sont prests à se re tracter s'on leur pouuoit enseigner mieux. Ils ont faict voir tout ce qu'ils croyēt. Ils sont tou siours prests de le faire auec douceur & cōme à Chrestiēs appartiēt. Ie suis icy contraint de di re, qu'il me semble que ceste voye est la meilleu re, & la plus seure, pour l'estat & pour la con­science, que n'est celle de feu, & sang. Quant à eux, ils scauēt respondre de leur foy, de leur es perance, parlent de Dieu pertinēment, & pres que mieux que nos docteurs: Quāt à noꝰ, nous ne scauōs pas bonnemēt pourquoy nous viuōs, nous ne parlōs iamais de Dieu, si ce n'est le blas phemāt, & ne croyons qu'à nos curez, ou à ce queleurs chābrieres croyēt de leur vie, auecla nostre, si l'on en faict cōparaison, on scait qu'ils sont loin de desbauche, autāt que nous en som [Page] mes pres: cepēdant nous nous dispēsions de les tuer tous à credit: Mōseigneur, le Cōseil vaut mieux, que Gamaliel donna iadis, lors qu'on poursuiuoit les Apostres: c'est de laisserces gēs en paix: carsi leur cōseil ou doctrineest des hō mes, soyez certain qu'il sera desfaict tout à plat: que si ceste oeuure est de Dieu, iamais on ne la pourra deffaire. Les estats assemblez à Or leans, quelques partiaux qu'ils fussent, & peu libres, furēt cōme vous scauez, de cest auis: les grās personnages de la Frāce, apres auoir ouy les ministres des Huguenots à Poissy, conseille rēt la mesme chose. Ainsi si voꝰ tenez ce train, il ne faut ià que vous doutiez, que les Hugue­nots ne desirēt vostre auancemēt, & grādeur: & qu'ils n'oublyēt aisecmēt tout ce qu'ils ont receu de perte par vos deuanciers, & parens: estant chose toute asseuree, que les iniures nou­uelles qu'on leur va iournell emēt multipliāt, leur font perdre la memoire des vieilles: Et que piecà on ne parle plus que des tours de la Royne mere, de Birague, du Perō, & tels est af fiers qui manient tout ce poure Royaume en rōd, de pié coy & à Passades, & tout ainsi com me il leur plaist. Aussi ne fautil pas douter que ceste voye debōnaire ne plaise bien aux Catholiques, desquels les vns, par trop lassez, ne de­mandent [Page] que le repos: & les autres, ont tou­siours eu en horreur toute cruauté.

Cela est doncques resolu que ces deux par­tis là vous rient: & par consequēt, que le gros de la Frāce vous y desire: il ne reste que le me­nu. Ceux de Montmorency vous en veulēt: & vous leur en deuez aussi. Il est à craindre que ils ne montent biē tost en credit, ce dict on, par la faueur qu'vn Duc leur porte: mais deuācez les dextrement: ils sont iusqu' à present biē foi bles, gardez qu'ils ne rentrēt en cour. Que s'ils y sont, & bien auant, declarez vous ouuerte­mēt pour liberateur de la Frāce: vous verrez ceux de Valois bas, abandonnez de leurs suppos: le peuple crier liberté, & les Gentilshom­mes vo (que) suyure: mettez au dessus les Estats, fai ctes qu'ils recouurent leurs forces: Remettez l'anciene police: faites que Iustice ait lieu: ren gez moy la gēdarmerie, & cassez tout le super­flu: chassez loin de nous l'estranger, & les Ita­liens qu'on hait tant, d'eschargez le peuple d'impos & vous contentez du domayne, & de l'ordinaire courant. Bref, monstrez vous en cest aage le pere de vostre patrie, qui semble vous tendre les bras: Monstrez vous tel (dis­ie) par effet, & non par escrit seulement, cōme ont fait ceux là de Valois, & vous les verrez [Page] bien camus. Ie vous discourrois volontiers les moyens que i'estime les plus propres, à mettre à fin vne si he ureuse entreprise, n'estoit que ie m'asseure, que monseigneur le Reuerendissi­me vostre Oncle, vous les scaura trop mieux tracer au vif, & aussi, que i'espere auoir bien tost l'honneur de vous pouuoir aller baiser les mains, & de vous dire à bouche, ce que le papier ne peut que malseurement porter. Ce­pendant, ie vous supplie tres humblement de vous resoudre, à vn acte si genereux, & ma­gnanime, & de vous y disposer au plust ost que il sera possible. Si vous ne le faictes bien tost, croyez mōseigneur, ie me doute, que vous n'y viēdriez que trop tard: les Nobles, auecques le Peuple, pourront biē vouloir recouurer par eux mesmes, leur liberté perdue, & secouāt le ioug de Tyrannie, eslire vn Roy subiet aux loix, comme iadis firent les nostres, tout ainsi que font les Polaques. Ce scroit alors à bri­guer, ce que l'occasion presente (si vous la sca­uez empoigner) vous met cōme dessus la teste. Souuiene vous qu'elle est chauue derriere: A tant ie supplieray Dieu,

Monseigneur, qu'il luy plaise vous toucher le coeur de sorte, qu'en suyuant mon auis, & cō seil, vous ayez à bon escient pitié, & cōpassion [Page] de vostre Patrie, que les Tyrās, les femmes, les Italiēs, les gabelliers, les Ruffiens, & maque­reaux, vont rongeant iusques aux os: & qu'il vous doint auec vn heureux succez: & en tres bonne santé, & prosperité, treslongue, & tresheureuse vie, de Reims le x. de Decembre 1573. ❧

Aduertissement au Lecteur.

Pag. 1. lig. 28. lisez n'esloigner pag. 43. lig. 10. les lisez ses, pag. 44. lig. penult. ferdinand. lisez Charles pag. 63. lig. 20. Cegier. lisez Legier.

DIALOGISME SVR L'EFFI­gie de la Paix.

Le Polonois. La Paix Valoise. *⁎*
Pol.
Quelle femme est-ce ou Nymphe que ie voy,
Ayant le port de la fille d'vn Roy,
Plus haute à voir que quelque chose nee,
D'habits nouueaux estrangement ornee,
Haute en sourcy, superbe en son marcher?
Mal-appris est qui n'ose s'approcher.
Dites-moy Dame, ou Nymphe si vous estes
Du reng de nous, ou des Graces celestes,
Qui quelque fois frequentent les humains:
Puis s'en reuont en ces lieux souuerains,
Quand les mortels se plongent en tout vice:
Seriez-vous point ceste belle Iustice,
Qui s'esmouuant nous viene voir ça bas.
Pour appaiser les guerres & combats?
Pa.
Ie ne suis pas ce qu'estre tu me pense,
Ie suis la Paix que Charle a mise en France
Dont ie suis soeur, bastarde comme luy,
Le plus loyal des hommes d'auiourd'huy.
Pol.
Vrayement tu as vn traistre de frere.
Mais dy-moy donc, qui fut aussi ton pere.
Pa.
Mon pere fut vn Diable des-Guisé
Dessous l'habit d'vn Prestre supposé
Monstre fatal, composé de tou [...] vice,
Trouble-repos, estable d'auarice,
Dont s'eschaufa celle noble Putain,
Le sang infect des bougres d'Italie,
[Page] Nourry du laict d'vne horrible Furie,
Qu'vn Pape au col de Valois attacha
Et dans le sein de nos Roys la cacha,
Pour y nourrir la flammesche allumee,
Dont France vn iourfust toute consumee,
Cause de maux, semence de malheurs!
Pol.
Ce voile ainsi bigarré de couleurs,
Et cest habit de pourpre figuree,
De bleu, de verd, de rouge coulouree,
Monstre-il pas, à qui le verra tel,
Que tu n'es pas d'vn simple naturel?
Pa.
Auss [...] ne suis-ie: ains suis-ie toute telle
Que l'esprit faux & cauteleux de celle,
Qui la tissu d'vn ouurage diuers,
De traistres ieux & de semblants couuerts.
Pol.
Et ces cheueux que tu vas nonchallante
Portant espars, ainsi qu'vne Bacchante?
Pa.
Ce font les Rets: où sous ombre de Foy,
Et de repos, ceux qui vienent à moy
A moy sont pris, lors qu'ils me pensent prendre,
Et dans mes las ne faillent à se rendre
Ceux-la dont Mars n'a dompté la Vertu.
Pol.
Quel escusson, Valoise, portes-tu?
Où trois Crapaux dedans le champ se trainent.
Pa.
Les trois Crapaux, ainsi que nos gens tienent,
Furent iadis les armes des vieux Roys:
Mais lors que France houreuse prit les loix
De Iesus Christ, les armes se changerent,
Et les beaux Lis les Crapaux effacerent:
Iusqu' à ce temps, que nos Roys ont quitté
(Ah mal-heureux!) la vraye Chrestienté:
[Page] Introduisans au lieu du Paganisme
Vne Sodome vn horrible Atheisme
Dedans la cour, où les Lis sont fenez
Et les Crapaux en France retournez.
Pol.
Mais dequoy sert ce mors & ce cheuestre
Et ce serment qui pend à ta senestre?
Pa.
C [...]est mon amy, dont ie bride les veaux,
Qui s'amusans à mes Edits nouueaux
Croyent à tout ce que Charle leur iure:
Le Serment c'est ma verge de Mercure,
Dequoy i'endors & charme l'Huguenot,
Et du sommeilie l'enuoye à la Mort.
Pol.
Et sous tes piez?
Pa.
les deux piliers de France
(La Pieté & l'egale balance
De la Iustice, honteuse de nos Roys,
Qui font passer leurs plaisirs pour les loix)
Iadis debout, & maintenant par terre
Sous vne paix plus barbare que Guerre.
Pol.
Mais pourquoy donc mauuaise te fais-tu
Nommer la Paix, compagne de Vertu?
Pa.
Suis-ie pas Paix [...] qui en paix eternelle,
En couche tel, qui iamais ne s'esueille:
Plus ne font guerre, & plus n'ont d'ennemis,
Ceux qui sous moy reposent endormis,
Et sur la Foy que Charles a iuree.
Pol.
Pourquoy tiens-tu ceste lame ferree,
Qui serroit mieux à vn Mars inhumain?
Pa.
Pour faire encor vn beau coup de ma main:
Sous l'amitié de Noces confermee,
Surprendre au lict la force desarmee,
Meslant le sang des Nobles massacrez
[Page] Parmy le vin des Conuiues sacrez.
O faux attraits! ô traistre mariage!
Femme [...], enfans cherront en ce carnage,
Et de leurs corps les ondes s'empliront,
Du sang versé les fleuues rougiront:
Mais a la fin, si d'vn coup de tempeste,
Ce Dieu Ve [...]geur ne me froisse la teste,
Du mesme acier moy mesme m'occiray.
Et sur les miens ce sang ie vengeray.
Pol.
Comment veux-tut'outrer aussi toy-mesme?
Tournant vers toy par desespoir extreme
Le fer tout nu dedans ton propre sein?
Pa.
Laisse moy faire, ainsi que de leur main
Mere, & enfans, & du Tyran l'engeance
Faire on verra d'eux mesmes la vengeance:
Pol.
Qu [...]y qu'il en soit si faut il te tenir:
Car [...]u pourras meilleure deuenir,
Et vraye pa [...]x vn iour à l'aduenture.
Pa.
Ne le croy pas que iamais ie soye seure:
Tant qu'o [...] verra la maison de Valois
Fausser la foy, & serire des Loix:
Les faux Edicts d'vn Parlement esclaue.
D'vn Cardinal, parement de Conclaue:
Tant qu'vn Conseil de mons [...]res comp [...]sé,
Vne Chimaere, vn Garde-seaux rusé.
Qui n'ont pour Dieu que l'Estat & la Panse,
Tiendront en main les gouuernaux de France:
Tant qu' Italie en France regnera,
Tant que la France hors de France fuyra:
Tant qu'on verra de Florence la Fee
D'vn Clerc seruie, & d'vne Rets coiffee.
[Page] Et que Catin aurases Estalons,
Vn Diable au ventre, vn Prestre à ses talons.

VERS AV CHASSEVR Déloyal.

Ie ne scauroy penser lieu où tu pourrois es [...]re
Charles en seureté auecques quelque honneur:
Le peuple Francois t'a si fort à contre coeur,
Qu'il te veut aussi peu pour valet que pour maistre:
L'accort Italien tes ruses scait cognoistre,
L'Hespagnol politic se rit de ton malheur:
Le More ne pourroit souffrir ta Barbarie:
L'Anglois & l'Escossois ne veulent point de toy,
L' Allemaigne maudit vn si barbare Roy:
Le Turc & le Sophi detestent ta furie,
Ils sont Mahumetains, & tu n'as point de Foy:
Sans Foy lon ne va point en la celeste gloire:
Les Diables en Enfer craindront te receuoir,
Et apres le Concil, que nous deuons auoir
Les Protestans feront raser le Purgatoire:
Tu eusses doncques bien à tes suiets pouruei [...]
Si mort-né le Soleil iamais tu n'eusses veu:
Mais qu'on t'eust droit porté dedans la fosse noire,
Et qu'aux Limbes Papaux tu te fusses tenu.

AVX VRAIS GENTILS­hommes Francois.

Pourquoy Francoise Noblesse
D'vn Tyran t'estonnes-tu?
Qui n'a force ne vertu,
Sinon celle qu'on luy laisse.
N'atten rien de sa largesse
N'en espere rien de doux,
Et ne crain point son courroux,
Et tu verras sa foiblesse.
Celuy qui craint ou desire
N'est resolu ne constant,
Et le licol va trainant,
Par où le Tyran le tire.

ARGƲMENT DƲ premier dialogue. *⁎*

Alithie, c'est à dire la verité, estant en vne de ses maisons, qu'elle a li­brement dressee ez quartiers de la Hongrie qui est sous la puissance du Turc, voit venir son amy Philalithie eschappé de la France: l'interrogue de l'occasion de son despart: l'historiographe à la priere de Philalithie la luy recite, discourant en gros les choses auenues touchant la Religion en France, dés Francois premier iusques au mois d' Aoust 1572. sous Charles neuuieme où il commence à raconter plus par le menu ce qui s'est passé. Le politique aide l'histo­riographe au recit de l'histoire & marque incidemment les fautes faictes de tous les deux costez, monstrant à l'oeil le misera­ble estat de la France. L'eglise qui là estoit prie & parle par fois selon la matiere sub [Page] iette. Daniel, c'est à dire iugement diuin prononce sur tout cela vn arrest de gran­de consequence. Contenant entre autres choses quarante articles de police ciuile & militaire. Le politique & l'historiographe Francois, qui iusques à lors estoyent Papi­stes sont conuertis à Dieu & enuoyez par l'Eglise en charge: A scauoir l'historiogra­phe aux princes & Nations voisines pour leur faire entendre les Tragedies Fran­coises & leur deuoir enuers les bons. Et le politique aux Francois oppressez pour les auertir de l'arrest de Da­niel & de l'ordre qu'il leur donne. ❧

DIALOGVE.
Interlocuteurs.

Alithie. Philalithie. L'historiographe. Le P [...]litique. L'Eglise. Daniel.
Alithie.

VOicy venir à moy le petit pas, tout las & fort harassé, selon qu'il me semble, mon ancien amy Philalithie. C'est-il voire­ment: He Dieu, qu'il est maigre, deschiré, des­biffé, & mal en poinct! Si faut-il que ie l'embras­se, quelque mal vestu qu'il soit. Que tu sois le tresbien venu l'amy: Qui sont ces deux gens de bien qui vienent quand & toy?

Phi.

Vous soyez la tresbien trouuee, madame ma grande amie. Quant à ceux-cy desquels vous de­mandez, l'vn est l'Historiographe: l'autre, le Po­litique François.

Ali.

Ie suis plus aise de te voir accompagné de l'vn que de l'autre, sachant combien l'vn est ne­cessaire & profitable pour aider à la memoire, & seruir à la posterité: & l'autre, le plus souuent per nicieux & dommageable, principalement s'il est nourry à la cour d'aucuns Rois & Princes que tu cognois bien: toutes fois, si tu as tousiours bonne souuenance de ce que ie t'ay enseigné, ie m'asseu reray que telles gens que les Politiques d'auiour d'huy, ne te destourneront facilement de l'amitié que tu me portes.

Pol.

I'aimeroy' mieux estre mort, que de m'e sloi­tant soit peu de mon deuoir enuers vous, ou de flechir aucunement de ce que m'auez enseigné. Quant au Politique que vous voyez, cōbien qu'il ait esté nourry quelque temps en la cour du Roy [Page 2] Charles IX. si est-il si modeste & bien auise, que tant s'en faut qu'il se soit essayé à me diuertir de mon sainct propos, qu'au contraire tousiours il m'y a aidé & fauorise au possible: iusques là, que me voyant partir de France, il s'est ioinct à moy, auec ce bon Historiographe: Me priās tous deux (quoy qu'ils ne cognoissent pour toutes veritez, que celle de l'est at) de leur permettre de courre pareille fortune que moy (Ce furēt les mots dont ils m'vserēt à mon depart) quelque chose qui me deust auenir depuis en çà, nous auons tousiours esté compagnons de voyage, de table, & de lict, auec toute la meilleure paix & creance que lon scauroit desirer.

Ali.

Ie suis bien aise d'entendre ce que tu en dis, & de ce que Dieu t'a pourueu en eux d'vne si ho­neste compagnie, & pense que ce n'est pas sans mystere qu'ils sont venus auec toy. Mais qui t'eust iamais pensé icy?

Phi.

Mais vous vraiement: il y a bien plus dequoy s'esmaerueiller à vous y voir habiter, & y tenir mai son (cōme ie m'apperçoy que vous l'y auez dres­see) qu'il n'y a de m'y voir venir.

Ali.

Quant à moy, estant plustost Cosmouague qu'arrestee en certain lieu, ce n'est pasde merueil les si passant par ce pays, & m'y voyant la bien re­ceu [...], i'y ay planté mon bourdon & enseigne, & dressé ma famille, tout ainsi cōme ie fay en tout autre lieu où lon me reçoit: Mais toy, duquel la patrie est si fertile, si heureuse, & plaine d'vn si grand nombre de nos amis, ie m'esbahy comme tu as iamais eu le coeur d'en sortir, pour venir pe­regriner [Page 3] en region tant esloignee de la tienne.

Phi.

Quand tu scau [...]as ce qui m'y a cōduit, tu t'es­merueilleras beaucoup plus de ceux qui m'ōt don né occasion d'en sortir, que de moy qui l'ay sceu prendre. Quant à ma retraicte en ce pays, le peu de seureté que ie voy aux autres plus voisins, pour la fetardise de ceux qui y commandent, m'a cōtraint (par l'aduismesme du Politique) de venir icy de bōne heure cercher siege, & repos asseuré.

Ali.

Que tu y sois derechef le bien venu. Quand tout est dit, la demeure en ces terres-cy par la gra ce de Dieu est beaucoup plus asseuree & plus li­bre pour nos amis, qu'elle n'est en beaucoup d'ē ­droits où ceux qui se disent Chrestiēs ont la puis sance & le gouuernemēt. Mais ie te prie, dy moy la raison, pourquoy tu es sorti de ta patrie, & qui t'a ainsi desualiz [...] & desapointé de la sorte?

Phi.

Ie suis content de te le dire, & te prie de croi re, Quoy que ce meschef me soit aduenu pour l'a mour de toy: de ce que fauorisant ton parti, ie t'ay tousiours confessee & maintenue, enuers tous & contre tous: Ie ne t'en demāderay aucun grand­mercy: encores moins t'en scauray-ie mauuais gré, ny ne quitteray pourtāt l'obligation que i'ay à te defendre & maintenir, à la vie & à la mort: Mais s'il te semble mieux que l'Historiographe que voila, recite le faict plustost que moy, qui pourroy' sēbler suspect à ces messieurs qui nous escoutent: luy, qui a la memoire bonne, & l'inte­grité requise à son estat, re pourra informer som­mairement, & ces auditeurs ensemble, du faict ainsi qu'il est passé.

Ali.
[Page 4]

Ie me resiouy grandement de te voir ainsi constamment perseuerer (quoy qu'il t'aduiene) en mō amitié: de ma part, ie ne doute point que ie ne te rende la pareille, & à la fin des douceurs (si tu poursuy) nōpareilles. Quāt à ces aigreurs pas­sageres que mes amis souffrent le plus souuent, tu scais que la faute (que le mōde qui me hait fait contre moy & les miens) ne me peut estre impu­tee, aussi peu qu'au bon vin, le blasme que l'hom me par son intemperāce s'acquiert. Mais pource que ceste matiere requiert plus long discours, & que ie scay que tu es biē resolu de ce qu'il en faut croire, attendāt que nous en puissiōs parler plus amplement au benefice commun des ignorans: il vaut mieux que l'Historiographe nous die main tenant tout haut, afin que ceux-cy l'entendent, ce qu'il a recueilly & appris de tes miseres & disgra ces. Nous veux-tu pas faire ce plaisir, mon com­pagnon?

Hist.

Ie suis si grand amy de la verité, Madame, que combien que ie ne vous cognoisse point, & qu'au recit de telle tragoedie, voire au seul souue nir ie sente tous mes sens fremir, & iusqu'au poil s'herissonner: si suis ie contēt de dire sinceremēt ce que i'en scay, à la charge que mon compagnon le Politique m'y aidera, adioustant ce que ie pour roy' oublier par mesgarde, & retrenchant ce qu'il cuidera de trop dict.

Ali.

C'est bien auise. Que t'en semble seigneur Politique?

Pol.

I'en suis contēt: & d'autrepart marry, d'ouyr refreschir la memoire de ce que, pour l'honneur [Page 5] de ma patrie, de mon Roy, & des siens, ie desire­roy' estre enseuely au plus profond du puys de l'oubliance.

Ali.

Commence donc ie te prie, Historiographe mon amy, sans y adiouster du tien, ny te mōstrer passionné pour l'vn ou l'autre party: dy-nous sim plement le faict.

Hist.

Ie ne le puis pour maintenant dire qu'en gros n'ayāt pres de moy mes memoires: mais i'e­spere biē en Dieu, qu'vn iour ie lairray le tout par le menu, & comme il s'est passé, sans en rien dissi­muler, escrit à la posterité.

Pour ceste heure, Oyez.

La lumiere de l'Euāgile (car ainsi l'appelloit-on) commençant par la voix & les escrits de Luther, Bucer, Zuingle, Ecolampade, Melancthon, & au­tres doctes personnages, comme de nouueau à se manifester: Le Pape (tout ainsi qu'en Alemagne par ses menees, & par les armes & moyens de Charles le quint, aussi en France par le moyen de Frāçois premier) s'y opposa fort & ferme pour en empescher le cours, auec bourrees & fagots, iusques à faire brusler par sentences & arrests, les liures da vieil & nouueau Testament, d'où lon ti roit ceste doctrine, s'ils estoyent tournez en François ou autre langage vulgaire, & auec les liures, ceux qui les maintenoyent, qu'on nomma pour lors Lutheriens. Ceux de Merindol en Prouence peuple instruit de longue main par ses predeces­seurs en la doctrine de l'Euangile furent par ar­rest du Parlement de Prouence en l'an 1540. con­demnez comme Lutheriens à estre bruslez. Et [Page 6] pource que la ville de Merindol cōme lon disoit estoit la retraite & spelonque des gens tenans sectes damnees fut ordonné par le mesme arrest que les maisons y seroyent rasees & demolies, & le lieu rendu inhabitable.

Quatre ou cinq annees apres ceux de Merin­dol, ceux des Cab rieres & le peuple de vingt & deux villages dalentour, pour la mesme doctrine furent poursuyuis à feu & à sang par le seigneur d'Opede premier president, & lieutenant pour le Roy en Prouence assisté du Capitaine Pou­lain qu'on appelle le Baron de la garde, & d'au­tres Capitaines & soldats en grand nombre ius­ques là qu'il fut tué & meurtry des poures gens de Cabrieres hommes, femmes & enfans enui­ron le nombre de huit cens, contre la foy que le seigneur d'Opede leur auoit promis & iuree. Plusieurs autres grans meurtres & pilleries furēt exercees sur ces bōnes gens desquelles ie me tay pour ce que l'histoire qui en a esté escrite en fait assez ample mention. François premier decedé la mesme poursuyte fut faite sous Henry second, qui luy succeda à la couronne: durant le regne duquel, non seulement les liures & les corps des Lutheriens furent bruslez ains aussi leurs legiti­mes heritiers priuez de leurs biens, qui pour ce regard estoyēt confisquez & donnez à la duches­se de Valentinois, au Mareschal sainct André, ou à d'autres semblables courtizans, en recom­pense de leurs bons, honestes & loyaux seruices. Il fut descouuert de son Regne vne assemblee de trois cens personnes en la rue Sainct Iaques [Page 7] dans Paris, qui assistoyent à vn preche qu'on fai­soit la nuict en vne maison priuee, où aussi la Cene fut lors celebree entre eux: les prestres & le peuple Parisien les surprirent, les outra­gerent de parole & de fait, plusieurs de l'assem­blee furent faicts prisonniers & poursuyuis par les officiers de la iustice. Nonobstant cela le nombre de ces gens alloit tousiours en augmen­tant, ils firent courre par Paris & ailleurs certai­ne Apologie pour eux purger des crimes qu'on leur mettoit à sus affermans qu'ils ne mainte­noyent que la vraye religion pour laquelle plu­stost que de l'abandonner ils estoyent contens d'endurer feux & tout autre genre de supplice. Le seigneur Dandelot neueu du Connestable & Colonel de l'infanterie Françoise fut accuse au Roy Henry d'estre du nombre des Luteriens. Et en fin fut fait prisonnier pour auoir dit libre­ment ce qu'il sentoit de la Messe en la presence du Roy & fut priué de sa charge de Colonel, à la quelle toutefois il fut puis apres remis parlentre mise du Cōnestable qui le recōcilia au Roylequel à la fin apres la paix faite auec le Roy Philippe, re solu de ruiner Geneue, en haine de la doctrine Lutheriēne, & pour icelle mesme, de voit brusler A. du Bourg l'vn de ses conseillers au parlement de Paris: au milieu des mariages, festins, delices, ieux & tournois, estant blesse en l'oeil d'vn coup de lance, que le seigneur de Mongomery luy don ha, en ioustāt contre luy par son commādement, par grand desastre mourut.

[Page 8] Apres Henry, le mesme feu cōtinua sous François second qui luy succeda au Royaume, duquel tout le gouuernement tomba aussi tost entre les mains de messieurs de Lorraine, tant à cause de leur niece royne d'Escosse, qui estoit mariee à François, que pour leur habileté & soupplesse.

Les Princes du sang, voyās l'estat du royaume és mains du Cardinal de Lorraine, du Duc de Guyse, de ses autres freres Lorrains, de leurs par­tisans & amis, n'apperceuans en François autre chose de reste que le nom de R'oy seulement, se resolurent de luy faire entendre l'estat de ses af­faires, de le supplier treshumblement de conuo­quer au plustost les estats de son Royaume, de le manier & conduire auec l'aduis des princes de son sang ou bien de les charger du maniemēt, & s'en reposer sur eux, suyuant les ancienes loix de Frāce, iusqu'à ce que l'aage luy eust apporté plus grande cognoissance d'affaires. Quāt à eux, ils ne pou uoyent plus longuement souffrir, de voir le Royaume conduit à l'appetit d'vn Cardinal, (du­quel la vocation estoit de prescher) & de ses fre­res lesquels deuoyent en toutes sortes ceder aux Princes du sang, & plustost rendre conte de leur administration, que passer outre à la conduite de l'estat: n'estans exempts de soupçon de se vouloir emparer du Royaume: Ce que les Princes crai­gnoyent d'autāt plus, que ceux de Lorraine se di­soyent descendus de Charlemagne, fils de Pepin roy de France, sur la lignee duquel, apres la mort de Loys le Quint 34. Roy de Frāce, en l'an 988. selon que leurs historiens le recitent, Hugues Ca [Page 9] pet vsurpa le Royaume, lequel depuis est tombé és mains de ses successeurs de Valois, ausquels les Lorrains l'arracheroyent facilement, si la ver­tu des naturels vassaux & loyaux suiets, n'y met­toit empeschement. Quant à la religion, ils desi­royent que le Roy se laissast flechir, à faire cesser les feux qui estoyent allumez par tour le Royau­me encontre les Lutheriens, à cause de leur foy & doctrine, laquelle les Lutheriens disoyent estre contens, que le Roy fist examiner aux gens do­ctes par la saincte Escriture, seul & vray iuge de ce faict.

Ces poincts redigez par escrit en forme de supplication & remonstrance, Loys de Bourbon prince de Condé, s'estoit chargé de les presenter au Roy, qui pour lors estoit à Amboise: Quand ceux de Lorraine, doutans qu'vne telle requeste ne fust cause de quelque sinistre changement à leur de sauantage, par le moyen des gentilshom­mes de leur suite, & des archers de la garde, fi­rent empoigner au cuns des gentils hommes qui estoyent venus pour accompagner le prince de Condé: les firent executer à mort, & escarterent les autres: de sorte, que ce dessein des Princes & seigneurs Frāçois fut de tout poinct interuerty, & vn bruit semé (pour rendre le faict odieux) que ce n'estoit pas contre ceux de Lorraine, ains contre le Roy: non pour le supplier pour la religion, ou pour le bien de l'estat, ains pour l'occuper & en­uahir, que celle entreprise estoit faite. Le nom de Huguenot fut aussi dés lors mis à sus, pour vn so­briquet d'ignominie à ceux qu'auparauant on [Page 10] nommoit Lutheriens, & au lieu de faire cesser les feux contre eux, ils en firent plus aspre poursuite que deuant, reduisant messieurs de Lorraine en tout le surplus, l'estat des affaires du Royaume à leur plais [...] & volonté, iusques là, qu'ayans fait re muer la Cour d'Amboise à Orleans, & là assi­gné les Estats, ils y firent venir aussi le prince de Condē, Prince du sang, qu'ils firent emprisonner dés l'heure qu'il y fut arriué, pour luy faire rēdre compte de ce qui s'estoit passe à Amboyse: en dan ger d'y laisser la vie, si le roy François tost apres par vn mal d'oreille qui luy suruint, ne se fust ha­sté de quitter le premier la sienne.

Le pol.

Ie me souuien fort bien de ce temps-là & de ce què tu viens de dire. Mais quāt à la conuoca tiō des Estats faite de la part de messieurs de Lor­raine, sous le nom du Roy François, ce n'estoit qu'vn masque & couuerture qu'ils prenoyēt: pour monstrer qu'ils estoyent contens que les ancien­nes loix du Royaume fussent remises sus, & entre tenues en leur force & vigueur parl'aduis cōmun des Estats (iadis cerueau, yeux, & oreilles de nos Rois les mieux aduisez & la bride & chastifol des meschans & des mal sages) afin d'arracher par ce moyen du poing à la Noblesse & au peuple, tout pretexte de murmurer contre le gouuernement Lorrain: Car quant au reste, ie scay bien qu'ils ne vouloyent tien quitter de leurs desseins, faisans pour ceste cause elire aux conuocations particu­lieres qui se faisoyent és prouinces du Royaume, des deputez aux estats generaux, les plus affe­ctionnez de leurs partizans & amis: mais la mort [Page 11] du Roy inopinee, ne pouuant empescher leur desir de voler, retrancha en beaucoup de sortes les aesles de leur esperance. Peu de temps apres (comme vn desastre ne va gueres seul) il fut ioué vn terrible tout à monsieur le Cardinal, si dauen­ture ne l'auez sceu: ie le vous diray en deux mots.

Le pape aduerti de l'issue du faict d'Amboyse, & du bon deuoir que le Cardinal de Lorraine a­uoit fait à maintenir le parti de saincte mere E­glise Romaine, contre les Lutheriens deuenus Huguenots (qui sembloyent ne se contenter que les feux allumez cessassent, si quant & quant ils ne parloyent & disputoyent publiquement de leur religion & doctrine) luy rescriuit par vn courrier expres des letres gratulatoires, le merciant de la bonne volonté qu'il auoit monstré à maintenir le parti du sainct siege Romain, & le priant de continuer de bien en mieux en celle bonne affe­ction: en recognoissance de laquelle, il luy en­uoyoit en don par le porteur, vn tableau cōsacré par sa saincteté, d'vne nostre dame de grace tenāt son fils entre ses bras, que Michel Angel de sa plus docte main, auoit pourtraict cōme vn chef­d'oeuure: Aduint (comme Dieu voulut) que le courrier qui portoit les letres du Pape auec le pre sét du tableau, estā [...] tōb [...] malade par les chemins, rencōtra vn ieune marchant Luquoys catholique qui s'en alloit en cour, & se disoit estre au Cardi­nal de Lorraine (cōbien qu'à vray dire il fust son ennemi mortel & desesperé, par ce qu'il ne pou­uoit auoir seure assignation du Cardinal, qui ma nioit les finances de France, d'vne grande somme [Page 12] de deniers qu'il auoit fourny au roy Henry lors des guerres de monsieur de Guyse en Toscane) le quel il creut facilement, bien aise de ceste occa­siō, puis que sa maladie l'empeschoit de passer ou tre: ayant dōc apprins le nom du Luquoys, & dou tant que le retardement des letres de sa saincte­té ne luy fust dommageable, il le pria de se char­ger des letres & du tableau, qu'il luy remit entre mains, pour les liurer, comme il promit, au Car­dinal. Ce Luquois ne fut pas si tost à Paris, que ayant recontré vn peintre à sa poste, & l'occasion de faire vn scorne à mōsieur le Cardinal, fit faire vn tableau de mesme grādeur, où le Cardinal de Lorraine, la Royne sa niece, la Royne mere, & la duchesse de Guyse estoyēt peints au vifnuds, ayās les bras au col, & les iambes entrelacees l'vn auec l'autre: puis le fit soigneusement empaqueter dās le tafetas & toile ciree de l'autre tableau, & trou­ua moyen de le faire consigner, auec les lettres de sa saincteté, en la chambre du Cardinal, lors qu'il estoit en conseil, entre les mains d'vn de ses secre taires: Quand mōsieur le Cardinal reuenu du cō ­seil, eut leu les letres de sa saincteté, il reserua de voir le tableau au lendemain disner: auquel tout expres il cōuia messieurs les Cardinaux de Bour­bon, de Tournon, & de Guyse, les ducs de Mont­pensier, & de Guyse, & quelques autres grāds sei gneurs: ils ne furent pas au second seruice, que monsieur le Cardinal ayant fait lire tout haut les letres de sa saincter [...], esmeut tellement le desir de la compagnie à voir nostre dame de grace, que quittant le repas du corps pour repaistre leurs [Page 13] esprits, ils firent apporter letableau, lequel bien dextremēt desueloppé, estant regardé par eux, & trouué tel que ie vous vien de dire, ie vous laisse à penser si ces seigneurs en furent estonnez, & monsieur le Cardinal fasché.

L'hist.

Ie n'auoy' point encore ouy faire ce conte: mais vrayement il est admirable, & digne que ie le couche entre mes escrits, pour monstrer d'vn costé la force de la verité, laquelle d'vne façon ou d'autre tost ou tard faut que se descouure, & la puissance du despit sur vne personne outree.

Le pol.

Quant au despit dont tu parles, si celuy du Luquoys le poussa à faire ce traict que i'ay recité, asseure toy que le despit que monsieur le Cardi­nal en print, cuidant que ce fussent Huguenots qui luy eussēt ioué ce tour, leur a causé beaucoup de maux qui leur sont depuis suruenus.

Phil.

Ainsi bien souuent, l'innocent souffre la pei­ne deue au coulpable: mais pour n'entrer plus a­uant en ce discours, ie te prie Historiographe, re­pren le fil de ton histoire.

L'hist.

Charles IX. François son frere decedé, suc­ceda à la couronne en l'aage de dix ans: Et Ca­therine de Medicis sa mere, & Anthoine de Bourbō roy de Nauarre, premier Prince du sang estans en different touchant le gouuernement de la personne de Charles & de son estat, & peu a­pres tombez d'accord à l'auantage de la mere: le prince de Condé fut declaré innocent, & absous du faict d'Amboise, tenu pour bon parent du Roy, & deliuré: Les feux aussi & poursuites con­tre les Huguenots furent faits cesser: les estats de [Page 14] France assemblez: leur aduis entendu, & suyuat iceluy eu aussi l'aduis des Presidens & Conseil­liers des Parlemens de la France, auec les sei­gneurs du conseil priué du Roy, fut fait vn Col­loque à Poissy, deuant le Roy & ses Princes, en­tre les plus doctes des Catholiques & des Hu­guenots: lesquels ayās fait confession de leur foy, disputé d'icelle en public, & maintenu leur do­ctrine par les Escritures obtindrent pour conclu­sion vn edict du Roy, par l'aduis du susdict Con seil, au mois de Ianuier en l'an 1561. par lequel fut permise aux H [...]guenots liberté de conscience, & exercice de leur religion hors des villes du Roy­aume. De là sourdir vn grand nombre d'Eglises (ainsi les nommoit-on) & d'assemblees de Hugue nors par la France: on prescha à la Cour, hors de Paris, & és autres villes, auec telle efficace, qu'à vray dire on voyoit ces gens-là s'amender en la vie, & s'accroistre en nombre à veue d'oeil. Mon­sieur le Cardinal de Lorraine & messieurs ses fre res, ne pouuās supporter vne telle liberté en ceux qu'ils reputoyent leurs ennemis, & craignans que si quelquefois telle doctrine venoit en auant, ils ne fussent cōtraints par la reformation de ces Huguenots, de quitter 300. mille escus de reuenu, qu'ils auoyent des benefices en leur maison, & rendre compte de leurs charges & maniemens passez: pour fortifier leur parti de Lorraine, attire­rent à eux Antoine de Bourbon, luy promettans de luy faire rendre par le Roy d'Espagne le royau me de Nauarre qu'il occupoit, ou la Sardaigne en change, erigee en Royaume: Ils s'adioignirent [Page 15] aussi le Connestable, & le mareschal sainct An­dré, tant à cause de la recerche qu'ils craignoyēt qu'on fist vn iour sur eux, des dons immenses, re­ceus du Roy, contre les loix du Royaume, que pour la crainte qu'ils auoyēt d'estre contraints de rendre les confiscations des Lutheriēs & Hugue­nots, si vne fois ils auoyent le credit & la faueur: Plusieurs autres grands seigneurs aussi se renge­rent du costé de messieurs de Lorraine, en haine de ceste doctrine de l'Euangile. L'expugnation de laquelle estant iuree par eux, le duc de Guyse commença à faire preuue de leur dessein sur les Huguenots de Vassy, desquels luy ou ses gens tue rent vn bon nombre, ainsi qu'ils les trouuerent assemblez au presche. Quand & quand le prince de Condé par le commandemēt de la Royne me re (qui par letres & courriers luy recommandoit la defense d'elle & du Roy son fils, ayant descou­uert l'entreprise de messieurs de Lorraine, & de leurs confederez) prit les armes, & les fit prendre auec luy aux Huguenots de la Frāce, pour la con­seruation du Roy, de ses Edicts, vassaux & suiets.

Messieurs de Lorraine, ayans auparauant as­semblé forces de pied & de cheual en grand nom bre, & auec eux le Connestable, & le mareschal sainct André, vindrent à la Cour armez & la s'e­stans emparez du Roy, eurent aussi à la fin sa me­re fauorable à leur party.

Le po.

Il est ainsi. Et voila d'où nous vindrēt be au coup de maux: car si la Royne mere n'eust iamais donné courage & mandemēt au prince de Cōdé de s'armer, ou l'ayāt fait, s'elle n'eust point à la fin [Page 16] adheré à ceux de Lorraine, la guerre ne fust point nee, ny sortie si auant, ne si asprement qu'elle fit depuis: mais ie suis certain que la Royne mere (qui auoit faict tomber le gouuernement du Roy & du Royaume entre ses mains) se doutant, si les Princes & les grans du Royaume estoyēt vne fois bien d'accord, qu'elle en seroit desarçonnee, vsa de se moyen de desunion, prestant sa conscience & authorité aux deux partis, pour les tenir en dis­corde, les affoiblir par leurs mains propres, & se conseruer par cest artifice apres les coups ruez au gouuernement du Royaume.

L'hist.

Ie le croy: mais tant y a que la guerre print vn tel traict, les vns & les autres ayans tantost du du bon, tantost du mauuais: que finalemēt apres plusieurs prinses, & pertes de villes de tous les deux costez, le prince de Cōdé fut fa it prisonnier, en vne bataille qui luy fut liuree pres de Dreux: le Connestable de l'autre costé y fut aussi prins par les Huguenots, le mareschal sainct André tué, & peu apres le roy de Nauarre deuāt Rouen, & le duc de Guyse deuant Orleans, dont s'ensuy uit la paix tant desiree par les Huguenots, que la necessité de se defendre, comme i'ay dit, auoit ar­mez: ausquels de nouueau par Edict solennel, fait par le Roy, sa mere, & son conseil, sur la pacifica­tion de ces troubles, au mois de Mars, 1562. fut accordee liberté de conscience, & exercice de leur religion dans les villes où pour lors ils fai­soyent prescher, & en beaucoup d'autres lieux du Royaume. Tout ce qu'ils auoyēt fait en ces guer­res fut declaré auoir esté fait pour le seruice du [Page 17] Roy, lequel neantmoins par son Edict leur com­mandoit de mettre les armes bas, & viure au sur­plus (leut consciēce sauue) en paix comme aupa­rauant, sous les loix & police de son Royaume.

Le pol.

Tu as oublié de dire, que la Royne d'An­gleterre (pour la conformité de la doctrine qu'el le & ses suiets ont auec les Huguenots) leur en­uoya durant la guerre, vn grand & puissant se­cours: qui fut cause en partie, de faire haster la re­solution de la paix.

L'hist.

Tu as raison: Mais pour reprendre le fil de mon discours l'Edict de pacification ne fut pas si tost publié, que les Huguenots mirent les armes bas, & se conformāt en tout à la volonté du Roy declaree par son Edict, menoyent vne vie tran­quille & paisible. Quand la Royne mere, se sou­uenant du tour qu'elle leur auoit ioué (les faisant armer à son besoin & mandement, & neātmoins accōmodant d'autre part son authorité aux Lor­rains, pour les faire mieux entrebatre, & en auoir son passe-temps) & dourāt qu'ils ne peussent ou­blier la memoire d'vne telle offense, & que tout le royaume estant d'accord, on ne fist quelque dessein de cōduire les affaires sans elle, craignant de perdre par ce moyē son authorité: ou possible (comme Caron, qui appelloit conspiration en­uers le pere de famille, la bonne intelligence de ses domestiques) ne pouuant voir plus long tēps l'estat de l'vn & l'autre parti en balance, elle monstra de vouloir entierement fauoriser le parti des Lorrains: mais cependant elle s'acqueroit parti­culierement le plus qu'elle pouuoit d'autres par­tizans, [Page 18] ayans pour ce, fait faire vn voyage au Roy tout à l'entour de son Royaume, apres a [...]oi [...] pratiqué (sous couleur de vouloir voir la Royne d'Espagne sa fille) vn parlement auec le duc d'Albe à Bayonne, où elle fut auec le Roy: où aussi la royne d'Espagne & le duc d'Albe se trouuere [...]t, non sans estroite conference, & ferme resolution de quelque chose d'importance, que ic ne vous puis declarer.

Ali.

Si fay bien moy: ie suis contente de le vous dire. La Royne mere comme personne curieuse, ayant interrogué Nostradamus (qui se mesloit de predire les choses futures) de ce qui aduiendroit à ses enfans: & ayant ouy qu'elle les verroit tous trois Rois, croyant par trop à ses paroles, & dou­tant s'ainsi aduenoit qu'elle ne fut rēuoyee à Florence, pour voir ses parens & amis, & ne sachant quel parti prendre (tout ainsi qu'elle voyoit la force des estats pieça supprimee & la loy Salique, touchant le gouuernement, qui estoit tombé en quenouille, violee) pensant que pour la successiō du Royaume elle en pourroit bien faire autant: promit & iura au duc d'Albe, de faire tomber la couronne de France, sur la teste de sa fille aisnee, & par consequent du roy d'Espagne, pour se le rendre bon patron & garant, au cas que ses en­fans mourussent: Mais le duc d'Albe ne la pou­uant legerement croire, voulut pour confirma­tion de ce faict, que la Royne mere luy promist cependant, de rompre & casser l'Edict de pacifi­cation, & d'oster aux Huguenots tout ce qu'ils a­uoyent de liberté de conscience, & d'exercice de [Page 19] religion, pour meilleure preuue de sa bonne vo­lonté enuers l'Espagne, au detriment de la Fran­ce, ce que la Royne fit volontiers.

Le pol.

C'estoit bien loin de restablir le royaume en son entier, que d'abolir ses plus ancienes loix: elle estoit bien loin de chausser la botine de The ramenes cōme nous cōseilliōs, quād elle vouloit ruiner la moitié du royaume qu'elle disoit mal saine, au lieu de conseruer les deux, comme en vn corps demi paralitique on a accoustumé d'vser: He Dieu que la maison est malheureuse, quād la poule y chāte plus haut que le coq! Mais s'il vous plaist, que l'Historiographe poursuyue, afin que ie me taise des maux sans remede.

L'hist.

Ie le veux bien. Apres ce pourpatler fait à Bayonne, les Huguenots se plaignoyent en beau­coup d'endroits du royaume, des maux, des torts & iniustices qu'on leur faisoit, de quelques restrictions de l'Edict de pacification, & de plusieurs contrauentions à la volonté du Roy faites iour­nellement à leur desauantage, depuis la pacifica­tion iusques alors, durāt le temps de cinq annees. Et cepēdant la Royne mere sous le nom du Roy, ayant soudoyé, fait entrer en Frāce, & venir droit à la cour six mille Suysses, auec l'aide de ses parti­zans & autres peu paisibles François, rompit ou­uertement l'Edict de paix, sur l'heure que le pri [...]n ce de Condé s'estoit accompagné pour aller trouuer le Roy à Meaux, & luy faire ses plain­ctes & doleances, tant pour luy que les autres Huguenots, & nommeement sur ceste entree d'estrangers iusques au milieu du Royaume, & [Page 20] pres la personne de sa maiesté, sans occasiō appa­rente. Ceste rupture d'edict fut telle & si à poinct nommé, que si le prince de Condé & ceux de sa trouppe n'eussent prisgarde à eux, les Suysses (in­formez tout autrement des choses) n'eussent fail­li à les mettre en pieces, tant leur dessein estoit bien dresse.

Le pol.

Nous estions extremement marris, moy & vne trouppe de bons François, qui estions pour lors à la cour, zelateurs du bien de l'estat, & de la reputation du Roy, de voir prendre ceste routte aux affaires: de voir la foy publique violee, par ceux qui la deussent garder plus chere que leur propre vie: voire que ce fust par les forces des Suysses, qui auoyent la reputation entre les nati­ons, d'estre loyaux obseruateurs de leurspromes­ses iurees, d'autant plus que de ce mal dependoit cōme d'vn ruisseau vne mer de miseres sur nous & à le vouloir cōtinuer, la subuersion entiere du Royaume: auquel les Suysses estans alliez plus fort qu'au Roy (pour dire vray) & leurs pensions payees des deniers des suiets du Roy, nous-nous esmerueilliōs grandement, comme ils n'auoyent regret de prendre de leur argent, pour les venir tuer en leurs maisons, en violant toute foy, allian ce, & seureté publique. Et sachans combien és Cantons de Suysse, il y a de grandes & puissantes Republiques, qui tiennēt la mesme doctrine que les Huguenots François, nous doutions biē fort que le feu ne s'allumast parmi les Suysses, en leur propre pays, pour les empescher de venir en Frā ­ce à la tuerie des Huguenots: noustrouuions aus­si [Page 21] si fort estrange, de voir ces poures Suysses se lais­ser mener à la boucherie (car sansdoute il en mou roit & en estoyent tuez beaucoup en France pour trois ou quatre escus le mois) à la merci de trois ou quatre Colonels qui remplissoyent leurs bou getes, aux despens du sang de leurs cōbourgeois. Et eussiōsbien voulu qu'au lieu de six mille Suys ses armez, les Seigneurs des Ligues en eussent en uoyé six des plus sages & paisibles au Roy & à sō conseil, pour faire entendre qu'à tout euenement en telles guerres ciuiles, il vaut mieux armer le parti obeissant, que le seditieux & rebelle. Que ce luy est obeissant, qui se contente des bons Edicts de son Roy: que les Huguenots (hors la conscience) luy rēdoyēt tous deuoirs de suiets, mais qu'au reste le corps est foible & moins appareillé à cō ­batre les autres, quand il a perdu la moitié de ses membres: qu'il n'y a chose plus miserable que la victoire ésguerres ciuiles, laquelle affoiblit lé vaī queur bien souuent autāt que le vaincu, le liurant à la fin du compte entre les mains de ses voisins: que partāt l'opinion de Machiauelli (que le con­seil du Roy sembloit suyure, tenāt ses suiets des­unis) estoit vne pernicieuse heresie en matiere d'estat: qu'il valoit donc mieux conseruer le tout, qu'en ruiner vne grāde partie. Que les Republi­ques des Suysses & celles d'Allemagne (quoy qu'il y ait mesme diuersité de religions qu'en France) ne laissoyent pas de prosperer, & estre bien fort paisibles. En somme, nous eussions desiré que les Seigneurs des Ligues eussent fait remonstrer les choses, qu'ilseussent auisé estre mieux pour le biē [Page 22] & conseruation du Royaume, sans enuoyer leur [...] gēs à vn cōmun & reciproque rauage. Mais quoy [...] nous n'osions mot sonner, ny en dire ce que nous pensions: & d'autre part l'ambassadeur du Roy vers les Suysses, monsieur Belieure, leur donnoit à entendre, que le prince de Condé vouloit faire tuer le Roy, & se faire Roy luy-mesme: tellement que les Colonels des Suysses, faisant semblant de le croire, pour les pensions, gages, & profits qui leur en reuenoyent: au lieu d'y mettre la paix, y voyoyent volontiers la guerre.

L'hist.

Tant y a, les choses estās és termes que i'ay dit, le prince de Condé voyant que c'estoit à bon escient & à descounert, & non plus par ieu & en cachettes, qu'on en vouloit à luy & aux Hugue­nots de la France: en ayant assemblé vne bonne troupe, s'en vint pres de Paris, où le Roy s'en e­stoit allé, pour entendre encore plus au vray le dessein de leurs ennemis: mais luy estant respon­du à coups de canon, & couru sus luy à grand for ce, apres s'estre vaillamment defendu, se retira & les Huguenots qui l'accompagnoyent, pour leur seureté & conseruation dans quelques villes du Royaume. Quand les Princes protestans d'Alle­magne ouyrent ces nouuelles, sentans toucher à eux ce qui touchoit aux François de leur religiō, & marris de ce qu'ō les traittoit ainsi à la rigueur, enuoyerent au prince de Condé & aux Hugue­nots François pour leur aide & defense, vn brane & puissant secours de Reystres & Lansquenets, sous la conduite du duc Iean Casimir, fils du com te Palatin. Apres l'arriuee duquel, la Royne [Page 23] mere, le Roy, ses freres, & son conseil, voyās com bien il leur estoit mal-ais [...] de ruiner pour lors les Huguenots entierement, leur accorderent de nouueau par vn Edict solennel, fait au mois de Mars en l'annee 1568. la mesme liberté de con­science, & exercice de religion qu'ils auoyent au­parauant: reputant fait pour le seruice du Roy, tout ce qu'ils auoyent fait en ceste guerre-la, à la charge qu'ils mettroyent bas les armes, remet­troyent les villes où ils s'estoyēt retirez [...]s mains du Roy, ou de ses ministres, & renuoyroyent leur secours Alleman, hors de France. Cela ne fut pas si tost command [...] qu'il fut executé par les Hu­guenors: le parti contraire demeurant tousiours arm [...], dont aduint (aussi tost que le duc de Casi­mir & ses trouppes furent retirees) que de nou­ueau furent exercees par la France, plusieurs in­iustices & cruautez sur les Huguenors, tāt que le prince de Condé fut enuironné de garnisons, qui venoyent pour le surprendre dans sa maison de Noyers, où il s'estoit retiré: de sorte que s'il ne fust bien viste & dextremēt eschappé, auec sa fem me & ses enfans, & s'il n'eust trouué le gué des ri­uieres qu'il luy conuint passer à commandement il estoit trousse en malle: & biē luy seruit de trou uer la ville de la Rochelle, où il se retira, fauora­ble: sans cela, c'estoit fait de luy. Estant retiré dans la Rochelle, les Huguenots faschez, de voir que si souuēt on leur faussoit la foy, furēt merueil leusemēt estonnez: mais peu apres ayans reprins courage, ils accoururent de toutes parts trou­uer [Page 24] le prince de Condé, pour se conseruer auec luy. Entre autres Ieanne d'Albret royne de Na­uarre, vint aussi trouuer le prince de Condé son beau frere, auec sō fils le prince de Nauarre, qu'el le voua tout ieune qu'il estoit à ceste guerre, auec ses bagues & ioyaux, lesquels depuis furent enga gez pour aider aux fraix de l'armee. Le duc de Deux-ponts prince de l'Empire, entendant que la foy auoit esté de nouueau violee en Frāce aux Huguenots, esmeu de la grauité du fait, s'achemi na en France, & auec luy le prince d'Orenge, le comte Ludouic son frere, le comte de Mansfeld & plusieurs autres Seigneurs & Comtes Allemās, auec sept ou huict mille Reystres, & autant de [...]ansquenets. Cependant le prince de Condé me noit les mains, assiegeoit villes & chasteaux, fai­sant tout ce qui pouuoit seruir à se defendre, & en dommager l'ennemy: quād le duc d'Aniou frere du roy Charles, & son lieutenant general, condui sant vne puissante armee contre le prince de Con dé (qui n'auoit alors que bien peu de ses forces) luy donna vne bataille pres de Iarnac, où le Prince perdit, & y fut fait prisonniet, & peu apres par commandemēt du duc d'Aniou tué, à sang froid, par vn nōmé Montesquiou, de la maison du duc d'Aniou.

Ali.

Le prince de Condé se hazardant ainsi, mon stra euidemment combien peu il aspiroit à la cou ronne, desmentāt ouuertement ceux qui le calō ­niovent de cela.

Phil.

Il est bien vray: Mais aussi fit-il vne grande faute, hazardāt auec peu de forces, tous ceux qui [Page 25] s'estoyent à luy retirez pour se conseruer, & gene ralement tous les Huguenots de France.

Le pol.

Ce sont des fautes qu'ō ne peut faire qu'v­ne fois, & qu'il se faut bien garder de commettre.

L'hist.

Il est ainsi. Or le reste des forces des Hu­guenots, apres la mort du prince de Condé, de­meura (sous le nom du prince de Nauarre, & du ieune prince de Condé) entre les mains de Gas­pard comte de Coligny, admiral de France, par l'auis commun de tous les principaux, lesquels e­stans allez ensemble au deuant du duc de Deux­ponts & de son armee, qui leur venoit au secours: & ayās trouué le duc de Deux-ponts mort de ma ladie, ne laisserent pourtant comme freres de mes me religion & volonté, de ioindre leurs forces en semble: auec lesquelles (apresquelques prinses de villes & autres faits d'armes) ils furent contraints de soustenir vne autre bataille, pres de Montcon­tour, au mois d'Octobre 1569. que le duc d'Aniou leur liura, laquelle aussi ils perdirent: mais ne lais serent pourtant ayans ramassé leurs forces, de te­nir la campagne, & se cōseruer le mieux qu'illeur fut possible auec leurs villes, durant neuf ou dix mois: pen dant lesquels aussi ils prindrēt plusieurs villes, & eurent des rencontres en diuers endroits où il sembloit que la chāce se tournast à la faueur des Huguenots. Ce que lon cognut encores plus ouuertement. En fin le 22. du mois d'Aoust de l'an 1570. leur fut derechef ottroye la paix, qu'ils auoyent tant desiree, par vn edict que le roy Charles fit, par l'aduis de la Royne sa mere, de ses fre­res, des autres Princes & Seigneurs ses conseillers [Page 26] par lequel entre autres choses, le Roy vouloit que la memoire de toutes les choses passees [...] guerres ciuiles de la France, voire les sentences & iugemens donnez contre les Lutheriens ou Huguenots, du temps du roy Henry son pere ius­ques alors, fussent annullees & abolies perpetuel lement. Declaroit tout ce qui s'estoit fait en ce­ste guerre, auoir esté fait pour son seruice: pour lequel aussi il recognoissoit que le secours d'Al­lemagne leur estoit venu, reputant pour bons pa­rens fiens, les princes de Nauarre & de Con­dé, le prince d'Orenge, le comte Ludouie de Nassau, & de Mansfeld, ses bons cousins & a­mis, & les Huguenots François, ses loyaux vas­saux & suiets: leur promettant liberté de con­science & exercice de leur religion, en certai­nes villes, & és maisons des seigneurs gentils­hommes & autres ayans fief de haubert: Et par ce que la memoire des dommages reciproque­ment donnez en ces guerres, ne se pouuoit si tost perdre comme il seroit bien requis (voulant e­uiter tout inconuenient, & donner seureté à ceux des Huguenots qui pourroyent estre en quelque crainte retournans en leurs maisons, d'estre priuez du repos) attendant que les rancu­nes & inimitiez fussent adoucies, le Roy accord [...] de leur bailler en garde, les villes de la Rochelle, Mont-auban, Coignac, & la Charité: esquelles ceux d'entr'eux qui ne voudroyent si tost s'en al­ler en leurs maisons, se pourroyent retirer & ha­bituer à la charge que le roy de Nauarre, le prin­ce de Condé, & ving [...] gentils-hommes de maisó [Page 27] qui seroyent nommez par le Roy, iureroyent & promettroyent vn seul & pour le tout, pour eux & ceux de leur religion, de garder au Roy lesdi­ctes villes, & au bout de deux ans, les remettre en tre les mains de celuy qu'il plairoit au Roy d'or­donner, sans rien y innouer: Voulant pour plus grande asseurance de l'obseruation de son Edict, que le Roy donnoit pour irreuocable, que tous les Parlemens, gouuerneurs, & ministres de la iu stice & police de la France, iurassent solennelle­ment, de le faire exactemēt obseruer selon sa for­me & teneur.

Ali.

On voit clairement és issues de ces guerres, vne chose admirable, que le mōde ne recognoist point: c'est que ces Huguenots perdoyent tou­siours les batailles, & toutefois obtenoyent la vi­ctoire de leur cause, d'autant que la liberté de cō ­science & l'exercice de leur religion, leur estoit tousiours accordé, depuis le temps qu'elle leur sut premier ottroyee au mois de Ianuier, en l'an 1561. tellement que on les pourroit dire vain­queurs, alors qu'ils ont esté vaincus. Chose qui fait recognoistre à qui regarde de pres & sans passion en leur doctrine, vn naturel effect de la Pal­me, symbolizāt àla verité, laquelle tant plus qu'el le est pressee, plus elle s'esleue & ressourd.

Phi.

Cela est certain: Mais ce dequoy ie m'esmer­ueille le plus, & dequoy ie ne me puis encoresbiē resoudre: c'est, laquelle de ces choses estoit plus grande, ou au Huguenots la patience, l'obeissan­ce & fidelité: ou en leurs ennemis, la furie, haine, & desloyauté?

Ali.
[Page 28]

C'est vne question bien mal-aisee à soudre: routefois quant aux Huguenots, ils ne pouuoyēt faire de moins pour iustifier leur cause, & recom­mander deuant Dieu & les hommes leur parti (qu'on accusoit de sedition) que de monstrer vne mansuetude & successiue obeissance à leur Roy, & à ses ministres, selon Dieu.

Phila.

Voire: mais on pratiquoit par trop souuēt sur eux, la fable du loup d'Aesope, lequel beuuāt au haut de la riuiere, chargeoit l'agneau (qui beu uoit tout au bas) de luy troubler l'eau, comme il disoit que son pere auoit fait, prenāt sur ceste que relle d'Alleman, occasion de le deuorer.

Le pol.

Laissons ce discours ie vous prie, n'inter­rompons pas celuy de l'Hhistoriographe.

L'hist.

Cest Edict de paix fait & publié, il fut iuté & promis par tous les officiers de la France, de l'obseruer: Les Huguenots de leur part renuoye­rent leur secours d'Allemagne, & se conformerét en tout le surplus, à la volonté du Roy, declaree en son Edict.

La Royne de Nauarre, le prince de Nauarre, le prince de Condé, l'Admiral, le comte de la Roche-foucaut, & quelques autres seigneurs & gen tils-hommes s'estans retirez à la Rochelle, apres les sermens & promesses de la conseruer au Roy faites comme il appartenoit, viuoyent le plus pai­siblement qu'on pourroit penser: & quelques gen tils-hōmes, gens de letres, & marchans, sous mes mes promesses s'estoyent pareillement retirez és autres trois villes baillees pour refuge: & tous les autres Huguenots retournez en leurs maisons, se [Page 29] tenoyent coy, chacun en sa vocation, comme si ia mais auparauant on ne leur eust fait tort ou des­plaisir. Le Roy Charles mōstroit de sa part, vou­loir que son Edict fust de poinct en poinct obser­ué: iurant bien souuent par la mort, & par le sang, qu'il le feroit entretenir: qu'il ne croiroit plus ce qu'on luy auoit voulu faire entēdre, que les Hu­guenots le voulussent tuer, qu'ils luy estoyēt trop bons suiets, pour attenter telle meschanceté. Mō ­sieur, frere du Roy, ne se pouuoit de tant commā ­der, que de monstrer tant soit peu d'enuie, que les Huguenots iouissent de quelque repos asseuré: au contraire, il faisoit ouuertement paroistre, le peu de plaisir qu'il y prenoit: iusques là, que le Roy & luy, s'en faisoyent mauuaise chere, pour la discre­pance qu'ils monstroyēt auoir en leurs volontez. Ceux que le Roy aimoit, sembloyent hays de Mō sieur: ceux que Monsieur aimoit, n'estoyēt en ap­parence guere biē veus du Roy: duquel plusieurs (voyans les Huguenots entrer en credit) disoyēt tout haut, qu'ils luy auoyēt desrobé le coeur. Mais pource qu'en plusieurs endroits du Royaume on leur faisoit des torts & iniures, la royne de Nauar re, les prīces de Nauarre & de Cōdé, & auec eux l'a miral, enuoyerēt vers le Roy, quatre gētilshōmes signalez: sçauoir est, Briquemaut le pere (anciē ser uiteur du Roy, & des vieux Capitaines de la Frā ­ce) Teligny gendre de l'Admiral, la Noue, beau­frere de Teligny, & Cauagnes Conseiller au par­lement de Toulouse: pour faire entendre à sa maiesté, les torts qu'on faisoit à ceux de leur reli­gion, contre l'intention expresse de ses Edicts: le [Page 30] supplier treshumblement d'y pouruoir, & leur administrer iustice, comme vn bon prince doit à ses suiets. Le Roy les ayant humainement receus, & recueilli leurs plaintes, monstroit d'en estre bien sort marri, & leur respondit, que par la mort Dieu il en feroit la vengeance, & chastieroit si bien les seditieux, qu'il en seroit memoire à iamais.

Monsieur, frere du Roy, ne pouuant laisser si tost la haine qu'il portoit aux Huguenots, ny mes mes la dissimuler, pour l'obligation qu'il auoit à l'eglise Romaine (de laquelle & du clergé Fran­çois, il auoit deux cens mille francs de pensions) donnoit neantmoins par fois esperance ausdicts gentils-hommes deputez, d'appaiser & rabatr [...] vn iour à venir, le mal-talent qu'il leur portoit. Le Roy de sa part, cont inuoit tousiours ses cares­ses, ausdicts quatre gētils-hommes deputez, leur faisant plusieurs dons & presens: entre autres, il dōna vn estat de Maistro des requestes de son ho stel, au seigneur de Cauagnes, & quelque present en deniers à Teligny, lequel fit aussi present au Roy d'vn beau & bien adroit coursier Rabican, & d'vn petit cheual, qui manioit en toutes sortes de luy-mesme, sagement & bien à poinct, & sans que personne fust dessus, que le Roy monstroit d'aimer bien fort, & s'en esmerueiller. Presque tous les courtisans sembloyent se resiouir, voy­ans ces deputez en cour, & monstrans d'auoir ou­blié les aigreurs des guerres, n'oublioyēt rien de [...] caresses de cour enuers eux, reprenans en appa­rence les arres de leurs vieilles cognoissances & familiaritez pass [...]es. Sur tout, le Roy, & la Royne [Page 31] sa mere, monstroyent desirer que la royne de Nauarre, les princes de Nauarre, & de Condé, & l'Amiral vinssent à la cour: afin que mettans à part toute desfiance, ils receussent de luy le bon visa­ge & accueil qu'il estoit prest de leur faire. Quant au Roy, il desiroit sur toutes choses, s'allier le prī ce de Nauarre, qu'il aimoit autāt que son propre frere: disant qu'il luy vouloit donner sa soeur en mariage: S'asseurant, qu'outre ce que ce seroit vn rafreschissement des ancienes alliances de la maison de Nauarre, à celle de Valois, & vn tesmoi­gnage de l'affection cordiale, que le Roy, la Roy­ne sa mere, & messieurs ses freres portoyent à la royne de Nauarre, & au prince de Nauarre son fils: ce seroit aussi vn certain moyen d'asseurer & appaiser à iamais l'estat de la France, & oster aux. Huguenots tout soupçō qu'on leur vueille dores enauant nuire. Partant le Roy, & la Royne me­re, prioyent affectueusement les deputez, d'asseu­rer en toutes sortes la royne de Nauarre, les Princes, & l'Admiral, de leur bonne volonté, & pro­curer que bien tost le Roy les peust voir en sacour. Les deputez, tresaises de voir ce qu'ils n'a­uoyent iamais cuidé, & d'ouyr ce qu'ils n'auoyent iamais esperé, rescriuoyent bien souuent, & quel quefois aucun d'eux alloit à la Rochelle, par de­uers la royne de Nauarre, les Princes, & l'Admi­ral, leur racontans merueilles des langages, fa­çons & affections du Roy enuers eux. Le Mares­chal de Mont-morēcy, & ses freres cousins de l'Amiral, faisoyent aussi tout le deuoir à eux possi­ble, pour asseurer & tesmoigner la volonté du [Page 32] Roy, & de sa mere, qu'ils cognoissoyent (ce di­soyent-ils) estre bonne enuers les Huguenots, di­sans que le Roy vouloit reconcilier l'Amiral a­uec le duc de Guyse, pour se pouuoir mieux ser­uir de luy & de son conseil au maniement des af­faires d'estat de la France, donnant mesme cest [...] esperance, qu'auec le temps ceux de Guyse seroy­ent aussi esloignez de la cour, qu'ils en estoy ent pres. Le seigneur de Biron fut enuoyé plusieurs fois vers la Royne de Nauarre, les Princes, & l'Amiral, & certains autres gentils hommes particu­liers Huguenots, firent plusieurs allees & venues à la cour, le tout pour la negociation de ce que dessus. Le Roy cependant enuoya des commis­saires en certains endroits du Royaume, pour in­former des torts que lon faisoit aux Huguenots, cōtre ses Edicts, & fit chastier à Rouen & en quel ques autres endroits, de meurtriers & sediti [...]ux, qui auoyent tué quelque nombre de poures hommes & femmes Huguenots, depuis la paix, au re­tour d'vn de leurs presches.

Ceux de Montmorency, & les deputez, persua dez, persuaderent aussi (apres toutefois plusieurs resistances, repliques, difficultez, inconueniēs, & solutions de tous costez alleguees) la Royne de Nauarre, les princes de Nauarre, & de Condé, l'Admiral, le comte de la Rochefoucaut, & tous les autres seigneurs, gētilshommes, & autres Hu­guenots de France, de la bonne volonté, zele, & affection qu'ils pensoyent cognoistre au Roy, & en la Royne sa mere, enuers eux.

Le Roy fit venir en sa cour le comte Ludouic [Page 33] de Nassau, frere du prince d'Orenge, qui depuis la paix derniere s'estoit tenu à la Rochelle, auec lequel il traicta de diuers moyens & desseins, qu'il desiroit exploiter contre le roy d'Espagne pour se venger des torts qu'il luy auoit faits: & l'entre­tenant auec douces caresses, resolut auec luy vne entreprise de tresgrande consequence, qui s'est du depuis executee en partie sur le pays bas, par le­dict comte Ludouic, le seigneur de la Noue, & plusieurs autres François: au secours desquels e­stans assiegez dans Mons, le Roy enuoya le sei­gneur de Gēlis, auec quatre mille soldats de pied ou de cheual: Si fut aussi ladite menee du Roy auec le comte Ludouic, occasion & cause que le prince d'Orenge auec vne puissante armee entra dans le pays bas, qui se reuolta presque tout du roy d'Espagne, & print la Hollande (qu'il tient en cores maintenant) auec la plus grande partie de Zelande, en danger de ne la quitter iamais.

L'Admiral, persuadé & conduit par le mares­chal de Cosse, & pour satisfaire à la volonté du Roy, vint trouuer à Bloys sa maiesté: qui pour o­ster la crainte que l'Amiral auoit de la maison de Guy se, luy enuoya des lettres de congé, à mener cinquante gentils-hommes auec luy armez, pour sa seureté, iusques à la cour: où estant arriué, le Roy, & la Royne sa mere, le receurent de toute la plus courtoise façō qu'il leur fut possible: le Roy le voulut ouyr souuent en conseil secret, & à part, és choses de plus grande importance, monstrant de se fier en luy de sa vie & de son Royaume, cō ­me il eust fait en son pere propre.

[Page 34] En mesme temps le Roy fit demander pour Monsieur son frere, la Royne d'Angleterre en mariage, ayant enuoyé à cest effect vn ambassade ho­norable à ladicte royne d'Angleterre: auec laquel le aussi le Roy fit traiter d'vne ligue, confedera­tion & alliance, laquelle depuis fut conclue & re­solue, au grand contentement des Hugue nots: aus quels telle ligue sembloit seruir de gage, de l'ami tié du Roy enuers eux.

Ali.

Ie me souuien bien, que le Roy apres les premiers troubles de France, enuoya le Mareschal de Vieille-vile en Suysse, pour traiter Ligue a­uec les seigneurs de Berne: mais ils n'en voulurēt point faire auec luy, qu'il ne leur promist quand & quand, d'obseruer estroitement son Edict de paix enuers les Huguenots: Mais de ceste cy d'Angleterre, ie n'en ay rien ouy dire.

L'hist.

Ie ne scay pas aussi comme elle est faite, ie ne t'en puis dire autre chose mais en mesme tēps le Roy faisoit pareillement traitter vne ligue, d'en tre luy, la royne d'Angleterre, & les princes Pro­testans d'Allemagne: & vne autre ligue en parti­culier, du Roy auec le duc de Florēce, vers lequel il auoit enuoy [...] Iean Galeas Fregoze Geneuois, qui en rapporta bonnes paroles, & promesse que le due de Florence presteroit deux cens mille du­cats pour la guer [...]e de Flandre, contre le roy Phi­lippe: pour le moins le faisoit-il entendre ainsi à l'Amiral & aux deputez.

La royne de Nauarre vint trouuer à la fin le Roy, duquel (ce disoit-il) elle estoit la meilleure tante, la plus desiree, la mieux aimee & mieux ve­nue [Page 35] nue, qui iamais fut en France: la Royne-mere le recueillit comme sa treschere soeur: toute la cour en somme, s'en resiouissoit, en double façon.

Le mariage du prince de Nauarre, auec Mada­me soeur du Roy, fut (apres plusieurs menees, & difficultez faites sur la forme des ceremonies) en fin conclu & arresté: & auisé que les promesses des espoux à venir, seroyent receuēs par le cardi­nal de Bour bon, hors des ceremonies de l'eglise Romaine, pour ne point forcer la conscience du prince de Nauarre Huguenot. Quelque temps a­pres, la royne de Nauarre fort contente, partit de la cour, qui pour lors estoit à Bloys, pour s'en al­ler à Paris. L'Amiral aus [...]s' estoit retiré aupara­uant en sa maison de Chastillō, où il receuoit souuent letres & messages du Roy, qui luy demādoit son conseil és affaires occurrens, esquels il mon­stroit ne vouloir rien resoudre d'importance, sans son auis.

La royne de Nauarre au partir de la cour, e­stant venue à Paris, tomba malade, & cinq iours apres mourut, en l'aage de 43. à 44. ans, d'vn boucon qui luy fust donné à vn festin, où le duc d'An iou estoit, selon que i'ay ouy dire à vn de ses do­mestiques: dont on ne voulut parler, de peur que ce fust occasion de rompre ledict mariage, desiré de tous les amateurs de paix & sans soupçon.

Ali.

Le Seigneur a acoustumé de retirer en vne façon ou en l'autre, ses bien-aimez en paix, quād il vent faire venir quelque mal sur son peuple: Ainsi le promit-il & l'obserua à Iosias roy d'Isra­el, pour vn singulier benefice.

Phi.
[Page 36]

Ie me doutay bien quand & quand, que quel que quelque grād desastre nous auiendroit, quād ie very ceste bonne Princesse partie.

L'hist.

Enuiron ce temps la, de diuers endroits de la France, estoyent enuoyez plusieurs aduertisse­mēs à l'Amiral, afin qu'il print garde à soy, & qu'il se retirast des dangers où lon disoit qu'il estoit e­stant dedans Paris, ou à la cour: entre autres, vn ie ne scay qui, luy enuoya vn bordereau de me­moires, où il estoit escrit.

SOVVENEZ VOVS QVE c'est vn article de foy resolu & arresté au Concile de Constance, auquel [...]ean Hus fut bruslé contre le sauf conduir de l'Empereur, qu'il ne faut point garder la foy aux heretiques.

Ayez memoire, que les Romains, les Lorrains, & les Courtizans, tienent les Lutheriēs, les Hugue­nots, & tous ceux qui font vne mesme profession de l'Euangile (de quelque nom qu'ō les appelle) pour heretiques, bruslables: Croyez que partant ils leur ont rompu, & leur rompront encores la foy iuree & promise, toutefois & quantes que la commodité de les ruiner & destruire leur sera offerte.

Sachez, qu'au secret conseil tenu parmi les Peres, au dernier concile de Trente, il a esté resolu, qu'on peut & doit tuer, non seulement ceux de la Frāce qui seront de ceste religion, ains aussi tous ceux qui en ont eu quelque sentiment, soit de la France, ou d'autre nation: n'estant iamais possi­ble, que ceux qui ont vne fois esté abbreuuez de ceste doctrine, se fient derechefence qu'on leur [Page 37] a voulu par cy deuant faire entendre, de la part de sa saincteté, la vie & les abus d'icelle leur estās par trop descouuerts & cognus.

Ne doutez pas aussi, que la Royne mere n'ac­complisse ce qu'elle promit au duc d'Albe, pour le roy d'Espagne à Bayonne: de rompre les edicts de paix, & ruiner les Huguenots de la France, a­uec la peau du lion, ou auec la peau du regnard.

Considerez, que le Roy depuis douze ans en ça a eu des maistres & instituteurs qui l'ont apprins à iurer, blasphemer, se periurer, paillarder, dissi­muler sa foy, sa religion, ses pensees, estre maistre de son visage, & qui l'ont sur tout nourri à aimer de voir du sang, commençant par des bestes, & a­cheuant par ses suiets.

Prenez garde, que le Roy a esté persuadé par la doctrine de Machiauelli, qu'il ne faut pas qu'il souffre en son Royaume, autre religion que celle sur laquelle son estat a esté fondé: de laquelle, voi re de ses faux miracles, il faut qu'il monstre faire compte: Asseurez-vous qu'on luy a enseigne & souuent repeté ceste leçon, que son Róyaume ne peut estre paisible & asseuré, cependant qu'il y au ra deux religions.

Notez qu'on a plusieurs fois fait entendre au Roy, que les Huguenots le vouloyēt tuer, & pour le luy mieux persuader, luy ont fait voir des let­tres de menees & dessein, supposees & fausses: & au reste i'ay sceu de bonne part, que le iour que la royne de Nauarre arriua à Bloys, il dit à sa me­re: Ne ioue-ie pas bien mon rollet, Madame? Ce n'est rien fait, respondit-elle, il faut acheuer. Pa [...] [Page 38] la mort-Dieu, Madame, ce repliqua-il, ie les vous mettray tous au filé, si vous me voulez laisser faire.

Vous-vous trompez, si vous croyez qu'vn Roy ou Prince permette iamais, que son vassal ou su­iet, qui s'est vue fois esleué en ligue contre sa vo­lonté pour quelque occasion que ce soit, iuste ou iniuste) vse & iouisse de la faueur des loix. Pensez plustost, que cecy est engraué dās le coeur des rois & des Princes, de venger par les armes, ce qu'ils estiment auoir esté fait contr'eux par les armes.

Faites vostre compte, que ce que les Rois & Princes (qui ne regardent à la consciēce) pensent auoir fait par crainte ou necessité, ils se dispen­sent de le rompre, soudain que l'vne ou l'autre de ces deux occasions cessent: & tienent pour maxi­mes d'estat, qu'il ne faut point garder les conuentions, faites par le prince, à ses suiets armez: Que pour regner, il est loisible de violer la loy, & que lon peut piper les enfans auec paroles & promes­ses, & tromper les hommes auec des iuremēs so­lennels. C'est leur caballe: ce sont leurs loix in­uiolables, qu'ils n'osent outrepasser, se souciant biē peu ou rien, de la force faite à toute autre loy, soit diuine, naturelle, ciuile, des gens, ou munici­pale, pour estre (ce disent-ils) ennemie de leur re­pos, estat, & grandeur.

Voicy quelque traict & exemple, de leurs plus rares vertus.

Antonin Commode, faisant par fois treues a­uec ses voluprez, esquelles il estoit du tout plon­gé, pour employer le temps & fuir l'oisiueté, va­quoit [Page 39] à contemplation, s'appliquant à proietter & executer des meureres & [...] contre la no blesse de son Empire: [...]ntre les [...] gouuerneur d'vne prouince, qui estoit son plus fauo­rit, qu'il souloit baiser & emb [...]asser, l'appellant son pere & sō mignō, fut par luy traitreusemēt tu [...].

Antonin Caracalle, estant [...] en Alexan­drie, irrite contre les Alexandrins, qui auoyent recité de luy quelques vers mal plaisans, fit semblāt de vouloir voir a monstre de [...] ieunes gens de la ville, les plus aptes à la g [...]erre: & les [...] fait appreste [...] pour la reueue, [...] mettre en pie­ces, commandāt aux soldats Romains qu'il auoit [...]enez auec luy, d [...]en faire ceste nuict là chacun autant à son hoste: Il fi [...] faire telle boucherie dās Alexandrie, qu'il n'osa faire compter, les corps morts, ains escriuant de ceste execution au Se­nat de Rome, lu [...] manda, Qu'il n'estoit ia be­ [...]on se mettre en peine, pour scauoir quels & combien de gens y auoyent esté [...] que c'estoit assez de scauoir, que tous auoyent bien merité la mort.

Lysandre colonel des Lacedemonies, ayant sous couleur d'amitié, fait venir à soy huict [...] Milesiens, les fit tous tailler en pieces.

Seruie Galbe, ayant conuoqué & assemblé le peuple de trois citez de Portugal pour traiter a­uec eux les choses qu'il disoit leu [...] appartenir, en choisit, neuf mille d'entr' eux des plus gaillards & robustes, qu'il desarma, en fit tuer vne partie l'au [...]re partie vendit.

Antoine Spinole, gouuerneur pour les Ge­neuois [Page 40] de l'Isle de Corse, ayant iuré & donné sa foy aux Princes, seigneurs, & grans personnages de Corse, qu'il appella au conseil, & de là au ban­quet, leur fit à tous trencher la teste.

Charles septiesme, roy de France, apres plu­sieurs guerres & tumultes arriuez en son Roya [...] ­me, ayant fait alliance, & contracté affinité auec le duc de Bourgongne, & promis d'oublie [...] tou [...]e iniures & inimitiez passees: & pour le mieux as­seurer, ayant tout cela iuré sur son hostie consa­cree, le fit venir pour le festoyer à Mon [...]e [...]eau faut-yonne, & en le caressant, il le tua sur le pont d'Yonne.

Et plusieurs autres, [...]esquels le recit seroit lōg & ennuyeux, les exemples desquels on ramentoir ordinairement au Roy, auec le chapitre dixhuit­ie me du liure du prince de Machiauelli, où iltrait [...]e comme c'est que los princes doyuent garderla foy: surquoy ses maistres d'escole (aussi peu sou­cieux de sa conscience que de sa reputation) font des additions & gloses plus dangereuses, quo le mesme texte: Partant soyez diligent à prendre garde à vous, n'y ayant autre reme de d'eschapper qu'en fuyant hors de la cour, que ie puis appeller Sodome.

L'Amiral ayant veu cest escrit, fit fort mau­uais visage à celuy qui le luy bailla: Et renuoya pour toute response, dire à celuy qui luy auoit enuoyé, Que si par le passé il auoit eu, & les autres Huguenots aussi, occasion de ne se fier pas legere mēt en des promesses que, Dieu merci, telle peur ou de [...]iance estoit alors sans fondement.

[Page 41] Que la prouidence de Dieu, laquelle guide & conduit iusques aux plus petites choses de ceste vie, auoit changé le coeur du Roy: de sorte qu'il y auoit dequoy bien & mieux esperer.

Qu'il ne croiroit iamais, que dans le coeur de son roy, peust loger vne pensee si meschante, ny approchante à ce qu'on luy escriuoit.

Que tout au contraire il croyoit, que dés que la France a esté erigee en regne, il n'y auoit eu vn meilleur roy, que Charles neufie me l'estoit pour lors.

Qu'il estoit bien vray, que Monsieur frere du Roy n'aimoit pas les Huguenots, & qu'on leur faisoit tout plein d'outrages en diuers lieux du Royaume: mais qu'il esperoit de voir Monsieur vn iour adouci, pour les bōs seruices que les Hu­guenots luy pourroyent faire, & s'attendoit bien (le mariage de Madame fait & cōsommé) que le Roy feroit faire iustice des seditieux & perturba­teurs de paix.

Que la ligue qui estoit freschement faite auec la royne d'Angleterre, seruoit d'assez bon tes­moignage aux Huguenots, de l'affection du Roy enuers eux.

Et la ligue qu'il fait recercher auec les Prote­stans d'Allemagne, cōfermera du tout ceste bon­ne opinion.

Que le Roy portāt meilleure affection à mon­sieur l'Electeur Palatin, qu'à nul des autres prin­ces Protestans, auoit choisi le duc Iean Casimit son fils, pour se le faire pēsionaire, & le duc Christofle son maisné, pour le retirer en sa cour, auec [Page 42] entretenement digne de sa qualite.

Qu'il desiroit aussi auoir de l'Angleterre, le millord de Lycestre, & le my llord Burgley, ou l'ū d'eux, pour les festoyer & traiter, comme il desire de caresser tous les loyaux seruiteurs de sa soeur la royne d'Ang leterre, en signe de vraye alliance.

Que le Roy auoit enuove sa [...]oy au prince d'O renge, & l'auoit dōnee au comte Ludouic son fre re, de leur aider & les secourir en tout & par tout contre le [...]oy d'Espagne: & que sans cela, iamais ils n'eussent rien entreprins de remuer en l' [...]st [...]t de Flandres.

Que combien que monsieur de Genlis & ses gensqu'il leur menoit eussent esté deffaits, le Roy ne lairroit à leur enuoyer de nouueau, & biē tost, vn braue & puissant secours.

Que Iean Galeas Fregoze asseuroit, que pour ceste guerre de Flandres, le du [...] de Florence pre­steroit au Roy, ou au prince d'Orenge, deux cens mille ducats.

Que les affaires vont si bien en Flandres, que l'Agent du Roy pres le duc d' Albe, donne conti­nuellement auis au prince d'Orenge, & commu­nique auec luy par letres & messages, tous les deffeins qu'il peut entendre du duc d'Albe, & le prince d'Orenge à l'Agent rous les siens: tellement que quand il n'y auroit autre chose que ceste bon ne intelligēce, elle est suffisante à faire bien espe­rer aux plus timides.

Mais qu'il y a bien plus, c'est que l'armee de Strossy & du Baron de la garde, ne sont pres de la Rochelle, que pour attēdre la flotte venant d'Es­pagne, [Page 43] la cōbatre, & de là singler à la Flessinghe, pour se ioindre au prince d'Orenge, & faire la guerre à ieu descouuert.

Qu'à ceste occasion le prince d'Orenge a en­uoyé par l'auis du Roy, de l'argent pour payer les nauires & galeres à Strossy, qui est de la meilleu­re volonté du monde.

Quant à son faict, & querelle particuliere auec le duc de Guyse, le Roy les auoit mis d'accord, & fait iurer l'vn & l'autre entre les mains, de ne se re cercher que d'amitié. Mais que ce miraculeux ma riage de Madame, que le Roy donne (ce dit-il) nō pas au prince de Nauarre, ains à tous les Hugue­nots à femme, pour se marier comme auec eux, e­stant le comble de toute seureté & repos: le faisoit prier ce gentil-homme & tout autre, que s'ils luy vouloy ēt faire plaisir, qu'ils ne luy parlassent plus de ces fascheuses choses du passé, qu'ils se conten tassent de prier Dieu, & le remercier de la grace qu'il leur auoit daigné faire, d'amener les choses à vn si paisible estat.

Or le prince de Nauarre (fait Roy par la mort de sa mere) & le prince de Condé en ces entrefai tes, sollicitez & asseurez de toutes parts de venir à la cour, vindrent à la fin trouuer le Roy à Paris, où il s'estoit remué, poury faire celebrer les no­ces de sa soeur: Plusieurs Seigneurs, Barons, & gentils-hommes Huguenots, y accompagnerent le roy de Nauarre, & le prince de Condé, au de­uant desquels presque toute la cour y alla: Ils y furent recueillis du Roy, de sa mere, & de ses fre­res, & des autres Princes, de Madame, & des princesse, [Page 44] comme ils le pouuoyent desirer en appa­rence.

Quelques iours se passerent en festes & ban­quets, attendant le iour des nopces, que lon dilay oit pour diuers respects d'vn iour à l'autre: entre autres, pource que le cardinal de Bourbō, qui de­uoit receuoir les promesses du mariage, n'y osoit toucher sans dispense du Pape, qu'il luy auoit en­uoyé demander: laquelle apres estre venue, & à son gré n'estāt assez ample pour sa conscience, il fallut renuoyer à Rome, pour en auoir vne à sa fantasie: Et sur ce, le Roy faisant semblant de se fascher de tant de remises, blasphemant & despi­tant, iura, qu'il vouloit que le mariage se consom mast sans plus tarder: que si le cardinal de Bour­bon ne les vouloit espouser, il les meneroit luy­mesme à vn presche des Huguenots, pour les y faire espouser à vn ministre: Et que par la mort-Dieu il ne vouloit pas que sa marg ot (car ainsi appelloit il sa soeur) fust plus long temps en cest [...] langueur.

Ali.

La bonne dame n'auoit garde d'auoir si long temps attendu: Monsieur son frere scauoit bien qu'il auoit eu son pucellage.

L'hist.

Ie ne scauois pas cela: Mais i'auois bien ouydire qu'elle estoit preste d'accoucher dés lors que la Royne fut à Xainctes.

Ali.

Il est ainsi ie t'asseure. Et tu vois que ces beaux Princes ne font maintenant que le cerf de depuceller leurs parentes. Regarde-moy vn roy d'Espagne, & vn Archeduc Ferdinand, chascun d'eux n'a-il pas sa niece?

L'hist.
[Page 45]

Voire. Mais aussi le Pape leur en a baillé la dispense.

Ali.

Comme si l'homme pecheur pouuoit rom­pre la loy de Dieu & en dispenser les autres. Quel seruiteur des seruiteurs de Dieu! Tu verras tu verras amy quelque iour que ce mariage du Roy d'Espagne auec la fille de sa soeur & de son cousin germain l'Empereur, qui luy fait naistre des enfans, fils, neu eux & cousins ensemble, sera cause s'il plaist à Dieu de l'entiere ruine de Ro­me, du Pape & de sa papauté.

L'hist.

Comment cela, Bon dieu?

Ali.

Le Roy d'Espagne mourant les enfans mas­les de l'Empereur sont appelez à la courōne d'E­spagne (car de la fille nee d'Izabel de France, l'E­spagnol n'en veut point & ne croit pas qu'elle soit legitime) Les enfans de ce mariage de la niece, dirōt que la Couronne leur appartient. Les legi­times neueux leur repliqueront qu'ils sont ince­stueux & bastards, partāt ne peuuēt succeder: voi­re mais, ce diront les autres, le Pape en a dispēse, Le seruiteur, diront les legitimes (a fin que nous ne flattions plus) n'est pas par dessus le maistre, Dieu la defēdu, le Pape ne le doit permettre, c'est l'Antechrist tant attēdu. En somme, par ce moyē ­là la puissance de ce faux pasteur sera mise en di­spute, ses abas serōt cognus, on ne les pourra plus souffrir, & dieu scait le beau mesnage qu'il y aura pour ce seducteur.

L'hi.

Dieu nous vueille estre en aide, cela n'a que trop d'apparence, on a bien fait autrefois la guer re pour moindre chose que n'est la couronne d'Espagne: [Page 46] mais, pour reuenir à mon discours, les nopces (pour le faire court) du roy de Nauarre, & de Marguerite soeur du Roy, se celebrerent en tresgrande pompe, le lundi dixhuictieme iourdu mois d'Aoust dernier passé: les Princes, Comtes, Barons, & autres seigneurs, & gentils hommes de marque Huguenots, y assistoyent presque tous, dont aucunsy auoyent amené leurs femmes & enfans: Et pouuoyent estre en tont, enuiron mille gentils-hommes.

Le mardi, mecredi, & ieudi suyuans, furent em ployez en toutes sortes de ieux & passe-temps à­rechange, esquels l'Amiral souuent assistoit, ayāt le bon visage du Roy à l'accoustumé.

Le mecredi, l'Amiral voulāt entretenir le Roy de quelques affaires de grande importāce, le Roy en riant, le pria de luy donner quatre iours pour s'esgayer & esbatre, promettāt à foy de Roy, qu'il ne bougeroit de Paris, qu'il ne l'eust rendu con­tent, & tous ceux qui auoyent affaire à luy.

Peu de iours auparauant, outre les auertisse­mens susdits, l'Amiral auoit esté aduerti de cer­tain homicide, fait par des Catholiques seditieux de Troye, sur certains Huguenots reuenans de leur presche.

Que ceux de Rouen, & d'Orleans menaçoyent les presches de prendre fin, les deux ans apres la pacification derniere, passez.

Et parmi les gentils-hommes courtizans, on sentoit souuent murmure [...] entre leurs dents, que dās la fin du mois d'Aoust, on interdiroit les presches aux Huguenots, mesmes que plusieurs gen­tils [Page 47] hommes Catholiques vouloyent faire gageu re auec des Huguenots, que deuant quatre mois ils iroyent à la messe.

Qu'on sentoit courre vn bruit d'entre les principaux du people de Paris, qu'en ces nopces se respandroit plus de sang que d'eau.

Que les Commissaires, Centeniers, & Dixe­niers de Paris braçoyēt quelque entreprise, facile à estre descouuerte à qui y regarderoit de pres.

Qu'vn fameux Aduocat Huguenot du palais de Paris, auoit este aduerti par vn President, de se retirer pour quelq̄s iours auec sa famille hors de Paris, s'il vouloir cōseruer sa vie, & celle des siēs.

Qu'vn Italien engageoit sa teste, au cas que ces nopces s'accomplissent: Et vn autre Italien à la ta ble de leā Michael & Sabalin ambassadeur de la seigneurie de Venise, se vantoit de sauoir le moy­en pour ruiner les Huguenots en vingt-quatre heures.

Autres semblables choses se respandoyent parmi le vulgaire, desquelles aussi l'Admiral e­stoit aduerti:

On adioustoit à cela, que la faction des sedi­tieux, desiroit la ruine des Huguenots sur toutes choses, Que le lieu & le temps le facilitoyent: La voulant donc, & la pouuāt mettre à effect, qu'on ne deuoit attendre autre chose d'eux.

A tout cela, l'Amiral sans peur, tousiours sem­blable à soy, tousiours cōstant & asseuré sur la bō té du Roy, ne pouuoit prēdre occasion d'alarme.

Le Ieudi il fut dit au conseil priué du Roy, qu'on auoit veu certains hommes à cheual, [Page 48] au pré aux clercs, & par les places de Paris, aue [...] des pistoles & harquebuzes à l'arçō de la selle, cō tre les deffenses du port des armes: à quoy quel­qu'vn du conseil respondit, que ce pouuoyent e­stre quelques vns qui se preparoyent & s'exer­çoyent pour la reueuë, qui se deuoit faire, pour la recreation de la cour.

Le vendredy 22. iour d'Aoust au matin, fut te­nu conseil au Louure, pour remedier aux plain­tes des Huguenots) Monsieur frere du Roy qui y presidoit, s'estant leué & sorti plustost que de coustume) l'Amiral qui y estoit pareillemēt, sor­tit auec les autres seigneurs du conseil: & comme il alloit en son logis, ayant trouué le Roy qui for toit d'vne chappelle qui est au deuant du Louure le ramena iusques dans le ieu de paulme, où le Roy & le duc de Guyse ayant dresse partie, con­tre Teligny & vn autre gentilhōme, & ioué quel­que peu) l'Amiral en sortit pour s'en aller disner à son logis, accōpagné de douze ou quinze gen­tilshommes, entre lesquels i'estoy' [...]il ne fut point cent pas loin du Louure, que d'vne fenestre fer­ree, du logis (où logeoit ordinairemēt Villemus precepteur du duc de Guyse) luy fut tiree vne ha [...] quebouzade auec trois balles, sur le poinct qu'il lisoit vne requeste (allant à pied par la rue) l'vne des balles luy emporta le doigt indice de la main droite: de l'autre balle, il fut blesse au bras gauche pres du carpe, & sortit la balle par l'ole­crane.

Lors qu'il fut blesse, le seigneur de Guerchy e­stoit à son costé droit, d'où luy fut tiree l'harque­bouzade, [Page 49] & à son gauche, laisné des Pruneaux. Ils furent fort esbahys & esperdus, & tous ceux qui estoyent en la compagnie.

L'Amiral ne dict iamais autre chose, sinon qu'il mōstra le lieu d'où on luy auoit tiré le coup, & où les balles auoyent donné: priant le capitai­ne Pilles, qui suruint là, auec le capitaine Monins, d'aller dire au Roy ce qui luy estoit aduenu: qu'il iugeast quelle belle fidelité c'estoit (l'entendant de l'accord fait entre luy & le duc de Guyse.)

Vn autre gentil-homme voyant l'Amiral bles se, s'approcha de luy, pour luy soustenir son bras gauche, luy serrant l'endroit de la blesseure auec son mouchoir: le seigneur de Guerchy luy souste noit le dtoict: & en ceste façon fut mené à son logis, distant de là enuiron de six vingts pas: En y al lant, vn gentil-homme luy dit, qu'il estoit à crain dre que les balles ne fussent empoisōnees: à quoy l'Amiral respondit, qu'il n'auic̄droit que ce qu'il plairoit à Dieu.

Soudain apres le coup, la porte du logis d'où larque bouzade auoit esté tiree, fut enfoncee par certains gentils-hommes de la suite de l'Amiral. L'arquebouze fut trouuce, mais non l'arquebou­zier: ouy bien vn sien laquais, & vne seruāte du logis: l'arque bouzier s'ē estoit foudain enfuy par la porte de derriere, qui sort sur le cloistre de sainct Germain l'Auxerroistoù lon luy gardoit vn che ual prest, garni de pistoles à larçon de la selle: sur lequel estant eschappé, il sortit hors de la porte sainct Ahtoine, où ayant trouué vn cheual d'Espagne qu'on luy tenoit en main, descendit du pre­mier, [Page 50] & monta sur le second, puis se mit au grand galop.

Le Roy entendant la blesseure de l'Amiral, quitta le ieu, où il estoit encores iouant auec le duc de Guy se: ietta la raquette par terre, & auec vn visage triste & abbatu, se retira en sa chambre le duc de Gayse sortit aussi peu apres le Roy, du ieu de paume.

La chambriere du logis interrogee, respondit, que le seigneur de Chailly (qui est maistre d'ho­stel du Roy, & superintendant des affaires du duc de Guyse) le iour auparaunt auoit mene l'arque bouzier dans le logis, & l'auoit affectueusem̄t recommande à l'hostesse.

Le laquais interrogué, respond que ce iour-là bien matin, son maistre l'auoit enuoyé à Chailly, pour le prier de faire en sorte, que l'escuyer du duc dé Guyse: tint les cheuaux qu'il luy auoit promis tous prests: Quant au nom de son maistre, il n'y auoit pas lōg temps qu'il estoit à luy, & ne l'a­uoit ouy appeller que Bolland, l'vn des soldars de la garde du Roy: mais à la verité dire, c'estoit Mōt-reuel de Brie, celuy qui aux guerres passees tua en trahison le seigneur de Mouy.

Le roy de Nauarre, le prince de Cōde, le com­te de la Roche-foucaut, & plusieurs autres Sei­gneurs, Barons, & gentils-hommes Huguenots, aduertit de la blesseure, vindrent incontinent vi­siter l'Amiral: il y vint aussi plusieurs autres sei­gneurs, & gentils-hommes Catholiques, amis de l'Amiral, tous biē fort marris de ce qui lay estoit auenu.

[Page 51] Les playes pensees par les plus experts chyrur giens, le Roy de Nauar re, & le Prince de Cōde al lerēt trouuer le Roy, auquel ils firēt leurs plain­tes selon le merite du faict: remonstrans qu'il ne faisoit pas seur dans Paris pour eux, & le supplias tres humblement de leur donner conge d'en sor­tir, & de se retirer ailleurs.

Le Roy se complaignant aussi à eux du de sa­stre auenu, & les consolant, iura & promit de fai­re du coulpable, des consentans & fauteurs si me morable iustice, quel' Amiral & ses amis auroyēt dequoy se contenter: cependant il les prié de ne bouger de la cour, & qu'ils luy en laissent la punition & vengeance, & s'asseuret qu'il y pouruoira bien tost.

La Royne-mere qui là aussi estoit, monstroit d'estre bien fort marrie du cas aduenu: Que c'e­stoit vn grand outrage fait au Roy, qu' à le suppor rer auiourd huy, domain on prendro [...] la hardies­sed'en faire autant dans le Louure, vne autre fois dās son lict, & l'autre dedans son sein, & entre ses bras. Par cest artifice, le Roy de Nau [...]re, le Prin­ce de Condé, les autres seigneurs & gentils hommes François Huguenots, fure [...] arrestez dūs Paris: Mais pource qu'il sembla bon à aucun [...] d'en­tr'eux, de faire conduire l'Amiral en su maison de Chastillon sur Loin, distant deux iour [...] ces de Paris le Roy pour empescher ce desse [...] ▪ luy offrit chābre dās le Louure pour s'y retirer: Que s'il ne pouuoit pour la douleur t [...]és plaves remuer le logis, il luy enuoyeroit vne cópagnie des sol dats de sa garde, pour la seureté de sa personne & de son logis.

[Page 52] L'Amiral entendant les honestes offres que le Roy luy faisoit, l'en remercia beaucoup de fois tres humblement, & se recognoissant estre assez asseuré en la protection du Roy, apres Dieu, il di­soit n'auoir besoin d'aucune autre garde: toute­fois il y eut ce iour-la enuiron cent soldats posez en garde deuant son logis, par le commandemēt du Roy.

Cependant on poursuyuit le criminel, lequel s'enfuyant & passant par Ville neuue sainct George (où il print vn autre cheual) alloit disant tout haut, Vous n'auez plus d'Amiral en France.

Le Roy en ces entrefaites commanda à Nan­cé, l'vn des capitaines de ses gardes, d'aller saisir Chailly, & le mener en prison: mais il auoit desia gagné le haut, ou pour le moins il s'estoit caché si bien, qu'on ne le vouloit trouuer.

Ce iour-là, le Roy escriuit des lettres à tous les gouuerneurs des prouinces, & des principales vil les de son Royaume, & aussi à ses ambassadeurs estans pres de princes estrangers: par lesquelles il les aduertissoit de ce qui estoit auenu, & pro­mettoit de faire en sorte, que les autheurs & coul pables d'vn si meschāt acte, seroyent descouuerts & chastiez selon leur demerites. Cependāt qu'ils fissent entendre à tout le monde, combien cest ou trage luy desplaisoit. La Royne-mere ce mesme iour escriuit des lettres de mesme sustāce ausdicts gouuerneurs & ambassadeurs.

Le Roy ce iour-là apres son disner (qu'il fit court) enuiron deux heures apres midy, & auec luy la Royne sa mere, ses freres, tous les Mares­chaux [Page 53] de France (excepté celuy de Mont-moren­cy, qui le iour auparauant estoit allé à la chasse) le cheualier d'Angolesme, le duc de Neuers, Chauigny, & plusieurs autres capitaines, alla visiter l'Amiral, qui mouroit d'enuie de luy parler: le Roy l'ayant ouy, & faisant du pleureux, confessa libre­ment, que l'Amiral s'asseurant sur sa foy & bien­vueillance, estoit venu à la cour: & partant quoy que la douleur des blessures fust à l'Amiral, que l'iniure & l'outrage estoit fait à luy, & qu'il estoit resolu de tout son coeur, d'ē auoir la raison, & en faire iustice si exemplaire, qu'il en seroit memoi­re à iamais.

L'Amiral repliqua, qu'il en remettoit la ven­geance à Dieu, & au Roy le iugemēt: quant à l'au theur du faict, qu'il estoit assez bien cognu. Et pource qu'il ne scauoit s'il auoit encores longue­ment à viure, il supplioit treshumblement le Roy de l'ouyr sur certaines choses qu'il luy vouloit cō muniquer, qui estoyent tresnecessaires à l'estat de son Royaume.

Le Roy à ceste demande, ayant fait semblant de vouloir ouyr l'Amiral en secret, commanda que chacun sortist de la chambre, quand la Roy­ne-mere, qui n'abandonnoit le Roy d'vn pas em­pescha (ie ne scay pourquoy) que ce colloque se­cret ne se fist.

Le same di suyuant 23. iour d'Aoust, les playes se portoyent assez bien, tellement que les mede­cins & chyrurgiens disoyent, que la vie de l'Amiral n'en estoit en aucū danger: que le bras, en per­dant bien peu de sa force, seroit aisément gueri.

[Page 54] Ce iour-la de samedi, le Roy enuoy [...] visiter l'Amiral par diuers gentils hommes. La nouuel­le espousee l'alla aussi visiter.

Ce mesme samedi, dās le cōseil priué du Roy, fur [...]nt examinez certains tesmoins, touchant l'ar que [...]ouzade, le tireur, & les coulpables: tellemēt que l'Amiral & ses amis, croyās que la voye à iu­stice leur fust ouuerte, se resiouissoyent grande­ment, s'asseurans de pouuoir facilement conuain cre les autheurs du faict: dequoy ils aduertir ent leurs amis en plusieurs endroits du royaume, par des lettres qu'ils leur escriuirent, les prians de ne bouger, & ne se fascher de ce qui estoit aduenu à l'Amiral: Que Dieu & le Roy estoyent puissans d'en faire la vengeance: que desia on commen­çoit à proceder contre le coulpable & ses fau­teurs par iustice, & les blessures n'estoyent pas, Dieu merci, à mort: que combien que le bras fust blesse, le cerueau ne l'estoit pas. En ceste façon les consolant par lettres, les auertissoyent de se te nir coys, en attendant l'issue telle qu'il plairoit à Dieu d'enuover.

Ce iour-là Mōsieur frere du Roy, & le cheua­lier d'Angoulesme, se pourmenoyent dans vn co che par la ville de Paris, enuiron les quatre heu­res apres midy. Dés ceste heure-là il courut vn bruit par Paris, que le Roy auoit mandé le mareschal de Montmorency, pour le faire venir à Pa­ris, auec grand nombre de caualerie & d'infan­terie: que partant les Parisiens auoyent occa­sion de se prendre garde: mais ce bruit-là estoit faux.

[Page 55] On vit entrer ce iour-la six crocheteurs char­gez d'armes dans le Louure: dequoy Teligny a­uertit par le trompette de l'Amiral, respōdit, Que c'estoyent des peurs qu'on se donnoit sans occa­sion: qu'il estoit tresasseuré de la bonne intention du Roy, qu'il cognoissoit fort bien son coeur & ses affections: qu'on ne deuoit pas se faire accroi­re des choses tant hors de propos. Ie croy que Te ligny ny pensoit aucun mal, d'autant que le iour deuant la blesseure de l'Amiral, on auoit ordon­né certain combat & assaut, qu'on deuoit donner à vn chasteau, qui pour cest effect deuoit estre dresse, à quoy les courtisans estoyent conuiez de se preparer.

Le Roy, pour assembler les seigneurs & gētils hōmes Huguenots en vn quartier, leur fit à tous marquer logis pres celuy de l'Amiral, pour luy estre plus pres & à poinct: quelques vns y allerēt loger, les autres ne peurent si tost changer de logis.

Le comte de Montgomery, Briquemaut le pe­re, & quelques autres gentils hommes, auoyent mandé à Teligny, que s'il vouloit, ils iroyent vo­lontiers veiller au logis de l'Amiral: mais Teli­gny les remerciant, leur manda qu'il n'estoit ia de besoin.

Cependant les autres veilloyent: le Cheualier d'Angoulesme (qui ne se voulut point aller cou­cher) entretenant ses plus intimes amis, leur don noit bon courage, les asseurāt qu'il seroit ce iour la Amiral de France: mais il fut trompé, d'autant que l'estat vaquāt fur dōné au marquis de Villars.

[Page 56] La Royne-mere, peu apres la minuict du sa­medi passee, fut veue entrer dans la chambre du Roy, n'ayāt auec elle qu'vne femme de chambre, quelques seigneurs qui y furent mandez, y entre rēt peu de temps apres, mais ie ne scay pourquoy ce fut. Bien est vray que deux heures apres, on dōna le signe du temple de sainct Germain l'Au­xerrois, à son de cloche: lequel ouy, soudain les soldats qui estoyent en garde deuant le logis de l'Amiral, forçant la porte du logis, y entrerent fa­cilement, leur ayant esté aussi tost ouuerte, que le nom du Roy (duquel ils se vantoyent) y fut ouy. Le duc de Guyse y entra aussi tost apres à cheual, accōpagné d'vne grande troupe de ses partizans: il n'y eut que peu ou point de resistance, n'estans ceux de la famille, & suite, de l'Amiral, aucune­ment armez.

L'Amiral oyant le bruit, & craignāt qu'il y eust quelque sedition, commanda à vn sien valet de chambre (qu'on nommoit Nicolas le Truche­man) de monter sur le toict dulogis, & appeller les soldats de la garde, que le Roy luy auoit bail­lez, ne pensant à rien moins que ce fussent ceux qui faisoyent l'effort & violence: quant à luy, il se leua, & s'estant affublé de sa robe de nuict, se mit à prier Dieu: & à l'instant vn nōmé le Besme Al­leman, seruiteur domestique du duc de Guyse, qui auec les capitaines Caussens, Sarlaboux, & plusieurs autres, estoit entré dans sa chambre, le tua: toutesfois Sarlaboux s'est vanté, que ce fut luy.

Les dernieres paroles de l'Amiral, parlant au [Page 57] Besme, furent: Mon enfant, tu ne feras ia pourtāt ma vie plus brieue.

On ne pardonna à pas vn de ceux de la maison de l'Amiral, qui se laisserent trouuer, que tous ne fussez tuez.

Le corps mort de l'Amiral fut ietté par Sar­laboux par les fenestres de sa chambre, en la cour de son logis, par le commandement du duc de Guyse, & du duc d'Aumale (qui y estoit aussi ac­couru) & le voulurent voir mort deuant que par­tir de là.

Le iour de la blessure de l'Amiral, le Roy auoit baillé aduis à son beau frere le roy de Nauarre, de faire coucher dans sa chābre dix ou douze de ses plus fauoris, pour se garder des desseins du duc de Guyse, qu'il disoit estre vn mauuais gar­çon, Or ces gētils-hommes là, & quelques autres qui couchoyent en l'antichambre du roy de Na­uarre, furent menez hors desdites chambres, a­pres la mort de l'Amiral, & desarmez de l'espee & dague qu'ils portoyent, par les mains de Nan­cé, & des soldats de la garde du Roy, & menez ius ques à la porte du Louure: là (le Roy les regar­dant par vne fenestre) furent tuez en sa presence: Entre ceux là estoyent le baron de Pardillan, le capitaines Piles, sainct Martin-Bourses, & autres dont ie ne scay le nom.

Alors on amena le roy de Nauarre, & le prin­ce de Condé au Roy, lequel les voyant leur dit, qu'il n'entendoit supporter doresnauant en son Royaume, plus d'vne religion: partant il vouloit qu'ils vesquissent à la façon de ses predesseurs, [Page 58] à sauoir qu'ils allassēt à la messe, si leur vie & leurs biens leur estoyent en quelque recommanda­tion.

Le Roy de Nauatre (sans toutes fois condescē dre à la proposition du Roy) luy respondit fort humblement: & le prince de Condé, qu [...] est d'v­ne nature vn peu plus brusque, ayant respondu aussi vn peu plus asprement, ne fut menacé par le Roy de moins, que de la perte de sa teste, s'il ne se rauisoit dans trois iours, que le Roy luy bailloit pour tous delais, l'appellant opiniastre, obstine, seditieux, & fils de seditieux.

Les autres Huguenots qui estoyent dedans le Louure, ausquels à prix ou priere on auoit iusqu' a lors sauué la vie, promettoyent de faire tout ce que le Roy commanderoit: Entre autres, Gram­mont, Gamache, Duras, & certains autres, eurent d'autant plus facilement leur pardon, que le Roy scauoit fort bien, qu'ils n'auoyent iamais eu que peu ou point de religion. A l'instant on sonna le toxin du Palais, afin qu'on se ruast sur les autres Huguenots de toutes qualitez & sexes) qui estoy ent dās la ville: leur pretexte estoit, vn bruit qu'ils firent coutre, qu'on auoit descouuert vne conspi­ration faite contre le Roy, sa mere, & ses freres, par les Huguenots: lesquels auoyēt desia tué plus de quinze soldats de la garde (ce disoyent ceux qui estoyent morts) partant le Roy commandoit qu'on ne pardonnast à pas vn Huguenot.

Les Courtisans, & les soldats de la garde du Roy, furent ceux qui firent l'execution sur la No­blesse, finissans auec eux (ce disoyent-ils) par fer [Page 59] & desordres les proces, que la plume, le papier, & l'ordre de iustice, n'auoyent iusqu'a lors sceu vui der; De sorte, que les chetifs, accusez de conspiration & d'entreprise, tous nuds, mal-auisez, demi dormans, desarmez, & entre les mains de leurs ennemis, par simplicite, sans loisir de respirer, fu­rent tuez qui dans leurs licts, qui fur les toicts des maisons, & qui en autres lieux, selon qu'ils se lais soyent trouuer.

Le comte de la Roche-foucaut, qui iusques a­pres onze heures de la nuict du samedi, auoit de­uise, ris, & plaisante auec le Roy, ayant à peine cō mence son premier somme, fut resueille par six masques, & armez, qui entrerent dans sa cham­bre: entre lesquels cuidant le Roy estre, qui vinst pour le fouerter à ieu: il prioit qu'ō le traitast dou cement, quand apres luy auoir ouuerr & saccagé ses coffres, vn de ces masques (valet de chambre du duc d'Aniou) le tua, par le commandement de son maistre.

Bien est vray que le capitaine la Barge, qui estoit l'vn des masquez, auoit eu commande­ment du Roy de l'aller tuer auec promesse d'a­uoir la compagnie de gendarmes du comte de la Roche-foucaut, ny estant autrement voulu aller qu'à celle condition. Et quoy que le valet, com­me on m'a dit, l'ait anticipé à tuer, si n'a il pas pourtant moins eu la compagnie du comte meurtry.

Teligny fut veu de plusieurs courtisans, & quoy qu'ils eussent charge de le tuer, ils n'eurent [Page 60] oncques la hardiesse de ce faire en le voyant, tant il estoit de douce nature, & aimé de qui le co­gnoissoit: à la fin vn qui ne le conoissoit pas, le tua.

Le marquis de Renel fut chasse tout en chemi se, iusques à la riuiere de Seine, par des soldars & le peuple, & là fait monter sur vn petit bateau, fut tué par Bussy d'Amboyse son cousin.

Monsieur frere du Roy, pour gratifier à l'Ar­chan capitaine de sa garde amoureux de la Cha­stegneraye, enuoya tuer par les soldats de sa gar­de, le seigneur de la Forse son beau-pere: & cur­dant auoir tué deux des freres de la Chastegne­raye, il ne s'en trouua qu'vn mort, l'autre estoit seulement blesse, & caché sous le corps mort de son pere qui luy estoit trebusché dessus, d'où sur le soir ilse despestra se glissant iusques dedās le lo gis du seigneur de Biron son parent: Ce que sa­chant la Chasteneraye sa soeur, marrie de ce que tout l'heritage ne luy pouuoit demeurer, vīt trou uer le seigneur de Biron à l'Arcenal, où il estoit logé, seignant d'estre bien aise que son frere fust eschappé, & disant qu'elle desiroit le voir & le fai re penser: Mais le seigneur de Biron qui s'apper­ceut de la fraude: ne le luy voulut descouurit, luy sauuant par ce moyen la vie.

Le president de la Place, homme fort docte, & rare, fut à coups de halle barde mené iusques à la Seine, tué & ietté dans l'eau: autant en fut fait à Pierre Ramus, lecteur publique du Roy. A l'auo car de Chappes aussi, & à l'Omenie secretaire du Roy, apres luy auoir fait faire (sous promesse de [Page 61] luy sauuer la vie) donaison du plus beau de son bien, & resignation de son estat de secretaire: plusieurs autres furent massacrez de mesmes, des­quels ie ne sauroy' dire les noms.

Les commissaires, quarteniers, & dixeniers de Paris, alloyent auec leurs gens de maison en mai­son, là où ils cuidoyent trouuer des Huguenots, se faisant ouurir les portes par le Roy, & vengeāt sur poures artisans, ieunes, vieux, femmes & en­fans Huguenots, leur conspiration pretēdue, sans auoir esgard à sexe, aage, ou condition quelcon­que: Estans à ce faire animez & induits, par les ducs d'Aumale, de Guyse, & de Neuers, qui al­loyent par les rues disans, Tuez tout, le Roy le cō mande. Les charrettes chargees des corps morts de damoiselles femmes, filles, hommes & enfans, estoyent conduits à la riuiere.

De bon heur, le seigneur de Fontenay, frere de monsieur de Rohan, le Vidame de Chartres, lo comte de Mont-gomery, le seigneur de Caumōt, l'vn des Pardillans, Beauuois la Nocle, & plu­sieur autres seigneurs & gentils hommes Hugue nots, estoyent logez aux fauxbourgs sainct Ger­main, vis à vis du Louure, la riuiere entre deux: Et Dieu voulut que Marcel, preuost des marchās de Paris, ayant dés le samedi au soir eu comman­dement du Roy, de luy tenir mille hommes ar­mez prest sur la minuict du Dimanche, pour les bailler à Maugiron (auquel il auoit donné char­ge de depescher ceux des faux-bourgs, ayant aus si commandé au commissaire du quartier & au Contrerolleur du Mas, de le guider auec sa trou­pe [Page 26] par les logis des Huguenois) n'eust pas ses ge [...] prests, & que du Mas Commissaire, s'endormit plus de l'heure assignee: & cependant vn certain homme (qu'on n'a pas veu ny cognu depuis) qui estoit passe dans vne nacelle de la ville aux faux­bourgs fainct Germain, ayant veu tout ce qui a­uoit esté fait toute la nuict sur les Huguenots en la ville, auertit enuiron les cinq heures du Di­manche matin, le conte de Montgommery de ce qu'il en scauoit. Le comte de Montgommery en bailla auertissement au Vidame de Chartes, & aux autres seigneurs & gentils hommes Hugue­nots logez aux faux bourgs: plusieurs desquels ne se pouuans persuader que le Roy fust (ie ne dy pas autheur, mais seulement consentant de la tue rie) se resolurent de passer auec barques la riuie­re, & aller trouuer le Roy: aimant beaucoup mi­eux se fieren luy, qu'en fuyant, monstrer d'en a­uoir quelque deffiance d'autres y'en auoit, les­quels cuidans que la partie fust dressee contre la personne du Roy mesme, se vouloyent aller ren­dre pres de sa personne, pour luy faire tres hum­ble seruice, & mourir si besoin estoit à ses pieds, & ne tarda gueres qu'ils virent sur la riuiere; & venir droict à eux (qui estoyent encore és fau [...]bourgs) iusqu'à deux cens soldats armez de la gar de du Roy, crians, Tue, tue: & leurs tirans har­quebousades à la veuë du Roy, qui estoit aux fene stres de sa chambre, & pouuoit estre alors enui ron sept heures du Diman che matin. Encores m'a-on dict que le Roy prenant vne harque bou­ze de chasse entre ses mains, en reniant Dieu, dit: [Page 63] Tirons, mort Dieu, ils s'enfuyent. A ce specta­cle ne sachās les Huguenots des fauxbourgs que croire, furent contraints qui à pied, qui à cheual, qui botté, & qui san [...] bottes & esperons, laissans tout ce qu'ils auoyent de plus precieux, s'enfuir pour auuer leur vie, là où ils cuidoyēt auoir lieu de re fuge plus asseuré. Ils ne furēt pas partis que les soldats, les Suysses de la garde du Roy, & au­cuns des courtisans, saccagerentleurs logis, tuans tous ceux qu'ils trouuerent de reste.

Encores vint-il bien à propos, que le duc de Guyse voulāt sortir par la porte de Bussy, se trou­ua auoir esté pris vne clef pour l'autre, ce qui don na tant plus de loisir de monter à cheual aux pa­resseux. Et ne laisserent pourtant d'estre pour­suyuis par le duc de Guyse, le duc d'Aumale, le cheualier d'Angoulesme, & par plusieurs gentils hommes tueurs, enuiron huict lieues loin de Pa­ris, le duc de Guyse fut iusques à Montfort, où il s'arresta, & manda à sainct Cegier & autres gen­tils, hommes d'alentour, de son humeur & parti­sans siens, de faire en sorte, que lesdicts seigneurs & gentils hommes qui se sauuoyent de vistesse, n'eschap passent point: autant en enuoya-il dire à ceux de Houdā & de Dreux. En ceste chasse d'hō mes, il y en eut quelques vns de blessez, & biē peu ou point de tuez.

Les duc de Guyse & d'Aumale, quelque sem­blant qu'ils fissent, s'y deporterēt assez doucemēr, & comme si leur cholere fust appaisee apres la mort de l'Amiral: ils sauuerent à beaucoup la vie, mesmes en leur maison de Guyse, où le seigneur [Page 64] d'Acier, & quelques autres Huguenots se retire­rent à sauueré: tellement qu'à leur retour de la poursuyte, & quelques iours apres, le Roy leur on fit mauuais visage, croyant que ceux qui estoyent reschappez, n'estoyent sauuez que par leur faute.

Tout ce iour de Dimāche 24. d'Aoust, fut em­ployé à tuer, violer, & saccager: de sorte, qu'on croit que le nombre des tuez ce iour-la dans Pa­ris & ses faux-bourgs, surpasse dix mille person­nes, tant seigneurs, gentilhommes, presidens, conseillers, aduocats, escoliers, medecins, procu­reurs, marchands, artisans, femmes, filles, qu'en­fans, & prescheurs. Les rues estoyent couuertes de corps morts, la riuiere teincte en sang, les por­tes & entrees du palais du Roy peinctes de mes­me couleur: mais les tueurs n'estoyent pas encore faoulez.

Le Roy, la Royne sa mere, & messieurs ses fre res, & les dames sortirent sur le soir, pour voir les morts l'vn apres l'autre: Entre autres, la Royne­mere voulut voir le seigneur de Soubise, pour scauoir à quoy il tenoit, qu'il fust impuissant d'habi­ter auec sa femme.

Vers les cinq heures apres midy de ce Diman­che, il fut fait vn ban auec les trompettes de par le Roy, Que chacun eust à se retirer dans les maisons, & que ceux qui y estoyent, n'eussent à en sor tir hors: ains fust seulement loisible aux soldats de la garde, & au cōmissaires de Paris auec leurs trouppes, d'aller par la ville armez, Sur peine de grief chastiement à qui feroit au contraire.

Plusieurs ayans ouy ce ban, pensoyent que l'affaire [Page 65] se mitigueroit: mais le lendemain & iours suyuans, ce fut à recommencer.

Ce iour mesme de Dimanche, le Roy escriuit des letres à ses ambassadeurs pres les princes e­strangers, & aux gouuerneurs des prouinces, & villes capitales du Royaume, les auertissant que l'homicide de l'Amiral son trescher & bien aimé cousin, & des autres Huguenots, n'auoit pas esté fait de son consentement, ains du tout contre sa volonté: Que la maison de Guyse, ayant descou­uert que les amis & parēs de l'Amiral, vouloyent de sa blessure faire quelque haute vengeance: pour les anticiper, auoyent assemblé des gentils­hommes & des Parisiens leurs partisans, en tel nombre, qu'ayans premierement forcé la garde que le Roy auoit dōnee à l'Amiral, & estans en­trez en son logis le samedi de nuict, ils l'auoyent tué, luy & ses amis qu'ils auoyent peu rencōtrer, au tresgrand regret du Roy, de la Royne sa mere, & de ses freres, estant contraint de l'endurer, & pour la crainte qu'il auoit de sa propre personne, se contenir dedans le Louure, où il auoit auec luy son trescher frere le roy de Nauarre, & son bien­aimé cousin le prince de Condé, qui iouyroyent de pareille fortune que luy: Ce qu'il vouloit bien que tout le monde sceust, & entēdist le desplaisir qu'il auoit eu, de voir, qu'ayant tant de fois tenté la sincere reconciliation du duc de Guyse, & de l'Amiral, c'estoit neantmoins pour neant.

Auec ces letres, le Roy enuoya ensemble des patentes, par lesquelles il estoit deffendu de por­ter armes illicites, de faire assemblees illicites, ou [Page 66] chose aucune en fraude, & alencontre des Edicts de paix, sous le benefice desquels, il commandoit à tous ses suiets, de se comporter & viure paisible ment l'vn auec l'autre: Ces lettres estoyēt signees par Pinart secretaire d'estat, le 24. d'Aoust.

La Royne-mere escriuit aussi des letres aus­dits gouuerneurs & ambassadeurs, de mesme su­stance que les letres du Roy. N'en l'vne n'en l'au tre de ces letres, il n'estoit faite aucune mention de la conspiratiō de l'Amiral, ne de ses consorts, Mais combiē que ces letres fussent enuoyees par les prouinces de la France, dans Paris on n'oyoit parler de chose qui en approchast, ne qui tendist à appaiser la furie des seditieux.

Le lundi 25. d'Aoust, les Parisiens ayans assis des gardes aux portes de leur ville, par comman­dement du Roy qui en voulut auoir les clefs, afin (ce disoit-il) que nul Huguenot eschappast par cō pere ou par commere, apres auoir moissonné le champ à grand tas & à plaine main, ils alloyent cueillant çà & là les espics restans du iour prece­dent: menaçant de mort quiconque receleroit au cun Huguenot, quelque parent ou amy qu'il luy fust: de sorte, que tant qu'ils en trouuerent de re­ste, furent tuez, & leurs meubles baillez en proye comme aussi les meubles des absens.

Le Roy donna aux Suysses de sa garde, pour le bon deuoir qu'ils auoyent monstré en cest affai­re, le sac & pillage de la maison d'vn tres-riche la pidaire, nommé Thierry Baduere: i'ay ouy dire, que ce qu'on luy a pillé, valoit plus de deux cens mille escus.

[Page 67] Le pillage des seigneurs, gentils hommes, mar chands, & autres Huguenots tuez, estoit fait par authorité priuee, ou donné & departi par le Roy à ses courtisans, & autres siens bons ferniteurs: desquels les aucuns trouuās quelque chose de singulier parmi la despouille des morts, le venoyent offrir & presenter au Roy, à sa mere, ou à quel­que autre des Princes à qui ils estoyent plus affe­ctionnez.

En ces entrefaites le Roy assembla son con­seil, auquel furent monstrees par Monsieur frere du Roy certaines lettres du mareschal de Mont­morency, à Teligny, du vendredi 22. d'Aoust a­pres la blessure de l'Amiral, en response de celles que Teligny luy en auoit escrit: & furent lesdictes letres trouuees dās les coffres & entre les papiers de Teligny mort: Par icelles le mareschal de Montmorency monstroit ouuertement, le des­plaisir qu'il auoit receu, entendant la blessure de l'Amiral son cousin: Qu'il ne vouloit pas en pour suyune moins la vengence, que si l'outrage eust esté fait à sa propre personne, n'estant pas pour laisser en arriere, chose qui peust seruir à cest ef­fect, sachāt combien vn tel acte estoit desplaisant au Roy.

Or auoit-il esté conclu au secret conseil d'en­tre le Roy, la Royne-mere, Mōsieur frere du Roy le duc d'Aumale, le duc de Neuers, le comte de Rets, Lansac, Tauanes, Moruilliers, Limōges, & Villeroy, (tenu quelques iours auant la tuerie) qu'aussi tost que l'Amiral & les Huguenots seroy ent depeschez dās Paris, le duc de Guyse, & ceux [Page 68] de sa maison vuideroyent, & se retireroyent hors de Paris en quelqu'vne de leurs maisōs: afin qu'il semblast mieux à toute la France, & aux regions voisines, que c'estoyent ceux de Guyse qui auoyēt fait le tout, sans le sceu du Roy: pour venger sur l'Amiral & autres Huguenots, la mort du vieux duc de Guyse, qu'vn Huguenot auoit tue au pre­miers troubles de la France. Voila pourquoy en ses letres du Dimanche, il auoit le tout ietté sur ceux de Guyse: mais ceux de Guyse voyans l'atrocité du faict auenu, & considerans qu'ils attiroyēt sur eux & leur posterité l'ire de tous hommes, à qui l'humaine societé est chere: & par consequēt se mettoyent en butte, à laquelle chacun viseroit, comme sur les seuls autheurs & coulpables: pre­uoyans, di-ie, le mal qui leur en pourroit auenir, estans retournez dans Paris, n'en voulurent sor­tir, n'abandonner la cour, demandans au contraire instamment, que le Roy aduouast le tout.

Le Roy auec le mesme conseil que dessus, tant à l'occasion des letres du mareschal de Montmo­rency (qui prenoit pretexte sur la volōte du Roy de se vouloir vēger) que par ce que ceux de Guy­se ne vouloyent sortir hors de Paris, ny se charger de la faute fut contraint le tout aduouër: Car di­soyēt ceux de son cōseil, si le mareschal de Mont­morency, seulement pour la blesseure de l'Ami­ral son cousin, est si fort piqué, & menace tant: que fera-il quand il en entendra la mort, & de tant de gens qu'il aimoit? & si la maison de Guyse ne s'en charge, comment couurira-on le faict?

Partant, le Roy par l'auis de sondict conseil, [Page 69] rescriuit des letres à ses ambassadeurs, & aux gouuerneurs des prouinces, & villes principales de la France: par lesquelles il les auertissoit, que ce qui estoit auenu à Paris, ne concernoit aucunement la religion, ains auoit esté seulemēt fait pour em­pescher l'executiō d'vne maudite cōspiratiō, que l'Amiral & ses alliez auoyent faite, contre luy, sa mere & ses freres: partant vouloit que ses Edicts de pacification fussent obseruez: Que s'il auenoit que quelques Huguenots, esmeus des nouuelles de Paris, s'assemblassēt en armes en quelque lieu que ce fust, il commandoit à sesdits gouuerneurs de tenir la main qu'ils fussent dissipez, & rompus. Et afin que par les studieux de nouueauté, quel­que sinistre cas n'aduint, il entendoit que lespor­tes des villes de son Royaume, fussent bien & di­ligemment gardees: remettant sur la creance des porteurs, se surplus de sa volonté.

Ces letres ne furent pas si tost receues à Me­aux, Orleans, Tours, Angiers, Bourges, Thoulouze, & en plusieurs autres citez, que les Huguenots par le commandement des gouuerneurs, y furēt tuez. Quelques gouuerneurs moins cruels, com­me Mandelot à Lyon, & Carrouges à Rouen, se contenterent pour le commencemēt de faire em­prisonner les Huguenots de leurs villes: mais peu de iours apres, aussi bien furent-ils tuez.

Le mesme iour du lundy au matin, le Roy en­uoya quelques capitaines & soldats de sa garde à Chastillon sur Loin, pour luy amener les enfans de l'Amiral, & de son feu frere d'Andelot, de gré, ou par force: mais on trouua les aisnez partis, & [Page 70] d [...]sia sauuez à la fuite.

Le duc d'Aniou enuoya pareillement des sol­dats de sa garde à la campagne, és enuirons de Paris, visiter les Huguenots dans leurs maisons aux champs, & les y tuer: Et afin que nul ny fust espar gné, il enuoyoir à poinct nommé en diuers quartiers, ceux de ses soldats qui ny cognoissoyēt per­sonne, tellemēt qu'aussi il [...] n'en espargnerent pas vn, excepté quelques vns qui furēt prins à rançō par ceux qui estoyent plus frians de l'argent: Et­si né laissoyent pas pourtāt de tuer les prisonniers apres leur rançon paye [...].

Ces iours de dimanche & de lundi, le temps fut beau & ser [...]in à Paris, & es enu llemēt que le Roy s'estant mis aux senestres du Louure, contemplant le temps, ironstre Qu'il sembloit que le temps se resiouist, de lo [...]uerie des Huguenors.

Enuiron le midi du lundi (hors de toute sai­son) on vit vn aubespin fleury au [...]emetiere fainct Innocent: Si tost que le bruit en fut espah [...] par la ville, le peuple y accourut de toutes parts, criā [...], Miracle, miracle, & les cloches en carrillonnerē [...] de ioye. On fut contraint pour empescher la fou­le du peuple, & afin que le miracle (qui estoit cō ­me il a esté sceu, fait par l'artifice d'vn bon vieux homme de cordelier) ne fust desco uert, & auilé; on fut, di-ie, contraint d'asseoir des gardes à l'en tour de l'aubespin, pour empescher le peuple de s'y approcher de trop pres. Il n'y eut pas fante de gens qui interpretoyent ce miracle ne vouloir de noter autre chose, sinon que la France recouure­roit sa belle fleur & splendeur perdue, Le peuple [Page 71] s'en retournant de la veuē de l'aubespin content & satisfait, pensant que Dieu par vn tel signe ap­prouuast toutes leurs actions, s'en alla droict au logis du defūct Amiral: où ayāt trouué son corps mort, le prindrēt, & l'ayās trainé par les rues ius­ques au bord de la riuiere, luy coupperent le mē ­bre, & puis la teste, qu'vn soldat de la garde (par commandement comme il disoit) porta au Roy: le tronc, auec dagues & couteaux laceré, & deschi queté en toutes sortes par la populasse, fut à la fin trainé au gibet de Montfaucon & là pendu par les pieds.

Le mardi 26. d'Aoust, le Roy accompagné de ses freres, & des plus grāds de sa cour, s'en alla au Palais de Paris (qu'on appelloit iadis la cour des Pairs de France, & le lict de iustice du Roy) Là se ant en plein senat, toutes les ch ābres assemblees, il declara tout haut, que ce qui estoit auenu dans Paris, auoit esté fait non feulement par son con­sentement, ains par son commandemēt, & de son propre mouuemēt. Partant entendoit-il, que tou te la louange & la honte, en fussent reiettees sur luy.

Alors le premiet President, au nom de tout le Senat, en louant l'acte, comme digne d'vn [...] Roy, luy respondit, que c'estoit bien fait, & qu'il l'auoit iustement peu faire.

Que qui ne scait bien dissimuler ne scait re­gner.

Le pol.

C'estoit bien loin de faire comme la Vac­querie, iadis President en mesme lieu & charge, lequel, comme Pasquier le recite en son liure des [Page 72] recerches, Estant pressé par le roy Loys 11. d'e­mologuer vn Edict qui n'estoit point de iustice, & pour ce qu'il ne le vouloit faire estant menacé par ce Roy là de la mort, & tout le parlemēt aussi, s'habilla, & auec luy tous les Senateurs de Paris de robbes rouges, & en cest equippage s'en alla trouuer le Roy qui estoit courroucé outre mesu­re. Le Roy esmerueillé de les voir en vn tel habit horsde saison, les enquit de ce qu'ils cerchoyent: Surquoy la Vaquerie respōdant pour tous, Nous cerchons la mort (dit-il) Sire, de laquelle vous nous auez menacez si nous ne confirmiōs vostre Edict. Estans tous appareillez de la souffrir plu­stost que de faire chose contre nostre deuoir & conscience.

L'hist.

Cestuy-cy n'auoit garde de faire le sem­blable, il prend trop de plaisir à toute sorte d'in­iustice pour s'y vouloir opposer. Mais pour re­tourner à mon histoire, Ain si que le Roy alloit au palais, vn gentil-homme fur recognu en la trou­pe pour Huguenot, & aussi tost tué, assez pres du Roy (qui en se renirant pour le bruit, ayant enten du que c'estoit) Passōs outre, dit-il, pleust à Dieu que ce fust le dernier [...].

Ce iour de mardi, & autres iours suyuans, il y eut peu de Huguenots tuez dans Paris, Car aussi y en auoit-il peu de demeurez de r [...]ste.

Quelques Catholiques, prindrent la hardiesse de sauuer la vie à aucuns de leurs anciens amis & parens. Entre autres, Feruaques la voulut sauuer au capitaine Monins, pour lequel il alla prier le Roy, & pour tous ses seruices passez, de luy don­ner [Page 73] la vie qu'il luy auit sauuee iusques à l'heure, mais ce fut en vain, car le Roy luy commanda de tuer Monins, si luy mesme ne vouloit mourir de la main de Charles. Feruaques eut horreur du faict (quoy qu'il fust fort aspre ennemy des Hu­guenots, & qu'il en eust tué & saccagé plusieurs de sa main les iours precedens) pour l'amitié par ticuliere qu'il portoit à Monins: toutefois il fut contraint de descouurit où il estoit caché, auquel aussi tost fut enuoyé vn tueur qui le depescha.

Le semblable est auenu à quelques autres Hu­guenots, lors qu'ils cuidoyent estre eschappez.

Le ieudi 28. iour d'Aoust, fut celebré dans Pa­ris vn Iubilé extraordinaire, auec la procession ge nerale, à l aquelle le Roy assista: ayant premiere­ment solicité (mais en vain) le roy de Nauarre par douces paroles, & le prince de Condé par me naces de s'y trouuer.

Le mesme iour furent publiees des letres patē tes du Roy, par lesquelles ouuertement il decla­roit, qu'il ne vouloit plus vser de paroles couuer­tes, ny de dissimulations: Que la tuerie des Hu­guenots auoit esté faire par son commandement: à cause d'vne maudite conspiration faite par l'A­miral, contre luy, sa mere, ses freres, & autres prin ces & grans seigneurs de la cour, n'entendāt pour tant que les Edicts de pacification fussent moins que bien obseruez: auec rel si toutes fois, que les Huguenots ne feroyent faire aucuns presches, ny assemblees, iusques à ce qu'autrement y fust pour ueu.

Au premier exemplaire desdictes letres, le roy [Page 74] de Nauarre ny estoit pas compris: mais sachant bien qu'on tireroit de luy tout le tesmoignage qu'on voudroit, il sembla bon au conseil de l'y nō mer.

Ces letres patentes, furent euoyees par cour­riers expres à tous les gouuerneurs de la France, auec d'autres lettres particulieres du Roy de mes me sustance: Excepté qu'il y estoit adiousté vn commandement, Qu'incontinent les lettres re­ceués, les gouuerneurs fisset tailler en pieces tous les Huguenots que lon trouueroit hors de leurs maisons. Aucuns Huguenots (que la peur auoit fait sortir hors de leurs maisons) entendans ce mandement, se retournoyent mettre dedans: les autres qui ne s'y osoyent fier, & se trouuoyent dehors, soudain estoyent tuez, autres prins à ran­çon: Mais à la fin, ceux qui obeissans au mande­ment s'estoyent retirez en leurs maisons, ne fu­rent pas de meilleure condition que les autres. Et toutefois les gouuerneurs ayās receu lesdictes lettres, donnoyent à entendre, qu'ils ne recerchoy ent d'entre les Huguenots, que les coulpables de ceste derniere conspiration de l'Amiral: que quāt au passé, ils n'y vouloyent pas seulement toucher, n'y s'en souuenir.

Mais pource que peu de iours apres fut adiou sté ausdictes letres, que les prisonniers fussent de liurez, & que nul ne fust fair doresnauant prison­nier, excepté ceux qui és guerres ciuiles de la Frā ce, auoyent eu quelque charge pour les Hugue nots, manié affaires, ou autrement en auoyent eu intelligence: desquels si aucun estoit pris, on l'eust [Page 75] à remetre entre les mains du gouuerneur de la ville, ou du pays, qui entendroit du Roy ct qu'il luy plairoit d'en ordonner. Et toutefois on voyoit que les prisonniers n'estoyēt point deliurez, ains tous les iours en emprisonnoit-on de nouueaux. Plusieurs d'entre lesdicts Huguenots moins cre­dules que les autres, ont pensé faire plus sagemēt de sortir vistement hors de France que d'y demeu tor plus longuement: mais ils n'ont pas si tost e­sté hors du Royaume (cōbien qu'ils se soyent re­tirezés terres cōfederees au Roy) que ses officiers en beaucoup d'endroits, leur ont saifi & anno­té leurs biens, les ont confisquez, vendu les meu­bles d'aucun [...], & d'aucuns autres saccagez & pil­lez.

Or pour retourner aux choses de Paris, le Roy le 5. iour du mois de Decembre, ayant fait ve­nir à soy Pezou Bouchier (l'vn des conducteurs des Parisiens) luy demanda, s'il y auoit encores dās la ville quelques Huguenots de reste: A quoy Pezou respondit, qu'il en auoit ietté le iour aupa­rauant six vingts dans l'eau, & qu'il en auoit enco res entre ses mains autant pour la nuict venant: Dequoy le Roy grandement resiouy, s'en print à rire si fort, que ne le scauriez croire.

Le 9. iour de Septēbre, le Roy esmeu de peur, & de cholere tout ensemble, iurant & blasphe­mant qu'il vouloit tuer de sa main propre tout le residu des Huguenots, commanda qu'on luy ap­portast ses armes, se fit armer, & fit venir à soy les capitaines de ses gardes, disant que par la mort-Dieu, il voulo it commencer à la teste du prince [Page 76] de Condé. Adone la Royne regnante s'agenouil lant deuant luy, le supplia qu'il ne fist point vne chose de si grande consequence, sans l'auis de son conseil. Le Roy aucunement vaincu des prieres de sa femme, souppa & dormit auec elle: Le ma­tin venu (ce feu luy estant vn peu passe) il fit ve­nir le prince de Condé, auquel il proposa troi [...] choses, la messe, la mort, ou prison perpetuelle: & qu'il aduisast laquelle des trois luy agreeroit le plus. Le prince de Condé respōdant luy dit, Que moyēnant la grace de Dieu, il ne choisiroit iamais la premiere: les deux dernieres, il les laissoit (a­dres Dieu) à l'arbitrage & disposition du Roy.

Vray est qu'ayant entendu qu'on luy preparoit vne chambre à la Bastille (où lon a accoustumé d'emprisonner les Princes) i'ay ouy dire, que ce ieune prince de Condé, a changé du depuis d'a­uis.

Peu de iours apres, on a imprimé auec priuile ge du Roy, certains liures mordans & plein d'in­iures, contre l'Amiral: esquels nommément est disputé & maintenu, qu'il a esté loisible au Roy de traiter ainsi ses suiets, pour la religion violee, ne plus ne moins que furent chastiez les sacrifica teurs de Baal. Mais de la coniuration de l'Ami­ral, point de nouuelles, ces liures n'en dient rien de particulier: & les cōseillers & courtisans à qui i'en ay parlé auant mon depart (entre autres mes­sieurs de Foix, & de Mal-afsise) s'en moquent: di­sans par leur fov, que ç'a esté vne galante couuer­ture: recognoissant le faict si barbare & diaboli­quement cruel, qu'on ne luy peut donner autre ti [Page 77] tre (toute fois il est mal caché, à qui le cul paroist.) Mais quoy qu'il en soit, ils disent, que le Roy veut qu'on croye, qu'il y a eu de la coniuration. Ettout ce qu'il y a de bon c'est, qu'ils ont nommé le roy de Nauarre, entre ceux que les Huguenots vou­loyent tuer.

Le pol.

C'a esté vne sotte inuention que celle-la, pour faire croire la conspiration: & encore me semble plus estrange, puis qu'ils se vouloyent ser uir de ce pretexte, pourquoy le Roy a mandé à tous ses officiers, que quoy qu'il en puisse adue­nir, il ne veut qu'il y ait autre religion que la siene en son Royaume: & cependant il veut faire croi­re aux Princes estrāgers, qu'il veut entretenir l'E­dict de pacification.

Ali.

Ie ne trouue cela estrange: car le diable, ny ses enfans, ne se scauroyent aider que de leurs ou tils: à scauoir, du mensonge, ce qui est vne grande consolation pour les esleus, sachant que la verité surmonte.

Phi.

Tu vois cependant Alithie, quel blasme on nous met à sus, & la façon dont ont nous traicte, & le tout pour l'amour de toy.

Ali.

Ce n'est pas chose nouuelle, de voir mes a­mis hays, blasmez, calōniez, batus, & le plus sou­uent tuez. Vne infinité d'histoires tant prophanes qu'ecclesiastiques & sainctes, nous font tresentie­re foy, que ce n'est que leur ordinaire. La verité (ce dit l'autre) engendre haine: La croix est com­me collee à l'Euangile. Vous pleurerez, dit Iesus Christ en vn mot, & le monde rira.

L'hist.

Pour conclusion, par toute la France où le [Page 78] Roy a pouuoir, qui ne veut aller à la messe [...] faut qu'il meure, ou qu'il fuye secrettement hors d [...] Royaume: Et croit-on que depuis le 24. d'Aoust iusques à maintenant, il y a cu plus de cent mil­le personnes Huguenotes tuees part toute la France, sous pretexte de leur conspiration: Encores ne sont-ils pas saoulez, leur cholere n'est point assouuie.

L'egl.

O Dieu tout-puissant, ô pasteur d'Israel, ius ques à quand fumeras-tu contre l'oraison de ton peuple? Tu l'as repeu de pain de larmes, & l'as abbreuué de pleurs. Tu nous as mis en querelles contre nos plus prophes, & en moqueries parmi les nations. Tu as transporté ta vigne d'Egypte, tu l'as plantee, & luy as preparé le lieu, afin qu'el­le y prinst racines & s'estendit, en remplissant la terre: Pourquoy dōc as-tu rompu ta haye, la bail­lant en proye aux passans? pourquoy a elle e [...]é consumee par le sanglier, & deuoree par les be­stes sauuages? Les gens sont entrez en ton herita­ge, ils ont baillé les corps de tes seruiteurs en vi­ande aux corbeaux & la chair des bien viuās aux bestes de la terre. Ils ont espars le sang des tiens, & n'y auoit aucun qui les enseuelist. Iusques à quand Seigneur, te courrouceras-tu? ton ire sera­elle pour tamais embrasee? Respan Seigneur tes indignations, sur les gens qui ne te cognoissent point, & sur les royaumes qui n'inuoquent point ton Nom: car ils ont presque esteinte toute la po­sterité de Iacob, & ruiné sa demeure. Que la ven­geance du sang de ceux qui te reclamoyent espan du contre tout droict, soit cognue par toute la [Page 79] terre: Vueilles, grand Dieu, auoir esgard aux cris & gemissemens de tant de poures vefues, & de po ures enfans orphelins. Souuienne-toy des plain­ctes des pri onniers. Reserue en vie selon la gran deur de ta force, tes enfans destinez à la mort. Et rends à nos voisins sept fois au double, l'outrage duquel ils t'ont diffame, Seigneur.

Phil.

Amen.

L'hist.

Encore n'est-ce pas tout: Car comme ie di sois tantost (lors que tu m'as interrmpu) quel­que grande tuerie qu'ily ait eu en France, la cho lere du Roy ne passera iamais, pendant qu'il y au ra vn Huguenot en vie. Encore iure-il par le ven­tre Dieu, qu'ils ont beau faire, que la Messe ne les sauuera ia.

Ali.

Iamais en sa vie il n'a dit parole plus verita­ble: Mais comment l'entend il ie te prie?

L'hist.

Il n'a garde de l'entendre comme les Hu­guenots l'entendent, qui maintienent que le Pa­pe, nostre bonne intention, nos bonnes oeuures, les merites des Saincts, le bois de la saincte croix, les grans perelinages, l'eau beniste, la saincte & di gne messe, & tout cela ensemble, & chacun d'eux seul & pour le tout, ne nous peut sauuer: ains seu­lement Dieu par sa pure grace, & par la miseri­corde qu'il fait à ceux qui esperēt en luy, despouil lez de toute arrogance & fierté, humiliez & abba tus par le sentimēt de leurs fautes, & appuyez sur le seul merite de la mort & passion de nostre Sei­gneur Iesus Christ. Il n'a di-ie, garde de parler de ce salut-là, il n'y pense pas.

Ali.

Ie le croy. Il appert euidemment par ses [Page 80] oeuures, qu'il n'en a ny soin ny cure: Et toutefois si y faut-il penser, Historiographe mon amy, & y entendre continuellment: ce doit estre nostre principal but. Mais s'il plaist à Dieu, nous en par­lerons à loisir, deuāt-que nous-nous laissions l'vn l'autre. Tu entendras possible, ce que tu n'as ia­mais appris, quoy qu'il semble que tu en ayes ouy parler quelque fois: Pour maintenant il est que­stion de poursuyure ton histoire, & de nous dire (si tu le scais) comme c'est que le Roy entend ce que tu as dit.

L'hist.

Ie te le diray tout à ceste heure, & t'escou­teray quand tu voudras: aussi bien ne scay-ie dire (quand il est question de salut) où c'est que i'en suis. L'ignorance de nos curez, & la nostre, nous a logez touchant cela, chez Guill ot le songeur (cō me on dit.)

Le pol.

Ie seray s'il te plaist de la partie, Alithie, aussi bien ne voy ie point de religion, ne de voye de salut, ains plustost tout arheisme, & che­min de perdition parmi nous. On a beau se dire tres-chrestien, il est tout clair qu'on ment fausse­ment.

Ali.

le suis bien aise de vous voir en chemin de vouloir apprendre, nous en parlerōs plus à plein Dieu aidant: Pour ceste heure oyons l'Historio­graphe sur son interpretation, & le reste de son discours.

L'hi.

Comme ie vous ay dit, il y a des Huguenots en grand nombre, qui sont eschappez de la tue­rie, tous lesquels peuuent estre repartis en deux especes: l'vne sera de ceux qui s'en sont fuys hors [Page 81] la France, l'autre, de ceux qui y sont demeurez. Ceux qui sont sortis, se sont retirez en Suysse, en Allemagne, en Angeleterre, & es Isles qui [...]uy sont suiettes. A ceux-cyle Roy ne touche que par le­tres, messagers, & autres menees: taschant (com­me bon pere de famille qui a soin de ses enfans) de le faire reuenir en lieu où il les puisse trouuer quand il voudra: pour la pitié qu'il a des disettes & necessitez qu'ils endurent estans hors de leurs maisons, esquelles il desire (ce disent ses letres) qu'ils reuienent, pour pouuoir iouyr de leurs biēs en se conformant à sa volonté, & faisant ce qu'il commandera. Ceux qui sont demeurez en Fran­ce, outre les morts, sont de diuerses conditions. Les vns se sont retirez dans des villes fortes, com­me vous diriez dans Montauban, Sancerre, Nys­mes, la Rochelle, & dans certaines autres villes. Contre ceux-cy le Roy a enuoyé ses freres pour les exterminer s'il le peut faire: pource qu'ils n'ōt pas voulu laisser entrer dans les villes où ils sont, ceux qui y alloyent pour les tuer de par le Roy, & qu'ils leur ont ferme les portes.

Ali.

O poures gens! leur condition sera-elle don ques pire que des bestes, à qui nature apparent de se conseruer, les armant en diuerses sortes pour leur deffense? seront-ils pirement traictez que l'es claue, à qui outre le droict de nature, celuy des gens, voire la loy ciuile, permet de fermer l'huis au nez de son maistre, s'il cognoist qu'il le vueille tuer?

L'hist.

Ie ne scay qu'en dire: mais sur toutes les villes, il en veut à celle de la Rochelle.

Le pol.
[Page 82]

Elle l'a eschappé belle ceste poure Rochel le: Car si tu ne le scais, ie t'ose drie pour certain, que l'armee de mer de Strossy, & du Baron de la garde, qui estoit en Brouage pres de la Rochelle il y auoit plus de quatre mois, pour attendre (ce disoyent-ils en secret) la flotte d'Espagne, & la cō batre comme aussi l'Amiral le pensoit) & de là, singler à Flessinghe, ne taschoit qu'à surprendre la Rochelle à poinct nōmé: & plus de deux mois auant la tuerie de Paris, la Royne-mere auoit en­uoyé à Strossy vne lettre escrite de sa main propre bien cachetee, luy deffendant par vne autre letre qu'il receut la premiere, de ne point ouurir ce­ste-la, iusques au 24. iour d'Aoust: Or les mots de la lettre que Strossy ouurit le 24. d'Aouft, e­stoyent,

STROSSY, ie vous auertis que ce iourdhuy 24. d'Aoust, l'Amiral, & tous les Huguenots qui estoyent icy auec luy, ont esté tuez. Partant auifez diligemment à vous rendre maistre de la Rochel le, & faites aux Huguenots qui vous tomberont entre les mains, le mesme que nous auons fait à ceux-cy. Gardez vous bien d'y faire faute, d'an­tant que craignez de desplaire au Roy, Monsieur mon fils, & à moy. Et au dessous, CATHE­RINE.

Ie te laisse à penser, si Dieu les a bien gardez.

L'hist.

I'auoy' Bien tousiours creu, que l'armee de Strossy n'estoit pas pres de la Rochelle pour ne­ant: & que les soldats qui estoyent à l'entour par mer & par terre, mangeans, forçans, & pillans le bon homme, ne taschoyent qu'à se rendre plus [Page 82] forts dans la Rochelle, pour la surprēdre, & y me­ner les mains basses, & scauoy' bien qu'ils y auoy­ent failli deux ou trois fois: voire mesmes i'ay biē sceu, que le iour du massacre fait à Paris, il estoit entré dans la Rochelle, plus de deux cens soldars de Strossy, auec armes, faisans semblant de faire racoustrer leurs harquebouses, ou d'acheter quel ques viures, & munitions: lesquels pour quelque frayeur qui les surprit, craignans que ceux de la Rochelle (ialoux des priuileges & libertez de leur ville qui les exēptent de garnison) ne se doutas­sent des desseins de Strossy, s'enfuyrent en tapi­nois tout bellement hors de la ville. Mais ie n'a­uoy' encores rien sceu de ceste letre, ie n'ay garde d'oublier à la mettre en mes memoires: Voila de merueilleux traicts. On a raison de dire qu'il y a eu coniuration: Mais ç'a esté contre les Hugue­nots. Poures miserables! il faut bien dire que la deliurāce de ceux qui sont demeurez de reste, est miraculeuse, ayant esté si subtilement trahis! Mais pour retour nerà eux: outre ceux qui se sont retirez és villes & lieux de seureté, il y en a d'au­tres qui ne s'y sont pas retirez, ou pource qu'ils n'ont peu, ou pource qu'ils n'ont voulu, ou ose s'y retirer.

De ceux cy, les vns (mais en petit nombre) se tienent coys & couuerts en leurs maisons, & sans aller ny à messe ny à matines, prient Dieu vn cha­cun chez soy: bien secretement toutefois, de peur d'estre surpris, attendans qu'on les accommode (c'est le mot dont vsent les tueurs.)

Les autres, s'en vont à la Messe de gayeté de [Page 84] coeur, & comme à l'enuy l'vn de l'autre, blasphe­ment, despitent, & renient mille fois le iour, pour monstrer qu'ils n'en sont plus, faisans en tout le surplus, des vilenies, & des maux, plus que ie ne t'en scauroy' reciter: vne grande partie de ceux­cy, porte les armes contre les autres Huguenots, mais le Roy ne s'y fie pas beaucoup. Et les autres vont aussi à la Messe, mais contre leur gré, & par force, comme il est aise à iuger à leur mine & con tenance, tant ils sont abbatus & contristez, & si n'osent bonnement parler l'vn à l'autre, ny se laisser rencontrer par les rues, ou en leurs maisons deux à la fois. I'estime que c'est de ceux-cy des­quels le Roy parle, quand il dit, Que par la mor-Dieu, la messe ne les sauuera pas, & possible en­tend-il aussi parler des autres qui monstrent d'y aller de plain gré, & par despit:

Alith.

Ie ne doute pas qu'il ne parle de tous les deux. Quel piteux & miserable estat, ne se conten ter point de tuer le corps, si on ne pert l'ame quād & quand: & ne se contenter point de tuer l'ame, si le corps n'est aussi meurtry!

O Seigneur, iusques à quand?

L'egl.

Benit sois-tu, Seigneur Dieu de nos Peres, ton nom est louable, & digne d'estre glorifié à ia­mais. Tu es iuste en toutes les choses que tu as faites: es voyes sont droittes: tous tes iugemens par lesquels nous sont aduenues toutes ces cho­ses, sont droituriers. Nous auons contreuenu à tes loix, nous n'auons point escouté ny gardé tes commandemens. Nous nous sommes par trop desbordez en delices, & auons cerché en la cour [Page 85] de grans (d'où par Edict solennel ta verité auoit esté bannie) les honneurs & les alliances.

Tu as vsé d'vn vray iugemēt, en toutes les cho ses que tu as fait venir sur nous, nous liurant aux mains de nos ennemis, qui sont sans loy, & tres­meschās traistres, & à vn Roy iniuste, & res-mau uais, par dessus ceux de toute la terre. Nous som mes liurez à mort pour l'amour de toy tous les iours, & sommes estimez cōme brebis de la bou­cherie: Nous te prions que' tu ne nous liures pas ainsi à tousiours. A cause de ton Nom, ne dissipe point ton alliance, ne nous cōfonds point du tout mais fay-nous selon ta douceur, & selon la gran­deur de ta misericorde, afin que la semence des tiens que tu as reseruez, croisse, vegete, & multi­plie, en nombre, zele & vertu. Seigneur, tu t'es ser ui autresfois de l'instrument de persecution, pour l'accroissemēt & augmentation de ton troupeau, qui venoit seulement de naistre & s'assembler en Ierusalem, lors que tu l'espardis par la Iudee & Sa marie: fay, Seigneur, que le reste des tiens que tu as espars maintenant en regions lointaines & pe­regrines par ceste horrible dissipation, continue tousiours en ton seruice, seruant d'exemple & edification aux nations qui lesont recueillis, & por­tant doucement l'exil: recognoissent que toute la terre t'appartient, qu'elle toute n'est qu'vne seule cité, de laquelle l'hōme est bourgeois passager, en quelque climat qu'il habite: ou plustost Seigneur, donne leur de cognoistre, que nous n'auōs point icy de cité permanente, afin que cerchans la cité à venir, ils perseuerent en l'esperāce de la vie biē [Page 86] heureuse, que tu nous as acquise par le precieux sang de Iesus Christton Fils nostre Seigneur. Et en rendans leur vocation certaine, par bōnes oeu ures & la saincte conuersation (que tu as ordon­né aux tiens, afin d'estre glorifié en eux) qu'ils cō siderent les fascheuses & frequentes peregrina­tions d'Abrahā, d'Isaac & de Iacob qu'ils iettent l'oeil surton Fils vnique, ton Bien aimé, fuyāt de nu [...]ct, tost apres sa naissance, en Egypte, auec sa Mere-vierge, sous la conduite de Ioseph, pour of chapper les mains d'Herode, qui cérchoit la vie de l'enfant. Fays entendre à tous les tiens, que tu chasties ceux que tu aimes, afin qu'il ne leur sem­ble estrange, comme si quelque chose nouuelle leur arriuoit, quand ils seront par feu, par glaiue, ou exil, examinez pour faire preuue de leur foy: que plustost estans faits participans des passions de tō Fils Iesus Christ, & iniuriez pour son Nom ils s'en resiouissent, en attendant que ceux qui cer chent l'ame de l'enfant, soyent morts. Cependant dōne-leur iugement & prudence, afin qu'ils ne se laissent plus endormir ne piper, à la voix de ce Pseudo-pere de famille, aux larmes de ce croco­dile, qui sous vne feinte pieté, ne cerche qu'à les deuorer & destruire. Garni les aussi Seigneur, de bon courage, & de force, par lesquels surmontans en vraye foy & charité toutes les difficultez qui leur seront presentees, eux qui sont eschappez du naufrage, s'efforcent de tout leur pouuoir & moy ens d'en retirer leurs freres: d'aider & secourir ceux que les dangers de mort enuironnent, que l'armee de Pharao, que ce nouueau Sennacherib, [Page 87] & Rabsaces le prophane poursuyuent.

Seigneur, nous auons ouy de nos oreilles, nos peres nous ont raconté les oeuures que tu as fai­tes en leurs iours en Egypte, aux deserts, en la ter­re où tu les auois introduits: comment tu as de ta main dechasse les nations, & abbatu les plus grās qui empeschoyent les tiens de iouyr du repos pro mis.

Ils ne conquesterent point le terre par leur glaiue, leur bras ne les a point sauuez: mais ta dex tre, ton bras, & la lumiere de ta face les deliura, pourtant que tu les auois prins en amour. Il est bien vray Seigneur que par leur deffiance t'ayans irrité grandement, plusieurs d'entr'eux moururēt au desert, voire ton seruiteur Moyse, que tu leur auois donné pour liberateur: mais tu ne laissas pourtant d'accomplir en leur enfans par Iosué, tout ce que tu auois promis à leurs peres par Moyse.

O Seigneur, nous auons peché, nous t'auons offensé: tu nous as aussi deboutez, tu nous as dis­sipez & t'es courroucé amerement, nous mettant comme en vn train de ruine irreparable. Iu as traité ton peuple rudement, & l'as abbreuué de vin d'estourdissemēt: mais depuis, tu as donné v­ne baniere à ceux qui te craignent, afin de l'esle­uer en haut, pour l'amour de ta verité. Fay Sei­gneur, que tes Israelites n'esperēt plus au bras de la chair, en leurs armes, ou autre puissance humai ne, ains en toy seul, Dieu des armees, le fort des forts: sachant que c'est en vain qu'on edifie la naison si tu n'y mets la main, & que c'est en vain [Page 88] qu'on veille, si tu ne gardes la cité. Toy qui par les raines, par les poux, par les sauterelles, & autre telle gendarmerie, as fait trembler cest anciē Pharao dans son lict, & luy faisant sentir ta main for­te, lors qu'il poursuyuoit tes enfans, l'as enseuely dans les eaux auec toute son armee: faisant passet les tient à sec.

Toy Seigneur Dieu d'Israel, qui es assis sur les Cherubins, tu es le seul Dieu de tous les Royau­mes de la terre, tu l'as faite, & le ciel aussi. Sei­gneur, encline ton oreille, & oy: ouure les yeux, & regarde. Escoute les paroles de Sennacherib, & de ce ieune Rabsaces confit en blasphemes, qui en t'appellant au cōbat demande, Où est le Dieu, le Fort, Gardien de ce petit troupeau. Il est vray, Seigneur, que les rois des Assyriens ont destruit les Gentils & leur terre, & ont mis au feu les di­eux d'iceux. Car ils n'estoyent point dieux, mais ouurages des mains des hommes, bois & pierres, pourtant ils les ont destruits: mais ceux-cy, Sei­gneur t'iniurient, ils te blasphement & despitent, esleuant leurs voix contte toy, sainct d'Israel, se­vantās qu'ils raseront toutes les villes sur lesquel les ton Nom est inuoqué, & qu'ils en effaceront la memoire de dessus la terre. Seigneur, si les as­tu faites & formees, & as planté au milieu d'icel­les le sceptre de ta parole, pour lequel arracher, on les poursuit. Ne les meine pas donc à desola­tion, deffen-les plustost, Pere sainct, à cause de tō honneur & gloire, qui est coniointe à leur deli­urance.

Enuoye ton Ange Seigneur, l'Ange que tu en­uoyas [Page 89] contre ce Sennacherib, ou suscite vne Iu­dith contre cest Holoferne, pour la deliurancede ta Bethulie. Ne te tiens plus arriere de nous, & ne te cache point au temps de tribulation: Car le meschant auec orgueil poursuit le poure, & s'es­gaye quand toutes choses luy succedēt à souhait. Il est tant fier, qu'il ne se soucie point de ta maie­sté, Seigneur, ains toutes ses pensees sont, qu'il n'est point de Dieu. Sa bouche est pleine de mau disson, de fraude, & de tromperie, sous sa langue gist moleste & nuisance: Il se tiēt aux embusches, il occit l'innocēt aux lieux cachez: ses yeux aguet tent le desolé, & dit en son coeur, Dieu l'a oublié, & a caché sa face afin que iamais ne levoye. Leue toy doncques Seigneur, hausse ta main, casse le bras des meschans, pren le bouclier & la targe, pour secourir ceux qu'ō persecute pour tō Nom. Tire hors la lāce, & serre le passage à ceux qui les poursuyuent: qu'ils soyent comme la paille expo­see au vent, leur voye soit tenebreuse & glissante, & que ton Ange les poursuyue à iamais. Et pour autāt Seigneur, qu'il y a encores quelques vns de tes enfans, qui comme Daniel en Babylone t'ado rent & t'inuoquent, mais non point auec telle har diesse de foy, craignans comme vn Helie d'estre demeurez seuls en toute la terre: Toy Seigneur, qui es pres de ceux qui sont rompus de coeur, & sauues ceux qui sont brisez d'esprit. Qui as ton oeil fiché sur ceux qui te craignent, & qui s'atten­dent à ta bonté, afin de retirer leur ame de mort & les preseruer en vie au temps de l'aduersité Tien-les tousiours en ta reserue, auec les sept mil [Page 90] hommes qui n'ont pas flechi le genouil deuant Baal. Fortifie-les, Seigneur, comme tu renfor­ças iadis par ton Esprit ton seruiteur Daniel. Pre­serue-les comme les trois enfans en la fournaise, afin qu'ils n'adorent l'image de ce grand Nabu­chodonosor. Chasse-le plustost Seigneur, arrie­re des hommes, son habitation so [...]t au [...]e les be­stes des champs. Qu'on le paisse d'herbe com­me les boeufs, iusqu'à ce qu'il te recognoisse pour souuerain dominateur, Roy des Rois, & Seigneur des Seigneurs, establissant les dominations, & les donnant & ostant à qui & quand bon te semble. Quant a ceux, Pere de misericorde, qui comme brebis sans pasteur entre les loups affamez, pour l'infirmité de la chair & foiblesse de leur foy, fout de leur corps vn hommage contraint à ce mor­ceau de paste transsubstantié en chair, à cest acci­dent sans subiet, forez (par l'erreur commun qui a obtenu lieu de loy) d'aller à la Messe, pour sau­uer leur vie & leurs biens: Monstre-leur, Sei­gneur, & leur fay sentir viuement & à bon escient en leur coeur, combien ta gloire & ton honneur nous doyuent estre plus recommandez que no­stre propre vie. Fay-leur cognoistre l'outrage qu'ils ont à ta maieste, adherant tant soit peu an seruice des faux dieux, que Dauid ne vouloit pas seulement nommer par sa bouche.

Que l'impudicité est trop grande de la femme, qui apres s'estre oubliee, lors que son mari la chastie recourt soudain à son paillard.

Que tu vomis les tiedes, & ne prēs point plai­sir à ceux qui clochent de deux costez.

[Page 91] Que qui aime sa vie, son pere, sa mere, ou ses biens, plus que ta gloire & ton honneur, n'est pas digne d'estre des tiens. Toy Pere, qui nourris les corbeaux, & donnes robbes somptueuses aux lys des champs deuant nos yeux.

Qui as nourriton peuple au desert de la man­ne tresprecieuse, les entretenans vestus comme tes mignons & tendrets. Arrache de tes enfans la deffiance de disette, que le diable, le monde, & la chair, impriment dans le coeur des hommes. Ramentoy-leur Seigneur, les merueilles queton Fils nostre Seigneur Iesus Christ fit, en repais­sant abondament ceux qui oublians eux mes­mes, le suyuoyent, pour ouyr sa voix, comme les brebis leur pasteur.

Monstre-leur que ton bras puissant est tou­siours semblable à soy-mesme, sans diminuer ou accourcir: sinon autant que nostre ingratitude & deffiance, diuertit ou empesche le cours de tes benedictions & graces. Et pour autant que la faute que les tiens commettent en cest endroit, est grande & detestable, Toy Pere, qui ne veux point la mort du pecheur, ains demandes qu'il s [...] conuertisse & viue.

Conuerti les à toy Seigneur, ne leur imputant point leurs fautes. Touche leur le coeur cōme tu fis à Pierre te reniāt, afin que recognoissans l'horrible faute qu'ils commettent, ils s'humilient de­uant toy, gemissent & pleurēt pour leurs pechez: & ainsi releuez par ta main, qu'ils se mōstrēt forts & puissans, à sousleuer leurs freres infirmes. Ou­ure leur aussi la voye Seigneur, afin qu'ils puissét [Page 92] bien tost sortir de Sodome, deuant que ceux qui leur font quitter l'heritage du ciel pour vne escu­elle de lentilles, executent leur coniuration & desseins. Qu'ils n'ayēt point regret de laisser les aulx & les oignons d'Egypte, sachans combien plus vaut vn peu de pain auec ioye & contentemēt de conscience, qu'vne maison pleine de richesses a­uec vne inquietude & continuel tourment d'e­sprit.

Que trop mieux vaut en toutes sortes
Vn iour chez toy, que mille ailleurs:
Et sont les estats trop meilleurs
Des simples gardes de tes portes,
Qu'auoir vn logis de beauté,
Entre les meschans arresté.

Qu'ils ayent memoire (en considerant leur mise­rable condition) de ce poure enfant prodigue, & qu'à son exemple, ils laissent la viande aux pour­ceaux: s'asseurans que toy grand Pere de famille, es prest à les recueillir, & à les traicter & entrete­nir, tout ainsi que ceux-là qui n'ont bougé de ta maison. Les autres qui d'vne gayeté de coeur ont delaissé ton sainct seruice, communiquans à tou­tesinfametez: voire Seigneur, en te faisant la guer re, se font adioints à ces tueurs, s'il y a encores quelque reste de misericorde pour eux, si parmi ceux-ci se trouuent quelques vns de tes eleus, aye pitié Seigneur, aye compassiō d'iceux, les faisant retourner en ta saincte famille, de laquelle ils sōt foruscis. Abba-les Seigneur, & les atterre, com­me iadis tu fis Saul, qui persecutant tō fils en ses membres, seruit apres sa conuersion de bon tes­moin [Page 93] à ta verité eternelle: afin qu'apres l'estonne ment, estans par toy releuez & soustenus, ils ser­uent plus ardemment à ta gloire, qu'ils n'ont fait par cy deuant. Que si c'est malicieusement con­tre ta verité cognue qu'ils se bandent, s'obstinans à leur escient à te faire outrage, mon Dieu, fay les semblables à la roué, & au tourbillon: poursuy­les par terreur & espouuantement: rempli leurs faces de mespris, & darde sur eux ta cholere: fay pleuuoir charbons sur leur teste, feu, soulphre & vent de tempeste soit la portion de leur hanap, a­fin que toute la terre cognoisse, que tu es nostre Dieu & Sauueur.

Et nous alors ton vray peuple & tes hommes,
Et qui troupeau de ta pasture sommes,
Te chanterons par siecles inombrables,
De fils en fils preschans tes faits louables.
Ali.

Ie m'esmerueille grandement, seigneur politic François, considerant le piteux estat de la Frā ­ce (si tu as ta patrie en quelque recōmandation) maintenant qu'elle a plus de besoin de ses vrais amis & bons conseillers qu'elle n'eut oncques, comme c'est que tu as eu le courage de l'abandō ­ner: au lieu de t'employer à guairir sa playe, à la penser, de la frenesie & de la rage qui la mene.

Le Pol.

Ie n'en suis pa [...]ti qu'en pleurant, auec vn regret incredible, preuoyant la prochaine & in­euitable ruine, où va tomber ce poure Royaume, pour l'extreme confusion où il est: laquelle i'ose asseurer estre irremediable, au iugement de tous bons esprits: car (ie me tay de la religion des Hu­guenots en laquelle ie n'ay iamais peu mordre, [Page 94] quelque bonne vie & changemēt de moeurs que i'aye apperceu en mes proches voisins qui en fai­soyent profession, & ie laisse à part ceste barba­re tuerie que l'Historiographe a recité) tout y est tellement conduit, qu'il n'est pas possible de voir vne plus grāde masse de meschācetez, ny vn cha­os plus horrible, soit que tu regardes la Iustice, ou que tu contemples la Police, depuis vn bout iusques à l'autre. Que dy-ie, si tu les regardes: tu aurois beau y regarder, tu ne les y scaurois voit: elles n'y sont pas, pieç'a qu'elles s'en sont allees: on ne les y trouue plus qu'en escrit, on n'y voit que leurs noms & leurs masques. Quant au ser­uice de Dieu que nos peres nous auoyent ap­prins à bonne intention, nos Princes d'auiour­dhuy, leurs courtisans, & à leur imitation vne in­finité d'autres gentils-hommes & de bourgeois & marchands, ne s'en font que rire & moquer.

Le soldat le despite & deteste: la cour pour le di­re en vn mot à l'exemple du Roy, & la plus gran­de partie de Frāce à l'exemple de la cour est plei­ne de blasphemes, d'atheisme, & parmi eux l'epi­curiesme, l'inceste, la sodomie, & toute autre sor­te de lubricité, est vulgaire & familiere. Tu as ouy combien de fois la foy publique (qui deust e­stre vn lien indissoluble pour entretenir la societe humaine) y a esté violee, tellement qu'on ne scait plus à qui lon se doit fier. Nous pensions qu'a­pres tant d'Edicts rompus, celuy de la pacifica­tion derniere, fait au mois d'Aoust en l'an 1570. seroit à la fin obserué. Nostre poure France com­mençoit d'auoir quelque relasche à fes misere [...] [Page 95] nous voyions ce nous sembloit l'entree de mieux esperer▪ Les Huguenots se comportoyent fort modestement, quelquesoutrages qu'ō leur sceust faire [...]ils aymoient mieux les endurer, que d'vser d'aucune reuenge. [...]lest vray qu'ils recouroyent au Roy & à son conseil, pour la punition de ceux qui les offensoyent: mais combien que le Roy ne fist que le semblat de leur en vouloir faire raison cela les contentoit. Ils remirent les villes que le Roy leur auoit baillé pour leur seureté & retrai­cte durant les deux ans, beaucoup plustost que le terme assigné, entre les mains de ceux qu'il pleut au Roy d'ordonner: qui fut cause que le Roy là dessus, nuoya par tout son Royaume, des letres patentes de confirmation de son Edict de paix, n'oubliant rien de ce que luy & son bon conseil se pouuoyent aduiser pour les appriuoiser: & fai­sant comme le bon faulconnier qui veille les oy­seaux, & vse de toute la diligence qu'il peut pour leur faire oublier leur liberté, & les accoustumer au chapperon. Les principaux d'entre les Hugue­nots vindrent à la cour au mandement du Roy, se resigner entre ses mains, monstrant d'auoir a­greables les tresbō & tresnorables seruices qu'ils luy faisoyent: & est bien certain que si le Roy eust poursuyui à se seruir d'eux comme il auoit com­mencé, il seroit auiourd huy patron de Flandres: & s'il eust sceu entretenir ce parti de religion, il estoit pour estre esleu Roy des Romains, & son beau-pere mourant appellé à l'Empire. Nous pēsiōs que ce tragique mariage du roy de Nauar­re & de la soeur du Roy, qui auoit osté toute def­fiance [Page 96] aux Huguenots, feroit vne confirmation de paix entre nous: quand ce mal-heureux coup d'arquebouse (qui fut tiré à l'Amiral, le mesme iour, comme ie croy, de l'Edict de la pacification derniere, à scauoir le 22. iour d'Aoust, & par ainsi le dernier lour desdeux ans de retraicte asseuree) me fit penser & à beaucoup de mes amis aussi, qu'il y auoit dés long temps de la menee secrette cōtre luy & les autres Huguenots, & que ce coup traineroit apres soy quelque dangereuse queue. Ainsi comme ie le pensoy'il aduint non pas ain­si, Ia Dieu ne plaise que i'eusse iamais pensé, qu'ū si meschant oeuf deust estre ponnu, couué, & es­clos, en la France! Mais tanty a que ie me doutay bien quand & quand, que les choses estoyent pre parees à quelque grād & insigne malheur: tu l'as ouy reciter, sinon du tout, au moins en partie. Ie te laisse à penser maintenant qui est l'homme de bien, qui voulust habiter tant soit peu en France. Quant à moy, & beaucoup de mes amis (bons Catholiques François ie t'en asseure) voyans la desloyauté & bizarreriere du Roy (puis qu'il faut que ie le die) ensemble de son conseil, compose d'vne femme Italiene Florētine, de la maison de Medicis, de pensionaires du roy d'Espagne, de pē sionaires & creatures du Pape, d'Italiens, de Lor­rains, & non d'autres, & le mal sans remede: crai­gnās que demainou l'autre il ne nous en eust fait autant qu'aux Huguenots, si dauenture il en ve­noit enuie au Roy, ou à ses premiers conseillers qui nous en veulent, comme à ceux qui cognois sent leurs desseins & menees, & portent quelque [Page 97] affection au bien de la France. Craignant, dy-ie, que tout à vn coup ils ne nous iettassent le chat aux iambes & la rage sur le dos, comme font ordinairement ceux à qui il prend enuie de tuer leur chien, & que sur cela ils nous fissent nostre proces apres la mort, comme on a fait à l'Amiral: nous auons mieux aimé nous en sortir de bōne heure, que d'y demeurer trop longuement. Sur tout quand nous auons consideré, que de tous les Princes voisins, les vns ne s'en souciēt pas beaucoup, les autres sont bien aises de la ruine de tant de François, de si grands personnes & de si bons seruiteurs du Roy: & prennent plaisir de voir le Roy, se coupper du bras droict le gauche, & au­tres membres de son corps. Ie dy notamment qu'ils y prennent plaisir: car s'ils en estoyent mar­ris, s'ils auoyent regret de voir vn si piteux specta cle, ils s'y opposeroyent de faict, & l'empesche­royent par force de passer outre à se deschirer soy mesme, tout ainsi qu'ō fait à l'amy frenetique qui se veut precipiter, lequel on veille & on retient à force, le liant pieds & mains, quand il blesse, bat, ou tue. Mais quand ie voy que les Potentats voi­sins n'en tienent compte, non pas seulement de luy faire entēdre par letres & ambassades, le tort qu'il se fait, & aux siens, de les massacrer de la sor te: ie dy qu'ils en sont bien aises, & que c'est le doigt de Dieu qui est courroucé contre France: que de quelque costé que le bast vire, il faut que ceste grande & florissante maison de Valoys pre­ne fin, & que ce braue & puissant Royaume, soit transporté à quelqu'autre Prince, ou reparti entre [Page 98] plusieurs. Là dessus, ie scay que le roy d'Espagne entre autres Princes voisins, a de si bonnes intel­ligences en la France: il y a de longue main, de si bons seruiteurs: ses ducats de Castille luy ont tāt acquis de partizans & seruiteurs en France, voire mesme au conseil du Roy (ie ne peux pasdire que le comte de Rets, Lansac, Moruilliers, Limoges, & Villeroy, en ayent pension ordinaire, car on les cognoist bien: ne que la maison de Gonzague no fut iamais qu'Espagnole) Que s'il veut seulemēt employer le prince d'Orenge & le comte Ludo­uic son frere, auec leur credit & leur force (com­me il luy sera bien aisé de les auoir à commande­ment, autāt fideles seruiteurs qu'ils luy furent on ques, en leur laissant & à ses autres suiets la liber­té de leur conscience, & les remettant en leurs biens, priuileges & estats) ie m'asseure que non feulement ils luy rendroyent tous les pays bas raffermis & paisibles, mais aussi en moins d'vn an la France distraitte & alienee pour le iourd'huy de l'amitié de son Roy) toute paisible & à sa deuo­tion.

Et ne faut ia douter que le prince d'Orenge, & son frere, ne s'y employassent volontiers, tant pour le tour que le Roy leur a ioué les mettant en besongne sur sa parole, & les laissant apres au dā ­ger, que pour l'enuie qu'ils doyuent auoirde ren­trer en grace par quelque bonne occasion auec leur prince naturel, & pour le bien & honneur qui leur reuiendroit d'vne si belle entreprise. Quant au roy d'Espagne, il a occasion de se les reconci lier, non seulement pour attraper ceste belle ter­re [Page 99] qui bransle: mais aussi pour raffermir & asseu­rer son estat de Flandres, qui autrement est en voye d'estre perdu, pour la bonne conduite de ce vieil resueur le duc d'albe. Que si le roy d'Espa­gne ne se veut seruir en cest affaire du prince d'Orenge, aimant mieux perdre tout à plat son estat de Flandres, que de le conseruer par son moyen, & en acquerir vn autre: cela s'appelle se courrou­cer contre ses morce aux. Mais quoy qu'il en soit, s'il aime mieux y employer monsieur de Sauove, en luy laissant pour son partage, le Lyonnois, Dau phiné & Prouence, contigus à son estat: ie ne dou te pas que ce Prince, qui a occasion de se ressentir des torts que la France à fait à son feu pere & à luy-mesmes, luy qui est guerrier & sage, & qui a la reputation de garder inuiolablement la foy à ses suiets Huguenots, n'acquiere facilemēt & en peu de temps, sinon tout, au moins la plus grande par tie de France: Surquoy (pour les difficultez & messeances procedantes d'alliances & affinitez que quelques vns pourroyent alleguer, pour des­guiser le mal qui est à la porte) ie diray que les grands n'ont point accoustumé de pardonner à loix d'amitié, d'affinité, ou d'autre confederation quelques ancienes qu'elles soyent, quād il est question d'amplifier & d'estendre leur Empire: ains plantent tousiours les limites de leur terre, là où la poincte de leur espee peut arriuer.

Au demeurant, quant au roy d'Espagne, il n'a pas faute de prises suffisantes sur le Roy. Pour a­uoir suborné les villes de sō obeissāce au pays bas voulu subuertir ses estats par pratiques: entretenu [Page 100] ses rebelles en sa cour, gratifié & honoré en tou­tes sortes. Auoir communiqué auec le comte Lu douic plusieurs fois, & approuué ses entreprises, auec grande attention, contentement, & promes­ses. Luy auoir baillé aide de ses suiets, & permis d'entrer grande troupe d'iceux és pays bas: mar­chās à enseigne desployee par le royaume de Frā ce. Fait faire plusieurs voyages à sainct Remy, & autres, qu'il enuoyoit vers le duc d'Albe, pour l'a muser & tromper, cependant que le Roy donnoit moyen à l'execution des entreprises & mesmes en pratiquoit vne sur Arras, par le moyen du pe­tit Refuge, qui est mort à Paris, luy estant venu dire qu'il enuoyast gens, & qu'il estoit temps, & qu'il ne doutast nullement du moyen de la pren­dre. Pour auoir donné seur accez en ses haures aux Pirates, qui ont depredé ses suiets. Comman dé à ceux de la Rochelle d'administrer viures aux nauires du prince d'Orenge, & librement les lais­ser descharger leurs prises, & les vendre. Permis au veu & sceu de tout le monde, que les Capitai­nes de marine dudict Prince, fissent leurs equip­pages de François, tant de mariniers que soldats. Pour auoir fait des menees & pratiques sur la Frā che-comté. Auoir enuoyé le capitaine Mingue­tiere, recognoistre les descētes du Perou, auec nauire desguisé en marchandise, plein toutefois de soldats, qui fut prins à la Spagnole. Auoir voulu traicter la paix des Venetiens auec le Turc, pour faire tomber toute la guerre sur l'Espagnol: Et pour auoir depuis la mort mesme de l'Amiral, pratiqué par letres & messages le prince d'Oren­ge, [Page 101] chaudement & à bon escient: & plusieurs au­tres, qu'il seroit long à deduire. Voila quant au roy d'Espagne.

Maintenant la royne d'Angleterre, laquelle tiēt la mesme religion en son Royaume, que les Hu­guenots de France: qui a tant de prises nouuelles sur le Roy (afin que ie taise les prises ancienes, que la ligue d'entre elle & le Roy auoit assopies, comme ceste tuerie les peut auoir resueillees) la­quelle peut bien cognoistre auiourd'huy, que ce­ste ligue ne se fit, que pour esblouir les yeux à l'Amiral, & aux autres Huguenots de la France, afin qu'ils se laissassēt mieux prēdre à la pipee. Laquel le cognoist maintenant, comme c'est que le Roy scait garder sa foy promise. Laquelle scait que deux estats voisins ayant quelque cōtrepoids l'vn auec l'autre, ne peuuent auoir amitié ne ligue en­semble autre, que celle que la necessité ou la for­ce y entretient: & que l'vne ou l'autre y defaillāt, il ne faut pas qu'elle s'attende aux promesses de son voisin. Elle qui scait bien, que le Roy deman­doit les Myllords ses plus speciaux conseillers, pour les festoyer (comme vous pouuez penser) en sa cour. Laquelle doit auoir cognu, que tout ainsi que par les nopces de la soeur en France, aussi par celles du frere en Angleterre (s'il y eust peu par­uenir) on se fust efforcé d'y mettre bas le parti de la Religion, & par cōsequent son Royaume en ruine. Qui scait bien que le Roy a tenu & tient iournellement la main à la royne d'Escosse sa belle soeur, non seulement pour la faire euader mais possible pour plus haut dessein & affaire. Que le [Page 102] Roy a voulu & tasché, comme il tasche encores faire enleuer en Frāce le petit roy d'Escosse, pour mettre vn iour à venir toute la grāde Bretagne en vn accessoire dangereux: & qu'il entretiēt la guer re par forces & par menees le plus qu'il peut en Escosse. Elle qui est bien aduertie d'vne entrepri se faite n'a gueres par le cōmandemēt du Roy, sur l'Isle de Gersay, pour y surprēdre & tuer ceux qui y estoyent refugiez sous sa protectiō. Ceste Prin­cesse, à laquelle sans doute tous les Huguenots regardent attentiuemēt, luy adressans leurs prieres & voeus. Ie scay fort bien que toutes les fois qu'el le voudra, il luy sera fort aisé (y employāt vn des Myllords que le Roy demandoit, ou autre tel des grans de son Royaume qu'elle voudra choisir) de se faire maistresse de la terre, dōt elle ne porte que le nom & les armes. Quāt aux Princes & Estats de l'Empire, ne doutez pas s'ils veulent (cōme ils doyuēt) qu'ils ne puissent recouurer maintenant, les terres de Mets, Verdun, & Thou, que le Roy a vsurpé sur l'Empire: & auec ce, passer outre pour se rēbourser des despēs que l'Empereur Charles leur fit faire deuāt Mets, & de ceux qu'il ferōt au recouuremēt de ces terres. A vostre auis, l'Ele­cteur Palatin entre autres Prīces de la Germanie, n'a-il pas occasiō de se ressentir de ce que le Roy taschoit d'attirer en sa cour le duc Christofle, & d'endormir le duc Iean Casimir, par des pensions qu'il luy offroit, pendant qu'il faisoit son apprest pour perdre tous ceux de la religiō: & particulie­remēt l'Amiral, que l'Electeur aimoit singuliere­mēt? Ie diray cela, que quād ce Prince seul se vou dra esuertuer & ressentir de l'outrage fait à l'Ami [Page 103] ral & aux autres Huguenots, & qu'il y voudraem ployer seu lemēt le comte de Māsfeld) auquel, & à ses Reistremaistres est deuë grāde sōme de de­niers par le Roy) le faisant auec vne mediocre ar­mee (sous couleur d'aller querir leur argēt) entrer vn peu auant en France (cōme la chose luy est ai­see) ont ne vit iamais telle cōfusion qu'il y auroit: tout le mōde crieroit le haro & au meurtre, cōtre ceux quisōt cause de ces maux. Voila quāt aux prī ces estrāgers, lesquels me sēblēt auoir vn beau su­iet d'entrer en Frāce. Mais ce que i'apperçoy au dedans, est ce qui me trouble le plus. Ie ne doute point que la maisō de Mōtmorēcy, leurs parēs, a­mis, alliez, & partizās, qui se sentēt vilainemēt in­teressez en la mort de l'Amiral, & de plusieurs au tres seigneurs & gētilhommes qui leur apparte­noyēt de sang, d'alliāce, ou d'amitiē: ne taschēt de se venger en vne façō ou en l'autre, du Roy, de sa mere, de sō frere, de ceux de la maisō de Guyse, & des autres cōseillers, qui ont dressé & fait execu­ter ceste tragedie en la Frāce: ou s'ils ne le fōt, ils sōt les plus ladres, les plus couards, & les plus des loyaux à leur sang (afin que ie ne parle de leur patrie) que gēt ilshōmes furēt onques. De moins ne peuuēt-ils faire, que de se ioindre eux & leurs par tizans, au premier Prince estranger qui branslera pour entrer en France: aussi bien scauent-ils que c'est fait d'eux, & de leur maison à iamais, celle de Guyse ne la lairra ia debout: le Roy mesmes à ce que i'ay entendu, parlant ces iours passez à sa me­re, a biē sceu dire, que par le corps Dieu il n'ay riē fait, s'il n'a les quatre fils Aymon, parlant des qua tres freres de Montmorency. Ils ont beau se tenir [Page 104] escartez, l'vn en Lāguedoc, l'autre à l'isle-Adam, l'autre, çà, l'autre là, l'on a beau faire semblant de n'auoir souci que de la chasse & de la vollerie: les voyages qu'il a faits ē cour, ny tout le visage qu'il y reçoit y estant, ne le garantiront non plus que l'Amiral: & s'il se souuient de l'aduis qu'il donna au comte d'Aiguemont allant en Espagne, & de la faute qu'il fit à ne le croire, il ne s'y fiera. L'au­tre a beau s'employer à ce qu'on luy commande, & les autres ont beau contrefaire les fats & les mi touards: le Roy ne croira iamais qu'ils puissent oublier l'iniure qui a esté faite à leur maison: son conseil est trop fin & rusé, pour se laisser persua­der vne si grande asnerie.

La maison de Guyse, maintenāt qu'elle se voit depestree de ceux qui s'opposoyent à sa grādeur, & lesquels seuls pouuoyent empescher ses des­seins, n'ayant plus que ceux-cy de Montmoren­cy à tuer, pour pouuoir dire, Tout le reste m'ai­me: à vostre aduis s'elle se scaura bien venger des traicts, que la maison de Montmorēcy luy a faits: de ce beau liure des marchands de Paris, que le mareschal de Montmorency fit faire à la Planche contre leur maison: de la peur & honte qu'il fit re ceuoir au cardinal de Lorraine à son entree dans Paris, dont la chanson de fy-fy a prins son origi­ne. Et ie m'asseure s'il ne gaigne le deuant, qu'il sera accommodé comme les autres.

Au reste, à quoy tient-il que ceux de Lorraine (qu'on scait bien estre descendus de Charlema­gne, & priuez de la couronne de France) ne la re­couurent maintenant? Il ne tient ia qu'à vne ha­bileté [Page 105] de main: Que s'ils y veulent aller à force ouuerte (mais qu'il n'en desplaise au Roy) mes­sieurs de Lorraine mettront deux fois plus de gēs en campagne, qu'il n'y en scauroit mettre. Ils ont plus d'amis, & plus de villes partizanes qu'il n'a. Et tenez-vous pour tous asseurez, qu'à [...]out eue­nement, si la couronne de France s'en va perdre, ou changer de maistre, ils l'aimeront mieux sur leur teste, que sur celle d'vn Prince estrāger. Pour ma part, ayant veu le peu de seureté qu'il y a sous le regne d'à presēt, ie l'aimeroy' beaucoup mieux (puis qu'il faut que ie le die) en la maison de Lorraine, que là où elle est. Et diray vne chose que le Huguenot (despité pour iamais, & desgouté en toutes sortes de la maison de Valois) seroit bien aise, voire s'employ eroit (à mon aduis) à ce que la maison de Lorraine recouurast ce qui leur appartient: s'asseurant bien qu'elle lairroit la conscien­ [...]e du Huguenot libre & l'exercice de sa religion, & luy garderoit la foy qui luy auroit esté promi­se: se souuenāt du malheur que la desloyauté au­roit apporté à son maistre. Desia ont-ils donné quelque occasiō aux Huguenots, de croire qu'ils ne leur sont pas si aspres comme on crioit. Ils en ont sauué, comme a dit l'Historiographe, beau­coup, & en sauuent secretement tous les iours.

Au reste, ils ont fait porter la marote au Roy (si vous y auez prins garde) de toute ceste tuerie, tant pour n'en auoir le blasme, que pour moyen­ner que la furie des petits ou des grans s'esleuāt, elle se descharge sur celuy qui se vante de l'auoir fait faire. Ils se sont biē gardez, d'en vouloir prē ­dre [Page 106] le faix sur eux.

Mais voyons le traict qu'a faict Monsieur fre­re du Roy, & la Royne sa mere, en ceste tragedie de Paris. Le samedi au soir, deuant le Dimanche du massacre, ils vindrēt tous deux trouuer le Roy: Ils luy remonstrent, ils le prient qu'il haste l'exe­cution de leur entreprise: ils scauoyent bien que si ceste occasion se perdoit, qu'ils ne la recouure­royent iamais telle, comme ils l'auoyent lors sur les Huguenots: qu'ils les tenoyent tous dans le filé qu'il leur auoit promis: que le moyen que ils auoyēt tant de fois tenté (mais en vain) de les ex­terminer, estoit tout prest & present: qu'il ne fal­loit donc plus songer, qu'il estoit temps de s'en resoudre: que le roy d'Espagne (si les affaires du prince d'Orenge alloyent mal, comme ils sem­bloyent decliner depuis la route de Genlis) scau­roit bien tout à temps se venger sur la France, du mal qu'il auoit receu par son moyen & support en ses estats du pays bas. Partant le supplioyent qu'il y fist mettre la main à bon escient & soudai­nement, dés ce soir-là sans plus tarder: qu'ils a­uoyent donné ordre auec le duc de Guyse, le duc d'Aumale, le duc de Neuers, & le comte de Rers, que toutes chosses fussent prestes & disposees. Que si le Roy vouloit retarder plus longuement l'execution, la Royne sa mere le prioit auec lar­mes, & son frere fort affectuesemēt de leur don­ner congé, en recompense des seruices qu'ils luy auoyent faits: qu'ils estoyent resolus de se retirer ho [...]s de France, & de s'en aller en part où ils n'en ouyssent iamais parler.

[Page 107] Par ceste chaude alarme, ils esmeurent si bien le Roy, qu'il fut contraint de s'accorder qu'on e­xecutast dés la nuict mesmes, ce qu'il auoit desi­gné de differer encore: pour voir cependant le train que prendroit son esperāce de Flandres, par le seruice que les Huguenots luy feroyent en ce pays-là. Ie vous laisse à penser, quel traict la mere fit en cela pour son fils bien-aimé, contre le bien de celuy qui pieç'a l'auoit despitee, & qu'elle n'ai me que bien peu dés quelque temps. En luy fai­sant pratiquer vne des leçōs de Machiauelli, qui est de ne garder aucune foy, qu'autāt qu'on la cui dera tourner à son aduantage, elle luy a fait rom­pre l'autre (que Denys de Sicile entendoit mi­eux) entretenant pres de soy le plus meschant hō me du monde, sur qui le peuple voulāt recouurer sa liberté, peust vomir toute sa cholere. Et par mesme moyen la mere ayant attiré l'ire de Dieu & des hommes sur l'aisné de ses enfans, elle a ar­mé le m'aisné d'vne grande & puissante armee, qui luy est venue entre mains, comme lieutenant general, sous couleur de vouloir raser les Hugue nots de dessus la terre. A vostre aduis, est-il main tenant à cheual? a-il beau moyen d'accomplir ses desseins, luy qui de si long temps abboye à la con ronne?

L'hist.

Ie n'auoy' pas entendu ce traict: Il est vray que ie scauoy' bien, que Monsieur auoit belle en­uie d'estre Roy, de quelque Royaume q̄ ce fust: & que le Roy & sa mere, pour le contenter ay­ans perdu l'esperance du mariage & du Royau­me d'Angleterre, auoyent depesché en Poloigne [Page 108] pour tascher de le marier auec la Reginelle soeur du roy de Pologne, toute vieille qu'elle estoit, e­stimans que ce seroit vn bon moyen pour le faire paruenir à ce Royaume là apres la mort de Sigis­mond lors regnant. I'auois bien sceu aussi qu'a­pres ceste depesche, le Roy & la Royne ayans e­sté aduertis que le roy Sigismond estoit mort sur ces entrefaites, auoyent enuoyé en ambassade Monluc euesque de Valēce, par deuers les Polo­nois auec des bien belles memoires & charge biē ample de richement mentir de beaucoup promet tre, & de rien tenir: pour essayer par cest artifice, de faire eslire Monsieur à ce beau Royaume vac­quant. Maintenāt tant plus ie pense à ce stratage­me que tu m'as recité, tāt plus ie le trouue remar­quable, & digne d'estre logé en son reng au liure de mes memoires. Mais ie m'asseure biē si le Roy y aduise de pres, qu'il empeschera bien le dessein de l'autre.

Le pol.

Tout aussi bien comme l'autre se peut gar der d'estre attrappé, anticipant son cōpagnon, par vn gaillard contrantidote.

L'hist.

A bon chat, bon rat.

Le pol.

Or ie veux laisser ces grands iouer leurs tours, comme mieux ils l'entendent: & acheuant mon discours dire en vn mot, ce que ie pense de la portee des petits. Ie suis tresasseuré que quand tous les autres se tairoyent, les vrais Catholiques François & quelque nouueau Bodille, que les Historiens nous recitenr auoit iadis tué Childeric roy de Frāce, ainsi qu'il reuenoit de la chasse, pour ce qu'il l'auoit fait fouëtter publiquement atta­ché [Page 109] à vn pal: & qui tua aussi (outré de mesme des pit) Vlcide la Royne enceinte, sont bien gens pour dōner eschek-& mat à la maison de Valois, s'ils entrent vn coup en furie.

Ali.

Tu m'as remis à la memoire ce que Ron­sard en fort bons termes, & sans en rien dissimu­ler, a mis en escrit de Bodille dans sa Franciade, remise en lumiere depuis le massacre de Paris, quand en parlant de trois Rois freres, il dit tout à propos.

Trois fait-neants, grosses masses de terre,
Ny bons en paix, ny bons en temps de guerre,
La maudisson du peuple despité:
L'vn pour souiller son corps d'oisiueté,
Pour n'aller point au conseil, ny pour faire
Chose qui soit au Prince necessaire:
Pour ne donner audience à chacun,
Pour n'auoir soin de soy ny du commun,
Pour ne voir point ny palais ny iustices,
Mais pour rouiller sa vie entre les vices:
Traistre à son peuple, & à soy desloyal,
Sans plus monter en son throne royal.
& peu apres,
De ses suiets comme peste hay,
A contre-coeur des seigneurs obey:
Chaud de cholere, & d'ardeur inutile,
Fera fouëtter le Cheualier Bodille
En lieu public, lié contre vn posteau,
Tout deschiré de veines & de peau:
Bodille plein d'vn valeureux courage,
Tousiours pensif en si vilain outrage,
Ne remaschant que vengeance en son coeur
[Page 110] Lairra couler quelque temps en longueur:
Puis si despit, la fureur l'espoinçonne,
Que sans respect de sceptre ou de couronne
Tout allumé de honte & de courroux,
Ce Roy peu sage occira de cent coups.
Luy de son Prince ayant la dextre t [...]ncte,
Pres le Roy mort tuera la Royne enceincte
D'vn mesme coup (tant son fiel sera grand)
Perdant le pere, & la mere & l'enfant
Qui se cachoit dedans le ventre encore.

Et suyuamment adressant son langage au plus ieune frere, que lon dit n'auoir rien sceu de ces desseins sanguinaires, pour le contenir en office, il dit,

Seigneur Troyen, le Prince ne s'honore
De felonnie, il faut que la fierté
Soit aux lions: aux Rois soit la bonté,
Comme mieux nez, & qui ont la nature
Plus pres de Dieu que toute creature.

Et reprenant la description de ce Roy, il ad­iouste,

Ce Roy doit estre abuse par flateurs
Peste des rois, courtizans & menteurs:
Qui des plus grans assiegeans les oreilles
Font les discrets, & leur content merueilles.
& peu apres,
Le plus souuent les Princes s'abestissent
De deux ou trois, que mignons ils choisissent:
Vrais ignorans, qui sont les suffisans,
Qui ne seroyent entre les artizans
Dignes d'honneur, grosses lames ferrees,
Du peuple simple à grand tort honorees:
[Page 111] Qui viuent gras des imposts & des maux,
Que les Rois font à leurs propres vassaux:
Tant la faueur qui les fautes efface,
Fait que le sot pour habile homme passe
Quelle fureur! qu'vn Roy pere commun
Doyue chasser tous les autres pour vn,
Ou deux, ou trois! & blesser par audace
Vn masle coeur issu de noble race,
Sans regarder si le flateur dit vray!
Ce Childeric doit cognoistre à lessay
Le mal qui vient de croire à flaterie,
Perdant d'vn coup & vie & seigneurie.
Le pol.

A ce que ie voy, vraye mēt Ronsard triom phe de dire, & touche de merueilleux poincts. Ie n'eusse iamais pense, qu'il eust osé mettre ces cho ses si clairement en auant du viuant de ce Roy, quoy qu'il les couche sous d'autres noms feincts.

Phil.

Or confere ie te prie maintenāt ce que nous auons veu, auec ce discours.

Ali.

Certes c'est vn piteux estat, ie ne scay qu'en dire.

Le pol.

Comment est-il possible que Ronsard ait publié cela?

Alì.

Il en dit bien d'auantage: Il descrit bien en­cores plus particulierement ce Roy & son re­gne, sous le nom de Chilperic: l'impudicité de la cour, les meurtres, l'estoille nouuelle qui appa roist, & autres signes: l'obstinatiō du Roy, iusqu'à predire qu'il estouffera sa femme pour espouser sa putain.

Le pol.

He ie te prie si tu te souuiens de ce qu'il en dit, recite-le moy.

Ali.
[Page 112]

Ie n'ay pas retenu le tout: mais voicy ce que i'en scay.

C'est Chilperic indigne d'estre Roy,
Mange-suiet, tout rouillé d'auarice,
Cruel tyran, seruiteur de tout vice:
Lequel d'imposts son peuple destruira,
Ses citoyens en exil bannira.
Affamé d'or, & par armes contraires,
Voudra rauir la terre de ses freres.
N'aimant personne, & de personne aimé,
Qui de putains vn serrail diffamé,
Fera mener en quelque part qu'il aille:
Soit temps de paix, ou soit temps de bataille,
En voluptez consumera le iour,
Et n'aura Dieu que le ventre & l'amour,
Du peuple sien n'entendra les complaintes,
Toutes vertus, toutes coustumes sainctes
Des vieux Gaulois, fuyront deuant ce Roy:
Grand ennemy des pasteurs de sa loy.
Les escoliers n'auront les benefices,
Les gens de bien les honneurs des offices.
Tout se fera par flateurs eshontez,
Et les vertus seront les voluptez.
Iamais d'enhaut la puissance celeste,
Ne monstra tant son ire manifeste,
Et iamais Dieu le grand Pere de tous
Ne monstra tant aux hommes son courroux:
Signes de sang, de meurtres, & de guerre,
De tous costez vn tremblement de terre
(Horrible peur des hommes agitez)
De fonds en comble abbatra les citez.
Iamais les feux la terre ne creuerent
[Page 113] En plus de lieux, iamais ne s'esleuerent
Plus longs cheueux de Cometes aux cieux.
Iamais le vent (esprit audacieux)
En fracassant & forests & montagnes,
Ne fit tel bruit: le ballay des campagnes,
Les pains couppez, de sang se rougiront,
En plein hyuer les arbres fleuriront:
Et toutefois par ces menaces hautes,
Ce meschant Roy n'amendera ses fautes:
Mais tout superbe, en vices endurcy,
Contre le ciel esleuant le sourcy
Au coeur b [...]uslé d'infame paillardise
Estouffera contre sa foy promise,
En honnissant le sainct lict nuptial,
Sa propre espouse, espoux tres desloyal,
Ioincte à son flanc, le baisant en son lict,
Seure en ses bras, l'estranglera de nuict.
Cruel tyran! à qui dessus la teste
L'ire de Dieu pend desia toute preste.

Puis en parlant de ie ne scay quel Clotaire, & de la vengeance qu'il fera de la Royne-mere, qu'il entend sous le nom de Brunehaut, il adiou­ste apres,

Sage guerrier victorieux & fort
Qui pour l'honneur mesprisera la mort,
De Brunehaut princesse miserable
Fera punir le vice abominable,
Luy attachant à la queué d'vn cheual
Bras & cheueux: puis à mont & à val
Par les rochers par les ronces tiree,
En cent morceaux la rendra deschiree:
Si qu'en tous lieux ses membres diffamez,
[Page 114] Seront aux loups pour carnages semez,
& peu apres,
Les Lestrigons, les Cyclopes, qui n'ont
Qu'vn oeil au front, en leur rochers ne sont
Si cruels qu'elle, à toure peste nee:
Qui en filant menee sur menee,
Guerre sur guerre, & debats sur debats,
Fera mourir la France par combats:
Mais à la fin sous les mains de Clotaire
Doit de ses maux receuoir le salaire.
Le pol.

Mon Dieu, qu'est-ce là? qui vit iamais des­crire mieux les choses dessous noms couuerts? He que ces Poetes sont grands ouuriers? il y en a mille & mille qui liront cela sans l'entendre, & cependāt on n'en scauroit dire dauantage en peu de mots.

Ali.

Le bon est, que Iamyn qui a fait les argumēs de la Franciade de Ronsard, & qui cognoist bien le sens caché sous l'escorce, & l'intention de l'Auteur, l'a esclaircy en l'argument du 4. liure, quand en parlant de l'erreur Pythagorique, touchant la transmigration des ames, il dit que Ronsard se sert expres de ceste fausse opinion, afin que cela luy soit comme vn chemin & argument plus fa­cile, pour faire venir les esprits des vieux Rois en nouueaux corps: car sans telle inuention, il eust fallu se monstrer plustost Historiographe, que Poëte.

Le pol.

Voila qui va bien. Mais si seroy'-ie bien marri que la prophetie de Ronsard aduint tou­chant ceste poure Princesse la Royne regnante, qu'elle fust estouffee par son mari: quant à Brune [Page 115] haut, il ne me chaut quoyqu'il luy puisse aduenir. Que pleust à Dieu qu'elle ne fust iamais venue en France, nous ne serions pas és peines où nous sommes. Mais ie te prie, considere vn peu quel argument Ronsard baille à tous François, quand il monstre l'entreprise executee par Bodille, contre le Roy Childeric, sa femme, & son enfant, pour auoir esté seulemēt fouetté. A ton aduis, n'est-ce pas autant que s'il disoit en argumentāt du moindre au plus grand: Vous tous qui auez esté en dix mille sortes plus inhumainemēt traictez que Bo­dille, en vos personnes, honneurs & biens, de vos femmes & enfans: Vous desquels les plus pro­ches parens, alliez, amis & voisins ont esté meur­tris & violez, contre tout droict, contre la foy pu­blique: s'il y a quelque coeur masle issu de noble race, s'il y a quelque generosité de reste entre vous, que ne la monstrez-vous à ceste fois contre ce traistre à son peuple, & à soy desloyal? cōtre ce mange-suiect, cruel tyran, affamé d'or, n'aimant personne? ce meschāt Roy, en vices endurcy (car voila vne partie des titres qu'il luy baille) Ne voyez-vous pas ces deportemēs, ceux de sa mere, de son frere, de ses autres conseillers que ie vien de descrire: attendez-vous à voir dauantage de si­gnes du ciel? ou plus de tesmoins en la terre de son infame desloyauté? comme s'il disoit, Vous ne scauriez. Asseure-toy Alithie, que Ronsard est merueilleusement subtil, il scait bien pinser sans rire.

Ali.

Ouy pour le seur: Que ie seroy' aise que on entendist bien son discours, pour estre esmeus [Page 116] chacun en son deuoir. Mais ie ne voudroy' pas que le tyran sceust qu'il eust escrit quelque chose de luy, sous quelque escorce que ce soit: sans doute il le feroit mourir, ou pour le moins il l'en fe­roit desdire par force, cōme il a fait escrire à monsieur de Puybrac par viue crainte, & auec la pro­messe d'vne abbaye, vne epistre en latin à Stanislaus Heluidius Polonois, pour donner couleur à sa trahison du 24. d'Aoust.

Le pol.

Tu dis vray, I'ay veu ceste letre dont tu parles, ie ne pensoy' pas que ce fust Puybrac qui l'eust faite: il ne s'est osé nommer de honte le po­ure homme. Mon Dieu, que ie le regrette! il n'a gueres profité iusqu'à presēt, auec tous ses escrits enuers les Polonois: tout le monde cognoist des­ia par trop la trahison de celuy, à la louange du­quel il s'est efforcé d'escrire. Il ne faut auiour­d'huy que les traicts que tu m'as recité de Ron­sard, pour faire deuiner que c'est, & de qui il par­le: & si l'Historiographe met en lumiere ce qu'il en scait, comme il nous le vient de racompter, ce la est trop plus que suffisant pour mōstrer à tous gens de bien, la preudhommic des meurtris, & la felonnie des meurtriers.

L'hist.

Ne doute pas que ie ne le publie, auec tou­tes les circonstāces des tours qu'ils ont ioué pour surprendre ces poures gens: les letres, les menees plus secretes, les larmes feinctes, les mots cou­uerts: tout sera deduit par le menu. L'arrest du parlement aussi qu'ils ont donné contre l'Ami­ral, long temps apres sa mort: & celuy contre Bri­quemaut & Cauagnes, Ie n'en oublieray rien, [Page 117] Dieu aidant.

L'egl.

Que dis-tu de l'arrest contre l'Amiral, & de celuy contre Briquemaut & Cauagnes?

Ie ne t'entens pas: y a-il quelque arrest donné contr'eux?

L'hist.

N'en scauez-vous autre chose?

L'egl.

Non.

L'hist.

Ie vous le diray. Apres la mort de l'Ami­ral, & le massacre fait fur les Huguenots dans Paris le 24. d'Aoust: le 26. ensuyuant, le Roy (com­me ie vous ay dit) alla au palais de Paris: & là se­ant, aduoua tout le massacre auoir esté fait par son aduis & propre mouuement, commandant que lon informast de la conspiration qu'il auoit fait mettre à sus à l'Amiral, auec les tesmoins qui seroyent trouuez les plus propres. Ce comman­dement & arrest fait, la cour de Parlement (apres auoir dit que le Roy auoit bien & vertueusement fait, en faisant meurtir les Huguenots) deputa commissaires, fit informer parmi les tueurs, for­ma le procez au meurtri, & pareillement à Brique maut & à Cauagnes (qui furent faits prisonniers en ces iours-là de massacre, & reseruez pour ser­uir de bonne couuerture à quelque solēnelle execution, qu'il leur sembloit deuoir estre faite par les voyes de iustice ordinaires.) Il s'ensuyuit en fin arrest, par lequel (veues par la chābre ordōnee par le Roy en temps de vacations, les informati­ons faites apres la mort, interrogatoires, confes­sions & denegations de quelques prisonniers, & les autres papiers qu'ils voulurēt dire auoir veus) ledict Amiralfut declaré auoir esté crimineux de [Page 118] lese maiesté, perturbateur & violateur de paix, e [...] nemy de repos, tranquillité, & seureté publique: chef principal, autheur & conducteur de ladicte conspiration, faicte contre le Roy & son estat: Sa memoire damnee, son nom supprimé à perpetui­té. Et pour reparation desdicts crimes, ordonné que le corps dudict Amiral (si trouuer se pou­uoit, sinon en figure) seroit prins par l'executeur de la haute iustice, mené, conduict & trainé sur vne claye, depuis les prisons de la cōciergerie du Palais, iusques à la place de Greue: & illec pendu à vne potence, qui pour ce faire seroit dressee & erigee deuant l'hostel de ville, & y demeureroit pendu l'espace de vingt & quatre heures: Et ce faict, seroit porté & pendu au gibet de Montfau­con, au plus haut & eminent lieu. Les enseignes, armes, & armoiries dudict feu Amiral, trainez à queues de cheuaux par les rues de Paris, & autres villes, bourgs & bourgades où elles seroyēt trouuees auoit esté mises à son honneur, & apres rom pues & brisee par l'executeur de la haute iustice, en signe d'ignominie perpetuelle, en chacun lieu & carrefoux, où lon a accoustumé faire cris & proclamations publiques. Toutes les armoi­ries & pourtraictures dudict feu Amiral, soit en bosse, ou peincture, tableaux, & aut es pourtraits en quelque lieu qu'ils soyent, cassez, rasez, rom­pus, & lacerez: Enioignant à tous ingés Royaux, de faire executer chacun en son ressort pareille la ceration d'armoiries, & à tous ses suiets du ressort de Paris, de n'en garder ou retenir aucunes: Tous les biens feudaux dudit feu Amiral mouuans de [Page 119] la couronne de France, reunis & incorporez au domaine d'icelle, & les autres fiefs & biens tant meubles qu'immeubles, acquis & confisquez au Roy: declarant les enfans de l'Amiral, ignobles vilains, roturiers, infames, indignes & incapables de tester, ne tenir estats, offices, dignitez & biens en France: lesquels, si aucuns en ont, ladicté chambre declairoit acquis au Roy: Ordonnant que la maison seigneuriale & chastel de Chastil­lon sur Loin, qui estoit l'habitation & principal domicile dudit Coligny, ensemble la basse cour, & tout ce qui depend du principal manoit, serōt demolis, rasez, & abbatus, & deffendu de iamais y bastir, ny edifier: & que les arbres plantez és enuirons de ladicte maison & chastel, pour l'em­bellissement & decoration d'icelle, seront coup­pez par le milieu: & en l'aire dudict chasteau, vn pillier de pierre de taille erigé, auquel seroit mi­se & apposee vne lame de cuyure, en laquelle se­roit graué & escrit ledict arrest: & que doresen­auant par chacun an le 24. iour d'Aoust, seroyent faites prieres publiques & processions gene­rales dans Paris, pour rendre graces à Dieu de la punition de la conspiration faite cōtre le Roy & son estat. Le semblable & pareil arrest (ex­cepté quant à ceste derniere clause, touchant le demolissement de maison) fut donné contre Bri­quemaut & Cauagnes. Si furent lesdicts arrests prononcez & executez le 27. & 29. d'Octobre, 1572. l'vn sur vn fantosme au lieu du corps de l'Amiral (lequel auoit pieça esté emporté de Mōtfau con, & depēdu par quelques vns qui l'auoyēt re­ueré [Page 120] en son viuant) Et fut l'autre arrest executé sur les personnes propres desdicts Briquemaut & Cauagnes, en la presence du Roy qui les voulut voir mourir: eux protestans du tort qu'on leur fai soit, & en demandans vengeance à Dieu.

L'egl.

Ie puis bien dire maintenant auec Dauid, parlant-de la meschanceté des ministres de Saul, & de leur iniquité & iniustice.

Entre vous conseillers, qui estes
Liguez & bandez contre moy,
Dites vn peu en bonne foy,
Est-ce iustice que vous faites?
Enfans d'Adam, vous meslez-vous,
De faire la raison à tous?
Ainçois vos ames desloyales
Ne pensent qu'à meschanceté,
Et ne pesez qu'iniquité,
En vos balances inegales.
Car les meschans dés qu'ils sont nez
Du Seigneur sont alienez.
Ali.

Les iugemens de Dieu sont grands: Mais ie veux bien dire en passant (sans entrer aux parti­culieres occasiōs de courroux que tous hommes donn [...] ̄t à Dieu par leurs pechez, & sur tous, ceux qui [...]uent la volonté du maistre & ne la font, car cela est immēse) qu'il ne se pouuoit faire, que le Seigneur ne fust merueilleusement emeu à ire, de ce que les Huguenots (comme s'ils eussent per du toute souuenance des bien-faits de Dieu, qui seul les auoit iusqu'à lors cōseruez: voire tant de fois & par miracles tant extraordinaires retirez d'extremes perils) n'auoyent les yeux ny l'espe­rance [Page 121] d'aucun repos ou felicité, que sur le maria­ge du roy de Nauarre (comme s'il eust esté le sau ueur de l'Eglise) ayans bien quelque peu, voire trop legerement insisté sur la forme, mais sur la matiere nullement.

L'egl.

Il est certain: Et ceste faute me poise beau­coup: Mais cependant i'ay tant d'asseurance de la loyauté de mon espoux, qu'il ne laissera d'accomplir le contract de nostre alliance: ce qu'il a esté, il est, & sera à iamais.

Ali.

Il faut tenir ceste resolution, & s'y consoler: que Dieu est tout sage, tout bon, tout puissant, & ialoux de sa gloire, & partant qu'il ne veut rien perdre du sien: & qu'estant la mesme verité, il ne defaudra vn seul iota de sa parole, à sçauoir de ses promesses enuers ses enfans, & de ses iugemens enuers ses ennemis, & le temps est pres.

L'egl.

Mais sur quoy est-ce ie vous prie que ces meschans ont pris leur argument pour tout raua­ger & destruire, qu'elle occasion en auoyent ils? car de ceste conspiration qu'ils ont imposee aux mieux, c'est vne couuerture si sorte qu'on y voit le iour au trauers.

Ali.

Ie ne sache point qu'ils ayent eu autre occa­sion de ce faire, que celle que Cain eut en tuant Abel, celle d'Herode en faisant meurtrir les en­fans. Le tout pour ensuyure les loix qui estoyent bien au long couchees dans les memoires qu'on bailla à l'Amiral deuant les nopces, que pleust à Dieu qu'il les eust creues, & que quelque iour tout le reste des gens de bien y prēne garde pour euiter à leurs surprises.

Le pol.
[Page 122]

L'historiographe scait bien les principaux poincts sur lesquels la Royne-mere, qui tient ses enfans dans la manche, & la France dedans ses pieds, auoit voulu prendre subiect de se for­ger vne haine irreconciliable contre les Hugue­nots.

L'hist.

Pource qu'il seroit trop long de reciter à present tous les particuliers incident de ceste mà tiere, ie remettray à les deduire ailleurs ample­ment: & pour ceste heure vous diray, que rien ne l'a tant piquee contre les Huguenots, que la pu­blication de ses lettres en pleine diette de Franc­ford (en la presence de l'Empereur Ferdinand, & de son fils à present Empereur) Ie dy l'original, escrit & signé de sa main: par lesquelles elle auoit fait prendre les armes au prince de Condé aux premiers troubles, & dont par consequent il e­stoit tout apparent, qu'elle auoit allumé le feu en France.

Et pour de tant plus legitimer sa vengean­ce, elle s'est voulu persuader, qu'autresque les Huguenots n'auoyent publié son impudicité: Et que la reputation qu'elle auoit d'estre sorciere ve­noit d'eux, ce qu'elle ne pouuoit souffrir escouler de sa memoire: mesmement que par leurs escrits elle cognoissoit bien, qu'il ne tiēdroit à eux qu'ils ne luy tirassent le gouuernement & authorité des poings: Qu'elle cognoissoit bien aussi, que l'A­miral n'oublieroit iamais les tours qu'elle luy a­uoit faits, & partant le vray expedient de leur o­ster (aux vns en general le moyen de luy mal fai­re, [Page 123] & à l'autre en particulier de se ressentir) c'e­stoit de tout exterminer, par les voyes que nous auons touchees au commencement de nostre dis cours, se confirmant en ce dessein par plusieurs autres impressions, qui d'elle-mesme & d'ailleurs luy suruenoyent tous les iours: mais sur toutes, celle qui est successiue & à sa maison, & à sa na­tion, à sçauoir, de hayr à mort ceux qu'vne fois ils ont offensez, & qu'il ne se faut reconcilier à vn ennemy, que pour le destruire.

Ce qui l'irrita aussi bien fort, fut vn tableau de quatorze seruiteurs fecrets de la Royne, entre lesquels le Peron tenoit le premier reng peints au vif auec elle. Lequel le Cheualier de la Batte­resse supposa vn iour (ainsi que l'on ma dict) au lieu d'vn dessein de sa maison des Tuyleries, qu'il trouua sur le lict de l'antichambre de la Roy ne, & l'enleua subtilement, logeant en sa place le tableau, lequel tost apres fut veu au grand regret de la Dame & detriment de sa bonne renom­mee.

Le pol.

Mais pourquoy est-ce que la Batteresse fit ce tour-là.

L'hist.

On m'a dict que ce fust par despit, & à cause de la ialousie, qu'il auoit conceu de se voir postposé à tant de vilains, de voir (di [...]ie) qu'il n'a­uoit peu estre receu en mesme charge auec ces quatorze, luy qui comme bon & beau estalon pen soit l'auoir mieux merité.

Ceste supposition de tableau enuenima fortla Royne contre les Huguenots, qu'elle cuydoit luy auoir ioué ce tour.

[Page 124] Pareillement elle s'est fort offensee de certai­ne Rithme, parlant des Roynes Fredegonde & Brunehaut, & de Iesabel & Catherine, & la mon­strant estre pire que Iezabel ne fut iamais: pour ce qu'elle a tousiours creu que ces bōs offices luy estoyent faits de la part des Huguenots: Ie m'en vay te reciter les vers,

Si France pure de loix,
Pleine d'equité & droiture,
A souffert tout à la fois
Ruine & desconfiture
Par la Royne Fredegonde
Mastinant le François monde
Auec son Landry in fect,
S'elle a esté en effect
Foulee par Brunehaut,
Iezabel qui moins ne vaut
Et son estalon Gondy
Qui de plein sault a bondy
Plus haut que nul de nos Princes,
Pourquoy parmy nos prouinces,
Maintenant qu'il n'y a loy
Ne coustume qui se garde,
Maintenant qu'il n'y a foy
Ny estats qui les engarde,
Ne feront ils de rauage
D'oppression & carnage?
Parle qui parler voudra
Tant que Iezabel voudra,
Mais que dy-ie Iezabel,
I'entens dire Catherine
Qui la grand tour de Babel
[Page 125] Confusion & ruine
De la maison de Valois
A basty comme tu vois
Aux quatre coings de la France,
Et qui est mille fois pire,
Ainsi que tu m'orras dire,
Que ne fut onc Iesabel,
Qu'il soit vray le fait est tel.

Sypathie de la vie de Catherine & de Iezabel, auec L'antipathie de leur mort.

S'on demande la conuenance
De Catherine & Iezabel,
L'vne ruine d'Israel,
L'autre ruine de la France:
Iezabel maintenoit l'idole
Contraire à la saincte parole
L'autre maintient la Papauté
Par trahison & cruauté:
L'vne estoit de malice extreme,
L'autre est la malice mesme:
Par l'vne furent massacrez
Les prophetes à Dieu sacrez:
L'autre en a fait mourir cent mille
De ceux qui suyuent l'Euangile:
Iezabel pour auoir son bien:
Fit mourir vn homme de bien:
L'autre n'est encor' assouuie
S'elle n'a les biens & la vie:
En fin le iugement fut tel,
Les chiens man gerent Iezabel,
[Page 126] Par vne vengeance diuine:
La charongne de Catherine,
Sera differente en ce poinct:
Les chiens mesmes n'en voudront point.

Voila à mon aduis les choses qui ont ainsi fait enrager ceste bonne dame. Etpenses-tu si elle ne scauoit au vray que Ronsard a faict les autres vers qu'Alithie recitoit tantost d'elle & de ses enfans, qu'elle ne creust que c'est quelque Huguenot qui la gallope de la sorte, quoy qu'elle donne auec les siens par trop d'argumēt aux Papistes de crier aux armes contre eux.

Ali.

Ie le croy biē: Mais encores ne touchez vous point à la vraye matiere qui l'a deduite à ces fu­rieuses idees. Tenez pour certain, que ceux qui vomissent comme elle, le don celeste (à scauoir la cognoissance de Dieu en son Fils Iesus Christ qui est sa parole) & malicieusement se bandent contre la verité qu'ils cognoissent, ne trouuans au cun lieu de repentance, sont tellement abandon­nez de Dieu, qu'ils entrent aisement en ceste rage canine, qui les fait mordre & deuorer tout ce qu'ils rencont rent.

Phi.

Vous m'auez fait souuenir d'vn sonnet qui fut fait pour elle y a enuiron cinq ans, sur ce sub­iect, lequel i'ay retenu par coeur, & ie le vous reci teray presentement.

Lors qu'vn zele bastard, enfant de l'ignorance
Ton Henry furieux incitoit à poursuyure
Par feu, sang & tourmens, ceux qui desiroyent vi ure
En la crainte de Dieu sous son obeissance,
[Page 127] Lors d'vne voix commune on bruyoit en la Frāce
Que (du monde caduc ta pensee deliure)
Des mains, des yeux, du coeur, sans cesse au sacré liure
Tu recerchois de Dieu la vraye cognoissance:
Mais ayant sauouré par ton libre vefuage,
L'imperieux honneur, nay de ton mariage,
Il ne faut s'estonner (aussi n'est-il estrange)
Si lon t'a soudain veu deschoir de telle grace:
Car la truye a de propre & tient cela de race,
De retourner au baing de sa premiere fange.
Le pol.

Ie oous laisse à penser de quel naturel peu­uēt estre ses enfans, qui sont nourris de son laict, & dressezsa main. Et en cela remarquez la lour­de faute que firent ceux qui auoyent puissanced'y pouruoir apres la mort du Roy Henry, qui au lieu de s'en saisir (pour les faire instituer en toutes vertus) luy en laisserent le gouuernemēt, pour en faire des exemplaires de toute desloyauté & execra­tion: & pour le comble de tout malheur, elle les a faits instrumens de leur ruine, de l'estat & de la couronne dont elle a receu tant d'honneur.

Phi.

C'est vne chose estrange, que d'ouyr les pro­pos que le Roy tient, & de l'endurcissement que Dieu a mis en luy: en sorte que si Dieu ne luy re­tardoit ses malheureux desseins, le sāg de son peu ple regorgeroit iusques auxsommets des monta­gnes, si tant il en pouuoit respandre.

Ali.

Dieu pour certain est courroucé, & pour l'ap­paiser, faut s'humilier deuant luy, autremēt qu'on n'a fait par le passé & que les discours & iugemēs humains cedent aux siens, se resignant & ayant [Page 128] recours à sa bonté & prouidence, par prieres continuelles & ardentes, auec asseurance qu'il a la volonté & la puissance de deliurer les siens quand il sera temps.

L'egl.

O Seigneur, mets ce tyran en la puissance d'vn meschant, qui ne s'estudie qu'à le tourmenter: Que Satan soit tousiours à ses costez. Fay que luy & ses bourreaux conseillers & satellites, soyēt par toute la terre recognus pour tels qu'ils sont. Accourcy leurs iours, & pouruoy, ô Dieu, en leur place, de gens qui soyent selon ton coeur. Que leurs enfans soyent orphelins, leurs femmes vef­ues: Les leurs vagabons & erranr soyent dechas­sez de leurs maisons, cerchans leur pain, sans que personne s'auise d'estēdre sa misericorde sur eux. L'vsurier attrape leurs biens, & l'estranger leur substance. Leur posterité soit ostee du monde, le nom, dy-ie, de ce tyran soit aboli de la terre. Que l'iniquité de ses peres soit continuellement deuāt toy, & n'efface point les pechez de sa mere: d'au­tant que tant s'en faut qu'ils ayent eu souuenance d'aider le poure en son aduersité, qu'au contraire ils n'ont tendu qu'à tourmenter les personnes oppressees, lassees, chetiues, & angoissees, iusques à leur pourchasser la mort, voire apres la mort les poursuyure.

Ils ont aimé la mal-encontre,
Fay donc, Seigneur, qu'ils la rencontrent:
La bonne encontre ils ont haye,
Que deux bonne-encontre s'enfuye.

Sovēt entortillez de tous maux ainsi que d'vn habillement: Mais aide moy mon Dieu, mon Roy, [Page 129] & par ta bōté sauue moy: Car Seigneur, ie remets en toy & moy & mon affaire, n'ayant esperance qu'en ta bonté, & attendant ta iustice sur les per­uers & iniques. Accomply & parfay ton oeuure, Seigneur. Mets enveuë la preud'hōmie des tiens, afin que leur innocence & bonne vie reluise & apparoisse comme tu l'as promis. Que si (comme il peut estre, & toy seul le cognois Seigneur) il y a quelques vns de tes enfans meslez parmi ces des­loyaux, comme nous auons iadis veu Paul tō vais seau esleu persecuter les tiens auant sa conuersiō: Abbrege les iours, Seigneur, haste le tēps de leur vocation, afin que parauanture ils ne soyent com prins sous mesmes iugemens, & perissent parmi les faux vieillards de Susanne. Suscite tō Daniel, Seigneur, pour la iustification de ta seruante, & nous exauce pour l'amour de Iesus Christ tō Fils nostre Seigneur.

Ali.
A donc tous pleins d'esiouissance
Tes enfans qu'on a oppressez,
Voyans desrompus & cassez
Les peruers par iuste vengeance,
Dedans le sang se baigneront
De ces meschans, & puis diront:
L'innocent ne perd point sa peine,
C'est vn poinct du tout arresté,
Quoy que le iuste ait enduré,
C'est vne chose bien certaine
Qu'il est vn Dieu, qui iuge icy,
Les bons & les mauuais aussi,
Dan.

Ie suis innocēt de ce sang respandu: Et pour dire ce qu'il me semble d'vne telle perfidie & [Page 130] cruauté & d'vn si peruers iugement, Apres auoir veu pieç'a (cōme aussi tout le monde a peu voir) la confession de foy de ces vieux Lutheriens Frā çois, qui aimoyent mieux endurer tous tourmens que de riē quitter de la cognoissance que le sainct Esprit leur auoit donné, de Dieu le Pere ennostre Seigneur Iesus Christ, laquelle ils recognoissent estre le souuerain bien de l'homme, le salut eter­nel, sans lequel la condition des hommes seroit plus miserable que celle des bestes brutes: Et a­uoir veu que nul ne leur pouuoit arracher ceste esperāce, Que nulle tribulation, angoisse, persecution, faim, nudité, cousteau, ny feu, ne les pouuoit separer de l'amour de Christ, quoy qu'ils fussent pour ceste seule occasion tous les iours tuez, re­putez comme brebis de la boucherie, voire sans comparaison plus rudement trait [...]ez: estans iour­nellement bruslez tous vifs à petit feu, & leurs lā gues couppees, pour les garder de donner gloire à Dieu deuāt le peuple, estans en tout & par tout pour le dire en vn mot, mastinez en leur hōneur, vie, & biens, comme les plus detestables hereti­ques qui furent onques, & declarez criminels de leze maiesté diuine & humaine, ainsi que plus à plein appert tant par les proces, procedures & a­rests sur cefaits, reseruez iusques à maintenant rie re les greffes des Parlemēs, & des autres iuges de la France, que par les actes & confession de foy d'vn grand nombre d'eux redigez par escrités li­ures des martyrs & tesmoins de la verité.

Auoir veu aussi que pour vn de ces Lutheriēs qu'on brusloit, vn grand nombre d'hōmes, fem­mes [Page 131] & enfans, garnis de mesme foy & esperance, en estoit suscité iournellement: tellement que les cendres de leurs corps bruslez & leur sang respandu, sembloit seruir à veué d'oeil de semence à l'E­glise▪ Et que nonobstant cela, on ne laissoit pas de tousiours brusler iusques à s'en prendre à la Saincte escriture, au vieil & nouueau Testament, qu'on n'auoit pas honte de brusler s'il estoit trouué escrit en langage que le peuple peust entēdre, pen sans arracher par ce moyen à aucuns d'eux les armes du poing, le bouclier de leur foy & le heau me de leur salut, & aux autres, en empescher du tout la cognoissance.

Veu pareillement la confession de leur foy, que le prince de Condé ayant compassion d'eux, pour les tourmens qu'on leur donnoit & les blasmes qu'on leur mettoit à sus, voulut presenter en escrit au Roy François second à Amboyse, a­fin qu'elle fust examinee de gēs doctes par la sain cte Escriture, & que la rigueur des feus qu'on allumoit iournellement contr'eux fust moderee & fai te cesser.

Veu aussi la confession de foy que les Hugue­nots presenterent au Roy Charles 9. au colloque de Poissy, laquelle fut disputee & maintenue publiquement par les ministres du sainct Euangile, contre les Cardinaux, Euesques, & Docteurs de la Papauté, en la presēce dudit Charles, & sa me­re, ses freres des Princes & Seigneurs de son conseil: laquelle fut traduite & imprimee en plusieurs lāgues, & qui est entre les mains de tous ceux qui la veulent voir, conforme en tout & par tout à [Page 132] la parole de Dieu, contenue au vieil & nouueau Testament, & au symbole des Apostres.

Auoir veu aussi l'Edict fait tost apres ce collo­que de Poissy au mois de Ianuier en l'an 1561. par Charles, du conseil de sa mere, de tous les Princes & Seigneurs de son conseil, & d'vn grād nombre & Presidents & Conseillers de toute la France, qui pour ce furent assemblez: par lequel Edict les feux & recerches cōtre ces poures gens furent cessez, leur conscience delaissee en liberté (selon la confession de leur foy) à eux permis de faire prescher l'Euangile & administrer les sacremens en leurs assemblees, és fauxbourgs des villes de Frā ce, par leurs Ministres à ce appellez, ordonnez, & esleus, comme plus à plein, és patentes sur ce fai­tes (qu'vn chacun a peu voir) est escrit & contenu.

Consideré aussi le massacre fait à Vassy contre la teneur de cest Edict sur les Huguenots, iouys­sans en paix du benefice d'iceluy: La requeste que le duc de Guyse, le Connestable, le mareschal sainct André presenterēt peu de temps apres (les armes au poing) au Roy Charles, tendant à exter miner ceste religion-là, & ceux qui en faisoyent profession: les lettres que la Royne, mere du Roy, en ces entrefaites rescriuit de sa main au feu prin ce de Condé, luy commandant de s'armer & fai­re armer le plus d'hōmes qu'il pourroit pour s'opposer aux desseins de ces trois, & de leurs adhe­rans, qui tenoyent l'enfant & la mere captifs: Le secours que la royne d'Angleterre & les princes d'Allemagne donnerent lors aux Huguenots, & tout ce qui s'en est ensuyui iusques au mois de [Page 133] Mars 1562. Veu & consideré aussi l'Edict de pa­cification alors fait, confirmatif de celuy de Ian­uier, leur permettant outre plus, qu'ils peussent a­uoir l'exercice de leur religion dans quelques vil les: Les restrictions & violemens dudict Edict de Mars faites en apres par le Roy & son conseil, sous titre de declaration de l'Edict: Les menees faites durant cinq ans par la mere de Charles, les Lorrains, & autres de leurs faction: L'obeissance des Huguenots: La creance, nourriture & leçon, que la mere a donné & fait donner ce temps-pen dant à ses enfans: L'entreueué & parlement de la mere, de sa feu fille d'Espagne, & du duc d'Albe à Bayonne, leur deliberation & promesses: Les le­uees de Suysses faites par Charles en l'an 1567. Le peu de compte qu'il tenoit des plainctes & re­monstrances des Huguenots, qu'on tuoit & ou­trageoit en beaucoup d'endroits de la France: La guerre ouuerre pour les exterminer: Le secours que les princes d'Allemagne Protestans leur en­uoyerent, sous la conduicte du duc Iean Casimir: Ce qui s'est passé en ceste guerre lé: L'edict fait & publié pour la pacifier au mois de Mars 1568. La rupture de cest edict tost apres faite par Char­les & ses forces: La fuitte du prince de Condé de plusieurs autres Huguenots, & leurs familles, qui faillirent à estre attrappez dans leurs maisons par les infracteurs des Edicts de la paix & foy publique: Le secours que le duc de Deux pōts pour le commun lien de religiō dōna aux Huguenots: Les batailles donnees en toutes ces guerres-la, principalement la bataille de Iarnac, où le prince [Page 139] de Condé fut fait prisonnier, & puis tué de sang froid, par commandement du duc d'Aniou: La charge de l'armee des Huguenots par eux remise (apres la mort du prince de Cōdé) entre les maīs de l'Amiral, sous l'authorité des ieunes princes de Nauarre & de Condé. L'edict de pacification de ces troubles fair par Charles & son conseil, a­uec toutes les solennitez requises le 22. iour d'A­oust 1570. Les promesses & iuremens solennels faits par Charles, les Seigneurs de son conseil, tous les parlemens, gouuerneurs & ministres de la iustice de France, de le garder inuiolablement & à iamais: Les outrages, violences, & iniustices faites presque par toute la Frāce aux Huguenots, durant deux ans depuis ledict Edict: Le semblāt que Charles faisoit de vouloir faire chastier les seditieux & perturbateurs de paix & repos: Les menees que luy & sa mere ont fait, pour faire ve­nir à leur cour la royne de Nauarre, son fils, ses neueux, l'Amiral, & autres seigneurs & gentils-hommes Huguenots: Les nopces du roy de Na­uarre auec Marguerite soeur de Charles: La bles­sure de l'Amiral faite le dernier iour des deux ans apres la paix derniere: Le meurtre d'iceluy Ami­ral, & de tant de seigneurs gentils-hommes, & au tres, tant hommes, femmes, que petits enfans Huguenots, massacrez in humainement dans Paris, le Dimanche 24. iour d'Aoust 1572. & autres iours ensuyuans: les cruels massacres, violences, & rauissemens faits en plusieurs villes & endroits de la France, & ceux qu'on fait iournellement, sur la cōscience, hōneur, vie & biens des Huguenos: [Page 135] les armees & forces que Charles assemble, pour en exterminer la memoire dessus la terre.

Veu pareillement l'arest donné par Charles, & par son parlement de Paris, contre l'Amiral: l'arest contre Briquemaut & Cauagnes, & tout ce qui fait à voir: ayans ouy sur beaucoup d'autres particularitez l [...] Historiographe, le Politique, & plusieurs autres tesmoīs dignes de foy: & sur tout cela, escouté les plainctes, requestes & prieres treshumbles de l'Eglise, laquelle nous scauons a­uoir tousiours auparauant prié bien & affectueu­sement pour la conuersion de ses ennemis, conseruation & accroissement de leur est at & grandeur, pendant qu'elle y a veu quelque esperance d'amē dement. Le tout bien consideré, Nous auons dit & disons, que les Lutheriens & Huguenots de la France, n'ont tenu, comme ils ne tienent, aucun erreur ne proposition fausse en matiere de la foy & religion: ains tienent la pure vraye, & saincte doctrine Chrestienne, que la vraye Eglise catho­lique (de laquelle Iesus Christ est le chef) a tenu & confesse, tient & confesse, auec tous les saincts martyrs qui sont morts pour la seeller de leur sang: la mesme (à qui bien l'entend) que les Egli ses d'Allemagne, d'Angleterre, d'Escosse, de Su­ede, de Dannemarc, de Noruege, de Suysse, & tous autres esleus & enfans de Dieu tiennent & confessent, ayans ensemble mesmes marques & sacremens, ainsi qu'il appert suffisammēt à tout hō ­me, qui sans passion, pour seulement donner gloi re à Dieu, y regardera de pres. Qu'ils ont puise & tiré ceste doctrine des sainctes Escritures du [Page 136] vieil & nouueau Testament, lequel les ennemis de Dieu ont tasché & taschēt iournellemēt (mais en vain) d'abolir & esteindre: Ayant esté arresté au conseil eternel de Dieu, que les cieux & la terre passeront, mais sa parole demeurera eternelle­ment, quelque persecution que les ennemis de Dieu, en haine de la verité, dressent à l'encontre de ceux qui en font professiō, lesquels plus on les pressera, plus ils croistront, comme vn Israel en Egypte: & au contraire, Toute plante que le Pe­re n'a plantee, toute fausse doctrine, & ceux qui la maintienent & fauori sent, seront arrachez de dessus la terre. Partant sont exhortez tous enfans de Dieu, de constamment perseuerer, & continuer en mesme foy & esperance iusqu'au dernier sou­spir de leur vie, en adioustant autant que faire se pourra à ces deux, la charité pour compagne, sans laquelle la foy est incognue & morte.

Ce faisant qu'ils ne doutent nullement, quoy qu'il leur auiene de sinistre en ceste vie, que le Pere celeste ne les face participās en l'autte, des choses que l'oeil ne scauroit voir, l'oreille ne scauroit ouyr, & l'entendement de l'homme ne pourroit comprendre, que Dieu a preparees deuant la constitution du monde à ceux qui l'aiment & le crai­gnent: là où au contraire, les iniques, infideles & desloyaux, serōt logez és prisons perpetuelles, où il y aura tenebres, grincement de dents, & peines (pour le dire en vn mot) infinies: lors qu'ils di­ront, Ne sont-ce point ceux-la desquels la vie nous sembloit tant infame, & leur fin tant malheu reuse? Nous insensez! He, comment sont-ils lo­gez [Page 137] en telle gloire? comme leur est escheuë leur portion parmi les Saincts?

Quant aux arests de Charles & de son parle­ment de Paris, dōnez cōtre l'Amiral, Briquemaut & Cauagnes, nous les auons declarez & declarōs iniquement, iniustement, & desloyalemēt faits & donnez, & sur fausses, desloyales & impudentes calomnies, lesquelles lesperuers ont accoustumé de prendre pour pretexte de leur cruautez, ainsi qu'il appert euidemmēt en vn seul exemple pour tous: scauoir est, en la mort cruelle & ignominieu se que les Prestres de la loy, les Scribes & Phari­siens, voire le grād Sacrificateur mesme, & le peuple de Ierusalē, ont fait souffrir à nostre Seigneur Iesus Christ autheur de vie, le pendāt entre deux larrōs en croix, luy imposant qu'il estoit vn sedu­cteur & perturbateur d'estat, & qu'il se vouloit faire Roy, quoy qu'il marchast en toute mansue­tude & debonnaireté, faisant au benefice de la nation des Iuifs de continuels miracles deuāt leurs yeux, & n'estāt venu que pour leur conuersion & salut. Or le disciple n'est pas par dessus le mai­stre, s'ils l'ont persecuté, aussi vous persecuterōt­ils. Au reste, entant que touche ceste persecution (du mois d'Aoust & depuis en çà, faite sur l'Amiral & sur les autres fideles) nous auons dit & di­sons, que c'est la plus horrible, la plus estrange & detestable conspiration, la trahison la plus pol­tronnemēt menee, la desloyauté proiettee de plus loin, & le massacre le plꝰ barbare, qui ait esté ouy dés que Cain en trahison tua son frere Abel le iuste iusques à maintenant. Et ne sachant trouuer [Page 138] nom propre & conuenable à Charles, à sa mere, son frere, à ses cōseillers, fauteurs, iannissaires, & autres seruants: Nous disons pour maintenant (en attendant qu'ayons rencontré des termes as­sez significatifs pour exprimer le fait) qu'ils ont effacé la gloire de tous les tyrans les plus horri­bles, & des traistres les plus felons qui ont esté, sont, & serōt à iamais, comme tels les auons ban­ni & bannissons à iamais eux & toute leur poste­rité de toute la societé humaine. Ordonnant que doresenauant sera faite tous les vingtquatriemes iours des mois de l'an, memoire solennelle (en e­xecration de leur abomination) du massacre fait le 24. d'Aoust & autres iours ensuyuans, sur les Eglises Françoises, vrais membres de l'Eglise ca­tholique, de laquelle ces tyrās se vantent en vain n'en tenās ny marque ny enseigne, & n'ayāt pour toute religion, que le blaspheme en la bouche, & l'atheisme enraciné en leur coeur.

QVE ledict iour du massacre 24. d'Aoust se­ra à iamais nommé, La Iournee de la Trahison, Et le Roy (comme plusieurs de ses predecesseurs ont esté surnommez l'vn debōnaire, l'autre pere du peuple, &c.) sera appellé Charles le Traistre, & aura pour blason par l'anagrāme de son nom, Chasseur Déloyal.

Et faisant droit sur la requeste & priere de la­dicte Eglise, touchant Charles, son parlement, & autres mancipes de sa tyrannie, nous osons hardi ment asseurer, que sadite requeste, & toute autre qu'elle a fait & fera, sera exaucee, pour l'amour de son chefle Fils de Dieu, lequel ne poursuyura pas [Page 139] moins cest outrage, que s'il estoit fait à sa propre personne: ayant vne fois declaré, que qui la tou­che, touche la prunelle de son oeil. Partant est en­ioint à l'Eglise, & à tous ses membres suruiuans, d'attendre en toute patience l'aduenemēt du Seigneur, Ayans souuenance que Ierusalem, apres le meurtre fait en la personne de nostre Seigneur le sus Christ (d'autāt que la vengeance tardoit à venir, cuidant estre eschappee & à deliùre) se sentit raser iusques aux fondemēs, & vit dissiper & de­struire sa nation quarante ans apres, par l'armee des Romains, desquels neantmoins (en mettāt à mort Iesus Christ) ils fembloyēt pourchasser l'a­mitié & la bonne grace. Qu'ils se souuienēt aussi que le premiermonde moqueur & prophane, a­pres auoir mesprisé par l'espace de plus de cent ans les admonitions de ce bon patriarche Noé, fut submergé, lors qu'il y pensoit le moins: quand l'Eglise de Dieu (laquelle toute consistoit lors en huict personnes) fut garātie & conseruee, au mi­lieu des flots & des vagues. Qu'Achab & Iezabel sa femme, apres auoir quelque tēps regnē en per secutāt l'Eglise, furent destruits, eux & toute leur race, par Iehu, que Dieu suscita à cest effet: & d'v­ne infinité d'autres exemples, par lesquelson voit à l'oeil que le Seigneur apres auoir fouetté ses en fans, iette les verges au feu. Et pource que (cōme le peuuent considerer toutes personnes qui ont quelque sentiment, solide iugement & bon dis­cours) la ligue du Pape, du roy d'Espagne, & de tous les catholiques Romains, & la particuliere intelligence qui est entre l'Empereur & ses deux [Page 140] gēdres Rois, ne tendēt qu'à exterminer tous ceux qui se sont retirez de l'obeissance de l'Eglise Ro­maine: S'il est ainsi que Iesus Christ n'a qu'vne Eglise, dont la pluspart des Allemagnes, d'Angle terre, d'Escosse, Dannemarc, Suede, Noruege, Pologne, Suysse, & generalement tous ceux qui font vraye profession de l'Euangile par toute la terre, sont les membres: s'il est ainsi dy-ie, qu'ils soyent tous freres en vn mesme esprit, tous d'vn corps, membres l'vn de l'autre, selon l'intention du Sei gneur, qui distribue vne mesme vie à tous les seruiteurs d'vn maistre, suiets & soldats d'vn Roy & Capitaine Iesus Christ, qui n'a point fait de difference ou distinction des nations en la communication de son salut eternel, Qu'ils sont ensemble la maison du Seigneur, edifiee sur le fondement des Prophetes & Apostres, en vn temple sainct, duquel Iesus Christ est la maistresse pierre du coing. Et si derechef il est ainsi, que les bras, les mains, les iambes, & les pieds d'vn mesme corps doyuent seruice au chef, & particulierement se­cours les vns aux autres: Que les Princes, Princesses, & Potētats qu'il a cōstituez sur les pays cy dessus nōmez, qui se disent de l'Eglise Chrestienne, auisent de s'employer tous, à cōposer d'vn costé les differēs qu'en particulier les vns d'eux ont a­uec les autres, & d'autre part, à traicter entr'eux tous chaudement (sans marchander à qui cōmen cera, à recercher les autres, car cela n'est point de l'Esprit de Dieu) & par bonne negociation, vne ligue generale, d'eux, leurs suiets, & pays, pour se maintenir les vns les autres, s'opposer aux entre­prises [Page 141] de l'Antechrist & ses supposts: & se ressen­tir autrement que par le passé, des outrages faits à leurs freres à l'occasion de la religion, quelque autre pretexte qu'on y puisse auoir donné, Reco­gnoissans (auec visage relatif) que Dieu ne les a couronnez, ny cōstituez sur les autres & (qui plus est) receus en son Eglise pour leurs beaux yeux, ny pour les entretenir oiseux, gras & en bō point: mais pour seruir à sa gloire, & au soulagement de leurs freres (ie ne dy pas selon la chair) Ne dou­tans nullemēt que Dieu ne benisse, fortifie, & ren de stable la ligue qui aura vn tel fondement: & en ceste asseurance, employent leurs forces & moy­ens à maintenir l'Euāgile & tous ceux qui en font profession, contre la rage de Satan & les siens: & sans tarder ny perdre temps, considerans les lan­gueurs & miseres extremes dont sont poursuyuis ceux qui sont sous la tyrannie de l'Antechrist & ses enfans. Et s'ily en a de si aueuglez par l'ensor cellement du monde, qui ne vueillēt entendre à ceste ligue, Ie leur annōce au nom de Dieu, qu'ils ne sçauroyent par leurs subterfuges charnels & prudēces mondaines, euiter vn aspre & horrible sentiment des iugemens de Dieu (lequel n'a rien de cōmun auec la chair & le sang, & ne veut point que ceux qui mettent la main à la charrue regar­dent derriere eux) & moins auec leurs subtilitez & astuces aux affaires d'estat, euiter ce que leur brasse la ligue contraire, de laquelle ils ne peuuēt ignorer le but, & la haine conceué cōtr'eux: & en fin, fuyr qu'ils ne comparoissent deuant le grand Iuge, deuant lequel les maximes de Machiauelli [Page 142] ny de ses semblables ou disciples, n'ont aucuneva leur. Que pour les defaillās, les autres ne laissent à la faire: & si du tout elle ne se peut, ceuxausquels Dieu aura reserué la plus saine volonté & zele, s'employent autant que leurs moyens se pour­rōt estendre, à donner tesmoignage de leur pieté: sachans que (sans rompre la liaison de ce basti­ment de l'Egise, sans offenser la symmetrie de ce corps esleu & precieux, sans en somme commet­tre vne horrible lascheté) ils ne peuuent differer de dōner à leurs freres, le secours qu'ils voudroy ent en pareil cas leur estre donné. Et si le cōman­dement qui leur est fait d'assister principalement aux domestiques de la foy, & les exēples des an­ciens, & de ceux qui en moindre necessité ont se­couru aux guerres passees les fideles de la Frāce, ne les esmeuuent: qu'ils se souuiennēt des mena­ces qui sont faites en l'Escriture, contre les froids & contre les tiedes. Qui fera l'oreille sourde à la clameur du poure (dit l'Escriture) il criera au iour de la tribulation, & ne sera point exaucé. Allez (dira ce grand Roy au dernier iour) maudits de Dieu mon Pere, au feu eternel qui vous est preparé: I'ay eu soif, i'ay eu faim, i'ay esté nud, vous ne m'auez point soulagé, &c. Qu'ils sachent, qu'ou­tre la ruine qu'ils en peuuent receuoir en leurs e­stats & en leurs maisons priuees, le Seigneur leur redemādera tout le sang de leurs freres qui aura esté respandu deuāt leurs yeux, faute d'aide & de secours par leur nonchallance, dés l'heure qu'ils ont sceu l'affliction de leurs freres, y ont peu re­medier & ne l'ont pas fait.

[Page 143] Quant aux fideles François suruiuās, nous leur auons establi & establissons par le present arrest & iugement, les loix & ordonnances politiques qui s'ensuyuent.

1 Premierement, que comme les Niniuites à la voix de Ionas, les fideles aussi à la voix de Dieu courroucé, parlant par ses seruiteurs, & ses verges & menaces, publient & obseruent estroi­tement & sans hypocrisie, par autāt de iours que l'Eglise auisera, en chacune cité ou ville, où Dieu les aura retirez, vn sainct & chrestiē ieusne, qui ser ue à les humilier, abbatre & matter la chair, & ele uer l'esprit à Dieu.

2 Que par prieres publiques & tresardentes auecvn cōtinuel amendemēt de vie, du plus grād iusques au plus petit, ils facent (comme de nou­ueau) ainsi qu'au temps de Iosias, paix & alliance auec ce grand pere de famille irrité pour leurs pe chez: & sur ce l'vn auec l'autre cōioints par vraye foy & charité, ils annōcent la mort du Seigneur, celebrans sa memoire en l'action de la saincte & sacree Cene.

3 Que cela fait, en chacune ville estans assemblez en lieu public, ils iurent pour eux & leur po­sterité, d'accomplir inuiolablement les loix qui s'ensuyuent, à sçauoir:

4 Qu'en attendant qu'il plaise à Dieu (qui a les coeurs des Rois en sa main) de changer celuy de leur tyran, & restituer l'estat de France en bon ordre, ou susciter vn Prince voisin qui soit mani­festé (par sa vertu & marques insignes) estre li­berateur de ce poure peuple affligé.

[Page 144] Apres le serment fait, ils eslisent auec voix & suffrages publiques en leur dicte ville ou cité, vn chef ou Maieur pour leur cōmander, tant au fait de la guerre (pour leur defense & conseruation) que de la police ciuile, afin que le tout y soit fait par bon ordre.

5 Qu'à chacun desdicts Maieurs ils eslisent vn conseil de 24. hommes, lesquels & pareille­ment le Maieur, seront pris & choisis sans accep­tiō de la qualité, soit des nobles, ou d'entre le peuple, tant de la ville que du plat pays, comme ils se ront cognus propres pour le bien public.

6 Qu'outre lesdicts 24. conseillers qui seront ordinaires auec le Maieur qui sera le 24. y ait 75. hommes esleus, lesquels auec le nombre de cent, qui seront pareillement indifferemment pris tant des habitans des villes que du plat pays: par de­uant lesquels pourront appeller les parties és causes criminelles seulement, c'est à sçauoir, où y auroit condamnation de mort, bannissemēt, ou mutilation de membres.

7 Que sans le cōseil des 24. le Maieur ne puis­se resoudre ny faire aucune chose de la gue re ou de la police (qui peuuent tomber sous delibera­tion) Et és choses de plus grande importance, le conseil des 25. ne puisse aucune chose determiner sans le conseil des cent: comme pour loy nouuel­le, ou abrogatiō d'anciene, ordonnāce des mon­noyes, leuee de deniers, accord de trefuesou paix & choses directement touchantes au public, & d'importance.

8 Que les choses ordonnees par les chefs & [Page 145] conseils soyent diligemment executees & volon­tirement, sans aucune cunctation (comme deuant Dieu) sur peine de correction exemplaire.

9 Que tous les ans aux calendes de Ianuier, les 25. se deposent de leurs charges en l'assemblee des cent, & puis demeurans personnes priuees (si non du nombre des cent) par l'aduis d'eux tous, on procede à nouuelle election d'autres: à sçauoir d'vn Maieur & 24 conseillers, qui seront choisis comme est dict cy dessus, & dont ne seront exclus ceux qui se seront nouue Ilement deposez s'il est trouué bon à la pluralité des voix, excepté le Ma­ieur qui ne pourra estre appellé à mesme charge, qu'il n'y ait deux ans d'interualle pour le moins: mais demeurera du nombres des 24. conseillers pour ceste annee, en sorte qu'il n'y en aura que 23. à eslire de nouueau: & puis le nouueau Maieur qui sera le 25. & aduenant la mort de quelqu'vn d'eux dans l'an, seront assemblez les cent, qui y pouruoirront pour le reste de l'annee, selō qu'ils verront bon estre,

10 Que ces 25. le iour ensuyuant leur electiō cassent les 75. & en eslisent autant en leur place comme dessus, dont seront exclus ceux qui en au ront esté l'annee derniere seulement, & soit ainsi poursuyui cest ordre tant que besoin sera.

11 Que si quelqu'vn dudict conseil des cent est appellé à quelque charge ciuile ou militaire, soit deposé d'entre les cent, sinō qu'il fust enuoyé en qualité de commissaire pour traiter de paix, guerre, ou autre affaire publicque, auec Princes ou Republiques.

[Page 146] 12 Que ceux qui seront comptables ne puis­sent estre appellez à charge aucune quelle qu'elle soit, iusques apres la reddition & closture de leurs comptes, & qu'ils ayent payé le reliqua s'ils sont redeuables: & si aucun donnoit voix ou suffrages à vn comptable, soit condamné à vingt escus d'a­mēde qu'il payera prōptement à peine de prison.

13 Que les officiers ordinaires de la iustice s'ils sont cognus gens de bien, demeurent en leur premier estat, pour l'exercer comme de coustu­me, & iuger absolument des causes de leur iuris­diction, auec conseil de douze de la qualité requise. Et si lesdicts officiers ordinaires, ne sont gens qui ayent accoustumé de s'acquiter de leur de­uoir, & hors de toute chiquanerie: en les desmet tant, le Maieur & conseil de chacune ville en pour ra establir d'autres, de la qualité requise & necessaire pour exercer l'estat de iudicature: & seront lesdictsofficiers suiets à censures, reprimendes, & chastiemens s'ily eschet.

14 Qu'entre tous lesdicts chefs & conseils particuliers, ils eslisent vn chef general, à la façon de Dictateur Romain, pour commander en la cā pagne: auquel aussi ceux des villes & citez obei­ront en tout ce qui sera de sa charge, pour le bene fice commun de leur conseruation.

15. La façon d'eslire ce chef general feroir bō ne, si (comme les Ioniens, Doriens, Beotiens, A­chees, Delopes, & autres peuples des douze flo­rissantes villes de Grece, qui pour aduiser à leur estat, s'assembloyent deux fois en l'an: ou comme le conseil des Amphictyons du temps de Pausa­nias) [Page 147] les Maieurs & Conseils des villes se pouuoy ent assembler en quelque lieu & ville commode pour toutes: Mais pource que cela leur est mal­aisé pour maintenant, ils pourront apres vne saincte priere, chacun Maieur & conseil assemblé en­droit soy, proceder à l'election d'vn chef general, & enuoyer chacun Maieur & conseil son voeu & suffrage à celuy de la ville, qui (par vn aduis cou­rāt) sera trouuee plus propre à recueillir tous les aduis des autres: afin que là, selon la pluralité des voix & suffrages qui y seront enuoyez de dehors, ioints auec celuy de dedans, celuy soit solennelle ment declaré & pronōcé chef general d'entre les membres, à qui Dieu, par le plus de voix, l'aura voulu accorder.

16 Et combien que les necessitez des guerres n'attendent pas tousiours ce conseil, & que (cōme lon dit) la guerre se face à l'oeil: neantmoins, que soit esleu par mesme moyen & establi par la mes­me voye que dessus, vn cōseil au chef general, du qeel il soit tenu de prendre aduis, toutefois & quā tes que l'occasion s'y presentera, & que la necessi­té du temps & des affaires le permettra.

17 Que par mesmes moyēs soyēt esleus cinq ou six lieutenans au General, qui luy succederont (selon qu'ils serōt nommez) vn, apres la mort ou desmise de l'autre, en mesme ou semblable char­ge: pour euiter toute confusion, desordre, & incō uenient qui pourroit aduenir, par l'entreprise que les ennemis pourroyent faire en trahison, ou au­trement, contre le General, pour priuer les mem­bres de conduite par sa mort.

[Page 148] 18 Que tous lesdicts chefs & lieutenans soy­ent gens qui ayent (tant que faire se pourra) la crainte de Dieu, son honneur, sa gloire, & son E­glise, en souueraine recommandation: Et auec la prudence, soyent accompagnez de quatre choses, que lon scait deuoir estre en vn grand capitaine, scauoir est, de science militaire, de magnanimité & hardiesse, de reputation & creance, & de pro­sperité en ses entreprises.

19 Que les conseillers des chefs des villes & de la campagne, outre la cognoissance de l'art de la guerre, & de la police, soyēt de ceux que Iethro beau-pere de Moyse luy conseilloit d'auoir pour soulagement, hommes vertueux, qui craignent Dieu, hommes veritables, qui ayent en haine l'a­uarice.

20 Qu'ils prennent garde à ce que dit le sage: Que la repentance suit de pres le conseil leger, & que la plus part des fautes en la guerre & en l'e­stat, ne se peuuent faire qu'vne fois: Partant qu'ils n'oublient se garder d'en faire, & n'oublient à re­medier à tout ce que par conseil se pourra reme­dier & pouruoir.

21 Que sur les deniers & thresor publicque (quoy qu'il ne doyue estre en cest affaire de reli­gion & necessité commune à se conseruer, appel lé le nerf de la guerre) soyent commis par lesdits chefs & conseils chacun endroit soy, en chacune cité, gens de bien & sans fraude, tant pour rece­uoir que pour deliurer, & autres pour contrerol­ler: & sur tous eux, vn receueur & vn contrerol­leurgeneral, establiau lieu où ilsauiserōt lemieux [Page 149] & gens superintendans aux finances: tous comptables au conseil, pour euiter à toute fraude & mal­uersation.

22 Et pour euiter aux calomnies, lesquelles souuent sont esparses & mises à sus aux Chefs & principaux membres du corps, par l'artifice des ennemis, ou par enuie, ambition, ou autres sem­blables pestes que le diable fait souuent glisser, & cerche d'introduire en l'Eglise, ou qui naissent de quelque soupçon legerement pris par les soldats ou par le peuple: & pour empescher les desordres qui en aduiennent bien souuent: qu'il soit loisible en chacune ville à vn chacun, d'accuser par deuāt le Maieur & son conseil tous ceux (soit de la no­blesse, ou autres chefs, ou membres) qu'ils pense­ront machiner, pratiquer, ou faire quelque chose contre le bien public de la religion, & de la defense cōmune du corps. Et s'il aduenoit que le soup çon fut sur le chef & le conseil ou partie d'iceluy, l'accusateur pourra requerir que les cent soyent assemblez pour le bien public (à quoy seront te­nus satisfaire le Ma [...]eur & le conseil) & là par deuant eux tous proposer son accusation, afin d'y e­stre pourueu comme ils verront bon estre. Et ne se tiene pourtant aucun de ceux qui seront ainsi accusez, pour offense, de l'accusateur (qui ne doit estre mené que d'vne bonne cōscience) ains plus tost l'accusé soit aise & ioyeux, que Dieu face à tous ses compagnons paroistre son innocēce (s'el le y est.)

23 Que suyuant les iugemens qui s'en ensuy uront, soit faite punition cōdigne des coulpables [Page 150] sans auoir esgard en telles fautes, nyés autres, aux seruices passez que les coulpables, leurs parens & amis peuuent auoir faits: afin que la vertu (à la­quelle parmi les hommes est deuë recognoissan­ce & guerdon) ne soit satis faite de ses merites (au preiudice de la gloire de Dieu & de la feureté cō mune) auec la remission de la peine deuë à la faute: ains foit l'vne tousiour guerdonnee, & l'autre chastiee & punie: & qu'aussi aux faux accusateurs soit imposee peine, suyuant les loix, ordonnāces, ou coustumes des lieux.

24 Que la necessité de tenir armee en cam­pagne passee, le General en remettant sa charge entre les mains du conseil, ne desdaigne point (ny les autres chefs inferieurs pareillement leur tēps accompli) de retourner comme auparauant per­sonnes priuees, ou auoir moindre charge.

25 Que l'on introduise & obserue tresestroi tement, depuis le chefgeneral iusques aux moin­dres chefs & membres, la discipline ecclesiastique & religieuse, ordonnee & introduite par cy deuāt par les Synodes tenus en la France, auant la der­niere dissipation des Eglises, par les Ministres & Anciens d'icelles: afin que par ce moyen on voye à l'oeil, le regne de Dieu & le sceptre de sa parole, establi & entretenu: & le regne de Satan, auec la cohorte des vices, que le monde & la chair entre tienent, destruits, chassez, & abolis d'entre les fide les, comme il appartient à vrais enfans de lumie­re: Estans asseurez qu'en ce faisant, ils seront be­nits à la ville & aux champs: ils habiteront en tou te seureté, rien ne les espouuantera: le cousteau [Page 151] meurtriér ne passera point par leur terre: Cinq d'entr'eux poursuyurōt cent de leurs ennemis, & cent, dix mille. Le Seigneur establira son alliance auec eux: & les fera croistre & multiplier en paix & abondance de toutes choses necessaires: là où au contraire, s'ils mesprisent les ordonnances du Dieu viuant, s'ils laissent regner les vices & des­bauches parmi eux, la peur, le tremblement, les maladies, & autres langueurs, & toutes sortes de maledictions les poursuyuront: Le Seigneur tien dra tousiours sa face courroucee contr'eux: Ils mourront par la main de leurs ennemis, & fuyrōt sans que nul les poursuyue. Le Seigneur adiou­stera aussi (s'il n'y voit vn amendement, sept fois au double de leurs playes, comme il en a menacé son peuple d'Israel, en la place duquel ils ont sans doute esté plantez.

26 Qu'à l'execution d'vne si saincte oeuure, qu'est l'establissement & obseruation de la disci­pline ecclesiastique, à vn frein tant sainct & necessaire, les Magistrats tienent la main aux Consistoi res dans les villes: & à la campagne, le General, son conseil, ou autres capitaines, & tant qu'il y au ra de gens de bien en l'armee.

27 Qu'on introduise aussi & qu'on pratique le plus exactement que faire se pourra, entre tous les capitaines, chefs mineurs, & soldats, la discipli ne militaire, de laquelle ne sera ia besoī faire beaucoup d'atticles & ordōnances: estant la multitude d'icelles (si leschefs font leur deuoir superflue, & ne le faisāt point, pernicieuse & dōmageable. Il suf fira que toute la discipline militaire soit puissante [Page 152] d'enseigner (sous la loy de Dieu) & de faire prati quer aux soldats l'art & mestier des Lacedemoni ens, lequel en somme consistoit en trois choses: A bien obeir à leurs officiers, à porter gayement les trauaux de la guerre, & à vaincre ou mourirau combat.

28 Qu'ils se souuienent de ce que Iudas Machabeen respōdit aux coeurs faillis, Que la victoi­re ne gist pas en la multitude, & au grand nombre de soldats, ains la force est du ciel: Partant, qu'en inuoquant continuellement le Seigneur, ils suy­uent en leurs entreprises l'exemple de ce bon Machabeen, contre Nicanor, & autres ennemis du peuple de Dieu: Et n'oublient ce que Gedeon, assisté du Seigneur, fit de beau & de gaillard auec trois cents soldats, contre les Madianites: Car (à vray dire) tout ainsi que les ennemis au temps du Machabeen, aussi bien auiourd'huy les meschans assaillent-ils ce poure peuple, confus par leur in­iustice, trahison, & desloyauté, voulans abbatre le seruice de Dieu, & destruire hommes, femmes, & enfans: Et au contraire, les fideles cōbatent pour la gloire de Dieu, pour la deffense de son Eglise, & pour leur vie & conseruation.

29 Que les capitaines s'estudient à faire exer cer les soldats aux armes, au combat à l'escarmou che, à soustenir ou liurer vn assaut, Et que le Ge­neral en particulier s'estudie à apprendre à toute l'armee, de se renger en vn clein d'oeil (si besoin est) en bataille, en plusieurs & diuerses sortes, à garder leurs rengs, à se rallier, selon le lieu, les gēs ou selon les ordres, reng, & constitution de batail [Page 153] le de l'ennemi, ou autre necessité occurrente.

30 Que les chefs, & principalement le General, harengue souuent l'armee & les particulieres compagnies, pour encourager, retenir, louer, blasmer, ou autrement renger le soldat, selon l'occa­sion qui se présentera.

31 Que les soldats Chrestiens ayent honte qu'il se trouue entr'eux querelles, brigues, & de­bats, n'ayans iamais esté trouuez entre les soldats (quoy que prophanes de l'armee de Annibal, en vn si long temps qu'il fit la guerre aux Romains, bien que son armee fust composee de soldats de diuerses natiōs, & langues: qu'ils considerēt quel le vergongne ce seroit'à vn homme, si ses mēbres s'entrequereloyent l'vn l'autre. Quel reproche ce seroit à vn pere de famille, si on voyoit ses enfans s'entrepicquer: Et partant, qu'ils aduisent de com batre en toute vnion & concorde la querelle du Seigneur, comme deuant sa face.

32 Et pource qu'il a esté enseigné tant par theorique, que par pratique & experiēce: que des trois voyes du traictemēt qu'on peut faire aux en nemis, la moyene est tousiours dōmageable, comme celle qui n'acquiert point d'amis, & ne priue point d'ennemis: que tous les chefs & conseils se resoluent, à faire pratiquer exactement ces deux extremes: sçauoir est, toute rigueur enuers lestrai stres & seditieux armez, & toute la douceur qu'il sera possible enuers les catholiques paisibles.

33 Que de ceux-là, nul ne soit espargné: & qu'à ceux-cy, ne soit fait aucun outrage ne force, en leur conscience, honneur, vie, & biens, ains [Page 154] soyent conseruez en amitié, & en paix, cōme com patriotes & freres bien-aimez: en leur communi­quant de la doctrine de salut auec toute charité & affection chrestiene, autant qu'ils se voudtōt ren­dre capables & dociles pour la receuoir: sans vser en leur endroit pour regard de la foy que d'vn bō exemple, que chacun s'efforcera de leur donnet en bien viuant, suffisant moyen (s'il plaist à Dieu le benir) auec la predication de l'Euangile, pour les amener à la cognoissance du fouuerain bien de l'homme.

34 Vray est, que pour autant que l'estat afli­gé desfideles pourroit auoir besoin de viures, munition & deniers, les Catholiques François (ainsi traictez que dit est) pourront estre priez de les en secourir: & aduenant qu'ils refusassent de le faire, y pourront en cas de grande necessité estre con­traints par tous les plus honnestes moyens dont on se pourra auiser: ce qui ne pourra tourner à blasme, si on considere que Dauid en la necessité s'est serui des pains de proposition.

35 Surquoy les Chefs & Conseils seront ad­uertis, de bien & soigneusement mesnager tout ce qui pourra tomber en mesnage, & profit publique, pour ne rien despendre superfluement, & n'a uoir à charger les amis plusque de besoin: Prenās garde àce que Tite Liue dit, que la guerre se nour rist elle-mesme, cōme l'enseigne tresbien le long temps que Annibal a mené la guerre en Italie, sans auoir aide, ou argent frais de la republique de Carthage.

36 On scait bien que quand on sera cōtraint [Page 155] de camper, si le soldat est instruit & commādé de se cōtenter de l'ordinaire du bon-hōme auec tou tc modestie & crainte de Dieu, (ce qui auiendra aisement, si outre la parole de Dieu, & les loix militaires qui leur doyuent seruir de bride & cōdui te, le capitaine ou soldat considere le traictement qu'il voudroit luy estre fait, s'il estoit en la place du bon-homme, voire tout le village en corps, sera bien aise de dresser estappe, fournir munitiōs, argent & autres commoditez, entre les mains de ceux qui seront establis pour les receuoir.

37 Ceste bonne & modeste façon de loger, outre que c'est le deuoir du soldat Chrestiē d'ain si le pratiquer, contentera infiniment le coeur du peuple des villes & du plat pays, qui scait com­bien ceste querele est iuste, & la deffense contrain te: au contraire, le parti des ennemis, meschant traistre, desloyal, & volontaire: tellement qu'au lieu que par le passé, les des bauches & desordres auoyent aliené le bon-hōme, des fideles, en sorte qu'en vn bien grād village, quand on alloit pour y loger, à peine y trouuoit-on à qui parler, main­tenant auec vn tel deportemēt, le bon-hōme s'ef forcera de recueillir le soldat, & de faire au reste tous les bons offices qu'il luy sera possible, cōtre les ennemisde la paix & societé ciuile des Frāçois.

38 Qu'il y ait vn ou plusieurs bons preuosts de camp, accompagnezde bon nombre d'archers pour punir à la rigueur & promptement, les fau­tes que le soldat desbauché pourroit faire, contre la loy de Dieu, & la police de l'armee.

39 Que les Chefs se souuienent de ce que [Page 156] Polibe dit, que la partie la plus requise en vn grād Capitaine est, qu'il cognoisse les cōseils & le naturel de son ennemi: & partāt ne soyent iamais sans vn bon nombre d'espies (desquels ils doyuent & peuuent auoir à rechange) de toutes parts.

40 Qu'ils ayent entre toutes leurs maximes de negociation, ceste-cy en singuliere recōman­dation, De ne se fier iamais en ceux qui tant de fois & par si insignes & prodigieuses trahisōs, ont violé & rōpu la foy, le repos, & la paix publique, ny iamais se desarmer tant qu'ils feront poursuite cōtre la doctrine de salut, ou cōtre la vie de ceux qui en font profession: se gardans bien de faire ia mais de ces paix, qui seruent d'instrumēs à massacres. Que s'il aduenoit de tomber en quelques termes d'accord, ce soit auec telles conditions, qu'auant tout oeuure, soit resolument establi ce qui est expedient pour la gloire de Dieu: & apres cela, si biē aduisé à la seureté des poures Eglises, qu'elles ne soyent plus à la merci des loups & ty­gres.

Que si (comme dit est) il plaist à Dieu de tou­cher le coeur des tyrans, & les changer, comme il en a la puissance, lors de bonne volonté ils se sub mettent à ceux que Dieu leur a ordonnez pour Princes naturels, & leur rendent tout deuoir de bons & obeissans suiets. Mais si le mal est venu iusques au cōble, & que la volōté de Dieu soit de les exterminer: s'il plaist à Dieu susciter vn prin­ce Chrestien vengeur des offenses, & liberateur des affligez, qu'à cestuy ils se rendent suiets & o­beissans, comme à vn Cyrus que Dieu leur aura [Page 157] enuoyé, & en attendant ceste occasion, qu'ils se gouuernent par l'ordre cy dessus establi par for­me de loix.

Lesquelles loix, aduis, & ordonnāces, & autres qu'ils pourront d'eux-mesmes selon l'occurrence des choses, dresser & bastir, cōformes aux presentes, selon la parole de Dieu: Nous leur auons or­donné & ordonnons d'obseruer & entretenir de poinct en poinct, selon leur forme & teneur, & de lignee en lignee: se gardans bien de permettre, qu'elles ressemblent (comme Anacharsis disoit à Solon) aux toilles d'araignee, dans lesquelles si quelque chose de leger tombe, il est retenu, là où le pesant fardeau passe au trauers en deschirāt la toille: Enquoy faisans, nous les auons asseurez & asseurons, que quād bien ils ne seroyent iamais secourus par leurs freres des autres nations (ce qui seroit trop indigne, & ie ne le veux seulement imaginer) ils se pourront conseruer (moyenant la grace de Dieu) en son pur seruice, exercice de la religion Chrestiene, pleine liberté de leurs con­sciēces, & en toute seureté & repos, autāt que les euenemēs d'vne guerre iuste, biē fondee, biē conduite & ordonnee, le peuuent souffrir & endurer sous la garde de ce grād Dieu des armees, du Roy des siecles, immortel, inuisible, seul Dieu sage & puissant, auquel soit tout honneur & gloire à ia­mais.

L'egl.

Ainsi soit-il. Et certainement ie le croy, ie m'en tien toute asseuree, & soubscris fort volon­tiers à ton aduis & iugement.

Ali.

Et moy.

Phil.
[Page 158]

Et moy aussi.

L'hist.

Ie trouue ce que Daniel a dit si sainct, que non seulement ie soubscris à la verité du faict, à l'aduis qu'il dōne à tous Princes qui ont receu l'Euangile, & à l'ordre qu'il dōne aux poures Fran­çois. Mais aussi (par la grace de Dieu, qui m'a touché en l'oyant discourir du faict des Huguenots) pour beaucoup de circonstances, en la considera­tiō desquelles il m'a fait entrer, ie croy qu'ils sont gens de bien, & qu'ils tienent la vraye pureté de religion Chrestiene: mesmement quand ie me re mets en memoire de leur confession de foy (qui est imprimee au bout des Pseaumes de Dauid) la quelle i'ay leuë & releué plusieurs fois. Mais pour ce que deuant qu'y mettre le nez, ie m'estoy' tou­siours proposé de ne rien croire de ce qui y est cō tenu, de peur d'estre surprins, comme nostre curé nous a tousiours dit, qu'il est mal-aisé de lire vn liure des Huguenots sans le deuenir: Ie n'y auoy' pas prins garde de si pres, mais ie suis cōtent d'e­stre trompé de ceste sorte. Et ausurplus ie m'as­seure, comme Daniel a dit, que Dieu ne laissera impunie (quoy qu'il tarde) la meschanceté qui a esté faite aux poures Huguenots François: Et les meschans ont beau en rire, car ils ne scauroyent attacher au bout de leur vie celle des Huguenots, qu'ils leur ostent si licencieusement, cōme s'il n'e stoit point de Dieu. Or à luy soit louange, de la grace qu'il me fait de m'ouurir les yeux, me communiquer sa lumiere, & m'eslōgner des tenebres le priant qu'il me fortifie, pour pouuoir, si besoin est, souffrir & endurer pour le tesmoignage de sa [Page 159] verité, auec le surplus des fideles.

Le pol.

Et moy, i'en dy, i'en croy, & en prie tout au tant: estant prest & appareillé de faire tout ce qui sera aduisé expediēt pour la gloire de Dieu, & la conseruation de son Eglise, autant qu'il me sera possible, par sa grace.

L'egl.

Loué soit l'Eternel à iamais, qui a manifesté sa vertu & puissance conioincte à sa bonté & gra­ce en ces deux bonnes gens icy. Vous soyez les tresbien receus en la maison du Seigneur. Ie tas­cheray de faire que vostre conuersion y soit co­gnue de tous, afin de nous en resiouir ensemble, & en redre graces solēnçlles au Seigneur. Ce fait, vous Historiographe, irez par deuers les Rois, Princes, & Nations, qui ont receu l'Euāgile: leur faire entendre tout ce qui s'est passé en Frāce contre les Chrestiens, & l'arrest que Daniel en a don né, afin qu'ils aduisent de pres à leur deuoir. Et vous, Politique, irez trouuer nos freres & mem­bres François, pour leur declarer l'arrest, l'aduis, & ordonnances, que Daniel a donné sur ce faict. Et tiendrez la main auec eux, à ce que le tout s'effectue pour la gloire de nostre Dieu, & conserua­tion de ses enfans.

L'hist.

le le veux bien.

Le pol.

I'en suis content.

L'egl.

Le bon Dieu vous benie & conduise tou­siours par son sainct Esprit, pour l'amour de son Fils Iesus Christ nostre Seigneur. Amen.

FIN.

DIALOGVE SECOND DV REVEILLE MATIN DES FRANCOIS, ET DE LEVRS VOISINS.

Composé par Eusebe Philadelphe Cosmo­polite, & mis de nouueau en lumiere.

A EDIMBOVRG, De l'imprimerie de Iaques Iames.

Auec permission.

1574

ARGVMENT DV SECOND Dialogue.

Le Politique & l'Historiographe François, re­uenans par diuers chemins de leur charge, se ren contrent (comme Dieu veut) logez en vne mes­me hostellerie à Fribourg & Brisgoye, & apres s'estre recognus, caressez & recueillis, ils recitent l'vn à l'autre le succez de leurs voyages, l'estat present de la France, & par occasion quelque trait de celuy d'Angleterre. Ils traitent aussi de la puissance des Rois, de la tyrannie, & de la seruitude volontaire, & plu­sieurs autres bellesmatieres tres necessaires en ce temps, re­seruans au lendemain ce qu'ils ont à dire de plus.

DIALOGVE SECOND.
Interlocuteurs.

Le Politique l'Historiographe.
Le Politique commence en chantant le Psalme CXXIIII.
Le pol.
Or peut bien dire Israel maintenant,
Si le Seigneur pour nous n'eust point esté,
Si le Seigneur nostre droict n'eust porté,
Quand tout le monde à grand fureur venant
Pour nous meurtrir, dessus nous s'est ietté:
L'hi.
Ie suis deceu si ce n'est la voix de celuy que
ie desire le plus de voir en ce monde.
Le pol.
Pieça fussions vifs deuorez par eux,
Veu la fureur ardente des peruers:
Pieça fussions sous les eaux à l'enuers,
Et tout ainsi qu'vn flot impetueux,
Nous eussent tous abysmez & couuerts.
L'hi.

Ou ie resue, ou c'est lamy sans nulle doute, Mon Dieu où peut-il estre entré? Seroit-ce point en ceste chambre? Hola he, Ouurez vn peu, ie vous prie.

Le pol.

Qui estes-vous, qui ainsi hurtez?

L'hi.

Gens de paix, ouure l'amy.

Le pol.

O Seigneur, C'est l'Historiographe. Est-il possible!

L'hi.

Ce l'est vrayement, mon grand amy.

Le pol.

Que ie t'embrasse, He qu'il y a de temps que ie souhaite d'auoir le bien que ie reçoy!

L'hist.

Il m'auient tout ainsi qu'à ceux qui ont lon guement attendu, apres quelque bien rare chose, qui mal à peine peuuent croire lors qu'ils l'ont [Page 4] en leur puissance, que ce soit ce qu'ils de siroyent. Ainsi dy-ie m'auient-il de te voir maintenant icy.

Le pol.

Ie t'asseure mon grand amy, qu'il m'aulent aussi tout de mesme, en t'y voyant.

L'hist.

Si n'est-ce fable, ny fantosme, nous voicy tous deux, Dieu merci.

Le pol.

Dieu soit loué, qui nous a conduits à sau­ueté, & nous a faict entrerēcontrer lors que nous y pensions le moins. S'il te semble nous en remer cierons ensemble nostre bon Dieu, de tout nostre coeur, & puis apres nous entretiendrons l'vn l'au tre tout à l'aise du succez de nos voyages.

L'hist.

Nous ne pouuons honestement laisser pas­ser ceste occasion, de remercier bien humblemēt nostre grand Dieu, sans encourir le vice d'ingra­titude, l'vn des plus desplaisans à Dieu, & moins souffrable entre les hommes. Mais il nous faut tenir la porte close, pour euiter l'inconueniēt qui nous pourroit suruenir, veu le lieu où nous som­mēs: où le pur seruice & l'inuocation du nom de Dieu (comme en tout le reste de la Papauté) est deffendue.

Le pol.

I'espere que bien tost (comme il nous est commandé de Dieu, expedient pour nos miseres & necessaire pour nostre deuoir) il nous sera aussī permis de seruir Dieu par tout ouuertement. A­pres que sa Maiesté aura fait iustice de la grande Paillarde, qui a corrompu la terre par sa paillar­dise, & qu'il aura vēgé le sang de ses seruiteurs de la main d'icelle: lors que les Rois de la terre, qui ont paillardé auec elle, & ont vescu en delices, [Page 5] pleureront & se lamenterōt à cause d'elle, quand ils verront la fumee de son bruslement: Lors dy­ie, qu'il n'y aura plus nuls Chananeens en la mai son du Seigneur desarmees. Et que tous ceux qui seront demeurez de reste de routes les natiōs qui auront fait la guerre à l'Eglise de Dieu, adorerōt le Roy le Seigneur des armees. Ainsi que la pre­dict Zacharie en sa Propherie.

L'hist.

Ie l'espere aussi tout ainsi. Cependant no­stre deuoir est, de marcher en tout prudemment, & d'attendre en toute patience ce temps là que le Pere a mis en sa puissance.

Bien le pouuons nous prier qu'il abbrege ces iours-là, & qu'il haste la vocation de ses esseus.

Le pol.

Tu dis vray. Or le prions donc à genoux, s'il te plaist de faire les prieres ie te suyuray de tout mon coeur.

L'hi.

Ie le veux bien. Prions,

Seigneur Dieu Pere eternel & tout puissant, Nous tes poures seruiteurs, ayans esté transpor­tez par ta grace, du Royaume tenebreux, au Roy­aume de lumiere, & tost apres employez parton Eglise en des charges importantes à ton seruice: Te rendons graces, nous te louons, nous te ma­gnifions Seigneur, pour les biens infinis (& qui à dire vray, nous sont incomprehensibles) que tu nous distribues iournellemēt de ta liberale & in­fatigable main, de ce que par ton bras fauorable tu nous as conduits & ramenez nous ayant admi nistré les choses necessaires à nostre voyage, & nous deliurāt des dāgers ausquels nous sommes exposez le plus souuent pour nos pechez. Nous [Page 6] te supplions Seigneur, qu'il te plaise ennous par donnant nos fautes, continuer tes benedictiōs & graces sur nous, & sur tes autres enfans & serui­teurs, comme tu cognois estre expedient pour le bien de ta gloire. Sur tout Pere & Sauueur, fay nous tousiours fermement esperer és promesses du salut eternel qui nous a esté acquis par le sang precieux de ton Fils ton bien-aimé. Et nous fay continuellement dependre de ta prouidence, par laquelle iusqu'aux plus petits d'entre les oyseaux sont nourris & soustentez, & les cheueux de nos testes comptez & gardez, iusques à tant Seigneur, que tu nous retires de ces miseres, pour nous fai­re iouyr de l'immortalité bien-heureuse, de la­quelle iouyssent ceux que tu as retirez en paix. Ce pendant Seigneur, nous te supplions de prouuoit en general & en particulier, à toutes lesnecessitez de ton Eglise, de haster le temps de la vocation des tiens, & abbreger les iours de la restauration des choses. Et de nous faire en particulier la gra­ce que nous puissiōs bien tost estre rendus en sau ueté, à l'Eglise qui nous a enuoyé pour luy pou­uoir rendre fidelemēt compte de la charge qu'el­le nous a donnee: fay-le Seigneur, pour l'amour de Iesus Christ ton Fils nostre sauueur. Ainsi soit-il.

Le pol.

Ainsi soit-il. Or il faut que ie te die deuāt que passer outre, que ie me resiouy grandement, & m'esmeruéille quand & quand, considerant la peine que tu as eue, & les dāgers par où tu as pas­sé en faisant vn si lōg voyage, de l'embon poinct que tu nous en rapportes.

L'hi.
[Page 7]

I'ay eu de la peine vrayement pour la lon­gueur du chemin, & diuersité de Regions, par où il m'a conuenu passer. Mais la gayeté de coeur, de laquelle i'ay marché, m'a fait trouuer tout le la­beur facile: Quant aux dangers, tu scay bien que celuy pour lequel ie marchois est bō & fort pour garder ceux qui se retirent en sa garde: aussi m'a­il tellement garenty que les dāgers ne m'ont ap­proché que de bien loin. Le plusd'ennuy que i'ay senty, ç'à esté (afin que ie n'en dissimule rien) les Karhous & autres insolēces ou lon m'a voulu cō traindre d'entrer par plusieurs fois en trauersant les Allemagnes: Les coups de coude pareillemēt & les brocards de Franche dogues, dont les An­glois vsent souuent, conioints auec la vaine & sù perbe contenance, & autres desbauches qu'on voit en Angleterre, m'ont merueilleusement of­fensé.

Le pol.

Il y auoit assez dequoy se fascher: mais l'en nuy seroit grand au double, si ces sortises estoyēt pratiquees par quelques Chrestiens & gens de marque. Et ie me doute bien que les Karhous Al lemans ne se trouuent que parmi quelques vieux yurōgnes Papistes, és taruernes & hostelleries où il seroit biē aisé de se faire seruir à part pour fuyr la violence de ces Sacs-à vin. Quant aux cours des Princes & Seigneurs Protestans, où tu auois le plus affaire, ie m'asseure que tu n'y as rien veu de semblable, ny pareillement parmi les Anglois de bonne estoffe (si leur contenance ne trompe mon iugement) rien que courtoisie & douceur, accompagnee de toute modestie.

L'hi.
[Page 8]

Pleust à Dieu qu'ainsi fust l'amy cōme c'est pour la plus part, tout au contraire. Les plus grās y font les plus lourdes fautes, voire les plus reli­gieux sont plus qu'il ne seroit à desirer, embrenez de ces ordures.

Le pol.

Que me dis-tu?

L'hi.

Il est ainsi ie t'en asseure, & nul ne leur vient au denant, ils s'en dispensent à leur gré.

Le pol.

Et les Pasteurs, quoy cependant? ne repre­nent ils pas ces vices?

L'hi.

La plus part sont des chiens muets, presque tous compagnons d'Hely, il n'y a point de disci­pline.

Le pol.

Si est-ce que i'ay ouy dire qu'ily auoit en Angleterre plusieurs Ministres bons Pasteurs, qui desirās la reformation de la vie & moeurs des hommes, & de quelques ceremonies externes qui sont demeurees de reste de la Papauté, ne cessoy­ent de faire tout deuoir par escrit & de viue voix, pour mettre la discipline Ecclesiastique au dessus: Et quelque bon Prince Protestant qui la vouloit mettre en ses terres.

L'hist.

Tu dis vray: Mais son bon vouloir n'a pas eu l'effet desiré: Et quant à ces bons personnages Anglois, du temps mesme que i'ay esté en Angle­terre, ils ont esté merueilleusement trauaillez par les Ministres de la iustice: Les vns ont esté ban­nis, les autres deposez de leurs ministeres: Et leurs escrits parlans de reformation, condamnez com­me seditieux.

Le pol.

Est-il possible?

L'hi.

Il est ainsi.

Le pol.
[Page 9]

Quant au dessein de ce bon Prince, ie ne m'esbahy pas par trop qu'il s'en soit allé en fu­mee, veu la tiedeur & lentitude de laquelle les Princes marchent, quand il est question de repur ger les Eglises qui leur sont commises: Conside­rāt aussi la malice des Peuples qui abusent le plus souuent du bon naturel de leurs Princes. Mais de ce fait-là d'Angleterre: i'en demeure tout eston­né. Quelle iniustice! Quelle d'esloyauté! Ie me doute bien d'où cela peut venir, il ne peut proce­der que de la bobance, ambition & insolence des Prelats Anglois, fauorisee de la Chattemiterie de quelques vns du conseil que ie te pourrois biē nommer. Mais qu'ils oyent (outre les passages de l'Escriture) ce que dit quelque grand personnage de nostre temps, parlant de la discipline Ecclesia stique. S'il n'y a (dit-il) nulle compagnie, ni mes mes nulle maison quelque petite qu'elle soit, qui se puisse maintenir en son estat, sans discipline: Il est certain qu'il est beaucoup plus requis d'en a­uoir en l'Eglise, laquelle doit estre ordonnee mi­eux que nulle maison, ny autre assemblee.

Pourtant comme la doctrine de nostre Seigneur Iesus est l'ame de l'Eglise, aussi la discipline est en icelle, comme les nerfs sont en vn corpspour vnir les membres & les tenir chacun en son lieu & en son ordre. Pourtant tous ceux qui desirent que la discipline soit abbatue, ou qui empeschent qu'el­le ne soit remise au dessus, soit qu'ils le facent à leur escient, ou par inconsideration, cerchent d'a­mener l'Eglise à vne dissipation extreme.

L'hist.

Cela est tant bien dit que rien plns: Mais [Page 10] quel remede quand les principaux d'entre lesgés d'Eglise qu'on appelle, qui deussent porter le flā ­beau deuant les autres, se contentans d'auoir re­ceu la doctrine, n'ont cure de reformatiō. Et quel que bon exemple que leurs voisins Escossois & autres peuples qui l'ont receue, leur en sachent dōner, n'ont pas honte dese monstrer ennemis ou uerts de toute discipline, cependant la feinte sim­plicité du surpelis plié menu comme celuy d'vn prestre, la sotte & superflue clarté des chandeles en plein midy, le son sans intelligēce des Orgues, La gaye musique gringotee ne manque point de dans leurs temples, en leurs seruices ordinaires. Là dessus Monsieur l'Archeuesque, Monsieur le Primat, Mōsieur l'Euesque, & autres tels officiers accompagnez de pages, laquets, estaffiers, & au­tres falots, iusques à 20 30 40 100, & tel y en a ius­ques à 200 cheuaux.

Le pol.

O Seigneur, iusques à quand y aura-il de tels Maistre-d'hostels en ta maison! Quels vigne rons, quels moissonneurs! ils ont prins l'Euangi­le en vain les paillards, & s'en sont fait riches.

L'hi.

Bellement ie te supplie, tu es trop prodigue censeur, ils ne sont pas tous ainsi Dieu mercy, & pour le moins la doctrine est pure parmi eux.

Le pol.

Voire deal Mais où sont les fruicts de la vi gne du grand Seigneur? Ne sont-ce plustost des lambrusches que bons raisins? Et ne craignent­ils pas, ie parle à ceux que le Seigneur a establis guettes sur Israel, que le Seigneur leur redemāde les brebis qui perissent par leur faute: Voire & les vns & les autres ne craignēt-il pas q̄ le Seigneur [Page 11] òste son Chandelier du milieu d'eux, & leur face souffrir la faim, ie dis la faim de sa parole vraye pasture des ames, puis qu'ils en abusent ainsi? Et c'e­ste Princesse leur Royne, qui a la reputation d'e­stre tāt sage & vertueuse, qui porte le titre de chef de l'Eglise en son Royaume, & de deffēsatrice de la foy. Est-il possible qu'elle & les seigneurs de son Conseil endurent vne telle des bauche en la maison du Dieu viuant?

L'hi.

Ce n'est pas là tout, Il y a biē encore pis à craīdre.

Le pol.

Nostre Seigneur! qu'y pourroitil auoir de pire, entre ceux qui ont receul'Euāgile, que de n'ē vouloir (parma niere de dire) que la moitié, à sc. la seule doctrine?

L'hi.

Ne seroit-ce pas chose plus deplorable, si encores de ceste moitié-là ils en faisoyent si peu d'estat, qu'ils nese souciassent, quand bien auiour d'huy ou demain elle leur seroit ostee.

Le pol.

Cela est bien certain.

L'hi.

Or sont-ils presque sur le point de la perdre s'ils ne s'auisent.

Le pol.

Ie serois extremement marri, quoy que le peuple qui en abuse soit digne d'en estre priué, si ce que tu dis auenoit: Mais dy moy comment ce peut estre.

L'hi.

Il ne faut que la seule mort de la Royne, pour tout chāger & rēuerser.

Le pol.

Cō ­ment, Bon Dieu! En 14. ou 15. ans qu'elle a regné, n'a elle sceu establir telles loix & ordōnāces que la doctrine de l'Euāgile puisse demeurer pure a­pres sō despart bō gré mal gré la Papauté? A-elle si peu profité en la lecture des bōs liures, que i'en tens luy estre tāt familiers? Faudra-il qu'vn Cice­ro luy enseigne sa leçon, surpassant de zele enuers la Republique Romaine, le zele de ceste Royne enuers l'Eglise de Dieu?

[Page 12] Quant il afferme n'auoir moins de soin de l'estat [...]uenir que de l'estat present de sa Republicque: he Dieu, quelle lascheté voila,

L'hi.

Ie t'asseure l'amy que si la Royne & son Conseil ou le Parlement d'Angleterre ny remedie, qu'ils sont venus comme à la veille de voir la subuersion de leur estat & de la Religion ensemble.

Le pol.

Ha miserables! Et que tardent ils, qui les empesche d'y mettre la main deuant la main?

L'hi.

Rien ne les en destourne que la des bauche & la vanité de la cour, les delices des Prelats, la su perbe des nobles: Et pour le dire en vn mot le peu de zele que la plus part des Anglois a enuers le seruice de Dieu. Et Dieu par son secret iuge­ment, pour se venger de telle lascheté tient cōme en lesse vne royne d'Escosse, que chacun cognoist assez plus proche de la Couronne d'Angleterre, pour la lascher tòut aussi tost apres la mort de coste-cy. Et Dieu scait quel remuement on y verra s'ainsi aduient.

Le pol.

O Seigneur! Et vit-elle encore ceste fatale Medee? Qui eust iamais cuydé cela? Catherine de Medicis, & ses enfans ont bien surpassé en luxu­re, en cruaùté & perfidie trestous leurs deuāciers ty rās, ils les ont dy-ie, iustifiez, & aboly le plus de leur renom: Mais apres ceux-là, ie croy certes qu'on doit l'honneur à ceste-cy, d'auoir couche à toutes restes son estat, honneur & grandeur, & rafreschy en plus de sortes le ieu tragique malheu­reux. Il sembloit bien que sa prison la deuoit a­uoir priuee des moyens de continuer ses deporte mens: Mais à ceque l'on a veu la violence de cest [Page 13] esprit, n'a peu estre retenue ny empeschee qu'elle n'ait teté le dernier effort de sō destī, traināt auec son desastre la ruine de tous ceux qui s'en sont accostez. L'infortuné duc de Northfolc a esté le dernier, qui par son supplice nous sert de bon tes­moin, qu'elle n'a laisse peril à essayer. Ayant fait la plus hasardeuse entreprise qui se peut faire, qui est, d'attenter sur la vie de celle qui a la sienne en sa puissance, & de contraindre ceux qui ont sa vie en leurs mains, de n'estimer point leur vie estreas seuree s'ils ne luy ostēt la siene: Mais qu'attendēt ils ces Anglois? N'y a-il ame qui remonstre à la Royne & à son Conseil la necessité qu'ils ont de s'oster vne telle espine du pied?

L'hi.

Voire dea: Ily en a eu des plus doctes & plus zelez qui n'ont rien oublié à luy dire sur ces arguments: Mais la royne d'Angleterre est si bonne, elle est tant pleine de clemence & douceur quelle ne prent point de plaisir à voir respandre le sang.

Le pol.

Quelle douceur nostre Seigneur, & quelle clemence est celle-là, qui traine auec soy la ruine d'vn estat si beau & si grand, & de la Religion en­semble! N'est-ce plustost la cruauté la plus ex­treme qu'on vit onques? Si vne telle calamité se peut euiter par moyēs iustes & licites: Celuy qui ne l'empeschera ne sera-il pas coulpable de tous les mal-heurs qui en aduiendront: Sera-ce pas v­ne cruelle clemence pour espargner le digne de mort, faire mourir tant d'innocents, & vne dou­ble charge de conscience à vn Prince de ne vou­loir faire iustice, ne procurer le salut de tout son Royaume. Dieu presēte ce choix à la royne d'Angleterre [Page 14] de faire iustice, & asseurer son estat & la Religion en Angleterre, ou refusant iustice, y rui ner l'estat & la religion ensemble. Car on ne peut dire qu'apres le decez de la Royne d'Angleterre, les choses estant en l'estat qu'elles sont, il y ait moyen d'empescher que la royne d'Escosse ne vie ne à succeder, & par consequent tout l'estat du Royaume à renuerser, & la Religion à changer, tous ceux qui ne voudront estre si meschans que de quitter le ciel pour la terre, & renier leur re­ligion, pour le moins bannis, chassez, eux & leurs enfans miserables, cōme on a ia veu l [...] pourtraict au regne de la Royne Marie.

L'hi.

Cela est certain: Et beaucoup de gens de biē Anglois, auec lesquels i'ay deuisé de cest affaire, ne s'attendent pas à mieux. Encore dernierement la royne Elizabeth, estant tombee malade (crai­gnant que pire luy auint) il y en auoit desia plu­sieurs qui pensoyent à trousser leurs quilles.

Le pol.

Ha poures gens! Et comment est-ce qu'vn Parlement (du quel l'authorité est si grande, com­me tu scay) ne fait ouuertement resoudre ceste Royne en ce faict-cy, en ce fait dy-ie, auquel il n'est pas question seulemēt de punirle passé, mais aussi d'euiter le mal present & aduenir. Dieu au­ra bien puny d'aueuglement, ceux qui ne verront clair en cest affaire. Ceux qui ont remis vn pareil forfaict autrefois, l'ont remis à ceux de qui il n'a­uoyent occasion de douter semblable conspira­tion: mais de pardonner à ceux qui retiennent la mesme volonté, & mesmes moyens pour ma [...] [Page 15] re, c'est plustost temerité que douceur.

L'Angleterre tient (comme l'on dict) le loup par les oreilles, ils ne le peuuēt tenir long temps, & encores moins le lascher, que en l'vne & l'au­tre sorte il ne leur face beaucoup de mal. Le pe­ril y est tout euident, & ia essayé: vouloir enco­res choquer au mesme escueuil où l'on vient de faire naufrage, ce seroit à tort, comme dit le prouerbe, qu'on accuseroit Neptune.

Cela est bien certain, que tant que la royne d'Escosse y sera, elle ne cessera de troubler cest estat, par conspirations intestines: Et si elle en est vne fois hors (comme Charles de Valois s'essaye iournellement de l'en tirer) par guerre externe.

Il n'y a rien de si pernicieux à vn Royaume que d'y auoir vn successeur, ayant des qualitez si per­nicieuses à vn estat, que la royne d'Escosse. Car en premier lieu, C'est vn successeur ennemy, el­le l'auoit assez monstré par les guerres pas­sees. Mais en la conspiration derniere elle a descouuert la plus capitale haine qui se peut mō ­strer.

L'ambition & cupidité de ceste Couronne, ne luy permet point d'attendre le temps de la suc­cession. Elle a autrefois vsurpé le titre & les ar­mes.

A present par ceste conspiration, elle a mon­stré d'en vouloir auoir la possession & la com­modité.

Dauantage, elle est estrangere de nation, tel­lement que l'affection naturelle, comme seroit [Page 16] en vn autre successeur qui seroit fils, ne peur arre­ster l'ambition qu'elle a d'empieter le Royaume.

Item elle est estrangere de religion, qui est la pire qualité de toutes, d'autant mesmes, qu'elle a (comme i'ay entendu dire, les partis pieça dressez dans le Royaume, tellement qu'il n'y escherroit que le coup de l'ex ecution.

La retention doncques d'vn tel successeur ne peut estre que tresdangereuse à tout estat: Et au contraire l'extermination fort vtile & au grand repos & trāquillité d'ioeluy, de sorte qu'on ne peut douter que ce ne fust vn grand biē à ce Royaume de luy oster ceste espine du pied, qui ne cesse de le troubler & picquer: Et de s'exposer au peril, qu'ō peur facilement & par moyens licites euiter, pour apres essayer d'estre sauuez par quelque voye miraculeuse de Dieu, & aimer plustost demourer tousiours en danger, en retardant ou refusant iu­stice, que s'asseurer de son salut auec la iustice. Cela s'appelle en bon Frāçois, Tenter Diéu trop vilainement.

L'hi.

Tu en parles bien à ton aise & ainsi commetu l'entens: Mais ie me doute bien l'amy que si tu tendois vne oreille à l'accusee & à ses droits, que possible tu pourrois faire vne toute autre con­clusion.

Le pol.

Ia à Dieu ne plaise que ie tende l'oreille à ceste bonne Dame-là: I'entens qu'elle a trop de moyens pour corrompre les plus parfaits. Mais siserois-ie bien aise d'estré en lieu où son faict fust traité, pour en dire ce qu'il m'en semble.

L'hi.

Tu en as desia dict assez pour te garder d'en [Page 17] estre iuge. Et nous auons (comme tu scay) à traiter d'vne autre matiere: toutefois pource que cest affaire importe tant à l'Eglise de Dieu, si tu veux, afin que faute de raisons, on ne laisse plus lō guement vne punition si necessaire en arriere, ie trendray le parti de la royne d'Escosse (par forme de deuis) & t'allegueray au mieux mal qu'il me sera possible, tout ce que ces partizans alleguent, pour l'exempter de son dernier supplice, toy au contraire debatras ce qu'il te semblera estre rai­sonnable, selon l'estat, & la conscience pour le biē de ce peuple-là. I'ay bon moyen d'en aduertir des Myllords qui me sont amis. Apres cecy, ie te fe­ray entendre le succez de tout mon voyage.

Le pol.

Ie le veux bien, & si ne fay point de dou­te que ie n'en puisse bien resoudre ceux qui sans passion auec vn iugemēt pur & net, voudront me surer mes raisons. Mais deuant que passer outre, ie suis d'auis qu'en ce fait-cy (comme en toute autre matiere d'estat) nous ayons deux considerati­ons conioinctement, L'vne, Si ce qu'on propose est honeste, l'autre, S'il est vtile. Ceux qui en ma­tieres d'estat, dient qu'il ne faut cōsiderer que l'v­tilité, monstrent qu'ils n'ont guere l'honneur, & encores moins la conscience en recommandatiō. Le populace d'Athenes suffit pour leur faire hō ­te au iugement qu'il donna, du conseil que The­mistocles leur vouloit bailler sās le declarer qu'à vn. Ils esleurent (comme tu scay) pour l'ouyr non point le plus affectionné à l'amplification de leur Republique, ains Aristides le plus iuste, auquel apres qu'il leur eut rapporté que le cōseil de The [Page 18] mistocles estoit fort vtile, mais, tres-iniuste: Ils dirent tous d'vne voix qu'ils n'en vouloyent point: Nous auons donc en ce faict-cy obligatiō & deuoir de regarder autāt la iustice & honeste­té, cōme l'vtilité publique du royaume d'Angle­terre. De ce biē public s'il y a interest ou nō, i'en ay desia, ce me semble, parlé assez: reste seulemēt à vuyder, si le fait est aussi iuste & honeste, com­me vtile & necessaire. Il est bien certain & ne se peut nier, que cest vn des plus grans crimes qui se peuuēt commettre enuers les hommes que de conspirer contre le Roy en son royaume, contre son estat & rauissement d'iceluy: l'exemplaire pu­nition de Coré, Dathan, & Abiron le tesmoigne assez: Dauid ordonné & esleu de Dieu pour estre Roy apres Saul, s'est contenté de se deffendre & se garantir sans iamais attenter sur la personne de Saul, à qui neantmoins il estoit destiné successeur de la bouche de Dieu. Et combien que Saul luy fist guerre mortelle & iniuste, si est-ce que Da­uid se condamnoitcomme digne de mort, s'il eust attenté contre Saul, & fit mourir celuy qui l'osa entreprendre, quoy qu'il se couurist du comman­dement & de la necessité de Saul. Ce seroit v­ne superfiue & vaine ostentation de s'amplifier en long discours sur la preuue d'vne maxime si in dubitable: Que celuy qui veut renuerser l'estat & attēter sur la vie du Seigneur souuerain d'iceluy (ie ne parle pas du tyran ny de la tyrānie aussi) est digne du supplice de mort: & est permis, voire cō mandé aux Peres de massacrer leurs enfās, & aux freres leurs freres qui conspirent contre l'estat. Aussi qui regarde combiē de maux & de crimes [Page 19] sont trouuez en ce seul crime, combiē de person­nes y sont offensees: les ruines & calamitez qui s'en ensuyuent: la lōgue misere qu'vn tel fait trai­ne apres soy, il s'en trouuera tant d'expres & en si grād nōbre, dōt chacū est seul digne de mort qu'il n'y a pas assez de supplices pour vne telle hydre de crimes. Il ne faut que se figurer l'image d'vne desolatiō vniuerselle de tout le royaume, la cruau té des proscriptions & calamiteux spectacle des proscrits, pour iuger le merite de celuy qui en au­ra esté cause. Et iettant les y eux plus loin conside rer qu'il faut abolir toute espece de Republique & d'estat, & rēdre les hōmes brutaux sans societé ne iustice, si tel crime n'est condāné, d'autāt qu'il n'y a estat qui puisse subsister, si telles cōspiratiōs demeurēt impunies. Et d'autrepart leuant enco­res les yeux plus haut, considerer de qui procede l'authorité & puissance que Dieu a mise aux Princes souuerains, qui leur rauit le sceptre resiste à la puissance de Dieu, & viole ce qu'il a voulu estre sainct & inuiolable par dessus autres choses humaines. Ce seroit chose trop ridicule de penser excuser ce fait, pour dire que le crime n'a pas esté effectué, ny par cōsequēt tous les susdits maux en suyuis. Car en vn tel crime, si on attēd l'executiō, il ne reste plus moyēde le punir: il faut que l'ētre­prise soit punie cōme le fait: autremēt iamais il ni auroit punitiō. Car si le crime eust reussy, qui eust puny les coulpables? il n'y eust eu ny loy, ni iuge pour les cōdāner. Au cōtraire ils eussēt eu le pou­uoir sur la loy & iustice. Les exēples de ceux qu'ō lit auoir esté punis ne sōt pour auoir executé: ains [Page 20] seulemēt pour auoir attenté. Reste donc pour vn principe consenty & indubitable par toutes les nations de la terre, & par toutes loix diuines & hu­maines. Que vne telle conspiration est digne de plus de morts & supplices que le coulpable ne scauroit souffrir: & par consequent sensuit que la punition n'est pas moins iuste & honeste, qu'elle est vtile & profitable.

Lhi.

Ie t'accorde cela simplement: Mais aussi il faut que tu me confesses, par l'aduis de Ciceron mesmes, que si lon propose deux honnestes & deux vtiles, quand & quand qu'il faut prendre le plus vtile, le plus honneste & mieux seant.

Le pol.

Ie l'auouē.

L'hi.

Il y a plus: C'est qu'en toutes choses & sur tout en tous iugemens, on traite premier des per­sonnes, apres lon traite de leur fait, ie dis notam­ment des personnes du iuge & de l'accusé.

Le pol.

Ie le confesse, mais que s'ensuyura-il pour tant?

L'hi.

C'est que si nous considerons les qualitez de la personne de la royne d'Escosse, nous trouuerōs pour la premiere, qu'elle est maistresse de sō Roy aume, de pareille puissance que la royne d'Angle terre n'est subiecte, inferieure ny iusticiable. Qui es tu don, dit l'Escriture, qui iuges le seruiteur d'autruy? Dieu a, comme auec vn cordeau, departy la terre entre les hommes, qui tasche de l'outre passer, contreuient au dixieme commandement perpetuel & inuiolable. Et d'aller resusciter quel ques vieux droits de souueraineté, que l'Angle­terre pretend dessus l'Escosse, & en vouloir vser, [Page 21] pour rendre la royne d'Escosse iusticiable de la royne d'Angleterre: Il n'y a homme de bon iuge­ment, qui ne die que ce seroit des pretendues couleurs & recerches, pour se deffaire d'vne Princes­se à qui l'on veut mal. Car puis qu'elle a esté auāt sa prison en possession, de se dire Monarque en son Royaume, elle ne peut estre par la contrainte tenue, qu'en la mesme conditiō qu'elle estoit lors de la premiere heure de son emprisonnement. Ce sont les loix du grād Empire Romain, en tou­tes les grandes guerres qu'ils ont eues par toute la terre: C'est la raison naturelle qui le persuade assez à vn chacun. Et de pretendre aussi qu'elle n'est plus Royne, qu'elle a esté priuee du Royau­me par sa desmission, & par la deliberation des estats d'Escosse: Ce sont des traits que la Royne d'Angleterre, ny autre Prince ne peut approuuer, sans faire tort à l'authorité que tous les Princes souuerains vsurpent & pretendent auoir, de iuger & donner la loy à leurs suiets, non point estre iu­gez ny receuoir la loy d'eux, ou autres cōtables de leurs actions qu'au seul Dieu quoy qu'ils facent. Tu scay bien que le nostre s'en est souuent fait à croire. Et en telles occasions, il semble que les Rois sont tous vnis à reprimer & cōbatre le faict des suiets: Tāt s'en faut que la royne d'Angleter­re s'en puisse seruir pour s'approprier authorité sur le royaume d'Escosse. Il reste donc à la royne Marie Stuard, ceste qualité de Royne souuerai­ne, non inferieure de la royne d'Angleterre, la­quelle par consequent ne peut iustement cognoi­stre ny iuger sur elle: d'autant que le fondement [Page 22] plus grand & preallable pour solider vn bon iuge ment, c'est d'establir la puissance & authorité le­gitime de oeluy qui veut estre iuge.

Les ambassadeurs des Rois sont par toutes les plus agrestes nations, par toutes especes de reli­gions, inuiolables, & ceux qui les offensent tenus pour execrables & violateurs du droict des gens: à plus forte raison ceux qui offēsent les Rois, des­quels les ambassadeurs n'ont que la reputation. Les Romains ont laisse vn exemple qui est en plu sieurs points cōforme au fait de la royne d'Escos­se. C'est des ambassadeurs venus de la part des Tarquins à Rome pour emporter leurs meubles apres leur reiection. Ces ambassadeurs firent v­ne conspiratiō auec auouns Romains pour remet tre les Tarquins & renuerser la Republique, tuer les Consuls & principaux d'icelle: la conspiratiō est descouuerte: les Romains sont punis, iusques à la que Brutus fit mourir ses propres enfās. quāt aux ambassadeurs, le fait est debatu au Senat, où le droict de gens le gagna, & furent les ambassa­deurs enuoyez en seureté. Celuy qu'ils represen­toyēt qui estoit Tarquin estoit chasse de son Roy aume, comme la royne d'Escosse: les ambassa­deurs auoyent faict la conspiration dans Rome, apres y auoit esté receus, comme la royne d'Escos se a fait en Angleterre apres y auoit esté receue. Et tourefois il fut iugé qu'encore en ce cas ils e­stovent inuiolables.

La seconde qualité que la royne d'Escosse peut alleguer pour estre exempte de la generale condā tion des cōspirateurs, est, qu'elle est refugiee en [Page 23] Angleterre: chacū scait cōme elle y est venue à refuge apres la desroute de la bataille, cōme elle y a esté receue à refuge & seureté de sa vie: à ceste heure la faire mourir, on dira que c'est l'acte le plus indigne d'vn Prince qui ait esté fait iamais à autre Prince. Les plus barbares Princes ont eu ce stehumanité de receuoir les rois deiectezde leurs thrones, & les maintenir en toute seureté, les trai ter auec honneur & dignité: & ont pensé que c'e­stoit leur propre grandeur de secourir, ou pour le moins retirer les tois expoliez de leurs estats, soit par leurs suiets ou par autres Princes. Et n'y a eu iamais difference de religiō, inimitié passee, ny au tre occasion qui ait empesché ce respect deu à la maiesté des Rois & Princes souuerains, & à ceux qui leur appartienēt. On lit de Chilperic 4. roy de Frāce, que les François chasserent de son roy­aume qu'il fut receu à refuge par le roy de Lorrai ne Loys. Alphonse roy de Portugal chassé par sō frere Sancho roy de Chastille fut receu par le roy de Grenade Tilleda, biē qu'il fut Sarraz in: & quoy qu'il luy fust predit, qu'il ruineroit sa posterité: il le tīt en seureté, & le laissa aller apres la mort de son frere en son royaume. Les rois Loys 11. & Charles 8. receurēt Zizim ou Gemes Turc deieté de l'Empire par Baiazet son frere, voire mesmes le pape Innocēt le receut. Il est vray qu'Alexādre 6. sō successeur luy fit en fin vn trait de Pape. The mistocles fut receu par le roy des Perses, & quoy que sa soeur luy demādast punitiō, de ce qu'il luy auoit tué ses enfans à Salamine, iamais ne voulut violer l'Azyle & refuge, qui est és maisōs des Rois pour tous les Princes affligez.

[Page 24] Il y a biē eu enplusieurs Roys & Princes, cōme en tous estats, de la meschanceté & nō gueremoīs d'exemples de ceux qui ont enfreint & violé ce sainct droit d'hospitalité, mais le consentemētvni uersel de toutes les nations de la terre a detesté ce ste perfidie, la fin malheureuse de la plus part des perfides les condamne assez, les poetes s'en sont seruis pour suiets de leurs tragedies, & les ontlo­gez en leur enfer fabuleux, parmi les plus cruels tourmens qu'ils ont peu excogiter. Les histoires en rapportent des exemples dignes plustost d'e­stre enseuelis que recueillis en la memoire des hōmes, si n'est pour la finqu'ilsont eue miserable.

On n'a que faire de disputer si la royne d'An­gleterre à donné la foy à la royne d'Escosse, de la tenir en seureté: Car depuis qu'elle est receue, la detenir vn si long temps, cela importe à ses pro­messes de feureté: autrement il eust fallu dés le cō mencement ne la receuoir point, comme on voit par les histoires Romaines, que quand ils ne vou loyent donner seureté aux estrangers quivenoyēt à eux▪ Ils leur commandoyent dedans dix iours de desloger de l'Italie, mais que depuis qu'ils les auoyent receus, ils les ayent recerchez de rien, on ne l'a veu iamais. Aussi n'y a-il homme qui ne blasme ceux qui de froid sang font mourir vn qu'ils rienent en leur puissance, encores qu'il soit leur ennemy, & par eux prins en guerre, ce que n'a este la royne d'Escosse.

La troisieme qualité de la royne d'Escosse est, [...] elle est prisonniere. Il sembleroit que ceste qualité luy deust preiudicier, par ce que par cela [Page 25] on cognoist qu'elle n'a point esté receue comme refugiee ny donné aucune foy: Mais c'est au con­traire: si elle auoit esté receue à refuge & promes­se donnee, on luy pourroit imputer d'auoir con­spiré contre celle qui luy auoit vsé de ceste gran­de humanité: à present n'ayant receu aucune hu­manité de la royned'Angleterre, elle ne luy est de rien obligee, voire que pour luy auoir vsé de ce­ste rigueur & n'auoir exercé en son endroit, ceste generosité & beneficence royale, comme les Rois dont i'ay parlé, elle auroit occasion d'en prendre vengeance: Cōme fit d'vn roy d'Hōgrie quatrie­me, Federic duc d'Austriche, qui ayant fuy vers luy apres la desroute d'vne bataille gaignee sur luy par les Tartares: il le retint prisonnier, & le cō traignit luy bailler d'argent & trois Comtez pro­chains d'Austriche. En fin estant deliuré, luy fit la guerre, & le tua à vne bataille. Il est certain que la royne d'Escosse a esté tousiours sous bonne & seu re garde, iamais n'a esté en liberté sous sa foy: vn prisonnier qui n'est point sur sa foy & à qui on a baillé garde: il ne peut estre blasmé de recercher sa retraicte par toutes les voyes qu'il est possible. Mesmement qu'elle dira auoir esté iniustement faicte prisonniere: Car où l'on pretend qu'elle soit prisonniere de iustice, ou de guerre: autre ti­ers moyen agile ne s'en peut trouuer: d'estre pri­sonniere de iustice, i'ay desia dit qu'elle n'est iu­sticiable de la royne d'Angleterre: Par ainsi elle ne peut estre prisonniere de iustice en Angleter­re, par ce que le fondement d'vne vraye iustice y deffaut, c'est la puissance du Iuge: D'estre prison­niere [Page 26] de guerre, on demande en quelle guerre les Anglois l'ont prinse. Que l'on se represente ce que Elizee dit au roy d'Israel, quand il amena les Syriēs miraculeusemēt aueuglez au roy d'Israel, lesquels voulāt faire mourir, le Prophete luy dit, qu'il ne les auoit pas prins par glaiue: & par ainsi qu'il ne les pouuoit faire mourir, ny retenir: ains les deuoit laisser aller en paix: comme il fit.

Si on vouloit subtilizersur les actiōs passees de la royne d'Escosse, & dire qu'elle est chargee d'a­uoir fa it mourir le feu roy d'Escosse sō mary, natif d'Angleterre: par ainsi qu'il estoit loisible à la roy ne d'Angleterre de cognoistre & iuger du tort fait à son suiet par vn estrāger le trouuant en sa terre. Ce seroit entre gens de bon iugemēt vne couleur recerchee, pòur masquer vne charité de Cour: & ne fust il que de ce que le feu roy d'Escosse se fai­sant roy d'Escosse, quitta assez par la sa naturelle patrie. Et la Royne mesme l'ayant approuué pour roy d'Escosse, taisiblemēt abdica de soy son suiet: comme ancienemēt les patrōs leurs serfs. Parainsi elle ne la peu depuis tenir pour son suiect.

Et quand bien la iustice, le droict & la raison, permettroyēt de faire mourir legitimemēt la roy­ne d'Escosse: encores proposera-on à la Royne d'Angleterre, pour l'esmouuoir à grace & cōmise ration: Premieremēt que la royne d'Escosse est fa prochaine parente. L'exēple de Dauid enuers son fils Absalon: du roy Charles 5. enuers le roy Phi­lippe de Nauarre. Puis le naturel de la royne d'Angleterre ayant tousiours regné en telle dou­ceur, qu'elle en est'louee & admiree par toute la [Page 27] terre: d'oublier ceste vertu si recommādable aux Princes, que la debōnaireté par la cruelle effusiō de sāg de ses plus proches, les anciens Empereurs qui ont pardōné les cōiurations contr'eux faites, luy seront proposez, lesquels elle a surpassé ius­ques à present en ceste louāge d'humanité & cle­mence. Dauantage la punition qu'on en feroit si ignominieuse: que d'vn costé on met deuant les yeux la maiesté Royale, en laquelle chacū à veu la royne d'Escosse, estant royne d'Escosse & de Frā ­ce des deux plus ancienes Couronnes de toute la terre, & apres le spectacle miserable, qu'elle fust liuree entre les mains d'vn bourreau: il n'y a si fe­lon & cruel coeur tant fust il seuere & hardy en la condānation, qui ne fust amolly & larmoyāt à l'e­xecution. D'autre part le respect du fils du roy d'Escosse sera de quelque valeur, pour respecter l'honneur de la mere inseparable de l'honneur du fils: lequel ne peut estre, s'il a bon coeur, qu'il ne se ressente du deshōneurque sa mere aura souf fert par la main des Anglois: tellement que quād la mere en seroit digne, si on aime ou respecte le fils: il faut luy deferer en cest endroit qu'on ne deshonore point la mere & luy en elle consequē ­ment. Outre les points que i'ay traictez de la iustice & de la cōmiseration, encore adioustera-on ce point de l'vtilité du royaume: car on dira si on viēt iusques là que d'entreprēdre sur la personne de la royne d'Escosse: les Rois voisins auront vn beau pretexte, voire occasion, digne de Rois, pro­tecteurs des Princes affligez, d'entreprendre vne guerre contre la royne d'Angleterr [...]: de sorte que [Page 28] pensant asseurer son estat elle le met en guerre & en danger: pour le moins le roy d'Escosse son fils, comme nous venons de dire, s'il deuient grand: ne seroit pas vrayement fils s'il ne haissoit mor­tellement l'Angleterre, voyant l'outrage qui aura esté fait à sa mere: & quoy qu'il trouue bon d'e­stre Roy asseuré par ce moyen, si est-ce qu'il fera comme Dauid de celuy qui auoit tué Absalon son fils, ennemy & conspirateur contre sa vie & son estat. Voila donc vne haine entre ces deux Royaumes qui sont à present de bon accord, & vne guerre mortelle preparee à venir.

Ie te laisse à penser maintenant l'amy, si ce ne sont pas là des raisons & circōstances de tel poids qu'elles peuuent bien emporter à vne iuste balan ce, tout ce que tu pourrois dire alencontre pour vouloir comprendre la royne d'Escosse en la condemnation que nous tenons tous estre tresiuste, sur les conspirateurs contre l'estat & la vie d'vn Prince.

Le pol.

Tes raisons ont quelque apparence, pour emporter les passionnez au party que tu auois prins à deffendre: Mais elles ne peuuent en rien esmouuoir vn cerueau bien fait vn iugemēt cler, & vne conscience nette, qu'elle ne iuge leplus ho neste, le plus iuste & vtile estre tousiours de mon party. Et qu'il soit vray, escoute vn peu en silence ce que i'en scay & ce que ie t'en veux dire.

Le pre [...]r poinct que tu as allegué de ce que la royne d'Escosse n'est iusticiable de la royne d'Angleterre, ains est egalle en puissance à elle, souueraine en sa terre comme elle, & que ce se­roit [Page 29] vsurper sur le sceptre d'autruy, &c. Tout ce­la à lieu (afin que ie me taise de sa desmission) quand elle seroit en Escosse, ou qu'il seroit que­stion de ce qu'elle a faict en son Royaume: Car alors la royne d'Angleterre n'y a que voir, & ne la pourroit iustemēt recercher en aucune façō, sous quelque pretexte que ce fust (si ce n'est pour l'op­pressiō & tyrānie qu'elle feroit à l'Eglise de Dieu & au royaume de Iesus Christ, le quel estāt espan du au long & au large par toute la terre, n'est en­clos dans aucunes limites. La deffense duquel est egalement & indifferemment recōmande à tous Princes de la terre: Pour cecy dy-ie le Prince qui a esgard à son deuoir, peut recercher, chastier & combatre son cōpagnō qui fait la guerre à Dieu. Constantin sert de bon exemple qui rengea par armes Licinius à laisser en paix les Chrestiēs qu'il persecutoit en ses terres. Mais de ce que la royne d'Escosse a fait estāt en Angleterre, qui peut dōter qu'elle n'en puisse estre iugee par la royne d'An­gleterre? La souueraineté des Rois a lieu en leurs Royaumes: mais depuis qu'ils sont au royaume d'autruy, leursouueraineté n'a poītde lieu. Car en la terre d'vn souuerain, il n'y a personne qui ne luy soit inferieur, mesmes en ce qui concerne l'e­stat & la seureté de la Republique. L'on voit cō ­me les Rois en ont tousiours vse quelque autre Roy qui viene en leur terre, soit-il tant amy & pa rent qu'il voudra, quelle gratification qu'on luy vueille faire, iamais on ne permet qu'il comman­de souuerainement: si n'est auec autāt de puissan­ce que par courtoisie on luy ottroye. C'est vne [Page 30] chose pleine de ialousie que la souueraineté, qui ne se communique iamais à autruy, de sorte que toutes les raisons que la royne d'Escosse pourroit alleguer en cest endroit font contre elle. Car s [...] pour estre souueraine elle pretēd que nul ne peut ny doit attenter sur sa personne, par ce que ce seroit entreprendre sur la personne & estat d'vn souuerain. Pourquoy est-ce qu'elle a entreprins & coniuré contre la personne de la royne d'An­gleterre & son estat mesmes en son Royaume? Et tout ce qu'elle peut dire pour extoller la sou­ueraineté & exemption des Rois fair contre elle. Par ce que c'est la premiere qui l'a voilee, par ain si elle ne s'en peut plus seruir, non plus que celuy qui enfreint vn priuilege, ne s'en peut plus aider, mesmes enuers celuy enuers lequel il l'a rompu, Celuy qui n'estoit respecté par le Consul comme Senateur, disoit qu'il ne le respecteroit aussi com me Cōsul. Ie ne veux pas debatre si elle est pareil le, ou subalterne à l'Augleterre: si elle est encores Royne ou priuee de son Royaume, cela est certai que les estats l'en ont peu desmettre. Mais quand elle seroit plus asseuree royne ou monarque, quel le n'est, puis qu'elle ne craint en la terre d'vn au­tre Roy faire des entreprinses pour luy oster la vie & la Couronne, ne peut il pas iustement dire? Pourquoy voulez vous que ie respecte la souue­raineté que vous auez hors d'icy, que vous ne re­spectez pas la mienne en ma terre propre?

S'il n'estoit permis à vn Roy de cognoistre de tels faits sur les estrangers Rois, le meschāt seroit de meilleure condition que l'innocēt. Il seroit loi [Page 31] sible de conspirer par prodition cōtre les Rois: & les Rois ne pourroyēt deffēdre leurs vies & leurs estats par la iustice. Et tant plus doit il estre loisi­ble à vn Roy de maintenir son estat par vne iuste punition sur vn autre Roy ou Monarque, que sur vn autre qui ne seroit souuerain: d'autant qu'en­cores pourroit on desirer que le Roy offense en requist iustice au superieurdu coulpable, pour n'e stre iuge ē sa cause propre. Mais où il n'y a aucū iu ge par dessus le coulpable: ou il faut que les Rois facent eux mesmes la iustice, ou biē qu'ils soyent en pire condition, que les plus infirmes. Car à fan te de iuge ils n'auroyēt aucune reparatiōdes torts qui leur seroy ent faits. Et toutefois la où il n'y a point moyen d'auoir iuge, les loix permettēt aux suiets mesmes de faire iustice de leur main.

Au reste ie te confesse, que (comme tu as dict) les ambassadeurs sont inuiolables, mais c'est tant qu'il se contienēt aux termes d'ābassadeurs: Mais quād ils sortent hors des bornes de leur estat, ils ne doyuēt plus estre tenus pour tels. Les Romaīs ont attribué la prinse de Rome par les Frāçois au crime, qui auoit esté cōmis par Q. Fabius leur am bassadeur enuoyé aux François, où il tua hostile­mēt vn Frāçois, & apres s'en alla à Rome. Les Frā çois demāderent aux Romains, qu'ils le leur bail lassent, pour auoir le supplice que merite vn am­bassadeur qui fait actes d'hostilité.

Les Fecialiens estoyent d'auis qu'il le leur fail loit liurer: autrement que les dieux en seroy­ent fort courroucez & desplaisans. Le peuple Romain au contraire sauua ledict ambassadeur: [Page 32] dont apres l'ire des dieux (comme ils disent) fut telle contre Rome, qu'ils donnerent la Cité en proye aux François, & ne leur resta de tout leur Empire que la petite tour du Capitole. Dema­des ambassadeurs de Atheniens à Antipater, es­criuoit des lettres à Antigonus, pour venir pren­dre Macedoine & l'Empire de Grece qu'il disoit ne tenir qu'à vn filet viel & pourry, pource que Antipater estoit vieil. Cassander le fit mourir cō ­me traistre. Les ambassadeurs des Perses venus à Amyntas, toy de Macedone, voulurent violer ses concubines: Alexander son fils leur supposa des garsons qui les tuerent. Antonius fit donner les estriuieres à vn ambassadeur de Cesar, & apres le luy enuoya, disant qu'il auoit parlé trop superbe­ment. Que si le senat Romain à iugé les ambas­sadeurs des Tarquins estre inuiolables par le droict des gens, combien qu'ils eussent conspiré contre la Republicque: ç'à esté parce qu'ils ne faisoyent autre, que la charge que leur maistre leur auoit baillee: mais ils en voulurent bien pu­nir le maistre de ce qu'ils pouuoyent: Car com­bien que auparauant ladicte conspiration le Se­nat eust accordé de rendre aux Tarquins tous leurs meubles, si est-ce qu'apres ladicte conspira­tion descouuerte ils les declarerēt cōfisquez & e­xecrables aussi. La consequence n'est pas bonne, ce qui est permis à vn ambassadeur, sera permis au maistre: car les ambassadeurs ne sont pas inuio lables, pource qu'il representent leurs maistres: Ains au contraire, les ambassadeurs qui vienent de la part de ceux qu'on voudroit le plus offenser [Page 33] ne laissent pas d'estre inuiolables: Et toutesfois si on tenoit leurs maistres, on les traiteroit hostile­lement: Mais le priuilege des ambassadeurs est fondé sur vn droict de gens, par ce que s'il n'y a­uoit franchise & immunité pour telles persōnes, toute seureté humaine seroit perdue, & ceux mes mes qui les offenseroyent sont interessez à les cō ­seruer, autrement on en feroit autant des leurs. Les Consuls Romains respondirēt à Hanno am­bassadeur des Carthaginiens, que leurs maistres meritoyent qu'on ne leur tint point la foy nō plus qu'ils l'auoyent tenue à leurs ambassadeurs: mais ils ne vouloyent pas punir au seruiteur ce que le maistre meritoit, non pour autre chose que pour la foy publique. D'ailleurs il y a des faicts, qui sont excusables voire louables aux seruiteurs, fre res, enfans & femmes pour vne fidelité & affectiō seruiable & officieuse, qui toutefois seroyent biē punis aux maistres, peres & meres. Les histoires des seruiteurs qui ont hazardé leur vie pour sau­uer la vie de leurs maistres iustemēt condamnez, sont vulgaires & en louange à chacun. Mais si les condamnez eussent fait de mesme, ils eussent esté doublement punis.

La seconde qualité & circonstāce de ce que la royne d'Escosse est refugiee en Angleterre, & par ainsi ne peut estre offensee sans reproche & note de perfidie, fait pareillemēt contre elle. Car d'au­tāt sō ingratitude est plus punissable, d'auoir vou lu oster la vie à celle qui luy conseruoit la siene. Si celuy qui n'a rien merité enuers le Prince qui le reçoit à refuge, veut que pour le seul respect [Page 34] d'humanité on le conserue: à plus forte raison doit il rendre le mesme deuoir à celuy, qui luy a fait desia vn bon office de protection, Si ceux qui ont violé le droict d'hospitalité aux Princes re­fugiez vers eux, sont detestables: combien le me­ritent dauantage ceux qui l'ont violé aux Princes qui les ont receus?

Ie tiens la foy & seureté donnee par la seule reception de la royne d'Escosse, & accorde que ce feroit rompre la foy, d'offenser celuy qui a esté re ceu à refuge: mais c'est vne perfidie detestable d'offenser celuy qui le reçoit.

Les poetes sont encores plus abondās en trage dies composees sur ce suiet, de la punition de tel­les perfidies, que des premieres. Les histoires pareillement n'en rapportent que trop d'exem­ples: la seule histoire de l'euersion de Troye pour la perfidie commise par Paris à Menelaus, le con­sentement de toute la Grece à la punir & s'y obstiner dix ans, auec toutes les incommoditez & mal heurs qu'il est possible.

Cleomenes roy de Sparte receu à refuge par Ptolomee, fuyant Antigonus, & ayant apres con­spiré contre luy, se tua. Ptolomee l'ayant descou­uert fit pendre ignominieusement son corps, comme indigne de sepulture. Mais qui est celuy là qui voudroit deffendre vne telle desloyauté, d'vn qui auroit esté recueilly en sa misere par vn autre, & apres auroit conspiré contre sa vie? Qui tient vn tel fait impuny oste tout le lien de la so­cieté humaine, & fait perdre tous les offices d'humanité entre les Rois, s'ils pensent qu'ayan: re­ceu [Page 35] vn aurre Roy à refuge, il luy seroit loisible cō spirer contre celuy qui luy fait bon office, sans crainte d'aucune punition. Il n'en faut faire iuges que ceux mesmes qui sont refugiez chez autruy, ceux-là les detesterōt comme pernicieux & dom mageables à tous les Princes, tant à ceux qui re­çoyuent, que aussi à ceux qui ont besoin d'estre receus.

Pour la derniere qualité & circonstance: Tu dis que la royne d'Escosse estant prisonniere & mal traictee pour sa condition & dignité Royale, peut licitement tenter tous les moyens pour es­chapper & recouurer sa liberté. Ceste opinion est veritable, mais qu'elle soit bien entēdue: c'est à dire, qu'on ne peut point imputer desloyauté à celuy, que l'on tient sur garde, & ne se fie on en rien à sa foy, s'il cerche quelques moyens pour euader.

Mais que si vn prisonnier pour eschapper com met quelque crime qu'on ne l'en puisse punir: il s'ensuyuroit que pour estre prisonnier, il auroit toute licence de mal faire.

Le plus vrgent argument en ce faict, est, de ce que la royne d'Escosse pretend estre iniustemēt, & sans legitime occasiō detenue prisonniere par la royne d'Angleterre, comme n'ayant esté prin­se en guerre ou autrement.

Et par ainsi, comme entre les Roys, le glai­ue est le vray iuge pour punir, & venger leurs faits: Si elle a voulu faire tous apprests, pour venger par vne guerre le tort qu'elle pretēd que la royne d'Angleterre luy fait, elle ne fait que ce [Page 36] que tous les Rois feroyent en semblable cas, & cōme ce duc d'Austriche fit enuers le roy d'Hon­grie duquel tu as parlé. Ie te responds que la roy­ne d'Angleterre a si bien iustifie son faict enuers tous les Princes Chrestiens, & monstré que tant par les loix & conuenances des deux royaumes d'Angleterre, & d'Escosse, que par l'vsage obser­ué entre les predecesseurs Rois de l'vn & de l'autre royaume, il luy estoit loisible de retenir la roy ne d'Escosse, & luy estoit impossible de la lascher sans faire tort auxloix ancienes & à son estat, qu'il n'est besoin de faire plus grande insistance sur ce point.

Et mesmes quand bien la royne d'Escosse eust peu pretendre auoir esté iniustemēt faite prison­niere apres auoir faicte ceste conspiration, lon ne peut dire qu'elle ne le soit iustement: comme il aduient souuent que d'vne bonne cause, la pour­suyuant par meschans moyens l'on la rend mau­uaise.

Pompee, Caton & le Senat Romain faisoyent tort à Cesar de luy refuser le triomphe si iuste­ment acquis: toutefois par ce qu'il le poursuyuoit par conspirations contre la patrie: il n'y a homme qui n'ait iugé, qu'il auoit fait de sa bonne cause v­ne mauuaise. Si on considere toute les conspira­tions qui se font à vn estat, elles sont la plus part accompagnees de quelque tort, que l'on a faict à ceux qui vienent iusques à ceste extremité & ha­zardeuse entreprinse: mais ne s'ensuit pas pource la, qu'ils soyent innocens & non punissables.

La royne d'Angleterre mesmes suffira pour exē ­ple, [Page] en ce faict: y eut il iamais Princesse plus iniu­stement & tyranniquement retenue prisonniere, plus seuerement traitee, plus souuent exposee au danger de mort qu'elle fut par sa feué soeur: com­bien qu'elle ne l'eust iamais offensee? Si est ce que iamais n'entreprint, ne conspira contre elle: & quand elle l'eust entreprins, il est sans doute quel le eust esté iustement cōdamnee, combien qu'el­le eust peu pretendre droict à la Couronne. Aussi Dieu a ouy sa iuste plainte, & luy a fait iustice de sa main.

Quand la royne d'Escosse auroit eu seulemēt ce but de recouurer sa liberté, & employer les moyens tendans à s'eschapper, elle seroit excusa­ble: mais d'auoir voulu vsurper l'estat de la royne d'Angleterre & attenter sur sa personne: c'est biē indignemēt recognu, ce que la royne d'Angleter re a fait en son endroict. Elle a eu puissance sur la royne d'Escosse, sur sa vie, (il est certain) sur son estat, Les occasions en ont esté si propres, si sou­uent par tant de guerres ciuiles & partialitez qui sont en ce Royaume-là, qu'il n'y a hōme qui par discours humain ne le recognoisse: si est-ce qu'el­le n'a voulu iamais attenter sur sa vie, ny la liurer és mains de ceux qui la vouloyent faire iuger par les estats: encores moins faire entreprinse sur le Royaume. Mais au contraire elle a tasché par tous moyens à le pacifier & le cōseruer pour son fils: toutes fois à present elle luy rend tout le con­traire.

Ce que l'on peut alleguer pour attirer à cle­mence la royne d'Angleterre à pardōner ce faict, [Page 38] est bien considerable pour auoir compassion de la royne d'Escosse. Aussi vraye iustice doit e­stre accompagnee de compassion, & vuide de toute cholere, malice & cruauté. Mais que pour vne pieté, il faille au lieu de iustice faire iniustice: & s'il faut auoir pitié, en auoir plus d'vne seule personne, que de tout l'estat vniuersel, ce seroit mesurer à fausse mesure, & poiser à faux poids la clemence, & l'humanité, car s'il faut estre pitoya­ble, ce seroit plustost estre cruel, que humain, pour sauuer vn particulier, que on n'aye point de pitié de tout vn peuple, de tant de noblesse, de tāt de familles, desquels la mort, le pillage, la ruine, & la misere estoit toute proiettee par ceste con­spiration, & ne scauroyent estre asseurez que par la punition du chef de la coniuration.

Il y a eu des Empereurs qui ont pardonné les conspirations: Vespasien les mesprisoit toutes, par ce qu'il s'estoit persuadé, qu'il scauoit le rour, heure & espece de sa mort.

Ce sont des exemples dāgereux à imiter: com­me de ce pere, qui ayant descouuert que son fils le vouloit tuer, le mena en lieu où il estoit seul, luy baille l'espee, luy dit qu'il le tuast, s'il vouloit. Il y a plus de temerité en tels exemples, que de clemence.

Mais en ce fait: il y a vne consideration plus importante, que en tous les exemples qui se peu­uent proposer: & qui met du tout la Royne-hors de puissance d'vser de clemence en cest endroit, sans offenser Dieu. Car il n'est pas icy question, d'vne conspiration qui n'apportast autre change­ment [Page 39] que d'estat, & regne temporel, mais elle importoit changement de la Religion, en laquel le, quand les Princes voudroyent quitter leur of­fense, negliger le soin qu'ils doyuent du salut, & repos des suiets que Dieu leur a baillé en prote­ction, encores ne peuuent-ils quitter l'offense, qui tend à renuerser le regne de Dieu, son hon­neur, & gloire, & son vray seruice.

Il est certain, que si la conspiration eust sorty son effect, la Religion eust changé en Angleter­re: l'intelligence du Pape, du roy d'Espagne, & du duc d'Albe le descouurent assez.

Que la royne d'Angleterre donques se repre­sente, le iuste iugement que Dieu fit sur Saul, pour auoir sauué la vie à Agag roy d'Amalec, Roy qui auoit coniuré la ruine du peuple, & du seruice de Dieu. Ceste clemence le fit reietter de deuant la face de Dieu, rendit inutiles les prie­res de Samuel, iusques là, que Dieu luy deffen­dit de prier pour Saul: & fit que le Royaume fust transporté de luy à son prochain, ainsi qu'en parle l'Escriture.

Achab ayant donné la vie à Benadab, ennemy & contempteur de la puissance de Dieu, fut con­damné par la sentence de Dieu, prononcee de la bouche du Prophete, qui luy dit que son ame se­roit pour la siene. Dieu a voulu que les hommes fussent clemens & doux à pardonner leurs iniu­res, & seueres à punir les sienes.

Et si on regarde bien l'histoire saincte, en la­quelle les iugemens de Dieu se cognoissent au vray, & par certitude: (Car aux prophanes, ils ne [Page 40] se cognoissent que par cōiecture.) On verra plus de punitions, sur les Roisqui ont voulu estre cle­mens aux despens de l'honneur de Dieu, que sur ceux qui ont esté trop cruels. Saul est puny pour clemence: Salomon est loué de la seuerité: Iosué, ayans sans aucune humanité tué trente vn Roy, est loué: Saul, & Achab, pour en auoir laissé es­chapper vn, sont cōdamnez à mort: c'est vne ver­tu fort recommandable aux Princes que clemen ce, mais le zele de la Religion, est plus comman­dé que la clemence.

De vouloir persuader qu'il n'est point vtile, de prendre punition de ceste conspiration sur la roy ne d'Escosse, & vouloir faire peur à la royne d'Angleterre des Rois voysins, elle a desia essayé, que les entreprinses de Rois voisins ne cesseront pas pour reseruer la royne d'Escosse: Mais au contrai re, il n'y a rien qui ait donné courage, volonté, ny moyen aux Rois voisins, pourl entreprendre sur son estat, que la reserue qu'elle a faict iusques à ceste heure, de la royne d'Escosse. Il est certain que tous les troubles passez en Angleterre, ont e­sté brassez par elle, & fondez sur l'esperance de la faire royne d'Angleterre. Les Rois qui s'esmou­uroyent de sa mort, sont ia esmeus: tant sous pre­texte de la seule detētion, & du zele pretendu de leur Religion, que, pour dire plus vray, pour l'en uie qu'ils ont de ce beau Royaume, si riche, & si opulent, qu'ils estimēt vne proye bien aisee, pour estre entre les mains d'vne femme, n'estant ap­puvee de personne, & de laquelle ils imputent la clemence à timidité, & crainte de n'oser chastier [Page 41] ceux qui troublent son estat. La punition de ce­ste conspiration, n'adioustera rien à leur mauuai­se volonté: mais l'impunité adioustera bien aux moyens de l'executer. Le Pape, le roy d'Espagne, ny le duc d'Albe, quelle parentelle, ny confederation, ou amitié si estroicte ont ils à ladite royne d'Escosse, que pour son respect ils ayent iamais voulu s'armer contre la royne d'Angleterre? c'est plustost la haine que le Pape, le roy d'Espagne, & le duc d'Albe, portent à la royne d'Angleterre, l'enuie qu'ils ont de la voir si heureuse, au plus fort des malheurs de tous ses voisins.

L'ambition qu'ils ont de ce Royaume si floris­sant, & encores l'indignatiō qu'a le Pape, de voir la Religion plantee, tant en ce Royaume, qu'ē ce luy d'Escosse, de voir ses reuenus, & son authori­té du tout perdue, sans espoir de recouurement. La royne d'Escosse ne leur sert que de couleur, & de leur fournir de moyēs à pratiquer troubles, & remuemens en tous les deux Royaumes: Quand la royne d'Escosse ny sera plus, leur malice demeu rera, mais leurs moyens cesseront, & entre autres celuy qui est le plus specieux, & auantageux pour leur party: C'est que la royne d'Escosse ne peut faillir d'estre royne d'Angleterre, par le droict de prochaineté, & cours de son aage.

Ceste consideration apporte de grands mal­heurs à l'Angleterre: car les ennemis de la Reli­gion & de la Royne, en ont le coeur enflé, voyant la saison de leur regne si proche: Ses plus affectiō nez seruiteurs, en sont au contraire intimidez, voyans leur ruine d'autant approcher: & les Prin­ces [Page 42] estrangers sont retenus à s'associer à la royne d'Angleterre, si ce n'est pour mieux la trahir (cō ­me nostre Tyran souhaite) sachans bien que l'a­mitié qu'ils contracteront auec elle, sera autant d'inimitié auec son successeur: tellement que ce seroit contracter auec la personne, non point a­uec le Royaume: par ce qu'elle estant moins, tout le Royaume sera renuerse.

On ne peut gueres bastir sur vn fondement, qu'on voit ne pouuoir long temps durer: & (com­me dit le prouerbe) Il y a plus de gens qui adorēt le Soleil leuant, que le couchant. Il est certain que ceste consideration, desfauorise infiniment tous les desseins de l'Angleterre: Mais la facilité que la royne d'Angleterre a, de se priuer d'vn tel successeur & de s'en eslire vn proche, qui soit ca­pable & suffisant, peut coupper broche à tous leurs desseins.

Quant à l'indignation que le Roy d'Escosse pourra auoir à l'aduenir, ou contre ceux qui au­ront fait mourit sa mere, ou contre sa mere, qui a fait mourir son pere. S'il regarde la raison, il a plus d'occasion de se ressentir du meurtre de son pere, auquel ny a ny occasion, ny pretexte, ains vn parricide, & perfidie detestable: que de celuy de sa mere, qui est accompagné de toute la raison, & iustice, qu'il est possible de desirer à vn iuste iugement: loint, que c'est vne peur de si loin, & si incertaine: à scauoir de ce que fera vn enfant quand il sera grand, qu'elle ne merite d'estre re­putee, au prix d'vn danger present & euident.

Outre ce que la comparaison est fort inegale, [Page 43] de la crainte d'vne guerre externe, à vne conspi­ration intestine.

Nous auons dit qu'en affaires d'estat, il faut regarder si ce qu'on propose est iuste, & vtile au public: les autres respects de clemence, de libera­lité, de generosité particuliere, doyuent tousiours ceder à l'vtilité publique: mais il y a encores vn tiers, qui surmonte tous autres: C'est vne ne­cessité publique. Celle-la est preferee quel­que fois aux loix diuines ceremoniales. Les Ma­chabees qui ne voulurent combatte au iour du Sabbath, demourerent enseigneurs à leurs suc­cesseurs, de faire ceder les ceremonies diuines, à la necessité.

Les Romains disent, que leurs maieurs auoy­ent souuent preferé la necessité, à la Religion: Les loix politiques luy cedent. Caton qui en a e­sté le plus rude obseruateur, le persuada au Se­nat en la question Catilinaire: aussi le salut du peuple, est la souueraine Loy d'vn estat: car a­lors, la necessité publique fait licite ce qui autre­ment ne l'estoit point: A plus forte raison sera­elle preferee à vne douceur, qui n'est que vo­lontaire: & à vne clemence, qui traine auec soy la ruine de l'estat.

Que la necessité, & salut publique soit en cest endroit, il est assez aisé à iuger, par ce que des­sus, où il a esté monstré que ceste conspiration n'apportoit pas seulement changement d'estat, mais ruine de Religion.

Il ne reste doncques, que de bien fonder la ve rité, & certitude du delict: Et auoir intention [Page 44] droicte, & sincere. N'apporter haine, ny passions à ce iugemēt: ains cerchant la verité, desirer plus­tost trouuer l'innocence, que la coulpe. La coul­pe estant verifiee, auoir compassion du malheur auquel le coulpable est cheu: Mais auoir vne ba­lance, & mesure iuste à ceste pitié, qui est, com­me la haine particuliere, ne doit iamais nuire au public, aussi la particuliere amitié, ou commise­ration, ne doit iamais faire contrepoids, à la pitié que le prince doit auoir, de la ruine publique, & generale de son Royaume: & encores moins, au zele qu'il doit à la conseruation, & amplification du regne de Dieu.

Le Prince qui refuse la iustice à vn sien suiect, est coulpable deuant Dieu: à plus forte raison ce luy qui la refuse à tous ses suiets d'vn coup, & no­tamment à ceux desquels on scait que lour mort estoit iuree par ceste conspiration: lesquels (à ce que i'ay entendu) sont des plus illustres de son Royaume. Et qui par les fideles seruices qu ils ont fait à la royne d'Angleterre, meritent qu'elle leur octroye, ce qu'elle doit au moindre de ses su iets, qui est la iustice des machinations qu'on fait contre leurs vies.

Il est certain qu'il n'y a fidele seruiteur de la royne d'Angleterre qui n'aye fait, & deu faire toꝰ les offices qu'il a peu, de descouurir, accuser, & cō damner (chacun selon sa vocation & qualite) vne si malheureuse conspiration, & qui par là ne soit exposé, à la haine de tous les conspirateurs, & de leur complices: & plus ils y auront fait leur de­uoir, plus ils en seront hays de ceux qui sont les [Page 45] plus principaux de ceste conspiration: de façon, que venant la royne d'Escosse à la succession du Royaume, ceux qui ont descouuert à la Royne d'Angleterre ceste conspiratiō, sont exposez eux, & leurs familles, à la haine d'icelle, si on la laisse impunie. Qu'est cela sinon pour sauuer le conspirateur, & ennemy, laisser en proye en ses mains, le fidele suiect, & auec ce, donner vn tres-mauuais exemple, à tous ceux qui doresnauant scauront quelque semblable conspiration (comme il est à craindre, puis qu'on s'acoustume à telles factiōs en vn Royaume, que ceste cy ne sera pas la der­niere) à n'estre si volontaire à la descouurir, voyāt la ruine qui leur est, & à leur posterité toute cer­taine, pour auoir voulu sauuer la vie, & l'estat à leur Royne.

Il ne faut pas aller gueres loin, pour voir les in conueniens, qui arriuent de pareils faits. Qu'est­ce qui a rendu le roy d'Escosse dernier, delaisse des siens, exposé à la cruauté de ses ennemis, que pour auoir quitté ses amis, lesquels luy auoyent descouuett ce qui touchoit à son honneur, & à sa vie, s'estans monstrez ses bons, & fideles serui­teurs, & s'estans par la, rendus ennemis de la roy­ne d'Escosse, & des ministres de sa lubricité? Il voulut appaiser ses ennemis, & laisser ceux qui luy auoyent voulu faire seruice: il luy aduint que depuis, il n'y eut homme qui voulust, ou osast luy vser de pareils offices, lors que le besoin en estoit plus grand: aussi est ce vne fidelité, & resolution bien rare auiourd'huy quand vn suiet descouure vn forfait, duquel il voit deux euenemēs trescer­tains [Page 46] deuant ses yeux: à scau. que celuy qu'il accu­se, pourroit estre quelque iour son Roy, & a­uoir sa vie, son honneur, ses biens, & de tous les siens en sa puissance: & l'autre, Que quoy qu'il sache dire & verifier, l'accuse n'en souffrira rien.

Si le conspirateur estoit quelque personne in­fame, de laquelle ils n'eussent occasion de crain­dre sa haine, & inimitié, on pourroit dire qu'ils ont interest particulier à ceste douceur, & cle­mence, & qu'il n'y auroit que l'exemple publi­que qui fust frustré. Mais estant celle qui est la plus proche à estre leur Royne, contre laquelle ils ont descouuerte ceste machination, & les lais­ser en proye entre ses mains, il n'y a pas vn de ceux qui s'en sont meslez, qui ne doiue penser. que c'est fait de sa vie, de ses biens, & de tout ce qu'il a de plus cher en ce monde, si la royne d'Es­cosse vient à estre leur Royne.

Il est à esperer, que ceux qui ont esté fideles à la royne d'Angleterre, à la descouuerte, & ve­rification de la coniuration, perseuereront tou­siours en la mesme fidelité, quelquedanger qu'ils se voyent proposé deuant les yeux. Or c'est v­ne tentation bien dangereuse, qu'vn Prince pour garantir vn qui est digne de punition, mette en telle espece de desespoir ses plus loyaux serui­teurs.

Le refus de iustice fait par le Prince à ses su­iets, mesmement à ceux qui sont les principaux, pres de sa personne, a esté tousiours dommagea­ble [Page 47] au refusant. L'exemple de la mort de Philip­pe, pere d'Alexandre, suffira pour tous: Le des­espoir où tous les suiets se voyent sans esperance de protection de leur Roy, les contraint d'aller cercher leur seurté ailleurs.

Or est-ce le pire conseil qu'vn Prince peut a­uoir, de delaisser en desespoir ses principaux ser­uiteurs, & les contraindre d'aller cercher leur protection, ailleurs qu'à son Prince naturel.

Si l'on s'amuse à l'opinion que lon aura de la punition qui se feroit: C'est chose trop vaine, que les opinions, & rumeurs des hommes, pour les mettre deuant le salut: [...]abius Maximus n'en estoit pas d'aduis, Aussi quiconque s'arreste à ce­la, il monstre n'auoit guere droicte intention.

Ce bon Empereur d'Antonin, aduertissoit les Proconsuls qui alloyent aux prouinces, de n'affe­cter en la iustice, reputation ny de seuerité, ny de clemence: car l'vne, & l'autre affection, desuoy­ent du droict sentier de la iustice.

Ceux qui iugeront sainement, & sans passion de cest affaire, ne pourrōt estimer la royne d'An­gleterre que tres-iuste Princesse, tres-sage, & bien zelee au salut de tout son peuple, & à la deffense & propagation de la vraye Religion Chrestiene.

Ceux qui en iugeront par affection, & contre la raison, ne meritent qu'on se soucie de leur iu­gement, ny qu'on dispute auec eux par raison, veu qu'ils la bannissent de leur iugemēt, par leur passion particuliere.

[Page 48] Pour conclusion, la punition de ceste conspi­ration sur la royne d'Escosse, supposé qu'elle soit veritablement coulpable, quoy que sachent dire & alleguer ses partizans, est tres-iuste, & legitime, par toutes loix diuines, & humaines: vtile, voire tresnecessaire, pour le salut, & conseruation de la personne de la Royne, & de tout l'estat d'Angle­terre, & mesmes de ceux, que la Royne a occasiō d'aimer le plus. Au contraire, l'impunité, est vn vray refus de iustice, & de protection à ses suiets, vn mespris du salut de son peuple, & (ce qui est plus à regretter) vne desertion, & contemnement de la conseruation de l'Eglise de Dieu, & de son pur seruice, lequel, comme tu as dict au commen­cement, y seroit de tout point renuersé, si la mort de la royne Elizabeth aduenoit, deuant le suppli­ce deu à la royne Marie.

Dieu n'aura faute de movens pour garantir sō peuple esleu, & amplifier son regne: mais mal­heur au Pasteur, qui aura nourry le loup dans le troupeau: & au laboureur, qui n'a chassé le san­glier de la vigne du Seigneur. Et comme dit Eze­chiel, au 33. chapitre: Celuy qui oit sonner la trō ­pette, & ne reçoit point l'aduertissement, si l'espee vient, & l'occit, son sang est sur luy: & encores a­pres il adiouste. La guette qui oyt le son de l'en­nemy venant, & n'aduertit, si l'espee vient, & oc­cit vn autre, le sang de celuy là est sur luy. Car il est mort en son peché. Mais il redemandera (dit le Seigneur) son sāg de la main de la guette. Il ne faut point dire, ce danger est loin de nous, ce sera apres la mort de la Royne: Dieu luy face la grace [Page 49] de viure longuement: tout bon fidele le doit sou­haiter: mais c'estoit le prouerbe des enfans d'Is­rael, duquel le Prophete crie tant, vous auez dit, la prophetie est prolōgee, ou sera d'icy a plusieurs iours, & apres long temps: Non [...], dit le Seigneu [...]; I'auanceray le iour, & ma Prophetie sera auan­cee, non pas prolongee. Dieu vueille diuertir ce malheur, comme il monstre bien le vouloir: veu qu'il en donne les moyens si iustes, honestes, vti­les, profitables, necessaires, aisez, & faisables. Amen.

Voila l'amy en somme, ce que ie pense qu'on peut dire sur ce fait, pour l'esclaircir, & pour re­soudre, & desueloper les noeuds de toute la ma­tiere. C'est à toy maintenant, si tu le trouues bon d'en aduertir les grands de ta cognoissance: afin que rien ne les empesche, de demander iustice à haute voix, & crier tant, que les plus sourds l'en­tendent.

L'hi.

Ie suis tant satisfaict en ton discours graue, & prudent: Ie l'ay tellement imprimé au liure de ma memoire: i'ay si bonne enuie qu'il soit veu, & entendu, de tous les zelateurs du bien public de l'Eglise de Dieu, & ay de si bons moyens, Dieu mercy, pour les en aduertir, que ie ne voudrois pour rien, que nous eussions employé ceste heu­re, à autre deuis quel qu'il soit. Maintenant, ie te diray plus gayement comme il me semble, tout le succez de mes voyages.

Le pol.

Ie t'en prie beau sire, mais que ce soit sans digression, le temps me dure, que ie ne sache cō ­me c'est que Dieu a beny tes saincts labeurs.

L'hi.
[Page 50]

Certes amy, ie te puis dire, que i'ay presque trauaillé en vain, & ie te diray en deux mots cō ­ment reseruant toutefois à dire quelques particularitez à l'Eglise qui nous a enuoyé.

Tu dois scauoir amy, qu'au departir d'auec toy, i'ay tant fait par mes iournees, que ie me suis rendu, par grace de Dieu, en la Cour de la plus­part des princes Protestans, i'ay esté en celle de l'Electeur Palatin, du duc Auguste de Saxe, du Marquis de Brandebourg, des Lantgraues de Hessen, du duc de Vvitemberg, du Marquis de Baden, (Ie te les nomme ainsi qu'ils me vienent à la bouche, & non selon leurs degrez, ou l'ordre de mon voyage) I'ay esté à la Cour du duc de Prusse, du duc de Melzelbourg, du duc Iules de Brunzuich, du Prince d'An-halt, du duc de Lu nebourg, des ducs de Pomeranie, du comte de Oldembourg, du comte de Hansbach, de l'Ar­cheuesque de Magdebourg, du Roy de Suedde. du Roy de Dannemarc, des ducs de Olstian: & finalement en la Cour des Comtes de Emden, I'ay aussi parlé aux Seigneurs du Conseil des principales republiques d'Allemagne, qui ont re­ceu l'Euangile, ie leur ay bien au long fait entendre, à chacun en particulier, l'histoire tragique du Massacre de Paris. I'en ay trouué aucuns d'entre eux, qui estoyent desia auertis, par des Estaffiers de Charles, qui, donnans leur ame au Diable, pour l'amour de leurs maistres, auoyēt voulu per suader à ces Princes, que l'agneau auoit troublé l'eau au loup. Mais, pas vn d'eux n'auoit esté si mal auise de le croire.

[Page 51] Ie leur ay fait entēdre, autant comme i'ay peu, & sceu, le surplus de la perfidie de Charles de Va lois, & des siens, leurs desseins, leurs entreprises, la calamité de l'Eglise Françoise, le besoin qu'el­le a d'aide, le deuoir qu'ils ont de la secourir en sa necessité, comme membres de l'Eglise Catholi­que, que nous croyons tous n'ayant qu'vn seul chef Iesus Christ: ie leur ay remonstré la bien qu'il leur en reuiendra, s'ils le font, & le mal ne le faisant pas: ie leur ay dit là dessus, ce que Daniel en auoit prononcé en l'arrest que tu scay, i'ay ac­compagné mon dire d'authoritez de l'Escriture, des saincts docteurs, d'exemples anciens, & mo­dernes de la raison diuine, & humaine: ie l'ay mesmes entrelardé de quelques fables seruās à ce propos: entre autres, ie leur ay recité bien a point (cō ­me ils me l'ont par apres confessé) la fable que tu scay du bon homme Mercier.

Le pol.

Ie ne scay que lle fable tu veux dire, ie l'or rois volōtiers dire, s'il te plaist en prēdre la peine.

L'hi.

Ie pensois que tu la sceusses mieux que moy: elle est assez vulgaire, mais fort conuenable à no­stre fait.. Escoute. Il y auoit vne fois vn bon homme de Mercier, trafiquant, & frequentant les foires, monté d'vn bon & beau courtaut, qui menoit apres soy vn asne, chargé des balles de sa marchandise: Auint vn iour; ou pource que l'as­ne estoit trop dru, frais, & gaillard, qu'il s'esga­roit à trauers chāps, ne se souuenāt plusdes coups de bastō qu'il en auoit receu au parauant, ou pour quelque autre occasiō secrete, qu'auoit le maistre d'ainsi faire: il auint dis-ie, qu'il s'auisa de charger [Page 52] son asne, d'vn ballot, d'enuirō cent liures pesant, plus que sa charge accoustumee, vn iour, auquel, par grand desastre les cheminsestoyent empirez, pour l'iniure du temps de la nuict: tellement que le poure asne, n'auoit garde de regimber, plustost ahanant sous le faix, esmouuoit à pitié tous ceux qui regardoyent sa contenance, le seul cheual ne faisoit que s'en rire. Le Maistre estant cōtraint de s'arrester en vn village, pour payer le peage, en­uoya son courtaut deuāt, & l'asne aussi qui le suy­uoit, au moins mal qu'il estoit possible, iusques à ce qu'estans arriuez en vn mauuais passage, du­quel l'asne preuoyoit bien qu'il luy estoit impos­sible d'eschapper, ny de passer outre, sans se rom­pre ou bras, ou iambe, & parauēture aussi le col, pria lors affectueusement le cheual de luy assi­ster, & l'aider à passer ce mauuais chemin, ne luy demandant pour tout secours autre chose, sinon qu'il print sur soy le ballot d'extraordinaire, ius­ques à ce, tant seulement, qu'il eust passé par delà ce mauuais passage, promettāt le reprendre apres tres-volontiers dessus son dos: mais il craignoit autant ce bourbier-là, comme sa ruine presente. Le cheual se moquāt de l'asne, au lieu de luy vou loir aider, le menaçoit fierement du rude baston de son Maistre, qu'il disoit ne pouuoir tarder: que d'obligation, il n'en auoit point à l'asne, & quand bien il en eust quelqu'vne, elle ne s'estēdoit point iusques-là, que de luy persuader, de faire le vil of fice de Baudet, qu'il estoit cheual de nature, plus genereux qu'on ne pensoit, qu'il s'estoit trouué maintefois entre les rengs des grands cheuaux: [Page 55] Somme, que quoy qu'eux d'eux n'eussent qu'vn Maistre, que leurs offices estoyent separez, & qu'à chacun le sien n'est pas trop: s'asseurant d'auoit bien tost son passe-temps à tenir compte des bōs petits coups de baston. Baudet, se voyant escon­duit du cheual, craignant les menaces du Maistre, voire, & s'asseurant des coups, autant, dit-il lors, me vaut-il mourir icy, que plus attēdre: mon Maistre me tuera de coups. Si se mit sans plus mar­chāder, à deuoit de biē passer outre: mais le bour­bier par trop profond, luy ayant tōpu son dessein l'arresta tout court, & de sorte, qu'il luy fut force d'y mourir, le col cassé sous la charge. Le cheual aussi mal-enseigné, que beaucoup de gens de no­stre aage, qui ne rient iamais mieux, qu'alors que quelque mal s'addresse, se print à rire aussi grasse ment, comme s'il eut fait quelque grande conque ste: mais le Maistre arriué, ayant demandé nou­uelles de Martin, le voyant mort sous la charge, fit bien tost changer contenance, à ce beau mon­sieur le cheual, luy remonstrant, qu'il estoit force, de luy charger le bast dessus, qu'il ne vouloit pas laisser perdre sa marchādise: ny la laisser illec plus longuement.

Le pol.

Hé que i'eusse volontiers veu la contenan ce du cheual!

L'hi.

Il faisoit lors (ce dit le compte) vne bien pi­teuse grimasse, & n'allegant rien que ses droits, ses qualitez, & ses merites, disoit, qu'il n'estoit cou stumier à porter rien plus que la selle: Ce qu'il fai soit bien volontiers, s'offrant à mieux porter son Maistre, qu'il n'auoit fait par le passé: mais au re­ste, [Page 54] qu'il le prioit de ne luy parler point du bast, que c'estoit le mestier des asnes, qu'on en trouue roit bien vn autre, qui vaudroit trop mieux que Martin: mais, le maistre, ne voulant prendre ces raisons en payement, ayant attaché le cheual à vn arbre, & retiré le bast, & les balles du bourbier, auec vn regret indicible de la mort du poure Martin, chargea le tout, à l'aide de quelques passans, sur le dos du seigneur Cheual: lequel, se rauisant bien tard, de la faute qu'il auoit faite, refusant d'ai der à Martin, regretta tout le reste de sa vie, la mort du bon pouure Baudet.

Le pol.

Ie t'asseure, que voila vne fable autant à propos, que nul autre qu'on eust peu forger de ce temps. Hé qu'il fut bien employé à ce vilain, & cruel cheual, de luy charger le tout dessus.

L'hi.

Il le confessoit bien luy mesmes, & qu'il en pouuoit (ce dit la fable) eschapper à meilleur marché, s'il eut esté bien auisé, ou si la compassion de l'asne, luy fust peu entrer dans le coeur: mais c'e­stoit trop tard.

Le pol.

Il estoit du naturel de ceux, qui sont sages apres le coup, il auoit apprins des François, à ne cognoistte point sa faute, qu'alors que le remede estoit loin.

L'hi.

Ainsi donc, cōme ie t'ay dit, pour retourner à mon propos, ces bōs Princes, & Seigneurs, trou uoyent ceste fable de fort bon goust, & recognois soyent facilement, que c'estoit vne pierre, que ie iettois en leur iardin▪ ie passay encore plus outre: Ie leur dis, tout ce que Daniel auoit auisé estre bō de faire, pour les vnir & liguer en vn corps, [Page 75] comme ils le sont, ou doiuent estre en vn esprit, les vns, auec les autres, & tous ensemble auec nous. Ie leur discouru de beaucoup de petites choses, que la concorde a faict croistre, & surgir: & de beaucoup d'autres bien grandes, que la discorde a fait cheoir, & perir. Ie leur dis aussi là dessus, l'histoire de ce bon vieux Prince, qui ayāt vingt & deux enfans, luy vieux, cassé, estant aulict malade, les ayant fait venit à soy, leur commanda de rōpre en sa presence, vn fagot de cheneuotes, qu'il auoit fait lier tout expres: mais, comme du plus grand, iusques au plus petit, ils s'y fussent es­sayez en vain, luy seul, ayant deslié le fagot, rom­pit, & fort aisément, toutes les cheneuottes, vne à vne: leur remonstrant par là, fort dextrement, cō ­bien l'vnion estoit puissante, au prix d'vne folle discorde. Ie leut dy, que ceste vnion, & estroicte amitié, & intelligence qui deust estre entre les Chrestiens, c'est à dire, ce consentement des choses humaines, & diuines, cōioinct auec vne bene uolence, & charité, estoit le seul lien pour conser­uer & eux, & nous, & toute l'Eglise de Christ es­pandue par tout.

Que les choses qui assemblent les gens en vn, sont facilement trouuees entre nous, qui desi­rons mesmes choses, haissons mesmes choses, & craignons mesmes choses: que c'est ce qui con­tracte les amitiez parmi les bons, comme aussi c'est la cause des factions & ligues parmy les meschans.

Pour tout cela pas maille (comme lon dit) & t'asseure, que, me souuenant de la prophetie de [Page 56] Daniel parlant de cest Empire des Romains, il m'a semblé, afin que ie ne mente, parler aux vrais doigts de terre, desquels Daniel le Prophete, fait mention, tous separez les vns, des autres aisez à rompre, & à froisser, ou bien, ainsi que disoit l'au­tre, tous prests à vēdre, s'ils trouuoyēt quelqu'vn qui les voulust acheter.

Voyant que ie ne profitois de rien enuers eux, ainsi comme nous tombions d'vn propos, à l'au­tre: ie leur ay mis les iugemens de Dieu deuant les yeux. Ie leur ay dit, que ce n'est pas le Iuif, qui qui tue Iesus Christ: car il attend son Messie. Que ce n'est pas aussi le Turc: que le Papiste ne tue nō plus (par maniere de dire) Iesus Christ en ses mē ­bres: Il pense (comme dit l'Escriture) faire vn sa­crifice à Dieu, en ce faisant qu'il n'y a personne qui tue plus veritablement Iesus Christ en ses membres, que les Rois, Princes, Potentats, & peuples, qui cognoissent Iesus Christ, qui l'ont receu & laissant neantmoins à leurs portes, & comme en leur presence, massacrer leurs freres, combour geois, & concitoyens, sans leur donner aucune ai de ne secours.

En somme, l'amy, ie t'asseure, que ie n'ay, Dieu mercy, rien laissé à dire, de ce que i'ay estimé pou uoir seruir, à promouuoir vne si bonne cause. Pour tout cela, comme si le fait ne les eust en rien touché, pas vn d'eux n'a fait semblant de vouloir donner vn brin d'aide. Bien ont-ils confessé cha­cun à son tour, que l'acte estoit tres-inhumain: la trahison tres-detestable: Charles de Valois, & tout son Cōseil, le plus desloyal de la teere: qu'ils [Page 57] ne s'y fieront iamais: Qu'ls s'esbahissent commo c'est que les defuncts, (desquels la memoire leur est honorable) apres auoir esté tant de fois tra­his, s'estoyent, encores à ceste fois, osé fier aux mesmes traistres. Qu'ils donnent par aduis aux suruiuās de nos freres, de ne iamais plus s'endor­mir aux paroles de Charles, ny des siens, & ne ia­mais plus mettre bas les armes (que Dieu, & vne iuste, & legitime deffense leur ont mis en main.) Que quant à eux, ils s'armeroyēt volontiers pour nous: mais leurs gens ne marchent pas sans argēt, & nous n'auons pas les moyens, d'ē fournir: qu'ils seroyent bien aises de trouuer de l'argent, pour faire vne bonne leuee de Reystres: mais ils ne scauoyent où en prendre, & leurs gens sont merce­naires, regardans moins à Dieu, qu'à l'argent, cō ­me nous auons peu voir és troubles passez de la France, où il y auoit des leur assez, d'vne mesme religion, seruans sans aucune conscience, ne hon te à deux maistres diuers, & contraires.

Pour le dire en vn mot, apres beaucoup de pa­roles, ils m'ont traité, comme l'on traite commu­nément les poures, mendians l'aumosne à la por­te des riches: Ie vois bien qu'il y a pitié en vous, (ce leur dit-on) mais ie n'ay pas que vous dōner. Allez de par Dieu, Dieu vous soit en aide: Voila comme ils m'ont renuoyé, à mon grand regret, à bast vuide. Voyant cela, apres les auoir menacez derechef desiugemens de Dieu, qui ne peut lon­guement souffrir vne telle lascheté, en ceux qui se renomment siens, qui ne peut souffrir, l'Empire de ceux-là demourer de bout, qui laissent fouler [Page 58] le sien aux pieds: ie les ay laissez-là: & ay passé de Emden en Angleterre, où i'ay trouué, les nou­uelles que i'allois annoncer de la verité des Mas­sacres, espādues au long, & au large par toute l'is­le: les Ecclesiastiques, les Nobles, & le peuple, tous eschauffez à les vouloir venger, ne deman­dans, que cōgé de la Royne, pour pouuoir gueer leurs fossez. I'ay trouué, en somme, les choses si bien disposees, qu'il m'a semblé, de prime face, qu'il ne seroit ia besoin de leur faire plus grande instance, ny poursuite de secours, que d'eux-mes messans estre pressez d'auantage, ils s'y achemi­neroyent assez.

Ce neantmoins i'ay fait la reuerence à la Roy­ne, & aux seigneurs de son Conseil, ie leur ay fait entendre l'occasiō de ma venue: & la charge que l'Eglise m'auoit donné: ie leur ay dit là dessus que qui voit brusler la maisō de son voisin, doit auoir peur de la siene: que ces fossez qui separēt la grād Bretagne, du reste du mōde, ne sont pas suffisans à empescher laflamme de la cruauté de la maison de Valois, de voler sur les Anglois. Qu'on a ac­coustumé de porter de l'eau, à la maison du voi­sin qui brusle, encore que ce fut la maison de son ennemy. Ie leur ay aussi auācé les mesmes authoritez de l'Escriture, les exemples & raisons, alle­guees aux princes Protestans, ie leur ay remōstré qu'il ny escheoit qu'à bailler congé à quelques Myllords, qui s'offroyent d'aller à leurs despens, à vn nombre de noblesse, & de peuple volontaire, pour voir bien tost vengé, l'outrage fait à Dieu, & à son Eglise Françoise.

[Page 59] Sur cela, la Royne, & la plus part de son Con­seil, ne m'a sceu que dire, ny opposer autre chose, que la ligue, qu'elle auoit freschement faite auec Charles de Valois, enuers lequel, quoy qu'elle le recognoisse pour tyran, traistre, & meschant, elle estoit resolue de garder sa foy promise. Qu'elle voudroit bien qu'il fust mort, & que Dieu en fist la vengeance, qu'elle l'en prie de bon coeur: mais que d'aller contre sa promesse, qu'elle ne le fera iamais. Surquoy, apres luy auoir repliqué, que telle promesse peut estre à bon droit comparee à celle d'Herodes, à Herodias, & autres sembla­bles, qui ne meritent pas d'estre gardees, au de­triment de la gloire de Dieu: Qu'il y a des pro­messes, lesquelles sont bonnes à leur naissance, mais (comme Ciceron le dit) par traict de temps vienent à estre dommageables, & pernicieuses: comme d'vn prest, qu'on aura promis faire, à vn qu'on tient estre bon citoyen, auquel, si d'auenture il se rēdoit ennemy de la Republique, on n'est nullement tenu d'accomplir la promesse: qu'ainsi en est-il de sa ligue.

Que sa Maiesté, a promis foy, & homage dés le Baptesme au Dieu viuant, souuerain Roy, du­quel Charles de Valois est ennemy iuré. Que dés lors qu'elle fut introduicte en l'Eglise de Dieu, elle contracta auec les autres membres de l'E­glise de quelque region qu'ils soyēt, ligue, & cō ­federatiō inuio lable: que Dieu la sōme de sa foy, & toute raison diuine, ciuile, & des gens la dispen se de celle qu'elle a donnee au Fidefrage: lequel, comme elle peut cognoistre: n'a iamais contracté [Page 60] ligue auec elle, que pour la deceuoir, & tromper, & trahir sous mesme manteau, les poures Hugue nots François: Que Dieu, qui luy a fait tant de fa­ueur, que de la tirer de la prison, à la Couronne d'Angleterre, luy demande presentement, qu'elle tire hors de la presse, les membres de son fils Ie­sus, & autres raisons pregnantes, tirees non seule ment del'Escriture, laquelle nous monstre en mil le passages que ie luy alleguois, la symmetrie, & bōne intelligēce, qui doit estre au corps de Christains aussi, des raisons, tiree de la necessité, de l'e­stat, & d'autres que le sens commun simplement nous dicte, nous enseignāt de nous opposer à ces vilains & execrables mōstres, & de les retrencher d'entre les hommes, cōme ennemis iurez du gē ­re humain: Ainsi que Ciceron mesmes le nous enseigne en son liure des Offices, duquel ie luy al leguay le passage, en lāgue Latine, que sa maiesté entend fort bien, qui dit que nous ne pouuons ne deuons nous associer, ou auoir commerce auec les tyrans, plustost nous en esloigner, & distraire: & que ce n'est pas contre nature, de despouiller, si nous pouuons, celuy, que nous pouuons honeste ment tuer: que tout ce genre pestifere, & propha­ne, doit estre exterminé de la communauté des hommes, estant chose tresraisonnable, tout ainsi comme nous voyons, qu'on retrenche les mem­bres estiomenez du reste du corps, de separer du consorce, & commune societé des hommes, ces bestes cruelles, & farouches.

Apres (dis-ie) luy auoir remonstré cela, & plu­sicurs autres choses, touchant la charité Chrestie [Page 61] ne, & la nature de la vraye magnanimité, compa­gne honorable des grands, qui ne se monstre ia­mais mieux, qu'alors qu'on deffend en toute iu­stice, les foibles, & oppressez & ses alliez, des bri­gands, & volleurs: Trouuant sa maiesté aussi froi­de, & gelee à la fin que ie l'auois trouuee au commencement, ie m'apperceu, que cela ne pouuoit proceder que de la couardie, & pusillanimité du sexe: & de ce, qu'elle voit son Royaume, despour­ueu d'vn grand Capitaine, auquel elle puisse fier vne armee, pour en esperer vn bon succez: Aussi que le principal de ses Conseillers, qui gouuerne le temporel, & le spirituel, (cōme l'on dit, en tou­tes ses terres) est vn vray couard [...], & recreu, sen­tant son clerc trop mieux que son gendarme: Et neantmoins (selon que quelques vns estiment) pour se dresser vn appuy apres la mort de sa mai­stresse, est aux gages de deux autres Rois: Voyāt, dis-ie cela, ie m'addressay sans sortir hors de l'Angleterre, à d'autres Myllords mieux zelez, par le moyen desquels, & de l'Euesque de Londres, a­uec quelques gentils-hommes, & marchands, dusceu & consentemēt de la Royne, qu'elle prestoit sous main, & par l'ētremise du Sieur, Apfter Ciam pernon, on amassa, partie par forme d'aumosne, partie par forme de prest, dont quelques vns de nos freres de la Rochelle se sont obligez, enuirō quarante mille francs: à l'aide desquels, le Com­te de Montgomery, qui pour lors estoit en An­gleterre refugié, du vouloir & commandemēt se­cret de la Royne, accompagné du ieune Ciam­pernon, des l'vn de Morgans, & de plusieurs au­tres [Page 62] gentils-hommes, & soldats Anglois, & François, dressa vne petite armee, d'enuiron cinquāte Nauires petits, & grans: entre lesquels, la Royne fournit vn sien nauire, nommé la Prime-rose, du port de quatre cens tonneaux: & eust b [...]illé aussi le nauire Biscain de mester Hacquin, n'eust esté que mester Olstat, Vice-amiral Anglois, auoit en uiron ce temps-là, desualizé sur le nauire Biscain, plus de vingt nauires François, & Vvallons, qui estoyēt és haures, & en la coste d'Angleterre, ar­mez, & prests à acōpagner le cōte de Mōtgomery.

Le pol.

Et cōment bon Dieu! Vn seul nauire, pou­uoit-il bien desualiser vingt nauires armez?

L'hist.

Fort aisement, ainsi comme il les trouuoit dans les haures, où ils ne se doutoyent de rien, cō me n'estans en rien coulpables, oyansque c'estoit par le commandement de l'Amiral d'Angleterre le myllord de Clynton, les poures gens n'osoyēt point resister.

Le po.

Voire, mais quelle occasiō auoit le myllord de Clynton de cōmander que l'on fist vn tel vol?

L'hi.

Il n'ē auoit du tout point: mais voicy son pre texte. La Royne d'Angleterre, ne se contentant point d'estre liguee auec le plus meschāt Tyrā de la terre, voulut aussi estre sa cōmere, & presenter au Baptesme la fille de ce desloyal: pour ce faire, elle luy enuoya en ambassade le myllord de Vven­cester, pour faire l'office de la part de la Royne.

Le pol.

Ie m'esbahys, cōment cest que le myllord de Vvencester, ne supplia la Royne de l'excuser veu qu'il ne pouuoit honestemēt & en bōne con­science, ie ne dis pas presenter l'engeāce du Tyrā, [Page 63] ains vn autre enfāt de quelque bō Papiste que ce soit, deuāt l'idole abominable, à vn ministre de Sa tan, ny voir prophaner le sainct Baptesme, par leur cresme, par leurs crachats, & autres telles e­xecratiōs, cōtraires à l'institutiō, & pratique de Iesus Christ, des Apostres, & de l'anciene Eglise.

L'hist.

I [...] ne faut pas que tu t'es bahisses de cela, le millord de Vvencester est Papiste, Dieu luy face misericorde. Ie m'asseurequ'vn mylord d'Oktinc thō, vn myllord de Bethford, le seigneur de Vval zingham, qui pour lorsestoit ambassadeur en Frā ce, ou quelque autre religieux Seigneur, n'auoit garde d'accepter telle charge, ny la Royne de la luy donner: mais il y a bien de quoy s'esbahyr de la Royne, qui scait cōbien telle prophanation est desplaisante deuant Dieu, & cependāt elle se mo que de la cognoissance receue, & semble n'en fai re que le cerf.

Le pol.

C'est merueille, de voir cōme lesgrās (vers de terre neantmoins) se dispensent de desobeir à leur Souuerain, cōme si sa loy tresentiere ne les at touchoit en rien. A c [...] que tu dis, il semble, que tāt plus ce tyrā est meschāt, tāt plus elle l'honore.

L'hi.

Elle le fait plustost pour crainte, que pour l'a mour qu'elle luy porte: c'est cela qui l'a fait aussi vouloir estre sa belle soeur, pēsant eschapper bien par là, les embusches de son cōpere, & garētir par ce moyen, l'Angleterre de ses aguets: mais Dieu scait, si ce n'est pas plustost se perdre, se rēdre mal heureuse deuāt le tēps, & accelerer sa ruine par les noces du frere, comme la Frāce, par les noces de la soeur.

[Page 64] Or pour reuenir à mon propos, du vol, & des­ualisemēt de tāt de nauires. Ainsi que le Myllord de Vvencester s'acheminoit en France, pour l'oc­casion que ie t'ay dit, trauersant de Douure, à Bo­logne sur vn bateau, n'ayāt lors que trois bateaux passagers auec luy, il fut assailly par quelques cour saires Anglois, Frāçois, & Vuallons en petit nom brs, qui estoyent dans vn petit nauire, nommé le Poste: assailly, dis-ie, de si pres, que bien peu s'en falut, que le bateau où estoit le Mylord, ne fut mis à fons, tanty a, que l'vn des bateaux de sa suite, fut presque tout pillé, & quelques vns de sō train tuez. Aucuns disoyent, que quelque inimitié par­ticuliere contre le Myllord de Vvencester, auoit fait dresser celle partie: les autres, l'amour du bu­tin, & du present que la Royne enuoyoit à son Compere, au lieu duquel ils vouloyent supposer vn licol: d'autres pensoyent que c'estoit vn despit & vne enuie de rompre vn si vilain voyage, où Dieu estoit deshonoré. Comme qu'il en soit, ce­la fut cause que la Royne, lors irritee, donna char ge à son Amiral, d'enquerir bien au vray du fait, & de chastier les coulpables.

L'Amiral qui ne demandoit pas plus beau ieu pour grobiner, comme il en a bonne coustume, enquit si à point de ce fait, par le moyē de ses sup­posts, qu'on ne laissa nauire François, ny Vvallō, de ceux qu'ō peut attraper, qui ne fut mis à blāc. Les capitaines, Mariniers, tout l'equippage, voire quelques passagers, furent faits prisonniers, entre autres vn gentil-homme mien amy, Poiteuin de nation, à qui nostre France doit beaucoup, Historiographe [Page 65] diligēt & soigneux, & plein d'autres bō nes parties fut aussi detenu, & tous ensemble si bien traitez en leur prison, quoy qu'ils fussent in­nocens du fait, que le mieux traité d'entre eux, à bonne occasion de s'en souuenir.

Ce trait, fut cause que le comte de Montgomery alla plus tard d'vn mois, au secours de la Ro­chelle, & plus foible de ces vingts nauires, & du nauire Biscayn, que la Royne auoit promis, qui n'y osa aller, de peur qu'on n'vsast de reuēche sur son equippage: & fut ce vol cause en partie, que la Rochelle ne fust point secourue, par l'armee du comte de Montgomery: lequel peu de temps a­pres, ayant singlé vers la Rochelle, à la veue, & port de canon des nauires, & galeres, & des forts de l'ēnemy, qui tenoit le Canal, & entree de mer de la Rochelle gardez, apres luy auoir presenté la bataille, se voyant à son auis foible, s'estonna: l'ennemy le voyant marchander l'abbord, au lieu qu'à la premiere veue, son armee de mer, & de ter re s'estoit (comme on dit) esbranlee, commença à se rasseurer, & à se renforcer par mer, faisant em barquer dans ses nauires, à la veue de celles du Comte, enuiron de mille harquebouziers, qui fut cause, que le lendemain, le comte de Mōtgomery apres s'estre presenté au mesme lieu en bataille, n'estant suyui que d'vne partie de son armee, re­brossa son chemin vers Belle-isle, qui est sur la co ste de Bretaigne, print le chasteau, & l'isle d'em­blee, & là seiourna quelques iours. Vn des parens du comte de Rets, qui estoit Capitaine du cha­steau de Belle-isle y fut fait prisōnier, & ainsi pris, [Page 66] mené en Angleterre, où ie le vy chez le Seigneur de la Motte Felon, ambassadeur du Tyran.

Le pol.

Puis que ce Capitaine estoit parent d'vn si honeste homme, il ne pouuoit estre que braue, & bien excellent guerrier, on ne prent pas telschats sans mouffles.

L'hi.

Tu serois bien marry, si tu ne disois le mot en passant à ton accoustumee, he dea! cestuy-là n'estoit pas de ses parens de maintenant, qu'il est comte de Rets, encore moins des parens de Monsieur le mareschal de Rets, il luy appartenoit seu­lemēt, du temps que le pere d'Albert Gondy, Florentin, marchand en son viuāt à Lyon, venoit de faire freschement Banque route, du temps aussi que le Peron estoit vn commissaire des viures, aux guerres de Mets: ou du temps qu'il estoit gar son de coutouër chez Bonuisi à Lyon, & que sa mere, fille de Pierre Viue, marchand de Lyon, couroit l'esguillette par tout.

Le pol.

Il ne paya donc gueres de rançon, le vi­lain, à celuy qui le fit prisonnier.

L'hi.

Ie te le laisse à penser, chacun scait biē qu'il n'auoit lors vn seul double qui fut à luy, & au­iourd'huy, chacun scait bien que pour auoir monté la Meré, ce Landry à tout ce qu'il veut, cōman­de par tout à baguette, fait changer le quarré, [...]n rond, & a luy seul plus de finances, qu'vne dou­zaine des plus grands: Mais, pour reuenir à nos moutons, d'où ce bouc m'auoit destourné, le cō ­te de Montgomery estant à Belle-isle, les poures gens de la Rochelle, ayans veu que le secours au­quel ils esp [...]royent le plus, apres Dieu, ne les pou [Page 67] uoit en rien seruir, ny soulage [...], enuoyerēt deuers le comte de Montgomery vn petit esquif, auec sept hommes dedans, qui passerent en despit de l'ennemy, au trauers de son armee, fauorisez des vents, & des vagues: pour remercier le comte de Montgomery, & le prier qu'il n [...] se mist aucune­ment en plus grand danger pour eux, ains se re­seruast à meilleure rencontre: qu'ils estoyent re­solus par la grace de Dieu de se bien deffendre, contre les assaux de l'ennemy, & de mourir tous l'vn apres l'autre, auec leurs femmes & enfans, plustost que se rendre à la mercy de ces perfides.

Le pol.

Ce fut vn trait fort magnanime, que celuy de ces bonnes gens. Au lieu que le coeur, cōme il semble, leur deuoit faillir, & manquer [...] il leur est lor [...], tour au rebours, accreu cōtre le sens cōmun. La necessité est puissante à faire re [...]oudre les gēs: mais certes, Dieu les fortifie tousiours au besoin.

L'hi.

C'est tresbien dit. Or le comte de Montgo­mery voyāt le bon courage de ces poures Roche­lois, apres leur auoir enuoyé vn batteau à l'auēture, que l'on dit, auec deux milliers de poudre à ca non, & quelque peu de muys de bled, qui par gra ce de Dieu arriuerēt à bō port, & si à point qu'ils trouuerēt ces bōnes gēs presque au bout de leurs poudres, & de leurs bleds▪ apres cela (dis-ie) crai gnāt que l'ēnemy ne le vint charger à desprouueu à Belle-isle, où il n'auoit ny port ny fort, rōpit son armee, où (selon que la: creāce [...]n ce tēps est bon­ne parmy les Capitaines & soldats) elle se rōpit el­le mesme. Le Capitaine Hippi ville, qui auoit vn fort bon, beau, & bien armé nauire, s'alla rēdre à [Page 68] l'ennemy en Normandie: d'autres tindrēt la mer & l'escumerent. Le Comte s' [...]n alla rendre en An gleterre, auec vn biē peu de vaisseaux, surlesquels estoyent deux de ses gendres, son aisné fils, le ca­pitaine Poyet, Casaux, Maison-fleur, la Meausse, des Champs, le capitaine Sore, & certains autres capitaines gentils-hommes & soldats.

La Royne, & les seigneurs de son Conseil, qui s'estoyent promis de l'expedition du comte de Montgomery, vn secours de la Rochelle, & possible quelque chose de plus, commencerent à son retour d'en rabbatre iusques là, que au lieu qu'au parauant ils l'auoyent chery, & honoré comme vn demy dieu des batailles, en pleine cour à des­couuert & presque tout ioignant la barbe de l'ambassadeur du Tyran, à peine le vouloyent-ils lors voir en secret & à cachette.

Le pol.

Quelques vns accusent les femmes, de chā ger souuent leur maintien, & sous couleur qu'el­les sont legeres, taxent leur sexe à tous propos, d'vne inconstance insupportable: mais quād tout vn Conseil s'en mesle, c'est les iustifier de tout point.

Les Romains estoyent bien d'autre auis au re­tour de leurs Capitaines: ne les fauorisans rien moins à la perte, qu'à la victoire: comme Varro nous est tesmoin, ayāt perdu la grand bataille qui donnoit rome à Annibal (s'il eust sceu vaincre, comme on dit.) Retournant ainsi tout batu de­dans Rome bien desolee, on ne laissa pas de luy faire comme vn petit triōphe à demy: il leur sem­bloit bien que c'estoit assez de regret & de fasche [Page 69] rie à leurs Consuls, & capitaines, le desplaisir qu'ils receuoyēt de la perte d'vne bataille, & pen­soyent estre mal seant, redoubler leur mal, par re proches, ou par quelque autre chastiment: aussi scait-on bien que les armes sont iournalieres le plus souuent, & que tel a bien fait sur le tyllac vn iour, qui s'en ira le lendemain cacher prest le lest du nauire: tel a rompu son ennemy, qui tost apres est mis en route. C'est presque comme vn ieu d'eschets, où les pions mattent souuent les Rois, prenent les Cheualiers: les Roynes, forcent les Rocques, & chasteaux, par fois les fols qu'on lo­ge pres des Rois, font aussi eux-mesmes l'office, ou iouent au Roy despouillé.

L'hist.

Il est [...]rtain. L'autre disoit que tous les dieux iouent des hommes à la pelote, les esleuāt pour s'en mocquer, tost apres les iettant par ter­re: mais en ce [...]ait-cy dont nous parlons, c'est vne chose tres-certaine, que le Dieu des dieux, souue rain Dieu des armees, & batailles par son tresse­cret iugement, ayant retiré les meilleurs, a affady le coeur des autres arcs boutans, ainsi qu'il sem­boit, de toute l'Eglise Françoise: l'a dis-ie osté en tierement à la Noblesse, (qu'on appelle) & là dō ­né & fait à croire aux petits & humiliez: à fin qu'à son accoustumee, par les choses foibles, & basses, il confondist les fortes, & hautaines: & que par là toute la gloire, & honneur de la deliurance de ses enfans luy fust rendu.

Le pol.

C'est tresbien dit. Et pour certain, qui ne le voit est bien aueugle. Dieu à besongné puissamment (ce dit la Vierge, au 1. de S. Luc) par son bras [Page 70] en dissipant les orgueilleux en la pensee de leur coeur. Il a mis bas les puissans de leurs sieges, & a es [...]eué les perits, il a rēply de biens ceux qui auoy­ent faim, & a enuoyé les riches vuides. Il a releué Israel son [...]eruiteur, en ayant souuenāce de sa mi­sericorde. Tu cognoistras cecy plus clerement, l'amy, quand ie te reciteray ce qui s'est passé de­dans, & deuant la Rochelle & Sancerre, pendant que l'ennemy les tenoit assie gez, & que tu enten­dra [...]la deliurance miraouleuse que le Seigneur a fait de ces deux villes & de nos freres qui estoyēt dans Sancerre. Mais ie te prie poursuy, & te de [...] ­pe [...] de peur que quel [...]un su [...]uenant, n'interrō ­pe nos saincts deuis.

L'hi.

I'en suis cōtēt: i'auray fait en deux mots. [...] si dōc, quād [...]e vey ceste pe [...]ite armee qui auoit e­sté dressee, cōme tu as peu cōprendre, [...] tāt de difficultez, que le Tyrā mesme auoit essayé de rō pre au parauāt, ayāt enuoyé à cest eff [...]t par diuers iours ē ▪ Angle [...]erre la M [...]uuissiere▪ Chastea [...] neu [...] de Bretagne, & Sainct Iean frere du cōte de Mōt­gomery, pour le destourner, mais en vain: voyant (dis [...]ie) ceste partie la rōpue de tout poīt, sans espe [...]āce d'aucune ressource, & quoy que ie m'essay as se de la faire renouer, & de persuader à la Royne, d'enuover des forces au double, luy remonstrant qu'autā [...] valoit, cōme disoit l'autre, bien batu, que mal batu: & que tousiours l'Anglois auoit meil­leur marché du Traistre, l'allant cercher sur ses terres auec l'aide des offensez, que de l'attendre sur les sienes apres la desfaite des bons. Qu'il e­stoit à craindre que l'Anglois, qui n'auoit bōne­ment [Page 71] osé faire semblāt de s'en mesler, en fust à la fin recerché à plein fonds: & que ce n'estoit pas oster la guerre de dessus ses bras, ains seulement la differer. Voyant que tout cela ny seruoit de riē qu'à les fascher, qu'à troubler le repos de ceux qui aiment mieux ouyr vn diseur de bonnes nouuel­les, qu'vn Michee, qui leur annonce leur ruine, a­fin qu'ils auisent à eux. Apres que i'eu recom­mādé au Seigneurauec nos freres refugiez, nos freres assiegez: ie partis de ceste Isle-là pour m'en venir par deuers les Seigneurs des ligues.

Là estant apres auoir fair entendre bien au lōg à quelques Seigneurs principaux nos affaires, & par consequent, ce me sembloit, les leurs, ie pen­sois pour la conformité de la Religion, qui est entre quatre des plus puissans Cantons & nous, & pour la necessité de leur estat, qui à bon droict peut craindre l'entreprise d'vn Prince tyran & perfide, ennemy de toute liberté ciuile & spiri­tuelle: & pour le deuoir aussi que les Seigneurs des ligues ont à conseruer & maintenir les Fran­çois comme leurs alliez & confederez: ie pensois dis-ie, bien profiter de tant enuers cux tous que d'en arracher quelque braue & puissant secours contre l'oppression du Tyran.

Mais ie trouuay tout au rebours, que desia les Cantons Catholiques auoyent enuoyé au grand Boucher six mille de leurs poures hommes, pour luy aider à esgorger & massacrer le reste des bre­bis Françoises.

Le pol.

Qui iamas eust creu que ces gens eus­sent fait vne si grande faute de fauoriser le party [Page 72] d'vn cruel tyran & perfide: eux grans amis de li­berté: eux reputez entre les hommes pour gens qui gardent leurs promesses, & qui deussent par consequent hayr le Tyran qui les rompt au detrimēt detout vn peuple, ie dispeuple leur allié: c'est vn dāgereux paradoxe que l'opiniō de ces gēs-là.

L'hi.

La faim de l'or insatiable conduit les gens tout à son gré

Le pol.

L'odeur du profit (disoit l'autre) est souef­ue, d'où soit qu'elle sorte. Mais on n'ouyt iamais parler d'vn tel profit si execrable, qu'vn homme prene d'argent d'vn sien voisin confederé pour l'aller tuer quand & quand, pour le piller & le destruire.

Ils ont beau dire, c'est du Roy de qui nous re­ceuons la solde. Car leurs pensions en temps de paix, & leurs gages en tēps de guerre, ne sont ti­rez aucunement que du labeur du poure peuple, esclaue de ce Roy tyran. Aussi ne sont-ils alliez au Tyran, tant qu'au Royaume, qu'ils vont tous les iours depredant: mais qui les a ensorcelez en­core à ce dernier voyage? yeu qu'il n'y auoit pas vn viuant de ceux qu'ils s'estoyēt fait à croire qui abbayoyent auparauant à la (Côrôna) qu'ils ap­pellent: ils ne pourront à leur retour, si quelqu'vn d'entre eux eschappe, se vāter comme aux autres fois, d'auoir seul gardé la Corona, Que lo Rey lor é byn tenu, que sen celou Monsiou l'Animal & Dandelou ly hosson ota la Corona de dessu la teta: puis qu'on ne cerche encore à ceste fois que d'es­chapper & se garder de la fureur des mains meur trieres.

L'hi.
[Page 73]

Ils n'ont pas creu tousiours ce qu'ils ont dit: mais il faloit pour cacher leur folie, la couurir de quelque manteau: partant prenoyent-ils ce pre­texte, comme le plus specieux. Mais à dire vray la plꝰ part ny alloit que pour desrobber, l'autre pour viure simplement, l'autre pour dissiper l'Eglise: leurs Chefs cerchoyent de s'agrandir, & d'apprē ­dre en si bonne escole toute sorte de corruption, & le moyen de tout vouloir & de pouuoir tout ce qu'on veut: a fin qu'vn iour suyuant l'exemple de leur beau compere Boucher par son moyen & sa [...]aueur, qu'ils s'asseurent d'auoir propice, ils puis­sent aussi à leur tour gouster que c'est de commā der absolument, & à bague t [...]e par dessus tous leurs Citoyens.

Ces seules raisons & non autres les ont fait marcher à ce coup, aussi bien comme és autres fois.

Le pol.

Qui a manié leur leuee? Car Belieure ny estoit plus: & ils croyent ce bō Apostre, plus que nul de leur Kalendier.

L'hi.

Ce Belieure, duquel tu parles, ny estoit plus vrayement: mais il auoit fait establir son aisné frere en sa charge, & luy mesmes y vint à point, secō dé d'vn bon costiller messire Pierre Carpentier, (tu cognois l'homme) & assisté d'vn bon preud­homme le vieux secretaire Poulier.

Le pol.

O Seigneur qu'est-ce que i'oys dire de mō ancien amy Poulier! Que ie regrette ce bon homme!

L'hi.

Aussi est-il à regretter. Car des autres passe sans flux. Carpentier a tousiours esté vn maistre [Page 74] frippon effronté, vn Tholoz at, c'est à dire vn dou­ble. Les autres deux sont entendeurs, ce sont des Huguenots d'estat: ceux à qui le Dieu de ce mon­de a cillé ou creué les yeux. Mais de Poulier, l [...] coeur me fend, quand ie m'en souuiens, de regret.

Le pol.

Mon Dieu que ie suis desplaisant, qu'il fa­ce si mauuaise preuue de la cognoissance qu'il a!

Lhi.

C'est sans doute que le poure homme a tra­uaillé bien lourdement contre la verité cognue. Mais Dieu qui scait bien ramener ses brebis de peur de les perdre, le vint trouuer en ces iours­là, & luy fit sentir le petit doigt de sa main forte, trebuschāt luy & son cheual, en vn chemin plain & facile: & pour l'arrester court sur cul, il luy cassa la iambe droitte.

Le pol.

Dieu vueille que ce coup de fouet luy face cognoistre sa faute. Mais quel pretexte propo­soyent-ils, ces gens de bien aux Catholiques?

L'hist.

Nul autre, si non, quoy qu'il en fust, que leur Compere vouloit estre maistre absolu en son pais: qu'il vouloit, tout coupper & coudre à [...]on plaisir: que nuls ne luy desplaisoyent tant que les Rochellois, qui ne vouloyent ouurir les por­tes à ceux qui les vouloyent tuer de par le Roy. Et ainsi tout honnestement, comme qui conuie à des noces, les pressoyent d'aller au pillage & car­nage des gens de bien, qu'ils disoyent estre des re belles, seditieux à tout iugement.

Le pol.

Ie leur nie bien c'est article, qu'ils soyent seditieux ny meschans, & pourrois bien deuant tous iuges qui ne seroyent point passionnez prouuer tout outre le contraire.

L'hist.
[Page 45]

Ie serois content de t'ouyr discourir sur ce ste matiere, s'il te plaisoit prendre la peine de la traiter nai [...]uement, selon la conscience & l'estat. Tu scais qu'il y a plusieurs consciences de timi­des scrupuleux, qui font estat de se laisser frapper & de tendre aussit ost l'autre ioue.

Le pol.

C'est tresbien fait à des priuez, & pour des iniures priuees de patienter & de souffrir, plustost que de rendre la pareille: mais en ce fait il va bien autrement.

L'hi.

Ie le scay bien, & ne suis pas si grue, que ie ne sache comme il s'y faut porter. Et ne doute non plus qu'il ait esté & qu'il soit loisible à nos freres de se garder contre l'inuasiō du Tyran, que contre brigans & volleurs, cōtre des loups & des sangliers, ou autre beste plus farouche.

Ie dy d'auātage auec l'ancien peuple Romain; que d'entre tous les actes genereux, le plus illu­stre & magnanime est, d'occire le Tyran: estant, comme tresbien le monstre Ciceron: vn tel acte, quand biē il sera executé par vn familier du tyrā, tout plein d'honesteté & de bien seance, conioin­cte auec le salut & l'vtilité de la chose publi­que. Mais qui me fait desirer d'entendre de ta bouche la resolution de ce faict: c'est pour me seruir des argumens, authorit [...]z & exemples des­quels ie scay que tu abondes, à confermer les timi des, & resoudre les scrupuleux.

Le pol.

S'il faut que [...]e traite ce point, ie crain d'es­garer ta memoire de ton discours encommencé.

Lhi.

Point, poit, ne crain pas que ie laisse d'y reue nir, i'auray fait ē deux pas & vn saut. Mais cōmēce [Page 76] re te prie de traitter vn peu clerement ceste mati [...] re: elle n'est pas hors de propos.

Le pol.

Ie le veux bien: Escoute.

Premierement il faut establir ceste maxime: qu'il n'y a qu'vn seul Empire infiny: scauoir, ce­luy de Dieu tout puissant, & par consequent que la puissāce de quelque magistrat & Prince que ce soit est enclose dans certaines limites & barrie­res, hors desquelles le Prince ne doit sortir, ny le suiet, s'il les outrepasse, luy obeir: autrement ce se roit esgaler l'Empire du Magistrat à celuy de Dieu souuerain: blaspheme par trop horrible seu lement à le penser. Car quoy que le Magistrat re­presente l'image de Dieu, si se faut-il souueni [...] de ce que Dieu a dit par son Prophete: Ie ne dō ­neray pas ma gloire à vn autre. Les magistrats dō ques sont establis de Dieu, non afin qu'en parta­geant auec sa Maiesté ils se reseruent partie de la gloire: ains afin que cōme Ministres & seruiteurs du Seigneur ils raportent entierement à leur maistre toute gloire & tout honneur.

Les Magistrats, s'ils n'auisent de pres à leur de uoir, peuuēt commettre des fautes bien lourdes: soit en commandant ce qui repugne à la premie­re table de la loy de Dieu: ou en deffendant, ce qui est commandé par la premiere table: Tels cō ­mandemens & deffenses sont prophanes & con­tre toute pieté. Ils offensent aussi contre la secō ­de table, quand ils commandent ce qui ne se peut obseruer sans violer la charité deue au prochain: ou deffendent de faire les choses lesquelles nous ne pouuons delaisser sans violer celle charité qui [Page 77] nous doit estre inuiolable: tels edits doyuent e­stre appellez iniques.

Ce fondement posé, que nous deuons au seul Dieu toute obeissance sans nulle exceptiō, il s'en suit, qu'il ne faut pour rien obeir aux edicts pro­phanes, ou iniques de quelconque magistrat ou prince que ce soit: & par consequent, que les su­iets ne peuuent obeir en bonne cōscience au Roy commandant choses prophanes ou iniques. Il n'y a pas faute d'exemples en ce point.

L'edict de Pharao, par lequel il commandoit l'homicide cruel & sauuage des petits enfans des Hebrieux estoit inique tout outre. Les sages femme ny obeissent point: elles en sont louees par l'esprit de Dieu en l'Escriture: Dieu recompen­se la pitié de ces bonnes femmes, qui ont ainsi des obey au tyran, leur edifie des maisons, benist & accroist leurs familles.

L'edict de Nabuchadnezar commandant d'a­dorer la statue, estoit prophane & contre la pre­miere table de la loy. Les compagnons de Da­niel ny obeissent point: pourtant sont louez du Seigneur, & conseruez de sa mainforte au milieu des flammes du feu.

Les edicts de Iezabel ont esté prophanes & i­niques tout ensemble, en ce qu'elle commandoit de meurtrir les Prophetes de Dieu, & les gens de bien, Voila pourquoy Abdias au lieu d'y obeir nourrissoit de tout son pouuoir les seruiteurs du Seigneur.

Les Iuifs entant qu'en eux estoit empeschoyēt Iesus Christ d'annoncer la volonté de Dieu son [Page 78] Pere auec deffēses & menaces. Iesus Christ leur a resisté en l'annonceant. Et quoy que nous puis­sions dire qu'en la maison du Pere Eternel il a e­sté est & sera iamais fils Eternel de Dieu: tou­tefois selon la dispensation du temps d'alors, sa condition & la police, il estoit comme personne priuee: & toutefois n'a il point obey.

Les Apostres ayans receu commandement de se taire, & ne point annoncer Iesus Christ, n'a­uoyent garde d'y obeir.

Il ne seroit pas si tost fait si ie voulois reciter par le menu le nōbre des tesmoins qui ont souf­fert persecution, pour n'auoir voulu obeir aux e­dicts des Rois, Empereurs & autres Magistrats, ausquels tant s'en faut que nous soyons tenus d'o beir, lors qu'ils commandent choses prophanes ou iniques: qu'au contraire comme nous pouuōs recueillir des exemples alleguez nous ne satisfai sons iamais à nostre deuoir, si en desobeissant d'ū costé, à tels Magistrats, nous n'obeissons de l'au­tre aux edicts & commandemens du Dieu souue rain, chacun de nous selon sa vocation: vocation dis ie generale ou particuliere: generale par la­quelle vn chacun est appelé à pratiquer la chari­té enuers ses prochains: particuliere selon l'e­stat & office auquel vn chacun est appelle.

Les sages femmes donques Egyptiennes ont fort vertueusemēt fait en n'obeissant point à Pha rao, & en s'acquittant de leur vocation particu­liere ont de tout point accomply leur deuoir, con seruant les enfans que l'edict du tyran auoit desti­né [Page 79] à la mort.

Ainsi aussi Abdias, qui non seulement ne tua point, ains nourrit & sustenta les Prophetes du Seigneur. Pareillement les Apostres, qui tant s'en faut qu'ils se teussent, qu'au contraire ils annon­cerent plus librement la parole du Seigneur. Aussi estoit ce leur vocation particuliere, à laquelle ils ne pouuoyent autrement satisfaire qu'en ce fai sant.

Et partant auiourd huy és terres des Princes prophanes, superstitieux & tyrans, desquels le nō bre n'est que trop grand, qui deffendēt d'annōcer la Parole de Dieu, & commandent d'assister aux seruices des faux dieux cōtrouuez dās le cerueau des hommes: s'il s'y trouue quelque Chrestien, (comme Dieu mercy il y en a bon nombre) nous ne dirons pas qu'il se soit acquité de son deuoir, quand seulementil se ser a abstenu de communi­quer aux faux seruices, si quand & quand il ne fait tout ce qui luy sera possible pour se trouuer és assemblees Chrestienes, ouyr la paroler de Dieu, & communiquer aux prieres & sacremens de l'Eglise Chrestiene.

Le roy Ozias ayant voulu vsurper l'office de Sacrificateur, fut dechassé hors du Temple par Azarias, & octante autres Sacrificateurs ses compagnons: desquels le fait fut approuué de Dieu, &c celuy d'Ozias condamné: de sorte qu'il en fut frappé de lepre de la main du Seigneur, & con­traint de finir sa vie tout lepreux, & miserable, [...]en vne maison sequestree & à part.

[Page 80] Cela est donc tout resolu que nous pouuon [...] en bonne conscience desobeir aux edicts propha nes ou iniques des Magistrats, quels qu'ils soyēt.

Reste à voir maintenant, s'on leur peut aussi pareillemēt resister en bonne conscience, & pour quelles raisons: estant chose toute asseuree, que c'est plus leur resister, que leur desobeir simple­ment.

Ia n'auiene que ie fauorise en cest endroit le party de ces furieux & turbulens Anabaptistes, que nous confessons tous pouuoir estre digne­ment chastiez par le Magistrat.

Qu'on ne pense pas aussi, que ie vueille porter le party des Seditieux, pourtant, si ie viens affer­mer que les suiets sont tenus de resister par ar­mes, si besoin est, au magistrat commandant cho­ses prophanes ou iniques, estant vne telle resisten ce, qu'ō fait aux desseins d'vn Magistrat seditieux, vn vray moyen d'oster la sedition, & faire mettre vne bonne paix parmy les peuples.

Mais afin que la question puisse estre plus che rement traitee & desnouee, ie mettray en auant quelques maximes, comme preludes seruans à ce faict.

Premierement qu'il y a vne mutuelle & reci­proque necessitude & obligation d'entre le Ma­gistrat & les suiets: comme il est aise à cognoistre, s'on considere l'origine, la cause & la fin de l'institution des magistrats.

Cela est bien certain que les magistrats ont e­sté creez aux peuples & non les peuples aux ma­gistrats: tout ainsi que le tuteur est cree à vn pu­pille, [Page 81] & le Pasteur à vn troupeau: non pas le pu­pille au Tuteur, ou le troupeau au Pasteur. Il fal­loit donc qu'il y eust quelques assemblees & trou pes d'hommes deuant la creation des Magistrats. Encores peut-on bien trouuer auiourd'huy vn peuple sans Magistrat, mais nullement vn Magi­strat sans peuple: C'est donc le peuple qui a creé le Magistrat, & non le Magistrat le peuple: qui a, dis-ie, creé les premiers magistrats d'vn com­mun con [...]entement, pour la necessité qu'il se sen toit auoir pour sa conseruation d'vn tel lieu & conduite.

Aucuns peuples ont creé des Princes sur eux, pour estre gouuernez & regis en ceste façon ou en l'autre, tellement toutes fois qu'il demouroit tousiours par deuers le peuple vne bonne portiō de la puissance & authorité. On voit cela en l'e­stat Democratique, auquel aucuns esleus en ce­ste charge demandent les auis & recueillent les voix du peuple, n'osans au reste riē ordōner sans son consentement. Ceux-cy sont appellez Magi­strats populaires.

Autres y en a, qui ayans mieux aimé le gouuernement Aristocratique, ont choisi & esleu vn certain nombre des meilleurs de leurs citoyēs, aus­quels ils ont cōmis toute la conduite de leur estat & chose publique.

Ceux qui ont plus prisé le gouuernement d'vn seul, l'ont esleu & esleué sur eux pour les gouuer ner & conduire comme Monarque & souuerain. Mais il ne se trouuera iamais, qu'il y ait euvn peu ple si sot & mal auisé, qui ait esleué vn magistrat [Page 82] sur ses espaules, auquel il ait donné puissance & authorité absolue de cōmander indifferemment tout cequ'il voudroit au peuple, qui l'auoit esleu. Au contraire tousiours le peuple en se soumet­tant au Magistrat, l'a aussi lié & comme attaché à certaines loix & conditiōs, lesquelles il ne luy est permis d'enfreindre ny outrepasser.

On voit encores auiourdhuy cela aux establis­semens & couronnemens des Rois: où l'on leur offre certaine forme de iurement, qu'ils prestent deuant qu'estre establis: s'astreignans par iceluy aux conditions qui leur sont offertes.

Sous telles conditions le Magistrat regne, & sous telles conditions luy doit le peuple obeir, n'estāt en rien honeste d'estendre le commande­ment ny l'obeissance hors ou par dessus icelles conditions, que nous pouuons appeller, vltro ci­tróque & reciproquement obligatoires.

Nous auons vn ancien exemple de cecy assez à propos au regne d'Israel. Dieu es [...]it Dauid & sa posterité pour regir & gouuerner les Israeli­tes. Ils se soumettent à son Empire, sous certai­nes conditions & formule de iurement, que l'on peut recueillir des passages de l'Escriture, où l'histoire du regne du Roy Ioas est traitee: Là il est dit que Ioiada sacrificateur stipulant, l'alliance fut faite comme de nouueau entre Dieu, le Roy & le peuple.

Dieu tesmoignoit par la bouche du Sacrifica­teur, qu'il recognoissoit ce peuple là pour son peuple: & le peuple de sa part reclamoit Dieu pour son Di [...]u.

[Page 83] Item le Roy de son costé promettoit de re­gner selon Dieu, & le peuple d'obeir au Roy se­lon Dieu.

Le mesme serment & alliance se trouue faite en l'Escriture sous Iosias & autres Rois. En som­me iamais ne s'est veu qu'il y ait eu homme esle­ué en degré par dessus les autres, sans auoir pre­mierement fait quelques promesses & sermens au peuple, ou à la nation à laquelle il estoit pre­pose.

On voit encores auiourd'huy les formules de iurement de l'Archeduc d'Austriche, du roy des Romains, du roy de France, quoy qu'elles ayent esté viciees par l'entremise de Messieurs les Pa­pes Romains.

Apres auoir veu l'origine & forme de la crea­tion des magistrats, voyons maintenant quelle est la cause & occasion, pour laquelle ils ont esté creez. Nous trouuerons qu'il n'y en a point d'au­tre que le salut du peuple. Afin, ce dit l'Apostre, qu'ils soyent en terreur & espouuantement aux meschans, & en seureté & conseruation aux bons.

Aristote en ses Politiques dit tresbien: Que tout ainsi qu'au Pilote, l'heureuse & prospere na­uigation: au medecin, la santé du patient; au Ca­pitaine, la victoire: aussi au Roy le salut & con­seruation du peuple doit estre tousiours deuant les yeux.

Et partant le peuple ayant esleu ou autrement esleué premierement, le Roy à ceste fin, le Roy aussi estant obligé à telle condition toutes fois & [Page 84] quantes qu'il s'en desuoye: quand de bon prince il deuient Charles▪ 9. quand seulement il prepo­se son priué au public: augmentant auec le detri­ment du peuple ses coffres & reuenus: lors l'obli­gation du costé du peuple est rompue: lors est le peuple de liuré de ce qu'il deuoit à son Roy. Ne pouuant l'Empire & gouuernement estre dit iu­ste & legitime, auquel l'on a tellement esgard au bien particulier du Prince qu'on en vient à inte­resser le public de tout le Royaume.

Outre ce que dict est, il faut qu'vn Roy soit le­gitimement appellé à la Royauté, selon les cou­stumes & loix du pais, pour pouuoir estre dit Roy legitime. Autremēt s'il vient à vsurper le sceptre, il se rend indigne du titre & des priuileges d'vn Roy. Cecy soit dit tout en passant, en faueur de ceux de Lorraine: sur lesquels, comme tu scay mieux, les predecesseurs de nos Valois ont vsurpé la Couronne.

Or les Rois sont appellez au royaume, ou par succession en lieux où le droit de regner est trans mis aux herìtiers: ou par election: ou par succes­sion & par election tout ensemble. Ceste der­niere façō de creer les Rois est merueilleusemēt à l'auantage & benefice du peuple: estant chose tout asseuree que là où le droit de succession est simplement obserué, le plus souuent la Royauté est transportee à personnes indignes, d'où sort v­ne infinité de malheurs & desastres, nous l'auons veu, nous le sauōs, nous le sentōs si nous ne som­mes ladres. Là où l'election seule est pratiquee, on baille entree aux seditions & partialitez, des­quelles [Page 85] naissent le plus souuent des guerres ciui­les, ruine des peuples & estats. Mais quād la cho­se est temperee, de sorte qu'on ne reiecte pas te­merairement la famille sous laquelle le peuple a accoustumé d'estre conduit: ains enquiert-on di­ligemmēt, si c'est pour le bien du peuple de l'esli­re ou reietter: c'est s'y conduire sagement de tout point, Telle estoit ancienement la façon d'esle­uer les Rois. Ainsi a esté pratiqué en l'Empire de Dauid (duquel toutefois Dieu estoit l'autheur & en la famille duquel il vouloit conseruer le sceptre) où les aisnez n'ont pas esté establis indiffe­remment Rois. Roboam apres la mort de Salo­mon fut appellé par droit de succession au Roy­aume: mais ce fut par l'auis des douze lignees, qui pour c'est effet s'assemblerent.

Ces choses ainsi premises, ie vien à la question proposee. S'il est loisible aux suiets de resister au magistrat, & iusques où telle licence s'estend. Mais deuāt toute oeuure, il faut entendre, que les suiets ne sont pas tous d'vne mesme condition. Car les vns sont simplement suiets priuez: les au­tres ne sont dits suiets qu'à raison du magistrat souuerain: tels sont les magistrats inferieurs.

Mais à scauoir-mon si le Souuerain magistrat ou Roy est tellement souuerain, qu'il n'ait nul fors que Dieu estably dessus luy. Il semble bien qu'on pourroit dire que apres Dieu le Roy est le premier: ie l'accorde, mais non pas absolument. Car, comme i'ay desia dit, les gens n'ont iamais esté si sots & mal auisez de donner à aucun tant de souueraine puissance, qu'ils ne se soyent tou­siours [Page 86] reseruez de tenir comme par les renes vne bonne & forte bride, de peur que la Royauté, cō ­me en vn chemin glissant, ne tombast tost en ty­rannie.

Mais ils n'ont sceu si bien faire (tant le peuple est aisé à piper) que ce malheur, que ce desastre ne soit auenu mille fois.

L'authorité des anciens rois des Romains e­stoit souueraine, mais elle estoit retenue par le Senat.

Les anciens Rois dechassez par leur ambition, violence, & paillardise, l'authorité souueraine de meura au senat Romain: tellement toutefois que l'authorité des Tribuns du peuple luy feruoit de frein & de bride.

Les Lacedemoniens auoyent deux familles à Sparte, desquelles ils eslisoyēt leurs Rois: le frein & bride qui les tenoit en office estoyent les Ephores, c'est à dire les voyans ou regardans & obser­uateurs. A ceux-cy estoit loisible de condamner & chastier les Rois, qui abusoyent de leur char­ge, comme tu scay qu'il auint à Pausanias.

Tel est auiourd'huy en l'empire Romain le Sept-virat: scauoir les Princes Electeurs. Ceux­cy n'ont pas seulement droict d'establir les Em­pereurs, ains aussi de les desmettre. Tesmoin en est Vvenceslaus Empereur priué par eux de l'Empire l'an 1400. Munster recite la forme de l'ab­rogation.

Le mesme a esté obserué aux Rois de France, du temps que l'authorité des Estats (que ceux de Valois ont abbatue) estoit en sa force: laquelle [Page 87] aussi s'estendoit iusques là, comme tu scay, qu'il n'estoit permis au Rois de declarer, ny faire guer re, ny d'imposer tribut ou subsides nouueux sans le consentement des trois estats: esqu [...]ls neant­moins les gens d'Eglise n'estoyent aucunement comprins: ains seulement ceux de la Iustice, ceux de la Noblesse, & le Peuple. Et estoit leur autho­rité telle, qu'ils deposoyent les Rois quand l'oc­casion le requeroit pour leur desbauche, insolence, faineantise, incapacité & autres semblables choses.

Nos histoires nous font mention, comme tu scay trop mieux, de huict Rois de France desmis par l'authorité des Estats.

Childeric en est l'vn, desmis en l'an 469. Eu­don l'autre, desmis vn peu apres. Vn autre Childeric, l'an 679. Theodoric, l'an 696. Chilperic, l'an 750. Charles le Gros, l'an 890. Odon, l'an 894. Charles le simple, l'an 926.

Quant à nostre Charles le traistre, ils ne l'eus­sent ia desmis: il n'est pas vray-semblable: ils eus­sent eu esgard à ses belles vertus, à sa pieté, à sa iustice: ils eussent porté respect à sa mere qui peut tout, & au Peron qui la surmonte, & gouuerne tout à son tour.

Mais si la liberté des Estats, n'eust esté oppri­mee, ils eussent bien desmis d'autres Rois, qu'on eust peu nommer bons, tresbons, les compa­rant aux moindres traits de ceux que Charles a ioué au poure & miserable peuple: cōme les Ro­mains demirēt Tarquin à raison de ses outrages & violences.

[Page 88] En Angleterre les Parlemens, qui ont mesme puissance qu'auoyent les estats en France, ont souuent condamné leurs Rois.

Cela est hors de toute doute que ceux qui ont la puissance de deslier, ont aussi pouuoir de lier.

Et partant és lieux où cest ordre est estably, qu'il y en a quelques vns qui seruēt de bride aux Rois, & aux loix de seure garde: ie dis que ceux là sans faillir peuuent & doyuēt resister aux iniques ou prophanes commandemens des Rois. Et ne peuuēt ceux-là laisser la royauté & legitime gou­uernement degenerer en tyrannie sans commet­tre vne manifeste trahison enuers le peuple qui a esleu tels estats principalement à celle fin, qu'ils empeschent la tyrannie. Que si de malheur elle y suruient, (comme nous la voyons par nos pechez arriuee à son comble, disposant des biens & des corps, de l'hōneur & de l'ame à son gré) c'est aux suiets priuez de recourir au remede vers les e­stats: estant chose toute asseuree, que ces trois e­stats sont comme souuerains magistrats par des­sus le Roy en cest endroit, quoy qu'ils soyent pri­uez & au dessous du Roy pour vn regard ordi­naire.

Que si ce droit là des estats vient à descheoir & à se perdre? Ie te respōs, & fort bien ce me semble: que les Rois qui ont si souuent en leur bou­che, qu'on ne prescrit rien contre eux, nous ensei gnēt aussi de dire, qu'il n'y a point de prescriptiō cōtre les droits du peuple & des estats. Et que la loy ciuile de laquelle nous vsons, qui a la raison pour son ame, nous enseigne & apprēt, qu'vn possesseur [Page 89] de mauuaise foy ne peut prescrire aucu­nement.

Les rois de France promettēt & iurent à leurs Couronnement, qu'ils conserueront, vn chacun en son ordre, reng & degré: quand ils font le con­traire, qu'ils violent les bonnes loix & les bons e­dicts en quelque façon que ce soit, ils ne sont plus Rois, ains Tyrans.

S'ils repliquent: Il y a cent ans, deux cens, voi­re six cēs ans que nous vsons de tel & de tel droit. (Car tel est nostre plaisir) & pour autant ce droit nous est prescrit.

Ie respons, que si on fueillete les histoires de nostre France, on trouuera qu'il n'y a pas plus de soixante ans que la liberté des estats y a esté op­primee, & que les Rois y ont esté comme l'on ditmis hors de page. Mais quand bien ce seroit de plus long temps, ie tourne dire, que la prescrip­tion contre les bonnes moeurs & cōtre les droits du peuple est inualide. Mais l'on me dira: Les e­stats ne peuuēt ou ne veulent s'assembler, ou s'ils s'assemblēt, la plus grand part emporte, tousiours la meilleure: ne sera-il donc permis à vne ou à l'autre partie des trois estats, ce qui est loisible à toutes les trois ensemble? Ie respons que non, pour euiter aux partialitez qui s'en pourroyent sourdre: Ayans à ceste fin esté establis trois, que toutes choses se fissent auec bon ordre & sain iu­gement: & que le chemin soit couppé à la dissipation du peuple, qui autrement s'en pourroit bien ensuyure.

Qu'est-il donques besoin de faire quand vne [Page 90] partie du corps est si extremement greuee, qu'el­le ne peut plus supporter son mal? En tel cas il faudra diligemment considerer, qu'elle est la cau se de ses plainctes, & le but auquel elles ten­dent.

Car il y en peut auoir qui se plaindront de la ty­rannie, enuers lesquels toutefois on n'vse ra que de iuste & legitime commandement.

Estans certains de la bonté & iustice des com­plaignans, en se souuenant qu'il n'est pas permis à vne partie, soit en chasteau, ville ou prouince, ce qui est propre & appartenant au tout: apres que celle partie greuee aura admonnesté & auer­ty les autres ses compagnons de leur deuoir & charge: & qu'ils n'y voudront entendre: il luy se­ra permis & loisible par tout droit & raison diui­ne, humaine, politique & des gens: non de des­mettre le tyrā, iaçoit que par le droit il deust estre desmis: mais fort bien de se soustraire de sa suie­ction, & de se deffendre contre la tyrannie, & vio­lence de celuy, qui au lieu d'estre Pasteur & pere du peuple est le voleur & brigand.

Cela peut il faire en bonne conscience, & lais­ser perir cependant qui veut perir à son escient. N'estant aucunement raisonnable que pour la las cheté & nonchalance d'autruy mon droit, mon bien, mon honneur & ma vie, voire mon propre salut soit abandonné & perdu.

Par le droit Feudal, pour les mesmes causes que le vassal perd le fief, scauoir pour felonie, pour icelles mesmes le haut Seigneur le perd: pour ce que, comme dit la Loy, l'obligation d'entre [Page 91] eux deux est mutuelle & reciproque. Le sem­blable est d'entre vn Roy & ses suiets, qui luy sōt comme vassaux.

Chacun scait combien la puissance des Sei­gneurs, ou maistres enuers leurs serfs & esclaues est grande: toutesfois si le Seigneur ne prouuoit & subuient au serf en sa maladie, le serf sans autre manumission est declaré libre par la loy: laquel­le n'a esté ordōnee qu'à celle fin que ceux qui ont quelque authorité & puissance n'en vienēt point à abuser.

La condition des suiets ne doit pas estre pire que celle des serfs. Que si le serf est fait libre, quand son Seigneur abuse de son pouuoir, pour quoy ne sera-il le semblable des suiets?

Les Suisses, desquels nous parlions n'agueres se sont soustraits, comme les histoires en font foy de la suietion & obeìssance de la maison d'Austriche, à laquelle ils s'estoyent obligez sous certai­nes conditions: pource que la maison d'Austri­che ne les daignoit accomplir de sa part. Ainsi sont ils auiourd'huy libres, ayans secoué, non pas abbatu l'Empire de celle maison: laquelle cependant cognoissant sa grand faute à approuué leur substraction & reuendication de leur li­berté.

Quant à nos poures freres de la Rochelle, s'e­stans autres fois distraits de la suietion des An­glois, ils se sousmirent au Roy de France sous certaines conditions, que Froissard recite en son histoire.

[Page 92] Toutes les autres villes de la France pareille­ment sont soumises sous des conditions & auec speciaux priuileges, qu'on leur a iuré & promis. Puis que celuy a qui elles sont soumises, n'obser­ue ce qu'il a promis, & qu'il n'y a point de moyen d'auoir vn iuge, pourquoy ne leur sera-il loisible de se distraire de telle suiection? Et de se faire à vn besoin iustice à eux-mesmes de tant de concussions, extorsions, violences, paillardises, cruautez, trahisōs & autres telles infametez, desquelles les brigās & volleurs abusans du sacré nom du Roy, de Pieté & de iustice, commettent en leur en­droict.

Ioram fils de Iosaphat ayant succedé à son pe­re au royaume de Iuda, introduisit les dieux estrā ges & le seruice des Idoles parmi le peuple. Lo­bna ville sacerdotale en Iuda voyant cela, se reti­ra de luy pour ne plus estre sous la main de Iorā: pource, ce dit l'Escripture, qu'il auoit delaisse Dieu le Seigneur de ses peres. 2. Chron. 21.

Il n'y a nulle doute qu'entre nous les loix di­uines ne doiuent estre en plus grand poix & esti­me que les humaines.

Le Magistrat est estably pour estre en terreur aux meschans. Ceux-là sont plus meschans, qui violent les loix diuines, que ceux qui simplement contreuienent aux loix humaines. Or s'il est permis de se soustraire du magistrat violant la police humaine, à plus forte raison de celuy qui a violé toutes choses sainctes, voire l'humanité mes mes, qui a despouillé toutes affections naturelles, secoue entant qu'en luy est tout ioug et cognois­sance [Page 93] de la deité: & corrompu & dissipé en toutes sortes la Religion, laquelle est leprincipal lien de la societé humaine.

Item s'il faut fuyr la sedition en la police hu­maine, à plus forte raison la faut il fuyr en l'Egli­se de Dieu & assemblee Chrestiene: laquelle est liee & conioincte estroitement par le tressainct & sacré lieu du sainct Esprit. Cependant en la ty­rannie Ecclesiastique du Pape, qui a corrompu toute doctrine & violé tout ordre en l'Eglise, n'ay ant esté permis d'assembler vn Synode libre, qui eust esté comme les trois estats en la police, au­quel il eust fallu recourir, n'ayant, dis-ie, est [...] loi­sible de l'assembler, par ce qu'il eust esté besoin le demander aux mesmes tyrans, & par consequent approuuer la tyrannie Papale: cependant, dis-ie, il a esté permis à vne partie, pendant que la plus grand part sommeilloit en profondes tenebres, de se distraire d'icelle tyrannie, sans encourir en­tre les bons le nom de scismatique. Pourquoy e­stimerons-nous ceux-là seditieux qui se retirent de la suiection d'vn magistrat periure, perfide, cruel oppresseur de peuple, mangesuiet, de l'in­fameté duquel toute la terre est infectee?

L'hi.

Mon Dieu que ie suis aise de t'auoir ouy a­uancer & deduire tant de bonnes & belles rai­sons pour la iustification de nos freres. Elles ne font que trop suffisantes pour prouuer, qu'il a e­sté loisible à la Rochelle & autres villes & pro­uinces oppressees du reng desquelles on peut met tre toute la France, au quatre coins & au milieu, de l'obeissance & suiection du tyran: & pour le [Page 94] moins de se deffendre contre l'inuasion de ses sa­tellites, concussion de ses officiers, oppression de ses gabelliers, violences & infametez de sa cour▪ Et, pour le dire en vn mot, contre tout ce qui pro­cede de luy & de ses Iannissaires.

Et tant s'en faut qu'en se deffendant, ou reti­rant du tyran, on acquiere le nom de seditieux, qu'au contraire ceux-là sont tresmauuais conci­toyens, compatriotes, & mauuais voisins, qui ne s'adioignent à eux.

Le pol.

Cela est hors de difficulté, que ceux qui desirent la conseruation de la France, & sur tout de l'Eglise de Dieu, se doiuent ioindre à eux. Et asseure toy, que ceux qui par couardie, ou autre­ment laissent les secourir, orront vn iour & à bon droit prononcer la sentence contre eux, que De­bora donna contre la ville de Meros, pourtant qu'elle ne vint point à l'aide du Seigneur cōtrela bien roy de Chanaan. Iug. 5. 21. & 23.

Cependant le Seigneur ne laira point de fai­re son oeuure, pour paracheuer leur entiere deli­urance, comme il a commencé, ainsi que ie te di­ray. Mais ie te prie paracheue ce que tu as à dire, & te despeche, afin que i'aye aussi quelque peu de loisir de t'entretenir de ce qui s'est passe en mon voyage.

L'hi.

Ie le veux bien: que pleust à Dieu que les Sei gneurs des cantōs Papistes t'eussēt ouy discourir en plein Cōseil de la iustice de la cause de nos fre res, de la puissance des magistrats, & iusques où el le s'est end. Ie m'asseure que cela ioint auec les an tres occasions qu'ils ont de tenir pour suspectes [Page 95] les forces des tyrans, qui ne pardonnent iamais aux loix, aux confederations & ligues: ains plan­tent tousiours leurs limites là où le bout de leurs espees s'estend, les eust engardez de despeupler leurs terres, & de desgarnir leurs maisons deleurs gēs. Cela, dis [...]ie, eust esté suffisant, pour faire que le Conseil eus arresté tout court les plus ambi­tieux & auares, & les eust engardé d'emmener leurs combourgeois à la boucherie. Cependant cela est fait: il n'y a plus d'ordre, & ie m'asseure qu'ils ne feront pas grād mal aux nostres pour ce coup cy.

Le pol.

Ie t'en respons & te le iure: ils n'ont eu gar de d'approcher plus pres que de l'artillerie les murailles de la Rochelle, que si aucuns ont passe outre, ils ont esté tresbien frottez. Mais voila le mal qu'ils ont fait ils se sont faits battre & tuer, eux qui aiment leur liberté, pour nous vouloir ra uir la nostre: & ont tousiours en ce faisant vescu dessus Iaques bon homme. Puis rapporteront au retour l'argent & sueur du bon homme, apres qu'ils l'auront bien pillé. S'ils apprenoyent vne fois à cognoistre la grande difference qui est d'en tre vn tyran & la Couronne, qu'ils appellent, voi­re d'vn Roy à son Royaume: ie m'asseure qu'ils n'auroyēt garde d'outrager, d'offēser & perdre vn si grand & si puissant corps, comme est celuy de Frāce, à l'appetit d'vn seul tyran, & pour les pas­sions d'vne femme.

L'hi.

Certainement ie le croy. Mais, comme i'ay dit, c'en est fait pour ce coup cy: vne autresfois ils pourront estre possible quelque peu plus sages.

[Page 96] Quant aux Cantons de la Religion, ils n'ont garde d'y auoir enuoyé de leurs gens: plustost leur ont-ils deffendu sur peine de la vie d'y aller, & cō mādé de se tenir prests & armez, tāt ils ont craint és premiers iours apres le massacre, que quelque orage tombast dessus eux, & sur leur estat. Et ce­la a esté cause, auec la crainte aussi qu'ils auoyent de faire naistre vne guerre ciuile d'entre eux & les cantons Papistes, qui desia, comme ie t'ay dit, e­stoyent embarquez du costé du tyran, qu'ils n'ōt baillé aucun secours à nos freres: quoy qu'ils con fessassent ingenuement d'y estre tenus & obligez par la loy de Dieu & des hommes.

Bien est vray qu'ils ont monstré & tous leurs suiets aussi d'auoir vn extreme desplaisir & com­passion de nostre fait: m'asseurant en tesmoigna­ge de leur bonne volonté que tous les François Huguenots foruscis seront les tresbien venus & seurement cōseruez en leurs terres & qu'ils n'ou­blieront riē du deuoir de charité enuers eux: mais qu'ils ne pouuoyent du tout rien plus que cela pour maintenāt: desia auoyent-ils recueilly à Bas le & bien fort honorablement les petitsseigneurs de Chastillon, & de Laual, Mesdames d'Andelo [...] & de Teligny, la damoiselle de Laual, & plusieurs autres gentils hommes & peuple François, & aus si bon nombre de Ministres refugiez, qu'ils entre tienent çà & là à leurs despens dessus leurs ter­res.

Le pol.

Dieu soit loué, de ce que leur charité au moins se monstre en cela qu'ils recueillent libe­ralement ces ieunes Seigneurs & nos autres fre­res [Page 97] François: ils ne scauroyent mieux condamner toutes les actions du tyran, ses proscriptions & cruautez, qu'en vsant d'hospitalité enuers les po­ures oppressez qu'ils iustifient en les hebergeant.

L'hi.

Ie t'asseure l'amy, qu'ils le font fort volon­tiers. Le semblable aussi (ce que i'auois oublié à te dire) font les Seigneurs Protestansi & de mes­me la royne d'Angleterre par tout son Royau­me & pays, recommandant les estrangers autant qu'elle peut à se suiets.

Le pol.

Dieu leur vueille rendre, & à tous ceux qui vsent de telle charitē, le guerdon qu'il leur a promis au nom de son fils Iesus Crist nostre Sei­gneur.

L'hi.

Ainsi soit-il. Or ay-ie acheué de te dire tout ce peu que i'ay exploicté en mon voyage, excepté pour ne point mentir, quelques particularitez se­cretes, qu'on m'a chargé de faire entendre à ceux qui nous ont enuoy [...]. C'est maintenant à toy l'a­my, à m'entretenir à ton tour de ton voyage.

Le pol.

C'est bien raison. Sus donc, escoute.

Ainsi que i'approchois la France, par tout là où ie logeois i'oyois tant dire de nouuelles des volle [...]ies & inhumanitez qu'ō exerçoit ordinaire ment par les chemins, emmy les champs & par les villes, & ie tenois ce la pour si certain, qu'il me sembloit bien que i'allois à vne mort toute pre­sente ou bien à vn [...]second enfer: tellemēt que peu s'en fallut, tant mon infirmité fut grande, que ie ne rebrossasse mon chemin auec vn voeu de ia­mais ny rentrer. Et n'eust esté que nostre Dieu, que ie me prins lors à prier me fortifia & me fit [Page 98] passer outre sur toutes ces difficultez, i'eusse fuy auec Ionas, plustost que de faire ma charge. A la fin ie m'y hazarday: mais ie ne fu pas si tost en France, que dés la premiere iournee ie m'apper­ceu trop clairemēt que i'estois au vraymonde des miseres & dans vn royaume de bestes, ou biē plus tost de traistres & brigans. A la premiere hostelle rie où ie logeay, i'entēdy vn qui se plaignoit de la grande cherté de viures: l'autre disoit, les grosses tailles qu'on va redoublant tous les iours, ces grands imposts nous ruinent, nous mangent: & puis les inuentions nouuelles que ces bougres d'Italiens donnent au Roy pour arracher du peu ple tous les deniers de sa sueur, nous acheuent à bon escient de peindre: au diable soyent les A­theistes: ils vienent la plus part en France pour nous aider à escorcher, pour nous gabeller & nous tondre, & pour succer iusques au sang les poures gens. Les autres y vienent auec vne main de papier, ou auec vn liure de raisons, Dieu sait quel liure: ils dressent apres leur banque dans Paris, dedans Rouen, ou dedans Lyon: & lors qu'ils ont bourse garnie, ils font le saut, la Banque rou­te. C'est le vray moyen de gaigner, voire de pas­ser en credit les plus grands Princes de la France. Et qu'il soit vray qu'on le demande au Peron, [...]u comte de Rets. Tu te trompes, repliquoit l'au­tre, il est paruenu autrement que tu ne penses le bon homme: ne scay tu pas ce qu'on dit en pro­uerbe:

Pour bien seruir & loyal estre,
De Maquereau on deuient traistre:
[Page 99] Traistre, Maquereau & Ruffien
Ne peut faillir d'auoir du bien.

De par le gibet, c'est le moyen de paruenir. La Royne mere ayāt receu cestuy-là, dont tu parles, entre ses premiers estallons, la recognu estre vn digne instrument pour illustrer la grandeur de sa race, & la Maiesté de ses enfans, pour redresser les ruines de la France, & pour appuyer & soustenir ce poure Royaume, que ceux de Guyse auoyent tant esbranlé: qui, lequel donques? ce Landry, ce fils de putain du Peron: la male peste qui le cr [...] ­ue auec sa dame Brunehaut, repliquoit vn autre poure homme: ils ont fait eux deux plus de mal que ne firent iamais ensemble tous les Lor­rains & les Guisars: ce n'estoit lors que belles ro­ses au prix des ronces, dont ceux cy esgratinoy­ent le poure peuple. Et puis les Lorrains, les Gui­sars, ce sont des Princes appartenans en plusieurs sortes à la France: & possible aussi que la France leur pourroit bien appartenir.

Mais ces deux-cy ces Florentins, auec l'asne qu'ils ont choisi, ce meschant bougre de Chance lier: ces trois Italiens tant fameux, chacun sai [...] d'où ils sont ve nus: mais on n'entēd pas leurs me nees.

Ie ne scay pas s'on les entend, disoit vn autre, si scay-ie bien qu'on est biē ladre s'on ne les sent.

Ce sont ceux là qui nous ont remis auec le Gonsage, & Lansac, ainsi auant dedans les mise­res & calamitez, qui nous accableront tous en­semble.

[Page 100] Adioustez y le Roy luy-mesmes, & son frere le beau Monsieur: vous nescauriez dire, lequel de tous ceux là vaut mieux que l'autre. Que pleust à Dieu qu'ils fussent tous chastrez comme ils le me ritent. Le chastiment du Parricide, c'est de les iet ter à val l'eau dans vn sac de cuir, biē cousu auec vn serpent, ce me semble, vn coq & vn singe aus­si. O que cela conuiendroit bien à vn Charles l [...] parricide [...] à Catherine la couleuure, le coq seroit nostre Monsieur, & le Peron seroit le singe: ce se roit assez de ces quatre, les autres auroyent belle peur. On purgeroit tost le Royaume de garne­mens: ie m'asseure bien, disoit l'hoste, que s'ils s'en vont à la Rochelle, ils n'en reuiendront ia tous: ou il y aura de la iustice aussi peu au ciel qu'en la France. Toutefois ceux-cy n'ont garde d'aller auant dās la meslee, ils craignēt les coups, les tyrans. Mais il y font aller les autres pour en auoir leur passetemps. Hé que de braues gentils­hommes, que de seigneurs, que de soldats y vont mourir: c'est grand pitié: c'est grand dommage. Si l'estranger nous venoit sur les bras, A dieu la France, elle tomberoit aisement és mains du pre­mier assaillant, maintenant qu'elle est despour­ueue & qu'elle s'en vadespouillant iournellemēt de ses bras droits, de ses parreins, ses deffense [...]rs.

Voyla la plus part d [...]s deuis que i'entendois te nir à table, aupres du feu dans les logis. Et Dieu scait si ces harēgueurs en despitant à tous propos accompagnoyent leurs beaux discours de iure­mens & de blasphemes, ie n'eu oncques tāt de re gret, i'estois contraint leur laisser dire, ie n'osois [Page 101] point me descouurir ny faire semblāt de mōstrer quel des partis ie maintenois. Cependant i'allois poursuyuant mon chemin, n'ayant eu presque ia­mais faute d'vn entretien de mesme estoffe selon les gens que ie rencontrois: Dieu voulut qu'vn iour ie trouuay par les chemins deux gentils-hō ­mes de la Religion, qui s'estoyent depuis les massacre reuoltez de peur de la mort, bien montez & armez de mesmes qui s'en alloyent tout droit au camp assemblé deuant la Rochelle: non pas, ce disoyent-ils, afin de faire mal aux assiegez: que plustost ils mourroyent mille morts que le pen­ser: ains seulement pour empescher qu'on ne con fiscast tous leurs fiefs & qu'on les rendist rotu­riers, suyuāt le ban qui en estoit fait & publié par toute la France contre ceux qui refuseroyent de se trouuer en celle armee: & aussi pour plus seu­rement garantir, eux & leurs familles en mon­strant l'attestation de leur seruice.

Ces poures gens à demy morts de la fascherie qu'ils auoyent d'auoir offensé Dieu contre leur conscience portoyent vne incredibile regret des cruautez exercees sur nos freres, des trahisons, desloyautez & autres confusions qu'on voyoit emmy le Royaume. Et en souspirant maintefois monstroyent de porter vne enuie de recouurer leur liberté, comme qu'il fust, fust ce au prix de leur vie, si l'occasion si presentoit.

Ceux-là m'asseurerēt que Sancerre, où i'auois enuie d'aller tout premierement estoit de bien pres assiegee, & la Rochelle tout de mesmes, qu'il n'y auoit moyen d'y entrer ou de se glisser dans le [Page 102] parc des ouailles qu'en se meslant auec les loups, lors qu'il y a escarmouche dressee: mais que le dā ger y estoit grand de toutes parts. Oyant cela a­pres auoir pris langue d'eux sur ce qu'ils scauoy­ent de le l'estat de nos freres assiegez: entendant qu'ils estoyent assez blen garnis pour quelques temps & resolus d'eux tresbien deffendre, ieprins mon chemin tout droit vers nos freres du Dau­phiné, que ie trouuay ē plusieurs endroits de leur poure patrie espars sous diuers Capitaines, qui par montagnes & coustaux, qui par les champs, qui par les villes, par les villages & chasteaux.

Montbrun, Mirebel, l'Edyguier, & auec eux nō bre de gentilhommes estoyent ceux-là qui con­duisoyent nos poures freres ramassez, armez au moins mal qu'ils ont peu pour se conseruer tous ensemble contre l'effort des ennemis, lesquels ils battoyent bien souuent & estoyent battus à leur tour.

Apres que i'eu fait entēdre aux principaux des Chefs & du Conseil l'occasion de ma venue, & qu'ils m'eurēt ouy tout au long, ils remerciere [...] beaucoup de fois Dieu & l'Eglise qui m'auoit en uoyé, de la bonne souuenance & cōpassion qu'el­le auoit de leur estat, des bons auis & sainctes or­donnances, que Daniel leur auoit dressees: les recognurent fort necessaires à leur conseruation. Mais pour ce qu'il y pourroit auoir des difficul­tez sur quelques articles: & principalement, quād il seroit question de les mettre en pratique, pour le peu de cognoissance que les Frāçois ont d'vn e­stat libre, & bien conduit: ayans esté presque tou­siours [Page 103] nourris en seruage, & commandez à ba­guette comme lon dict, au plaisir de ceux que les Rois leur esleuoyent dessus la teste: Car tel e­stoit leur plaisir: Ils prioyent que ie ne trouuas­se pas estrange si eux (qui auoyent estroicte con­federation, & intelligence auec nos freres de Languedoc, Viuarez, & autres) me renuoyoient auec quelqu'vn d'entre eux au Conseil qu'on tiendra à Nismes, pour ordonner de leur estat & police.

Quant à eux, ils cognoissoyent facilement qu'ils auoyēt besoin parmi eux de ces deux nerfstant excellens pour tenir les vices en bride, & les soldats en leur deuoir: à scauoir de la discipline Ecclesiastique, & de la discipline militaire: ay­ans au reste tout ce qui rendoit les hommes har­dits, & vaillans: A scauoir est, la bonne cause, qui rend la conscience toute asseuree, d'où le bon coeur a accoustumé de sortit, & la necessité de se deffendre, qui rend les couards, courageux pour conseruer leurs biens, leurs vies, leur honneur, leur salut, & celuy de leurs familles, contre la ra­ge de ces traistres, qui les assaillent à credit, d'vn coeur animé à mal faire, alteré du sang innocent, qu'ils estoyent tous bien resolus de iamais plus ne s'y fiet: & de ne plus poser les armes, quelque paix qu'on leur sceust offrir, s'on ne leur bailloit de bons gages, bons ostages, & respondans.

Sur ces mots, de ne poser les armes, pource que le seigneur de Gordes, qui cōmande pour le tyran en Dauphiné, auoit rescrit à quelqu'vn des chefs de nos freres, des letres fort douces, luy [Page 104] promettant de la conseruer, & bien traitter, s'il vouloit mettre bas les armes, il y en eut en la cō ­pagnie qui releuerent ces mots (de ne plus les poser) leur sēblant bien qu'ils ne pourroyent moins faire, quand cela seroit commandé par le tyran, (ne voyans pas les bonnes gens, que ç'à esté tou­siours la ruse des ennemis, de les desarmer pre­mierement, pour les surprendre plus à l'aise sous le beau manteau de la paix.) L'opinion de [...]eux-cy fut cause que la resolutiō fut reuoquee en doute, & la question mise sur les rengs, à scauoir mon qui premier doit laisser les armes, nos ennemis, ou nous. La matiere fut debatue à plein fonds, pro, & contrà, iusques à ce qu'vn ieune homme, braue, & gaillard qui a l'entendement bien fait, nourry aux letres, & aux armes, & versé en matie­res d'estat, là resolut en ceste sorte, & presque sous ces mesmes mots.

Si on dispute par le droit, il n'y a celuy qui ne confesse qu'on ne peut iustement requerir quelcū qu'il cesse de parer, de mettre la main au deuant, & de se deffendre, que premier on n'ait cessé de tirer, de frapper, & d'offenser: car estant toute cho­se qui a vie, naturellement apprinse à la conser­uer, c'est consequ emment vn ordre du tout natu­rel, que qui cerche de l'oster, doit cesser, premier que celuy qui ne tasche qu'à la retenir: & ne se peut presumer qu'il en laisse la volonté, tant qu'il en retient les moyens tous desployez entre ses mains. Donc pour vuider ceste question, il faut voir qui est l'agresté, & qui l'agresseur, qui pour­suit, & qui sauue sa vie▪ qui tire les coups, & qui [Page 105] met le bouclier au deuant, & cela fait, elle est re­solue.

Chacun scait, que quelques mois auātces troubles derniers, les François de la religion monstre rent bien qu'ils se fioyent merueilleusemēt en la parole de celuy qu'ils cuidoyent estre bon Roy, quand ils remirent volontiers entre ses mains, long temps auant le terme, les villes qu'il leur a­uoit baillees pour s'y couurir cōtre les coups des ennemis publiques de la paix.

Ceste fiance, ne pouuoit estre sans grande a­mour: ne ceste amour, sans fort prompte obeis­sance. Ils estoyent tous paisibles, & auoyent tel­lement effacé de leur esprit toute souuenance de guerre, qu'à peine se souuenoyent-ils où estoyēt leurs armes.

Le 24. d'Aoust par le malheureux Conseil des perfides, proietté de plus longue main, sous l'ap­past de banquets & nopces, les principaux d'en­tre eux furent meurtris dans le palais Royal, & dans la capitalle ville du Royaume: ce massacre fut suyui presque par toutes les autres principa­les villes, contre la volonté du roy Charles neuf­iesme, (s'il faut croire à ses premieres letres de declaration) nonobstant que les officiers de sa Couronne: ses autres satellites, courtisans, & archers, & les gouuerneurs des prouinces (comme cha­cun scait) commençassent la tuerie: & que les parlemens, & sieges Royaux y tinssent la main: & que les maisons de ville fissent, ou aidassent l'execu­tion: tellement qu'en l'espace de quelques iours, tous ceux de la Religion qui se retrouuerent és [Page 106] villes furent miserablement mis à mort: encores toutesfois ne prismes-nous pas les armes: mais partie de nous se contenta de fuyr, partie de fer­mer la porte, par vn mouuemēt naturel, à la mort qui nous poursuyuoit.

Finalement quelques vns de nos freres, fon­dez sur lesdictes letres que le roy Charles auoit escrites, esquelles il declaroit, que ceux de Guyse auoyent commencé ces tueries à Paris, pour pre­uenir la vēgeance que l'Amiral reguary eust peu faire de sa blesseure, ou ses amis, pour l'indigna­tion qu'ils en receuoyent, & sur quelques autres declarations qu'il faisoit, que ces Massacres auoy ent esté faits contre sa volonté, & qu'il en feroit la punition, se resolurent de deffendre leurs por­tes, contre ceux qui auec grosses armees venoyēt pour leur couper la gorge dans leurs maisons: & apres infinies protestations, voyans les glaiues teints du sang de nos freres, apprestez contre le leur, cercherent les moyens de s'en parer, & s [...] couurir au moins mal qu'il leur fut possible. Dont il appert que nous auons prins les armes pour nous deffendre, & non pour offenser autruy, & que par consequent c'est à ceux qui poursuy­uent nostre mort, de mettre les armes bas les premiers.

La loy ciuile permet à l'esclaue, poursuyui pat son maistre courroucé, l'espee au poing, prest de la luy mettre au trauers du corps, de luy fermer laporte de sa chambre mesme, pour s'y sauuer: & s'il la veut forcer, de la barrer le mieuxqu'il peut: & s'il l'efforce plus outre, de se mettre cōtre luy, [Page 107] pour luy empescher l'entree.

Que si ce n'est point le maistre qui fait ceste violence: mais quelques gallands de maistres ser uiteurs, qui sous l'authorité du maistre le veulent tuer, il n'y a doute que la loy ne luy permette en­cores dauantage. Et si on luy dit, qu'il ouure har­diment, qu'on ne luy fera point de mal, & qu'il refuse de ce faire tāt qu'on a des armes à la main, il n'y aura aucun qui le condamne: d'autāt qu'en l'espouuantement où il est reduit, ne pouuant, s'il ouure, & qu'on le vueille tromper, auoir re­cours qu'à se ietter par les fenestres, il ne peut e­stre asseuré qu'on n'ait point de volonté de luy nuire, tant qu'il voit qu'on en retient les moyens en sa main.

Or les Rois, quand ils sont bons, sont appel­lez Peres du peuple, & par consequent ils doy­uent traiter leurs suiets comme enfans. Et la loy qui donnoit aux Maistres puissance de vie & de mort sur les esclaues, (qui depuis fut fort mode­ree par les Empereurs) n'eut oncques lieu sur les enfans. Dont appert qu'en ce cas, il est beau­coup plus permis aux enfans, qu'aux esclaues: & plus requis des Peres que des Maistres: estant chose toute asseuree que les suiets doyuent estre tenus en autre reng que d'esclaues.

Quel sera donc l'office d'vn Pere en cest en­droit, d'vn pere (dis-ie, s'ainsi le faut nōmer) que les enfans, de la bonté desquels il a si souuent a­busé, ne redoutent pas sans grāde occasion, voy­ans leurs freres tout freschement morts deuant leurs yeux? Sera-ce seulement de leur monstrer [Page 108] bon visage? de leur parler doucement d'vne paix? de leur monstrer la main? Main quand ils la voy­ent armee d'vn glaiue tout sanglant: quand ils le voyent enuironné de ceux qui les ont tuez, & de leurs plus grands ennemis: mais quand ils scauēt que luy-mesme a commandé tout ce forfait: a a­uoué tous les massacres, & proietté les trahisons, Est-il possible qu'il le puissent reputer aucune­ment Pere? Et quand bien ils seroyent si fols, pourrōt-ils bien hausser leurs yeux, pour luy contempler le visage, ou prendre garde à ce qu'il dit? Que fera donc vn Pseudo-pere pour oster ceux de desespoir qu'il deust traiter ainsi qu'enfans, & pour les garder s'il poursuit de se precipiter tout outre? Il iettera pour le moins son espee, il lais­sera toutes ses armes bas. Il fera retirer ceux des­quels ils se mesfient, Il cassera ses satellites. Il chastiera tous ses bourreaux, condamnera tous ses forfaits. Lors s'approchant de ses enfans, les consolera de parole: les deschargera de toute crain­te, & leur tendra la main plus douce: alors il ne faut parauanture point douter, qu'ils ne s'atten­drissent, qu'ils ne fondent en larmes, & ne se iet­tent comme à ses pieds s'ils sont vne fois asseu­rez que ces Façons luy procedent du coeur.

Que si l'on dit qu'il y va de la reputation d'vn Roy de faire le semblable, ie dy donc qu'il n'est pas honorable à ce Roy-là de porter titre de Pe­re de son peuple, veu que les titres se donnent pour l'effect, & c'est effet conuient à ce nom-là.

Entre deux combatans en vn duel, il y a de l'hō neur à qui fair quitter les armes à sa partie. Entre [Page 109] deux Princes, à qui contraindra son ennemy vain cu, desnué de ses armes, hors de tout espoir, de requerir la paix. Car on combat à qui sera le plus fort, & le plus puissant: mais quand entre le Pe­re & les enfans pour la meschanceté du pere on en vient là, l'honneur du pete est acheué de per­dre, s'il s'essaye de les vouloir forcer, de leur faire rendre les armes le pied sur la gorge, de les me­ner en triomphe liez au derriere de son chariot. Ce luy est (dis-ie) vn trop lourd deshōneur de le faire: c'est se rendre ignominieux soy-mesme, & pourchasser sa honte à ses despens.

Son honneur est de se monstrer benin & doux, enclin à pitié, recercher tous moyens de les regagner, & les retirer du desespoir où il les a mis. Et le Prince qui ne suit ceste voye, sous vn faux pre­texte de conseruer sa reputation, la pert en ce point, & acquiert celle d'vn tyrā inhumain. Pour ce aussi qu'on pense que ses suiets vienent en cō ­petence auec luy, & qu'il veut monstrer qu'il est plus fort qu'eux: comme ainsi soit qu'il deut mō ­strer (s'il luy estoit possible) qu'il est meilleur Prince, qu'ils ne sont suiets: & plus benin & cle­ment, qu'ils ne sont obeissans.

Les bons Princes, sont estimez estre l'image de Dieu en terre. Dieu auquel les hommes sont plus tenus qu'aux Roys & Princes, veut auoir cest honneur de nous aimer premier que nous luy: & ne le pouuons aimer, que premier il ne nous aye aimez. Il ne se courrouce iamais iniustement, cō ­me les hōmes à toutes heures: & toutefois il cesse plustost de nous hair, que nous luy: & despouil­le [Page 110] plustost ses armes, que nous nostre rebellion.

L'amour est vne vertu nō petite, & naturelle­ment veut commencer du plus parfaict, du vray Prince, vers ses suiets: du vray pere, vers ses en­fans, descendant, plustost que montant: & lors par vne certaine reflexion les enfans commencēt à aimer le Pere: les suiets, le Prince.

Et cōme c'est aux peres de cōmencer, aussi est­ce à eux-mesmes de recōmencer, s'il s'interrōpt & s'ils vienent à desfiance, de cercher les moyēs de les asseurer.

Brief, qu'on considere le droit, ou l'honneur, il est tousiours requis à vn Roy, de quitter les ar­mes premier, que ses suiets: à plus forte raison l'est-il requis, ô compagnons, à vn tyran, traistre, & perfide, duquel le mieux traité de ses suiets re­çoit ce mal de luy estre serf, & esclaue, cō [...]re tout droit & deuoir.

Ce ieune homme sembla si vieux, si prudent & sage en son discours, qu'il n'y eut homme en la compagnie qui ne courust de pieds & mains, tout soudain apres son auis: ainsi fut la premiere reso­lution d'entre eux prise de ne plus se desarmer, pendant que le tyran & ses satellites seroyent ar­mez, comme de nouueau confirmee par les voix & suffrages de tous les assistans: ausquels suyāt les raisons de ce vieux ieune homme sembla bon d'ainsi le faire: tant pour conseruer la reputation du roy Charles neufieme, auquel, comme à bon pere de famille (car ainsi ausi s'appelle-il soy­mesme) touche de se desarmer le premier: Que (& plus veritablement) pour garder auec leurs [Page 111] vies, ce qu'ils doyuent auoir de plus cher en ce monde. Surquoy ils se ramenteuoyent l'vn à l'autre ce que Nancé capitaine des gardes du tyran, fit par son commandement en la iournee de la trahison, aux gentilshommes couchez en l'an­ [...]ichambre du Roy de Nauarre: lesquels, comme tu scay, il fit tuer, le tyran les regardant d'vne fe­nestre, à la porte du Louure, apres les auoir tous desarmez de leurs espees, & dagues, & plusieurs autres exemples des anciens, & modernes tyrans qui en ont vsé tout de mesmes.

Et sur tout ils se resouuenoyent, comme d'auer­tissemens tresnotables, de ce Bordereau de me­moires qui fut enuoyé, comme tu scay au defunct Amiral, vn peu auant lés nopces tragiques de la soeur du tyran: lequel bordereau, tous eux disoy­ent vouloir apprendre par coeur, pour ne l'ou­blier à iamais: ayant comme ils disoyent le mes­pris d'iceluy esté cause de la ruine & des miseres que nous souffrons tous auiourd'huy.

L'hi.

Voila de bonnes gens, & bien resolus. Dieu les vueille fortifier, & maintenant en leur sainct propos. Il vaut mi [...]ux estre sage tard, que de ne l'estre iamais: & ne le pouuant estre aux despens d'au [...]ruy: il vaut mieux l'estre à ses despens: voi­re, aux despens de ses freres: (quoy que le prix soit par trop cher) que de ne l'estre point du tout, ny à quelque prix que ce soit: se souuenant qu'ils ont affaire à des ennemis, qui se sont tousiours plus­tost seruis de nostre simplicité, pour nous nuire, que des moyens qu'ils eussent.

[Page 112] L'italien nous enseigne vne tresbonne leçon en son meschant petit prouerbe. Non viti fida­re (dit-il) & non sarai ingannato. C'est à dire ne t'y fie point, & tu n'y sera pas trompé. S'il fut ia­mais temps de faire son profit de la ruse, & mali­ce Italienne, il est maintenant. Et s'il y eut iamais gens contre lesquels il ayt esté de besoin d'em­ployer & le bec, & les ongles, de se seruir de tou­tes peaux, d'eslancer toute sorte de chiens & de le uriers, voire bien de dogues, François, & Anglois il ne m'en chaut: c'est maintenant qu'il le faut fai­re contre ces furieuses, & enragees bestes Medi­ci Valoyses: maintenant. dis ie, qu'il ny any loy, ny foy qui de ces gens retiene la malice. Mais le te prie poursuy.

Le pol.

Apres ceste resolution, deux de la troupe furent ordonnez pour venir auec moy en Lan­guedoc: afin de faire entendre aux nostres, la conclusion de ceux du Dauphiné, & d'en rapporter du Conseil general ce qu'il trouueroit bon de faire pour la conseruation d'eux tous. Estans arri­uez à Nismes, (où le Conseil de plusieurs prouin ces villes, villages & chasteaux faisans professiō de la Religion, fut assemblé) luy ayant fait enten­dre le conrenu de ma charge & ceux du Dauphi­né leur legation: apres qu'ils eurent monstré cō ­bien ils estoyēt ayses de nostre venue: qu'ils nous eurent remercié du bon office que nous faisions: & de la peine que nous prenions pour le corps de l'Eglise Françoise, ils me respondirent, que desia deuant ma venue le Conseil estoit suffisamment auerty de l'arrest, auis & ordonnances que Da­niel [Page 113] auoit donné en nos affaires par vn petit dia­logue qui a couru imprimé, contenant vn deuis passé d'ētre l'Eglise, Alithie, & nous autres: qu'ils estoyent bien aises de l'auoir veu, & d'estre auer­tis par le menu des actions de nos ennemis: qu'ils voudroyent bien que les tyrans eussent aussi veu ce Dialogue: afin que cognoissans en telle pein­ture muette leurs vilanies, ordures, trahisons, & cruautez, que le peinture viue du sang innocent, qui crie vengeance, va tous les iours ramenteuāt, deuant le iugement de Dieu, & l'humanité des hommes, ils apprinsent comme Iudas, estans con uaincus en eux-mesmes de l'auoir fort bien meri té, d'espargner la peine au bourreau, s'estranglās tous à la bonne heure. Que puis que ces perfides n'ont pas eu honte de commettre telle in fame­tez, qu'on ne doit point craīdre de les publier par tout l'vniuers: & cōme ils ont noircy leurs ames de crimes si execrables, qu'on ne doit point faire difficulté de noicir leurs renommees par la le­gēde de leurs vies: & quant au reste, il y a certains Catholiques, & autres François, qui ayans hor­reur de la confusion que ces mastins Florentins, leurs enfans & supposts ont introduit en France: vont ramassant au vray en tous lieux & places le surplus de leurs faits & gestes qu'ils mettront en lumiere au premier iour, auec la legende secrete des honnestetez de la cour, & feront aussi toucher au doigt à toute la Noblesse & peuple François endormy d'vn trop profond somne les indigni­tez, extorsions & pilleries insupportables que le tyran & ses satellites, hors de la Religion (de la­quelle [Page 114] ils n'ont cure) seulement en ce qui touche la police, estat & gouuernement du Royaume, e­xercent iournellement sur les biens, vie & hon­neur des poures François. S'asseurans que ce se­ra vn bon moyē pour faire qu'il s'en trouue quel ques vns d'entre vn si grand & comme infini nombre d'esclaues & forçats, qui seront contraints de honte, ou de regret plustost au prix de leurs vies de recouurer leur liberté auec celle de leurpatrie.

L'hist.

Telles gens meriter ont bien, si Dieu veut qu'aucuns il s'en trouue, qu'on leur dresse des statues, ainsi qu'à des liberateurs & peres de toute la France. Et ne doute pas si cela auient (comme il est tresnecessaire) que tout le Royaume ne repo­se, quiconque soit que l'on eslise pour s'asseoir authrone vacant. Iamais le fils de ce iuge inique, que Cambyses fit escorcher pour orner le siege iudicial de sa peau à cause des torts & iniustices qu'il faisoit au peuple de Perse, ne fut plus hom­me de bien estant assis sur la peau de son pere, que seroit celuy qui succederoit au tyran, quand bien seroit vn de ses freres: considerant la mal­heureuse fin où la tyrannie conduit ceux qui l'e­xercent. Mais ie te prie comme s'est fait cela, que l'on ait imprimé nos deuis que nous eusmes auec Alithie? Et qui est ce qui les peut auoir redige [...] si tost par escrit?

Le pol.

Ie ne te le scaurois dire, si d'auenture ce n'est Eusebe Philadelphe qui fut present à nos di scours. Mais tanty a qu'ils sont imprimez, enco­res m'a on fait entendre qu'vn Catholique en a esté Imprimeur: & qu'ils en a vendu luy mesmes à [Page 115] beaucoup de ses cōpagnons auec vn certain autre liure qu'on nōme des fureurs Frāçoises, qu'vn Allemā fit en Latin tost apres les iours du massacre.

L'hi.

Nous sommes tous tenus à ceux qui s'essay­ent de nous remettre le coeur au ventre, comme on dit. Dieu vueille que tout cela serue à resueil­ler les sept dormans.

Le pol.

On m'a dit qu'il a ia serui & seruira enco­re d'auantage, n'en doute pas. Les fers sont biē fort eschauffez. Mais, pour reuenir à mon dire, le Conseil de Nismes me fit aussi entendre en ce que touche les quarante articles de la police de Daniel (car autāty en a-il de marquez en ce Dia­logue imprimé) qu'ils les trouuoyent fort bons, saincts & dignes d'estre obseruez & gardez en ce principalemēt, qui touche la discipline Ecclesiasti­que & la discipline militaire qu'ils confessoyent estre la bride, l'esperon, lespee & le bouclier l'v­ne de l'autre: & toutes deux ensemble la targe, la garde & le soustien de nous tous: ils trouuoyent aussi fort necessaire le dernier d'iceux articles, suyuant lequel nos freres du Dauphiné se sont re solus de ne iamais plus se desarmer, qu'ils auoyēt arresté de faire aussi le semblable, iusques à ce qu'ils voyent la tyrannie bas & court bridee par nos ancienes loix de la France auec des bons & bien asseurez gages, gardiens de la liberté ciuile des François. Et cependant ils auoyent euuie de dresser & entretenir apres tant de malheurs, qui leur sont auenus par leur sotte crudelité, vn estat asseuré, qui approchast tant que faire se pourroit de celuy qui estoit iadis en leurs prouinces.

[Page 116] Pour ce faire ils auoyent donné charge à sept des plus auisez obseruateurs de l'antiquite de re­cueillir de tous les bons liures qui traitent l'hi­stoire & estat ancien des François & Gaulois, l'or dre, police & forme de gouuernement qui estoit parmi eux, auant que la tyrannie fust en regne: & particulierement celuy de leur patrie du temps que la religion en fust chassee, pour ramener le tout à leurs principes.

L'hi.

C'est tresbien fait: pleust à Dieu que i'y fus­se pour leur en dire ce que i'en scay. Le docte Pasquier en son liure des recerches de la France, releuera grandement de peine ces sept deputez. Et le grand Hotoman en sa Francogaule, qu'il a mis de nouueau en lumiere les en iettera hors du tout tant il cotte dextrement les passages qui peu uent seruir en ce fait.

Ce seroit vne belle chose, si l'on pouuoit (en retenant l'anciene religion) que les Albigeois du temps du comte Raymond: les poures de Lyon, ceux de la vallee de Pragela, ceux de Cabrieres & Merindol ont tenu & que nous tenons auiour­d'huy plus dépuree Dieu mercy) ramener cest e­stat present tout confit & rouillé en vices au mo­delle de ce temps-là. C'est vn auis que tu scay biē estré le souuerain remede à vn estat du tout pour ry & prest à cheoir comme est celuy de France.

Le pol.

Cela est certain: & s'appelle radresser, non pas renuerser l'estat, le ramener à son principe. Et pour certain ces bonnes gens, pour la part qui les touche, sont sur le point d'en venir là.

L'hi.

O le beau troit que ce seroit! pourueu qu'il [Page 117] fust suyui des autres pays de la France. Ce seroit vne belle pierre philosophale, pour enrichir les poures gens qui sont rongez iusques aux os par les enfans de Catherine. Au moins seroyent-ils deschargez des imposts & tailles nouuelles.

Le pol.

Tu dis vray. Quant au surplus de la poli­ce & l'ordre de Daniel, le Conseil a esté aussi d'auis de le pratiquer en substance, retenant tou­iours toutefois les noms des charges & estats ac­coustumez en leurs prouinces. Vray est qu'ils co­gnoissent, qu'il y aura grande difficulté aux Ele­ctions és premieres charges, pource, que le peu­ple n'est pas accoustumé d'aller, comme l'ancien Romain querir leur Dictateur, leur maieur ou gouuerneur à la charrue apres les boeufs. Et leurs gouuerneurs n'ont iamais accoustumé, comme vn Quintius Cincinnatus, de retourner à la char rue apres que la guerre est passee ou que leur char ge est expiree.

Ains au contraire vn Caporal veut estre quād & quand sergeant, le Sergeāt veut estre enseigne, l'Enseigne lieutenant, le Lieutenant Capitaine. Et ainsi tousiours en auant sans s'abbaisser ny se desmettre, en danger de monter trop haut.

L'hi.

Voila qui va mal. Les Romains quoy qu'ils fussent autrement ambitieux & cupides d'hōneur & gloire auoyent en telle recommādation le biē & honneur de leur Republique, qu'ils quittoy­ent volontiers du leur pour le salut de leur pa­trie. En cest endroit principalement ils auoyent cela de bon qu'ils ne re fusoyent point d'aller cō ­me personnes priuees en vne armee, à laquelle [Page 118] l'annee au parauant ils auoyent commandé en chef.

Quintus Fabius ayant esté Cōsul marcha gay­ement sous son frere Marcus Fabius. Et Man­lius Consul en vne armee contre les Toscans, ne refusa de se trouuer en la bataille commandé de ceux qui luy auoyent obey. C'est vn ordinai­re à Rome que celuy ne desdaignoit pas d'acce­pter la petite charge qui auoit exercé la plus grande.

Et combien que cela ne semblast pas honora­ble pour le priué, si estoit-il bien fort vtile pour le public: car à la verité dire vne Republique se doit beaucoup plus asseurer & esperer d'auātage és deportemens d'vn citoyen qui d'vn grand de­gré descend volontiers au bas ou mediocre, que non pas de celuy qui ne tasche qu'à monter & à deuenir grand. A vn tel on ne se peut guere bien raisonnablement fier s'on ne l'accompagne tou­siours de gens de tel respect, de telle vertu & reputation qui peussent par vn graue & prudent Con­seil & par leur authorité moderer le desir de nou­uelieté & de temuement qui se pouroit facile­ment loger dedans le coeur & cerueau d'vn tel homme.

Le pol.

Il est ainsi. Et aussi nos freres esperent que la Noblesse fille naturelle & legitime de la vertu & prudence, qui a sa vraye source de la crainte de Dieu, se lairra tellement conduire au desir qu'el­le a de voir le regne de Dieu auancé, & l'Eglise conseruee, qu'elle fera fort aisement tout ce qui pourra appartenir au bien d'vn si precieux serui­ce [Page 119] & à la liberté de son estat & de sa patrie, pre­posant cousiours le public à son particulier pro­fit.

Que le peuple aussi respectera de tant les No­bles qui logeront ceste vertu, mere-nourrice de Noblesse, qu'il n'y a rien qu'ils ne facēt pour leur obeir en ce qui sera de leur charge, & pour les honorer en priué autant qu'ils peuuent desirer d'eux. Et qu'au reste tous ces deux Estats se sou­uiendront auec celuy de la Iustice de ce que Va­lerius Coruinus qui fust fait Consul dedans Ro­me le vingt roisieme an de son aage dit pour lors à ses soldats: que le Consulat estoit le guerdon & le prix de la vertu & non du sang. Et aussi tous ensemble par vne bonne intelligence s'en iront cercher la vertu & la suffisance, là où elle sera lo­gee, sans respect de l'aage ou du sang, pour l'esle­uer en tel degré qu'ils cognoistront estre propice pour leur commun bien & salut.

L'hi.

Si cela est bien pratiqué ce sera vne belle chose. Aussi si cela ne s'y trouue, i'espere bien peu de leur fair.

Le pol.

Ne doute pas qu'il ne se face, i'en ay bon gage, Dieu mercy, il feroit bon voir que ceux-là qui professent vn Iesus Christ, fissent conte de leur honneur au detriment de son Eglise, & à la perte du troupeau: ou que l'ambition malheu­reuse regnast, ou l'esprit de Dieu doit auoir sou­uerain Empire.

L'hist.

Ia n'auienne, ce seroit assez pour tout rui­ner. Car ceste ambition a tousiours ruiné les Re­publiques.

Le pol.
[Page 120]

Ne crain pas, tout ira bien, Dieu aidant. Au surplus touchant les autres principaux arti­cles de la police de Daniel, comme i'ay dit, ils sont resolus de les pratiquer en substance, singu­lierement le 17 où il est parlé d'eslire au Maieur general, ou gouuerneur cinq ou sixlieutenans, nō pour commander tous à vn coup, ains vn apres la mort ou desmise de l'autre, la mort dis-ie, qui en peut auenir ordinairement ou extraordinairemēt par l'aguet ou poison de l'ennemy, pource que ce bon nombre de lieutenāts conseruera le Chef & les membres en plus grande seureté: le Chef, pourautant que l'ennemy dira, pourquoy le fe­rons nous tuer? Ily a des lieutenans qui feront possible mieux que luy. Les membres, pour ce que le Chef mourant ils ne seront pourtant des­prouueus de chef, comme il nous est auenu en ce dernier massacre du mois d'Aoust, à nostre tres­grand regret & ruine.

Le Conseil trouua aussi fort bons les 22 23 & 24 articles de Daniel. Le 22 leur sembla tresne­cessaire pour deux raisons: l'vne pour empescher que aucun des chefs ou quelque autre citoyen, n'attente ny entreprenne rien sur & au preiudice de leur commun estat & liberté ciuile: l'autre, pource que cela auenant, ou estāt faussement cui­dé & creu par le peuple & imposé à quelcun des grands, le peuple aura dequoy s'en resoudre en proposant l'accusation, & poursuyuant l'accusé si besoin est, pour le rendre conuaincu, le faire cond amner & punir selon que le merite le re­querra.

L'hi.
[Page 121]

Cela va bien. Car autrement il pourroit a­uenir tout plein d'inconueniens, s'il n'esoit loisi­ble d'accuser les plus grands. Et s'il n'y auoit or­dre suffisant estably pour les chastier, Quelque'vn pourroit comploter auec l'ennemy: le peuple ia­loux de sa liberté ne pourroit que mal volontiers souffrir ses desportemens, on luy dresseroit des parties. Celuy-là se voudroit preualoir de ses a­mis, on viendroit de là aux factions & partialitez & moyens extraordinaires, qui sont la ruine des estats libres. Ou s'il estoit loisible de calomnier & faire courre de faux bruits par cy par là contre vn chacun: cōme il est auenu maintesfois qu'on a mis à sus aux plus gens de bien qu'ils auoyent desrobé le thresor publique, à d'autres qu'ils pou uoyent bien prendre vne telle ville s'ils eussent voulu, & à d'autres qu'ils ont vendu plustost que rendu par force vn tel chasteau, & plusieurs au­tres telles calomnies.

Si, dis-ie, il estoit impunément permis de ca­lomnier, il n'y auroit homme de bien, qui ne fust desgouté de sa charge, l'ennemy se pourroit pre­naloir de telles fautes, & en somme tout iroit en cōfusion. Comme il cuida auenir à Rome, apres que Furius Camillus l'eut deliuree des mains des François.

Il sembloit bien que tous les citoyēs Romains sans faire tort à leur reputation deuoyent ceder à la vertu de ce grand Camillus, comme de leur liberateur, & à la verité aussi chacun luy defferoit volontiers le premier reng. Le seul Manlius Ca­pitolinus ne pouuoit supporter de le voir en tel [Page 122] le reputation & credit, esmeu d'vne meschante e­mulation & ialousie, & d'vne bonne opinion de soy-mesme: luy semblant bien d'auoir pour le moins merité en sauuant le Capitole des mains des François, autant que meritoit Camillus en les dechassant du tout. Cela fut cause que tout ou tré d'enuie ne se pouuant contenir pour la gloire & tenom de Camillus, il alla semāt parmi le peu ple plusieurs faux bruits encontre luy, & contre les Senateurs Romains, pour les mettre en mau­uaise opinion enuers le peuple. Entre autres cho ses il disoit que le thresor qu'on auoit assemblé pour bailler aux François & racheter le Capito­le, auoit esté vsurpé par quelques vns des grands: que si on le pouuoit rauoir on le pourroit conuer tir au profit publique, soulageāt d'autant le peu­ple des tributs ordinaires, ou en acquittant quel­que autre debte. Ces faux bruits, ceste calomnie sembla de telle importance & de si dangereuse consequēce au Senat, qui voyoit desia comme le peuple commençoit à tumultuer, qu'il fut con­traint, pour remedier à la desunion & desordre qui s'en pouuoit ensuyure, de recourir au moyen extraordinaire, qui estoit accoustumé parmi eux és extremes dangers: scauoir de creer vn Dicta­teur dedans Rome pour conoistre de ce fait.

Le Dictateur creé, il fait appeller Manlius de­uant luy, & estant le Dictateur conduit au milieu des Senateurs, & Manlius au milieu du peuple en vne place publique. Là, Manlius fut interrogué de ce qu'il scauoit du thresor publique, & luy fut eōmandé de dire entre mains de qui il le cuidoit [Page 123] estre, que les Senateurs auoyent aussi bonne en­uie de le scauoir comme le peuple. Mais pour ce que Manlius n'en respondoit point pertinēment, ains en tergiuersant disoit qu'il n'estoit ia besoin de leur dire ce que eux-mesmes scauoyent trop mieux, il fut mis en prison par l'authorité du Di­ctateur, qui de calomniateur fit deuenir par ce moyen Manlius accusateur. Et estant par apres sa fausseté & enuie cognue fut chastié, comme il le meritoit.

Par là & par autres exemples auenus en beau­coup de Republiques mal ordonnees l'on peut voir aisément, combien de maux peuuent auenit en vn estat grand ou petit au detriment de la li­berté ciuile: si cest ordre & liberté de pouuoir ac­cuser quiconque soit d'entre les grans ny est estably. Nostre Frāce depuis que l'ordre des trois e­stats a esté supprimé, que les offices de Iudicatu­re de Conseillers & Presidens, &, pour le dire en vn mot, depuis que la police & la iustice a esté e­stouffee & corrompue, vendue en gros & en me­nu en a produit d'exemples lamentables.

Il ne faut que se remettre en memoire les ca­lamitez auenues pour le massacre fait à Vassy par le duc de Guyse: & celles qui ont ensuyui la con­iuration du Triumuirat, contre lequel nul n'o­soit mot sonner, quoy que l'on sceust ses entre­prises.

Ausquelles on n'osa s'opposer qu'auec vne biē forte armee, laquelle suyuie de plusieurs guerres ciuiles a fait tomber la poure France de la fieure en vn chaut mal, comme l'on dit.

Le pol.
[Page 124]

Cela n'est que trop veritable: Or ces rai­sons & exēples auec quelques autres semblables, qui furent amenez, ont esté cause que nos freres de Nismes se sont resolus, comme ie t'ay dit, d'e­stablir cest ordre parmi eux. Sachans l'auantage qui leur en peut reuenir, & le bien que la creatiō des Tribuns du peuple (qui estoyent les gardiēs de la liberté ciuile & qui pouuoyent à vn besoin former les proces aux plus grands) a apporté à l'anciene Rome du temps d'vn Martius Coriola­nus & autres semblables esprits qui estoyent reto nus en crainte par l'authorité d'vn tel magistrat.

Quant au 23. article, ce qui le leur a fait approu uer a esté la souuenāce qu'ilsont des desbauches & licence à mal faire que la pratique contraire a cause par cy deuant en leurs armees, & en leurs villes & retraites. Si d'auenture il aduenoit qu'vn gentilhomme, vn capitaine ou soldat qui eust fait quelque force, larcin, meurtre, ou autre telle veil laquerie fust condamné à mourir, a estre harque­bouzé, ou à passer par les piques. Si cestuy-là mes mes auoit fait quelque bon seruice au parauant, il n'y auoit pas faute de quelques fauoriz des grās qui venoyēt soudain aux requestes interceder en uer le chef pour la vie du condāné, qu'ils disoyēt estre bon soldat, ou quelque braue gētilhomme, qu'il estoit biē à cheual, qu'il tiroit bien l'arque­bousade, que c'estoit grand dommage de le faire mourir, & autres semblables remonstrances, voi­re bien souuent remonstrāces de ce qu'il n'auoit iamais fait, par cest artifice ils importunoyent tel lement le chef qu'ils se faisoyent dōner le crimi­nel, [Page 125] & faisoyent aller en fumee tout iugement & condemnation. Dont il aduenoit que le conda­mné au lieu de s'amender alloit multipliant ses fautes, cuidant que tout luy fust permis sous cou­leur qu'on le pensoit estre braue, gaillard & bien adroit soldat.

L'hi.

Cela est bien fort dangereux: il n'y a celuy qui ne condamne le fait des Romains en sembla ble cas, quand pour les merites d'Horace, qui par sa vaillance auoit vaincu les Curiaces, & rendu par ce moyen-là Rome maistresse des Albains, ils luy remirent la fratricide qu'il auoit commis enuers sa soeur, laquelle il meurtrit au retour de sa victoire, pour le regret qu'elle portoit d'y auoir perdu son mary. Au lieu qu'Horace deuoit estre chastié par supplice de mort, cōme il le meritoit tresbien.

Il vaut beaucoup mieux pratiquer ce que les Romains plus auisez firēt par apres enuers leurs citoyens & soldats en remunerant les bienfaits & bons seruices de quelque hōneste petit guerdon selon la portee de la republique & dispensation du temps: & en chastiant rudement les vices & les laschetez, cōme ils firent enuers Manlius Ca­pitolinus. Auquel pour auoir sauué le Capitole, comme ie te disois n'agueres, ils donnerent vne petite mesure de farine (present assez conuenable pour ce temps-là) en recognoissance de sa vertu, & ne laisserent pas pourtant de le condamner & ietter apres du haut en bas du mesme Capitole qu'il auoit peu deuant gardé, à cause de la seditiō qu'il auoit cuidé faire naistre dedans Rome par [Page 126] son enui [...] & meschante nature.

Le pol.

Il vaut beaucoup mieux, vrayement ausi nos gens en sont bien là logez.

Quant aux 22 & 24 articles, nos freres cognois sans de quelle importance ils sont, n'ont garde de faillir à les obseruer, ains en sont du tout resolus. Ils scauent qu'aux guerrespassees ceux des enne­mis ausquels ils donnoyentla vie, ceux qu'ils pre noyent à mercy les laissant aller bagues sauues, comme il est aduenu souuent, le lendemain ou l'autre apres, au lieu de leur sauoir bon gré de la vie qu'on leur laissoit venoyent pour rauir la leur se monstrans plus cruels & rudes qu'ils n'auoyēt esté parauant. Ainsi donc que les brigands s'as­seurent de n'en auoir pas bon marché, si Dieu les baille entre les mains de quelcun de nos gallans hommes, ils sont resolus, ne te chaille.

L'hist.

Voire mais. Les ennemis en pourront faire autant aux nostres.

Le pol.

Tu dis vray s'ils leur tombent entre les mains. Mais aussi que penserois-tu, que tost ou [...]ard ils veulēr faire si nous leur venons entre les mains, quoy qu'ils nous promissent la vie, si ce n'est de ruer, empoisonner, faire mourir ou nous forcer, que ie repute beaucoup pire?

Or ceste resolution de nos freres de ne prēdre à mercy aucun des ennemis seditieux & armez, fe ra trembler nos ennemis, qui nous assaillent & of fensent contre leur cōscience & contre tout droit d'humanité pour complaire au desir du tyran, fe­ra, dis ie, reboucher leur fer à la premiere goutte de sang qu'ils sentiront couler de leurs corps eux [Page 127] qui combattent de gayeté ou plustost de malice de coeur sans y estre contraints, & fera qu'à la fin personne ne voudra venir à la guerre, ou porter armes contre nous quelque commandemēt que le tyran leur en face, nous voyans ainsi resolus. Desia y en a-il beaucoup qui se tienent bien loin des coups & tirent leur espingle arriere, aimans mieux estre reputez couars & recreus, que fols & meschans tout ensemble, en se faisans battre à cre dit. Surquoy ie te veux dire vn trait, qui passe en­cores bien plus outre, du ieune Candole, que tu cognoissois beau-frere de ceux de Montmoren­cy. Estant en l'armee que le mareschal Danuille auoit assemblé deuāt Sommieres que les nostres tenoyent, & qu'ils ont rendu à la fin, sous honne­ste composition, que Danuille a gardee aux no­stres, dont le tyran ne luy scait point de gré. Estāt dis-ie là au camp ce ieune seigneur de Candole, & voyāt tant de seigneurs, capitaines, gentilhom mes & soldats que les nostres faisoyent mourir en se deffendant vaillammēt, il a dit & beaucoup de fois à son beau-frere Danuille en iurant & blasphemant: hé que nous sommes fols mon fre re de nous faire ainsi blesser, battre, meurtrir & tuer à l'appetit de ces meschans (parlāt du tyran, de sa mere, de ses freres & conseillers) qui nous ont meurtri nos parens, nos amis & nos alliez! Et qui nous payeront aussi quelque iour en mesme monnoye.

L'hi.

Ce trait vaut bien qu'on s'en souuiene: Can dole auoit bon iugement. Mais qu'est-il deuenu le poure homme?

Le pol.
[Page 128]

Il est mort en ce siege-là, & auec luy durā [...] le siege plus de cinq ou six mille personnes des en nemis y ont esté tuez: ie te conteroye bien tout au long le commencement, le milieu & la fin de ce siege: mais ie serois trop prolixe, i'interrom­prois mon propos & aussi tu le pourras voir tout à loisir auec le discours du siege de la Rochelle & de Sancerre: tout cela est imprimé, & ie le porte auec moy, ie te le monstreray demain si tu as loi­sir de le voir.

L'hi.

Ie t'en prie beau Sire: mais retourne sur ton discours.

Le pol.

Comme ie te disois, ceste derniere resolu­tion des nostres de pratiquer toute extremité de rigueur contre nos ennemis, auec ce qu'on les a desia biē frottez Dieu mercy par tout où ils sont venus, refrenera vn peu leur rage, & refroidira leur cholere. D'autre part elle enflābera le coeur des nosttes, qui combattans pour la necessité & deffense d'vne bonne cause sembleront des demi Cesars estans resolus de bien obeir à leurs chefs, de porter patiemment les trauaux de la guerre, & de vaincre ou de mourir, si l'on vient aux mains & au combat, plustost que de iamais se rendre.

L'hi.

Il n'y a rien qui face mieux vaincre, qu'vne saincte obstination en vn combat ou en bataille, supposé que tout soit rengé, & que le fondement soit bon: il me semble que dix des nostres en de­uroyent combatre cinq cens de tels volleurs, de tels brigands, comme sont tous ces satellites.

Le pol.

Cela est sans doute: aussi pour dire la ve­rité ils les ont tres bien estrillez. Or quant au 33. [Page 129] article de Daniel touchant la douceurt, de laquel­le il veut qu'on vse enuers les Catholiques paisi­bles: Cela est bien tout arresté qu'il ne leur sera fait aucun outrage ne force en leur conscience, honneur, vie & biens: ains seront conseruez en paix & amitié comme bons compatriotes & fre­res bien aimez.

Sachans bien le regret que portent telles gens des extorsions & cruautez, dont on vse en nostre endroit, & l'enuie qu'ils ont de voir la tyrannie bas, & les anciēs ordres de la Frāce remis au des­sus. A causé dequoy tant s'en faut qu'on les vueil le surcharger, qu'au contraire on les espargnera, autant qu'il sera possible aux contributiōs qu'on sera contraint de faire pour nostre conseruation, chargeans plustost les nostres que ceux-là.

Quant aux Euesques, prestres, moynes, & au­tres gens de l'Eglise papale, qui ne porterōt point les armes & qui seront contens de viure parmi nous sans rien attenter, & sans esmouuoir ou se­duire le peuple qu'ils auoyent deceu, ie scay aussi qu'on leur donra moyen de viure bonnement, & le mieux qu'il sera possible. Le surplus de leur reuenu sera pour descharger le peuple.

L'hi.

Ce sera vn ordre parfait, s'ils pratiquēt tous ces articles.

Le pol.

Ne doute pas qu'ils ne le facent, si Dieu leur preste sa faueur. Mais pour te dire le surplus que i'ay apprins en mon voyage: apres la resolu­tion prinse en ce Conseil, sur beaucoup d'autres choses necessaires pendant que i'estois de seiour à Nismes, mal dispos [...] à voyager, nous receuions [Page 130] tous les iours letres de ce qui se passoit dedans & dehors la Rochelle, nous entendismes que apres que la Rochelle fut de toutes parts assiegee par les Iannissaires du tyran, ses deux freres y arriue­rent le 15 de Feurier 1573, menans le Roy de Na­uarre, le prince de Condé, & le ieune comte de la Rochefoucaut, comme en triomphe deuant eux, auec bon nombre de Seigneurs Catholiques, de courtizans, d'Atheistes, d'Epicuriēs, de blasphe­mateurs, de Sodomites, & d'autres tels officiers, que le tyran auoit chassé d'aupres de luy & de sa cour, non qu'il fust ma [...]ry de voir tels galans pres de sa personne: ce sont ses mignons fauoris, ce sont ses appuis & soustien & les delices de sa Me­re: ains tout despit, tout enragé, blasphemant tou siours de cholere, de ce qu'vn chacun n'alloit pas comme il commandoit, en l'armee.

Depuis l'arriuee du duc d'Aniou, les Rochel­lois furent assiegez de plus pres, battus de beau­coup plus de pieces d'artillerie & en plus d'en­droits furēt minez, escallez, assaillis & trauaillez en toutes sortes dont l'ennemy se pouuoit auiser. Eux de leur part faisoyent le plus souuent sorries braues & gaillardes, assaillans courageusemēt les ennemis iusques dans leurs trēchees & les estril lans tellement le dos, sous le ventre & par tout, que plusieurs de nos ennemis contraints d'aban­donner la vie, quittoyent les charges lesplus bel­les à leurs compagnons suruiuans, qui bien sou­uent ne gardoyent guere ce qu'on leur auoit de­laisse, estans les plus marris du monde de ce que nos bons Rochellois les visitoyent par trop sou­uent: [Page 131] & de ce qu'il les repoussoyēt trop rudement de leurs murailles, soustenās mieux qu'ils ne vou loyent & plus longuement leurs assauts. Nous sceusmes que le seigneur de la Noue qui par grād merueille & admirable prouidēce de Dieu auoit eschappé les fillets des traistres, se trouuant lors du massacre de Paris dās Mons en Haynaut qu'il auoit aidé à surprendre par commandement du tyran, duquel ils attendoyēt secours suyuāt sa pro messe donnee: nous sceusmes, dis-ie, qu'il estoit reuenu en France & à la cour, apres la reddition de Mons, sous l'asseurāce du duc de Longue-vil­le & le saufconduit du tyran: nous sceusmes qu'il estoit entré dés le commencemēt des approches dans la Rochelle accompagné de l'abbé Gada­gne auec charge expresse, que le tyran luy auoit donné de diuertir s'il estoit possible les Rochel­lois de leur constance & opiniastreté, qu'ils appel lent de se deffendre, & de leur promettre bon trai tement, s'ils se vouloyent laisser tuer auec liberté de conscience. A ceste nouuelle plusieurs d'entre nous furent extrememēt marris de ce que ce gē ­tilhomme auoit accepté telle cōmission. Les au­tres estoyent faschez simplement, de ce que au sortir de Mōs il n'estoit allé en Angleterre, en Al lemagne ou en Suisse, pour seruir à ce qu'il eust peu plustost que reuenir en Frāce. D'autres excu soyēt son retour, à l'occasiō de ses enfans qu'ō luy detenoit dessous garde, qu'il deuoit tascher de les rauoir: & qu'il n'auoit de moinspeu faire que d'ac cepter cōtre son gré vne charge [...]ant des honeste: quelques autres estoyent bien aises, qu'ō luy eust dōné telle commission.

[Page 132] Croyant bien que cest homme là ne pourroit que beaucoup seruir pour faire sagement resou­dre du chemin le plus expedient, les citoyens de la Rochelle. En somme les vns en parloyent d'v­ne sorte, les autres d'vne autre. Quant à moy en telle diuision & partialité d'opinions, ayant sceu que le seigneur de la Noue, pour tout cela ne s'e­stoit point souillé en Idolatrie, recueillant de là vn tesmoignage de sa bonne conscience, ie suspē ­di, comme ie tiens encores suspendu, mon iuge­ment de son affaire: ne voulant rien temeraire­ment prononcer d'vn gentilhomme si bien qua­lifié que cestuy-là, que i'ay aimé & honoré, com­me ie desire de faire tout le reste de ma vie. Tant y a que nous sceusmes, comme ie t'ay dit son arri uee dans la Rochelle, ce qu'il proposa aux Ro­chellois, le peu qu'il y exploita pour le tyran, cō ­me il s'en retourna à bast vuide à la cour.

Nous sceusmes qu'il fut enuoyé pour la secon de fois auec le mesme Abbé & vne charge vn peu plus ample à la Rochelle: & qu'à ceste secon­de fois y estant rentré, n'ayant rien peu negotier de sa charge au plaisir du tyran il estoit demouré pour gage dans la Rochelle, ayant renuoyé son Abbé pour annoncer les nouuelles à son maistre de la grande obstination des bons Rochellois.

Or si l'arrest & seiour que le seigneur de la Noue fit dans la Rochelle seruit ou non aux bon nes gens, ie ne t'en puis dire autre chose pour n'y auoir point esté durant ce temps-là. Tant y a que i'ay depuis ouy dire aux Rochellois mesmes, & au seigneurde l'Anguillier, qui estoit de sa tenue: [Page 133] que les Rochellois apres Dieu doyuent au sei­gneur de la Noue, tout ce qu'ils ont du premier coeur & de l'asseurance qu'ils eurent sur ces pre­miers commencemens, qu'il leur mit le coeur au vētre, qu'il les ordonna mieux qu'on ne scauroit dire, qu'il les aguerrit leur faisant faire plusieurs bonnes & belles sorties auec leur auantage qui leur seruoit de bonne curee, luy estant tousiours le premier à la meslee, & le dernier à la retraite.

Au surplus pource que le siege continuoit lō ­guement deuāt la Rochelle, que les bleds & pou dres approchoyent de leur periode, & l'esperan­ce d'estre auituaillez alloit tousiours amoindris­sant. Les Rochellois ayans pour leur conserua­tion fait tenter toute sorte d'honnestes secours & remedes, furent contraints à la fin de regarder comme de nouueau à leurs titres & liberté, pour scauoir au vray quelle estoit l'obligation que pre tendoit la maison de Valois sur eux, s'elle s'esten doit iusques là de leur pouuoir rauir leurs vies, leurs biens, leurs honneurs & celuy de leurs femmes, & leurs familles: & iusques à les faire per­dre & damner auec tous les diables pour faire seruice aux Valois, comme ils demandoyen t en substance. Surquoy ayans trouué par escrit en bon­nes & ancienes pancartes, que l'obligation estoit fort petite & bien aisee, sous des conditions tou­tefoisqu'on leur auoit souuent rompu, eux ayans tousiours de leur part plus satisfait, qu'à leur de­uoir. Et que lors c'estoit à tout rompre: apres a­uoir fait clerement voir leurs droits au Conseil, qui pour ce fut assemblé d'entre eux & qu'ils cu­rēt [Page 134] à vn autre fois recueilly l'auis sur ce poīt, trouuant le seigneur de la Noue differēt bien fort d'opinion d'auec leur auis tout courant, pour des rai sons qu'il alleguoit, dont le peuple ne se pouuoit satisfaire: ils commencerent dés l'heure à mal e­stimer & parler de cest homme tant renommé, iusques là qu'il fut contraint, craignant que mal ne luy auint sauter, cōme on dit, de la poile & se ietter dedans les braises, accompagné de Cham­pigny & de quelques autres amis, auec lesquels il s'alla rendre, ainsi que nous fusmes auertis le me credy onzieme iour de Mars en l'armee du duc d'Aniou: duquel selon l'apparence il fut recueil­ly volontiers & asseuré de sa personne. Il ne fut pas si tost en l'armee de l'ennemy, que les soldats par dessus les rempars luy reprocherent qu'il a­uoit delaissé Syon pour aller en Egypte: mais i'en espere proù de bien.

Durant le siege, à ce qu'on nous rapporta, nos freres de la Rochelle ont souuent parlementé a­uec le duc d'Aniou touchant quelques moyens de paix, de laquelle l'ennemy oyoit fort volōtiers parler se voyant frustré de l'eperāce de pouuoir forcer la Rochelle, pource qu'il auoit perdu vn bien fort grād nombre de sa noblesse, & tresgrād nombre de Capitaines & soldats, & que les sur­uiuans auoyēt le coeur failly, quoy que les Suisses en nōbre de 6. mil fussent arriuez à leur secours.

En fin le duc d'Aniou ayant receu certaines nouuelles qu'il estoit esleu roy de Poloigne, par les menees de Monluc Euesque de Valence & de ses autres agents. Election autant à l'auantage & [Page 135] [...]oulagemēt de l'Eglise Françoise qu'à la ruine & subuersion de la liberté des Polonois, si Dieu n'a bien grād pitié d'eux: ayant, dis-ie, receu ces nou uelles, son ambition luy cōmandant de se haster à porter la couronne: il ouyt lors plus volontiers parler de paix qu'au parauant. Et ayant fait sor­tir les deputez de la Rochelle pour parlementer, Il receut lors de leurs mains le 25. de Iuin leurs articles & leurs demandes qu'il enuoya incontinēt par deuers Charles le tyran.

Tost apres l'armee de l'ēnemy, qui ne cerchoit que le repos, toute harassee d'auoir esté si souuēt battue & moquee, commença à se desbander çà & là. Et aussi les nostres à auoir de relasche plus qu'ils n'eussent osé penser.

Ie ne te dis pas le nombre de ceux qui ont esté [...]uez du costé de l'ennemy: il passe plus de huict mille. Ie ne te nōme pas aussi les principaux d'en tre eux qui y ont esté tuez ou blessez pource q̄ le discoursqui en est imprimé en nōme la plus part.

Seulement ie te diray en passant, qu'vn seul boleuard appellé de l'Euangile, contre lequel l'en­nemy s'ahurta le cuidant emporter de volee, à fait perdre à vne infinité des ennemis leur mes­chante paillarde vie sans qu'ils ayent rien exploi té. C'est de là d'où fut tiré vn coup de couleuri­ne qui tua le duc d'Aumale derriere vn gabion. c'est de là où l'espee vierge du Perō se retirāt des trēchees le iour qu'ō batit ce bouleuard de 40 canons fut blessé au dos qu'il luy auoit tourné: c'est ce bouleuard que les Princes accompagnez de la Noblesse allerent assaillir le septieme d'Aoust où [Page 136] le Gonzague duc de Neuers, le marquis du Mai­ne, Clermont, le Gas, & vn grand nombre d'au­tres assaillans furent blessez & plus de trois cens tuez. C'est ce bouleuard que l'ennemy fit sapper & miner, duquel vn grand quartier se renuersa par deuers les Rochellois qui rendit l'endroict plus fort que deuant: les autres quartiers de pier­re, les pieces de bois & ruine de la terre, renuer­serent tous dans les trenchees de l'ennemy, chose qui fit perdre la vie à plus de deux cēs d'entr'eux chose qui estoit fort horrible de voir emporter en l'air les bras, iambes, & autres mēbres de Mes­sieurs nos ennemis, & d'en voir tirer vn grād nō ­bre dessous les ruines de la mine. C'est ce boule­uard duquel (estant batu de nouueau & estant de nouueau miné & assailli en grande diligence par les Capitaines & soldats de l'ennemy, ainsi qu'ils estoyent presques au dessus) ils furent repoussez par trois fois & contrains par les nostres de se re tirer à leur courte honte, & grand perte de nos en nemis. C'est aussi ce bouleuard sur lequel quel­ques troupes des ennemis estans montees, & ayāt trouué vn Corps de garde des nostres endormy, le tuerent & mirent en pieces, l'onzieme du mois de May. Ce nonobstāt ce bouleuard est tousiours demouré aux nostres.

Tout cecy que ie te viens de dire, tu le verras au discours mesmes que nos ennemis en ont fait.

L'hist.

C'est vn bouleuard remarquable, & croy moy, ce n'est sans emphase & sans vn mystere ca­ché que ce nom-là de l'Euāgile luy a ainsi esté impose. A y regarder de bien pres il a produit mes­mes [Page 137] effects que l'Euangile assailly a accoustumé de produire. Il a repoussé les efforts de l'ennemy, & renforcé ceux qui le deffendoyēt, pendāt qu'ils ont esté au guet & sur leurs gardes. Mais quand ils se sont endormis leur a laissé coupper la gor­ge: & en fin il est demouré entre les mains des gens de bien sans leur pouuoir estre arraché. Le Seigneur a fait tout cecy se monstrant grand & admirable en la conseruation des siens.

Le pol.

Cela est sans doute: or escoute, afin que i'acheue de te dire, ce qui s'est passé durant ce sie­ge de la Rochelle. Apres que les deputez de l'en­nemy & les nostres eurent parlementé des moyēs de paix, voyant que nos freres de la Rochelle de­mandoyent par leurs articles plusieurs choses cō cernans toute l'Eglise Françoise, & ne vouloyent entendre à aucun accord, quoy qu'ils fussent merueilleusemēt pressez, affligez & harassez, sans que de mesme le reste de nos freres receust vn bō sou lagement en ses oppresses, remonstrans qu'il n'e­stoit pas honneste qu'vn de leurs membres souf­frist peine ou plaisir: sans faire part & du mal & du bien aux autres membres de leur corps. Voyāt, dis ie, qu'ils insistoyent à cela, l'ennemy leur ac­corda qu'ils peussent librement communiquer a­uec ceux de Montauban, & ceux de Montauban auec eux pour le benefice de paix.

Et de fait ceux de Montauban vindrent, com­me ie t'ay voulu dire, durant le siege à la Rochel­le auec memoire de nos autres freres, sous sauf­conduit de l'ennemy: & meslerent leurs deman­des & celles qu'ils estimerent estre bon de faire, [Page 138] pour le reste du corps de l'Eglise Françoise auec celles de la Rochelle. Lesquelles, comme ie t'ay dit, furent enuoyees au tyran sur la fin du mois de Iuin dernier passé. Le tyran & tout son Conseil estonnez comme fondeurs de cloches, quand la fonte n'a pas bien pris, ne sachans plus de quel bois faire fleches, n'ayant ny gens, ny argent, ny vi ures pour pouuoir plus long temps camper: & ne pouuant à force ouuerte emporter ceux de la Rochelle, se contentant d'y auoir receu & d'auoir faire receuoir de mesmes à son frere le duc d'An [...]ou vn escorne & perte la plus grande, que iamais tyrans receurent en ce monde: & ne voulant pas que les ambassadeurs de Pologne, qui venoyent saluer leur beau roy le trouuassēt embesoigné en vn si cruel ouurage & en affaire si honteux le ty­ran (dis-ie) fut contraint recourir au dernier re­me de, duquel il a tousiours vse pour nous ruiner & piper. Il fit sur nos demandes & articles vn e­dit au mois de Iuillet, par lequel, apres auoit de­claré dés l'entree que son intention a tousiours e­sté de regir & gouuerner sō royaume plustost par douceur & voye amiable que par force, il accorde à ceux de la Rochelle, gentils hōmes, & autres re­tirez en icelle les points & articles qui y sont spe­cifiez, tāt pour eux que pour les habitās des villes de Montaubā & Nismes, gentilshōmes & autres retirez en icelles & aucuns autres ses suiets pour lesquels ils ont supplié. Premieremēt que la me­moire de toutes choses passees depuis le 24 d'A­oust dernier passé à l'occasiō des troubles & emotions auenues en la Frāce demeurera esteincte & [Page 139] assopie cōe de chose nō auenue, deffendāt à tous ses suiets de quelque qualité qu'ils soyent qu'ils n'ayēt à en parler ny a en renouuellerla memoire.

L'hi.

Mon Dieu le vilain edit: ie te prie ne m'en recite pas d'auātage: est-il possible qu'il y ait tant d'impudēce en tout le reste des meschàs qu'en ce perfide tyrā? qui apres auoir tout rauagé & ensan glāté toute la Frāce aux quatre coins & au milieu, veut faire à croire maintenāt, qu'il a eu tousiours intentiō de conduire le tout doucement & par la voye amiable? Ha malheureux! Et est-il possible encores qu'il ose maintenant deffendre de iamais ne parler de si horribles cruautez? ou pense-il par son edit pouuoir effacer la memoire de ses trahi­sons cōme de chose non auenue? que n'entreprēd il quand & quād de deffendre sur grosses peines au sang innocent respandu de ne demāder point vengeance deuant le tribunal de Dieu? ha schel­me! Et les pierres n'en parlerōt elles pas, quand les hōmes seroyent si lasches que de t'obeir en ce la? O le grād coup que ce tyran a fait pour nous en cest endroit, c'est vn bel article de paix. C'est autāt cōme s'il disoit: il est vray poures bestes que le 24. d'Aoust, & depuis en çà i'ay tué & fait tuer, & massacrer traistreusemēt, sans differēce d'aage de sexe ny de qualité tous ceux que i'ay peu d'en tre vous? Et ne tiēt pas à moy, que ie ne face mou­rir tout ce qui est demouré de reste. Car telle est mon intention: mais ie veux & entēs qu'on croye qu'il en va bien tout autre mēt, & qu'il n'en est riē auenu, quoy que le ciel & la terre le sache: ha be­ste furieuse & enragee si iamais il en fut au mōde!

[Page 140] Si espere-ie qu'il t'auiendra quelque iour pour beaucoup qu'il tarde à tout le moins ce qui auint à Trysus ce tyran insigne, mais sans comparaison meilleur que tu ne fus iour de ta vie. Ce vilain ayant deffendu par son edict à ses suiets de ne par ler point l'vn à l'autre ny en public ny en priué, (craignant qu'entre eux ils n'auisassent de se re­mettre en liberté) ses poures suiets furent con­traints pour exprimer leurs conceptions les vns aux autres d'vser de gestes, de contenances & si­gnes des yeux, de la teste & des mains tels qu'ils pouuoyent pour s'expliquer. Mais ces façons & moyens de se faire entendre, leurs estansaussi deffendus: vn poure bō hōme outré du creuecoeur & desplaisir qu'il sentoit d'vn iougsi pesant, s'en alla au milieu de la place, cōmēça à se plaindre en soy mesme, à lamenter, à gemir & à plourer, tellemēt qu'il attira vne grande multitude de ses concitoy ens à larmoyer auecques luy pour leur dure & miserable condition. Cela estant entendu du tyran, ne pouuant souffrir seulement qu'on se plaignist de ses cruautez, s'en vint droit à la place, où ceste poure multitude desarmee & plourante estoit as­semblee: pour leur empescher encores celle naturelle faculté de gemir & larmoyer. Mais Dieu voulut que le peuple ne se pouuant plus contenir s'estant rué dessus les gardes & satellites du tyrā, leur arracha des poings les armes & mit le tyran infame en mille pieces & lopins.

Le pol.

Voila bonnes gens, compagnon, ie croy bien qu'apres ce beau trait Trysus le tyran n'eust osé les empescher ny leur deffendre de se com­plaindre [Page 141] & lamenter.

Mais reuenant à parler du nostre: Par cest e­dict mesmes il ordonne qu'il ne sera loisible ne permis à ses procureurs generaux, ny autres per­sonnes publiques ou priuees en quelque temps, ny pour quelque occasion que ce soit faire men­tion, proces ou poursuite des choses auenues de puis le mois d'Aoust en ça en aucune cour ou iu­risdiction.

L'hi.

Cecy est encores pire que les motsprecedēts n'estoyent. Car en deffendant à ses procureurs generaux de n'en faire aucune poursuite: c'est tout autant que s'il disoit: la coniuration que ie mis à sus à l'Amiral & aux autres Huguenots pour a­ [...]oir quelque couleur en mes cruautez, quoyquel le soit faussement excogitee par moy & mes spe­ciaux Conseillers, & qu'elle n'ait apparence quel conque de verité ny mesme aucune verisimilitu­de, est toutefois tellementvraye, que ie veux qu'ō le pense ainsi. Et partant mes procureurs vous en pourroyent vn iour tirer en cause deuant mes par lemēs & autres iuges & officiers. Mais ie ne veux pas qu'ils le facent, pourueu que vous aussi ne vous plaigniez nullement de ce qui vous a esté fait ny en faciezaucune poursuite en aucune cour ou iurisdiction. Le tyran sera tousiours en liber­té de nous en ietter le chat aux iambes quand il voudra & quandil nous tiēdra en puissance. Mais quant à nous il ne veut pas que durant sa meschā te vie, ny apres sa vilaine mort, si Dieu nous en dōne quelqu'autre qui nous vueille faire raison, que nous en facions la poursuite deuant la iuris­diction [Page 142] des hommes, ny deuant celle de Dieu. I [...] faut bien dire que ce tyrā à excedé du tout les bor nes de toute impieté & iniustice. Pour l'honneur de Dieu, fay moy ce plaisir que nous ne parlions plus des edits de ce bourreau, de ce sauuage: sinō que de bon heur il s'auisast d'en faire vn qui com mandast de l'estrangler auec la truye & les co­chons, tous ses supposts & conseillers. En ce cas ie serois d'auis qu'on vsast vers eux de douceur, ne permettant pas qu'ils tombassent en la misere de Neron, qui ne trouua lors qu'il se vid reduit en extreme destresse, vn seul amy ny ennemy, qui luy voulust faire ce plaisir de le depescher & tuer. Ie serois, dis-ie, bien d'auis qu'on ne les fit gueres languir, de peur qu'ils ne se retractassent, quād ils verroyēt l'ēfer ouuert & tout prest à les receuoir.

Le pol.

Ie serois biē de mesme auis. Et croy qu'aus si tous les bons Catholiques en desireroyēt tout autāt pour se voir par là despestrez du ioug de ce māge-suiet. Mais cependāt tu me semble trop difficile à ne vouloir point que ie parle de cest edit tāt signalé: ie dis signalé notāment, causant la paix ou le relasche que nos freres en ont senti lors: a­lors que pas vn de nous ne s'y osoit ny s'y pouuoit tendre: tu és bien vn merueilleux homme à ne considerer pas cela.

L'hi.

[...]e le considere bien, & ren graces à Dieu de bon coeur pour la deliurāce miraculeuse des po­ures assiegez. Mais ie suis tant saoul d'ouir parler de ces edits, i'en ay les oreilles tāt battues, qu'aus si tost que i'en entends vn mot, peu s'en faut que ie ne tende ma gorge, & sur tout s'il y a qùelquo [Page 143] chose bōne pour nous en son edit, & qu'il l'appel le irreuocable. Car en ce cas tousiours il nous faut croire qu'il en fera cōme de cestuy-là de l'an 1570 au mois d'Aoust, qui n'a serui à autre chose qu'à nous attraper & nous perdre, quelque irre­uocable qu'il fut. Et se faut tousiours souuenir de ce dont on auertit le deffunct Amiral. Que le ty­ran ne permettra iamais que ses suiets, qui se se­rōt vne fois eleuez en armes pour quelque occa­sion iuste ou iniuste que ce soit, iouyssent de la fa­ueur & benefice des loix: A plus forte raison me dois-ie fascher de ce vilain edit des sō entree si effronté & inique.

Le pol.

Toutefois si en diray­ie encores deux ou trois traits sous ton congé.

L'hi.

Tu le peux faire: mais iem'asseure que s'il fal loit esplucher le sens caché & les mysteres conte­nus dedans les articles de tels edits irreuocables, que ce ne seroit iamais fait. Et l'heure me semble fort tarde, il est temps de penser ailleurs.

Le pol.

I'auray fait en deux mots. C'est qu'il ordō ne que la Rochelle, Nismes, & Montaubā, & les gentilshōmes & autres qui iusqu'àlors se sont cō seruez en la Religiō pourront iouyr de l'exercice d'icelle. Et ceux qui pour crainte de mort ou au­tre infirmité ont esté contraints de faire promes­ses & obligatiōs, & bailler cautiōs pour chāger de religiō sōt deliurez de telles promesses & cautiōs.

L'hi.

Les premiers, quoy qu'il leur promette n'au rōt pas seulemēt la vie, s'ils s'arrestent à cest edit. Les derniers cōfessans leurs fautes sōt absous du souuerain roy de telles promesses. Mais il vaut mieux mourir vne autre fois que d'en plus faire.

Le pol.
[Page 144]

Au reste la Rochelle, Nismes & Montau­ban iouirōt, ce dit cest edit de leurs priuileges an­ciens, & modernes droits de [...]urisdiction & autres esquels ils seront maintenus & conseruez sans a­uoir aucune garnison, en baillant durāt deux ans quatre des principaux bourgeois de chascune des dictes villes, qui seront choisis par le tyran entre ceux qu'ils nommeront & changez de trois en trois mois pour demonstration & seureté de leur obeissance.

L'hi.

Ce terme de deux ans m'est fort suspect, quand ie me souuiens des deux ans de l'autre e­dict irreuocable. Et ces bourgeois qu'on baillera ne seront pas à leur retour si asseurez qu'au para­uant. Et asseure toy qu'il n'a voulu qu'on fist ce changement de trois en trois mois, que poura­ [...]oir meilleur moyen de corrompre tant plus de gens: afin de surprendre ces villes. Au de­meurant ie t'accorde qu'elles iouyront de leurs priuileges, si elles pratiquent les articles de Da­niel, la resolution de ceux du Dauphiné, & celle que tu m'as dicte de nos freres de Nismes, autre­ment ie ny voy point d'ordre, quelque edict que le tyran face.

Le pol.

Aussi ne s'y fient-ils pas, & scauent fort bien dés ceste heure à quoy ils se doyuent tenir. Mais tanty a que la Rochelle en sent quelque sou lagemēt, non par la vertu de l'edit, ains par la ver­tu de la force ou plustost par grace de Dieu, qui a fait retirer l'armee & le camp de nos ennemis.

Quant à ceux de Montauban & Nismes & toutes les Eglises de la Guienne, Languedoc, Viua­rez, [Page 145] Geuoudan, Seneschaussee de Toulouze, Auuergne, Rouergue, haute & basse Marche, Quercy, Perigort, Limosin, Agenois, Armaignac, Commenges, Conserans, Bigorre, Albret, Foix, Laurageois, Albigeois, pays Castrez, de Ville­laugues, Mirepoix, Carcassez, & autres pays & prouinces adiacentes, esquelles par grace de Dieu y a grande quantité d'Eglises, pas vne d'el­les n'a fait conte, ny n'a daigné s'amuser aux pa­roles de cest Edit, n'aussi pareillement nos freres que ie t'ay dit du Dauphiné.

L'hist.

O qu'ils sont sages! pourueu qu'ils sa­chent se tenir tousiours sur leurs gardes, & ne plus s'attendre au Tyran. C'est le seul moyen pour r'auoir leurs libertez & priuileges, & pour garder auec leurs vies, leurs biens, cheuances, & honneurs, que personne ne leur rauisse la li­berté de leur conscience, & l'exercice de la re­ligion.

Mais ie te prie de me dire, cōme il va de ceux de Sancerre. C'est Edict dernier n'en parle-il point?

Le pol.

Rien du tout. Quoy que nos freres de la Rochelle en ayent fait bien grande instance, sachant le calamiteux estat où ils estoyent re­duits. Mais ie te diray sommairement ce que i'en scay.

Quant à nos poures freres de Sancerre, le Sieur de la Chastre Gouuerneur pour le Tyran en Berry, les assiegea dés le mois de Ianuier der­nier passé, fit batterie auec dixhuict ou vingt pieces d'artillererie, en diuers endroits de leur [Page 146] ville, fit bresche de cinq cens pas, & le iuedy de­uant Pasques, leur liura vn assaut fort & rude, duquel se voyant viuement & bien repoussé a­uec sa courte honte, & perte de bon nombre des siens, comme l'histoire, que ie te monstre­ray, en fait mention: il s'est contenté de les tenir assigez, par le moyen de quelques forts & tren­chees, qu'il fit faire pour empescher les nostres de sortir, & les viures d'aller à eux: s'asseurant par ce moyen, de les faire à la longue mourir de faim.

Et en ceste façon, les a tenus de tous costez enfermez, sans les assaillir de plus pres, que de la portee d'vn mosquet, depuis le mois de Mars iusques au mois d'Aoust dernier.

Durant lequel temps, ces bonnes gens ont eu vne infinité de mal aise, de faim, de poureté & disette. Laquelle plus ils alloyent auant, plus s'alloit augmentant, iusques là, qu'ils ont e­sté contrains de manger cuyrs, souliers, par­chemins bouillis, & autres telles estranges viandes.

Cependant, la parole de Dieu qui leur estoit iournellement preschee, nourrissoit leurs ames en toute abondance.

Eux se voyans reduits en telle perplexité, qu'ils n'attendoyent plus que la mort, prioyent sans cesse le Seigneur pour leur deliurance. Que si son bon plaisir estoit, de les exposer es mains cruelles & barbares de leurs ennemis, qu'il les fortifiast & raffermist de coeur, de corps & d'ame en vne constante foy & esperance de [Page 174] la vie eternelle, iusques au dernier souspir de ce­ste-cy.

Les soldats, le Peuple, les femmes & iusques aux petits enfans de la ville, qui suruiuoyent à la faim, languissans es trenchees, emmy les rues & dans les maisons, ne cessoyent de tendre les mains au ciel, d'y esleuer leurs yeux, attendans secours du tres-haut.

Leurs ministres faisoyent vn singulier deuoir à les cōsoler, à les exhorter & encourager à bien faire & à mieux esperer. Leur remonstrans: que combien que la conspiration des ennemis s'e­stendit iusques à vouloir racler la memoire des bons de dessus la terre, afin qu'il n'y eust que le seul regne des meschans en vogue [...] que toutefois il en iroit tout autrement.

Que les Roys de la terre auoyent beau se mu­tiner, beau comploter, & s'esleuer contre le Sei­gneur pour rompre & secouer son ioug, & pour ruiner son Eglise: que celuy qui habite es cieux s'en rira: que le Seigneur se moquera d'eux, leur parlera en son courroux, & les estonnera par sa fureur, qu'il les cassera par son sceptre de fer, & les brisera comme vn vaisseau de potier. Qu'ils s'asseurent que la pierre, que Nabuchadonozor vit en songe couppee sans mains, cassera le fer, la terre, l'airain, l'argent & l'or de l'image, & [...]eront comme la paille que le vent emporte, & que ce­ste pierre deuiendra vne grande montagne, & remplira toute la terre, brisant tout autre Roy­aume, Principauté & hautesse, qui s'oppose au Royaume eternel de Iesus Christ.

[Page 158] Partant mes freres (leur disoyent-ils) ne vous faschez point, pour raison des mal-faisans, que vous voyez ce semble prosperer. Car ils seront coupez soudain comme le foin, & viendront à faner comme l'herbe verde.

Attendez en patience le Seigneur, ayez ferme fiance en luy, & ne portez point d'enuie, n'ayez mesmes aucun regret de celuy qui espere en ses laschetez. Car les malins seront exterminez, mais ceux qui ont leur attente au Seigneur, se­ront benis de luy. ils ne seront point confus au mauuais temps.

Le Seigneur est puissant pour donner la man­ne du ciel, pour faire sortir de l'eau de la pierre dure. Mieux vaut peu de chose au iuste, que foison de biens aux meschans, ils ont (dit Dauid) desgainé leur glaiue, & ont bandé leur arc pour abbatre le poure & indigent, & pour meurtrir ceux qui cheminent droit.

Mais leur glaiue entrera dans leur propre coeur, & leurs arcs seront rompus. Il est vray, (mes freres disoyent-ils) que c'est vn argument suffisant selon la chair pour chopper & faire cō ­me banque route à Dieu, de voir comment les ennemis de l'Eglise prosperent qu'ils se glo­rifient en cruauté & violence enuironnez d'or­gueil, comme d'vn carcan, que la graisse leur pousse leurs yeux hors de leur chef malicieux, & que bien souuent, ils ont dauantage que n'a desiré leur courage.

Au cōtraire voir vn Dauid, voire toute vne E­glise en destresse, ses iours desfailir comme fu­mee, [Page 149] ses os hauis, cōme vn tison, son coeur frappé & seché semblable au Pelican du desert, ou comme le hibou qui se tient es lieux sauuages, semblable au passereau priué de sa compagnie, qui se tient sur la cime du toict, le voir manger la cendre comme le pain, & mesler son boire de pleurs.

Mais certes si nous sommes enseignez com­me il appartient par la parole de Dieu, nous trouuerons que le Seigneur a logé les meschans en lieux glissans pour les precipiter en ruyne, pour les destruire en vn instant, & les consumer d'vne maniere espouuantable.

Et d'autrepart, nous voyons que Dieu en­cline son oreille au besoin, à la clameur de ceux qui patiemment l'attendent, les tire hors du bourbier, les deliure des dangers, affermit leurs bieds, adresse leurs pas, & les loge sur vn roc fort & asseuré. Nous verrons vn Elie, au temps de la plus grande famine nourry par les corbeaux, & & quelques fois par les Anges. Nous le ver­rons enuoyé à la vefue, qui n'a point de pain, ains seulemēt pleine main de farine, & vn peu d'huy­le, n'attendant que la mort. Nous le verrons nourry, la vefue sustentee, la farine, & l'huyle continuer à les nourrir, & ne defaillir nulle­ment.

La main du Seigneur n'est point abbregee, son bras n'est point accourcy, le Seigneur est le Roy qui seul peut tout ce qu'il veut, il ne per­mettra point, qu'vn cheueu de nostre teste tom­be en terre sans sa volonté, partant ne nous ef­froyons [Page 150] aucunement pour le dessein des hom­mes qui ont iniustement deliberé de nous met­tre tous à mort auec nos femmes & enfans, so­yons plustost asseurez, que si le Seigneur a or­doné de nous de liurer tous, ou aucuns de nous que nul ne luy pourra resister, s'il luy plaist que nous mourions tous, ne craignons point.

Car il a pleu à nostre Pere, nous donner v­ne autre habitation, qui est le Royaume celeste, auquel il n'y a point de mutation, poureté, mi­sere, larmes, pleurs, dueil, ou tristesse, ains feli­cité, & beatitude eternelle.

Il vaut beaucoup mieux estre logez auec le poure Lazare au sein d'Abraham, qu'auec le mau­uais riche, auec Cain, auec Saul, auec Herode, où auec Iudas en enfer.

Cependant il nous faut boire du breuuage que le Seigneur nous a preparé vn chacun selon sa portion.

Il ne faut pas que nous ayons hōte de la croix de Christ, ny regret de boire du fiel duquel il a esté le premier abbreuué: sachans que nostre tristesse sera tournee en ioye, & que nous rirons à nostre tour, quand les meschans pleureront, & grinceront les dents.

Par telles & semblables paroles, les pasteurs sollicitans iournellement le peuple, de se pre­parer à receuoir tout ce qu'il plairoit à Dieu leur enuoyer, les enseignoyent & entretenoyent de plus en plus en tout deuoir & bon office de pieté & crainte de Dieu. Lors que contre toute esperance, Dieu estant par maniere de dire, com­me [Page 151] descendu pour voir leur affliction, le vingt & sixieme du mois d'Aoust dernier passé: lors que ils ne pouuoyent, selon l'apparence humaine, au­tre chose faire (s'ils ne vouloyent renier Dieu) tout à plat, que se laisser mourir de faim, ils furent receus à composition par le seigneur de la Chastre (non sans le sceu du Tyran, quoy qu'au parauant, il eust dit, qu'il les feroit manger l'vn l'autre, Dieu luy ayant pour ce regard flechy & amolly le coeur) qui leur promit de leur laisser la vie & biens sauues, & l'exercice de la Reli­gion à la forme de l'edict, moyennant qu'il don­nassent quarante mille francs au Tyran: ce que les poures gens ont fait & accomply.

Quoy que les ennemis par apres contre toute foy donnee selon leur coustume, ayent pillé & desrobé ce que bon leur a semblé de leurs meu­bles, demantelé leur ville, enleué iusques à leur horologe, & massacré quelques vns d'entre eux, & notamment le Bailly & Gouuerneur de San­cerre. Et contraint les autres, qui ne iouissent d'vn seul brin de liberté, d'estre vagabons & er­rans à la mercy des volleurs & brigans. Au sur­plus, ie ne veux pas oublier à te faire entendre; que l'vn des moyens, desquels Dieu s'est princi­palement seruy pour la deliurance de ces bonnes gēs de Sācerre, a esté la venue des ambassadeurs de Pologne, qui arriuerent en la Cour du Ty­ran, quelques iours au parauant la composition de Sancerre.

L'hist.

Ie te prie declare-moy vn peu par le menu ton dire, ie ne puis pas bonnement [Page 152] entendre comment ce peut estre que les Po­lonois ayent seruy à faire deliurer les San­cerrois.

Le pol.

Ie te diray comment. Les Polonois a­ptes la mort de leur Roy Sigismond dernier de­cedé sollicitez par l'Euesque de Valence, & le ieune Lansac, lesquels comme tu scay, leur fu­rent enuoyez en ambassade, d'elire à leur Roy­aume vaquant, le Duc d'Aniou apres quelques remises, ne firent que bien peu, ou point de dif­ficulté d'en faire election pour des considera­tions particulieres▪ reuenans, comme il leur sem­bloit, au bien de leur [...]e stat.

Mais ayans tost apres entendu les nouuelles des trahisons de ceux de Valoys & des massa­cres qu'ils auoyent fait faire en la France sur les fideles, indignez extremement contre ceste mai­son, ils furent bien fort marris, d'auoir fait vn si meschant choix, & n'eussent pour rien voulu a­uoir eleu d'vne si traistresse race, homme qui leur deust commander, craignant qu'il ne leur mist vn iour leur Patrie en pareille combustion que la France. Tellement que volontiers se fus­sent departis de ceste election, pour preceder à Election nouuelle, n'eust esté que desia, ils auo­yent irrité tous les autres competiteurs, qui pre­tendoyēt de paruenir au Royaume de Pologne, en ce principalemēt qu'ils les auoyent postposez au Duc d'Aniou. Contrains donques & forcez de s'y tenir, d'autant mesme que le Turc allié de la maison de Valoys les en sollicitoit auec des conditions auantageuses pour la Pologne.

[Page 153] Ceux de la noblesse & des autres estats de Pologne faisans profeson de mesme religion que nous (lesquels à ce que i'entens sont en bien fort grād nombre & des principaux du pays) esti­mans que le faict de France attouchoit de pres à leur estat & affaires, tant pour la pieté & crain­te de Dieu, que pour la charité & compassion de nos freres affligez & le mesme danger auquel ils pourroyēt tomber: voulans esprouuer le traite­ment qu'ils pourroyent attendre d'vn estranger par celuy qui seroit fait aux naturels subiets en pareil cas, deuant que bien asseurer & raffermir l'election du Duc d'Aniou, entrerēt en conferen­ce & negotiatiō nouuelle auec l'Euesque & Lan­sac, desquels entre autres choses le 4 de May 1573 ils obtindrēt par promesse solennelle iuree & si­gnee de leurs mains au nō de leur maistre le ty­rā. Que pour remettre la paix en France, le tyran aboliroit tout ce qui a esté fait durant les guerres ciuiles, que les fideles François pourroyent habi­ter par toute la France sans estre recerchez en leur conscience, ni contraints d'assister aux serui­ce de la Papauté Que ceux qui se voudroyent re­tirer hors de la France pourroyent vendre leurs biens, ou iouyr de leurs reuenus en terres qui ne sont ennemies de la Frāce. Que les heritiers des meurtris seroyent remis en leur bon nom & honneur nonobstant tous edicts & arrests. Que les estats des defuncts qui auroyent esté vendus, se­royent remboursez en deniers à leurs heritiers.

Que les foruscis pour la religion pourroyent r'entrer en leurs biens & honneurs, & habiter [Page 154] seurement ou bon leur sembleroit de la Fran­ce. Que les villes qui tenoyent lors la religion auroyent l'exercice libre d'icelle sans aucun con­tredit ne garnison. Que lon enquerroit diligem­mēt des meurtriers & massacreurs, & que punitiō exēplaire en seroit faite. Et que l'Euesque & Lan­sac à leur retour en Frāce feroyent de sorte que le Duc d'Aniou s'employeroit enuers le tyran pour obtenir de luy vn lieu en chascune prouince de la France, auquel l'exercice de la religion feroit librement faict.

Ces articles ainsi promis & iurez aux Polo­nois, les ambassadeurs François s'en reuindrent à la Cour du tyran pour dōner les certaines nou­uelles de l'election du Duc d'Aniou. Tost apres les estats de Poloigne enuoyerent en France pour saluer leur Roy esleu & prendre de luy le serment en tel cas requis vne ambassade fort ho­norable. Laquelle ils chargerent aussi de pour­suyure l'accomplissement de ces articles, dequoy principalement la noblesse de la religion, & six ou sept des Palatins de Poloigne leur firent tres­grande instance: estimans que de la pratique de ces articles dependoit entierement la paix de la France & vn essay de ce qu'ils deuoyent esperer en Pologne.

Ces ambassadeurs Polonois ne furent pas si tost arriuez à la Cour du tyrā, qu'apres l'auoir sa lué & son frere leur Roy esleu, deuant que parler de leurs affaires de Pologne, ils leur parlerent de remettre la paix en France & de l'y conseruer & entretenir mieux qu'ils n'auoyent fait par le passé [Page 155] Autrement ils ne voyoyent point que l'alliance auec le Frāçois peust seruir aux Polonois pendāt que la France seroit en vn tel galbuge & en vn si mauuais mesnage. Surquoy le tyran leur ayāt res­pondu qu'il auoit desia tout pacifié par son edit, leur en fit mōstrer vne copie, laquelle ayant veue & biē cōsideré les mots de l'edict le trouuāt court & captieux en tout & par tout, ny voyāt rien aussi qui fauorisast ceux de Sācerre, que les ambass. Po lonois auoyēt entendu estre extrememēt pressez, esmeus de la cōpassiō de leur fait, ils firēt instante requeste à la mere du tyran pour leur deliurance. Et trouuans là l'Euesque de Valence, ils le som­merent de sa foy donnee en Pologne touchāt les articles de la paix. Mais la mere du tyrā qui sauoit bien l'estat des poures Sācerrois, s'asseurāt qu'au­iourd'huy ou demain ils se rendroyent la hart au col à toute mercy, respondit que Sācerré estoit à vn Seigneur priué, qui auoit esté offensé par ses suiets. Et que le Roy luy auoit presté ses forces pour les chastier, & ne luy vouloit faire tort anti­cipant dessus ses droits. L'Euesque ayant auoué ce qu'il auoit promis & iuré, faisoit semblant d [...] prier pour ceux de Sancerre, affermant que ia­mais il ne fust venu à bout de sa charge enuers les estats de Pologne sans les voix, suffrages & faueu [...] des Signeurs & gentilshommes de la Religion. Cependant il prioit les ambassadeurs Polonois de luy donner relasche de deux ou trois iours, pour se pouuoir acquiter de sa promesse, & qu'ils ne doutassent nullement que les choses iroyent mieux qu'ils ne pensoyent.

[Page 156] Or vsoyent ils & la mere & l'euesque de cest ar­tifice & renuoy pour auoir cependant leur plai­sir de l'entiere euersiō des Sancerrois, qu'ils sca­uoyent comme i'ay dit estre prests à se rendre, pour euiter de mourir de male faim.

Les Polonois se voyās ainsi rēuoyez ayās appris par le bruit courant l'extremité des Sancerrois retournent le lendemain trouuer la mere Cathe­rine, la prient & l'adiurent d'auoir compassion des Sancerrois, qu'ils ne soyent pas pirement traitez que les autres, qu'on donne bien le pain aux chiens, qu'a plus forte raison le doit on four­nir aux Chrestiens. & que la cruauté est par trop grande, de vouloir faire mourir de faim ceux qui (comme ils estoyent informez) n'auoyēt en rien failly: si d'auer [...]ture o [...]ne veut appeller faute, ser­uir à Dieu purement [...] & defendre sa propre vie. Partant la supplient d'y auoir esgard.

A cela la bonne dame leur respondit, que lon traittoit leur composition & que de bref ils en au­royent quelque bon contentement.

En ces entrefaites la composition que i'ay dit de Sancerre fut faite, & portee à signer au tyran, qui en blasphemant respondit, comme il auoit desia dit quelques iours aupara [...]ant, que par la mort Dieu il ne vouloit point de composition & qu'il n'en signeroit point. Que par le ventre Dieu il les vouloit voir manger les vns les au­tres. Et de faict il ne l'eust point signee, sans c [...] que sa mere & ses plus rusez conseillers luy re­monstrerent que s'il ne signoit ceste compositiō il gastoit tout ce qu'on pouuoit attendre de la [Page 147] negociation de Pologne: que les Polognoys auec lesquels ils n'auoyent encores rien conclu estans informez d'vne telle rigueur, s'en offenseroyent grandement & seroyent biens gens pour rebros­ser leur chemin sans vouloir passer outre à leur charge.

Cela, di-ie, fut cause que le tyran la signa, Dieu luy ayant par sa prouidence fleschy le coeur pour ce regard. Voila le moyen duquel Dieu impor­tuné d'autre part par les prieres des siens, & ayant son honneur par maniere de dire engagé à leur conseruation, s'est seruy pour la deliurance de ces pouures Sancerrois. Et ne doute point aussi que les nouuelles de la venue des Polonois, dés lors qu'elles furent entendues à la Cour du ty­ran, & au camp deuant la Rochelle, comme ie t'ay dit, n'ayent esté aucunement cause de fai­re leuer le siege & d'accommoder les affaire de nos freres de la Rochelle.

L'hi.

Ce sont choses merueilleuses que les oeuures de nostre Dieu. Et à y bien penser, à vray dire, on ne se peut remettre à la memoire l'issue du [...] siege de la Rochelle, de Sancerre, & du siege de Sommieres, dont tu me parlois n'ague­res, qu'on ne voye clairement & à l'oeil que Dieu a monstré & fait paroistre: d'vne part l'in­nocence & iustice des siens: & d'autre part par consequent l'iniustice & infame desloyauté de ses ennemis. Car l'estonnement des trahisons & massacres si cruels & inopinez estoit plus que suffisant pour faire perdre le coeur aux plus vaillans & aguerris.

[Page 158] Les longs & obstinez sieges, tant de rudes & fu­rieux assauts & autres exploits & ruses de guer­re estoyent bastans pout emporter des places beaucoup plus fortes. Et toutefois Dieu a tel­lemēt pourueu aux siens par vne admirable bon­té & prouidence, & a tellement encouragé le peu qui restoit qu'ils ont fait teste à toute la force de leurs fiers & sanglans ennemis sans secours d'au cun de leurs voisins, quoy que les ennemis en ayent emprunté de toutes pars selon leur coustu­me, ayans perdu de leurs gens en ces trois sieges plus qu'ils n'auoyent perdu en toutes les trois guerres passees.

Cela me fait, quand ie le considere, esperer en­cores plus auant. Que comme Dieu par vne fa­ueur speciale, & secours extraordinaire a beson­gné iusqu'à present, qu'aussi vn iour en nos pre­sences & deuant nos yeux ou des nostres, il fera l'entiere vengeance du sang innocent respandu, & nous dōnera vn tel relasche que nous n'oseriōs demander pour luy seruit sans nulle crainte en toute paix & seureté. Ce qui le me fait ainsi croi­re outre les promesses que nous en auons en l'Es­criture, & l'essay que Dieu en a fait freschement e [...] telle deliurāce est ce que i'ay particulierement marqué en l'election du Roy de Pologne, la­quelle n'estant faite (ce sembloit) que pour as­souuir l'ambition du Duc d'Aniou, a neant­moins seruy à faire venir d'vn pays bien fort loin tain des hommes Chrestiens & genereux pour porter parole vertueusement pour le soulage­ment des bons: lors que nos affaires estoyent en [Page 157] si miserable estat que nos Patriotes & tous nos voisins nous mescognoissoyent en plain iour: & que nul d'eux ne s'osoit entremettre d'en dire vn seul petit mot, ou s'il le faisoit à l'aduenture, c'estoit par maniere d'acquit. Mais ie te prie con­te moy vn peu ce qui s'est apres ensuyui de la poursuite des Polonois.

Le pol.

Ie te diray ce que i'en scay. Apres que la composition de nos freres de Sancerre fut si­gnee par le tyran, sa mere fit entendre aux Polo­nois que les Sancerrois estoyent contens & qu'ils auoyēr ce qu'ils auoyent demāde. Et au reste que quand les Polonois en seroyēt d'aduis elle seroit bien aise de voir leur charge touchant les affai­res de Pologne parfaite & accomplie.

Les Polonois bien aises pensans que nos fre­res de Sancerre eussent esté bien traitez, mon­strerent d'auoir enuie de despecher le surplus de leurs affaires: Mais deuant que d'entrer plus auant ayant examiné & conferé l'edit du tyran auec les articles que l'Euesque & Lansac leur auoyent iuré & promis, & trouuant que l'e­dit estoit bien fort esloigné desdits articles: en ce principalement qu'ils promettent vne dili­gente inquisition & seuere punition des massa­creurs, desquels ce bel edit defend de parler seu­lement, & d'en renouueller la memoire: ils se re­solurent d'en ouurir propos au tyran. Et de faict, I'stans allé trouuer, ils luy firent vne roide & ferme instance sur l'execution desdits articles que ses ambassadeurs leur auoyent promis enson nom.

[Page 160] Mais le tyran leur respondant en vn mot leur dit qu'il n'auoit rien promis de cela, ni aussi don­né charge à personne de leur en rien promettre: les Polonoys oyans vn tel langage. & voyans là l'Euesque present, le sommerent de sa promesse luy firent recognoistre son seing apposé au bas des articles. & luy ayans demandé, qu'il dist au vray, comme il en alloit. Il confessa d'auoir signé les articles, mais que ç'auoit esté sans charge ny mandement, considerant que s'il ne les signoit, il ne pouuoit venir à bout de sa charge à son hon­neur.

L'hi.

O quel honneur, traistre pariure! hé comme il meriteroit bien des estriuieres en cui­sine.

Le pol.

Tout cela luy fut reqroché en la pre­sence du tyran par les Polonoys, lesquels irri­tez d'vn si desloyal patelinage, se partirent de la presence du tyran sans luy rien dire dauantage de ce iour-là.

L'hi.

A dire la verité, humainement parlant, le tyran eust esté vn grand sot d'auouer en c'est endroit-là mōsieur l'Euesque auec sa mitre. Car de là sensuyuroit si les articles s'obseruoyent, cō ­me il est tresraisonnable & expediēt pour le bien de paix, que monsieur le tyran, sa mere, son frere son beau pere, le Peron, ses autres conseillers & supposts seroyent traitez, comme meritent les plus lasches & vilains meurtriers, que le diable aye iamais mis en besngne depuis Cayn ius­qu'à present.

Le pol.

Cela est certain. Voila pourquoy ayāt [Page 161] pensé à ses affaires, il se garda bien d'y consentir. Mais à parler à bon escient qui voudroit exami­ner de pres la pratique du tyran, de sa mere & de l'Euesque & sauuer l'honneur de sa mitre, il trou ueroit que ce Cornu (quoy que le tyran l'ait des­auoué) n'a iamais rien promis aux Polonois tou­chant ces articles, que par commandement du ty ran, pour leur persuader en Pologne (engageant en cela sa consciēce aussi bien que Puybrac a ven du la siene par son Epistre, Ornatissimi) que le ty ran estoit biē fort homme de bien, Treschrestien & paisible, & que tant s'en faut qu'il eust iamais fait faire ou consenty à ces massacres, qu'au con­traire il seroit tousiours bien aise d'en faire faire vne diligente enqueste & punition tresrigou­reuse.

Mais maintenant que les Polonois abusez par ces piperies en sont arriuez si auant, qu'il leur est malaisé de se retracter: & que d'autre part le fait des massacres est cognu de tous estre procedé du commandemēt du tyran & de ses principaux supposts: craignant qu'on ne le prinst au mot, il le nye comme vn meurtrier.

Au reste quant aux autres articles iurez aussi aux Polonois, il est bel à voir pour la plus part, s'on les confere auec l'edit du tyran, que l'Eues­que n'en a aussi rien promis que par expres com­mandement, comme chose que le conseil du tyrā estoit desia resolu d'accorder de parole seulemēt par escrit à nos amis, pensant par là les appaiser, comme les enfans d'vne pōme: mais ne voulant que l'on pēsast que les Polonois nous eussent ap­porté [Page 162] ce meschant petit relasche', le tyran par son edit se hasta de nous l'accorder au parauant leur arriuee.

Or pour reueni [...] aux Polonois, eux estās quel que iour apres ce beau tour qui leur fut ioue, en­trez à traiter des affaires de leur Royaume: apres auoir receu le serment du duc d'Aniou, qu'il n'at tenteroit rien de parole ny de fait contre les loix de Pologne: ains les regiroit & gouuerneroit se­ [...]on icelles, ils voulurent aussi qu'il leur promist d'entretenir & laisser paisibles les Polonois en leur religion reformee Papistique & autre, telle qu'elle y est.

Et comme sur cest article, il se print à faire quelque difficulté, les ambassadeurs luy replique rent qu'il falloit donc qu'il fist son conte, qu'il ne leur seroit iamais Roy, qu'ils ne veulent point vn tyran, lequel leur force la conscience, ny vn qui sous vn faux pretexte de zele de Religion leur dissipe la paix publique, qu'ils ont enuie de nourrir.

Et insisterent tellement sur cela, qu'il fallut que le duc d'Aniou leur en passast le serment & pro­messe.

L'hi.

Ha poure gentilhomme! Il est à craindre ie t'asseure qu'il en ait blesse sa conscience, tant il fait du religieux. Que zelateur▪

Mais i'ose dire que si l'on eust requis de luy vn serment en propres termes de seruir à iamais au diable, qu'il en eust donné la parole d'aussi bon coeur, & aussi bien qu'il luy sert de fait en sa vie, plustost que d'estre repoussé d'vn Royaume si [Page 163] opulent.

Au reste on voit bien par là quelle est la Re­ligion de ceste maison de Valois. Vne partie de Pologne est pleine, comme chacun scait, d'Ana­baptistes & d'Arriens, qui sont vrays ennemis de Dieu & de son Christ nostre Seigneur: & ne­antmoins il leur va promettre de les conseruer & garder.

Il y a aussi, par grace de Dieu, vn grand nom­bre de Polonois, qui font profession de mesmes Religion que nous: il promet de les y laisser & de les y entretenir. Il fait bien quoy qu'il soit con­traint: i'en suis tresaise, Dieu soit loué.

Cependant il ne peut laisser viure ceux de sa nation, qui croyans vne mesme chose, ont tous les iours prié pour luy. Ils ne scauroyent mieux faire paroistre qu'ils n'ont aucun soucy de Dieu, que par ceste diuersité de traittement: en laquel­le ils monstrent au doigt, comme en tout le reste de leur vie, qu'ils ne font aucun conte que de leurs delices, & de ce qu'ils pensent seruir à leur grandeur, & n'employans la Religion, par manie re de dire, que comme vne maquerelle d'estat, & couuerture de leurs cruautez.

Le pol.

Il est ainsi: mais pour poursuyure, ces am­bassadeurs Polonois ayans receu ceste promesse, & s'asseurans de la luy faire bien garder & de le tenir en bride sous les loix de leur patrie, ne se pouuoyent pas bien contenter de voir la poure France si mal traitee par ceux-là qu'elle a esle­uez.

[Page 164] Partant dresserent vne requeste bien ample pleine de toutes sortes de raisons diuines & hu­maines, & de moyēs encore plus amples propres à establir la paix: & ainsi faicte & signee ils la bail lerent à leur Roy pour la presenter au tyran. Mais à ce qu on m'a fait entendre, on les renuoya tous à Mets: où le tyran auec sa cour alloit accompa­gner son frere qui s'en alloit en son exil, où Dieu la voulu releguer, pour le biē de chacun de nous. Que Dieu doint à ces bonnes gens autāt de bien & de bon heur, que nous auons souffert de mal, de malheur & de mal encontre sous ceste race de tyrans.

L'hi.

A men, par sa grace. Ie serois tresmarry qu'ils eussent le moindre mal de tous les nostres. Mais ie te prie dy moy vn peu, est-ce tout ce que tu as apprins durant le temps de ton voyage?

Le pol.

C'en est bien la plus grande partie. Mais encor y a-il quelque trait, que i'ay apprins, Dieu soit loué, qui te seruira à l'histoire: & à monstrer de plus en plus l'honnesteté de nos Valois.

L'hi.

Ie te prie, amy, dy le donques, & ne crain pas que ie le cache. Leurs actes ont bien merité qu'on n'attende apres leur mort à dire leur vilai­ne vie.

Le pol.

Tu dis vray: & c'est vne hōte, au lieu qu'vn chacun deust crier à l'eau, au feu, à l'arme, à l'aide contre ces traistres malheureux, qu'il s'en trouue encor' de si lasches qui n'osent leur tenir propos qu'en leur disant vostre clemence, vostre bonté, vostre douceur: vostre Maiesté treschrestienne: ores qu'ils sachēt qu'il n'y a schelmes plusvilains [Page 165] que ceux-cy.

L'hi.

Ie ne croy-pas qu'vn homme rond parle ia­mais de leur clemence, ny de leur bonté & dou­ceur, sachant combien ces miserables sont cruels, felons, inhumains. Quant au titre de Treschre­stien, on le deust, pour ne point flatter, changer en Archiantichrestien, pour appliquer des noms es choses qui fussent significatifs.

Le pol.

On le deut faire vrayement. Mais ie gage qu'outre ce que leurs flatteurs, & quelques autres qui s'en approchent ayans affaires à eux propha­nent ordinairement ces beaux & sacrez mots, les attribuants à ces perfides: qu'il y aura encores quelques vns des Tres-illustres princes d'Alle­magne, qui au voyage que le frere du tyran y fera s'en allant en Pologne, n'aurōt pas honte de l'en appeller & de luy faire aussi bel accueil, que l'on feroit à vn honneste homme.

Si quelcun pour legere faute se trouuant mis au bā de l'Empire, est recueilly par quelque Prince, soudain l'Empire luy courra sus. Mais à ceux­cy qui sont attains, son [...] conuaincus & condam­nez deuant Dieu & deuant les hommes, d'estre des schelmes execrables & ennemis du genre humain, sous couleur qu'ils sont des gros schelmes, vn chacun les honorera, iusques à se confederer & se liguer auec eux. Quelle misere!

L'hist.

Ne scay tu pas que le prouerbe en a donné son iugement. La censure tourmente les pigeōs, laissant aller les corbeaux libres. Mais n'entrons pas ie te prie plus auant en ceste matiere: tel luy baisera la main qui la luy voudroit voir bruslee: [Page 166] & tels ira-il visiter qu'il voudroit desia voir par terre: leur dam, s'il ne scauent choisir l'occasion que Dieu leur appreste.

Or dis maintenant ie te prie ce que tu m'as en cores à dire.

Le pol.

I'en suis content. Apres que i'eu seiourné à cause de mon indisposition quelque temps à Nismes, où nous receuions (comme ie t'ay dict) tous les iours à force nouuelles, entendāt qu'on traitoit la paix: & que les ambassadeurs Polo­nois de la Religion estoyent en chemin pour ve­nir en France, ie m'acheminay par l'auis de nos freres à Paris, où la cour du tyran estoit, pour voir vn peu sa contenance & celle de ses courtisans à leur retour de la Rochelle.

Ie trouuay à mon arriuee, qui fut sur la fin de Iuillet, que l'edit dont ie t'ay parlé estoit desia iet té au moule: tellement toutefois que de honte, quelque meschant & trupellu qu'il soit, on ne l'o soit point publier au Parlement ne dans Paris: craignant de fascher les Sires Pierres, & d'appre­ster à d'autres à rire pour leur argent tout despen du meschantement.

Cependant nos beaux assiegeurs estoyent de retour à la Cour, non pas tous, non, comme il faut croire: ains seulement les reschappez: ie par­le de nos courtisans. I'y vy les trois Rois qu'on appelle: le tyran, le roy de Pologne, & le tiers, le roy de Nauarre: qui pour rendre graces à Dieu pour la paix ou leur deliurance, ne cessoyent de le despiter & de le prouoquer à ire par leur lasci­ue puanteur & autres tels Sardanapalismes.

[Page 167] Ie sceu que ces trois beaux Sires s'estoyent fait seruir à la table en vn leur banquet solennel àdes femmes toutes nues, ausquelles apres le banquet ils bruslerent auec des torches allumees le poil de leurs parties honteuses.

Apres cela comme ils estoyent en peine de scauoir en quoy ils employeroyēt le reste de la nuit, ie sceu qu'ils auoyent mandé à Nantouillet pre­uost de Paris de leur apprester la collation, qu'ils la vouloyent aller prendre chez luy. Et que de fait ils y allerent, quelque excuse que Nantouil­let sceust alleguer pour ses deffenses.

Ie sceu qu'apres la collation, la vaisselle d'ar­gent de Nantouillet & ses coffres furent fouillez & pillez par les Rois & leurs satellites: & disoit­on dedans Paris, qu'on luy auoit pris & volé plus de cinquāte mille francs. Et qu'il eust mieux fait le bon homme de prendre à femme Chasteau­neuf, fille ioye du roy de Pologne, que de l'a­uoir refusee: qu'il eust mieux fait aussi d'auoir vē du sa terre de Nantouillet au duc de Guyse, que de se faire ainsi piller à si grands & puissans vol­leurs.

En somme ie sceu que le lendemain le pre­mier President de Paris fut trouuer le tyrā, & luy dire que tout Paris estoit esmeu pour le vol de la nuict passee: & que quelques vns vouloyent dire qu'il l'auoit fait pour rire, & qu'il s'y estoit trou­ué luy mesmes.

A quoy le tyrā respondit, que par le sang Dieu.' il n'en estoit riē & que ceux qui le disoyēt auoyēt mēty: dont le Presid [...]t trescōtent: i'en informeray [Page 168] donques, sire (repliqua-il) & en feray faire iustice. Non, non, respondit le tyran, ne vous en mettez pas en peine, & faites entēdre à Nantouillet qu'il aura trop forte partie, s'il en veut demander rai­son. Voila que ie sceu au vray quant à ce fait.

Apres ie sceu qu'vn autre iour les Rois firent dresser partie à douze de leurs courtisans, contre douze filles de ioye des plus honnestes de Paris: & que pour la mieux voir iouer, ils firent tendre en vne salle douze lits de cāp sans rideaux, ou cha cun auec sa chacune en la presence de ces Rois n'auoit pas honte de deffier ses cōpagnons à pail larder.

L'hi.

O mon Dieu, qu'est-ce que i'oy dire! hé que voila d'infames actes! Ie ne croiray iamais que Neron, Caligule, Heliogabale, & le vilain Sarda napale ayent approché que de loin à l'infameté de ceux-cy.

Le pol.

Or escoute. I'apprins à Paris d'auantage: que le tyran auoit mandé & escrit deux fois à son frere le roy de Pologne durant le siege de la Ro­chelle, qu'il deust faire estrāgler la Mole vn gen­tilhomme Prouençal, fauory du duc d'Alençon.

L'hi.

Ie le cognoy bien: & qu'elle raison en auoit il? la Mole est-il pas Papiste & le balladin de la cour?

Le pol.

Il est vray. Mais tant y a que le tyran le cō ­manda, quoy que son frere ne fit riē que mōstrer seulemēt les letres à la Mole, afin qu'il auisast vn peu de plus pres à son fait que par le passe.

L'hi.

Et ne dit on pas l'occasion qui esmeut le ty­ran à cela.

Le pol.
[Page 189]

On dit qu'il n'en auoit point d'autre que l'occasion de ialousie, de tant que la Mole estoit fauorizé d'vne ieune princesse que ie ne nomme point pour le respect de son mary, plus que le ty­ran n'eust voulu. Apres ie sceu que pour ceste oc­casion mesme, le tyran voyant que son frere n'a­uoit voulu faire despecher la Mole, fit vne nuict dessein luy-mesmes de l'estrangler dedās sa cour, où la Molle estoit retourné apres le camp de la Rochelle.

Et pour ce faire sachant que la Molle estoit en la chambre de la duchesse de Neuers dans le Lou ure, il print auec luy le duc de Guyse, & certains gētilshommes que ie te nommeray iusques à six, ausquels il commanda sur la vie d'estrangler ce­luy qu'il diroit auec des cordes qu'il leur distri­bua.

En cest equippage le tyran portant vne bugie allumee, il disposa à la sortie de la chambre de la duchesse de Neuers, ses compagnons bourreaux sur les brisees que la Mole deuoit prendre pour aller à la chambre de son maistre le duc d'Alen­çon. Mais bien seruit au poure ieune homme de ce qu'au lieu d'aller à son maistre, il descēdit trouuer sa maistresse: sans rien scauoir de la partie, la­quelle il ne pouuoit autrement eschapper qu'en descendant en bas, comme il fit au lieu de mon­ter à son maistre, comme les autres le pensoyent.

Lhi.

Voila vn ieune homme perdu, s'il ne prend garde debonne heure aux embusches dece tyran.

Le pol.

Il a beau se donner de garde: s'il ne prent l'expedient de Bodille: & s'il ne fait, comme l'on [Page 170] dit, d'vne pierre deux galands coups, deliurant soy & sa patrie de ce monstre pernicieux, & met­tant le duc en sa place: maintenant que l'autre est bien loin. Autrement cest fait de la Mole: le ty­ran iamais ne pardonne à pas vn de ceux qui le faschent, quelque mignon de cour qu'il soit. Et ie t'en diray vne preuue que possible tu ne scay pas.

L'hi.

Ie t'en supplie. Ie suis tout prest de t'escou­ter, si c'est quelque preuue nouuelle qui puisse ser uir à l'histoire.

Le pol.

Ce que ie te veux dire, n'est pas nouueau à quelques vns qui me l'ōt dit pour chose seure. La pluspart ignore le fonds de la trahison du tyran: & cecy me semble tout propre pour aider à bien l'esclaircir.

Tu scay que Lignerolles fut tué à Bloys la cour y estant, & que le bruit courut entre aucuns, que le roy de Pologne, qu'on appelloit lors Monsieur l'auoit fait tuer pour auoir descouuert au tyran vn paquet d'Espagne qui venoit à Monsieur, trai­tant de quelques intelligences secrettes auec l'Espagnol.

Autres pensoyent que c'estoit simplement Villequier, qui pour desmeller sa querelle s'estāt accompagné de ses amis, auoit anticipé sur Li­gnerolles luy en prestant vne dans le sein.

Mais voicy la vraye occasion de la mort de Li­gnerolles que i'ay apprins estant en Cour, de la bouche d'aucuns des grands, qui cuidoyent que ie fusse encores Papiste.

Le tyran & sa mere qui desiroyent sur toutes [Page 171] choses fait mourir l'Amiral & d'exterminer tout le reste des Huguenots de la France. Apres auoir cerché dés la paix de l'an 1570. parmi tous ses supposts & courtisans vn qui fust assez habile à leur tracer quelques moyens pour executer subtile­ment leur proiect, puis que la force ny auoit derien peu seruir. S'asseurans qu'il n'y auoit aucun à leur gré mieux auenant à forger vne lascheté, quelque beste qu'il soit, au reste, pour l'insigne meschanceté qu'il nourrit dans son courage, que l'Italien Birague, Garde seaux: ne voyans pas aus­si qu'il y en eust vn qui sceust mieux garder leur secret.

L'ayans fait venir à eux, luy communiquerent leur dessein & volonté: & luy donnerent charge expresse d'auiser de tout son pouuoir à leur tra­cer ce qu'il croiroit pour seruir à l'execution de leurs desirs.

Birague se voyant de tant honoré, tout aise de ce qu'on l'auoit preposé en affaire si important aux autres de sa nation, leur promit de faire en sorte qu'ils auroyent contentement.

Il ne faut pas douter (ie diray cecy en passant) qu'il ne se promist dés lors d'auoir l'estat de Chā ­celier qu'on luy a du depuis baillé en recompen­se de ce seruice.

Quelques iours se passerent durant lesquels, (comme tu peux penser) le vilain eut beau discourir tout à loysir & à part soy de ce qu'il iugeoit necessaire.

A la fin il se resolut qu'il estoit du tout expe­dient de mettre en auant de traicter & resoudre à [Page 172] quelqué marché que ce fut le mariage de la soeur du tyran auec le prince de Nauarre, afin de pou­uoir attirer par ce cordeau les Huguenots, l'A­miral auec la Noblesse à la discretion de la cour. Que pour faciliter cest affaire, il ne falloit nulle­ment pardonner à beaux semblants, presens, pro­messes, & autres telles attrapoires & cau benitede cour iusques qu'on les vist dans Paris, où la cour pour ceste occasion se remueroit au besoin: eux y estās venus, recueillis & caressez qu'il falloit pour le temps des nopces leur dresser vn fort à plaisir bien troussé & bien equippé, comme à mode de guerre, au Pré aux clercs, ou pres des Tuyleries, sous couleur de faire exercer les courtisās, les vns à assaillir, les autres à deffendre le fort pour l'es­bat & passe [...]emps des dames. Qu'il estoit de be­soin de faire que l'Amiral fust le chef des assail­lans: & qu'il fust suyui des gentils hommes de la Religion, qui lors se trouueroyent en cour, des­quels il ne falloit pas douter qu'il ne s'en trouuast vn bon nombre: & que ceux qui deffendroyent le fort fussent des plus feaux & asseurez courtisans, Capitaines & soldats du tyran: desquels les chefs auroyent le mot de guet de tout ce qu'il leur fau­droit faire. Qui seroit, selon son auis, de charger à plomb leurs harquebouzes, les encarrer & tirer droit à l'Amiral & à ceux de sa trouppe, leur cour re sus à bon escient, & les tuer, comme qu'il en fust, apres auoir fait quelque semblant au com­mencement de combatre & de se deffendre seule ment pour le plaisir.

Que cela fait on viendroit facilement à bout [Page 173] des autres Huguenots quelque part qu'ils se re­tirassent. Quant à la couuerture du fait, lors qu'il seroit executé, qu'on trouueroitassez de pretexte, qu'il n'y auoit pas faute de quelque grosse conspiration, dont on les prouueroit autheurs, pour leut ietter le chat aux iambes.

Apres que Birague se fut resolu de la sorte, luy semblant qu'on ne pouuoit mieux, il fit entendre au tyran & à sa mere tout ce qu'il en auoit tracé. Eux considerans que l'affaire seroit assez bien cō ­duit, s'on le demenoit de la sorte, apres auoir fait à Birague quelques difficultez sur la forme, & sur la matiere: & le moyen de l'exploiter, se resolu­rent à la fin de suyure ce chemin là & ces brisees par l'auis mesme du comte de Rets, à qui ils le cō muniquerent, qui s'y accorda de tout point. Si mi rent le mariage sur les rengs, & firent tout ce que tu scay, pour tirer les nostres en cour.

Quelques iours apres ceste resolution le tyran la voulant faire entendre à son frere le duc d'An­iou, le fit coucher auec luy, comme il a de coustu­me, quand il le veut entretenir de quelque chose d'importance. Et luy ayant communiqué tout, le fit iurer & promettre de n'en iamais rien reueler, d'auoir seulement bon courage, qu'il s'asseuroit d'en voir le bout.

Le duc d'Aniou trouuant ceste entreprise bien difficile à digerer, se dispensa de lacommuniquer à Lignerolles sous vn grād & profond silēce, que Lignerolles luy iura.

Afin que Lignerolles qui estoit son plus grand mignō, selon le iugemēt & discours qu'il en pour [Page 174] roit faire, luy dit librement son auis, apres y auoir bien pensé pour mieux faciliter l'affaire.

Mais comme Lignerolles, ne trouuant rien à redire à vne trahison si bien proiectee, luy fist la chose biē aisee: sans en rien parler d'auātage leur dessein demoura couuert. Iusqu' à ce qu'vn iour le vieux Briquemaut, qui solicitoit auec Teligny & les autres les affaires de la Religion à la Cour: estant allé parler au tyran pour auoir quelque iu­stice des meurtres commis à Rouen sur les fide­les apres la paix, & le trouuant froit & restif d'en commander le chastiemeut: s'auança de dire au tyran qu'il seroit à craindre, s'il n'en faisoit faire vengeance, que les Papistes deuinssent si insolens qu'ils se permissent encores d'auantage, & que les Huguenots ne les pouuans supporter fussent contraints de re courir aux armes, s'ils n'y voy­oyent autre moyen d'en auoir iustice: dont s'en­suyuroit qu'on retourneroit en guerre aussi forte qu'au parauant.

Ce langage esmeut le tyran à commander au mareschal de Montmorency de s'en aller iusqu' à Rouen, pour voir de remedier à tout.

Cependant Briquemaut s'en estant allé de la presence du tyran: le tyran fit vuider sa chambre pour pouuoir blasphemer à l'aise & se despiter tout seul.

Lors que Lignerolles estant admis dans la chambre du tyran pour luy parler de quelque af­faire, le trouuant esmeu de cholere, s'auança de luy demander tout doucementt l'occasion de [Page 175] son mal talent: qu'il estoit aisé à iuger que sa Maiesté estoit esmeue.

Ventre-Dieu, ce dit le tyran, & qui ne seroit en cholere? d'ouyr ce bougre de Briquemaut, (ainsi appelle-il le plus souuent les gens de bien) me brauer & me menacer que ie suis pour rentrer en guerre, si ie ne punis ceux de la ville de Rouen.

He Sire, respond Lignerolles, & ne pourriez vous attendre sans vous tant fascher de ces cho­ses, l'assaut & deffense du fort.

Or cela disoit Lignerolles pensant rappaiser le tyran, & luy voulant faire sentir qu'il auoit eu part au Conseil, se mōstrant par là aussi sot, qu'il se cuidoit estre habile.

Le tyran l'entendant ainsi parler, se doutāt d'e­stre descouuert: Quel fort, repliqua-il, mort-dieu ie ne scay que vous voulez dire. Le fort Sire, dit Lignerolles, du iour des noces que scauez.

Le tyran en ayant ouy plus qu'il n'eust voulu, changeant de propos, renuoya Lignerolles, qui s'auisa possible bien tard qu'il auoit vn peu trop parlé.

Soudain apres le tyran ayant mandé sa mere, luy demanda s'elle auoit descouuert leur pot aux roses, que par le sang quelqu'vn en auoit ia parlé. Mais trouuant que sa mere n'en auoit rien dece­lé, il fit venir le comte de Rets, auquel d'abordee il va dire: Petit vilain, par le sang Dieu, ie t'ay [...]ait trop grand, petit belistre: mais ie te fe­ray bien si petit, qu'on ne te verra pas sur terre: [Page 176] tu descouures mes secrets, Bougre, ie me don­ne, &c.

Ce poure vilain du Peron se voyant ainsi ru­doyé, plus mort que vif & tout tremblant, com­mença à respondre au Sire, que iamais il n'auoit pensé seulement d'en ouurir la bouche: le suppli­ant de le faire pendre, s'il trouuoit qu'il ne fust ainsi.

Le tyran ne sachāt que dire, s'en alla lors trouuer son frere, luy demandāt s'il n'auoit point par­lé à quelcun de cest affaire. Et comme son frere, en le suppliant de luy pardonner luy eust confes­sé qu'il s'en estoit descouuert à Lignerolles, & non à autre, le cognoissant homme secret & de discours, afin d'en auoir son auis pour mieux exe cuter le cas. I'ay bien cognu, dit le tyran, que qu el cun luy auoit parlé: vous m'auez fait vndesplaisir qui me gardera de vous rien plus dire▪ quant à Li gnerolles, c'est vn sot, il faut qu'il meure. Car es­coutez ie ne veux pa [...] qu'il en ouure iamais la bouche.

Le duc d'Aniou, cognoissant sa faute, celle de Lignerolles & la cholere du tyran, ne sceut autre chose que dire, sinon qu'il ne s'y opposoit pas. Dés ceste heure-là le tyran ayant fait venir à soy son frere bastard le Cheualier, luy cōmanda d'al­ler trouuer le ieune Villequier, de luy fournir six ou sept bons hommes pour escorte, & luy dire de sa part que par le sang il estoit lasche, couard & recreu de courage, s'il n'essoyoit à auoir raison de Lignerolles, qui luy auoit fait tort.

[Page 177] Le Cheualier ne fallit pas à s'acquitter bien de sa charge, laissant Villequier resolu, armé & accō pagné de mesmes. Mais Villequier en trouuant Lignerolles, seigna du nez sans l'oser attaquer comme le tyran desiroit.

Qui fut cause que le tyran l'ayant sceu manda querir Villequier, & apres luy auoir dit des pouil les, luy defendit de se trouuer iamais deuant luy, s'il ne tuoit à ce coup Lignerolles: luy donna vne espee bonne & bien trenchāte & l'arma luy­mesmes de son iacque de maille, cōmandant au cheualier de l'accōpagner mieux que la premie­re fois de gens, qui ne fissent point faute de tuer bien mort Lignerolles, & qu'il le leur dist de sa part. Ce commandement fait, la partie fut dres­see de nouueau en laquelle le Cōte de Mansfeld papiste qui pour lors estoit à la Cour & S. Iean de Montgomery & quelques autres gentilshom me accompagnerent Villequier, qui estant allé tout resolu trouuer le poure Lignerolles, l'atta­qua de cul & de teste, le blessa, & comme il s'en fuyoit la bonne aide de sa quadrille l'ataignit & porta par terre d'vn coup d'espee à trauers le corps. Ainsi mourut le beau fils Lignerolles l'vn des fauoris de la Cour.

Quant au dessein, que ie t'ay dit basty par le garde-seaux Birague, cōbien que lon dressa suy­uant sa trace, le fort pour le temps des nopces: toutesfois, pource que l'on sentit que l'Amiral ne vouloit point estre de la partie, & que bien peu de noblesse de la Religion y vouloit assi­ster: le tyran fut contraint, pour assouuir son las­che [Page 178] desir, de prendre vn autre expedient par l'ad­uis de ces premiers conseilliers & du Duc d'Au­male & de Neuers, ausquels il communica le fait vn peu auant les nopces.

En ces entrefaites le Duc de Guise, qui doutoit que l'Amiral auquel il portoit particuliere inimi­tié, luy eschappast & qu'il se retirast de la Cour, comme il en auoit enuie, luy fit tirer le coup d'arquebousade que tu scay le vendredy deuant le massacre. Qui fut cause qu'ils changerent en­cores leur proiect, faisans à l'oeil & selon l'oc­currence (au desceu de ceux à qui ils auoyent cil lé les yeux auec leurs caresses de Cour) leur trai­stresse & desloyalle guerre sur les gens de bien, mal-auisez. Voila ce qu'en i'en ay peu apprendre de plus veritable en la Cour.

Historiog.

Ce fait est autant remarquable que nul autre de ceux que tu m'as recité a fin que vn chascun cognoisse la désloyauté des tyrans: & que les Courtisans apprennent ce qu'ils en doyuent esperer.

Le pol.

C'est merueille qu'en voyant tant d'e­xemples apparens, voyant le danger present, personne ne se veut faire sage au moins aux des­pens d'autruy: & que de tant de gens qui s'ap­prochent si volontiers des tyrans, il n'y a pas vn qui ait l'auisement & la hardiesse de leur di­re, ce que dit le regnard au lion (qu'on dit estre le Roy des bestes, qui faisoit, comme dit le conte, le malade dans sa tasniere) ie t'irois voir luy dit-il (Sire) & bien souuent de bon coeur: mais ie voy tant de traces de bestes qui vont en [Page 179] [...]uant vers toy & en arriere qui reuienent ie n'en voy pas seul ement vne.

L'hist.

Si feu monsieur l'Amiral eust sceu ce conte & qu'il eust parlé en regnard, il nous en eust à tous mieux pris. Mais la brebis com­me tu scay, ne scait rien faire que beeler, & ne scachant auec les loups hurler pour desguiser sa voix, elle n'a garde d'eschapper. Mais quant à ces autres Courtisans. quel remede?

Quand ces miserables voyans reluire le thre­sor du tyran, qu'il tire de la sueur du peuple, & de la despouille des bons, regardent rous e­stonnez les rayons de sa brauerie: & allechez de ceste clarté s'approchent de luy, sans regarder qu'ils se mettent dans la flamme qui ne peut fail­lir à les consumer.

Ainsi le Satyre indiscret voyant, comme di­sent les fables anciennes, esclairer le feu trou­ué par Promethee, le trouua si beau qu'il l'alla baiser & s'y brusler.

Ainsi le Papillon qui espere iouyr de quel­que grand plaisir se met au feu de la chandelle, qu'il voit estre clair & luysant, esprouuant en iceluy son autre vertu qui le brusle.

C'est vne chose bien certaine que ces co­quins mendie-faueurs souffrent vne peine in­credibile, à qui y regarde de pres: estans con­trains d'estre nuict & iour apres à songer pour plaire au tyran, & se rompre, se tuer, & tra­uailler pour inuenter nouueaux moyens de tra­hir, de tuer, de paillarder, de piller, de desro­ber, & qu'ils laissent leur goust pour le sien, [Page 180] & neantmoins se craindre de luy plus que de tout homme du monde: auoir tousiours l'oeil au guet, l'oreille aux escoutes pour espier d'ou viendra le coup, pour descouurir les embus­ches, pour sentir la mine de ses compagnons, pour aduiser qui le trahist, rire à chascun, se craindre de tous, n'auoir aucun, ny ennemy ouuert, ny amy asseuré, ayant tousiours le visa­ge riant & le coeur transy, ne pouuant estre ioy­eux, & n'oser estre triste.

Le pol.

Tu as descrit en deux mots, la vie de ces miserables. Mais pour en parler à bon escient & ne plus flatter le dé, comme l'on dit, tout ainsi que la Repub de laquelle les Roys philosophent ou en laquelle les Philosophes sont gouuerneurs (selō le dire de Platon) est heureuse sur toutes au­tres: Et que c'est vn tresgrand heur d'estre suiet à vn bon Prince qui soit suiet à la loy, laquelle ait pour seure garde de peur qu'elle ne soit violee, quelques estats ou parlemēs. Ainsi que iadis no­stre Frāce, & cōme encores quelques vns de nos voisins l'ont pour ce iourdh'uy parmy eux. Aussi est-ce vne grāde misere de demeurer sous laserui tude d'vn tyran, chasseur desloyal, & d'vn conseil de mesme estoffe, qui ne garde ni foy, ni loy, au­cune equité ou droiture, non pas mesme l'huma­nité, ni les loix que nature imprime dans le coeur des plus malotrus. C'est (di-ie) vn extreme mal­heur non seulemēt pour les Courtisans: ains aussi pourtous les François de quelque religion & cō dition qu'ils soyēt d'estre suiets à vn maistre, du­quel on ne peut iamais s'asseurer qu'il soit bon, [Page 181] puis qu'il est tousiours en sa puissance d'estre mauuais quād il voudra, & d'auoir plusieurs tels mai­stres: c'est autant qu'on en a estre autant de fois extremement mal-heureux. Mais ie scaurois volō tiers, comme il se peut faire que tant d'hommes, tant de bourgs, tāt de villes & tant de prouinces, endurent si long tēps vntyran seul, qui n'a moyen que celuy qu'on luy donne, qui n'a puissance de leur nuire, sinon tant qu'ils ont vouloir de l'endurer, qui ne scauroit leur faire malaucun, sinō alors qu'ils ayment mieux le souffrir que luy contredi­re? Tant plus i'y pense, plus i'en suis esbahy.

L'hi.

Et moy de mesmes, ie t'asseure. Mais ie te prie, mon grand amy, que i'aye ce bien main­tenant de t'ouyr sur ceste matiere, faire vn peu le prestre Martin. Ce suiet est propre à ce temps & ie scay bien que tu l'entens aussi bien qu'hom­me de nostre aage. Commence, ie t'escouteray, i'ayme mieux veiller toute nuict.

Le pol.

I'en suis content: aussi bien y a il long temps que i'en suis si gros, que ie creue d'enuie que i'ay d'en fanter ce que ie sens de c'est affaire: Mais ie proteste bien que ie n'en parleray point comme les Huguenots en parlent, ils sont trop doux & trop seruiles: i'en parleray tout ample­ment en vray & naturel François, & comme vn homme peut parler des choses suiettes à son iu­gement, voire au sens commun de tous hommes: a fin que tous nos Catholiques, nos patrio­tes & bons voisins & tout le reste des François qu'on traite pire que les bestes, soyent esueillez à ceste fois pour recognoistre leurs miseres, & [Page 182] auiser trestous ensēble de remedier à leurs mal­heurs. A la verité dire, mon compagnon, c'est vne chose bien estrange de voir vn million de milliōs d'hommes seruit miserablemēt ayans le col sous le ioug, non pas cōtraints par vne plus grād forc [...]: mais aucunemēt (ce me semble enchātez & char mez par le nō seul d'vn, duquel ils ne doyuent ne craindre la puissance, puis qu'il est seul: ne aimer les qualitez, puis qu'il est en leur endroit inhu­main & sauuage.

La noblesse d'entre nous hōmes est telle, qu'el le fa it souuēt que nous obeissons à la force: il est besoin de temporiser, nous ne pouuons pas tous iours estre les plus forts. Si dōques vne natiō est contrainte par la force de la guerre de seruir à vn (comme la cité d'Athenes, aux 30. tyrans) il ne se faut esbahir qu'elle serue: mais se plaindre de l'accident, ou plustost ne s'esbahir ny ne s'en plain­dre: ains porter le mal patiemment & se reseruer à l'auenir à meilleure fortune.

Nostre nature est ainsi, que les communs de­uoirs de l'amitié emportent bōne partie du cours de nostre, vie. Il est bien raisōnable d'aimer la vertu, d'estimer les beaux faits, de recognoistre le biē d'où l'on la receu, & diminuer souuent nostre aise pour augmēter l'hōneur & auātage de celuy qu'on aime & qui le merite. Ainsi donc si les ha­bitans d'vn pays ont trouué quelque grād person nage qui leur aye monstré par espreuue vne grande prouidence pour les garder, vne grande har­diesse pour les defendre, vn grand soin pour les gouuerner: si de là en auant ils s'appriuoisent de [Page 183] luy obeir & se fier tant de luy que de luy donner quelque auantage (ie ne scay si ce sera sagesse de l'oster de là où il faisoit bien pour l'auancer en vn lieu où il pourra mal faire) mais il ne peut faillir d'y auoir de la bonté du costé de ceux qui l'esleuent, de ne craindre point mal de ce­luy de qui on n'a receu que bien.

Mais bon Dieu! Que peut estre cela? Com­ment pourrons-nous dire que cela s'appelle? Quel mal-heur est celuy-la? Quel vice? ou plus­tost, quel mal-heureux vice? voir vn nombre in­fini de personnes, non pas obeir, mais seruir, non pas estre gouuernees, mais tyrannisees: n'ayans ni biens, ni parens, ni femme, ni enfans, ni leur vie mesmes qui soit à eux. Souffrir les paillardi­ses, les pilleries, les cruautez, non pas d'vne ar­mee, non pas d'vn camp Barbare, contre lequel il faudroit despendre son sang & sa vie, mais d'vn seul, non pas d'vne Hercule, ne d'vn Samson, mais d'vn seul hommeau le plus lasche & femelin de toute la nation. Non pas accoustumé à la pou­dre des batailles, mais encores à grand peine au sable des tournois. Non pas qui puisse par force commāder aux hommes, mais tout empesche de seruir vilemēt à la moindre femellette. Appelle­rōs-nous cela lascheté? Dirons nous que ceux la qui seruent à vn si lasche tyran soyent couars & recreuz?

Si deux, si trois, si quatre ne se deffendent d'vn, cela est estrange & possible pourra-l'on bien dire lors à bon droit que c'est faute de coeur. Mais si [Page 184] cent, si mille endurēt d'vn seul, ne dira l'on point qu'ils ne veulent, non pas qu'il n'osent, se prēdre à luy: Et que c'est non couardise, mais plustost mespris ou desdain. Si l'on voit, non pas cēt, non pas mille hommes: mais cent pays, mille villes, vn million d'hommes n'assaillir pas vn seul, du­quelle mieux traitté de tous en reçoit ce mal d'e­stre serf & esclaue: Comment pourrons-nous nommer cela? Est-ce lascheté? Or y a-il en tous vices naturellement quelque borne, outre laquel le ils ne peuuent passer. Deux peuuent craindre vn: & possible dix le craindront: Mais mille, mais vn million, mais mille villes si elles ne se defen­dent d'vn? Ce n'est pas couardise, elle ne va pas iusques la: non plus que la vaillance n s'estend pas qu'vn seul eschelle vne seule forteresse, qu'il assaille vne armee, qu'il conquiere vn Royaume, Donc quel mōstre de vice est cecy, qui ne merite encore pas le nō de couardise, qui ne trouue pas de nom assez vilain, que nature desauoue auoir fait, & la longueur refuse de le nommer.

Qu'on mette d'vn costé cinquante mille hom mes en armes: d'vn autre autant, qu'on les range en bataille, qu'ils viennent à se ioindre, les vns combatans pour leur franchise, les autres pour la leur oster: ausquels promettra-on par cōiectu­re la victoire? Lesquels pensera l'on qui plus gail lardement iront au combat? ou ceux qui esperent pour le guerdon de leur peine l'entretenemēt de leur liberté? Ou ceux qui ne peuuent attēdre au­tre loyer des coups qu'ils dōnent, où qu'ils reçoi­uent, que la seruitude d'autruy?

[Page 185] Les vns, ont tousiours deuant les yeux le bon heur de la vie passee, l'attente de pareil aise à l'a­uenir, il ne leur souuient pas tant de ce qu'ils en­durent ce peu de temps que dure vne bataille, comme de ce qu'il cōuiendra à iamais endurer à eux, à leurs enfans, & à toute leur posterité.

Les autres n'ont rien qui les enhardisse, qu'v­ne petite pointe de leur conuoitise, qui se rebou­che soudain cōtre le dāger, & qui ne peut estre si ardente, qu'elle ne se doiue (ce semble) esteindre par la moindre goutte de sang, qui sorte de leurs playes.

Aux batailles tant renommees de Milciades, & de Themistocles, qui ont esté donnees deux mille ans y a, & viuent encore auiourdhuy, aussi fresches en la memoire des liures, & des hōmes, comme si c'eust esté l'autr'hier, qui furent don­nees en Grece, pour le biē de Grece, & pour l'ex­emple de tout le mōde, & qu'est-ce qu'on pense qui donna à si petit nombre de gens, comme e­stoyent les Grecs, non le pouuoir, mais le coeur de soustenir la force de tant de nauires, que la mer mesmes en estoit chargee, de deffaire tant de nations, qui estoyent en si grand nombre, que l'e scadron des Grecs, n'eust pas fourny seulement de Capitaines aux armees des ennemis: sinon qu'il semble que ces glorieux iourslà, ce n'estoit pas tant la bataille des Grecs contre les Perses, cōme la victoire de la liberté, sur la domination, de la franchise, sur la conuoitise.

C'est chose estrange, d'ouyr parler de la vail­lance que la liberté met dans le coeur de ceux qui [Page 186] la defendent.

Mais ce qui se fait tous les iours deuant nos yeux, en nostre France. Qu'vn homme mastine cent mille villes, & les priue de leur liberte, qui le croiroit, s'il ne faisoit que l'ouyr dire, & non le voir? Et s'il ne se voyoit qu'en pays estrange, & lointaines terres, & qu'on le dist, qui ne pēseroit que cela ne fust plustost feint ou trouué, que non pas veritable? Encores ce seul Tyran, il n'est pas besoin de le combatre, il n'est pas besoin de le deffaire, il est de soy-mesme desfait: mais que le pays ne consente pas à sa seruitude: il ne faur pas luy oster rien, mais ne luy donner rien: il n'est pas besoin, que le pays se mette en peine de faire rien pour soy, mais qu'il s'estudie à ne rien faire con­tre soy.

C'est donques le peuple mesme, qui se laisse, ou plustost se fait gourmander, puis qu'en ces­sant de seruir, il en seroit quitte.

C'est le peuple qui s'asseruit, qui se couppe la gorge: qui ayant le choix, ou d'estre serf, ou d'e­stre libre, quitte sa franchise, & prent le ioug, & pouuant viure sous des bonnes loix, & sous la protection des Estats, veut viure sous l'iniquité, sous l'oppression & iniustice au seul plaisir de ce Tyran. C'est le peuple qui consent à son mal, ou plustost le pourchasse: s'il luy coustoit quelque chose à recouurer sa liberté, ie ne l'en presserois point: combien qu'est ce que l'homme doit auoir plus cher, que de se remettre en son droit na­turel, & par maniere de dire de beste reuenir homme?

[Page 187] Mais encore ie ne desire pas en luy vne si grande hardiesse, ie luy permets, qu'il aime mieuxvne ie ne scay quelle seureté de viure miserablement, qu'vne douteuse esperance de viure aise.

Quoy si pour auoir la liberté, il ne luy faut que la desirer? S'il n'est besoin, que d'vn sim­ple vouloir, se trouuera-il nation au monde, qui l'estime trop chere, la pouuant gaigner d'vn seul souhait? & qui pleigne sa volonté à recou­urer le bien, lequel on deuoit racheter au prix de son sang, & lequel perdu tous les gens d'hon­neur, doyuent estimer la vie desplaisante, & la mort salutaire.

Certes tout ainsi, que le feu d'vne petite e­stincelle, deuient grand, & tousiours se ren­force: & plus il trouue de bois, plus il est prest d'en bruler. Et sans qu'on y mette de l'eau pour l'esteindre, seulement n'y mettant plus de bois, n'ayant plus que consumer, il se consume soy­mesmes, & vient sans force aucune, & n'est plus feu. Pareillement les Tyrans plus ils pillent & exigent, plus ils ruynent & destruisent, plus on leur baille, plus on les sert, de tant plus ils se for­tifient, & deuienent tousiours plus fors, & plus frais, pour aneantir & destruire tout, & si on ne leur baille rien, si on ne leur obeyt point, sans cō ­batre, sans frapper, ils demeurēt nuds & desfaits, & ne sont plus rien, sinon comme la racine estant sans humeur, ou aliment, la branche deuient se­che, & morte.

Les hardis, pour acquerir le bien qu'ils deman dent, ne craignent point le danger, les auisez ne [Page 188] refusent point la peine. Les lasches & estourdis ne scauēt ny endurer le mal, ny recouurer le biē, & s'arrestent en cela de le souhaiter. La vertu d'y pretendre leur est ostee par celle lascheté: le desir de l'auoir, leur demeure par la nature. Cedesir ceste volōté, est commune aux sages & aux indiscrets, aux courageux, & aux couards, pour souhaiter toutes choses, lesquelles estans acqui­ses, les rendront heureux & contens. Vne seule chose en est à dire, en laquelle, ie ne scay comme nature defaut aux hommes pour la desirer, c'est la liberté, qui est toutefois vn bien si grand & si plaisant, qu'elle perdue, tous les maux vienent à la file, & les biens mesmes qui demeurent apres elle, perdent entierement leur goust, & saueur, corrompus par la seruitude.

La seule liberté, les hommes ne la desirent point, non pas pour autr [...] raison (ce semble) si­non que s'ils la desiroyent: ils l'auroyent comme s'ils refusoyent faire ce bel acquet, seulemēt par ce qu'il est trop aise.

Poures & miserables François, peuple insen­se! nation opiniastre en ton mal, & aueuglee en ton bien! vous vous laissez emporter deuāt vous le plus beau, & le plus clair de vostre reuenu, pil­ler vos chāps, voller vos maisons, & les despouil ler de meubles anciens & paternels, vous viuez de sorte, que vous ne vous pouuez vāter que rien soit à vous. Et sembleroit que meshuy, ce vous seroit grād heur, de tenir à mestayrie vos biens, vos familles, & vos vies. Et tout ce desgast, ce mal-heur, ceste ruine, vous vient non pas des en­nemis, [Page 189] mais certes bien de l'ennemy, & de celuy que vous faites si grād, qu'il est, pour lequel vous allez si courageusement à la guerre, pour la grandeur duquel ne refusez point de mettre à la mort vos personnes. Celuy qui vous maistrise tant, n'a que deux yeux, n'a que deux mains, n'a qu'vn corps, & n'a autre chose, que ce qu'a le moindre hōme du grād & infiny nombre de vos villes. Si­non qu'il a plus que vous tous, vn coeur desloyal, felon, & l'auantage, que vous luy donnez pour vous destruire, d'où a-il pristant d'yeux, dont il vous espie? si vous ne les luy baillez. Comment a-il tant de mains pour vous frapper? s'il ne les prent de vous? les pieds, dont il foule vos citez, d'où les a-il, s'ils ne sont des vostres? Comment a-il aucun pouuoir sur vous, que par vous? com­ment vous oseroit-il courir sus, s'il nauoit intel­ligence auec vous? que vous pourroit-il faire, si vous n'estiez recelateurs du larrō qui vous pille, complices du meurtrier qui vous tue, & traistres à vous-mesmes.

Vous semez vos fruicts, afin qu'il en face des­gast, vous meublez & remplissez vos maisons pour fournir à ses pilleries & volleries, vous nour rissez vos filles, afin qu'il ait dequoy rassasier sa luxure: vous nourissez vos enfans, afin que pour le mieux qu'il leur scauroit faire, qu'il les mene en ses guerres, qu'il les conduise à la boucherie, qu'il les face les ministres de ses conuoitises, les executeurs de ses vengeances, & bourreaux des consciences de vos concitoyens: vous rompez à la peine vos personnes, afin qu'il se puisse mig­narder [Page 190] en delices, & se vcautrer dans les sales & vilains plaisirs: vous vous affoiblissez afin de le rē dre plus fort, & roide à vous tenir plus courte la bride.

De tant d'indignitez, que les bestes mesmes ne les souffriroyent point, vous pouuez vous en deliurer si vous essayez, non pas de vous en deli­urer: mais seulement de le vouloir faire. Soyez resolus de ne seruir plus, & vous voyla libres, ie ne veux pas que vous le poussiez, ou esbranliez: mais seulement ne le soustenez plus, & vous le verrez comme vn grand Colosse, à qui on a des­robé la base, de son poix, de soy-mesme fondre en bas & se rompre.

L'hist.

Il n'y a rien de plus veritable entre les choses humaines, que ce que tu viēs d'enseigner: que pleut à Dieu, que ces beaux mots eussent pie ça esté semez au beau milieu d'vne grande assemblee de nos Catholiques François, ie m'asseure, qu'ils y auroyent esté fort bien recueillis, & qu'il n'y auroit celuy d'entre eux, qui n'en fist bien son profit: nul auquel ils ne creassent par maniere de dire, vn nouuel esprit dans le ventre. Et quoy que le peuple François semble auoir perdu long tēps y a toute cognoissance, & que par là on puis­se iuger, que sa maladie soit cōme mortelle, puis qu'il ne sent rien plus son mal: si est-ce, que i'o­serois promettre, que ce discours vn peu dilaté, & accompagné de raisons, & d'exemples & de quelque belle forme d'administration de l'estar, de la iustice, & de la police, approchante à celle [Page 191] que nos anciens Peres auoyent parmy eux, du temps que les Estats estoyent en regne, dont M. Hottoman nous a fait vn fort gentil & riche re­cueil en son oeuure Gaulefrançoise, i'oseroy (dis­ie) asseurer que cela reueilleroit les coqs, leur fe­roit hausser les crestes, battre les aisles, & courir sus de bec & d'ongles, contre ceux-là qui les tie­nent captifs: & seroit suffisant moyen pour faire qu'vn chacun pēsast à recouurer sa liberté, à crier apres les Estats à les redresser, & remettre. On verroit bien tost l'aage d'or, que les Tyrās ont ef­facé de France, pour y planter celuy de fer, d'op­pression, & d'infameté, reluire comme au para­uant, la paix, l'amitié & concorde surgir & croi­stre à veué d'oeil, & faire à iamais sa demeure par my nos naturels François: he que cest vne grand pitie! qu'vne si belle nation, si grande & si opulen te, soit par si long temps mal menee, à l'appetit de six ou sept: desquels le meilleur ne vaut pas qu'on prenne peine de le pendre. Mais ie scau­rois fort volontiers, s'il te plaisoit de me le dire, comment c'est, que tous nos François se sont ain si laisse deschoir, & comme ceste opiniastre vo­lonté de seruir s'est si auant enracinee dans leurs mouelles, qu'il semble maintenant, que la me­moire de la liberté ne soit pas si naturelle.

Le pol.

Si ie n'estois accablé de sommeil, ie te discourrois bien au long, d'où procede la mala­die & la matiere peccāte d'icelle. Mais ie t'asseu­re l'amy, que i'ay les yeux pieça cillez, & les le­ures comme cousues. Nous aurons demain bon [Page 192] loisir: ie suis d'auis si tu le veux, que nous s [...]iour­nions nos cheuaux, en attendant qu'vn Courrier viene, que nos freres du Languedoc me doyuent enuoyer bien tost.

L'hist.

Quel courrier est-ce? le cognoistroye ie point?

Le pol.

C'est Spoudaee. Ie croy bien que tu le cognoy.

L'hist.

Mon Dieu! he ie ne cognoy autre. Il n'a garde de faillir à nous apporter des nou­uelles.

Le pol.

C'est pour cela qu'on me l'enuoye, & ie l'ay chargé à mon despart, de passer par cy har­diment, & de s'enquerir de mes nouuelles, en ce logis cy où nous sommes.

L'hist.

Cola va bien, que i'en suis aise! attēdons le plustost trois iours.

Le pol.

Ie le veux bien. Le Seigneur nous face la grace de reposer en seureté, & nous doint à nostre resueil, de le seruir, en toute crainte, au nom de son fils nostre Seigneur Iesus Christ.

L'hist.

Ainsi soit-il.

FIN.

Fautes à corriger.

Page 24. ligne, 17. à ses, lisez assez. pag. 32. lig. 27. aussi: lisez. Aussi la. pag. 66. lig. 15. commissai­re: lisez Clerc de commissaire. pag. 152. lig. 24. preceder: lisez proceder. lig. suyuante, lisez auoyent. lig. suyuante, lisez pretendoyent. pag. 160. lig. 30. qe. lisez ait.

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