Larme seconde, COMPLAINTE DE MADAMOYSELLE ANNE DE ROHAN, SVR LA MORT DV GRAND Roy, HENRY IIII.
1
QVoy? faut-il que HENRY, ce redouté Monarque
Ce domteur des humains, soit domté par la Parque?
Que l'oeil qui vit sa gloire, ores voye sa fin?
Que le notre pour luy incessamment degoute?
Et que si peu de terre, enferme dans son sein
Celuy qui meritoit de la posseder toute?
2
Quoy? faut-il qu' à iamais, nos ioyes soyent eteintes?
Que nos chants & nos riz soient conuertis en plaintes?
Qu'au lieu de notre Roy, le dueil regne en ces lieuz?
Que la douleur nous poigne, & le regret nous serre?
Que sans fin nos soupirs montent dedans les cieuz?
Que sans espoir nos pleurs descendent sur la terre?
3
Il le faut, on le doit; Et que pouuons-nous rendre,
Que des pleurs assidus à cete auguste cendre?
Arrousons à iamais son triste marbre blanc:
Non, non, plutost quittons ces inutiles armes;
Mais puis qu'il fut pour nous prodig [...]e de son sang,
Serions nous bien pour luy, auares de nos larmes?
4
Quand bien nos yeuz seroient conuertis en fontaines,
Ils ne sauroient noyer la moindre de nos peines,
On [...]panche des pleurs pour vn simple meschef;
Vn deuoir trop commun, bien souuent peu s'estime▪
Il faut donques mourir auz piez de notre Chef▪
Son tombeau soit l'autel, & nos cors la victime.
5
Mais qui pourroit mourir? Les Parques filandieres
Dedaignent de toucher à nos moites paupieres,
Ayans fermé les yeuz du Prince des guerriers,
Atropos de sa proye est par trop glorieuse,
Elle peut bien changer ses Cyprez en Lauriers,
Puis que de ce vainqueur elle est victorieuse.
6
Puis qu'il nous faut encor, & soupirer & viure
Puis que la Parque fuit ceuz qui la veulent suiure,
Viuons donc, en plaignant notre rigoureuz sort,
Notre bon-heur perdu, notre ioye rauye,
Lamentons, soupirons, & iusques à la mort,
Temoignons qu'en viuant nous pleurons notre vie.
7
Plaignons, pleurons sans fin cet esprit admirable,
Ce iugement parfait, cet humeur agreable,
Cet Hercule sans pair, aussi bien que sans peur;
Tant de perfections qu'en louant on soupire,
Qui pouuoient asseruir le monde à sa valeur,
Si sa rare equité n'eut borné son Empire.
8
Regret [...]ons, soupirons cette sage Prudence,
Cette extreme Bonté, cette rare Vaillance,
Ce coeur qui se pouuoit flechir, & non domter;
Vertus de qui la perte est à nous tant amere,
Et que ie puis plutot admirer que chanter,
Puis qu'à ce grand Achille il faudroit vn Homere.
9
Mais parmy ces vertus, par mes vers publiées,
Lairron-nous sa Clemence au rang des oubliées,
Qui seulement auoit le pardon pour objet?
Pardon qui rarement an coeur des Rois se [...]:
En parle l'ennemy, non le loyal sujet,
En face le recit qui en a fait l'epreuue.
10
Pourroit-on bien conter le nombre de ses gloires?
Pourroit-on bien nombrer ses insignes victoires?
Non, d'vn si grand discours le dessein est trop haut:
On doit louer sans fin, ce qu'on ne peut décrire,
Il faut humble se taire, ou parler comme il faut.
Et celuy ne dit rien qui ne peut assez dire.
11
Ce Mars dont les vertus furent jadis sans nombre
Et que nul n'egaloit, est egal á vne ombre,
Le fort a ressenty d' Atropos les effors,
Le Vainqueur est gisant dessouz la froide lame,
Et le fer infernal qui luy persa le cors,
Fait qu'vne âpre douleur nous perse à iamais l'ame.
12
Iadis pour ses beauz faits, nous eleuions nos testes,
L'ombre de ses lauriers nous gardoit des tempêtes,
La fin de ses combas finissoit notre effroy:
Nou-nous prisions tous seuls, nous méprisions les autres
Etans plus glorieuz, d'étre sujets du Roy,
Que si les autres Rois eussent eté les notres.
13
Maintenant notre gloire est à iamais ternie,
Maintenant notre ioye est pour iamais finie,
Les Lis sont atterrez, & aue [...]ques enz:
Dafné baisse ch [...]tiue en terre son visage,
Et semble par ce geste, humble autant que piteuz,
Ou couronner sa tombe, ou bien luy faire hommage.
14
France, pleure ton Roy qu'vn noir cachot enserre,
Roy florissant en paiz, Victorieuz en guerre,
Qui conseruoit des tiens, les biens, les libertez;
Iette sans fin des cris, & des larmes non feintes
Iusques au bout du monde; Auz lieuz plus ecartez
Où resonnoient ses faits, fay resonner tes plaintes.
15
Modelle de l'honneur, & l'honneur de la France,
Reine des Lys Francois, parmy tant de souffrance
Votre pleur est sans fin, votre coeur sans confort;
Et le regret cuisant dont votre ame est suiuie
Vous fait aussi souuent souhaiter votre mort,
Que vos vertus nous font desirer votre vie.
16
Las! combien est votre ame an dueil abandonnee,
Quand vou-vous souuenez de l'heureuse iournee
Laquelle innocemment a nos mauz precedé;
Et que sur ce beau chef que le noir enuironne,
A si piteusement & si tot succedé
Le dueil à l'ornement, le voile à la Couronne.
17
Mais parmy vos douleurs, parmy tant de miseres
Gardez-vous, gardez-nous ces siz reliques cheres,
Gages de votre amour, espoir en nos malheurs;
Etouffez vos soupirs, sechez votre oeil liquide,
Et pour calmer vn iour l'orage de nos pleurs,
Soyez de cet Etat le secours & la guide.
18
Belliqueuse Noblesse, vn iour si triomphante,
Et par le sort cruel en l'autre, si dolente,
Perdant vn si grand Prince, vn pere tant humain,
Votre oeil pleure sans fin, & iamais ne sommeille
Quand il vous souuiendra du triste lendemain,
Qui fut de vos malheurs & le iour & la veille.
19
Endossez le harnois, aiguisez vos épees,
Puis les rendez de sang & de Larmes trempees,
Cerchez au cle fer, iusques dedans le flanc
Des secrets inu [...]nteurs du traitre parricide;
Emplissez l'Ocean des fleuues de leur sang,
Ou mourez▪ ou vangez la mort de notre Alcide.
20
Reynes du double mont, admirable Neuuaine,
Sechez par vos soupirs votre docte fontaine,
Puis l'emplissez de pleurs; afin que les esprits
Qui vont rendans leurs voeu [...] an temple de Memoire,
Abreuuez de cete eau, pleurent par leurs écrits
Le trepas de celuy, dont ils chantoient la gloire.
21
Arrachez vos lauriers, tant aymez de Minerue,
Hé! pour qui, doctes soeurs, en feriez-vous reserue,
Puis que le Chef n'est plus qui les souloit porter?
Que la mort qui vainc tont, a vaincu l' Inuincible?
Ne cessez, cher troupeau, de plaindre & lamenter,
Et pour être immortel, ne soyez impassible.
22
Mais quoy? pourrions-nous bien vous prescrire des larmes?
Ne vous seruez-vous pas de ces liquides armes,
Pour combatre l'ennuy qui nous accable tous?
De nos extremes mauz, vos regrets sont extremes,
Vous pleurez de pitié quand vous songez à nous.
Vous pleurez de douleur en pensant à vou-mesmes.
23
Que les ro [...]s soient emus, de nos larmes non feintes,
Que les mons & les bois ne resonnent que plaintes,
Que les pleurs des voisins, montrent leur desespoir;
Qu'euz & nous lamentions, par cette piteuse onde,
Nous d' auoir trop peu vn, euz de n'auoir pu voir
La Gloire des Francois, le Miracle du monde.
22
Mais quoy? sans fin, sans fruit, nos humides paupieres
Feront-elles couler des piteuses riuieres?
Les ans n'en pourront-ils faire arréterle cours?
Nos bouches à l'enuy plain dront-elles sans cesse?
Et nos coeurs sang lot ans, seront-ils pour tousiours
Esclaues du malheur, hôtes de la tristesse?
25
Ouy, nous plaindrons sans fin; Hé! quel Scyth [...] denie
A des maus infinis, vne plainte infinie?
Montrons d'vn rare Prince vn regret non commun,
Ou viuons pour le plaindre, ou mourons pour le suiure,
Soit viuans, soit mourans, temoignons à chacun
Qu'en cessant de pleurer nous cesserons de viure.
The second teare, A COMPLAINT OF THE RIGHT HONORABLE, THE LADY ANNE OF ROHAN, VPON THE DEATH of that great King, HENRY the fourth.
1
MVst great redoubted HENRY, ô must he
That aw'd & tam'd men, now be tam'd by death?
Must we that saw his glory, his end see?
And spend in showers our teares, in sighs our breath?
O must so little earth hold him, whose merit
Suffis'd, that he the whole earth should inherit?
2
Must all our ioyes euer extinct remaine?
Must mirth and musick turne to sad lament?
In place of such a King, must sorrow raigne?
Must anguish pearce our soules, greefe our harts rent?
While endles sighs are towards heau'n exhaling,
Must hopeles teares still on the earth be falling?
3
They must, they ought; what tribute can we pay
His sacred ashes, but our teares? most fit
To sprinckle the sad marble, wherein they
Repose; No, no, such helples helps let's quit;
Yet since his blood he spared not, vs to pleasure,
Shall we spate to spend teares, so poore a treasure?
4
Should our distilling eyes to fountaines tourne,
Of all our greefs they would not drowne the lest;
With teares for each light cause we lightly mourne,
And common things are seldome in request:
Then dye we must, nought els is worth the proffring,
His tombe the Altar, we must be the offring.
5
But who can dye? the spinning destinies
Disdaine to touch our moistened eyes, now they
Haue clos'd his, whose great hart did death despise;
Pale Atropos proud of so rich a pray
May beare for Cypres, Bayes; a change most glorious,
Since she proues victor of the most victorious.
6
Since we must yet lament, and liue; since fate
Attends them least that doe pursue it most;
O let vs liue lamenting our hard state,
Our ioy bereft vs, and our comfort lost;
Let's greeue, weepe, sigh, this testimony giuing
Till death, that we bewaile our life in liuing.
7
Let's mourne to loose that spirit so admirde,
That perfect iudgement, that sweet Noblenes,
That Peerles, Fearles Hercules, inspirde
With more perfections then words can expresse;
Who would haue brought the world in his subiection,
But that his iustice bounded his affection.
8
Let's mourne that that graue wisdome so should end,
That best of goodnes, that great valiant minde,
That hart that knew not how to breake, though bend;
Deere parts, whose vse we had, whose losse we finde:
I rather can admire then sing their glory,
Such an Achilles fits an Homers story.
9
But in the throng of vertues mustred here,
Shall his rare Clemency in silence rest,
Which pardon only held for object deere,
Pardon so seldome lodg'd in Princes breast?
This ask's not his friends, but his foe's expression,
Let them that made proofe of it make confession.
10
Who can the number of his acts recount?
His famous victories who can set forth?
Their due discourse doth my poore power surmount,
No end of praise where is no end of worth;
Silence should still be kept, or wisely broken,
He speakes nought who speakes not, what should be spoken.
11
That man for his perfections numberles,
Like none aliue, is now but like the dead;
The strong hath found his strength then deaths strength les,
The Conqueror now conquer'd lies in lead:
Th'infernall steele that pierc'd without compassion
His royall flesh, hath pierc'd our soules with passion.
12
His acts made vs our heads aloft to reare,
His laurels shades did vs from tempests shroud,
The end of his fights ended all our feares,
We scorning others of our selues were proud;
Prouder to liue in such a Kings subjection,
Then to haue subject Kings in our protection.
13
Our glory now we withring dying see,
Now are our joyes for euer finished,
Our Flour-de-luces buryed, with them we;
Sad Daphne hanging her triumphant head
In humble pittifull respect vnto him,
Seemes she will crowne his tombe, or homage doe him.
14
Deare France bewaile thy King, thy King of late
Blest in his peace, victorious in his warres,
Conseruer of thy freedome, goods and state,
Ceaselesse cry out, powre out vnfained teares;
As farre as earth hath earth for mans remaining,
As farre as his name rings, ring out thy playning.
15
Modell of honour, honour of our France,
Queene of the Flower-de-luces, in these woes
Your teares are without stop, your sufferance
Without redresse; your griefe that no end knowes
Makes you as often wish your life expired,
As your life for your vertues is desired.
16
Oh! how your soule to griefe abandon'd lyes,
When you but thinke on that thrice-blessed day
Which harmeles did precede our miseries,
How on that faire head, where you now display
Sad blacke, you should be seene so quickly turning
A rich crowne to a vaile, splendor to mourning.
17
But, ô amidst your woes, your wounding cares,
Those six deare reliques, pledges of your loue,
Saue for your selfe, for vs, to slacke our feares;
So cease to sigh, to weepe, and cares remoue,
And in those seas of griefe better to cleare vs
From stormes of teares, be you our guide to steere vs.
18
Warlike Nobility, you that one day,
Triumphant were; the next, by fa [...]e deprest;
Your King, your Father, your deare Countries stay,
Thus ost, weepe still and barre your eyes their rest;
While you remember that blacke dismall morrow,
The day and eue to the cause of your sorrow.
19
Clap on your armour, whet your swords, and then
Yet moist with teares, steepe them in blood of foe [...],
Pierce to the hearts of those damn'd monster-men
From whose inuention such destruction flowes;
With riuers of their blood th'Ocean filling,
Dye or reuenge our great Alcides killing.
20
Queenes of the forked mount, admired nine,
O with your sighs your learned fountaines dry,
Then fill againe with teares, that those diuine
Spirits that pay their vowes to memory,
Tasting those drops, may with teares sing the story
Of his death, of whose life they sung the glory.
21
Teare downe your bayes, Minervaes sacred boughs,
For whom (wise brood) are they preserued by you?
He's gone that wont with them beguirt his browes
Whom none could vanquish, death hath vanquisht now,
Cease not (deare troupe) to shew in saddest fashion,
Immortall though you be, that you haue passion.
22
But shall we dare prescribe your teares their▪ course?
Doe you not make vse of those liquid armes
To combate sorrowes ouermastring force?
Extreame your greefes are for our extreame harmes;
Thinking on vs, you teares of pitty borrow,
When you thinke on your selues, teares spring of sorrow.
23
O let your plaints the rocks to pitty moue,
Let mountaines, vallyes, woods resound our cryes,
Let neighbours teares their desprat state approue,
Let them and vs lament; They, that their eyes
Saw not at all; We, lesse then we desired
The glory of the French, the worlds admired.
24
But shall our fruitles teares nere cease? shall they
Like riuers from our moist eyes euer flow?
Shall no time their impetuous current stay?
Shall we still striue who lowdest cryes can throw?
And shall our throbbing harts be still remaining
Slaues to mishap, dull sadnes intertaining.
25
O I, let's ceaseles waile, what Scithian hart
Can endles plaints to endles woes denie?
For such a King let's act greefes liueliest part,
Let's liue his mourners or his folowers dye;
Liuing or dying let's not greefe diminish,
Till life and greefe shall at one instant finish.