Discours politique, tresexcellent, pour le temps present: composé par vng gentilhomme Francois, contre ceulx de la Ligue, qui taschoyent de persuader au Roy, de rompre l'Alliance qu'il a auec l'Angleterre, & la confirmer auec l' Espaigne.
SYlla Capitaine Romain,Sallustius in Iugurta. voulant induire Bochus à la marchandise qu'il praticquoit de Iugurta, fonde principalment sa remonstrance sur ceste maxime: Que iamais homme n'eust asses d'amys. Chose que la commune & ordinaire experience, nous faict tellement toucher au doit, & à l'oeil, que vouloir debatre, & impugner ceste sentence, n'est autre cas, que se declarer parclus de iugement & de sens commun. C'est pourquoy, en nostre langue Francoise, le prouerbe ordinaire chante, (Que celuy qui a bon voisin, a bon matin) nous aduertissant, que celuy qui se maintient en bon mesnage auec ses voisins, a prins le plus beau party, qu'il eust sceu donner à l'estat de ses particuliers [Page 6] affaires. Car comme il n'est rien plus aigre, que de se voir aux prinses auec ceulx dont on attend secours & soulagement en son aduersité: aussi n'y a il plus grand contentement, que de se voir tellement caressé, & chery de ses voisins, que ce nous soyent autāt de tesmoignages de nostre preudhommye.Hosiodus [...]. Ceque considerantz les hommes doctes, qui par leurs escritz nous ont tracé le chemin de vertu, ont faict si grand estat du respect deu aux bons voisins,Cicero. 1. off. que pour certain regard ils l'ont preferé a celuy qui est deu aux parens & alliéz. Ce grand & sage Capitaine Themistocles, monstrà quelques fois auoir bien entendu ce poinct. Car faisant vendre a l'enchére vn sien heritage, il commanda à celuy qui faisoit la criée, de dire & proclamer haultement, pour mieux aprecier le dict heritage, qu'il estoit bien avoisiné. Que si en choses particulieres, le respect du voisinage nous doit estre en telle recommandation, combien plus ie vous prie au maniement, & en la conduite [Page 7] d'un estat. Qui est l'homme si ignorant des affaires de ce monde, qui ne sache que le voisinage des Bulgaires occasionant l'entree, & la descēte des Turcz enla Gréce, leur a ouuert le chemin pour s'emparer de ce qu'ilz tiennent auiourdhuy en l'Europe? Le sēblable se peult dire pour le regard de l'Italie. Car les affaires des Venetiens, Florentines, Geneuois, et Neapolitains, n'ont esté embrouillés que par la malice d'un leur voisin, a Sauoir, Loys Sforce, vsurpateur de l'estat de Milan, qui pour assouuir ses passions particulieres, n'a pas fait conscience de troubler le repos, dont l'Italie auoit si longuement iouy par la prudence de Laurens de Medicis, & exposer sa patrie en proye aux armes & à la violence des Francois. Au contraire si nous regardons de pres l'Estat des choses passées, nous trouuerons que beaucoup de grandes maisons d'Alemagne, ont esté par la clairuoyance et cordiale affection deleurs voisins, garenties du bouleuersement, dont l'orage commun [Page 8] les menacoit. Du temps de noz Peres, a scauoir, 1504. Philippes Conte Palatin, vint aux prinses auec l'Empereur Maximilien, & ayant l'issue de cest affaire, aussi peu de prosperité, que l'enterprinse auoyt eu de droicture, i'l fut mis au ban de l'Empire, & reduit en grande perplexité. Mais Fredericque duc de Saxe son voisin, Prince accord, & de grand sens, manià si souplement cest affaire, que tout l'orage se changeà en vne douce & riante bonasse. En quoy toutesfois, ie n'estime point, que les Princes puissent pretendre aulcun aduantage, sur les Estatz Aristocratiques & populaires. Chascun scait, comment il y a enuiron quarante ans, que Charles Duc de Sauoye, s'emparà de Geneue: la possession & seigneurie de laquelle, il eust laissé à ses successeurs, si ceux de Fribourg, combourgeois & alliés des Geneuiens, ne l'eussent fait demordre et quiter la proye, qu'il tenoit entre les dentz. I'amene ces exemples familiers & de fresche date, pour ne m'arrester beaucoup aux anciens, & [Page 9] mesmement de la republique d'Athenes, qui a tousiours faict estat de releuer ses voisins abatus par quelque roide scousse: dont le restablissement de Thebes seruira d'un suffisant tesmoignage, si long tēps que la vie humaine aura cest heur, d'estre esclairée par la lumiere des bonnes lettres. Voyla doncques des raisons pertinentes pour nous faire cognoistre combien soigneusement les estatz & seigneuries doyuent estre estansonnées, par l'amitie & bonne confidence des voisins. Mais comme ce point est de grande importance, aussi requiert il vne profonde et meure consideration. Car les hommes moins clairvoyans & praticqués aux affaires de ce monde, se laissent d'autant plus facilement piper, que la vaine apparence se scait affubler & parér du lustre de l'utilité solide. Et pour exemplifier la matiere, & parla deductiō d'un fait particulier, donner ouuerture à la decision d'une generalité, ie parleray de ce qui concerne de plus pres le mesnagement de noz affaires. Il [Page 10] ny a celuy pour louche qu'il soit d'entendement, qui ne voye & cognoisse clairement le pouure & miserable estat, auquel la France perdant son ancien lustre, est reduicte auiourdhuy, par la longueur & aigreur des guerres ciuiles. Chascun confesse qu'elle a besoing de restaurant, pour se releuer d'une si pernicieuse recidiue. Toutesfoys, tous ne s'accordent pas, quant à la confection & aux ingrediens propres & sortables à vn tel restauratif. Tant y a que ceux qui par le maniement des affaires, se sont preualus d'une plus grande experience, en viennent là: que suiuant la reigle des bons medecins, il fault guerir la maladie par son contraire. Et puys que le mal de la France ne procede que d'inquietude, qu'il n'y a meilleur expedient pour la rehabiliter en sa premiere conualescēce, qu'un bon et asseuré repos. Auys a mon iugement beaucoup mieux fondé en raison que clairemēt discouru. Et qu'ainsi soit, quant il est question du repoz de nostre patrie, celui seroit par trop mal auisé [Page 11] qui le vouldroit borner par le pourpris de la France, ne se souciant pas beaucoup en quel mesnage elle puisse estre, auec ses voisins, moyenant que les regnicoles viuent en paix les vns auec les autres, et que l'embrasement des guerres ciuiles soit esteinct. Or encores que ie confesse rondement, que estans reduictz en termes de tomber en l'un des deux inconueniens, il ny á guerre estrangere, pour difficile & dangereuse qu'elle soit, qu'on ne doyue entreprendre, si par icelle on peult garentir la patrie, d'une guerre ciuile: si est ce que l'entiere prosperité d'un estat, est fondée sur l'exemption de ces deux inconueniens. Sinon que nouz estimons nostre siecle estre priuilegé de quelque speciale faueur, pour auoir la guerre sans les appenages d'icelle, assauoir, la misere et la pouureté. Ceulx dōc, qui veulēt procurer le bien & repos de nostre France, doiuent viser à ce but, que non seulement, toute cōbustion ciuile soit amortie: mais aussi, qu'elle se maintienne [Page 12] en bon mesnage auecses voisins. Et sur tout, de ceulx dont l'alliance luy est, & plus commode & plus asseurée. Qui est vn point à mon iugement, auta nt necessaire que difficile à decider, pour la diuersité des passions de ceux qui font estat, de preferer leur profit particulier au bien & vtilité publicque. Si est-ce que en la deduction du faict, nouz n'apportons autre passion, qu'un ardent amour de verité, & de nostre propre patrie, il n'y aura pas beaucoup à faire à desmesler ceste difficulté. Et ne pense point, (tout conté & rabatu) soit qu'on le considere en gros, soit qu'on aye quelque particulier respect au tempz present, qu'il y aye aucun de noz voisins, dont l'alliance nous soit tant cōmode, et duisible, que celle de l'Angleterre. Au contraire, i'estime que celuy qui en affaires d'estat, vouldroit faire vn traicte des erreurs populaires, ne pourroit choisir vn plus bel argument, qu'en monstrant, que ceux qui appellent ordinairement [Page 13] les Anglois, anciens ennemis de l'estat & couronne de France, voulans estre estimés doctes entreles ignorans, se descouurent du tout ignorans entre les doctes. Et d'autant que beaucoup de courtisans, que i'ay ouy discourir de cest argument, en viennent là, qu'ils preferrent l'alliance d'Espaigne à toute autre, ayans (comme ils disent) esgard au bien, & salut de la France: ie disputeray ceste question, qui à mon iugement n'a meilleur fondement, qu'une affection partialisée, ou vne trop sommaire cognoissance des affaires de cemonde. I'espere donc monstrer par viues raisons, que l'alliance d'Angleterre nous est de beaucoup plus duisible, que celle d'Espaigne, & par mesme moyen vuyder la proposition generale, & faire cognoistre, qu'il n'y a peuple au monde, du quel l'alliance nous soit si commode, & necessaire, que celle de l'Anglois. Et pour donner fondement à mon opinion, ie dis, quant il est question de traicter [Page 14] alliance auec vng peuple, on a sur tout esgard à deux choses: L'une que ceulx dont nous preferons l'alliance, ayent plus d'occasions & des moyens de nous secourir: l'autre qu'ils ayent aussi plus de moyens de nous nuyre, estans deuenus nos ennemis. Et quel est, ie vouz prie, le peuple au monde, qui aye plus iuste occasion de nous aymer, que l'Anglois, qui nouz est allié de sang, conforme en meurs, & fraternisant en vertueuses inclinations. Ceque i'entens dire, non seulement des Anglois, que nous appellons auiordhuy, mais aussi des anciens Bretons, dont on voit encores les reliques, au pays des Galles. Lesquelz quoy que simbolisans en meurs, facons, & vsances, different neantmoins en langage, des autres peuples d'Angleterre. Caesar qui premier d'entre les Capitaines Romains,Caesar. lib. 5 de bello Gallico. a descouuert, & eu cognoissance de l'estat de ceste Isle, nous aprend que l'une partie des Bretons, assauoir, ceux qui auoisinoyent la mer, ont prins [Page 15] leur origine des Belges. Le mesme autheur, nous a laissé par escrit,Caes. lib. 2. de bello Gallico. que de son temps, le Roy des Soyssons, nommé Diuitiacus, auoyt aussi commandé, à l'estat de la grand Bretaigne. Et pour ce, n'est il de merueilles, si les Bretons (mesmement ceux qui habitoyent à l'entour de Cantium) simbolisoyent, en humanité & facons de viure, auec les Gaullois. Et de fait, si nous en voulons prendre droict, par ce que nous en trouuons par escrit, rien ne se peut dire plus fraternisant, que ces deux nations. Sans m'amuser à esplucher le tout par le menu, ie parleray seulement des Druydes, qui auoyent anciennement le maniement des affaires en l'une & l'autre nation. Ces Druydes estoient Poetes & Prestres, comme estoit ancienement vng Hesiode en la Grece. C'est chose certaine, que les premiers entre les Grecz, qui ont peuplé leur patrie de la cognoisance des lettres, comprenoyent toute leur doctrine en vers, comme ont fait Homere, Hesiode, [Page 16] Orphée, Museus, Linus, Empedocles, Parmenides, & mesme Pitheus, dont Plutarque fait mētion.Plutarchus in Theseo. Plato in Lysida. Cicero 2. de natura Deorum. C'est pourquoy Platon a beaucoup deferé aux Poetes, iusques à les appeller Peres, & chefs de sagesse: ces Druydes estoient aussi Mathematiciens, & Philosophes. Qui fait que ie ne puis bonnement comprendre, à quoy pensoit Ciceron, appariant les Bretons & les Scythes, pour le regard de l'ignorance es Mathematiques: s'il s'en est rapporté au tesmoignage de sonfamilier Trebatius, chascū scait, que c'est vn tesmoing, ainsi qu'on peut recueillir des escritz mesmes de Ciceron, Qui calathum libentius, quam coelum contemplabatur. Mais il semble que Ciceron, autrement personnage de iugement exquis, aye voulu verifier le dire de Thales Milesius, qui estant enquis, combien la verité est differente du mensonge: autant, dit il, que les yeux des oreilles. Ainsi nous pourrons dire, pour le regard du passage que nous auons en main, que [Page 17] nous recognoissons des yeux en Caesar, & des oreilles en Ciceron. Or soit que les Bretons ayent prins des Gaullois, la cognoissance des bonnes lettres, ou les Gaullois des Bretons, tant y a que les ieunes hommes de la Gaulle, pour vn plus grand auancement de leurs estudes, se transportoient en la Bretaigne, vers les Druydes du pays, dont ilz aprenoient les plus reclus secrets de philosophie, & Mathematique. Si nous en voulons rapporter à ce que Cesar en a escrit, la philosophie & doctrine des Druydes, a eu son commancement en la grand Bretaigne. Opinion que i'embrasse volontiers,Petrus Ramus de moribus veterum Gallorum. quoy que cest excellent et rare personnage, Pierre de la Ramée, semble tenir le contraire, en quelque sien escrit. Ce n'est donc de merueilles, si vne nation si docte, & tant bien nourrie aux lettres, a esté douée d'une humanité sortable à son sçauoir, & dont nostre ancienne Gaulle a recueilli le principal fruict. De sorte que Caesar,Caesar lib. 4. de bello Gallico. voulant faire descente en la Bretaigne, n'ameine [Page 18] autre pretexte de son proiect, sinon que les Gaullois auoient esté secourus des Bretons, en toutes les querelles qu'ils auoient eu à demesler auec les Romains: Que si quelqu'un pense, que les peuples qui depuis le temps de Caesar, se sont emparés de la Gaulle, & de la Bretaigne, assauoir, les Anglois, & les Francois, ayent eu moins estroicte amitie, voire mesmes moindres occasions des'entr'aymer, il s'abuse tout autant, que celuy qui ignore, combien de force a l'amitié fondée sur l'alliance naturelle, dont la memoire ne peut estre enseuelie, ny par laps de temps, ny par la distance des lieux. Les Bourgeois de Says en Egypte, disoient leur ville auoir este fondée, par la déesse Minerue, comme aussi faisoient les Atheniens. En contemplation de laquelle alliance,Plato in Timaeo. cōme tesmoigne Platon, lez Grecz en general, & particulierement les Atheniens, estoient bien venus, & caressés à Says. Il reste donc à considerer, combien estroictement les Francois sont vnis auec [Page 19] les Anglois, & quelle demonstration d'amitie, ilz ont fait de tout temps, les vns auec les autres. Et ne sert de dire, qu'ilz ont eu des grandes & longues guerres ensemble, voire de la memoire de nouz ayeulz. Car par mesme raison, faudroit bannir l'amitie, d'entre tous les peuples de la terre. Par mesme raison, faudroit conclure, qu'il n'y peut auoir amitie, entre les Francois mesmes qui de fresche date, ont dressé en leur patrie, vn eschaffault de la plus sanglante tragedie, dont on aye iamais ouy parler. Et quant aux guerres des Anglois, & Francois, i'espere monstrer cy apres, en son lieu, que tant s'en faut, que ceste consideration, doyue apporter quelque alteration à nostre amitie enuers eux, qu'au contraire, ce nous doit estre vn motif fort pertinent, pour nous causer quelque accroissement de bonne volonte, en leur endroit. Car Dieu leur ayant donné, de si grands auantages sur nous, comme chascun scait, on ne scauroit dire, si ceste genereuse nation, s'est monstrée plus vaillante [Page 20] au combat, que doulce & courtoise apres la victoire. Encores moins font à propos, les quolibetz, qu'on oit par les rues, tant en France, qu'en Angleterre: comme entre autres, ces motz, coue, & frenche-dogue: Qui est la rethorique des crocheteurs, sauetiers, macheriuetz, & autres gens de tel billon: non pas le langage des gens honnestes, & ciuilisés, dont nous entendons parler en ce discours. Laissans dōc à part tout cemenu bagage, parlons de l'amitie naturelle, qui est entre les deux nations. Du temps des Empereurs Martian & Valentinian, enuiron l'an de Christ 449. Vitigerne Roy de la grand Bretaigne, voulant repousser les Pictes, & Escossois, appella à son ayde les Angles, ou Anglois, qui pour lors demeuroyent entre les Vites, & Saxons. Et de fait les Galles appellent encores auiourdhuy les Anglois, Sassez, comme qui diroit, Saxes. Ce qui m'a esté asseuré par quelques hommes doctes du pays. Il resulte donc de ce discours, que les Anglois [Page 21] sont venuz d'Alemaigne, comme aussi sont les François, selon que noz histoires chantent. Et combien que pour le regard de la nation Françoise, ie n'oserois pas asseurer, qu'elle soit descendue des Saxes, si est-ce, que la maison des Roys, qui auiourdhuy commande en France, en tire son estoc, comme sçauent ceux qui ont plus claire cognoissance de l'histoire. Car Widequind Saxon, extraict du grand Windekind, domté par Charles maigne, vint en France, au secours de Charles le chauue, qui estoit fort inquieté des Normans. Ce ieune Windekind eust vn filz nommé Robert, si heureusement suyuant les traces de son Pere, que Charles le chauue, le fit chef de l'armée, qu'il enuoyà contre les Normans, qui pour lors rauageoient la Frāce. Robert fut tué en battaille, laissant vn filz nōmé Othon, qui de consentement de l'Empereur Arnoul cō manda en France, durant la minorité de Charles le simple. Dōt toutefois, il ne s'est pas acquis tant de reputation, que pour auoir [Page 22] este Pere de Hugues le grād, Conte de Paris. Mais Hugues capet, filz de hugues le grād, a surpassé la gloire & le lustre de tous les susdicts tant pour s'estre rendu patrō de l'estat absolu de la France, que pour auoir laissé vne posterité Royalle, qui iusques au iourdhuy,Aristot. lib. primo cap. primo. polit. est encores en pie, diuisée en deux maisons, a scauoir, de Valois, & de Bourbon. Ainsi pouuons nous conclure que si les Francois, & Anglois, ne peuuent estre ditz selon Charondas, [...], c'est a dire, viuantz ensemblement, ou bien selon Epimenides, [...]. comme qui diroit, nourris en mesme foyer, ou comme nous parlons en France, gens estants ensēble a pot et a feu, si est ce qu'on les peut à bon droit appeller, [...], c'est a dire, descendans de mesme extraction. Et combien que ceste alliāce soit d'elle mesme asses esclarcie par les historiens, si est qu'elle l'est encores mieux, par la conformité des meurs de ces deux peuples, & les bons deportemens des vns enuers les autres. l'Anglois, comme le Francois, est genereux, [Page 23] & par consequent, comme enseigne Aristote, esloigné de dissimulation,Arist. de Philoso. moral. Lib. 4. cap. 3. haissant, ou aymant, ouuertement, se conduisant plus par verité, que par opinion, aymant beaucoup mieux, l'effect, que l'apparence, franc en son parler, aymant la liberté, & oubliant facilement les iniures. Dauantage il est liberal, ciuil, courtois & debonnaire. De toutes les vertueuses qualitez, ie pense qu'on y trouuerà, aultant de clairs & euidents tesmoignages, qu'il y a des passages parlans de leurs exploicts, es historiens non passionés. Car pour le regard de la ciuilité, quel meilleur tesmoing en pourrōs nous auoir, que Phillipes de Comines,Comines chap. 54. qui luy mesmes l'auoit experimenté de la part du Seigneur de Vaucler. Ie parlerois d'une chose trop diuulguée par tout le monde, si i'emploiois beaucoup de propos, à discourir de leur magnificence & liberalité.Herodianus in Commodo. Certainement s'il est vray ce que Herodian escrit, touchant les Barbares, à scauoir, qu'ilz sont naturellement frians [Page 24] d'argent, les Anglois sont suffisāment deschargés du blasme de barberie, quoy que quelques escriuains, ou ignorans, ou passionnés, les denigrent pour ce regard. Et qu'est il besoing, d'insister longuement sur ce propos, attendu que l'experience & le tesmoignage des personnes illustres & signalées ratifie ouuertement mō dire. Le feu Vidame de Chartres (qui pour estre vn des plus liberaux Seigneurs de nostre temps pouuoit mieux parler de la liberalité) disoit ouuertement, que s'il y auoyt nation en la Chrestienté, plus liberale & humayne, enuers les estrangers que l'Anglois, il vouloit estre mis au rang de ceux qui parlent legierement des choses à eux incognues. Celuy qui a succedé, non moyns à ses vertus qu'à son heritage, proteste souuent, qu'il n'ose parler de l'humanité courtoisie, & liberalité des Anglois, craignant d'entamer vn discours, dont l'entrée se peut trouuer beaucoup plus aysement, que non pas l'yssue.
Odet Cardinal de Chastillon, auoit ordinairement ce propos en la bouche: l'humanité s'estoit iadis parquée en la France, mais maintenant elle a passé la mer. Ceste matiere demanderoit plus longue deduction: mais ie suys François, ialoux de l'honneur de ma patrie.Plutarchus in vita Ciceronis. Plutarque escrit que ce grand Rethoricien Molon, ayant vn iour ouy Ciceron declamant en Grec, dit en gemissant, qu'il deploroit la condition de la Grece, dont Ciceron emportoit auec soy, le plus riche ornement qu'il luy restat, asçauoir, l'eloquence. De ma part encores que ie sois auitant affectionné aux Anglois, que me commande le merite de leurs vertus, si est ce que ie suys marry, de les voir si riches de noz despouilles. De sorte que l'Angleterre peult estre auiourdhuy tenue, & à bon droict, pour vn vray sacraire de toute ciuilité, humanité, & courtoisie: dont on en peut voir les tesmoignages non seulemēt enuers leurs amys, & en tēps de paix mais aussi enuers leurs ennemis & en temps de [Page 26] guerre. De plusieurs exēples i'en choisiray vn si notable, queie ne sçay s'il s'en peult gueres trouuer de semblable, es histoires Grecques & Latines. Entre toutes les battailles, qui ont iamais esté données en France, celle de Poictiers est memorable, non seulement pour la perte inestimable du vaincu, mais beaucoup plus pour la courtoisie, et generosité du vainqueur car la noblesse de Frāce y fut taillée en pieces, beaucoup de Princes & grands Seigneurs faitz prisōniers, & notāment le Roy Iean, tombà es mains du Prince de Galles, qui depuys le conduicten Angleterre (ou il receut si gracieux, et humain traictemēt du Roy Edouard, Pere du Prince de Galles, qu'estant sous sa foy & ostages, retourné en France, pour escheuir & donner ordre à ses affaires apres auoir meurement consideré le traictement qu'on luy auoyt fait, il goutá & sauorà tellement la courtoisie Angloise, qu'il estimà plus honnorable de mourir aupres d'un si genereux Prince, que de viure Roy, du plus grand & puissant [Page 27] Royaume de la Chrestienté) Porus estant prins d'Alexandre, & enquis de luy quel traictement il pretendoit receuoir: ie suis, dit il, Roy: traictez moy royallemēt. Alexandre faisant instance là dessus, & luy demandant s'il ne vouloit dire autre chose: Ce mot, Royallemēt, dit il, comprend tout. Qui fut cause qu' Alexandre l'estimà depuis beaucoup & le traictà comme il auoit demandé. Mais ceste courtoisie d'Edouart, doit estre estimée d'autant plus grande que celle d'Alexandre, que Porus n'auoit prins les armes, que constraint pour sa legitime deffence. Et au contraire, le Roy Iean n'auoyt voulu accepter les honnestes conditions de paix, que le Prince de Galles luy presentoit, quoy que le Cardinal de Perigort enuoyé de la part du pape Innocent, luy remonstrāt pour le fleschir à quelque composition. Mais luy se laissant maistriser à sa colere, fut deffaict par vne poignée de gens, & perdit vne battaille le dixneufieme de Septembre 1356. qui ne se peult parangoner [Page 28] à aultre, qu'à celle tant mémorable iournée de Cannes, qui cuydá bouleuerser tout l'estat, de la republicque Romaine. Et combien que les guerres ciuiles, soient ordinairement menées d'un courage d'autant plus enuenimé, que l'alliance est plus estroicte, entre les compatriotz: si est ce que, s'il fault adiouster foy aux histoires, on ne trouuerà poinct qu'il y aye nation au monde, qui pour ce regard, soit en telle & si longue possession de moderation, & clemence, que l'Angloise.Comines chap. 112. Comines qui a eu autant ou plus cognoissance des affaires d'Angleterre, qu'homme de la France de son temps, dit que la coustume du pays est, qu'en guerres ciuiles, on vient incontinent à la battaille, et que le chef de la partie auquel encline la victoire, fait crier, tout hault: Sauue le peuple. Que pleut à Dieu, que nous eussions vsé, d'une telle moderation en noz guerres ciuiles. Nous aurions encores auiourdhuy, cinquante mil tesmoins de nostre dissension, dont le sang espandu [Page 29] prouoque l'ire de Dieu, sur nostre France. Mais pour ce, qu'estre occasionné tant par l'affinité naturelle, que par la conformité des meurs, d'aymer vn peuple, n'est pas chose, que de soy-mesme, merite grand louange, si on ne s'est mis en deuoir d'en faire demonstration. Le fil de nostre discours requiert, que cest article soit espluché, vn peu de plus pres, affin que ceux qui appellent les Anglois, anciens ennemys de la couronne de France, aprennent ou à mieux parler, ou à se taire du tout, quant il fera question de telles matieres. Ie dis donc que les effectz d'amytie, ont esté de tout temps reciproques, entre ces deux nations. Car laissant à part ce que i'ay amené de Caesar, escriuant que les Bretons auoient secouru les Gaullois, en toutes leurs guerres: Ie prendray des tesmoignages de plus fresche memoire, c'est à dire, depuys cent, ou sixvintz anz en çà. Du temps du Roy Louys vnziesme, Charles duc de Bourgoigne, desirant rougner les esses à Loys son ennemy [Page 30] mortel, appellá à son ayde Edouard Roy d'Angleterre son beau-frere, qui ne se fit tirer l'oreille, pour saire descente en France, ou il n'auoit faute de pretentions. Il y auoit lors grande apparence, que si le duc de Bourgoigne, eust sçeu mesnager sa prosperité, il eust ou renuersé, ou quoy qu'il en soit, grandement esbranslé, tout l'estat de la France. Le Roy Loys, Prince beaucoup mieux pourueu de prudence, que de hardiesse, considerant en quel accessoire estoiēt reduictz ses affaires, moyená, ou plustost subtilisá vn pourparler de paix, auec Edouard, qui se fit a Piquigni. On peult bien dire, que lors la facilité d'Edouard, seruit d'un grand & puissant rempart à la France, contre l'effort & impetuosité du Bourgoignon. Charles huictiesme, fils & successeur de Loys, fut fauorisé du ciel iusques là, que d'auoir l'occasion en main, de se ressentir enuers la nation Angloise, de ceste courtoisie. Et fut aussi prompt, à embrasser telle occasion, quelle luy estoit heureusement [Page 31] offerte. Edouard dont nous venons de parler, estant decedé, son frere Richard, duc de Glocestre, par mauuaises practiques, & moiens illegitimes, s'emparà de la couronne d'Angleterre, fraudant ses nepueuz de leur heritage. Si le moien de s'emparer d'un tel Estat, fut estrange & exorbitant, la façon de s'y comporter, le fut encore plus. L'estat de la pauure Angleterre, estoit si miserable, que celuy eschapoit à bon marché, qui en estoit quite pour la perte de ses biens, estatz, & dignitez. Plusieurs personnages de maison, pour se garentir d'un tel orage, se retirerent en France. Le plus illustre & signalé d'entre eux, fut le Conte de Richemont, qui ayant quelque temps seiourné en Bretaigne, finalement se resolut de recouurer auec son bien, la liberté de sa patrie. Ce nouueau Thrasibule, n'eust pas faute, ny de partisans, ny d'amis. Car le Roy Charles huictiesme, luy donnà secours, auec lequel il descendit en Angleterre, ou ayant donné la battaille [Page 32] auec heureuse yssue, il eust pour guerdon de sa prouesse, l'estat, & la couronne, qui est depuis demeurée, iusques auiourdhuy, sur la teste de ses descendans. Ie n'insisterois tant sur la courtoisie Angloise, si de nostre temps, c'est à dire, depuis soixante ans, elle n'auoit produit de si bons & clairs effectes à nostre endroict, que ceseroit stupidité à nous de l'ignorer, & lascheté de ne le recognoistre. Depuys la battaille de Poictiers, la France n'a poinct reçeu vne si grande scousse, qu'en la iournée de Pauye, ou le Roy François fut fait prisōnier. l'Empereur Charles encores ieune Prince, et bouillant d'ābition, apres vne si belle victoire, entroit en des merueilleuses esperances, & se tenoit tout asseuré, que dans peu d'années, la Monarchie vniuerselle de l'Europe, seroit l'interpretation de son Plus oultre. Et de fait, il y a grande apparence, que les forces de France, estant ainsi mattées, il eust peu, sinon du tout, pour le moins en partie, voir l'accōplissement de ses dessains, si Dieu regardant [Page 33] nostre pays de son oeil pitoiable,Voi l'histoire du Bellay. n'eust touché le coeur d'Henry huictiesme Roy d'Angleterre, pour arrester le cours de l'Empereur, cinglant à voiles desploiées, par la route de sa victoire. Acted'autant plus admirable, que Hēry n'a eu autre occasiō de ce faire, qu'unevertu heroique, de laquelle ayant l'ame eschauffée, il a mieux aymé, s'approprier seul l'honneur d'auoir releué vn sien voisin afligé, qu'estre comparsonier auec le vainqueur au butin, & à la despouille. Tellemēt qu'on peult bien dire, que Henry huictiesme, a esté apres Dieu, autheur de nostre deliurance, & que le Lyon nous a tiré d'entre les ongles de l'aigle.
Et ne fault penser qu'il ayt icy cerché, ou son proffit, ou sa seureté particuliere. Car pour le regard du profit outre ce que l'euenement en a descouuert, la protestation qu'il fit par son Roy d'armes, deffiāt l'Empereur, monstre asses qu'il n'auoit autre but que l'honneur & les vertueux exploictz, qui, comme dit Theocrite,Theocritus in laude Ptolemaei. ont [Page 34] iadis acquys le tiltred Heros, aux grandz & illustres personnages. Et pour le regard de la seureté, l'Empereur pour lors estāt affectiōné au Roy Henry son oncle, et pour plus grande confirmation d'amytie, on traictoit le mariage d'entre luy & Madame Marie fille aisnée d'Henry. Dauantage l'Empereur n'eust sçeu entreprendre sur l'estat de la France, sans y partager auec l'Anglois, pour les vieilles pretensions de Guyenne, & de Normandie. Tellement que tout bien conté, l'Anglois n'auoit pour lors rien à craindre du cousté de l'Empereur. L'affaire meriteroit vn plus long discours, mais ie m'estudie à breueté, pour parler d'Edouard sixieme fils d'Henry. Ce prince a esté si comble de vertu & crainte de Dieu, qu'on le peult à bon droict appeller, le Iosias du nouueau Testament, & le parangon des Princes Chrestiens. Mais laissant à part ses rares vertus, dont les mieux disans ne peuuent parler que trop sommairement, ie toucheray seulement ce qui concerne de [Page 35] plus pres nostre subiect. Ce Prince par le conseil du feu Duc de Nortumberland, a porté vne si entiere & sincere affection à nostre Roy Henry second, que si Dieu luy eust prolongé la vie, la ligue s'alloit dresser entre ces deux Roys, & le Duc Maurice de Saxe. De sorte qu'il y a grande apparence, qu'une alliance faicte entre trois Princes si puissans, eust deslors reduict l'Empereur Charles au party qu'il print depuys, asçauoir, de se retirer en Castille, au monastere de sainct Iust. Ie ne parle point de l'humanité qu'il monstra, à l'endroict des pouures François, refugies en vn temps, au quel faire profession de viure Chrestiennement, n'estoit autre chose en France, que s'exposer à la mort. Ceste obligation nous est commune, auec presque tous les peuples de l'Europe, dont l'exil a esté honnoré, de l'assistance et soulagement dece tressainct, & heureux Roy Edouard. Heureux di-ie tant pour son regard que pour auoir en la Royne Elizabet sa seur vn vray pourtraict de ses [Page 36] Chrestiennes & heroiques vertus. Cause que tous ceux qui par nostre Europe sont doues d'un sain iugement, souhaitent plus que chose du monde, ou d'estre subiects d'une telle Princesse, ou de viure en la subiection d'un Prince qui luy ressemble. Mais ie n'ay pas enterprins d'enfonçer les louanges de la Royne Elizabet: d'autant que si i'omettois quelqu'une de ses rares virtus, mon discours seroit mal prins des gens de bien: Et de les vouloir particulariser, par le menu ce seroit à n'auoir iamais fait. Prenant donc un chemin plus court, ie diray seulement, qu'elle a fait demonstration de sa bonne volonté enuers la France, autant de fois, que l'estat de noz affaires luy en a presenté l'occasion. Sur tout elle s'est monstree affectionnee à entretenir la paix auec nous, estāt induicte à ce faire, tant par sa propre clairuoiance, que par le meur & sage conseil, de ces tresuertueux & illustres Seigneurs, Messyre Guillaume Cecile encores pour le iourdhuy son grand Tesorier, & Messyre Nicolas [Page 37] de Bacō, qui fut son garde des seaux, de louablememoire, personnages doués de si haulte & eminente sagesse, & si heureusement qualifiéz en toute espece de vertu, que celuy tiendrá reng entre les mieux disans, qui sçaurà diuement trompeter leur louange à la posterité. De ma part, ie loue le Dieu tresclement, qui a si bien marié le bon heur, à la vertu de ces deux Nestors Anglois, qu'on voit en eux l'accomplissement de la priere tant celebree par Callimaque:
Reste maintenant à parler d'une semblable demonstration d'amytie enuers nous, & toutesfois en vn subiect fort dissemblable. La France n'a en soy plus [Page 38] grand ornement que la ville de Paris, ny la ville de Paris, que l'exercice des lettres, qui s'y est continué depuys Charlemaigne, c'est a dire depuis l'an, 792. Iusques auiourdhuy, auec telle reputation, que du temps de noz Peres, auoir fait ces estudes à Paris, & estre fort auancé en la cognoissance des lettres, estoient diuers termes signifians vne mesme chose. Or si ce bien est grand (comme certes il ne peult estre estimé aultre, que par gens de petit iugement) nous n'en pouuons faire la recognoissance à d'aultres qu'aux Anglois, si nous ne voulons en les priuant de la louange qui leur est deue, nous priuer nous-mesmes à nostre esçient, de la reputation de gens aymans rondeur & integrité. Car Charlemaigne fut induict à vne si heureuse entreprinse, par le conseil de Flaccus Albinus Anglois, secondé & assisté de deux Escossois, l'un nommé Iohannes Milrosius, l'autre Claudius Clemens. Or comme le mauuais conseil, par vn iuste iugement de [Page 39] Dieu, reussit ordinairement au preiudice de celuy qui le dōne, au contraire l'auteur du bon & sainct conseil, est volontiers celuy qui premier en gouste les fruictz. Ainsi les Anglois ont recueillé le fruict du bon & salutaire conseil d'Albin, & ses compaignons, entant que l'vniuersité d'Oxfort, est vn essain de celle de Paris. Mais par cequ'on voit les hommes, estre d'autant plus enclins aux choses ou ils sont attirés, pour la conseruation de ce qui leur touche de plus pres, ie diray que le salut d'Angleterre nous touche de si pres, & le nostre aux Anglois, qu'une des deux nations, estant accablée par l'estranger, l'aultre peult bien faire son conte qu'elle n'est pas pour iouir de grand repos. On sçait qu'aussi tost que Caesar, eust donné pie en la Gaulle à la puissance Romaine, il n'estimà pas auoir bien ioué son rolle, s'il n'alloit remuer mesnage en Angleterre. Les histoires ont tellemēt esclaircy cest Article, que ce seroit superfluité de langage, de s'estendre plus auant en la deduction [Page 40] d'iceluy. Ie vouldrois maintenant que quelqu'un de ces messieurs noz Courtisans, qui sont si affectionnéz, & font tant de cas de l'alliance d'Espaigne, me monstrassent semblables motifs, & fondemens de leur opinion. Ie me tiens bien tout asseuré, qu'ilz ne se mettront point en peine, de prouuer l'affinité naturelle entrele François & l'Espaignol, s'ils ne la veulent recercher de l'arche de Noe: ou bien qu'ilz veuillent faire cas, de ce que les Poetes content touchant la belle Bebrix. Qui toutesfois, seroit vn argument aussi foible que mal à propos, cōme sçauent ceux qui sont estillés en la cognoissance de l'antiquité, & mesmes des fables Poetiques. Or estans entrés en ce propos, il ne sera impertinent, de parler de l'origine des Espaignols d'auiourdhuy. Car comme on voit que les eaux qui decoulent d'une source sulphuree, sentent tousiours le souffre, aussi voit on les hōmes por ter emprainte en leurs façons, les vertueuses, ou vicieuses qualités de leurs ancestres. [Page 41] Ainsi ayant cognu l'origine des Espaignols, ce nous sera vne belle ouuerture, aux discours suiuans. Enuiron l'an de Christ, 717. Iulian Conte de Biscaye, estant oultré de douleur, & se voulant vē ger de l'outrage par luy reçeu de Roderic Roy des Gotz, qui luy auoit violé sa fille, appellà & attirà les Mores à son secours, sous la conduicte de leur Roy Muza Miramamolin. Sous tel pretexte, (tant est il seur d'attirer les forces estrangeres) les Mores s'impatroniserent de toute l'Espaigne, excepté Byscaye, et Asturie. Leurs Capitaines ayans depuys partagé ce pays de conqueste, deuindrent autant de petitz Roys en Espaigne. Depuys les Sarasins s'y sont encores meslés plus auant. Que si nous voulons reprendre les choses de plus hault, asçauoir, depuys le temps de Caesar, nous trouuerons que sans parler des Romains, qui ont commandé presque à toute l'Europe, les Gots, les Vandales, les Mores, les Sarasins, ont donné la loy à l'Espaigne. Que si à bon droict les [Page 42] Gotz et Vandales sont estimés cruels, les Mores perfides & vindicatifs, les Sarrasins superbes & vilains en leur façon de viure. Ie vous prie, quelle humanité, quelle foy, quelle debonaireté, quelle modestie & ciuilité pensons nous trouuer en ceste escumé de Barbares. Mais afin qu'on ne pense que ie me veuille arrester à des presumptions, plustost qu'à des preuues & arguments solides, ie suis content, que cet article soit vuidé, par la conference de leurs meurs, auec les nostres: c'est à dire, de leurs vices, auec noz vertus, de leur vieillaquerie, auec nostre generosité. Breif ceste conference est telle, que si quelque Rethoricien vouloit emploier sa faconde, à dresser vne longue & naiue antithese, il ne sçauroit chosir au monde, vn suiet plus sortable à son dessain, que la comparaison de noz conditions, auec celles de ceste maranesque generation. Et affin qu'on ne pense que ie parle par coeur, pour entrer au blazon de leurs plus belles couleurs, ie leur produiray vn tesmoin, qui les fera [Page 43] rougir de honte, quoy qu'ils soient si bassannés, qu'ils ne rougissēt pas volontiers. Quant ie dirois seulement que le tesmoin, que i'entends produire, est vn Senateur Venitien, si est ce que ie l'aurois suffisamment qualifié, pour luy faire trouuer creance, enuers toutes personnes discretes & de sens rassis. Mais ie diray d'aduantage, que c'est vn viel Senateur, voire tellement nourry aux affaires de ce monde, que se conformer à son imitatiō n'est autrechose auiourdhuy entre les Venitiens, qu'aspirer à vn renom immortel, par vne tressage conduicte des affaires d'estat. C'est pour le faire court, ce tant excellent & renōmé personnage, Andrea Griti, qui discourant au Senat de Venise, des humeurs de ceste bonne engence Espagnole, voicy le beau tesmoinage, qu'il rend de leur preudhomye. ‘La natiō Espaignole, dit il, est infidele, tresrauissante & insatiable, sur toutes les autres nations.’ Et ou est ie vous prie, l'endroict du monde, ou ces infames Harpies, ayent mis le pie,Guichiardino, lib. 15. sans le honnir [Page 44] des traces de leurs vices abominables? Et pource qu' en matiere de preuue, le tesmoignage d'un seul n'a pas grand pois, ie produiray encores vn autre tesmoin, à sçauoir, François Guychardin historien si accompli, que le denombrement de ses graces & perfections, requiert & merite vne histoire entiere: voicy le tesmoignage qu'il rend à la preudhomye Espaignole.Guichiardino, lib. 16. ‘La natiō Espaignole (dit il) (donnant son iugement de ces venerables Padres) est auare & cauteleuse: & lors qu'ilz ont le moyen de se descouurir telz qu'ilz sont, tres-insolente.’ Geryon Roy d'Espaigne, s'il fault adiouster foy aux fables Poetiques, à eu trois corps. Et combien que ce soit vne fiction Poetique, si est ce qu'elle sera trouuée moins estrange, de celuy qui considererà de pres, le naturel de l'Espaignol, auquel on peult voir incorporé ensemblement, vn cauteleux Renard, vn Loup rauissant & vn Tigre enragé. Et cela soit dit, pour le regard des moins insupportables de la nation. Car [Page 45] qui regarderà de bien pres, à ceux qui entre eux sont vn peu plus signalés, c'est à dire, plus meschans & abominables que le vulgaire, on trouuerà en chascun d'eux, le cube, voire le sur-solide, bien souuent de ce monstre ternaire. On y trouuera, di ie, vn pourçeau villain & sale, vne chouete larronnesse, & on y trouuerà vn Paon piaffant: Et pour le comble de leurs ornemens, on y trouuerà vne legion des diables, faisans mestier de mentir, piper, & tromper le monde. Briareus,Homerus, Iliade α. comme dict Homere, auoit cent mains: Qui croyrà que l'Espaignol en aye moins quant il est questiō de griper, qu'il reçoiue seulement pour deux iours, quelque dom Diego en sa maison, & s'il ne change d'auis, ie suis content d'auouer & confesser, que l'Espaignol a changé de coustume. Ie dis, si le pillage & larcin doit estre estimé plus coustumier, que naturel en ceste nation. Que si quelqu'un doute de leur suffisance pour ce regard, l'Estat du paisbas, l'esclaircirà tellement, qu'il ne se ferà [Page 46] pas tirer l'oreille pour confesser, que les Boemes & Aegiptiens, ne sont que petitz aprentiz de l'Espaignol, en matiere de s'approprier le bien d'autruy. Et celuy leur feroit grand tort, qui penseroit qu'auec le temps, ils ne se soyent encores mieux fassonnés en leur mestier, mesmement ces dernieres années, durant lesquelles, vne bonne partie de ces gallans esprits, a fait son apprentissage soubz dom Fernand de Tolede, si grand & souuerain maistre en ceste faculté, que luy vouloir apparier vn Autolycus, ou vn Verres, seroit tomber en l'erreur du berger Tityrus,Virgilius, Eclog. 1. faisant comparaison des choses petites aux grandes. Mais il est ce semble raisōnable, de cacher les imperfections de ce grand Capitaine, en contemplation des excellentes parties qui sont en luy. Car au dire de ses disciples & estaphiers, il est taciturne, sage & de grand sens. Quant à ce qui touche sa taciturnité, ie ne doubte aucunement qu'il ne soit sort secret. Aussi n'y a il rien en ses actions, mesmement particulieres [Page 47] & domestiques, qui ne puisse par luy & les siens, estre plus honnestement teu, que diuulgué. Quant à sa grande sagesse & claire-voiance, il en a donné de telz tesmoignages en la conduicte des affaires de Flandres, que si le soleil eclipsoit, autant de fois au ciel, qu'a faict le bon sens en sa teste, durant ce temps là, nous pourrions bien conclure, que nous serions à la veille du iour, qui mettrà fin aux choses de ce monde. Pour le moins est il notoire, que le sens luy a manqué, iusques à ne sçauoir cacher, non pas les larcins & brigandages, qu'il auoit faitz sur le pouure peuple, (car la chose estoit trop cogneue) mais les peculatz, qu'il auoit commis sur les thesors de son maistre, ie sçay bien que ses creatures, deguisans le faict disent, qu'il est demeuré reliquataire. Mais laissant à part ces couleurs de Rhethorique Castillane, ie diray rondement, que nostre langue Françoise, est si pouure qu'elle n'a point d'autre terme asses propre, pour specifier le beau mesnage [Page 48] du Duc d'Albe, sinon larcin & peculat. Et par tant s'il fait auiourdhuy estat de iouer aussi bien du luc en Espaigne, qu'il a fait de la harpe en Flandres, le Roy Philippes a bien occasion de renuoier en Italie son Seuerino. Mais quoy qu'il en soyt, le Roy son maistre a reprimé son auarice, non pas toutesfois à la rigueur, ayant (peut estre) esgard, à l'ordre de la toison, lequel i'ose bien dire, qu'il ne porte à meilleures enseignes que pour auoir premierement escorcé, & puys esgorgé, comme vn loup rauissant, les brebis innocentes du bon Pasteur. Car il ne fault pas penser, que luy & le reste de la racaille Espaignole, ayent plus espargné le sang que les bourses des pouures gens du pays bas: Aussi auoient ilz commandement de ce faire: Et leur Prince ne s'est de rien tant fasché, que de ce qu'ils ne les ont encores traictés plus rudement. Que puisses tu, ô nouueau Pharaon, par ta miserable mort, mettre bien tost fin aux gemissemens, de tant de personnes desoleés. Que [Page 49] si quelqu'un pēse, que les courages des Espaignols, ayent estés ainsi enuenimés contre ceux du pays bas, par le different de la religiō, il monstre qu'il cognoit aussi peu leur naturel, que l'Estat de leurs affaires. Il y a enuiron cent ans, qu'ils ont descouuert vn nouueau monde, sous la conduicte de Christophle Colombe, qui n'eust à mō auys, enterprins ce voiage, s'il eust pensé que les hommes qu'il y menà, comme ensorcelés par le bruuage de Circe, se deussent incontinent transformer en Lyons, Panteres, Tigres, & telles bestes sauuages: Les Indiens & Americains, sont pouures barbares & idiots, qui par vne honneste conuersation & saintes remōstrances, pourroyent estre facillement gaignés à Christ, comme aussi les François ont depuys autant sagement, qu'heureusement suyuy ceste voye. Mais on peult bien dire auec verité, que ce nouueau monde Indien & Americain, n'a pas tantesté incognu aux siecles passés, que les enormes & nouuelles cruaultés, que [Page 50] ces diables encharnés, sortis d'Espaigne, y ont practiqué. ô Turcs, ô Scythes, ô Tartares, esiouisses vous maintenant, puys qu'il se trouue auiourdhuy vne nation en la Chrestienté, qui par ses malheureux deportemens, tasche d'enseuelir la hayne, qu'on porte à vostre barbare cruaulté! Mais ie demeure trop longuement, en vn subiect si tragique: ce que routes fois, ie fais auec autant d'ennuy, que de iuste occasion. Laissans donc vn tel argument, suffisant pour faire pleurer Democrite, parlons de deux articles, chascun desquelz est tel, qu'il faut que celuy soit possedé d'un humeur et nature plus que Heraclitique, si les oyant & considerant de pres, il se peut tenir de rire. C'est de leur ciuilité & modestie. Quant au premier, si quelqu'un a cest heur, de n'auoir iamais frequenté les Espaignols, & qu'il veuille neant moyns, estre informé au vray, de leur Gotique ciuilité, il n'en sçauroit voir vn plus naif pourtrait, ne trace de la main d'un plus heureux Appelles, que Terence, [Page 51] en la description qu'en son Euiuique, il fait des putains, en ces termes: Quae dum foris sunt, nihil videtur mundius, nec magis compositum quic quam, nec magis elegans. Et vn peu apres, il adiouste: Harum videre est ingluuiem, sordes, inopiam, quàm inhonestae solae sint domi, atque auidae cibi, quo pacto ex iure hesterno panem atrum vorent.
I'en dirois dauantage, si celà se pouuoit faire, sans causer mal de coeur, aux plus delicatz. Et nous auons mys icy en ieu les Espaignols, comme bons Apothiquaires, c'està dire, pour nous fournir de ris à leurs despens. Et qui est, ie vous prie, l'homme si melancholique, qui se peult tenir de rire, voiant vn faquin, vn sauetier, vn piqueboeuf trancher du Caualiero: ou bien vn Caualiero d'Espaigne, allant par les champs, porter le reste de son disner, en vn bisac, & faire mille autres telles villenies, à quoy les faquins, sauetiers et piqueboeufs de par decà, seroyent marris d'auoir pensé. Les Mathematiciens enseignent, qu'es operations d'Algebre, [Page 52] le plus egale se reduit biē souuēt au moins. Les propos des Espaignols, ressē blent quelque chose, de ceste diuine subtilité Algebrique: attendu qu'ordinairement, ces graues & magnifiques tiltres de Caualiero, riche de dix mille Ducats de reuenu, font souuent autant, estans prins à la reale verité, que saffrenier, malotru & mesquit, n'aiant pas à grand peyne, trente maluedis en bource, pour faire rabobeliner ses escarpins. De façon qu'on peult bien dire à ces magnifiques dom Diegos, ce que disoit quelquefois, vn grand personnage d'Athenes: voz propos semblent au Cypres:Plutarchus in Phocione. Car estans grandz & haults, ilz ne portent toutesfois point de fruict. Pour le faire court, qui vouldrà voir le vif pourtraict d'un Attalus, d'un Suffenus, d'un Thrason, sans se tourmenter beaucoup à fueilleter Martial, Catulle ny Terence, qu'il considere seulement, la morque & les propos d'un Espaignol. Et combien que ces tiercelets de Sarrasins, soient qualifiés comme i'ay dit: si est ce, [Page 53] qu'à coups de pistoles, ils ont si bien creué les yeux, à quelques vns de noz Courtisans, qu'ils n'ont honte de maintenir, que nous sommes beaucoup obligés à ces honnestes creatures. De ma part ie confesse, n'auoir point l'esprit si delié, pour comprendre le fondement de ceste obligation, sinon qu'ils la veuillent prendre au mesme sens que faisoit Antiochus,Cicero pro Dei otaro. disant qu'il estoit grandement attenu aux Romains, qui luy ayans racoursi son authorité & puissance, l'auoyent deschargé d'un grand & pesant fardeau. Ainsi sommes nous redeuables aux Espaignols, pour nous auoir releués des fatigues, que nous pouuoyent apporter les Estats de Flanders, de Naples & de Milan. Et pour parler plus auant de leur bonne affection à nostre endroict n'est ce pas vn bon tesmoignage de ceste cordiale amytie Espaignole, qu'ils vserent es tēps passés sur noz ancestres (selon leur naturel cruel) à sçauoir, qui ayans gaigné la battaille sur noz gens, tuerent depuys de sang-froid [Page 54] tous les prisoniers qu'ilz tenoient en leurs mains,Voy Froysard. comme tesmoigne Froysard. Voudroit on vne plus claire interpretation, du tesmoignage que nous auons cy dessus amené de Guichardin, disant que ceste nation est tresinsolente, ‘quant elle a trouué son aduātage, pour se discouurir telle qu'elle est, c'est à dire, pour leuer le masque de sō hipocrisie.’ C'est biē aussi vn beau tesmoignage de leur humanité enuers nous, de ce que contre la foy promise, ils massacrerent noz gens en la Floride, il y a enuiron vingt ans. Ie m'estois quasi oublié, de produire vn signalé effect de leur courtoisie enuers nous, c'est la prison du Roy François, dont luy mesme se plaignoit d'autant plus aigrement, (comme raconte Guichardin) que le souuenir de la courtoisie Angloise enuers le Roy Iean, estoit profondement engraué en sa memoire. Quel tesmoignage d'amytie enuers nous,Voy Froysard. est ce que l'Espaignol amenerà? Sera ce point le secours d'Henry de Castille, du temps du Roy Charles cinquiesme, [Page 55] et de la victoire qu'il emportà de deuant la Rochelle, sur le Conte de Pembroc: comme s'il n'auoyt pas luy mesme recueilly le principal fruict de ceste victoire, ou comme si vne telle assistance, n'eust pas esté le principal rempart de son Estat. Or comme les Anglois, noz sont conformes en tant de choses que i'ay dites cy dessus, aussi ont ils cela de cōmun auec noz miseres, d'auoir experimenté à leurs despens, la tresdangereuse amytie de l'Espaignol. Car Philippes Roy d'Espaigne, & lors aussi Roy d'Angleterre, ayant deliberé de s'emparer de Calays, occasionà le François de faire auec la griffe du Lyon, ce que l'Espaignol eust faict auec le dent du Renard. Autrement à grand peine, le François se fut il iamais resolu, à vne enterprinse si hasardeuse que le siege de Calays. Pour le faire court, on peult bien dire, que la nation de ce monde, la plus affectionée au bien public de la France, est celle qui ressēble le moins à l'Espaignole. Ce que ie conclus d'autant plus hardiment, [Page 56] que ie me tiens bien tout asseuré, qu'aucun ne se mettra en peyne, de prouuer qu'ilz nous ayent aydé, ny en la cognoissance des bonnes lettres, ny au reiglement de noz moeurs. Car quel esclaircissement des bonnes lettres peult on attendre d'une nation qui durant cest heureux siecle, à grand peyne a produict cinq ou six hommes doctes. C'est pourquoy à mon auys, les Espaignols, quelques grandz voiageurs qu'ils soyent, n'ont iamais ozé passer, iusques aux Hyperborées, craignans cōme il est à croyre, qu'ilz retinsentencores leur ancienne façon,Pindarus ode x. Pith. à sçauoir, d'y sacrifier les Asnes. Pour le reglement de noz moeurs, nous pouuons bien dire,Cicero in Lucullo. que comme le Philosophe Polyanus, ayant espousé les resueries d'Epicurus, oublià toute la cognoissance qu'il auoit de Geometrie, aussi par l'accointance des Espaignols, nous auons presque oublié la vertu qui nous estoit plus familiere, asçauoir, la courtoisie & humanitié. Et à quel propos, ie vous prie, [Page 57] nous seroit si fort affectionée vne nation, qui a si peu d'interest en nostre ruyne: ou plustost qui a tousiours & sur tout depuys cent ans, basty sa grandeur de nostre raualement. I'abrege ce discours, pour toucher vn article de plus grande importance, à sçauoir, les moyens que l'une & l'autre nation à de nous ayder, ou de nous nuyre. Ie parleray donc en premier lieu, de ce qui regarde le trafficq, & puis de ce qui concerne le fait des armes. Tous ceux qui ont cognoissance de l'Angleterre, & de l'Espaigne, m'accorderont que l'Angleterre, est beaucoup plus peuplée, que l'Espaigne. Ie ne dis pas à proportion, mais en bloc: combien que l'Angleterre soit beaucoup moindre. Ce que ne prouient que dela temperance du lieu. Car combien que la France soit vne des plus temperées regions que l'on cognoisse, si est ce, que Caesar dit notāment, parlant de l'Angleterre. Loca sunt temperatiora quàm in Gallia. Ceste abondance de peuple, est vn certain argument de la fertilité du lieu. [Page 58] PindarePindare ode. 1 Olym. appelle en quelque endroict la Sicile [...], c'est à dire abondante en brebis,Pindare ode. 1. Nem. et s'exposant en vn autre passage, il la nomme, [...], c'est à dire, grasse ou fertile Si l'argument de ce tant docte Poete, est bien couché, nous pouuons bien cō clure, la fertilité de l'Angleterre, par la grande abondance, non seulement des brebis, mais aussi en general du bestaill qui est en icelle. Icy peult estre quelqu'un voudra mettre en auant, le dire de Ciceron, en l'oraison intitulée de Aruspicum responsis. Car voicy comme il parle en propres termes,Cicero in Lucullo. Quam volumus licet ipsi nos amemus: tamen nec numero Hispanos, nec robore Gallos, nec calliditate Poenos, nec artibus Graecos, nec deni (que) hoc ipso huius gentis ac terrae natiuo sensu Italos ipsos ac Latinos, sed pietate ac religione omnes gentes ac nationes superauimus.
Mais en ce passage, il est aisé à iuger que Ciceron à eu plustost des oreilles que des yeux, aussi bien que cy dessus parlant de l'Astrologie: Et qu'il a voulu en [Page 59] ce discours iouer le rolle d'un autre Myrmecydes,Plinius, lib. 7. cap. 21. faisant grand cas de peu de chose. Mais qu'est il besonig, d'insister tant sur cest article, veu que le traffic, qu'on fait en l'un & l'autre pays, le peult facillement vuider. Nous tirons de l'Angleterre, laynes, estain, poisson, & beaucoup d'aultres choses en grande quantité. Et en contre-change nous leur fournissons vin, sel, pastel, & plusieurs autres choses. Qui est cause que la Rochelle, Bourdeaux & generallement toute la coste de Normandie, Bretaigne & Guyenne, est reduicte en grande perplexité, cessant la trafficque auec l'Anglois. De l'Espaigne ie confesse que nous en tirons de fort bons cheuaulx de seruice, encores que ce soit à l'emblé. Ce que ie fais toutesfois plus à contrecoeur, que confessant cest article, dont ie suys contraint d'accuser la negligence & paresse de noz François. Car si nous voulions entretenir des Haras, telz qu'on voit en Lauedan, nostre commerce auec l'Espaignol, pourroit estte estimé [Page 60] vne pure charité. D'autant que nous l'aiderions beaucoup, sans estre aydés ny soulagés de luy. Car la marchandise de quelques gants perfumés, & autre tel menu bagage, ne merite pas d'estre mise en ligne de compte. Et pour leur regard, ilz sont contraintz d'emprunter de nous, pour la secheresse & infertilité de leur pais, la chose la plus necessaire à la vie humaine, a sçauoir, le blé. Pour le regard du vin, ilz en ont suffisamment. Reste la trafficque des laynes, des draps, & des toilles, qui n'est reuenant au tiers de celle que noz marchans font en Angleterre. Et ne sert de dire qu'il peut tirer des bléz en quantité, des places qu'il tient en Italie, comme de Naples, Sicile, & Milan. Mais ceux qui figurent ce beau mesnagement, ne regardent pas, que ce seroit despouiller sainct Pierre pour vestir sainct Paul. La Sicile est fertile, ie le confesse. Mais il fault que Malte, & le Goze soient substentées par vne telle fertilité, si l'on ne veult en les abandonnant, s'exposer [Page 61] soy mesme en proye au Turc. D'auantage vne bonne partie des fruicts de la Sicile est emploié à l'en tretenemēt de l'Italie. Pour le regard du Milanois, & de la Lombardie, la difficulté de la voicture est telle à l'Espaignol, qu'il ne se peult gueres accommoder des fruictz d'icelle, sinon en achetant beaucoup plus cher la sausse, que le poysson. Quant à Naples, Pouille & Calabre, comme la fértilité, ny est pas du tout si grande, aussi l'Espaignol en peult moins receuoir de soulagement. Le semblable se peult dire pour le regard du pays bas.
Quelqu'un peult estre trouuerà estrange, que ie m'arreste tant à l'infertilité d'Espaigne, veu que les grands moyens que ceste nation a de nous secourir, font vn plus que suffisant contrepoix à ce default. Icy il faut necessairement que i'emploie le quolibet, dont les iuges Romains auoient accoustumé d'user, quant ilz se trouuoyent perplex pour la decizion [Page 62] de quelque affaire d'importāce, a sçauoir, Non liquet. Mais ceste miene perplexité, est d'autant moindre, qu'elle peult facillement estre desuelopee, par la comparaison des moyens tant de l'Anglois, que de l'Espaignol. Si nous voulons mesurer ces moyens, au nōbre des soldatz, que peult mettre sus l'une, ou l'aultre nation, l'experience, c'est à dire l'Histoire, plaide ouuertement pour l'Anglois. Et qu'ainsi soit, le Roy Edouard, dont nous auons cy dessus parlé, amenà au secours Du duc de Bourgoigne, selon le tesmoignage de Comines, quinze cens hommes bien montés, la plus part bardés, & richement accoustrés. Item quinze mil archers à cheual. De nostre temps, le Roy Henry faisant descente en Picardie, pour se ioindre àl'Empereur Maximilian premier,Guichardin, lib. 12. au camp de Terouane, auoit cinq mil cheuaux, & plus de quarante mil hommes de pied, dont les vingt cinqmil estoyent Anglois & les quinze mil Lansquenetz. Que peult on dire de semblable pour le [Page 63] regard dela natiō Espaignole. l'Empereur Charles, & son filz le Roy Philippe, ont esté les Princes qui ont plus absoluement commandé à l'Espaigne: Toutesfois, ne l'un, ne l'aultre n'ont iamais en leurs guerres, fait leuee plus grande que de huictmil Espiagnols naturels & presque tous gens de pied. Car pour le regard de la cauallerie, l'Espaignol ressemble aucunemēt le casserou, qui à son cousteau et ne s'en sait ayder. De mesmes peult on dire, que les Espaignolz ont de fort bons cheuaulx, & s'en aydent plus pour traffiquer auec l'amy, que pour combatre & repousser l'ennemy. Mais par ce que la memoire des choses recētes, peut beaucoup seruir à desmesler ceste difficulté, i'emploieray icy vn tesmoignage si clair & euident, que celuy qui vouldra faire estat des forces Espaignols, n'aura pour tout fondement de son auys, qu'une legere creance, ou vne opiniastreté. Durant le regne du Roy François second, que les grandz de la France, estoyent en fort mauuais mesnage [Page 64] entre eux. Le Roy Philippes, escriuit vne lettre au Roy qui fut leué au conseil priué: Ie ne sçaurois pas dire en quel language elle estoit escrite, mais le contenu d'icelle sentoit asses la phrase d'Espaigne. Car il protestoit, qu'auenant remuement en France, il assisteroit le Roy son frere d'une armée de cinquante mil hommes. Le temps & l'occasion se presentà bien tost apres, d'effectuer ce que si solennellement il auoit protesté. Car la France fut fraccassée par l'orage d'une guerre ciuile. Et combien que noz miseres, feissent ruisseler presque autant de fontaines de l'armes, qu'il y a de villes en France, si est ce qu'elles donnoyent occasion au Roy d'Espaigne de se resiouir, luy fournissant moyen d'accomplir sa promesse: voyons donc comme il s'en acquità. Il fut prié d'enuoyer secours au Roy son frere, voulant rehabiliter en son premier estat la religion Romayne. Luy pour n'estre estimé māquer ou de zele, ou d'amytie enuers son frere, assemblà quelques [Page 65] troupes composees de ces prudens & religieuses personnes, qui font estat es destroitz des monts Pirenees, de prendre l'or sans peser & l'argent sans conter. Non pas toutesfois iusques au nombre de cinquante mil, comme il auoit promis, mais seullement iusques à deux mil. En sorte qu'il fut aisé à iuger à tous Arithmeticiens, que ce bon Prince faisant telle protestation que dessus, auoyt calculé ses moiens par regle de fausse positiō. Quant aux comportemens de ces braues & valeureux soldatz, à les considerer de pres: ils representoient ie ne scay quelle viue image des plus vieux siecles, durāt lesquels comme escrit Thucydide,Thucydides, lib. 1. le brigandage n'estoit subiect à aulcun reproche. Le respect de ces belles qualités, rendit aux Catholiques Romayns, la perte de ces gens de bien plus regretable. Car s'estans cāpés sur la riue du Tard, ces Amazones de Montauban, en quelques saillies en feirent mourir bon nombre, sans confession, et repentance, d'aulcun peché, sinon [Page 66] de celuy que lon nomme temerité militaire. Or par ce qu'en faisant comparaison de diuerses choses entre elles, la proposition Geometrique a beaucoup plus de cours que l'Arithmetique,Auast. lib. 5. celuy ne s'esloigneroit pas des termes de raisō, qui vouldroit prendre droict, plustost par la valeur, & merite des deux nations en fait d'armes, que par le nombre. Car bien souuent vne petite poignee de gens, rengera vne grande armee à la raison & luy passera sur le ventre. Ie suis infiniement marri, que ie ne puis produire de plus beaux tesmoignages de la prouesse des Anglois, que les grandes & signalees victoires qu'ils ont gaignees sur nous. Si est ce que noz valeureux ancestres en ces batailles, n'ayans en ryen moins faulte que de coeur & de bonne volonté, les Anglois ne se peuuent vanter d'aultre chose, sinon d'auoir vaincu de tresuaillans ennemys. Aussi les Poetes & Historiens, qui ont chanté leur prosperité, ne se sont iamais teus de nostre vaillāce. Breif la vertu [Page 67] & prouesse de noz ancestres, meritoit de ne pouuoir estre surmontee, sinon par des ennemys qui sçauent mesmes vain cre la victoire, c'est à dire, la fureur & l'insolence des armes victoireuses. Que les Cartaginoys se glorifient tant qu'ils vouldront de l'heureux succes de Cannes, si est ce, que le vouloir preferer à la iournee de Crecy, seroyt se mōstrer trop passioné, ou moins entendu en la cognoissance de l'histoire: dont nous pouuons recueillir, qu'en ceste tant renommee bataille, qui fut donnee l'an 1346 de nostre cousté moururēt vnze Princes, octante Barons, mil & deux cens hōmes de cheual & plus de trente mil hommes de pied. La battaille de Poictiers, dont i'ay parlé cy deuant, donnà vn semblable tesmoignage, tant de la prouesse Angloise à gaigner la victoire, que de la courtoisie à la sçauoir moderer. Ce qui me faict parler plus franchement de leur vertu & confesser rondement que le petit nombre des combatans de leur cousté, a rendu leurs victoires [Page 68] plus illustres & signalees. Ie ferois desraisonnable, de requerir qu'en ceste comparaison, les Espaignols fournissent de semblables tesmoignages de leur prouesse & vaillance: Car ils sont dispensés de ce faire par la regle de droict, qui dict que personne n'est obligé à l'execution de choses impossibles. Ie crainderois aussi d'estre estimé forgeur de paradoxes, en disant que les Espaignols ne sont belliqueux, si ie n'auois des preuues de mon dire si claires & euidentes, que ce seroit de propos deliberé, se fermer les yeux pour ne voir la clairté du soleil en plein midy. Et pour effoncer la matiere, et disputer des effects, par leur causes, ie dis que si la nature n'a changé le cours ordinaire de ses ouurages, l'Espaignol ne peult aucunement tenir reng entre les peuples belliqueux: Les nations qui habitent les pays froids, sont au dire d'Aristote, doues d'un plus hault & grand courage que les autres: mais d'esprit moins vif & aigu. Et partant elles ayment plus la liberté, mais [Page 69] sont moins habilles au mestier de bien commander à leur voisins.Aristo lib. 7. Cap. 7. Politic. Au contraire les nations Asiatiques, ont l'esprit plus eueillé: mays ayans le courage bas, elles ploient plus volontiers le col sous le ioug de seruitude. Et partant il conclud, que les Grecs, comme tenans le millieu, ne trop chaud, ne trop froid, sont participans à l'une, & l'aultre complexion. Or cōme sa proposition est fondee sur vne si bonne consideratiō, qu'elle luy sera tousiours auouee, par tous hommes de bon sens, aussi ose ie bien dire, qu'en l'application d'icelle, l'amour de verité, a fait place à celuy de la patrie. Car le plus Septentrional de la Grece, est de quarante quatre degrés, qui est l'eleuatiō du quartier de Cō stātinople, cōme aussi des mōs Pyrenees, qui separent la France de l'Espaigne: Et partant le quarāte cinquiesme degré, qui est de la vraye borne de la temperature, marquāt le millieu de la Frāce, nous pouuons bien dire, que nostre pais est plus tē peré que la Grece. Or cōbien que l'Angleterre [Page 70] soit aultant ou plus Septentrionale que partie de la Gaulle, si est ce qu'estant entourcee de l'Occean, de toutes parts, les froidures ny sont si excessiues qu'en Frāce, comme a fort bien remarqué Cesar. Et par ainsi, il est aisé à conclure, qu'à raison de la situation du lieu, les Anglois sont & belliqueux & prudens, cest à dire, accomplis de tout ce qui est necessaire, au reiglement de la vie politique. Car la force du corps n'est moins requise en l'execution, que la dexterité & vigeur d'esprit en l'entreprinse, comme dit fort bien le Poete Pindare:Pindare ode, 1. Nem.
Et ne sert de dire, comme faict Comines, que les Anglois sont fort choleriques,Cicero pro Marcello. passion qui plus qu'aultre embrouille le iugement, mesmement quant il est question de se resoudre. Car cela [Page 71] pouuoit auoir lieu du temps de Comines, que les Anglois n'estoient encores si polis, comme ils ont esté depuys, par la cognoissance des bonnes lettres. Mais depuys que par la liberalité du Roy Edouard, on a veu deux Athenes en vne seulle Angleterre, asçauoir, Cambrige, & Oxfort, on ne sçauroit bonnement iuger, si ce tant puissant royaulme, a esté plus fertile en biens de la terre, qu'en Esprits desliés, accords & sublimes au maniement des affaires. Il y a soixante,Machiauel. en son liure du Prince. ou quatre vint ans, que les Italiens faisoient vn mesme reproche aux François, que Comines faict aux Anglois: asçauoir, qu'ilz n'entendoient rien aux affaires d'estat. Mais depuys que le Roy François eut peuplé la France d'hommes doctes, par le moyen des professeurs que de toutes parts il fit venir à Paris, les Italiens se flateroyent par trop eux mesmes, s'ils pensoient que au maniemēt des affaires politiques, les Esprits François leur deussēt rien de retour. C'est pourquoy Pierre de la Ramee [Page 72] personnage dont le renom fait tous les iours, la ronde par tous les climats de la terre, s'affectionoit tellement à louer en ses deuis familiers, la liberalité & les autres excellentes vertus du Roy Edouard & de la Royne Elizabeth, qu'il n'estimoit auoir trouué diue subiect de sa merueilleuse faconde, sinon qu'en discourant de la nature d'une Royale & heroique vertu, auquel il en representoit vn vray & naif pourtraict es actions & deportemens de ces deux Princes. Mais le desir que i'ay, auec le moien de monstrer, que l'espaignol n'est belliqueux, fait que ie suis vn peu plus court en discourant de la prudence Angloise. I'estime que la raison que i'ay amené d'Aristote, est suffisante pour debouter l'Espaignol, du reng qu'il pretend tenir entre les nations belliqueuses. Toutesfois si quelqu'un ayme mieux s'en raporter à l'experience, qu'à ces raisons Philosophiques, ie n'ay qu'asses de moien pour le contenter, s'il est homme qui se paye de raison. Ie dis donc que deuant [Page 73] cent ans, la nation Espaignole n'auoit aucune reputation pour fait des armes. Et de cela ie m'en raporte au tesmoignage des histoires. Ie dis d'auantage, que depuys ce temps là, toutes les foys & quantes que les Princes d'Espaigne ont fondé la principale force de leurs armees sur les troupes Espaignoles, ils ont tousiours reçeu quelques roides secousses. Les batailes de Rauēne & Serizoles font suffisament foy de mon dire. Au contraire, s'ils ont eu quelques auantages sur nous, comme à Pauye, Sainct Quintin & Graueline, ils en doiuent la recognoissance aux Allemans & aux Anglois. Ie confesse bien que sous la sage conduicte de l'Empereur Charles, ils se sont reduicts à quelque discipline, qu'ils continuent & continueront, tant qu'il plaira à Dieu se seruir d'eux pour executeurs de sa iuste vengeance. Car c'est luy qui donne & oste la vertu aux hommes, comme & quant bon luy semble, comme [Page 74] le Poete Homere a fort bien remarqué disant:
Et combien que les Espaignolz surpassent toutes nations du monde en vaine & sotte iactance, quant il est question de leur prouesse & vaillance, si est ce qu'ils tachent de se surmonter eux mesmes en ceste impudente bauerie, quant ils viennent à discourir de leurs thesors & richesses. Et par ce que cestuy cy est le principal fondement de leur imaginaire grandeur, i'insisteray vn peu plus sur cest article, & feray cognoistre que s'ils auoient la tierce partie des richesses qu'ilz imaginent, ilz seroient troisfois plus riches qu'ils ne sont. Les Egyptiens contoient en leurs histoires, qu'au temple de [Page 75] Iupiter il y auoit vne obelisque composée de quatre emeraudes, aiant chascune quarante coudees delong:Theophrastus [...] dont Theophraste se moque plaisamment, & auec grande raison. Telz & semblables comptez se trouuent es historiens Espaignols touchant l'isle de Zipangri, ou ces bōnes gens nous feroient volontiers à croire, que les mouches portent bastons à deux bouts. Quant aux thesors du Peru, pour faire cognoistre que leurs discours estoient retracés à l'imitation de la vray histoire de Lucian, ils semblent n'auoir rien oublié a dire, sinon qu'au cabinet d'Atapaliba, ils trouuerent vne centaine de Diamants, chascun d'eux (pour le moins) de la grosseur d'un oeuf d'Austruche. Mais laissant à part ces bourdes, qui ne peuuēt estre creues sinon par ceux qui croient la realle verité des Metamorphoses d'Ouide: considerons que ces richesses ne viennent pas es coffres du Roy d'Espaigne, comme l'herbe en vn pré, c'est à dire, sans rien debourser, mais qu'au [Page 76] contraire la voicture couste beaucoup. Considerons d'auantage que les autres nations, & sur toutes les François, ont aprins le chemin du Perou, & craignans peut estre que les Espaignols perissent en mer pour estre trop chargés, leur prestent asses souuent & de bon coeur ceste charité, que de receuoir l'une partie du fardeau en leurs nauires. Voire tant noz François sont gracieux & courtois, qu'ils constraignent les Espaignols veuillent ou non, d'accepter les effects & tesmoignages de si charitable debonnaireté. Outre tout cela, les Indiens commencent à deuenir mauuais garçons, & ne faire plus tant d'estat, des mirouers, espingles & autres tels presens des Espaignols, quelqu'un leur ayant peut estre, fait gouster la sentence de Sophocles:Sophocles in in Aiace.
Et quant bien toutes les occasions cesseroient, est il possible que la possession [Page 77] d'une chose si mal acquise, puisse durer longuement. Pensons nous qu'il y ait Indien en la suiection de l'Espaignol, qui mille fois le iour ne crie en son patois, ceste sentence d'Aristophane:Aristophanes in Pluto.
Aristote dict,Aristo. de Metaphys. lib. 5. cap. 23. qu'un pays est inuesti & tenu d'un Tiran, de la mesme façon que les corps humains de la fieure: Combien ie vous prie, pensons nous que ces pouures Americains tourmentés si longuement d'une telle fieure, gettent des gemissemens, qui penetrent iusques aux oreilles de celuy qui tient le gouuernail des choses de ce monde.
Estimons nous que la main de Dieu soit accourcie,Esayas ca. 33. pour n'executer en son temps les menaces qu'il fait par la bouche de son Prophete, contre les brigans, pillars & fourrageurs. Ou est l'estat au [Page 78] monde tant fleurissant soit il, qui puisse estre exempté de ruine & bouleuersement. Quel est le conseil, quelle est la force, qui le puisse garentir de la main du Dieu viuant & tout-puissant? Les mechess trottent de maison en maison, comme dit Euripides en termes, aultant exquis & riches qu'il est possible:
Le mesme & auec meilleur raison se peult dire pour le regard des Monarchies, és quelles on voit de iour à aultre, l'accomplissement de ceste menace, qui est si sagement couchée par Hesiode, parlant de Iupiter:
Ce qui a lieu mesmement, quant les pechés tant du peuple que du Magistrat,Vitello, lib. 4. viennent à forcer la patience de Dieu. Les mathematiciens tiennent que les grandeurs augumentées, semblent aprocher de l'oeil, combien qu'à la realle verité elles n'aprochent aucunemēt. Mais il en prent tout aultrement des pechés,Theoxen, 129. Euclid. opt. Theox. 58. qui entassés les vnz sur les autres s'aprochent, voire se presentent d'eux mesmes deuant l'oeil du Dieu viuant, qui bien souuent punit les peuples par les Roys, & les Roys par les peuples, n'estant sa iustice reglee, par vne mesme esquierre que les iugemens humains & ciuiles, esquels selon les iureconsultes Noxa caput sequitur. Caius, lib. 20. & vltim. D. de Noxal. action. De cela nous auons vn clair & notable exemple en Abimelech Roy de Guerar, qui s'excusant enuers Abraham vse de ce langage: Que t'ay ie faict, et en quoy t'ay ie offencé,Genesis, 20 chap. que tu as fait venir sur moy & sur mon Royaume vn grand peché. Que si Abimelech appelle vn grand peché l'adultere, comment appellerons nous celuy dont [Page 80] on ne pourroit donner meilleure description, que la conformité de l'exemple proposé par Suetone, en la vie de Claudius, chapitre vingt sixiesme. Que si ce propos semble trop obscur à quelqu'un, qu'il lise seulement ce qui est escrit, par le iure consulte Paulus. L. 39. si quis D. de ritu nuptiarum, & il entendra clairement mon dire. Mais ce n'est pas tout, car il y a encores encest endroict, d'autres meschācetés, aultant ou plus enormes, qu'on pense tenir bien secretes, comme si le dire du Poete Musée n'auoit pas lieu autant en vn aage qu'en l'autre:
Si donc nous estimons la iustice diuine immuable, sçachons & nous tenons tout asseurés, que Dieu visiterà telles & si execrables meschācetés, plus des hōnestes que faciles à celer, et fera quoy qu'il tarde, sentir sa vengeance à l'espaignol et à son Roy.
Brief, le temps vient et ne tardera point, que ceste meschante nation, que depuis cent ans a fait mestier de piller & butiner, sera exposée pour pillage & butin aux autres nations. Le temps di-ie s'aproche, auquel ou les Indiens, ou mesmes les lieutenans du Roy d'Espaigne, se reuoltans seront lez executeurs de l'ire de Dieu, contre l'auarice & cruaulté de leur nation. Reste maintenant à considerer le troisiesme & dernier article de ce discours, à sçauoir, quelle des deux nations estant deuenue ennemye, a plus de moyen de nous nuire. Ce poinct peult bien estre vuidé, par ce qui a esté discouru en l'article precedent, touchant les moyens que l'une & l'autre nation a de nous secourir: si est ce toutesfois, qu'auenant que l'Anglois eust vn pied en France, et mesmemēt en la Guyenne, il nous seroit aultant difficile, d'empescher qu'une bonne partie de la noblesse n'espousast son parti, que d'enseuelir [Page 82] la memoire des bienfaits et faueurs que leurs maisōs ont iadis reçeu des Roys d'Angleterre. Attendu que les pancartes des plus grandes maisons de la Guyenne, sont autant de tesmoignages, ou à mieulx dire, aultant d'instrumens autentiques, faisans foy de l'obligation qu'elles ont à la memoire des Roys d'Angleterre. D'auantage venans aux prinses auec l'Anglois, chascun sçait qu'ils ont des bons fossés, larges & profonds & qu'on ne peut tarir. Au contraire, suiuant l'opinion de ce grand Capitaine l'Admiral de Chastillon, il ne nous est moins facile qu'expedient de dōter l'Espaignol, si nous luy faisons la guerre comme il fault, c'est à dire, si voulans couper la riuiere à sa source, nous l'allons attaquer dans l'Espaigne, pais de facile entrée, despourueu de villes fortes & qui ne peut estre que fort difficillement secouru d'Alemaigne. Ou tout au rebours nostre armée auroit à dos le Lāguedoc & la Gascoigne, toutes deux fertiles en viures & en soudards. De [Page 83] sorte que ce quartier la, peult estre auiourdhuy appellé en France, le magasin de Mars. Quant ie n'aiousterois autre chose, si est ce, que les motifs cy dessus deduicts bien considerés, concluent asses d'eux mesmes, que preferer, ou apparier, l'alliance d'Espaigne à celle d'Angleterre, est ouuertemēt se declarer desnatureé enuers ses alliées. Est se monstrer stupide, ne saçhant pas discerner le naturel symbolisant au nostre, d'auec le contraire. Est se formaliser contre le bien & le profit de sa patrie. Les Espaignols comme nous auons dit, sont auares, cauteleux, superbes & rauissans. Changerons nous la liberalité Françoise, en vn villaine & insaciable auarice? Changerons nous la generosité du Lyon, en la malice du Renard? Deuiendrons nous de courtois arrogans, de doux & debonnaires cruels & rauissans? Nous despouillerons nous tellement des vertus qui nous ont acquis reputation par tout le monde, qu'il ne nous reste rien de François, que le seul nom? [Page 84] Et toutesfois si nous considerons de pres le naturel de l'Espaignol, le miserable changement dont ie viens de parler, sera tousiours remarqué, pour vn euident & certain tesmoignage de nostre trop grāde facilité, à faire si grand cas d'une nation qui resemblant au lierre, a tousiours faict sentir les plus pernicieux effects de sa malice, enuers ceux quy luy estoyent plus estroictement alliéz. Que si la priere est contée pour vn deuoir d'homme de bien enuers sa patrie, ie prie à Dieu, ô France, que ta conseruation & agrandissement, soit vn perpetuel miroir de sa bonté & sagesse, reluisant au gouuernement des grands estats & monarchies: & qu'à ceste fin il te desille les yeux, pour sçauoir discerner le poison emmielé, par le quel on tasche d'auancer la ruine & aneantissement de ta grandeur.