Discours politique, tres-EXCELLENT POVR LE temps present: composé par vn gentil-homme Francois, contre ceulx de la Ligue, qui taschoyent de persuader au Roy, de rom­pre l'Alliance qu'il a auec l'Angle­terre, & la confirmer auec l'Espaigne.

Ps.xxxv.
Debat contre mes debateurs,
Comba, Seigneur, mes combateurs,
Empoigne moy bouclier & lance,
Et pour me secourir t'auance.
Charge les, & marche au deuant,
Garde les d'aller plus auant.
Di, à mon ame: Ame, ie suis,
Celuy qui garentir te puis.

M.D.LXXXVIII.

Auxlecteurs.

AMis lecteurs, il y a en­uiron trois ans, que cest ex­quis discours, m'est tombé en­tre les mains. Lequel par plu­sieurs diuerses occupations & empeschemens, m'est demeure en icelles come enseuely, & ce neantmoins, contre ma volon­té: Car le temps s'est offert depuis, trespropre pour l'auoir en lumiere, mesme, comme le re­querant de moy (en maniere de dire) par force, pour l'amour de ses occurences, alors encor ca­chees, les quelles a present il a manifestees. A raison dequoy, il me semon, & me charge de l'iniure que ie luy fais, si ie ne le luy laisse a­uoir presentement: me menacant de m'accu­ser de nonchalance & ingratitude, enuers la tresuaillante, et tresheureuse nation Angloise, en cas que ie le luy refuse encor ceste fois. Car il est merueilleusement desireux (a mon sem­blant) [Page] de vous faire toucher au doit, & veoir a l'oeil, la tresgrande difference qu'il y a entre ces deux nations, en toutes sortes & qualites, auec raisons, aussi bien fondees que veritables. Ce que cognoissant, vous seres contraintz, de confesser auec moy, ce que i'en croy, si vous n'e­stes transportes de propre passion, sans au­cune raison. Ainsi donc, lises, entendes, & puis corriges, et vous feres, ce que deues. Et a Dieu soyes.

Discours politique, tresexcellent, pour le temps present: composé par vng gentilhomme Fran­cois, contre ceulx de la Ligue, qui taschoyent de persuader au Roy, de rompre l'Alliance qu'il a auec l'Angleterre, & la confirmer auec l' Espaigne.

SYlla Capitaine Romain,Sallustius in Iugurta. voulant induire Bochus à la marchandise qu'il pra­ticquoit de Iugurta, fonde principalment sa remon­strance sur ceste maxime: Que iamais homme n'eust asses d'amys. Chose que la commune & ordinaire ex­perience, nous faict tellement toucher au doit, & à l'oeil, que vouloir debatre, & impugner ceste sentence, n'est autre cas, que se declarer parclus de iugement & de sens commun. C'est pourquoy, en no­stre langue Francoise, le prouerbe ordi­naire chante, (Que celuy qui a bon voi­sin, a bon matin) nous aduertissant, que celuy qui se maintient en bon mesnage auec ses voisins, a prins le plus beau party, qu'il eust sceu donner à l'estat de ses parti­culiers [Page 6] affaires. Car comme il n'est rien plus aigre, que de se voir aux prinses auec ceulx dont on attend secours & soula­gement en son aduersité: aussi n'y a il plus grand contentement, que de se voir tellement caressé, & chery de ses voisins, que ce nous soyent autāt de tesmoignages de nostre preudhommye.Hosiodus [...]. Ceque conside­rantz les hommes doctes, qui par leurs escritz nous ont tracé le chemin de vertu, ont faict si grand estat du respect deu aux bons voisins,Cicero. 1. off. que pour certain regard ils l'ont preferé a celuy qui est deu aux pa­rens & alliéz. Ce grand & sage Capitaine Themistocles, monstrà quelques fois a­uoir bien entendu ce poinct. Car faisant vendre a l'enchére vn sien heritage, il com­manda à celuy qui faisoit la criée, de dire & proclamer haultement, pour mieux a­precier le dict heritage, qu'il estoit bien a­voisiné. Que si en choses particulieres, le respect du voisinage nous doit estre en telle recommandation, combien plus ie vous prie au maniement, & en la con­duite [Page 7] d'un estat. Qui est l'homme si ig­norant des affaires de ce monde, qui ne sa­che que le voisinage des Bulgaires occasi­onant l'entree, & la descēte des Turcz enla Gréce, leur a ouuert le chemin pour s'em­parer de ce qu'ilz tiennent auiourdhuy en l'Europe? Le sēblable se peult dire pour le regard de l'Italie. Car les affaires des Venetiens, Florentines, Geneuois, et Nea­politains, n'ont esté embrouillés que par la malice d'un leur voisin, a Sauoir, Loys Sforce, vsurpateur de l'estat de Milan, qui pour assouuir ses passions particulieres, n'a pas fait conscience de troubler le re­pos, dont l'Italie auoit si longuement io­uy par la prudence de Laurens de Medi­cis, & exposer sa patrie en proye aux ar­mes & à la violence des Francois. Au con­traire si nous regardons de pres l'Estat des choses passées, nous trouuerons que beaucoup de grandes maisons d'Alema­gne, ont esté par la clairuoyance et cordia­le affection deleurs voisins, garenties du bouleuersement, dont l'orage commun [Page 8] les menacoit. Du temps de noz Peres, a scauoir, 1504. Philippes Conte Pala­tin, vint aux prinses auec l'Empereur Maximilien, & ayant l'issue de cest affaire, aussi peu de prosperité, que l'enterprinse a­uoyt eu de droicture, i'l fut mis au ban de l'Empire, & reduit en grande perplexité. Mais Fredericque duc de Saxe son voisin, Prince accord, & de grand sens, manià si souplement cest affaire, que tout l'orage se changeà en vne douce & riante bonasse. En quoy toutesfois, ie n'estime point, que les Princes puissent pretendre aulcun aduantage, sur les Estatz Aristocratiques & populaires. Chascun scait, comment il y a enuiron quarante ans, que Charles Duc de Sauoye, s'emparà de Geneue: la possession & seigneurie de laquelle, il eust laissé à ses successeurs, si ceux de Fribourg, combourgeois & alliés des Geneuiens, ne l'eussent fait demordre et quiter la proye, qu'il tenoit entre les dentz. I'amene ces exemples familiers & de fresche date, pour ne m'arrester beaucoup aux anciens, & [Page 9] mesmement de la republique d'Athenes, qui a tousiours faict estat de releuer ses voisins abatus par quelque roide scousse: dont le restablissement de Thebes serui­ra d'un suffisant tesmoignage, si long tēps que la vie humaine aura cest heur, d'estre esclairée par la lumiere des bonnes lettres. Voyla doncques des raisons pertinentes pour nous faire cognoistre combien soig­neusement les estatz & seigneuries doy­uent estre estansonnées, par l'amitie & bonne confidence des voisins. Mais com­me ce point est de grande importance, aussi requiert il vne profonde et meure consideration. Car les hommes moins clairvoyans & praticqués aux affaires de ce monde, se laissent d'autant plus facile­ment piper, que la vaine apparence se scait affubler & parér du lustre de l'utilité solide. Et pour exemplifier la matiere, & parla deductiō d'un fait particulier, don­ner ouuerture à la decision d'une genera­lité, ie parleray de ce qui concerne de plus pres le mesnagement de noz affaires. Il [Page 10] ny a celuy pour louche qu'il soit d'enten­dement, qui ne voye & cognoisse claire­ment le pouure & miserable estat, auquel la France perdant son ancien lustre, est re­duicte auiourdhuy, par la longueur & ai­greur des guerres ciuiles. Chascun con­fesse qu'elle a besoing de restaurant, pour se releuer d'une si pernicieuse recidiue. Toutesfoys, tous ne s'accordent pas, quant à la confection & aux ingrediens propres & sortables à vn tel restauratif. Tant y a que ceux qui par le maniement des affai­res, se sont preualus d'une plus grande ex­perience, en viennent là: que suiuant la reigle des bons medecins, il fault guerir la maladie par son contraire. Et puys que le mal de la France ne procede que d'in­quietude, qu'il n'y a meilleur expedient pour la rehabiliter en sa premiere conua­lescēce, qu'un bon et asseuré repos. Auys a mon iugement beaucoup mieux fondé en raison que clairemēt discouru. Et qu'ainsi soit, quant il est question du repoz de no­stre patrie, celui seroit par trop mal auisé [Page 11] qui le vouldroit borner par le pourpris de la France, ne se souciant pas beaucoup en quel mesnage elle puisse estre, auec ses voisins, moyenant que les regnicoles vi­uent en paix les vns auec les autres, et que l'embrasement des guerres ciuiles soit e­steinct. Or encores que ie confesse ronde­ment, que estans reduictz en termes de tomber en l'un des deux inconueni­ens, il ny á guerre estrangere, pour diffi­cile & dangereuse qu'elle soit, qu'on ne doyue entreprendre, si par icelle on peult garentir la patrie, d'une guerre ciuile: si est ce que l'entiere prosperité d'un estat, est fondée sur l'exemption de ces deux in­conueniens. Sinon que nouz estimons nostre siecle estre priuilegé de quelque speciale faueur, pour auoir la guerre sans les appenages d'icelle, assauoir, la misere et la pouureté. Ceulx dōc, qui veulēt pro­curer le bien & repos de nostre France, doiuent viser à ce but, que non seule­ment, toute cōbustion ciuile soit amor­tie: mais aussi, qu'elle se maintienne [Page 12] en bon mesnage auecses voisins. Et sur tout, de ceulx dont l'alliance luy est, & plus commode & plus asseurée. Qui est vn point à mon iugement, auta nt necessaire que difficile à decider, pour la diuersité des passions de ceux qui font estat, de preferer leur profit particulier au bien & vtilité publicque. Si est-ce que en la deduction du faict, nouz n'ap­portons autre passion, qu'un ardent a­mour de verité, & de nostre propre pa­trie, il n'y aura pas beaucoup à faire à des­mesler ceste difficulté. Et ne pense point, (tout conté & rabatu) soit qu'on le con­sidere en gros, soit qu'on aye quelque particulier respect au tempz present, qu'il y aye aucun de noz voisins, dont l'alliance nous soit tant cōmode, et duisi­ble, que celle de l'Angleterre. Au con­traire, i'estime que celuy qui en affaires d'estat, vouldroit faire vn traicte des er­reurs populaires, ne pourroit choisir vn plus bel argument, qu'en monstrant, que ceux qui appellent ordinairement [Page 13] les Anglois, anciens ennemis de l'estat & couronne de France, voulans estre e­stimés doctes entreles ignorans, se de­scouurent du tout ignorans entre les doctes. Et d'autant que beaucoup de courtisans, que i'ay ouy discourir de cest argument, en viennent là, qu'ils prefer­rent l'alliance d'Espaigne à toute autre, ayans (comme ils disent) esgard au bien, & salut de la France: ie disputeray ceste question, qui à mon iugement n'a meil­leur fondement, qu'une affection par­tialisée, ou vne trop sommaire cognois­sance des affaires de cemonde. I'espe­re donc monstrer par viues raisons, que l'alliance d'Angleterre nous est de beau­coup plus duisible, que celle d'Espaigne, & par mesme moyen vuyder la pro­position generale, & faire cognoistre, qu'il n'y a peuple au monde, du quel l'al­liance nous soit si commode, & neces­saire, que celle de l'Anglois. Et pour donner fondement à mon opinion, ie dis, quant il est question de traicter [Page 14] alliance auec vng peuple, on a sur tout esgard à deux choses: L'une que ceulx dont nous preferons l'alliance, ayent plus d'occasions & des moyens de nous secourir: l'autre qu'ils ayent aussi plus de moyens de nous nuyre, estans de­uenus nos ennemis. Et quel est, ie vouz prie, le peuple au monde, qui aye plus iu­ste occasion de nous aymer, que l'An­glois, qui nouz est allié de sang, confor­me en meurs, & fraternisant en vertueu­ses inclinations. Ceque i'entens dire, non seulement des Anglois, que nous appel­lons auiordhuy, mais aussi des anciens Bretons, dont on voit encores les reli­ques, au pays des Galles. Lesquelz quoy que simbolisans en meurs, facons, & vsances, different neantmoins en lan­gage, des autres peuples d'Angleterre. Caesar qui premier d'entre les Capitaines Romains,Caesar. lib. 5 de bello Gallico. a descouuert, & eu cognois­sance de l'estat de ceste Isle, nous aprend que l'une partie des Bretons, assauoir, ceux qui auoisinoyent la mer, ont prins [Page 15] leur origine des Belges. Le mesme au­theur, nous a laissé par escrit,Caes. lib. 2. de bello Gal­lico. que de son temps, le Roy des Soyssons, nommé Diuitiacus, auoyt aussi commandé, à l'estat de la grand Bretaigne. Et pour ce, n'est il de merueilles, si les Bretons (mes­mement ceux qui habitoyent à l'en­tour de Cantium) simbolisoyent, en hu­manité & facons de viure, auec les Gaullois. Et de fait, si nous en voulons prendre droict, par ce que nous en trou­uons par escrit, rien ne se peut dire plus fraternisant, que ces deux nations. Sans m'amuser à esplucher le tout par le me­nu, ie parleray seulement des Druydes, qui auoyent anciennement le manie­ment des affaires en l'une & l'autre na­tion. Ces Druydes estoient Poetes & Prestres, comme estoit ancienement vng Hesiode en la Grece. C'est chose certaine, que les premiers entre les Grecz, qui ont peuplé leur patrie de la cognoisance des lettres, comprenoyent toute leur doctrine en vers, comme ont fait Homere, He­siode, [Page 16] Orphée, Museus, Linus, Empe­docles, Parmenides, & mesme Pitheus, dont Plutarque fait mētion.Plutarchus in Theseo. Plato in Lysi­da. Cicero 2. de natura Deo­rum. C'est pour­quoy Platon a beaucoup deferé aux Po­etes, iusques à les appeller Peres, & chefs de sagesse: ces Druydes estoient aussi Mathematiciens, & Philosophes. Qui fait que ie ne puis bonnement com­prendre, à quoy pensoit Ciceron, appa­riant les Bretons & les Scythes, pour le regard de l'ignorance es Mathematiques: s'il s'en est rapporté au tesmoignage de sonfamilier Trebatius, chascū scait, que c'est vn tesmoing, ainsi qu'on peut re­cueillir des escritz mesmes de Ciceron, Qui calathum libentius, quam coelum contempla­batur. Mais il semble que Ciceron, autre­ment personnage de iugement exquis, aye voulu verifier le dire de Thales Mi­lesius, qui estant enquis, combien la ve­rité est differente du mensonge: autant, dit il, que les yeux des oreilles. Ainsi nous pourrons dire, pour le regard du passage que nous auons en main, que [Page 17] nous recognoissons des yeux en Caesar, & des oreilles en Ciceron. Or soit que les Bretons ayent prins des Gaullois, la co­gnoissance des bonnes lettres, ou les Gaullois des Bretons, tant y a que les ieu­nes hommes de la Gaulle, pour vn plus grand auancement de leurs estudes, se transportoient en la Bretaigne, vers les Druydes du pays, dont ilz aprenoient les plus reclus secrets de philosophie, & Ma­thematique. Si nous en voulons rappor­ter à ce que Cesar en a escrit, la philoso­phie & doctrine des Druydes, a eu son commancement en la grand Bretaigne. Opinion que i'embrasse volontiers,Petrus Ramus de moribus veterum Gal­lorum. quoy que cest excellent et rare personnage, Pier­re de la Ramée, semble tenir le contraire, en quelque sien escrit. Ce n'est donc de merueilles, si vne nation si docte, & tant bien nourrie aux lettres, a esté douée d'une humanité sortable à son sçauoir, & dont nostre ancienne Gaulle a recueilli le prin­cipal fruict. De sorte que Caesar,Caesar lib. 4. de bello Gallico. voulant faire descente en la Bretaigne, n'ameine [Page 18] autre pretexte de son proiect, sinon que les Gaullois auoient esté secourus des Bre­tons, en toutes les querelles qu'ils auoient eu à demesler auec les Romains: Que si quelqu'un pense, que les peuples qui de­puis le temps de Caesar, se sont emparés de la Gaulle, & de la Bretaigne, assauoir, les Anglois, & les Francois, ayent eu moins estroicte amitie, voire mesmes moindres occasions des'entr'aymer, il s'a­buse tout autant, que celuy qui ignore, combien de force a l'amitié fondée sur l'alliance naturelle, dont la memoire ne peut estre enseuelie, ny par laps de temps, ny par la distance des lieux. Les Bour­geois de Says en Egypte, disoient leur ville auoir este fondée, par la déesse Mi­nerue, comme aussi faisoient les Atheni­ens. En contemplation de laquelle alli­ance,Plato in Ti­maeo. cōme tesmoigne Platon, lez Grecz en general, & particulierement les Athe­niens, estoient bien venus, & caressés à Says. Il reste donc à considerer, combien estroictement les Francois sont vnis auec [Page 19] les Anglois, & quelle demonstration d'a­mitie, ilz ont fait de tout temps, les vns a­uec les autres. Et ne sert de dire, qu'ilz ont eu des grandes & longues guerres ensem­ble, voire de la memoire de nouz ayeulz. Car par mesme raison, faudroit bannir l'amitie, d'entre tous les peuples de la ter­re. Par mesme raison, faudroit conclure, qu'il n'y peut auoir amitie, entre les Fran­cois mesmes qui de fresche date, ont dressé en leur patrie, vn eschaffault de la plus sanglante tragedie, dont on aye iamais ouy parler. Et quant aux guerres des An­glois, & Francois, i'espere monstrer cy a­pres, en son lieu, que tant s'en faut, que ceste consideration, doyue apporter quel­que alteration à nostre amitie enuers eux, qu'au contraire, ce nous doit estre vn mo­tif fort pertinent, pour nous causer quel­que accroissement de bonne volonte, en leur endroit. Car Dieu leur ayant donné, de si grands auantages sur nous, comme chascun scait, on ne scauroit dire, si ceste genereuse nation, s'est monstrée plus vail­lante [Page 20] au combat, que doulce & courtoise apres la victoire. Encores moins font à propos, les quolibetz, qu'on oit par les rues, tant en France, qu'en Angleterre: comme entre autres, ces motz, coue, & frenche-dogue: Qui est la rethorique des crocheteurs, sauetiers, macheriuetz, & autres gens de tel billon: non pas le lan­gage des gens honnestes, & ciuilisés, dont nous entendons parler en ce discours. Laissans dōc à part tout cemenu bagage, parlons de l'amitie naturelle, qui est entre les deux nations. Du temps des Empe­reurs Martian & Valentinian, enuiron l'an de Christ 449. Vitigerne Roy de la grand Bretaigne, voulant repousser les Pictes, & Escossois, appella à son ayde les Angles, ou Anglois, qui pour lors de­meuroyent entre les Vites, & Saxons. Et de fait les Galles appellent encores au­iourdhuy les Anglois, Sassez, comme qui diroit, Saxes. Ce qui m'a esté asseuré par quelques hommes doctes du pays. Il re­sulte donc de ce discours, que les An­glois [Page 21] sont venuz d'Alemaigne, comme aussi sont les François, selon que noz hi­stoires chantent. Et combien que pour le regard de la nation Françoise, ie n'oserois pas asseurer, qu'elle soit descendue des Saxes, si est-ce, que la maison des Roys, qui auiourdhuy commande en France, en tire son estoc, comme sçauent ceux qui ont plus claire cognoissance de l'histoire. Car Widequind Saxon, extraict du grand Windekind, domté par Charles maigne, vint en France, au secours de Charles le chauue, qui estoit fort inquieté des Nor­mans. Ce ieune Windekind eust vn filz nommé Robert, si heureusement suy­uant les traces de son Pere, que Charles le chauue, le fit chef de l'armée, qu'il enuoyà contre les Normans, qui pour lors raua­geoient la Frāce. Robert fut tué en battail­le, laissant vn filz nōmé Othon, qui de consentement de l'Empereur Arnoul cō ­manda en France, durant la minorité de Charles le simple. Dōt toutefois, il ne s'est pas acquis tant de reputation, que pour a­uoir [Page 22] este Pere de Hugues le grād, Conte de Paris. Mais Hugues capet, filz de hugues le grād, a surpassé la gloire & le lustre de tous les susdicts tant pour s'estre rendu patrō de l'estat absolu de la France, que pour auoir laissé vne posterité Royalle, qui iusques au iourdhuy,Aristot. lib. primo cap. primo. polit. est encores en pie, diuisée en deux maisons, a scauoir, de Valois, & de Bourbon. Ainsi pouuons nous conclure que si les Francois, & Anglois, ne peuuent estre ditz selon Charondas, [...], c'est a dire, viuantz ensemblement, ou bien selon Epimenides, [...]. comme qui di­roit, nourris en mesme foyer, ou comme nous parlons en France, gens estants en­sēble a pot et a feu, si est ce qu'on les peut à bon droit appeller, [...], c'est a dire, descendans de mesme extraction. Et combien que ceste alliāce soit d'elle mes­me asses esclarcie par les historiens, si est qu'elle l'est encores mieux, par la confor­mité des meurs de ces deux peuples, & les bons deportemens des vns enuers les au­tres. l'Anglois, comme le Francois, est ge­nereux, [Page 23] & par consequent, comme en­seigne Aristote, esloigné de dissimulation,Arist. de Phi­loso. moral. Lib. 4. cap. 3. haissant, ou aymant, ouuertement, se conduisant plus par verité, que par opini­on, aymant beaucoup mieux, l'effect, que l'apparence, franc en son parler, ay­mant la liberté, & oubliant facilement les iniures. Dauantage il est liberal, ciuil, courtois & debonnaire. De toutes les vertueuses qualitez, ie pense qu'on y trou­uerà, aultant de clairs & euidents tes­moignages, qu'il y a des passages parlans de leurs exploicts, es historiens non pas­sionés. Car pour le regard de la ciuilité, quel meilleur tesmoing en pourrōs nous auoir, que Phillipes de Comines,Comines chap. 54. qui luy mesmes l'auoit experimenté de la part du Seigneur de Vaucler. Ie parlerois d'une chose trop diuulguée par tout le mon­de, si i'emploiois beaucoup de propos, à discourir de leur magnificence & libera­lité.Herodianus in Commodo. Certainement s'il est vray ce que He­rodian escrit, touchant les Barbares, à scauoir, qu'ilz sont naturellement frians [Page 24] d'argent, les Anglois sont suffisāment des­chargés du blasme de barberie, quoy que quelques escriuains, ou ignorans, ou passionnés, les denigrent pour ce regard. Et qu'est il besoing, d'insister longue­ment sur ce propos, attendu que l'expe­rience & le tesmoignage des personnes il­lustres & signalées ratifie ouuertement mō dire. Le feu Vidame de Chartres (qui pour estre vn des plus liberaux Seigneurs de nostre temps pouuoit mieux parler de la liberalité) disoit ouuertement, que s'il y auoyt nation en la Chrestienté, plus li­berale & humayne, enuers les estran­gers que l'Anglois, il vouloit estre mis au rang de ceux qui parlent legierement des choses à eux incognues. Celuy qui a suc­cedé, non moyns à ses vertus qu'à son heritage, proteste souuent, qu'il n'ose parler de l'humanité courtoisie, & libe­ralité des Anglois, craignant d'entamer vn discours, dont l'entrée se peut trou­uer beaucoup plus aysement, que non pas l'yssue.

Odet Cardinal de Chastillon, auoit ordinairement ce propos en la bouche: l'humanité s'estoit iadis parquée en la France, mais maintenant elle a passé la mer. Ceste matiere demanderoit plus longue deduction: mais ie suys François, ialoux de l'honneur de ma patrie.Plutarchus in vita Ciceronis. Plutar­que escrit que ce grand Rethoricien Mo­lon, ayant vn iour ouy Ciceron decla­mant en Grec, dit en gemissant, qu'il de­ploroit la condition de la Grece, dont Ci­ceron emportoit auec soy, le plus riche ornement qu'il luy restat, asçauoir, l'elo­quence. De ma part encores que ie sois auitant affectionné aux Anglois, que me commande le merite de leurs vertus, si est ce que ie suys marry, de les voir si riches de noz despouilles. De sorte que l'Angleter­re peult estre auiourdhuy tenue, & à bon droict, pour vn vray sacraire de toute ciui­lité, humanité, & courtoisie: dont on en peut voir les tesmoignages non seulemēt enuers leurs amys, & en tēps de paix mais aussi enuers leurs ennemis & en temps de [Page 26] guerre. De plusieurs exēples i'en choisiray vn si notable, queie ne sçay s'il s'en peult gueres trouuer de semblable, es histoires Grecques & Latines. Entre toutes les bat­tailles, qui ont iamais esté données en France, celle de Poictiers est memorable, non seulement pour la perte inestimable du vaincu, mais beaucoup plus pour la courtoisie, et generosité du vainqueur car la noblesse de Frāce y fut taillée en pieces, beaucoup de Princes & grands Seigneurs faitz prisōniers, & notāment le Roy Iean, tombà es mains du Prince de Galles, qui depuys le conduicten Angleterre (ou il re­ceut si gracieux, et humain traictemēt du Roy Edouard, Pere du Prince de Galles, qu'estant sous sa foy & ostages, retourné en France, pour escheuir & donner ordre à ses affaires apres auoir meurement con­sideré le traictement qu'on luy auoyt fait, il goutá & sauorà tellement la courtoisie Angloise, qu'il estimà plus honnorable de mourir aupres d'un si genereux Prince, que de viure Roy, du plus grand & puis­sant [Page 27] Royaume de la Chrestienté) Porus estant prins d'Alexandre, & enquis de luy quel traictement il pretendoit receuoir: ie suis, dit il, Roy: traictez moy royallemēt. Alexandre faisant instance là dessus, & luy demandant s'il ne vouloit dire autre cho­se: Ce mot, Royallemēt, dit il, comprend tout. Qui fut cause qu' Alexandre l'estimà depuis beaucoup & le traictà comme il auoit demandé. Mais ceste courtoisie d'Edouart, doit estre estimée d'autant plus grande que celle d'Alexandre, que Porus n'auoit prins les armes, que con­straint pour sa legitime deffence. Et au contraire, le Roy Iean n'auoyt voulu ac­cepter les honnestes conditions de paix, que le Prince de Galles luy presentoit, quoy que le Cardinal de Perigort enuoyé de la part du pape Innocent, luy remon­strāt pour le fleschir à quelque compositi­on. Mais luy se laissant maistriser à sa co­lere, fut deffaict par vne poignée de gens, & perdit vne battaille le dixneufieme de Septembre 1356. qui ne se peult pa­rangoner [Page 28] à aultre, qu'à celle tant mémo­rable iournée de Cannes, qui cuydá bouleuerser tout l'estat, de la republicque Romaine. Et combien que les guerres ci­uiles, soient ordinairement menées d'un courage d'autant plus enuenimé, que l'al­liance est plus estroicte, entre les compa­triotz: si est ce que, s'il fault adiouster foy aux histoires, on ne trouuerà poinct qu'il y aye nation au monde, qui pour ce re­gard, soit en telle & si longue possession de moderation, & clemence, que l'An­gloise.Comines chap. 112. Comines qui a eu autant ou plus cognoissance des affaires d'Angleterre, qu'homme de la France de son temps, dit que la coustume du pays est, qu'en guer­res ciuiles, on vient incontinent à la bat­taille, et que le chef de la partie auquel en­cline la victoire, fait crier, tout hault: Sau­ue le peuple. Que pleut à Dieu, que nous eussions vsé, d'une telle moderation en noz guerres ciuiles. Nous aurions enco­res auiourdhuy, cinquante mil tesmoins de nostre dissension, dont le sang espandu [Page 29] prouoque l'ire de Dieu, sur nostre France. Mais pour ce, qu'estre occasionné tant par l'affinité naturelle, que par la conformité des meurs, d'aymer vn peuple, n'est pas chose, que de soy-mesme, merite grand louange, si on ne s'est mis en deuoir d'en faire demonstration. Le fil de nostre di­scours requiert, que cest article soit esplu­ché, vn peu de plus pres, affin que ceux qui appellent les Anglois, anciens enne­mys de la couronne de France, apren­nent ou à mieux parler, ou à se taire du tout, quant il fera question de telles matieres. Ie dis donc que les effectz d'a­mytie, ont esté de tout temps recipro­ques, entre ces deux nations. Car laissant à part ce que i'ay amené de Caesar, escri­uant que les Bretons auoient secouru les Gaullois, en toutes leurs guerres: Ie pren­dray des tesmoignages de plus fresche me­moire, c'est à dire, depuys cent, ou six­vintz anz en çà. Du temps du Roy Louys vnziesme, Charles duc de Bourgoigne, desirant rougner les esses à Loys son en­nemy [Page 30] mortel, appellá à son ayde Edo­uard Roy d'Angleterre son beau-frere, qui ne se fit tirer l'oreille, pour saire descente en France, ou il n'auoit faute de pretentions. Il y auoit lors grande apparence, que si le duc de Bourgoigne, eust sçeu mesnager sa prosperité, il eust ou renuersé, ou quoy qu'il en soit, grandement esbranslé, tout l'estat de la France. Le Roy Loys, Prince beaucoup mieux pourueu de prudence, que de hardiesse, considerant en quel ac­cessoire estoiēt reduictz ses affaires, moye­ná, ou plustost subtilisá vn pourparler de paix, auec Edouard, qui se fit a Pi­quigni. On peult bien dire, que lors la fa­cilité d'Edouard, seruit d'un grand & puissant rempart à la France, contre l'ef­fort & impetuosité du Bourgoignon. Charles huictiesme, fils & successeur de Loys, fut fauorisé du ciel iusques là, que d'auoir l'occasion en main, de se ressentir enuers la nation Angloise, de ceste cour­toisie. Et fut aussi prompt, à embrasser telle occasion, quelle luy estoit heureuse­ment [Page 31] offerte. Edouard dont nous venons de parler, estant decedé, son frere Ri­chard, duc de Glocestre, par mauuaises practiques, & moiens illegitimes, s'em­parà de la couronne d'Angleterre, frau­dant ses nepueuz de leur heritage. Si le moien de s'emparer d'un tel Estat, fut e­strange & exorbitant, la façon de s'y comporter, le fut encore plus. L'estat de la pauure Angleterre, estoit si miserable, que celuy eschapoit à bon marché, qui en estoit quite pour la perte de ses biens, estatz, & dignitez. Plusieurs personnages de maison, pour se garentir d'un tel o­rage, se retirerent en France. Le plus illu­stre & signalé d'entre eux, fut le Conte de Richemont, qui ayant quelque temps seiourné en Bretaigne, finalement se re­solut de recouurer auec son bien, la liber­té de sa patrie. Ce nouueau Thrasibule, n'eust pas faute, ny de partisans, ny d'a­mis. Car le Roy Charles huictiesme, luy donnà secours, auec lequel il descendit en Angleterre, ou ayant donné la battaille [Page 32] auec heureuse yssue, il eust pour guerdon de sa prouesse, l'estat, & la couronne, qui est depuis demeurée, iusques auiourdhuy, sur la teste de ses descendans. Ie n'insiste­rois tant sur la courtoisie Angloise, si de nostre temps, c'est à dire, depuis soixante ans, elle n'auoit produit de si bons & clairs effectes à nostre endroict, que cese­roit stupidité à nous de l'ignorer, & las­cheté de ne le recognoistre. Depuys la battaille de Poictiers, la France n'a poinct reçeu vne si grande scousse, qu'en la iour­née de Pauye, ou le Roy François fut fait prisōnier. l'Empereur Charles encores ieu­ne Prince, et bouillant d'ābition, apres vne si belle victoire, entroit en des merueilleu­ses esperances, & se tenoit tout asseuré, que dans peu d'années, la Monarchie vniuer­selle de l'Europe, seroit l'interpretation de son Plus oultre. Et de fait, il y a grande apparence, que les forces de France, estant ainsi mattées, il eust peu, sinon du tout, pour le moins en partie, voir l'accōplisse­ment de ses dessains, si Dieu regardant [Page 33] nostre pays de son oeil pitoiable,Voi l'histoire du Bellay. n'eust touché le coeur d'Henry huictiesme Roy d'Angleterre, pour arrester le cours de l'Empereur, cinglant à voiles desploiées, par la route de sa victoire. Acted'autant plus admirable, que Hēry n'a eu autre oc­casiō de ce faire, qu'unevertu heroique, de laquelle ayant l'ame eschauffée, il a mieux aymé, s'approprier seul l'honneur d'auoir releué vn sien voisin afligé, qu'estre com­parsonier auec le vainqueur au butin, & à la despouille. Tellemēt qu'on peult bien dire, que Henry huictiesme, a esté apres Dieu, autheur de nostre deliurance, & que le Lyon nous a tiré d'entre les on­gles de l'aigle.

Et ne fault penser qu'il ayt icy cerché, ou son proffit, ou sa seureté particuliere. Car pour le regard du profit outre ce que l'euenement en a descouuert, la protesta­tion qu'il fit par son Roy d'armes, deffiāt l'Empereur, monstre asses qu'il n'auoit autre but que l'honneur & les vertueux exploictz, qui, comme dit Theocrite,Theocritus in laude Ptole­maei. ont [Page 34] iadis acquys le tiltred Heros, aux grandz & illustres personnages. Et pour le regard de la seureté, l'Empereur pour lors estāt af­fectiōné au Roy Henry son oncle, et pour plus grande confirmation d'amytie, on traictoit le mariage d'entre luy & Ma­dame Marie fille aisnée d'Henry. Dauan­tage l'Empereur n'eust sçeu entreprendre sur l'estat de la France, sans y partager a­uec l'Anglois, pour les vieilles pretensions de Guyenne, & de Normandie. Telle­ment que tout bien conté, l'Anglois n'a­uoit pour lors rien à craindre du cousté de l'Empereur. L'affaire meriteroit vn plus long discours, mais ie m'estudie à breueté, pour parler d'Edouard sixieme fils d'Henry. Ce prince a esté si comble de vertu & crainte de Dieu, qu'on le peult à bon droict appeller, le Iosias du nouue­au Testament, & le parangon des Princes Chrestiens. Mais laissant à part ses rares vertus, dont les mieux disans ne peuuent parler que trop sommairement, ie tou­cheray seulement ce qui concerne de [Page 35] plus pres nostre subiect. Ce Prince par le conseil du feu Duc de Nortumberland, a porté vne si entiere & sincere affection à nostre Roy Henry second, que si Dieu luy eust prolongé la vie, la ligue s'alloit dresser entre ces deux Roys, & le Duc Maurice de Saxe. De sorte qu'il y a grande apparence, qu'une alliance faicte entre trois Princes si puissans, eust deslors re­duict l'Empereur Charles au party qu'il print depuys, asçauoir, de se retirer en Ca­stille, au monastere de sainct Iust. Ie ne parle point de l'humanité qu'il monstra, à l'endroict des pouures François, refu­gies en vn temps, au quel faire profession de viure Chrestiennement, n'estoit autre chose en France, que s'exposer à la mort. Ceste obligation nous est commune, a­uec presque tous les peuples de l'Europe, dont l'exil a esté honnoré, de l'assistance et soulagement dece tressainct, & heureux Roy Edouard. Heureux di-ie tant pour son regard que pour auoir en la Royne Elizabet sa seur vn vray pourtraict de ses [Page 36] Chrestiennes & heroiques vertus. Cause que tous ceux qui par nostre Europe sont doues d'un sain iugement, souhaitent plus que chose du monde, ou d'estre sub­iects d'une telle Princesse, ou de viure en la subiection d'un Prince qui luy ressem­ble. Mais ie n'ay pas enterprins d'enfonçer les louanges de la Royne Elizabet: d'au­tant que si i'omettois quelqu'une de ses rares virtus, mon discours seroit mal prins des gens de bien: Et de les vouloir parti­culariser, par le menu ce seroit à n'auoir ia­mais fait. Prenant donc un chemin plus court, ie diray seulement, qu'elle a fait de­monstration de sa bonne volonté enuers la France, autant de fois, que l'estat de noz affaires luy en a presenté l'occasion. Sur tout elle s'est monstree affectionnee à en­tretenir la paix auec nous, estāt induicte à ce faire, tant par sa propre clairuoiance, que par le meur & sage conseil, de ces tres­uertueux & illustres Seigneurs, Messyre Guillaume Cecile encores pour le iour­dhuy son grand Tesorier, & Messyre Ni­colas [Page 37] de Bacō, qui fut son garde des seaux, de louablememoire, personnages doués de si haulte & eminente sagesse, & si heu­reusement qualifiéz en toute espece de vertu, que celuy tiendrá reng entre les mieux disans, qui sçaurà diuement trom­peter leur louange à la posterité. De ma part, ie loue le Dieu tresclement, qui a si bien marié le bon heur, à la vertu de ces deux Nestors Anglois, qu'on voit en eux l'accomplissement de la priere tant cele­bree par Callimaque:

[...]
Callimachus in Hymno Iouis.
[...],
[...].
Bien te soit Pere, O Pere bien te soit:
Donne vertu, en donnant les richesses.
Car come sans vertu faire prouesses,
Nul bon heur peut, en aucune personne:
Ainsi vertu paoure, sent ses foiblesses,
Ensemble donc, vertu et biens nous donne.

Reste maintenant à parler d'une sem­blable demonstration d'amytie enuers nous, & toutesfois en vn subiect fort dis­semblable. La France n'a en soy plus [Page 38] grand ornement que la ville de Paris, ny la ville de Paris, que l'exercice des let­tres, qui s'y est continué depuys Charle­maigne, c'est a dire depuis l'an, 792. Ius­ques auiourdhuy, auec telle reputati­on, que du temps de noz Peres, auoir fait ces estudes à Paris, & estre fort a­uancé en la cognoissance des lettres, e­stoient diuers termes signifians vne mes­me chose. Or si ce bien est grand (comme certes il ne peult estre estimé aultre, que par gens de petit iugement) nous n'en pouuons faire la recognoissance à d'aul­tres qu'aux Anglois, si nous ne voulons en les priuant de la louange qui leur est deue, nous priuer nous-mesmes à nostre esçient, de la reputation de gens aymans rondeur & integrité. Car Charlemaigne fut in­duict à vne si heureuse entreprinse, par le conseil de Flaccus Albinus Anglois, se­condé & assisté de deux Escossois, l'un nommé Iohannes Milrosius, l'autre Claudius Clemens. Or comme le mau­uais conseil, par vn iuste iugement de [Page 39] Dieu, reussit ordinairement au preiudice de celuy qui le dōne, au contraire l'auteur du bon & sainct conseil, est volontiers celuy qui premier en gouste les fruictz. Ainsi les Anglois ont recueillé le fruict du bon & salutaire conseil d'Albin, & ses compaignons, entant que l'vniuersité d'Oxfort, est vn essain de celle de Paris. Mais par cequ'on voit les hommes, estre d'autant plus enclins aux choses ou ils sont attirés, pour la conseruation de ce qui leur touche de plus pres, ie diray que le salut d'Angleterre nous touche de si pres, & le nostre aux Anglois, qu'une des deux nations, estant accablée par l'estran­ger, l'aultre peult bien faire son conte qu'elle n'est pas pour iouir de grand re­pos. On sçait qu'aussi tost que Caesar, eust donné pie en la Gaulle à la puissance Ro­maine, il n'estimà pas auoir bien ioué son rolle, s'il n'alloit remuer mesnage en An­gleterre. Les histoires ont tellemēt esclair­cy cest Article, que ce seroit superfluité de langage, de s'estendre plus auant en la de­duction [Page 40] d'iceluy. Ie vouldrois mainte­nant que quelqu'un de ces messieurs noz Courtisans, qui sont si affectionnéz, & font tant de cas de l'alliance d'Espaigne, me monstrassent semblables motifs, & fondemens de leur opinion. Ie me tiens bien tout asseuré, qu'ilz ne se mettront point en peine, de prouuer l'affinité natu­relle entrele François & l'Espaignol, s'ils ne la veulent recercher de l'arche de Noe: ou bien qu'ilz veuillent faire cas, de ce que les Poetes content touchant la belle Be­brix. Qui toutesfois, seroit vn argument aussi foible que mal à propos, cōme sça­uent ceux qui sont estillés en la cognois­sance de l'antiquité, & mesmes des fables Poetiques. Or estans entrés en ce propos, il ne sera impertinent, de parler de l'ori­gine des Espaignols d'auiourdhuy. Car comme on voit que les eaux qui decou­lent d'une source sulphuree, sentent tousi­ours le souffre, aussi voit on les hōmes por ter emprainte en leurs façons, les vertueu­ses, ou vicieuses qualités de leurs ancestres. [Page 41] Ainsi ayant cognu l'origine des Espai­gnols, ce nous sera vne belle ouuerture, aux discours suiuans. Enuiron l'an de Christ, 717. Iulian Conte de Biscaye, e­stant oultré de douleur, & se voulant vē ­ger de l'outrage par luy reçeu de Roderic Roy des Gotz, qui luy auoit violé sa fille, appellà & attirà les Mores à son secours, sous la conduicte de leur Roy Muza Mi­ramamolin. Sous tel pretexte, (tant est il seur d'attirer les forces estrangeres) les Mores s'impatroniserent de toute l'E­spaigne, excepté Byscaye, et Asturie. Leurs Capitaines ayans depuys partagé ce pays de conqueste, deuindrent autant de pe­titz Roys en Espaigne. Depuys les Sara­sins s'y sont encores meslés plus auant. Que si nous voulons reprendre les choses de plus hault, asçauoir, depuys le temps de Caesar, nous trouuerons que sans parler des Romains, qui ont commandé pres­que à toute l'Europe, les Gots, les Vanda­les, les Mores, les Sarasins, ont donné la loy à l'Espaigne. Que si à bon droict les [Page 42] Gotz et Vandales sont estimés cruels, les Mores perfides & vindicatifs, les Sarra­sins superbes & vilains en leur façon de viure. Ie vous prie, quelle humanité, quel­le foy, quelle debonaireté, quelle mode­stie & ciuilité pensons nous trouuer en ceste escumé de Barbares. Mais afin qu'on ne pense que ie me veuille arrester à des presumptions, plustost qu'à des preuues & arguments solides, ie suis content, que cet article soit vuidé, par la conference de leurs meurs, auec les nostres: c'est à dire, de leurs vices, auec noz vertus, de leur vi­eillaquerie, auec nostre generosité. Breif ceste conference est telle, que si quelque Rethoricien vouloit emploier sa faconde, à dresser vne longue & naiue antithese, il ne sçauroit chosir au monde, vn suiet plus sortable à son dessain, que la comparai­son de noz conditions, auec celles de ceste maranesque generation. Et affin qu'on ne pense que ie parle par coeur, pour entrer au blazon de leurs plus belles couleurs, ie leur produiray vn tesmoin, qui les fera [Page 43] rougir de honte, quoy qu'ils soient si bas­sannés, qu'ils ne rougissēt pas volontiers. Quant ie dirois seulement que le tesmoin, que i'entends produire, est vn Senateur Venitien, si est ce que ie l'aurois suffisam­ment qualifié, pour luy faire trouuer cre­ance, enuers toutes personnes discretes & de sens rassis. Mais ie diray d'aduantage, que c'est vn viel Senateur, voire tellement nourry aux affaires de ce monde, que se conformer à son imitatiō n'est autrechose auiourdhuy entre les Venitiens, qu'as­pirer à vn renom immortel, par vne tres­sage conduicte des affaires d'estat. C'est pour le faire court, ce tant excellent & re­nōmé personnage, Andrea Griti, qui dis­courant au Senat de Venise, des humeurs de ceste bonne engence Espagnole, voicy le beau tesmoinage, qu'il rend de leur preudhomye. ‘La natiō Espaignole, dit il, est infidele, tresrauissante & insatiable, sur toutes les autres nations.’ Et ou est ie vous prie, l'endroict du monde, ou ces infames Harpies, ayent mis le pie,Guichiardino, lib. 15. sans le honnir [Page 44] des traces de leurs vices abominables? Et pource qu' en matiere de preuue, le tes­moignage d'un seul n'a pas grand pois, ie produiray encores vn autre tesmoin, à sçauoir, François Guychardin historien si accompli, que le denombrement de ses graces & perfections, requiert & merite vne histoire entiere: voicy le tesmoi­gnage qu'il rend à la preudhomye Espai­gnole.Guichiardino, lib. 16. ‘La natiō Espaignole (dit il) (don­nant son iugement de ces venerables Pa­dres) est auare & cauteleuse: & lors qu'ilz ont le moyen de se descouurir telz qu'ilz sont, tres-insolente.’ Geryon Roy d'Es­paigne, s'il fault adiouster foy aux fables Poetiques, à eu trois corps. Et combien que ce soit vne fiction Poetique, si est ce qu'elle sera trouuée moins estrange, de ce­luy qui considererà de pres, le naturel de l'Espaignol, auquel on peult voir incor­poré ensemblement, vn cauteleux Re­nard, vn Loup rauissant & vn Tigre en­ragé. Et cela soit dit, pour le regard des moins insupportables de la nation. Car [Page 45] qui regarderà de bien pres, à ceux qui en­tre eux sont vn peu plus signalés, c'est à dire, plus meschans & abominables que le vulgaire, on trouuerà en chascun d'eux, le cube, voire le sur-solide, bien souuent de ce monstre ternaire. On y trouuera, di ie, vn pourçeau villain & sale, vne cho­uete larronnesse, & on y trouuerà vn Paon piaffant: Et pour le comble de leurs ornemens, on y trouuerà vne legi­on des diables, faisans mestier de mentir, piper, & tromper le monde. Briareus,Homerus, Iliade α. comme dict Homere, auoit cent mains: Qui croyrà que l'Espaignol en aye moins quant il est questiō de griper, qu'il reçoiue seulement pour deux iours, quelque dom Diego en sa maison, & s'il ne change d'a­uis, ie suis content d'auouer & confesser, que l'Espaignol a changé de coustume. Ie dis, si le pillage & larcin doit estre estimé plus coustumier, que naturel en ceste na­tion. Que si quelqu'un doute de leur suf­fisance pour ce regard, l'Estat du pais­bas, l'esclaircirà tellement, qu'il ne se ferà [Page 46] pas tirer l'oreille pour confesser, que les Boemes & Aegiptiens, ne sont que pe­titz aprentiz de l'Espaignol, en matiere de s'approprier le bien d'autruy. Et celuy leur feroit grand tort, qui penseroit qu'auec le temps, ils ne se soyent encores mieux fas­sonnés en leur mestier, mesmement ces dernieres années, durant lesquelles, vne bonne partie de ces gallans esprits, a fait son apprentissage soubz dom Fernand de Tolede, si grand & souuerain maistre en ceste faculté, que luy vouloir apparier vn Autolycus, ou vn Verres, seroit tomber en l'erreur du berger Tityrus,Virgilius, Eclog. 1. faisant compa­raison des choses petites aux grandes. Mais il est ce semble raisōnable, de cacher les imperfections de ce grand Capitaine, en contemplation des excellentes parties qui sont en luy. Car au dire de ses disci­ples & estaphiers, il est taciturne, sage & de grand sens. Quant à ce qui touche sa taciturnité, ie ne doubte aucunement qu'il ne soit sort secret. Aussi n'y a il rien en ses actions, mesmement particulieres [Page 47] & domestiques, qui ne puisse par luy & les siens, estre plus honnestement teu, que diuulgué. Quant à sa grande sagesse & claire-voiance, il en a donné de telz tes­moignages en la conduicte des affaires de Flandres, que si le soleil eclipsoit, autant de fois au ciel, qu'a faict le bon sens en sa teste, durant ce temps là, nous pourri­ons bien conclure, que nous serions à la veille du iour, qui mettrà fin aux cho­ses de ce monde. Pour le moins est il notoire, que le sens luy a manqué, ius­ques à ne sçauoir cacher, non pas les lar­cins & brigandages, qu'il auoit faitz sur le pouure peuple, (car la chose estoit trop cogneue) mais les peculatz, qu'il auoit commis sur les thesors de son maistre, ie sçay bien que ses creatures, deguisans le faict disent, qu'il est demeuré reliqua­taire. Mais laissant à part ces couleurs de Rhethorique Castillane, ie diray ronde­ment, que nostre langue Françoise, est si pouure qu'elle n'a point d'autre terme as­ses propre, pour specifier le beau mesnage [Page 48] du Duc d'Albe, sinon larcin & peculat. Et par tant s'il fait auiourdhuy estat de iouer aussi bien du luc en Espaigne, qu'il a fait de la harpe en Flandres, le Roy Philippes a bien occasion de renuoier en Italie son Seuerino. Mais quoy qu'il en soyt, le Roy son maistre a reprimé son auarice, non pas toutesfois à la rigueur, ayant (peut estre) esgard, à l'ordre de la toi­son, lequel i'ose bien dire, qu'il ne porte à meilleures enseignes que pour auoir pre­mierement escorcé, & puys esgorgé, com­me vn loup rauissant, les brebis innocen­tes du bon Pasteur. Car il ne fault pas penser, que luy & le reste de la racaille E­spaignole, ayent plus espargné le sang que les bourses des pouures gens du pays bas: Aussi auoient ilz commandement de ce faire: Et leur Prince ne s'est de rien tant fasché, que de ce qu'ils ne les ont en­cores traictés plus rudement. Que puisses tu, ô nouueau Pharaon, par ta miserable mort, mettre bien tost fin aux gemisse­mens, de tant de personnes desoleés. Que [Page 49] si quelqu'un pēse, que les courages des E­spaignols, ayent estés ainsi enuenimés contre ceux du pays bas, par le different de la religiō, il monstre qu'il cognoit aus­si peu leur naturel, que l'Estat de leurs af­faires. Il y a enuiron cent ans, qu'ils ont descouuert vn nouueau monde, sous la conduicte de Christophle Colombe, qui n'eust à mō auys, enterprins ce voiage, s'il eust pensé que les hommes qu'il y menà, comme ensorcelés par le bruuage de Cir­ce, se deussent incontinent transformer en Lyons, Panteres, Tigres, & telles bestes sauuages: Les Indiens & Ameri­cains, sont pouures barbares & idiots, qui par vne honneste conuersation & saintes remōstrances, pourroyent estre fa­cillement gaignés à Christ, comme aussi les François ont depuys autant sagement, qu'heureusement suyuy ceste voye. Mais on peult bien dire auec verité, que ce nou­ueau monde Indien & Americain, n'a pas tantesté incognu aux siecles passés, que les enormes & nouuelles cruaultés, que [Page 50] ces diables encharnés, sortis d'Espaigne, y ont practiqué. ô Turcs, ô Scythes, ô Tar­tares, esiouisses vous maintenant, puys qu'il se trouue auiourdhuy vne nation en la Chrestienté, qui par ses malheureux de­portemens, tasche d'enseuelir la hayne, qu'on porte à vostre barbare cruaulté! Mais ie demeure trop longuement, en vn subiect si tragique: ce que routes fois, ie fais auec autant d'ennuy, que de iuste occasi­on. Laissans donc vn tel argument, suffi­sant pour faire pleurer Democrite, par­lons de deux articles, chascun desquelz est tel, qu'il faut que celuy soit possedé d'un humeur et nature plus que Heraclitique, si les oyant & considerant de pres, il se peut tenir de rire. C'est de leur ciuilité & modestie. Quant au premier, si quel­qu'un a cest heur, de n'auoir iamais fre­quenté les Espaignols, & qu'il veuille neant moyns, estre informé au vray, de leur Gotique ciuilité, il n'en sçauroit voir vn plus naif pourtrait, ne trace de la main d'un plus heureux Appelles, que Terence, [Page 51] en la description qu'en son Euiuique, il fait des putains, en ces termes: Quae dum foris sunt, nihil videtur mundius, nec magis compositum quic quam, nec magis elegans. Et vn peu apres, il adiouste: Harum videre est ingluuiem, sordes, inopiam, quàm inhonestae solae sint domi, atque auidae cibi, quo pacto ex iure hesterno panem atrum vorent.

I'en dirois dauantage, si celà se pou­uoit faire, sans causer mal de coeur, aux plus delicatz. Et nous auons mys icy en ieu les Espaignols, comme bons Apo­thiquaires, c'està dire, pour nous fournir de ris à leurs despens. Et qui est, ie vous prie, l'homme si melancholique, qui se peult tenir de rire, voiant vn faquin, vn sauetier, vn piqueboeuf trancher du Caua­liero: ou bien vn Caualiero d'Espaigne, allant par les champs, porter le reste de son disner, en vn bisac, & faire mille au­tres telles villenies, à quoy les faquins, sa­uetiers et piqueboeufs de par decà, seroyent marris d'auoir pensé. Les Mathemati­ciens enseignent, qu'es operations d'Al­gebre, [Page 52] le plus egale se reduit biē souuēt au moins. Les propos des Espaignols, ressē ­blent quelque chose, de ceste diuine sub­tilité Algebrique: attendu qu'ordinaire­ment, ces graues & magnifiques tiltres de Caualiero, riche de dix mille Ducats de reuenu, font souuent autant, estans prins à la reale verité, que saffrenier, malotru & mesquit, n'aiant pas à grand peyne, trente maluedis en bource, pour faire rabobeli­ner ses escarpins. De façon qu'on peult bien dire à ces magnifiques dom Diegos, ce que disoit quelquefois, vn grand per­sonnage d'Athenes: voz propos semblent au Cypres:Plutarchus in Phocione. Car estans grandz & haults, ilz ne portent toutesfois point de fruict. Pour le faire court, qui vouldrà voir le vif pourtraict d'un Attalus, d'un Suffe­nus, d'un Thrason, sans se tourmenter beaucoup à fueilleter Martial, Catulle ny Terence, qu'il considere seulement, la morque & les propos d'un Espaignol. Et combien que ces tiercelets de Sarrasins, soient qualifiés comme i'ay dit: si est ce, [Page 53] qu'à coups de pistoles, ils ont si bien creué les yeux, à quelques vns de noz Courti­sans, qu'ils n'ont honte de maintenir, que nous sommes beaucoup obligés à ces honnestes creatures. De ma part ie confes­se, n'auoir point l'esprit si delié, pour com­prendre le fondement de ceste obligation, sinon qu'ils la veuillent prendre au mes­me sens que faisoit Antiochus,Cicero pro Dei otaro. disant qu'il estoit grandement attenu aux Ro­mains, qui luy ayans racoursi son au­thorité & puissance, l'auoyent deschargé d'un grand & pesant fardeau. Ainsi som­mes nous redeuables aux Espaignols, pour nous auoir releués des fatigues, que nous pouuoyent apporter les Estats de Flanders, de Naples & de Milan. Et pour parler plus auant de leur bonne affection à nostre endroict n'est ce pas vn bon tes­moignage de ceste cordiale amytie E­spaignole, qu'ils vserent es tēps passés sur noz ancestres (selon leur naturel cruel) à sçauoir, qui ayans gaigné la battaille sur noz gens, tuerent depuys de sang-froid [Page 54] tous les prisoniers qu'ilz tenoient en leurs mains,Voy Froysard. comme tesmoigne Froysard. Voudroit on vne plus claire interpretati­on, du tesmoignage que nous auons cy dessus amené de Guichardin, disant que ceste nation est tresinsolente, ‘quant elle a trouué son aduātage, pour se discouurir telle qu'elle est, c'est à dire, pour leuer le masque de sō hipocrisie.’ C'est biē aussi vn beau tesmoignage de leur humanité en­uers nous, de ce que contre la foy promise, ils massacrerent noz gens en la Floride, il y a enuiron vingt ans. Ie m'estois quasi oublié, de produire vn signalé effect de leur courtoisie enuers nous, c'est la prison du Roy François, dont luy mesme se plai­gnoit d'autant plus aigrement, (comme raconte Guichardin) que le souuenir de la courtoisie Angloise enuers le Roy Iean, estoit profondement engraué en sa memoire. Quel tesmoignage d'amytie enuers nous,Voy Froysard. est ce que l'Espaignol ame­nerà? Sera ce point le secours d'Henry de Castille, du temps du Roy Charles cin­quiesme, [Page 55] et de la victoire qu'il emportà de deuant la Rochelle, sur le Conte de Pem­broc: comme s'il n'auoyt pas luy mesme recueilly le principal fruict de ceste vi­ctoire, ou comme si vne telle assistance, n'eust pas esté le principal rempart de son Estat. Or comme les Anglois, noz sont conformes en tant de choses que i'ay dites cy dessus, aussi ont ils cela de cōmun auec noz miseres, d'auoir experimenté à leurs despens, la tresdangereuse amytie de l'E­spaignol. Car Philippes Roy d'Espaigne, & lors aussi Roy d'Angleterre, ayant deli­beré de s'emparer de Calays, occasionà le François de faire auec la griffe du Lyon, ce que l'Espaignol eust faict auec le dent du Renard. Autrement à grand peine, le François se fut il iamais resolu, à vne en­terprinse si hasardeuse que le siege de Ca­lays. Pour le faire court, on peult bien dire, que la nation de ce monde, la plus affectionée au bien public de la France, est celle qui ressēble le moins à l'Espaignole. Ce que ie conclus d'autant plus hardi­ment, [Page 56] que ie me tiens bien tout asseuré, qu'aucun ne se mettra en peyne, de prou­uer qu'ilz nous ayent aydé, ny en la cog­noissance des bonnes lettres, ny au rei­glement de noz moeurs. Car quel esclair­cissement des bonnes lettres peult on at­tendre d'une nation qui durant cest heu­reux siecle, à grand peyne a produict cinq ou six hommes doctes. C'est pourquoy à mon auys, les Espaignols, quelques grandz voiageurs qu'ils soyent, n'ont iamais ozé passer, iusques aux Hyperbo­rées, craignans cōme il est à croyre, qu'ilz retinsentencores leur ancienne façon,Pindarus ode x. Pith. à sçauoir, d'y sacrifier les Asnes. Pour le re­glement de noz moeurs, nous pouuons bien dire,Cicero in Lu­cullo. que comme le Philosophe Po­lyanus, ayant espousé les resueries d'E­picurus, oublià toute la cognoissance qu'il auoit de Geometrie, aussi par l'accoin­tance des Espaignols, nous auons pres­que oublié la vertu qui nous estoit plus familiere, asçauoir, la courtoisie & hu­manitié. Et à quel propos, ie vous prie, [Page 57] nous seroit si fort affectionée vne nation, qui a si peu d'interest en nostre ruyne: ou plustost qui a tousiours & sur tout de­puys cent ans, basty sa grandeur de nostre raualement. I'abrege ce discours, pour toucher vn article de plus grande impor­tance, à sçauoir, les moyens que l'une & l'autre nation à de nous ayder, ou de nous nuyre. Ie parleray donc en premier lieu, de ce qui regarde le trafficq, & puis de ce qui concerne le fait des armes. Tous ceux qui ont cognoissance de l'Angleterre, & de l'Espaigne, m'accorderont que l'Angle­terre, est beaucoup plus peuplée, que l'E­spaigne. Ie ne dis pas à proportion, mais en bloc: combien que l'Angleterre soit beaucoup moindre. Ce que ne prouient que dela temperance du lieu. Car com­bien que la France soit vne des plus tem­perées regions que l'on cognoisse, si est ce, que Caesar dit notāment, parlant de l'An­gleterre. Loca sunt temperatiora quàm in Gal­lia. Ceste abondance de peuple, est vn certain argument de la fertilité du lieu. [Page 58] PindarePindare ode. 1 Olym. appelle en quelque endroict la Sicile [...], c'est à dire abondante en brebis,Pindare ode. 1. Nem. et s'exposant en vn autre passage, il la nomme, [...], c'est à dire, grasse ou fer­tile Si l'argument de ce tant docte Poete, est bien couché, nous pouuons bien cō ­clure, la fertilité de l'Angleterre, par la grande abondance, non seulement des brebis, mais aussi en general du bestaill qui est en icelle. Icy peult estre quelqu'un voudra mettre en auant, le dire de Cice­ron, en l'oraison intitulée de Aruspicum re­sponsis. Car voicy comme il parle en pro­pres termes,Cicero in Lu­cullo. Quam volumus licet ipsi nos a­memus: tamen nec numero Hispanos, nec ro­bore Gallos, nec calliditate Poenos, nec artibus Graecos, nec deni (que) hoc ipso huius gentis ac ter­rae natiuo sensu Italos ipsos ac Latinos, sed pie­tate ac religione omnes gentes ac nationes su­perauimus.

Mais en ce passage, il est aisé à iuger que Ciceron à eu plustost des oreilles que des yeux, aussi bien que cy dessus par­lant de l'Astrologie: Et qu'il a voulu en [Page 59] ce discours iouer le rolle d'un autre Myr­mecydes,Plinius, lib. 7. cap. 21. faisant grand cas de peu de cho­se. Mais qu'est il besonig, d'insister tant sur cest article, veu que le traffic, qu'on fait en l'un & l'autre pays, le peult facille­ment vuider. Nous tirons de l'Angleterre, laynes, estain, poisson, & beaucoup d'aultres choses en grande quantité. Et en contre-change nous leur fournissons vin, sel, pastel, & plusieurs autres choses. Qui est cause que la Rochelle, Bourdeaux & generallement toute la coste de Nor­mandie, Bretaigne & Guyenne, est re­duicte en grande perplexité, cessant la trafficque auec l'Anglois. De l'Espaigne ie confesse que nous en tirons de fort bons cheuaulx de seruice, encores que ce soit à l'emblé. Ce que ie fais toutesfois plus à contrecoeur, que confessant cest article, dont ie suys contraint d'accuser la negli­gence & paresse de noz François. Car si nous voulions entretenir des Haras, telz qu'on voit en Lauedan, nostre commerce auec l'Espaignol, pourroit estte estimé [Page 60] vne pure charité. D'autant que nous l'ai­derions beaucoup, sans estre aydés ny soulagés de luy. Car la marchandise de quelques gants perfumés, & autre tel me­nu bagage, ne merite pas d'estre mise en ligne de compte. Et pour leur regard, ilz sont contraintz d'emprunter de nous, pour la secheresse & infertilité de leur pais, la chose la plus necessaire à la vie hu­maine, a sçauoir, le blé. Pour le regard du vin, ilz en ont suffisamment. Reste la trafficque des laynes, des draps, & des toilles, qui n'est reuenant au tiers de celle que noz marchans font en Angleterre. Et ne sert de dire qu'il peut tirer des bléz en quantité, des places qu'il tient en Ita­lie, comme de Naples, Sicile, & Milan. Mais ceux qui figurent ce beau mesnage­ment, ne regardent pas, que ce seroit de­spouiller sainct Pierre pour vestir sainct Paul. La Sicile est fertile, ie le confesse. Mais il fault que Malte, & le Goze soient substentées par vne telle fertilité, si l'on ne veult en les abandonnant, s'expo­ser [Page 61] soy mesme en proye au Turc. D'a­uantage vne bonne partie des fruicts de la Sicile est emploié à l'en tretenemēt de l'Italie. Pour le regard du Milanois, & de la Lombardie, la difficulté de la voi­cture est telle à l'Espaignol, qu'il ne se peult gueres accommoder des fruictz d'icelle, sinon en achetant beaucoup plus cher la sausse, que le poysson. Quant à Naples, Pouille & Calabre, comme la fértilité, ny est pas du tout si gran­de, aussi l'Espaignol en peult moins receuoir de soulagement. Le sembla­ble se peult dire pour le regard du pays bas.

Quelqu'un peult estre trouuerà estran­ge, que ie m'arreste tant à l'infertilité d'E­spaigne, veu que les grands moyens que ceste nation a de nous secourir, font vn plus que suffisant contrepoix à ce default. Icy il faut necessairement que i'emploie le quolibet, dont les iuges Romains a­uoient accoustumé d'user, quant ilz se trouuoyent perplex pour la decizion [Page 62] de quelque affaire d'importāce, a sçauoir, Non liquet. Mais ceste miene perplexité, est d'autant moindre, qu'elle peult facille­ment estre desuelopee, par la comparaison des moyens tant de l'Anglois, que de l'Espaignol. Si nous voulons mesurer ces moyens, au nōbre des soldatz, que peult mettre sus l'une, ou l'aultre nation, l'ex­perience, c'est à dire l'Histoire, plaide ou­uertement pour l'Anglois. Et qu'ainsi soit, le Roy Edouard, dont nous auons cy dessus parlé, amenà au secours Du duc de Bourgoigne, selon le tesmoignage de Comines, quinze cens hommes bien montés, la plus part bardés, & richement accoustrés. Item quinze mil archers à cheual. De nostre temps, le Roy Henry faisant descente en Picardie, pour se ioin­dre àl'Empereur Maximilian premier,Guichardin, lib. 12. au camp de Terouane, auoit cinq mil che­uaux, & plus de quarante mil hommes de pied, dont les vingt cinqmil estoyent Anglois & les quinze mil Lansquenetz. Que peult on dire de semblable pour le [Page 63] regard dela natiō Espaignole. l'Empereur Charles, & son filz le Roy Philippe, ont esté les Princes qui ont plus absoluement commandé à l'Espaigne: Toutesfois, ne l'un, ne l'aultre n'ont iamais en leurs guerres, fait leuee plus grande que de huictmil Espiagnols naturels & presque tous gens de pied. Car pour le regard de la cauallerie, l'Espaignol ressemble aucu­nemēt le casserou, qui à son cousteau et ne s'en sait ayder. De mesmes peult on dire, que les Espaignolz ont de fort bons che­uaulx, & s'en aydent plus pour traffiquer auec l'amy, que pour combatre & repous­ser l'ennemy. Mais par ce que la memoire des choses recētes, peut beaucoup seruir à desmesler ceste difficulté, i'emploieray icy vn tesmoignage si clair & euident, que celuy qui vouldra faire estat des forces E­spaignols, n'aura pour tout fondement de son auys, qu'une legere creance, ou vne opiniastreté. Durant le regne du Roy François second, que les grandz de la France, estoyent en fort mauuais mes­nage [Page 64] entre eux. Le Roy Philippes, escri­uit vne lettre au Roy qui fut leué au con­seil priué: Ie ne sçaurois pas dire en quel language elle estoit escrite, mais le conte­nu d'icelle sentoit asses la phrase d'E­spaigne. Car il protestoit, qu'auenant remuement en France, il assisteroit le Roy son frere d'une armée de cinquante mil hommes. Le temps & l'occasion se pre­sentà bien tost apres, d'effectuer ce que si solennellement il auoit protesté. Car la France fut fraccassée par l'orage d'une guerre ciuile. Et combien que noz mi­seres, feissent ruisseler presque autant de fontaines de l'armes, qu'il y a de villes en France, si est ce qu'elles donnoyent occa­sion au Roy d'Espaigne de se resiouir, luy fournissant moyen d'accomplir sa pro­messe: voyons donc comme il s'en acqui­tà. Il fut prié d'enuoyer secours au Roy son frere, voulant rehabiliter en son pre­mier estat la religion Romayne. Luy pour n'estre estimé māquer ou de zele, ou d'amytie enuers son frere, assemblà quel­ques [Page 65] troupes composees de ces prudens & religieuses personnes, qui font estat es destroitz des monts Pirenees, de prendre l'or sans peser & l'argent sans conter. Non pas toutesfois iusques au nombre de cin­quante mil, comme il auoit promis, mais seullement iusques à deux mil. En sorte qu'il fut aisé à iuger à tous Arithmetici­ens, que ce bon Prince faisant telle pro­testation que dessus, auoyt calculé ses moiens par regle de fausse positiō. Quant aux comportemens de ces braues & va­leureux soldatz, à les considerer de pres: ils representoient ie ne scay quelle viue image des plus vieux siecles, durāt lesquels comme escrit Thucydide,Thucydides, lib. 1. le brigandage n'estoit subiect à aulcun reproche. Le re­spect de ces belles qualités, rendit aux Catholiques Romayns, la perte de ces gens de bien plus regretable. Car s'estans cāpés sur la riue du Tard, ces Amazones de Montauban, en quelques saillies en feirent mourir bon nombre, sans confes­sion, et repentance, d'aulcun peché, sinon [Page 66] de celuy que lon nomme temerité mili­taire. Or par ce qu'en faisant comparai­son de diuerses choses entre elles, la pro­position Geometrique a beaucoup plus de cours que l'Arithmetique,Auast. lib. 5. celuy ne s'esloigneroit pas des termes de raisō, qui vouldroit prendre droict, plustost par la valeur, & merite des deux nations en fait d'armes, que par le nombre. Car bien souuent vne petite poignee de gens, ren­gera vne grande armee à la raison & luy passera sur le ventre. Ie suis infiniement marri, que ie ne puis produire de plus beaux tesmoignages de la prouesse des Anglois, que les grandes & signalees vi­ctoires qu'ils ont gaignees sur nous. Si est ce que noz valeureux ancestres en ces ba­tailles, n'ayans en ryen moins faulte que de coeur & de bonne volonté, les An­glois ne se peuuent vanter d'aultre chose, sinon d'auoir vaincu de tresuaillans enne­mys. Aussi les Poetes & Historiens, qui ont chanté leur prosperité, ne se sont ia­mais teus de nostre vaillāce. Breif la vertu [Page 67] & prouesse de noz ancestres, meritoit de ne pouuoir estre surmontee, sinon par des ennemys qui sçauent mesmes vain cre la victoire, c'est à dire, la fureur & l'insolence des armes victoireuses. Que les Cartagi­noys se glorifient tant qu'ils vouldront de l'heureux succes de Cannes, si est ce, que le vouloir preferer à la iournee de Crecy, seroyt se mōstrer trop passioné, ou moins entendu en la cognoissance de l'histoire: dont nous pouuons recueillir, qu'en ceste tant renommee bataille, qui fut donnee l'an 1346 de nostre cousté moururēt vnze Princes, octante Barons, mil & deux cens hōmes de cheual & plus de trente mil hommes de pied. La bat­taille de Poictiers, dont i'ay parlé cy de­uant, donnà vn semblable tesmoignage, tant de la prouesse Angloise à gaigner la victoire, que de la courtoisie à la sçauoir moderer. Ce qui me faict parler plus franchement de leur vertu & confesser rondement que le petit nombre des com­batans de leur cousté, a rendu leurs vi­ctoires [Page 68] plus illustres & signalees. Ie ferois desraisonnable, de requerir qu'en ceste comparaison, les Espaignols fournissent de semblables tesmoignages de leur prou­esse & vaillance: Car ils sont dispensés de ce faire par la regle de droict, qui dict que personne n'est obligé à l'execution de choses impossibles. Ie crainderois aussi d'estre estimé forgeur de paradoxes, en disant que les Espaignols ne sont belli­queux, si ie n'auois des preuues de mon dire si claires & euidentes, que ce seroit de propos deliberé, se fermer les yeux pour ne voir la clairté du soleil en plein midy. Et pour effoncer la matiere, et disputer des ef­fects, par leur causes, ie dis que si la na­ture n'a changé le cours ordinaire de ses ouurages, l'Espaignol ne peult aucune­ment tenir reng entre les peuples belli­queux: Les nations qui habitent les pays froids, sont au dire d'Aristote, doues d'un plus hault & grand courage que les autres: mais d'esprit moins vif & aigu. Et partant elles ayment plus la liberté, mais [Page 69] sont moins habilles au mestier de bien commander à leur voisins.Aristo lib. 7. Cap. 7. Politic. Au contraire les nations Asiatiques, ont l'esprit plus eueillé: mays ayans le courage bas, elles ploient plus volontiers le col sous le ioug de seruitude. Et partant il conclud, que les Grecs, comme tenans le millieu, ne trop chaud, ne trop froid, sont participans à l'une, & l'aultre complexion. Or cōme sa proposition est fondee sur vne si bonne consideratiō, qu'elle luy sera tousiours a­uouee, par tous hommes de bon sens, aus­si ose ie bien dire, qu'en l'application d'i­celle, l'amour de verité, a fait place à ce­luy de la patrie. Car le plus Septentrional de la Grece, est de quarante quatre de­grés, qui est l'eleuatiō du quartier de Cō ­stātinople, cōme aussi des mōs Pyrenees, qui separent la France de l'Espaigne: Et partant le quarāte cinquiesme degré, qui est de la vraye borne de la temperature, marquāt le millieu de la Frāce, nous pou­uons bien dire, que nostre pais est plus tē ­peré que la Grece. Or cōbien que l'Angle­terre [Page 70] soit aultant ou plus Septentrionale que partie de la Gaulle, si est ce qu'estant entourcee de l'Occean, de toutes parts, les froidures ny sont si excessiues qu'en Frāce, comme a fort bien remarqué Cesar. Et par ainsi, il est aisé à conclure, qu'à raison de la situation du lieu, les Anglois sont & belliqueux & prudens, cest à dire, accom­plis de tout ce qui est necessaire, au reigle­ment de la vie politique. Car la force du corps n'est moins requise en l'execution, que la dexterité & vigeur d'esprit en l'en­treprinse, comme dit fort bien le Poete Pindare:Pindare ode, 1. Nem.

[...],
[...].
Car par les effects la force ouure,
Et en conseils l'esprit se discouure.

Et ne sert de dire, comme faict Co­mines, que les Anglois sont fort chole­riques,Cicero pro Marcello. passion qui plus qu'aultre em­brouille le iugement, mesmement quant il est question de se resoudre. Car cela [Page 71] pouuoit auoir lieu du temps de Comines, que les Anglois n'estoient encores si po­lis, comme ils ont esté depuys, par la cog­noissance des bonnes lettres. Mais de­puys que par la liberalité du Roy Edo­uard, on a veu deux Athenes en vne seulle Angleterre, asçauoir, Cambrige, & Ox­fort, on ne sçauroit bonnement iuger, si ce tant puissant royaulme, a esté plus fer­tile en biens de la terre, qu'en Esprits des­liés, accords & sublimes au maniement des affaires. Il y a soixante,Machiauel. en son liure du Prince. ou quatre vint ans, que les Italiens faisoient vn mesme reproche aux François, que Co­mines faict aux Anglois: asçauoir, qu'ilz n'entendoient rien aux affaires d'estat. Mais depuys que le Roy François eut peuplé la France d'hommes doctes, par le moyen des professeurs que de toutes parts il fit venir à Paris, les Italiens se flateroy­ent par trop eux mesmes, s'ils pensoient que au maniemēt des affaires politiques, les Esprits François leur deussēt rien de re­tour. C'est pourquoy Pierre de la Ramee [Page 72] personnage dont le renom fait tous les iours, la ronde par tous les climats de la terre, s'affectionoit tellement à louer en ses deuis familiers, la liberalité & les au­tres excellentes vertus du Roy Edouard & de la Royne Elizabeth, qu'il n'esti­moit auoir trouué diue subiect de sa mer­ueilleuse faconde, sinon qu'en discourant de la nature d'une Royale & heroique vertu, auquel il en representoit vn vray & naif pourtraict es actions & deporte­mens de ces deux Princes. Mais le desir que i'ay, auec le moien de monstrer, que l'espaignol n'est belliqueux, fait que ie suis vn peu plus court en discourant de la pru­dence Angloise. I'estime que la raison que i'ay amené d'Aristote, est suffisante pour debouter l'Espaignol, du reng qu'il pre­tend tenir entre les nations belliqueuses. Toutesfois si quelqu'un ayme mieux s'en raporter à l'experience, qu'à ces raisons Philosophiques, ie n'ay qu'asses de moien pour le contenter, s'il est homme qui se paye de raison. Ie dis donc que deuant [Page 73] cent ans, la nation Espaignole n'auoit aucune reputation pour fait des armes. Et de cela ie m'en raporte au tesmoignage des histoires. Ie dis d'auantage, que depuys ce temps là, toutes les foys & quantes que les Princes d'Espaigne ont fondé la principale force de leurs armees sur les troupes Espaignoles, ils ont tousiours re­çeu quelques roides secousses. Les ba­tailes de Rauēne & Serizoles font suffisa­ment foy de mon dire. Au contraire, s'ils ont eu quelques auantages sur nous, comme à Pauye, Sainct Quintin & Graueline, ils en doiuent la recognois­sance aux Allemans & aux Anglois. Ie confesse bien que sous la sage condu­icte de l'Empereur Charles, ils se sont re­duicts à quelque discipline, qu'ils conti­nuent & continueront, tant qu'il plaira à Dieu se seruir d'eux pour executeurs de sa iuste vengeance. Car c'est luy qui donne & oste la vertu aux hommes, comme & quant bon luy semble, com­me [Page 74] le Poete Homere a fort bien remar­qué disant:

[...]
[...].
Dieu trespuissant, selon son bon plaisir,
Augmente vertu, & la fait amoindrir.

Et combien que les Espaignolz sur­passent toutes nations du monde en vai­ne & sotte iactance, quant il est questi­on de leur prouesse & vaillance, si est ce qu'ils tachent de se surmonter eux mes­mes en ceste impudente bauerie, quant ils viennent à discourir de leurs thesors & richesses. Et par ce que cestuy cy est le principal fondement de leur imaginaire grandeur, i'insisteray vn peu plus sur cest article, & feray cognoistre que s'ils auoient la tierce partie des richesses qu'ilz imaginent, ilz seroient troisfois plus ri­ches qu'ils ne sont. Les Egyptiens con­toient en leurs histoires, qu'au temple de [Page 75] Iupiter il y auoit vne obelisque compo­sée de quatre emeraudes, aiant chascune quarante coudees delong:Theophrastus [...] dont Theo­phraste se moque plaisamment, & auec grande raison. Telz & semblables comp­tez se trouuent es historiens Espaignols touchant l'isle de Zipangri, ou ces bōnes gens nous feroient volontiers à croire, que les mouches portent bastons à deux bouts. Quant aux thesors du Peru, pour faire cognoistre que leurs discours estoient retracés à l'imitation de la vray histoire de Lucian, ils semblent n'auoir rien oublié a dire, sinon qu'au cabinet d'Atapaliba, ils trouuerent vne centaine de Diamants, chascun d'eux (pour le moins) de la grosseur d'un oeuf d'Au­struche. Mais laissant à part ces bourdes, qui ne peuuēt estre creues sinon par ceux qui croient la realle verité des Metamor­phoses d'Ouide: considerons que ces ri­chesses ne viennent pas es coffres du Roy d'Espaigne, comme l'herbe en vn pré, c'est à dire, sans rien debourser, mais qu'au [Page 76] contraire la voicture couste beaucoup. Considerons d'auantage que les autres nations, & sur toutes les François, ont a­prins le chemin du Perou, & craignans peut estre que les Espaignols perissent en mer pour estre trop chargés, leur prestent asses souuent & de bon coeur ceste cha­rité, que de receuoir l'une partie du far­deau en leurs nauires. Voire tant noz François sont gracieux & courtois, qu'ils constraignent les Espaignols veuillent ou non, d'accepter les effects & tesmoigna­ges de si charitable debonnaireté. Outre tout cela, les Indiens commencent à de­uenir mauuais garçons, & ne faire plus tant d'estat, des mirouers, espingles & autres tels presens des Espaignols, quel­qu'un leur ayant peut estre, fait gouster la sentence de Sophocles:Sophocles in in Aiace.

[...].
Des ennemis les dons, ne furent onques bons.

Et quant bien toutes les occasions ces­seroient, est il possible que la possession [Page 77] d'une chose si mal acquise, puisse durer longuement. Pensons nous qu'il y ait Indien en la suiection de l'Espaignol, qui mille fois le iour ne crie en son patois, ceste sentence d'Aristophane:Aristophanes in Pluto.

[...].
O qu'il est fascheus, & cas plein de mal heur,
D'un maistre esceruelé estre seruiteur.

Aristote dict,Aristo. de Me­taphys. lib. 5. cap. 23. qu'un pays est inuesti & tenu d'un Tiran, de la mesme façon que les corps humains de la fieure: Com­bien ie vous prie, pensons nous que ces pouures Americains tourmentés si lon­guement d'une telle fieure, gettent des gemissemens, qui penetrent iusques aux oreilles de celuy qui tient le gouuernail des choses de ce monde.

Estimons nous que la main de Dieu soit accourcie,Esayas ca. 33. pour n'executer en son temps les menaces qu'il fait par la bouche de son Prophete, contre les brigans, pil­lars & fourrageurs. Ou est l'estat au [Page 78] monde tant fleurissant soit il, qui puisse estre exempté de ruine & bouleuerse­ment. Quel est le conseil, quelle est la force, qui le puisse garentir de la main du Dieu viuant & tout-puissant? Les mechess trottent de maison en maison, comme dit Euripides en termes, aultant exquis & riches qu'il est possible:

[...]
Euripides in Electra.
[...]
[...].
Les tours des malheurs, trottent par les maisons,
Comme les vents legiers, font en leur saisons.

Le mesme & auec meilleur raison se peult dire pour le regard des Monarchies, és quelles on voit de iour à aultre, l'ac­complissement de ceste menace, qui est si sagement couchée par Hesiode, par­lant de Iupiter:

[...]
[...].
Hesiod. opera & Dies.
Le grand tost il abaisse, & l'humble leue,
Le courbe il dresse, mais l'haultain il greue.

Ce qui a lieu mesmement, quant les pechés tant du peuple que du Magistrat,Vitello, lib. 4. viennent à forcer la patience de Dieu. Les mathematiciens tiennent que les gran­deurs augumentées, semblent aprocher de l'oeil, combien qu'à la realle verité elles n'aprochent aucunemēt. Mais il en prent tout aultrement des pechés,Theoxen, 129. Euclid. opt. Theox. 58. qui entassés les vnz sur les autres s'aprochent, voire se presentent d'eux mesmes deuant l'oeil du Dieu viuant, qui bien souuent punit les peuples par les Roys, & les Roys par les peuples, n'estant sa iustice reglee, par vne mesme esquierre que les iugemens hu­mains & ciuiles, esquels selon les iure­consultes Noxa caput sequitur. Caius, lib. 20. & vltim. D. de Noxal. action. De cela nous auons vn clair & notable exemple en Abimelech Roy de Guerar, qui s'excu­sant enuers Abraham vse de ce langage: Que t'ay ie faict, et en quoy t'ay ie offencé,Genesis, 20 chap. que tu as fait venir sur moy & sur mon Royaume vn grand peché. Que si Abi­melech appelle vn grand peché l'adultere, comment appellerons nous celuy dont [Page 80] on ne pourroit donner meilleure descrip­tion, que la conformité de l'exemple pro­posé par Suetone, en la vie de Claudius, chapitre vingt sixiesme. Que si ce propos semble trop obscur à quelqu'un, qu'il lise seulement ce qui est escrit, par le iure con­sulte Paulus. L. 39. si quis D. de ritu nupti­arum, & il entendra clairement mon dire. Mais ce n'est pas tout, car il y a encores encest endroict, d'autres meschācetés, aul­tant ou plus enormes, qu'on pense tenir bien secretes, comme si le dire du Poete Musée n'auoit pas lieu autant en vn aage qu'en l'autre:

[...]
[...]
Vn acte commis en silence, & en cachette,
Se diuulgue es quarrefours, comme par trompette.

Si donc nous estimons la iustice diuine immuable, sçachons & nous tenons tout asseurés, que Dieu visiterà telles & si exe­crables meschācetés, plus des hōnestes que faciles à celer, et fera quoy qu'il tarde, sen­tir sa vengeance à l'espaignol et à son Roy.

Cruel Tyran à qui dessus la teste,
l'ire de Dieu pend de sia toute preste.

Brief, le temps vient et ne tardera point, que ceste meschante nation, que depuis cent ans a fait mestier de piller & butiner, sera exposée pour pillage & butin aux au­tres nations. Le temps di-ie s'aproche, au­quel ou les Indiens, ou mesmes les lieute­nans du Roy d'Espaigne, se reuoltans se­ront lez executeurs de l'ire de Dieu, con­tre l'auarice & cruaulté de leur nation. Reste maintenant à considerer le troisies­me & dernier article de ce discours, à sça­uoir, quelle des deux nations estant de­uenue ennemye, a plus de moyen de nous nuire. Ce poinct peult bien estre vuidé, par ce qui a esté discouru en l'article pre­cedent, touchant les moyens que l'une & l'autre nation a de nous secourir: si est ce toutesfois, qu'auenant que l'Anglois eust vn pied en France, et mesmemēt en la Guyenne, il nous seroit aultant difficile, d'empescher qu'une bonne partie de la noblesse n'espousast son parti, que d'en­seuelir [Page 82] la memoire des bienfaits et faueurs que leurs maisōs ont iadis reçeu des Roys d'Angleterre. Attendu que les pancartes des plus grandes maisons de la Guyenne, sont autant de tesmoignages, ou à mieulx dire, aultant d'instrumens autentiques, faisans foy de l'obligation qu'elles ont à la memoire des Roys d'Angleterre. D'a­uantage venans aux prinses auec l'An­glois, chascun sçait qu'ils ont des bons fossés, larges & profonds & qu'on ne peut tarir. Au contraire, suiuant l'opinion de ce grand Capitaine l'Admiral de Cha­stillon, il ne nous est moins facile qu'ex­pedient de dōter l'Espaignol, si nous luy faisons la guerre comme il fault, c'est à dire, si voulans couper la riuiere à sa source, nous l'allons attaquer dans l'E­spaigne, pais de facile entrée, despourueu de villes fortes & qui ne peut estre que fort difficillement secouru d'Alemaigne. Ou tout au rebours nostre armée auroit à dos le Lāguedoc & la Gascoigne, toutes deux fertiles en viures & en soudards. De [Page 83] sorte que ce quartier la, peult estre au­iourdhuy appellé en France, le magasin de Mars. Quant ie n'aiousterois autre chose, si est ce, que les motifs cy dessus deduicts bien considerés, concluent as­ses d'eux mesmes, que preferer, ou appa­rier, l'alliance d'Espaigne à celle d'Angle­terre, est ouuertemēt se declarer desnatureé enuers ses alliées. Est se monstrer stupide, ne saçhant pas discerner le naturel symbo­lisant au nostre, d'auec le contraire. Est se formaliser contre le bien & le profit de sa patrie. Les Espaignols comme nous a­uons dit, sont auares, cauteleux, superbes & rauissans. Changerons nous la libe­ralité Françoise, en vn villaine & insacia­ble auarice? Changerons nous la genero­sité du Lyon, en la malice du Renard? Deuiendrons nous de courtois arrogans, de doux & debonnaires cruels & rauis­sans? Nous despouillerons nous telle­ment des vertus qui nous ont acquis re­putation par tout le monde, qu'il ne nous reste rien de François, que le seul nom? [Page 84] Et toutesfois si nous considerons de pres le naturel de l'Espaignol, le miserable changement dont ie viens de parler, sera tousiours remarqué, pour vn euident & certain tesmoignage de nostre trop grāde facilité, à faire si grand cas d'une nation qui resemblant au lierre, a tousiours faict sentir les plus pernicieux effects de sa ma­lice, enuers ceux quy luy estoyent plus e­stroictement alliéz. Que si la priere est contée pour vn deuoir d'homme de bien enuers sa patrie, ie prie à Dieu, ô France, que ta conseruation & agrandissement, soit vn perpetuel miroir de sa bonté & sa­gesse, reluisant au gouuernement des grands estats & monarchies: & qu'à ce­ste fin il te desille les yeux, pour sçauoir discerner le poison emmielé, par le quel on tasche d'auancer la ruine & aneantissement de ta grandeur.

FINIS.

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